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Jacques Berque et les villes de l’Islam Jacques Berque and cities of Islam Mohamed Kerrou p. 483-500 Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur Plan L’intérêt de Jacques Berque pour les villes et l’urbain Morphologie des villes et des médinas maghrébines La trilogie urbaine au Maghreb Configuration des quartiers arabes Fès ou l’archétype urbain du Maghreb musulman Apports et limites de l’anthropologie urbaine de Jacques Berque Haut de page Texte intégral PDF 276k Signaler ce document 1Le parcours singulier de Jacques Berque (1910-1995), ajouté à son écriture poétique et à son style érudit et inimitable, a empêché, pour un certain temps, que ses écrits constituent une référence de choix pour les chercheurs en sciences sociales spécialisés dans le monde arabe et musulman. 1 Cette périphrase s’inspire de l’itinéraire ainsi que du titre de l’autobiographie de J. Berque, 198 (...) 2De son vivant, « l’homme des deux rives »1 fut à la fois sociologue, historien, anthropologue, arabisant, islamologue et, à ses débuts, administrateur colonial – comme son vénéré père Augustin - puis militant de la décolonisation, professeur au Collège de France et expert de l’UNESCO. 3Aujourd’hui, quelques années après sa mort, la pensée et la parole du Cheikh Berque sont comme réhabilitées par ceux qui, souvent, sont soucieux de lui rendre hommage ou, parfois, mus par les logiques de l’homo academicus admirablement

Jacques berque et les villes de l

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L’intérêt de Jacques Berque pour les villes et l’urbain Morphologie des villes et des médinas maghrébines La trilogie urbaine au Maghreb Configuration des quartiers arabes Fès ou l’archétype urbain du Maghreb musulman Apports et limites de l’anthropologie urbaine de Jacques Berque Haut de page

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Jacques Berque et les villes de l’IslamJacques Berque and cities of IslamMohamed Kerroup. 483-500Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur

PlanL’intérêt de Jacques Berque pour les villes et l’urbainMorphologie des villes et des médinas maghrébinesLa trilogie urbaine au MaghrebConfiguration des quartiers arabesFès ou l’archétype urbain du Maghreb musulmanApports et limites de l’anthropologie urbaine de Jacques BerqueHaut de page

Texte intégralPDF 276k Signaler ce document

1Le parcours singulier de Jacques Berque (1910-1995), ajouté à son écriture poétique et à son style érudit et inimitable, a empêché, pour un certain temps, que ses écrits constituent une référence de choix pour les chercheurs en sciences sociales spécialisés dans le monde arabe et musulman.

1 Cette périphrase s’inspire de l’itinéraire ainsi que du titre de l’autobiographie de J. Berque, 198 (...)

2De son vivant, « l’homme des deux rives »1 fut à la fois sociologue, historien, anthropologue, arabisant, islamologue et, à ses débuts, administrateur colonial – comme son vénéré père Augustin - puis militant de la décolonisation, professeur au Collège de France et expert de l’UNESCO.

3Aujourd’hui, quelques années après sa mort, la pensée et la parole du Cheikh Berque sont comme réhabilitées par ceux qui, souvent, sont soucieux de lui rendre hommage ou, parfois, mus par les logiques de l’homo academicus admirablement reconstituées par Pierre Bourdieu, un autre sociologue de renom disparu. Soit ! Il en est ainsi, dans l’histoire, des pensées et destinées humaines. Mais, au-delà de ces stratégies discursives d’acteurs impliqués dans le jeu académique, social et politique, l’important est de pouvoir dialoguer sereinement avec les écrits, en l’occurrence ici ceux de Jacques Berque, tout en gardant à l’esprit que la reconnaissance de la dette intellectuelle ne contredit point le devoir de la critique.

4C’est à ce titre que le point de départ de la présente lecture, qui s’inscrit dans une démarche ayant pour objet l’urbain, se focalise sur une question principale à ramifications multiples : dans quelle mesure l’approche sociologique et anthropologique de Jacques Berque a permis l’investigation des villes et le déchiffrement de l’urbain au Maghreb en particulier et en Islam en général ?

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L’intérêt de Jacques Berque pour les villes et l’urbain

2 Berque, 1988 : 275-297. Pour une très courte biographie et bibliographie : Berque & Sur, 1996 : 53- (...)

3 Né à Frenda en Algérie, le jeune J. Berque a été confié par son père à un chef de tribu du Sud qui (...)

5Un simple regard jeté sur la production livresque de Berque2 permet de voir que l’urbain et les villes n’interviennent que dans un second temps, car c’est plutôt par le biais de l’espace rural que Jacques Berque commence, dès les années 30, à sonder la société marocaine et maghrébine, en traitant essentiellement des Pactes pastoraux Beni-Meskine (1936) et des Études d’histoire rurale maghrébine (1938). Puis, du rural affectionné et expérimenté3, Berque glisse non pas vers l’urbain mais vers le fiqh ou jurisprudence musulmane avec les Nawâzil al-muzara’â du Mi’yâr Al-Wazzânî (1940) et l’Essai sur la méthode juridique maghrébine (1944).

6C’est cette plongée, tout le long des années 40, dans le corpus du fiqh maghrébin qui sert de passage et de transition entre le rural et l’urbain. Rien d’étonnant à cela car le fiqh – cette base assurant la « maintenance de l’Islam » (Berque et Charnay, 1966 : 211-223) – est un produit citadin des ulémas des villes, tout en tenant compte du droit coutumier (‘urf), en vigueur aussi bien dans les campagnes (bawâdî) que dans les cités (mudun) de l’Islam.

4 Sur son rapport avec la langue arabe dialectale, Berque (1980 : 35sq) dit : « J’ai appris l’arabe m (...)

7Cette succession des axes d’intérêt (le rural, le fiqh, l’urbain) n’est pas le produit d’une progression linéaire et à voie unique, dans la mesure où Berque a toujours eu plusieurs « fers au feu ». De tels axes d’intérêt scientifique, convergents et foisonnants, étaient à la mesure de son érudition et de sa vision globalisante basée sur une connaissance intime de la langue arabe (dialectale4 et littéraire - classique et moderne), du Coran, des pratiques et des mentalités des « hommes de l’Islam », pour reprendre une expression chère à Louis Gardet.

