112
? coordonnés par Jean-Jacques Guibbert, LISST – CIEU MSHST - Université Toulouse - Jean Jaurès Villes intelligentes « par le bas » Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs Cahier des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Édité par Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbert 5 Conférence HABITAT III QUITO 2016 Ateliers de dialogue Recherche - Action - Expertise, regards Nord-Sud

G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

?coordonnés par Jean-Jacques Guibbert, LISST – CIEUMSHST - Université Toulouse - Jean Jaurès

Villes intelligentes« par le bas » Entre chercheurs, expertset acteurs associatifs

Cahier des Ateliers de dialogueRecherche-Action-ExpertiseÉdité parEmmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbert 5

Conférence

HABITAT III QUITO 2016

Ateliers de dialogueRecherche - Action - Expertise, regards Nord-Sud

Conc

eptio

n gr

aphi

que

: Yaë

l Kou

zmin

e, IN

RA &

Ben

oît C

olas

, UTM

/ CP

RS -

UM

S 83

8. P

hoto

grap

hies

: ©

Pro

jet E

URE

QU

A et

Jea

n-Ja

cque

s Gui

bber

t.

Les « villes intelligentes », sont un bon exemple de ces expressions à la mode, entre in-ventions conceptuelles, habillages marketing, slogans politiques ou utopies sociales. Onpeut admettre qu’il pourrait y avoir trois grands types de « villes intelligentes » :

Villes terrains d’expérimentations : Des villes qui sont des terrains d’expérimenta-tions diverses sans pour autant que les acteurs publics urbains locaux y soient pour grand-chose. Ce sont de grands industriels, qui proposent aux Villes des « packages » desolutions susceptibles de répondre à leurs besoins.

Villes actrices d’expérimentations : L’expérimentation devient alors un objet despolitiques urbaines, ce qui réclame que l’appareil municipal ou métropolitain se dotedes compétences nécessaires et organise des consortiums d’acteurs au profit du projetqu’il s’efforce de promouvoir.

Villes dont la population expérimente : Ce sont les « villes intelligentes » dont onparle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation n’est ni le faitde l’action d’acteurs hexogènes, ni le fait de politiques urbaines clairement exposées,mais plutôt le résultat de l’initiative des acteurs locaux

Ce 5° Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, fait converger lesréflexions et les expériences présentées sur le sujet dans le cadre de deux collectifsfonctionnant en réseau de recherche-action.Le réseau eAtlas francophone de l’Afrique de l’Ouest à l’initiative d’une série deRencontres multi-acteurs sur les enjeux du déploiement de la « Société de l’Information» en Afrique. Le projet « Villes inclusives et participatives » mené en partenariat avec trois uni-versités latino américaines à l’origine du Séminaire, « Villes intelligentes et innovationspar le bas : perspectives franco-mexicaines » (2015 Mexico) prolongé par la conférence« Villes du futur » (2016 Medellin) puis par le side event « Villes intelligentes par le bas». organisé pendant la Conférence Habitat III (2016, Quito)

Ce cahier qui permet de croiser un regard Nord Sud sur le sujet, a comme objectif demettre en perspective le rôle des acteurs qui s’inscrivent dans les logiques d’innovation« par le bas » (entendues comme innovations produites par les acteurs territoriaux). Ils’agira de voir en quoi « les intelligences de la ville » se mobilisent autour de projets in-tégrant les technologies numériques. Dans ce cahier, nous passerons en revue quelques-unes de ces expérimentations enFrance (Parthenay, Toulouse) en Afrique (Sénégal, Cap Vert) ou en Amérique Latine(Mexico) et nous nous efforcerons d’en tirer quelques pistes de réflexion.

www.msh.univ-tlse2.fr & https://villesdufutur.wordpress.com/villes-intelligentes-par-le-bas/

Page 2: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entrechercheurs, experts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 à Toulouse par le LISST Cieu, Université ToulouseJean Jaurès et le LaSSP Sciences Po Toulouse, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligenteset innovations ‘ par le bas ‘ » organisé les 9-11 décembre 2015 à Mexico par le LISST cieu, Université Toulouse JeanJaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciencesde l’homme et de la société de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication - Jean-Jacques Guibbert

Éditeurs du cahier n° 5 - Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Tallec

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS-UMS 838),

Crédits photographiques de la couverture : Photos DR.