5 Exprimant la difficulté empirique de connaître les Arabes, Berque écrit : « C’est que l’agilité des (...)

8À la différence de nombre de ses prédécesseurs et contemporains voire de ses successeurs, l’objectivation n’excluait chez lui, ni l’estime, ni la critique de l’objet/sujet d’étude : les Arabes perçus comme « êtres historiques »5.

6 À ce livre, qui constitue la thèse de doctorat de R. Le Tourneau, il faudrait ajouter son ouvrage d (...)

7 Dans Le Maghreb entre deux guerres, J. Berque (1962 : 176, n. 1) écrit de Fès avant le protectorat (...)

8 Il s’agit d’une commande puisque J. Berque était engagé en Égypte, à l’époque, comme expert interna (...)

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9À regarder de près, l’intérêt pour l’urbain se focalise d’abord sur la ville de Fès, avec une série d’articles qui commence par une observation de la Grande Mosquée d’al-Qarawiyîn intitulée « Dans le Maroc nouveau. Le rôle d’une université islamique » (1938 : 193-207) et finit, plus de trente ans après, avec « Fès ou le destin d’une médina » (1972 : 5-32), en passant par d’autres contributions dont le substantiel « Ville et Université. Aperçu sur l’histoire de l’École de Fès » (1949 : 64-114). Toutefois, ces contributions n’ont paradoxalement pas débouché sur une monographie ou une œuvre synthétique de l’ancienne et brillante capitale idrisside devenue, à l’époque du protectorat, foyer principal du parti de l’Istiqlâl marocain. Pourquoi donc ? Probablement, parce qu’il y a eu Le Tourneau avec son travail monumental sur Fès avant le protectorat (1949)6 que Berque ne voulait apparemment pas discuter7, afortiori compléter. En plus, le projet berquien est fondamentalement global et non pas régional et fragmentaire, comme le montrent bien ses nombreuses études comparatives, sur le Maghreb, les Arabes et l’Islam. Il est vrai que cela ne l’a pas empêché, à un certain moment, d’écrire l’Histoire sociale d’un village égyptien au XXe siècle (1957)8, précédé de sa thèse sur les Structures sociales du Haut Atlas. Les Seksawa (1955).

10Pour les villes, l’orientation de Berque ne se précise réellement, en devenant centrée sur le fait urbain, que vers le milieu et la fin des années 1950, notamment avec le séminaire de la sixième section de l’EPHE intitulé « Les Villes » (1958) qui est organisé à un moment historique décisif : celui des indépendances du Maroc et de la Tunisie et surtout celui de la guerre de libération en Algérie. Aussi, l’intérêt pour les villes intervient-il à une période où de tels espaces urbains sont les lieux privilégiés de la lutte et de la construction nationale. Intérêt scientifique et intérêt politique vont ainsi de pair et n’empêchent guère Berque d’apporter, par ses précieuses études, une contribution importante à la connaissance urbaine maghrébine.

11La première livraison de J. Berque (1958), dans le domaine urbain, a pour titre suggestif « la Cité éminente » et pour sous-titres « Le doublet rural-urbain » ; « Le venu d’ailleurs et le venu d’en haut » ; « l’ordre trifonctionnel de la cité maghrébine » dont une partie importante sera reprise et développée, avec une autre qui figure dans la même publication sous le nom de : « La bataille du chiffre et du site », au sein d’un article désormais célèbre : « Médinas, villeneuves et bidonvilles » (1958 et 1974).

9 Dans l’ordre chronologique de leur publication, les articles consacrés à la ville de Fès sont les s (...)

12Il est important de s’arrêter un peu plus longuement sur les thèses de ces deux contributions de socio-anthropologie urbaine, tout en réservant une place à part à l’archétype urbain fassi que Berque avait théorisé à partir d’études ponctuelles9, sans oublier d’examiner son approche de cette réalité urbaine constitutive : les houmâ-s ou quartiers. Au préalable, il n’est pas inutile de recenser, à titre indicatif, les autres contributions de Berque relatives aux villes du Maghreb et du Machrek arabes :

1969 : « Les capitales de l’islam méditerranéen vus par Ibn Khaldûn et les deux Maqarî » (1969 : 71-97 et 1978c : 89-121)

1971 : « La Gamâliya depuis un siècle. Essai d’histoire sociale d’un quartier du Caire » (1974a : 45-99 et 1978c : 135-167)

1972 : « Ulémas tunisois de jadis et de naguère. Notes de lecture sur les Musamarât al-Zarîf » (1978b : 430-470)

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1973 : « Cadis de Kairouan d’après un manuscrit tunisien »(1973 : 97-108 et 1978b : 222-239)

1976 : « La cité arabe » (1976 : 29-31)

10 Il est à signaler que c’est pratiquement ce même article qui a été, plus tard, publié en français ( (...)

1978 : « Une Héliopolis de l’Islam » (1978a : 15-25)10

13Si l’on ajoute, à cette liste, les contributions relatives à Fès et citées dans les notes, on aura en tout une quinzaine d’articles consacrée par Berque aux villes et il faudrait y adjoindre Le Maghreb entre deux guerres (1962) qui regorge de descriptions et d’analyses sur l’urbain et les modes de vie citadins ainsi que leur influence sur les mœurs et la politique.

14L’ensemble de ces écrits est d’un grand apport aussi bien pour la théorie urbaine maghrébine que pour l’enquête ethnographique. En effet, la théorie urbaine berquienne est basée essentiellement sur la fameuse trilogie « Médinas, villeneuves et bidonvilles » qui est certes une typologie pertinente et néanmoins discutable. À son tour, l’enquête ethnographique s’est nourrie d’observations minutieuses qui datent aujourd’hui mais qui renseignent énormément sur l’histoire passée et présente car les enjeux fondamentaux des villes et des sociétés maghrébines demeurent les mêmes, en dépit des changements historiques.

Morphologie des villes et des médinas maghrébines15L’Afrique du Nord de l’époque est définie par J. Berque comme étant un

« pays à faible urbanisation, mais à grandes villes ... Pays à chair rustique mais à grosse tête. Et ses formes les plus constantes, voire les plus actuelles, procèdent d’échanges subtils entre cette rusticité et cette citadinité » (La Cité éminente : 50).

16La « grosse tête », ce sont les grandes villes qui façonnent leur arrière-pays d’où la bipolarité dialectique citadin-rural avec ce qu’elle implique comme complémentarités et contradictions. Au sein de cette bipolarité, la ville est une réalité idéologiquement dominante avec un rôle privilégié des lettrés. Berque accorde une grande importance à ce corps social, comme le montrent ses études pointues sur les ulémas de Tunis, les cadis de Kairouan et les fuqahâ-s ou jurisconsultes de Fès.

17Pour commencer, l’urbain maghrébin possède deux niveaux morphologiques : la petite ville rurale qui se différencie de la campagne et la grande ville qui agit sur son environnement. Toute la question est alors de savoir « où finit le bourg et où commence la ville ? ». Berque commence par établir que le seuil inférieur de l’agglomération, selon les cas 2 000/2 500/4 000 habitants.

18L’agglomération ne mérite pas le nom de ville, fût-elle « ombragée de platanes, pourvue d’une salle des fêtes, d’une mosquée et d’une maison de colon » (1958 : 119). Pourquoi ? Parce que la ville est, au-delà du groupement social primaire, constituée par le système rural

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dont le noyau est le souk, fréquenté par les gens de la tribu et économiquement basé sur l’agriculture pastorale, refaçonnant l’organisation agnatique qui ne se retrouve jamais à l’état pur. En rupture avec le groupement primaire, la ville apparaît seulement quand une fonction plus complexe de fabrication ou d’échange s’impose et se diversifie, que l’habitat se concentre et qu’un corps nouveau, bâti en dur, se signale par deux traits caractéristiques : le minaret et le rempart. Plus particulièrement, le fait urbain maghrébin est modelé par un patronage commun, un personnage religieux. Par conséquent, ce sont les remparts, la mosquée et le saint patron qui font la ville. À ce titre, Berque note qu’historiquement, « c’est l’hagiologie expansive des XVe- XVIe siècles qui est, dans toutes sortes de légendes de fondation, mise en rapport avec ces synoécismes » (La Cité éminente : 52-53). Mais, à ce rôle unificateur de l’expansion « maraboutique » au Maghreb, s’ajoute l’absence de continuité entre les villes ainsi que la mise en rapport continuelle de la rivalité nomades/sédentaires. C’est à ce niveau qu’interviennent justement les deux paliers du « venu d’ailleurs » et du « venu d’en haut ». Le premier désigne les villes nouvelles, comme Casablanca, nées de l’intervention européenne liées aux transformations maritimes ou de la mise en valeur de l’arrière-pays. Le second réfère aux métropoles islamiques, comme Fès, foyer de culture et de foi et qui répandent loin autour « les prestiges d’une vie éminente ».

19Si ces deux types majeurs se distinguent par les techniques de transformation et d’échange, leur point commun est cependant le divorce avec l’arrière-pays rural. Divorce au niveau de la complémentarité économique, du mode de vie, de l’histoire, du langage et des habitudes. Aussi, le grand style urbain se trouve t-il coupé du pays profond et il y a comme une faille entre les deux. C’est le cas des villes historiques dont l’intégration et le rôle intégrateur ont toujours souffert de leur origine éminente. Ici, nous sommes en présence d’un « urbanisme du signe » : la ville est le lieu où le témoignage, écrit Berque, devient architecture. En effet, l’unité éminente de la ville doit sa sauvegarde à la Grande mosquée vers laquelle tout conflue et de laquelle tout reflue comme si elle était un cœur. Le second trait de la médina est l’existence de quartiers hiérarchisés à couleur familiale tandis que le troisième consiste en la continuité immobilière et la stabilité quasi-ancestrale du bâti imposant des règles rigoureuses dans le domaine de la construction.

20Le tout est basé sur un système économique ternaire : artisanat, commerce et étude (‘ilm). À ce titre, une famille est citadine quand elle est représentée dans ces trois dimensions de la cité. Il y a comme une coopération entre les activités avec un rôle remarquable du ‘ilm qui exprime l’éthique de la cité en contrôlant et surveillant les deux autres. D’où le rôle du fiqh en tant que censure rigoureuse de la citadinité. Or, cet idéal juridique est devenu en contradiction avec la réalité de la cité. Il y a eu ainsi, à l’instar de l’opposition entre la ville et le plat pays, une opposition entre le corps et l’âme de la ville elle-même. La cause en est l’opposition économique entre l’éthique musulmane et l’éthique marchande capitaliste. Le système de main-morte religieuse ou ḥabûs cristallise cette opposition qui a entraîné une crise psychologique et un dysfonctionnement du service municipal.

21Berque (La Cité éminente : 63) conclut par le constat de l’effondrement historique d’une telle éthique économique musulmane, d’autant plus qu’un nouveau système de valeurs est entré en lutte, tantôt feutrée, tantôt ouverte, contre l’ancien. Au-delà de cet effondrement, Berque pense que l’observation des villes nord-africaines peut être d’un certain apport à la sociologie urbaine « justement par ce qu’elle exalte le rôle du signe, ou même du conflit entre signes rivaux » qui éclatent partout « entre le passé et le présent, l’Islam et l’Europe, la révolte et l’accoutumance » (1962 : 204-206).

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La trilogie urbaine au Maghreb22Pour Jacques Berque, la ville naît au monde moderne par une mobilisation de son espace qui devient valeur d’échange et lieu de placement spéculatif (1958b : 138). Au Maghreb, les mutations technologiques induites par le capitalisme et l’industrialisation ont élu pour siège la villeneuve centrée sur la bourse et, par conséquent, sur la spéculation et l’aléa. Par contre, la médina conserve pour cœur la mosquée fondée sur le spirituel. Ici, domine l’urbanisme du signe fondé sur le passé et là le plan tourné vers l’avenir. En ce sens, la médina se trouve de plus en plus débordée par la villeneuve qui s’y superpose en mordant dessus et en se relayant aux bidonvilles. Du coup, deux réalités symétriques se développent : l’une interne, celle des quartiers, et l’autre périphérique, celle des faubourgs avec un rôle historique plus actif et plus véhément qu’en Europe (1958b : 156).

23Malgré leur différence, les deux ont en commun une « réaction du spontané, du non-officiel contre la volonté communale ». En somme, une vie qui échappe à la règle car il y a, précise Berque, comme une hostilité et une tension entre la vie de la cité et celle des Kasbahs, gourbivilles et bidonvilles.

24Cette tension qui se greffe sur une succession de types, d’idées, de mœurs et de problèmes politiques (1958b : 159) entre la médina, la villeneuve et les bidonvilles, augure de l’ouverture d’un nouveau cycle : celui de l’avènement des masses.