Pour citer ce documentEveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs »,

Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirae 2016, n° 5

Les Ateliers de dialogue interdisciplinaires« Recherche – Action – Expertise :

regards croisés Nord – Sud »

En 2009, le Conseil scientifique du GIS Réseau national des Maisons des sciences de l’homme (RNMSH) diag-nostiquait une insuffisance des relations Universités – Société : « Les contacts avec la société civile, les milieuxassociatifs et syndicaux semblent rares, voire inexistants. Aucune MSH ne rapporte la mise sur pied de méca-nismes de collecte d’informations ou d’échanges avec les populations locales, qui leur permettraient de saisirles besoins et d’élaborer des programmes de recherche – action. »La fracture entre l’Université et son environnement économique et social, et la difficulté à repenser les re-lations entre Université et Société, est un défi à relever dans le cadre des nouvelles dynamiques de la re-cherche universitaire. Il est donc paru opportun de proposer un espace de débats et d’échanges sur l’évolutiondes pratiques, des réflexions et des interactions entre « Recherche, Expertise et Recherche - Action », touten portant sur cette question un regard croisé Nord-Sud.Ce questionnement, longtemps souterrain, est aujourd’hui largement partagé tant au niveau français qu’inter-national. Il se traduit par un certain métissage des pratiques et une porosité entre les acteurs de la recherche,de l’expertise, des politiques publiques et des organisations de la société civile et politique. Il est abordé àl’occasion d’une série d’ateliers, organisée au rythme de deux ateliers par an avec l’appui de la MSHS de Tou-louse, qui a décidé d’inscrire cette activité dans le cadre de son projet quinquennal 2011 - 2015.Chaque atelier s’organise autour des éléments suivants :

→ choix d’un domaine d’application de la relation recherche, expertise, recherche-action, abordéde manière interdisciplinaire ;→ combinaison entre des présentations de type académique, des témoignages d’acteurs et l’évocationd’itinéraires ;→ regard comparatif Nord-Sud.

Huit ateliers ont déjà été organisés grâce à l’implication d’une vingtaine de structures en charge de la recherche,de l’expertise et des politiques publiques dans la région Midi-Pyrénées :

→ 3 novembre 2011, « Quelles relations entre experts, chercheurs et acteurs associatifs face audéveloppement des organisations collectives d’agriculteurs dans les filières agricoles ? » (DynamiquesRurales, INRA AGIR et LEREPS) ;→ 27 janvier 2012,« Quelles articulations entre chercheurs, experts et acteurs sociaux dans les politiquesurbaines et les interventions en direction des quartiers populaires ? » (LISST-Cieu, LRA ENSAT) ;→ 27 avril 2012. « Quelles articulations entre recherche, expertise et recherche – action dans les po-litiques urbaine de prévention et de sécurité ? » (LISST-Cieu, CERP) ;→ 19 octobre 2012. « Habiter et vieillir. Une société pour tous les âges. Quelles articulations entrechercheurs, experts et acteurs sociaux dans le champ des politiques de la vieillesse ? » (CNRS LISST-Cieu, LISST-Cers, ORSMIP, INSERM 1027).→ 17 mai 2013, « TIC et gouvernement des villes. Quelles articulations chercheurs, experts et acteursassociatifs ? » (LISST-Cieu, LaSSP Sciences Po Toulouse)→ 7 juin 2013, « Conserver la nature. Quels savoirs ? Quelles actions ? Articulations chercheurs, ex-perts, acteurs associatifs et institutionnels » (LISST-Cas, Conservatoire botanique national des Py-rénées et Midi-Pyrénées)→ 1er octobre 2014, « Genre et développement : entre engagement et professionnalisation » (Dy-namiques rurales - Enfa, CERTOP, ENDA-Europe) ;→ 13 mars 2015, « Villes et climat : au carrefour de la recherche, de l’action et de la participation »(LISST Cieu, CNRM/GAME - Météo France)

Les documents produits à l’occasion de ces ateliers sont consultables sur le site : www.msh.univ-tlse2.fr