25 Le terme de “bidonville” apparaît d’abord en Tunisie et au Maroc (1962 : 201, n. 1), autour des années 1934-1936, puis il se généralise. Si le bidonville dénote de la ruée prolétarienne des immigrants ruraux vers les centres urbains, le faubourg résulte du trop-plein de la médina ainsi que de l’exode rural.

26Il est à constater que Berque donne une définition extensive du faubourg qui désigne à la fois l’extra-muros prochain et lointain. C’est à la fois le rabaḍ (faubourg strico sensu) et le bidonville. Or, cette définition est trop large même si elle est censée désigner ce qui s’est constitué en dehors de la médina et de la villeneuve (européenne ou moderne).

11 « À partir de 1930, et surtout de 1935, des foules drainées loin dans le bled grossissent immenséme (...)

27En réalité, le faubourg est ce qui entoure immédiatement la médina et un tel fait urbanistique est antérieur à la colonisation qui lui assigna, dans le sillage de sa crise et sans le vouloir, un rôle politique contestataire11 alors que le bidonville ou le gourbiville émerge dans les années 30, suite à la ruée des paysans déracinés vers les centres urbains. Il réunit tous « les laissés pour compte » de la nouvelle urbanisation axée sur l’industrialisation. En effet, tout s’est passé comme si par une dure logique urbaine, précise Berque, il y eut une évolution de la sphère initiale de la médina vers la villeneuve puis vers le faubourg qui encercle le centre et les beaux quartiers. D’où la crise des villes au Maghreb que Berque suggère de résoudre par un cheminement vers la démocratie et l’esthétique urbaine. Toutefois, cette crise opère sur un fond anthropologique complexe que Berque identifie comme étant l’ensemble des « virtualités collectives » dont on peut reconnaître le jeu à travers les rapports villes/campagnes.

28Le problème, c’est qu’elles y constituent

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« un second réseau qui a recouvert incomplètement ceux de la parenté agnatique étendue ; la commune supplantant les lignages. L’État, qu’il fût archaïque, colonial ou national, s’est plaqué sur l’un et l’autre des deux ordres, sans du reste descendre très loin dans leurs fondements » (1989 : 90).

29C’est là peut-être le perpétuel défi de la ville, de la société et de l’histoire maghrébines.

Configuration des quartiers arabes30Les « fragments d’histoire locale » du Maghreb entre deux guerres (1962 : 115-231) sont en partie consacrés à cette différenciation majeure de l’urbain : celle du quartier qui se distingue de deux autres espaces d’identification sociale, la tribu et le village, pour s’insérer dans la réalité de la ville dont Fès est l’archétype.

31Qu’est-ce qu’un quartier (maghrébin : houmâ) ? À cette question, Berque apporte d’abord une réponse allégorique : « Le quartier, c’est ce qui vous protège du monstre », tout en précisant que si l’on sent fort bien le quartier, on hésite à le définir (1962 : 200) d’autant plus qu’au « quartier empirique » – lieu de résidence et d’échange - s’oppose le « quartier idéal » – lieu d’attache du citoyen - et que les deux se complètent. Il est vrai qu’à côté des traits matériels, il importe de retenir « le rôle du sentiment collectif, et de ses accrochages ou signaux » qui sont souvent demandés, par les Musulmans, à la religion (1962 : 204). Autrement dit, le quartier est à la fois une matérialité et une symbolique sociale, historique et spirituelle. Aussi, la spatialité du quartier est reliée à un « urbanisme du signe » musulman opposé à l’urbanisme romain de type géométrique, dans la mesure où « le quartier coïncide avec le périmètre vocal d’un idhn, « appel à la prière » » (1984 : 206)

32Décrivant la médina de Tunis, les types et les styles de ses habitants « pétris de citadinité », Berque souligne que le quartier par excellence est la ḥâra ou ghetto juif. La raison en est la qualification, la ségrégation et la diversité de l’origine et de la religion.

33En réalité, la citadinité est liée à l’histoire des familles illustres qui ont des caractéristiques professionnelles et morales spécifiques. C’est que, justement, dit Berque,

« l’intégration de la morale et du goût… constitue l’Islam citadin, tranchant sur l’Islam rural par plus de clairvoyance, de circonspection… » (1962 : 212).

34Concernant la fonction du quartier producteur de citadinité, Berque (1962) affirme que

« par l’échange continuel qui s’opère entre l’espace et le temps, les rythmes sociaux et l’éthique, le quartier relie donc les grandes lois historiques à la chaleur du groupe qui se fait ou se renouvelle ».

35À partir de la fine et délicieuse analyse consacrée plus particulièrement au quartier tunisois de Nahj al-Bâcha, Berque montre que le quartier, qui est toujours à étudier dans ses frontières et qualifications changeantes, se définit comme

« l’unité qui s’oppose à ses riverains lorsque convergent en elles assez de traits distinctifs : un certain passé architectural, un argument d’origine, ou bien une homogénéité empirique, une allure physique, une vocation économique, parfois un folklore, un parler » (1962 : 207).

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36Sur le plan social et symbolique, de plus en plus, le quartier bourgeois et le quartier faubourien s’opposent « de part et d’autre de l’enceinte et de la norme citadines » (1962 : 201). Mieux encore, Berque précise que tout cela est évolutif et variable et que le quartier campe une personne dans l’ensemble citadin, tout en constituant une strate dans l’histoire de la ville.

37Si toute ville se différencie en quartiers, ces derniers se répartissent en immeubles et en espaces. C’est pourquoi il faudrait suivre également l’ordre inverse allant de la maison au quartier et de celui-ci à la cité car « le quartier est le lieu où s’entrecroise une vitalité montant de la base avec le fonctionnement de la cité ou même de l’État » (1962 : 208).

38Bref, le quartier est ce qui relie la famille à la cité et par delà à l’État. Sur le plan concret, au Maghreb, « le quartier se mesure au rayon d’audition du muezzin conviant à la prière » (1962 : 214).

39En plus du Nahj al-Bacha, Berque nous livre le tableau d’un autre quartier maghrébin : celui de Laferrière d’Alger où, à partir des années 30,

« des foules drainées loin dans le bled grossissent immensément les faubourgs, et tendent à faire d’une citadinité reconquise par les masses, l’arbitre du destin politique ».