ContactJean-Jacques Guibbert [email protected]

Page 3: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

Introduction. À propos des « villes intelligentes » ?Emmanuel Eveno et Jean-Jacques Guibbert3

SommaireLes « villes intelligentes » : Objets de convergence et de controverse entre développement de la société de l’information et développement durable

Emmanuel Eveno9

Quelles articulations entre chercheurs experts, industriels et politiques ? L’expérience Ville numérique de Parthenay

Alain d’Iribarne

17

Toulouse, la vie rêvée du « smartphone informateur »Bilan de l’expérience UbiLoop

Erwane Monthubert Morette29

Quels habitants et usagers de la ville intelligente ?Éléments de prospective

Mathieu Vidal

37

Recherche-action évaluative des politiques de coopération décentratisée de solidarité numérique. Un itinéraire entre recherche et expertise

Destiny Tchehouali

47

Développement des TIC, développement de la démocratie dans les collectivités locales africaines

Alain Kiyindou

57

Développement des TIC et activités citoyennes dans la ville africaine L’exemple du Cap-Vert

Michel Lesourd

63

L’outil SIG-P à l’épreuve des territoires africainsLes éclairages du programme ICT4D

Ibrahima Sylla

71

Mise en œuvre d’un Système d’information géographique (SIG) à Guédiawaye, Sénégal. Potentialités et limites d’une expérience de recherche-action

Bruno Blaise

79

Inteligentia territorial e investigación-acción-participativaMétodos y casos de estudio en la Ciudad de México

Salomón González Arellano

101

Villes intelligentes « par le bas ». Illustrations africainesJean-Jacques Guibbert87

Page 4: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation
Page 5: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

Depuis une trentaine d’années et dans de nombreux pays, les réformes plus ou moins avancées en matière de décentralisation ont peu à peu transféré de nom-breux pouvoirs des états vers les acteurs urbains. Il s’agit d’un référentiel qui s’est imposé notamment à la faveur des politiques de soutien au développement et à la démocratisation. C’est ainsi que le document de référence n°2 de la Collection « Outils et méthodes » de la Commission européenne considérait que « le terme « décentralisation » s’est rapidement imposé comme le nouveau maître-mot en matière de développement »1.

Hier considérées comme des espaces politiques secon-daires, sous contrôle de l’appareil d’État, les villes sont en passe d’accéder à un nouveau statut, celui de labo-ratoire dans lequel le politique reprend langue avec le social pour imaginer, inventer, mettre en œuvre des so-lutions nouvelles face aux problèmes contemporains.

Certaines de ces villes, les «villes-mondes»2 de Fernand Braudel, les « villes globales »3 de Saskia Sassen, voire les « villes informationnelles »4 de Manuel Castells, ou encore les « très grandes métropoles »5 de Patrick Le

1 Document de référence n°2, Collection Outils et Méthodes, appui à la décentralisation et à la gouvernance locale dans les pays tiers, Commission européenne, janvier 2007, p. X.

2 Braudel F., La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985.

3 Sassen S., La Ville globale : New York, Londres, Tokyo, Princeton Paperbacks, prem. éd., 1991

4 Castells M., The Rise of the Network Society, Oxford, Blackwell Publishers, 1996.

5 Le Galès P. et Lorrain D., Gouverner les très grandes métropoles ? Revue française d’administration publique, 107, 2003/3.

Galès et Dominique Lorrain ou certaines villes que l’on pourrait qualifier d’expérimentatrices, dans lesquelles se mettent en œuvre des innovations marquantes en matière d’économie locale, de services urbains, de dé-mocratie locale… sont désormais des acteurs impor-tants à l’échelle internationale.

C’est ainsi qu’apparaissent de nouvelles concurrences, complémentarités ou coopérations entre ces villes, soucieuses de se distinguer et d’élaborer des politiques qui s’apparentent à des politiques internationales. C’est par cette même dynamique qu’émergent de nou-veaux « clubs » ou « associations » de villes, autour de la prise en compte d’enjeux considérés comme cruciaux. Il en est ainsi des « villes apprenantes »6, des « villes in-ternet »7, des « villes durables », des smart cities8, des villes « business », « gays », « bike »9, « age », « child »… -friendly… chacune validée par des benchmarks, des classements ou des labels.