40Quelquepart, la montée de la tribu ou du village vers la ville scelle un autre avenir pour les cités maghrébines toujours aux prises avec l’équation khaldûnienne de la citadinité (ḥaḍâra) vs bédouinité (badâwa).

41La force des arguments de Berque provient d’une capacité d’analyse basée sur la connaissance du terrain qui, à travers les portraits d’hommes et la morphologie des lieux, restitue les piliers de la vie sociale dans leur diversité : habitat, parenté, acculturation, costumes, musiques, goûts culinaires, etc.

42Cette socio-anthropologie des quartiers n’est pas statique même si elle donne parfois cette impression du fait de la veine poétique et de la vocation de romancier de Berque. S’il n’avait pas été sociologue, Berque aurait certainement été écrivain de renom ou conteur populaire. Le dynamisme historique n’est donc pas en reste d’autant que « l’homme des deux rives » est attentif aux changements mineurs et majeurs. Aussi, nous décrit-il les bouleversements qui n’épargnent aucun morceau de la ville et de la société en général où opère, depuis les années 30, une crise économique et sociale. En effet, les ḥûmâ-s donnent l’impression de défier les lois à partir de 1935, en rapport avec la croissance gigantesque de Casablanca. C’est l’époque de la crise du système colonial et des grands changements.

43Loin du Maghreb et de ses soubresauts, mené par son errance sociologique et son attirance irrésistible pour l’Orient, Berque nous brossera le tableau le plus complet et le plus fort d’un quartier célèbre du Caire : la Gamâliya, à travers son histoire contemporaine. Emplacement, morphologie, représentations des voyageurs et des hommes du quartier, témoignages écrits et oraux, projets urbanistiques, piété, rapine, fête du Mouled et loisirs, sans oublier les bases du système économique dont la forme privilégiée était le négoce et l’entrepôt (wakâla), personnages hauts en couleurs, multiples cafés dont le célèbre al-Fichâwî, et autres lieux et espaces tels que la rue y sont décrits avec force détails.

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44Le tout oscillant, comme le souligne Berque, entre passé et présent, conservation et ébranlements liés aux changements économiques. Le résultat est, malgré le remembrement de l’histoire, la substitution d’un mode de travail et de vie à un autre comme en témoigne le destin des métiers acculés à la reconversion.

45Bref, d’hier à demain, comme dit Berque, la Gamâliya reste vivante mais le quartier est devenu excentré et il est menacé, en dépit de sa charge historique et symbolique, de devenir un faubourg intérieur (1974 : 98).

46En somme, le travail de J. Berque sur la Gamâliya est un exercice de style qui peut aisément servir de leçon et d’exemple à méditer pour toute enquête anthropologique en milieu urbain.

Fès ou l’archétype urbain du Maghreb musulman

12 Dans Arabies (1980 : 45) l’arrivée à Fès est datée de 1936 alors que c’est l’année 1937 qui est ind (...)

47Pour Berque, la médina de Fès - haut lieu du Maghreb et de l’Islam - est la ville par excellence. Elle bénéficie d’une description minutieuse dans Le Maghreb entre deux guerres (1962 : 176-198) qui ne contient pas de tableau d’un quartier marocain particulier mais plutôt, celui global et fort éloquent, de la dite ville historique et sainte. Qu’est-ce qui caractérise donc Fès, ville où Berque connut son « premier vrai contact avec une cité d’islam » et où il débarqua, en adjoint municipal, pour la première fois vers 1936-193712 ?

48Berque répond sans ambages que « l’élan spirituel qui monte de la Qarawiyîn inspire les mœurs et le langage, unifie les attitudes, apaise et transcende les conflits sociaux » (1962 : 177). Regard d’un orientaliste ou d’un homme de terrain attentif à la vie des musulmans habités par la foi dans leur vie quotidienne ?

49Le sociologue Berque prend le soin de préciser cependant que, depuis 1912 – date de l’installation du protectorat français au Maroc –, la bourgeoisie locale doit s’ingénier à concilier ses attaches et ses rapports ambigus avec la France. C’est justement dans le cadre de tels rapports que Berque décrit la mise en place du projet lyautéen, l’année du rifain Abdelkrim (1925) et la Commune (Mejles el-baladi), en comparant la ville de Fès avec une autre capitale de l’intérieur : Marrakech.

50Le retour à Fès, ville coupée de son hinterland, ouvre la voie à une analyse de la vie rude de l’artisan et de la remise en cause nationaliste. Aux yeux de Berque, la vitalité de Fès tient d’un génie citadin qui n’a toutefois pas permis aux Fassis bourgeois de prendre la tête du pays. Pour le reste, la « Fès astucieuse et rapace, se purifie dans d’innombrables sanctuaires ». Il n’empêche que la décadence de Fès, ses efforts économiques et ses débats de morale ne sont pas un obstacle pour sa citadinité qui déborde sur celles du Maroc, de la même façon que les perspectives du pays contaminent la cité traditionnelle.

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51Si toutes les villes du Maghreb connaissent le même défi, elles ne réagissent pas de la même façon. Ainsi en est-il de Tunis par exemple qui « réagit historiquement aux temps nouveaux » (1974b : 179). Mais, qu’en est-il alors de Fès ?

52Dans « Fès ou le destin d’une médina » et « Genèse d’une métropole musulmane », Berque montre tout le dynamisme de cette cité à travers l’évolution démographique et sociologique de son espace et l’activisme de ses hommes dans les différents lieux (rues, cafés, bazars) et au niveau des formes sociales et des gestes (comportements, mœurs, morale citadine, vêtements, langage, silhouettes, littérature, savoirs) de la vie quotidienne. Fès apparaît ainsi comme « une cité familière et initiatique » (1972 : 29) qui, certes, souffre de nombreux problèmes tels que le passéisme, l’acculturation occidentale, les rapports de « l’indigène » avec la police, les nouveaux arrivants bédouins mais fournit un grand effort pour « s’équiper, s’ordonner, s’éduquer » et surtout maintenir une citadinité « cautionnée par un site chargé de suggestions » et basée sur une culture et une authenticité résistant aux aléas du temps.

53Ici, comme dans les autres villes musulmanes, le type citadin s’organise selon un ordre trifonctionnel encore vivace à Fès dans les années 1930 et 1940 : négociant/artisan/homme de mosquée. Ainsi, à cette époque-là, la médina de Fès demeure une ville traditionnelle et l’ordre ancien subsiste encore (1939 : 157).