De la « Révolution des TIC »aux « Villes intelligentes »Les techniques d’information et de communication ou quels que soient les autres noms dont on les affuble, sont partout dans nos sociétés contemporaines. Et ce constat vaut tant pour les sociétés dites développées

6 http://learningcities.uil.unesco.org/fr/a-propos/reseau-mondial-des-villes-apprenantes

7 http://www.villes-internet.net/

8 http://www.smart-cities.eu/

9 The Copenhagenize Index 2015

IntroductionÀ propos des « villes intelligentes » ?

Emmanuel EvenoJean-Jacques Guibbert

Pour citer cet article : Eveno E. et Guibbert J.-J., « Introduction : à propos des “villes intelligentes” ? », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 3-7.

Page 6: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

4

des nords que pour les sociétés « en voie de dévelop-pement » ou émergentes des suds. En l’espace d’une vingtaine d’années, elles ont acquis une place éminente dans l’ensemble des enjeux qui portent sur le dévelop-pement économique, la modernisation des démocra-ties, la vie quotidienne, la création culturelle, mais aus-si l’émergence de nouvelles formes de criminalités, le développement d’un terrorisme d’un nouveau genre. Bref, ces technologies sont à ce point présentes dans nos quotidiens qu’elles semblent donner raison à ceux qui considèrent qu’elles seraient le vecteur d’une « ré-volution » du même ordre que celle du néolithique ou de l’imprimerie.

En fait ces technologies se nichent au cœur d’expres-sions très diverses qui traduisent le plus souvent des points de vue que l’on pourrait aisément qualifier de « déterministes ». Ils sont déterministes en ce qu’ils surestiment très généralement le rôle des techniques (en l’occurrence, ici, celles de l’information et de la communication) et leur capacité à introduire des chan-gements sociaux de grande ampleur, voire de l’ordre de l’irréversibilité. Si ces expressions et ces discours sont si nombreux et surtout s’ils sont dominants dans la sphère politico-médiatico-scientifique, c’est que, face à des phénomènes complexes comme la mondiali-sation, ils proposent des explications a priori simples et qu’elles ont une grande puissance mobilisatrice.

On se situe dans ce qu’on pourrait appeler un in-ter-champ singulier, partagé par l’échange incessant entre des éléments de discours politiques, dans la construction expérimentale de concepts scientifiques, de boîtes à outils rhétoriques d’experts et ce qu’on ap-pelle classiquement l’opinion publique, elle même re-flet d’une demande sociale et d’une culture populaire. Comme le soulignait Dominique Lorrain à propos de la succession de « mots [circulant] aujourd’hui dans les sciences sociales urbaines : globalisation, gouvernance, réseaux d’action publique […] », il convient d’être pru-dent et de se demander « si les mots d’aujourd’hui re-lèvent de concepts robustes ou s’ils ne fonctionnent pas plutôt comme des signes de reconnaissance entre les membres d’une même communauté »10.

Dans la production des discours politiques mais aus-si dans les échanges entre le monde politique et les mondes scientifiques, médiatiques autour des sciences sociales urbaines confrontées aux technologies de l’in-formation, les expressions « du jour » se caractérisent généralement par un rythme d’obsolescence soutenu. Les dernières expressions démodent les précédentes, les ringardisent. C’est ainsi que, dans les années 1980, il était d’usage de parler des « nouvelles » techniques d’information et de communication pour revendiquer le remplacement d’une génération de TIC par une autre. Le déferlement d’Internet, à partir de 1995 sera

10 Dominique Lorrain, Administrer, Gouverner, Réguler, Les Annales de la Recherche Urbaine, n°80-81, p. 85.

également caractérisé par une floraison de nouvelles expressions ou néologismes : « net-économie »11, « ne-tizens »12, puis « société de l’information », presqu’offi-cialisée par le Sommet mondial en deux étapes (2003 et 2005) jusqu’à l’ère « numérique » après les années 2000.

C’est dans cette ambiance particulière aux décennies 1990 et 2000, marquées par une effloraison séman-tique tout azimut autour de tout ce qui touche aux technologies de l’Information que s’opère la jonction entre la question urbaine et ces technologies. La ville apparaît alors comme le contexte sociotechnique pri-vilégié de ce type d’émergences. C’est ainsi que le so-ciologue Manuel Castells, auteur dans les années 1970 d’un ouvrage de référence sur la ville, intitulé La ques-tion urbaine13 propose, quelques dix-sept ans plus tard, le concept d’Informational City14.

Alors que le sommet mondial de la Société de l’Infor-mation était, à l’instar de tous les autres sommets mondiaux, dédiés aux chefs d’états et de gouverne-ments, pour la première fois, sont organisés en paral-lèle, les sommets mondiaux des « Villes et des Pouvoirs locaux ». En 2003, précédant d’une semaine le sommet de Genève, se tient, pour la première fois dans l’his-toire de l’ONU, le sommet Lyon Cities e World-Lyon 2003, puis, en 2005, lors du sommet de Tunis, ce sera celui de Bilbao.

Si cette conquête d’une nouvelle scène politique par les pouvoirs locaux se fait à propos des enjeux sou-levés par le déploiement de la « société de l’informa-tion », elle est également redevable au travail accompli précédemment par les acteurs de la société civile au-tour des enjeux du « développement durable ».

Dés le sommet de la Terre de Rio en 1992, villes, régions (Déclaration commune de la réunion des villes et des régions de Curitiba) et société civile (Traités alternatifs du Forum global des ONG et mouvements sociaux qui réunit 17 000 personnes dans un forum parallèle au sommet officiel) avaient œuvré pour que soit établie l’articulation entre les questions globales et locales et pour que les villes et les citadins soient reconnus comme des acteurs à part entière du développement durable.

Villes et citadins se firent entendre. Cette mobilisation déboucha sur le Global Forum des villes et du dévelop-pement durable qui s’est tenu à Manchester en 1994 et a connu son point d’orgue lors du Sommet des villes (Habitat II) d’Istanbul en 1996. Habitat II a reconnu le rôle des villes et des citadins et a de fait constitué un

11 Économie internet

12 Internet Citizens : Citoyens-Internet

13 Éd. Maspéro, 1972.

14 The Informational City : Information Technology, Economic Restructuring and the Urban-Regional Process, Oxfor, Blackwell, 1989.

Page 7: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

5

précédent historique en intégrant pour la première fois à ses délibérations des représentants des autorités locales, des organisations non gouvernementales, du secteur privé et des universités.

Dans les enjeux du « développement durable » comme dans ceux de la « société de l’information », les pou-voirs urbains apparaissent d’autant plus pertinents que les acteurs étatiques le sont de moins en moins. Après les politiques de « dérégulation » des années 1980 et 1990, les états ont en effet accepté de renon-cer à certaines de leurs capacités de régulation sur les industries en réseaux, notamment les télécommunica-tions et l’énergie. Par ailleurs, ces nouvelles politiques imposent la mise en œuvre de dispositifs capables de recueillir au plus près de son expression et de sa diver-sité, la demande sociale, mais aussi de tester de nou-velles solution à des échelles de proximité. C’est ainsi que les politiques autour du développement durable réclament l’adhésion des populations pour que soit rendu possible un changement dans les modes d’habi-ter, dans les comportements de consommation, dans les mobilités et, à bien des niveaux, c’est l’acteur le plus près du terrain, des habitants-citoyens, qui est le plus pertinent.

Les smart cities, villes intelligentes en français (Ciu-dades inteligentes en espagnol), sont un bon exemple de ces expressions à la mode, un peu fourre-tout, qui incarnent une série de convergences entre inventions conceptuelles, habillages marketing, slogans poli-tiques, utopies sociales. Elles présentent l’intérêt de regrouper des acteurs politiques, économiques ou so-ciaux jusque-là plutôt orientés vers le « développement durable » ou vers la « société de l’information », mais rarement en capacité de se saisir de ces deux grands référentiels. En cela, les Smart Cities sont des enjeux de convergence entre différentes logiques d’acteurs. C’est sans doute une caractéristique qui permet d’ex-pliquer le succès de ce type de projet ou de cette nou-velle expression.