54Morphologiquement et vue du haut (d’un avion),

« la médina blanchâtre a l’air d’une pièce d’argent tenue au creux de la main. Vue du sol, c’est un dédale boueux l’hiver, torride l’été » (1989 : 74-75).

55Ce labyrinthe fassi, Berque tente de le déchiffrer en sachant que la médina est désavantagée par l’agglomération européenne ou ville nouvelle dès 1930.

56La cité idrisside est structurée par le centre spirituel de la Qarawiyîn qui entre en crise dans les années 20-30 pour des raisons pédagogiques (enseignement inadapté, querelle des anciens et des modernes, disparition des vieux maîtres) et politiques (1949 : 112s). Au niveau matériel, la vie des Fassis s’articule autour des corporations d’artisans qui sont au nombre d’une centaine et demie (tanneurs, babouchiers…) (1989 : 84). Fès est ainsi qualifiée de ville « nerveuse et de vieille culture, le moral devance l’économique et inversement » (1989 : 89). C’est dans ce sens que la ville saisie par le regard et la plume de Berque s’impose comme une matérialité spatiale, une symbolique et un esprit des lieux.

13 Pour les villes médiévales de Tlemcen et du Caire aux XIVe et XVe siècles, cf. Berque, 1969. Il est (...)

14 Berque connaît également les autres villes de l’Islam : Damas, Bagdad, Tunis, Alger, Casablanca….qu (...)

57En dépit de son rôle archétypal, Fès n’est pas l’unique ville qui a suscité l’intérêt de Berque. Celui-ci s’est également orienté vers trois autres cités musulmanes : Kairouan (al-Qayrawân), Tlemcen13 et surtout le Caire (al-Qâhira)14. Toutes sont des villes historiques à vocation spirituelle et sainte. Leurs centres religieux (mosquées, mausolées et oratoires) sont structurants de la vie urbaine traditionnelle.

58Berque (1962 : 115-231) s’interroge, à juste titre, s’il est légitime de faire déboucher les portraits de ces villes historiques sur les problèmes contemporains de contacts de cultures :

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celle des « puissantes réserves » et celle de « l’agression externe ». Autrement dit, peut-on lire le passé en fonction du présent et appréhender ainsi le processus de conservation et de renouvellement ?

15 Dans son article sur les Cadis de Kairouan, Berque précise qu’il ne s’agit que de notes de lecture (...)

59À Kairouan15 comme à Fès, Berque recourt aux connaisseurs de la ville, particulièrement aux savants, pour déchiffrer les interférences urbaines entre l’idéal et la réalité. Il n’empêche que son déchiffrement qui réussit superbement à restituer l’esprit de la ville, reste quelque part prisonnier d’un mode de pénétration par le haut, celui privilégiant les ulémas et le sacral.

60Toutefois, l’érudition et l’expérience de terrain de Berque lui ont permis, même s’il s’en servit durant sa carrière d’administrateur colonial et de professeur au Collège de France, d’échapper au modèle idéal propagé par l’orientalisme. Ce modèle est, comme on le sait, de nature radioconcentrique et basé sur la primauté de la mosquée entourée de l’espace des souks puis des quartiers résidentiels.

61À un certain moment, au milieu des années 1980, « l’homme des deux rives » agença un modèle original, de nature « sémiotique » – selon l’expression d’O. Grabar –, axé sur le multicentrisme de la cité, la segmentation des quartiers, l’alternance entre d’une part, ordre et désordre et, d’autre part, morphologie et rhétorique avec un rôle actif du peuple, du bruit et du temps (1978a : 24-25). Malheureusement, ce modèle est resté inconnu et l’on continue, non sans tort, de considérer la lecture berquienne des villes islamiques comme étant une lecture typiquement orientaliste. Or, sa lecture de la ville est aussi complexe que son itinéraire intellectuel et politique. En effet, dans son article publié d’abord en anglais puis en français sous le titre « Une Héliopolis de l’Islam ? », Berque commence par agencer un « premier modèle » de la cité islamique qu’il avait élaboré précédemment à partir de ses observations à Fès de l’avant-Guerre. Cependant, en fin dialecticien, il fait suivre ce modèle d’une critique avant de pouvoir construire un autre modèle de type prospectif et utopique – ce qu’il appelle une « Héliopolis de l’Islam » – pour ouvrir des voies et des perspectives à l’urbanisme musulman.

62L’on se rend mieux compte, en lisant cette dernière contribution à la connaissance de l’urbain, que le premier modèle de la cité islamique est de type radiocentrique, avec un point focal constitué par la Grande mosquée, à partir de laquelle rayonnent des voies ramifiées en impasses abritant des demeures privées inviolables et séparées des rues marchandes. La médina c’est aussi, d’une part, l’ordre économique trifonctionnel basé sur le savoir, le négoce et l’artisanat et, d’autre part, la combinaison entre le libéralisme économique et le rigorisme religieux.

63Berque se rend compte que ce modèle de la ville islamique est trop parfait pour qu’on puisse lui prêter une « adéquation historique », d’autant plus qu’il est rare qu’une médina ait été fondée sur table rase ou que sa morphologie n’ait pas été modifiée à travers les siècles. C’est pour cette raison qu’il agence un modèle plus élaboré à partir de différenciations et de variations socio-historiques. Il y introduit la citadelle et l’ordre urbain musulman devient, sur le plan théorique, quadri-dimensionnel : grande mosquée (jâmi’a), citadelle (qal’a), école (madrasa) et souk (qayṣariya).

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64Le plus important ici n’est pas tellement l’élément ajouté que les relations que cela permet de reconstituer à partir des logiques d’alternance et de complémentarité entre les deux pôles structurants à savoir la citadinité et la bédouinité, mais également à partir de la morphologie urbaine car la médina n’apparaît plus sous la forme classique d’un cercle (Bagdad) ou d’un carré (Kûfa) mais plutôt d’une « ellipse à plusieurs foyers » (1984 : 203).

Apports et limites de l’anthropologie urbaine de Jacques Berque65À l’instar de toute vision d’ensemble, la théorie urbaine berquienne possède certes des apports incontestables mais elle se caractérise également par des limites intrinsèques qui tiennent de l’esprit de l’époque ainsi que de la formation de l’auteur qui est à cheval entre deux rives de la Méditerranée, deux mondes (Orient et Occident), deux histoires (coloniale et nationale) et deux écoles (orientaliste et néo/post-orientaliste).