Cette nouvelle expression a été adoptée par de grands groupes industriels dans les secteurs des technologies numériques, l’énergie, le transport, les entreprises spé-cialisées dans les services aux citoyens, ainsi que par certaines municipalités préoccupées d’apparaître à la pointe de l’innovation sur ces sujets. Par ailleurs, on voit se multiplier des articles ou des ouvrages scienti-fiques qui s’efforcent de définir ce dont il s’agit et ce en quoi ces nouveaux objets s’ancrent dans une tradition, une généalogie conceptuelle.

Intelligenceet capacité à expérimenter

Si l’on met provisoirement de côté l’effort de précision du concept d’intelligence pour le ramener à une dimen-sion spécifique, soit la capacité ou l’aptitude à expéri-

menter afin de trouver des solutions aux problèmes qui se posent, on peut alors admettre qu’il pourrait y avoir trois grands types de « villes intelligentes » :

Villes terrains d’expérimentations

Des villes qui se prêtent à l’expérimentation, autre-ment dit qui sont des terrains d’expérimentations di-verses mais sans pour autant que les acteurs publics urbains ou même les acteurs urbains locaux y soient pour grand-chose. Dans une certaine mesure, le « slo-gan » Smart City évoque prioritairement ce type de villes. Ce sont de grands industriels, tels qu’IBM avec son Smarter Cities Challenge, qui proposent aux villes des « packages » de solutions susceptibles de répondre à leurs besoins. C’est essentiellement le type de Smart Cities que l’on rencontre dans les pays où les acteurs publics urbains restent peu impliqués dans ce type de démarche, assez classiquement dans les pays d’Asie (Chine, Corée du Sud, éventuellement Japon), d’Amé-rique du Nord (États-Unis, Canada), voire, pour d’autres raisons telles que la faiblesse structurelle des appareils communaux, dans les pays africains.

Villes actrices d’expérimentations

L’expérimentation devient dans ce type de configura-tion un objet plus ou moins central des politiques ur-baines, ce qui réclame que l’appareil municipal ou mé-tropolitain se dote des compétences nécessaires, soit en capacité à organiser des consortiums d’acteurs au profit du projet qu’il s’efforce de contrôler.

Les villes qui appartiennent à cette catégorie sont as-sez peu nombreuses, citons les cas de Lyon (France), Santander (Espagne), Amsterdam (Pays-Bas). D’une part parce que ce type de politique est très exigeante et suppose une prise de risque financier et politique, d’autre part parce que les acteurs industriels suscep-tibles de participer aux consortium mobilisés par ces villes sont eux-mêmes dans des stratégies de consti-tution de catalogues, ce qui signifie qu’elles n’ont pas besoin d’avoir un grand nombre de villes expérimen-tatrices, quelques-unes par solution technique étant amplement suffisant en phase de test.

Villes dont la population expérimente

Ce sont les « villes intelligentes » dont on parle nette-ment moins dans la littérature spécialisée, qu’il s’agisse de celle en provenance des villes elles-mêmes, des ins-titutions, mais aussi de la recherche.

Dans ces villes, une part significative de l’expérimenta-tion n’est ni le fait de l’action d’acteurs exogènes, ni le fait de politiques urbaines clairement exposées, mais plutôt le résultat, forcément brouillon et chaotique, de l’initiative des acteurs locaux, qu’il s’agisse de start-up-pers mais aussi d’innovateurs marginaux, d’innova-teurs du quotidien, de « bidouilleurs », de groupes de producteurs liés au secteur dit « informel » ou à l’éco-

Page 8: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

6

nomie sociale et solidaire, en particulier dans les villes du Sud, ou encore des usagers eux-mêmes.

Si cette part des logiques d’expérimentation étaient autrefois totalement marginales, au point que, pour en parler, on utilisait dans les années 1980 la notion de « détournement d’usage », il semble désormais que, autour d’équipements tels que les fablabs15 ou autour d’innovations en matière d’épargne et de micro crédit, de gestion communautaire des services urbains ou de mise en place de circuits courts de commercialisation, elle puisse revendiquer une place nouvelle.