66 Parmi les principaux apports méthodologiques de Berque à la connaissance anthropologique des villes et de l’urbain, il y a lieu d’en retenir trois référant à :

67- La dimension empirique : les études de J. Berque sur les villes maghrébines sont fondées sur l’observation directe. En effet, Berque (1972 : 14 s) est un homme de terrain qui sillonne les lieux, y séjourne plusieurs fois, à des périodes différentes. Bref, il les connaît intimement et son anthropologie est fondamentalement empirique et concrète d’autant qu’il a une connaissance des espaces et surtout des hommes qui y habitent et qu’il ne manque guère de citer comme source de connaissance, en leur rendant hommage pour les renseignements fournis et pour l’échange d’idées à propos de leurs cités et pays.

68Au fond, son anthropologie est humaniste et ne cesse de livrer une leçon d’humilité mais aussi de respect pour la culture étudiée. Or, ces valeurs sont fondamentales aux yeux des Arabes puisqu’elles sont, avec la dignité et l’honneur, fondatrices de leur être et raisons d’être.

69- La dimension historique : s’il fréquente de près les villes et les hommes du Maghreb et du monde arabe, Berque les connaît également par les textes et par les archives.

70En réalité, la socio-anthropologie urbaine de Berque est éminemment historique dans la mesure où elle pointe l’évolution des villes dans leur passé, présent et devenir. Pour ne prendre qu’un exemple, la description sociologique de Fès est accompagnée d’un tableau historique esquissé dans « Genèse d’une métropole musulmane » (1974b : 35-47), remontant au Moyen Age et balayant l’histoire de la ville à travers les siècles.

71- La dimension totalisante : la médina, c’est évidemment selon l’usage consacré, la « ville ancienne » mais c’est aussi les faubourgs environnants et les campagnes proches. La ville, c’est la société et la culture entière. Fès, c’est aussi le Maroc et le Maghreb. Il en est de même des autres villes, toujours insérées dans leur arrière-pays et contrées régionales.

72Le monde urbain est ainsi reconstitué au moyen d’une description et d’une analyse totalisante appuyée sur un art de conter digne des grands romanciers et une vision globale

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embrassant tous les aspects, économiques, culturels, politiques et symboliques. Ces différents aspects sont présentés, dans leur complexité et continuelle interaction.

73Si l’anthropologie urbaine de Berque est à la fois empirique, historique et totalisante, elle est aussi ludique et agréable à découvrir car les écrits de « l’homme des deux rives » invitent toujours le lecteur à une promenade savante qui consiste, selon les aveux même de l’auteur, à « lier des impressions assez décousues et de les rattacher à des données de fond » (1972 : 28).

74En ce qui concerne les limites de la théorie urbaine berquienne, il n’est pas sans intérêt pour l’avenir des études sur les villes arabes et musulmanes de signaler les trois vues réductrices suivantes accompagnées de quelques critiques :

751. L’idée d’une cité islamique spécifique à configuration radio-concentrique et à structure théocratique.

16 Pour un bilan synthétique et critique de ces études, Raymond, 1995 : 309-336.

76Jacques Berque, tout comme Roger Le Tourneau et leurs contemporains, ont hérité cette idée de leurs maîtres orientalistes, en particulier les frères Marçais pour qui l’urbanisme musulman est centré sur la mosquée à khuṭba (prône), le hammam et les souks ou bazars. Même s’il évoque la fonction municipale dans une perspective weberienne, Berque donne une définition fonctionnelle et substantialiste de la médina quand il parle d’un lieu d’échange où le témoignage devient architecture. Cette thèse orientaliste française, de facture essentialiste, a été critiquée plus tard par nombre d’historiens comme J. Abu Lughod, H. Djaït, R. Ilbert et A. Raymond16. Il est vrai qu’à la différence des orientalistes, Berque pense que les sociétés musulmanes contemporaines sont passées du sacral à l’historique. En outre, Berque a dû, comme on l’a vu, nuancer et abandonner le modèle orientaliste classique même s’il en usa dans ses principaux écrits.

77Par delà ce débat, la question se pose de savoir si la médina n’est pas une ville comme les autres. Dans les discours, elle se veut la ville d’hier et d’aujourd’hui. Mais, en réalité, n’a t-elle déjà plus, comme disait De Certeau de la culture populaire, que « la beauté du mort » superbement illustrée par l’actuelle « patrimonialisation » ?

782. L’idée de la maintenance des villes islamiques et de l’islam en général.

79Cette idée pose problème à l’historien, au sociologue et à l’anthropologue. Car pour J. Berque (1966 : 223),

« les formes de la croyance et de l’observance ont certes profondément changé dans leurs rapports avec la société. Mais les relations de l’homme avec la sphère interne de sa personne individuelle et collective d’une part, la transcendance d’autre part, se proposent toujours au Musulman avec une chaleur unitaire qui lui est propre ».

80Tout le problème est de pouvoir mesurer la « chaleur » et la « maintenance » de l’Islam. Il en est de même du postulat, également impossible à vérifier, du non-changement des villes musulmanes, y compris des cités historiques comme Fès, Kairouan et Tlemcen, dont le visage a été modifié au fil des siècles au point qu’elles ne ressemblent plus aujourd’hui à ce qu’elles étaient hier ?

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813. L’idée d’une ville maghrébine impulsée par le haut de la hiérarchie sociale, en l’occurrence les notables (al-aՙyân) et particulièrement les savants (culamâ-s, fuqahâ-s).

82L’époque contemporaine caractérisée par l’intrusion de la modernité implique, entre autres, l’émergence d’une dynamique sociale où il n’y a pas, comme acteurs influents, que les ulémas ou les élites du savoir, de l’économie et de la politique. Il y a également la rue dont Berque (1962 : 280-281) a saisi l’avènement historique à partir d’une date décisive pour le Maghreb : 1934. La rue, c’est l’espace public situé entre l’État et la famille, c’est la sphère populaire où, pour le cas du Maghreb, dominent les jeunes qui fréquentent les cafés, les stades, les lieux de fêtes, les festivals et où s’articulent, selon des rythmes différentiels, les logiques de l’intégration et de la marginalisation voire de l’émeute avec ce qui l’accompagne éventuellement de destruction des symboles de l’État ou, au contraire, de soumission au Prince et au Makhzen. Par conséquent, comment ne pas reconnaître que les élites ont été progressivement déclassées, au sein de l’espace urbain, par de nouveaux acteurs fraîchement débarqués et porteurs d’autres exigences que le pouvoir politique se devait de prendre en considération, s’il ne voulait pas perdre sa légitimité.

17 Cette triple vocation est évoquée par Berque lui-même quand il parle des trois façons de lire une œ (...)

83Malgré ces limites, l’anthropologie urbaine de Berque s’impose par la finesse de ses analyses et la rigueur de ses synthèses ainsi que par les divers apports théoriques et empiriques qui ont permis de jeter un regard neuf et riche – celui de l’érudit, de l’esthète et de l’humaniste17 –, sur les changements sociaux ainsi que les résistances aux changements au Maghreb et dans le monde musulman contemporain.

84Rien que par la méthode basée sur « une sorte de mouvement pendulaire, oscillant sans cesse de l’abstrait au concret et du réel au concept, en sorte que la solidarité de l’abstraction et de la spéculation avec l’observation puisse s’exprimer à tous les niveaux de l’analyse et de la synthèse » (Demeersman, 1988 : 257), le détour par les écrits de Jacques Berque en vaut la peine surtout qu’il éclaire non seulement la connaissance de l’urbain au Maghreb et en Islam mais aussi le champ de la sociologie et de l’anthropologie des villes.

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Notes1 Cette périphrase s’inspire de l’itinéraire ainsi que du titre de l’autobiographie de J. Berque, 1989. Cf. également J. Duvignaud, 1996. A propos de Berque, Duvignaud écrit : « Il fut bien plus qu’un sociologue orientaliste : un intercesseur entre deux mondes qui s’affrontent, se cherchent, se mêlent parfois et se questionnent sur l’autre à travers eux-mêmes. »

2 Berque, 1988 : 275-297. Pour une très courte biographie et bibliographie : Berque & Sur, 1996 : 53-56. Pour une bibliographie exhaustive : Pouillon, 1998.

3 Né à Frenda en Algérie, le jeune J. Berque a été confié par son père à un chef de tribu du Sud qui l’éduqua à la dure vie, durant plusieurs mois. Par la suite, il passera plus de vingt ans au Maroc comme administrateur des affaires indigènes, « en contact quotidien avec les populations rurales, plus rarement urbaines, ce qui constituera une immense expérience de terrain… » (Ben Salem, 1993 : 12-13 ; H. Karoui, 1995 : 3-7).

4 Sur son rapport avec la langue arabe dialectale, Berque (1980 : 35sq) dit : « J’ai appris l’arabe maghrébin à peu près comme ma langue maternelle, et de façon je crois, peu discernable des Maghrébins… aujourd’hui, je saisis à peu près tous les parlers et me fait comprendre partout ». Un peu plus loin, il précise à propos de l’arabe en général : « C’est pour moi une langue seconde ».

5 Exprimant la difficulté empirique de connaître les Arabes, Berque écrit : « C’est que l’agilité des signes sociaux, le balancement de l’un et du plural confèrent à ces peuples une originalité qui a su opposer jusqu’ici aux démarches externes – de la science pour la définir ou de l’action pour la maîtriser – la résistance la plus vigoureuse » (1961 : 51).

6 À ce livre, qui constitue la thèse de doctorat de R. Le Tourneau, il faudrait ajouter son ouvrage de 1965. Sur Le Tourneau et son itinéraire qui commence en 1930 à Fès : Adam, 1971 : 9-14 ; Golvin, 1971 : 9-13 ; Oppetit, 1998 : 9-16.

7 Dans Le Maghreb entre deux guerres, J. Berque (1962 : 176, n. 1) écrit de Fès avant le protectorat que c’est une « étude en grande partie valable pour la période d’entre-deux-guerres, pendant laquelle a été recueilli le gros de sa documentation ». N’est-ce pas là une critique virulente d’un travail considéré comme une référence majeure par les spécialistes des villes maghrébines précoloniales ?

8 Il s’agit d’une commande puisque J. Berque était engagé en Égypte, à l’époque, comme expert international auprès de l’UNESCO.

9 Dans l’ordre chronologique de leur publication, les articles consacrés à la ville de Fès sont les suivants : 1938 : 193-207 ; 1939 : 157-182 ; 1940 : 320-345. ; 1949 : 64-114 ; 1953 : 625-631 ; 1978c : 380-415 ; 1974b : 35-47 ; 1989 : 74-91.

10 Il est à signaler que c’est pratiquement ce même article qui a été, plus tard, publié en français (1984 : 195-225) sauf que l’article en anglais, publié par la Fondation Aga Khan, a pour intérêt l’intéressant débat transcrit qui a suivi l’intervention orale de Berque. C’est pourquoi nous citerons ici, selon le cas, l’une ou l’autre de ces deux versions.

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11 « À partir de 1930, et surtout de 1935, des foules drainées loin dans le bled grossissent immensément les faubourgs, et tendent à faire d’une citadinité reconquise par les masses, l’arbitre du destin politique » (1962 : 231).

12 Dans Arabies (1980 : 45) l’arrivée à Fès est datée de 1936 alors que c’est l’année 1937 qui est indiquée dans l’autobiographie (1989 : 74). En tout cas, Berque quittera volontairement son poste de Fès en 1939 pour être mobilisé en Algérie jusqu’à 1940 puis revenir, de 1947 jusqu’à 1953, dans l’Atlas marocain (1980 : 43-54).

13 Pour les villes médiévales de Tlemcen et du Caire aux XIVe et XVe siècles, cf. Berque, 1969. Il est à noter que, sur Le Caire, Berque revient plus longuement mais pour une date ultérieure (le XIXe siècle), en retraçant superbement l’histoire du quartier de la Gamâliya.

14 Berque connaît également les autres villes de l’Islam : Damas, Bagdad, Tunis, Alger, Casablanca….qu’il ne manque pas d’évoquer et d’analyser au fil de ses écrits et pérégrinations.

15 Dans son article sur les Cadis de Kairouan, Berque précise qu’il ne s’agit que de notes de lecture et que cela s’inscrit dans une « tentative plus étendue de mise en œuvre des sources inédites de l’histoire sociale maghrébine » (1973 : 97).

16 Pour un bilan synthétique et critique de ces études, Raymond, 1995 : 309-336.

17 Cette triple vocation est évoquée par Berque lui-même quand il parle des trois façons de lire une œuvre ancienne (1969 : 71).