Un collectif de recherche-action Nord-SudLe collectif qui est rassemblé autour de ces publications et dans les différents séminaires que nous organisons se veut un réseau de recherche-action. Il dispose d’un blog16, dans lequel il publie ses travaux. Il est soutenu par plusieurs institutions mais il n’a pas pour vocation d’élaborer un nouveau classement ou d’imaginer de quelconques recettes pour stimuler le développement harmonieux des villes. Il a pour objet, unique et fonda-mental, de permettre des échanges entre chercheurs, acteurs et citoyens des villes afin que les politiques mises en œuvre ici ou là, les solutions imaginées, les innovations validées par les usagers puissent servir d’exemple et, éventuellement, fasse école. Il s’appuie sur l’idée que le croisement des regards et des expé-riences entre les différents professionnels de l’urbain, entre experts et acteurs des nords et des suds est susceptible d’assurer la promotion de politiques ur-baines mieux informées en même temps qu’il pourrait également être en mesure de renégocier de nouvelles « chartes urbaines » entre les différents acteurs et les citoyens.

C’est dans l’effervescence notionnelle et conceptuelle, face au risque de confusion, de brouillage cognitif, que prend sens notre action. Il ne s’agit pour nous ni de cé-der à un effet de mode, ni de considérer comme fonda-mentalement suspect toute innovation sémantique. La voie que nous empruntons est une voie quelque peu différente, qui prend acte de l’apparition d’un nouvel enjeu, d’un nouvel objet de débats, les « villes intelli-gentes », et qui s’efforce de participer à la définition d’une problématique cohérente, dans le va-et-vient exigeant entre la recherche et l’action et de l’échange permanent entre les acteurs et les penseurs de la ville. Nous considérons que le sens à construire est le résultat d’une interaction entre empirie et théorie et que cette interaction se nourrit d’un partenariat équi-

15 Les Fablabs sont des « laboratoires de fabrication » d’objets de toutes sortes. « Ils s’adressent aux entrepreneurs, aux designers, aux artistes, aux bricoleurs, aux étudiants ou aux hackers en tout genre, qui veulent passer plus rapidement de la phase de concept à la phase de prototypage, de la phase de prototypage à la phase de mise au point, de la phase de mise au point à celle de déploiement » (Wikipedia)

16 https://villesdufutur.wordpress.com/

libré entre les différents partenaires du processus de recherche-action.

Une série de séminaires successifsNotre travail se déploie au fil de plusieurs rencontres et séminaires dont la caractéristique commune est d’or-ganiser échanges et débats entre chercheurs sur l’ur-bain et acteurs de la ville.

Les premières du genre sont celles qui ont été orga-nisées dans le cadre du réseau eAtlas francophone de l’Afrique de l’Ouest (voir encadré). Il s’agissait de ren-contres multi-acteurs sur les enjeux du déploiement de la « société de l’information » en Afrique. Quatre ont été organisées à ce jour. Ces rencontres ont réuni un grand nombre de partenaires du Nord et du Sud : universités, ONG, collectivités locales, ou institutions nationales et internationales, avec les soutiens de la DAECT (Délégation pour l’action extérieure des collec-tivités territoriales au ministère français des Affaires étrangères et européennes), l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et l’Agence française de déve-loppement (AFD) ou du Centre de recherches pour le développement international du Canada (CRDI).

La deuxième série de séminaires prend appuie sur le partenariat mis en œuvre avec le soutien du Prefalc, en partenariat avec l’Université autonome métropolitaine (UAM) et sa division des sciences humaines et sociales Azcapotzalco, l’université nationale de Colombie à Me-dellin et son CEHAP-École de l’habitat et enfin la Facul-té latino-américaine de sciences sociales (FLACSO) et son département académique des affaires publiques.

Un séminaire, portant sur « Villes intelligentes et inno-vations par le bas : perspectives franco-mexicaines » a

Rencontres 2006-2013Premières Rencontres régionales de l’eAtlas de la Société de l’information à Dakar les 26, 27 et 28 avril 2006 : « Société de l’information, participa-tion citoyenne et développement durable des ter-ritoires. Quelles formations, quels outils ? ».

Deuxièmes Rencontres de l’eAtlas FAO à Bamako, décembre 2009 : « Localiser la Société de l’infor-mation : les ONG et l’appropriation sociale des TIC en Afrique de l’Ouest ».

Troisièmes Rencontres de l’eAtlas FAO à Cotonou, octobre 2011 : « Localiser la société de l’informa-tion : Les collectivités territoriales et l’appropria-tion des TIC pour la gouvernance et le développe-ment local ».

Quatrièmes Rencontres eAtlas FAO à Ouagadou-gou, novembre 2013 : « Former les acteurs locaux des sociétés africaines de l’information ».

Page 9: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

7

été organisé en décembre 2015 à Mexico. Il sera pro-longé par la conférence prévue à Medellin le 13 octobre 2016 sur « Villes du futur » puis par l’événement orga-nisé en parallèle au sommet Habitat III, à Quito, le 17 octobre 2016 sur « Villes intelligentes par le bas ».

En mettant l’accent sur les dynamiques qui prennent appuie sur les logiques d’acteurs du terrain, voire sur les usagers-citoyens, nous nous efforçons de renverser la perspective déjà en partie « classique » qui voudrait que les « villes intelligentes » correspondent à de vastes chantiers industrialo-politiques. Ce qui nous intéresse, c’est la façon dont les acteurs du quotidien pourront participer de l’intelligence urbaine.

Quelques pistes de réflexionCe cahier qui permet de croiser un regard Nord Sud sur le sujet, a comme objectif de mettre en perspective le rôle des acteurs qui s’inscrivent dans les logiques d’in-novation « par le bas » (entendues comme innovations produites par les acteurs territoriaux). Il s’agira de voir en quoi « les intelligences de la ville » se mobilisent au-tour de projets intégrant les technologies numériques.

Dans ce cahier, nous passerons en revue quelques-unes de ces expérimentations en France (Parthenay,

Toulouse) en Afrique (Sénégal, Cap Vert) ou en Amé-rique latine (Mexico) et nous nous efforcerons d’en ti-rer quelques pistes de réflexion :

• Quelles sont les cohérences entre les discours affi-chés et les avancées réelles dans la mise en œuvre des politiques TIC au niveau local ?

• Quels bouleversements introduisent-elles dans les modalités de coopération décentralisée ou de par-tenariats internationaux ?

• Quelle contribution apportent-elles à des notions comme celles de gouvernement ouvert ou de par-ticipation citoyenne ?

• Quels sont leurs impacts sur les relations entre chercheurs, experts et acteurs sociaux dans la construction des sociétés locales de l’information ?

• Quelles innovations peuvent surgir dans de tels en-vironnements, sur les figures de l’innovateur et sur la place et le rôle des habitants (citoyen, usager, consommateur, testeur) ?

Vous trouverez plus d’informations ainsi que les pré-sentations, comptes rendus et publications issues de ce processus de recherche-action sur le blog :

https://villesdufutur.wordpress.com/

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Page 10: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation
Page 11: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

L’expression smart cities, que l’on traduit en français par « villes intelligentes » s’impose depuis quelques années. Après les « smartphones » (téléphones intel-ligents), à côté des smart grids (réseaux intelligents), des smart buildings (bâtiments intelligents), des smart meters (compteurs intelligents), des smart parkings (parkings intelligents)…, les smart cities (que l’on pré-férera appeler par la suite du texte les « villes intelli-gentes »), pourraient s’imposer dans les modes de vie d’habitants de plus en plus nombreux, que ce soit en France ou dans le monde.

Le modèle des « villes intelligentes », pour autant qu’il y en ait un et qu’il soit unique, est en cours d’élabora-tion et de discussion depuis à peine une décennie. Il se présente comme une tentative de réponse aux évolu-tions urbaines, de même qu’il se justifie du constat de la généralisation du fait urbain dans les sociétés des nords comme des suds. La « ville intelligente » est une ville qui a optimisé son fonctionnement dans toute une série de directions, en particulier en matière de gouver-nance et de production ou de mise à disposition de ser-vices urbains adaptés aux besoins traditionnels comme nouveaux de la population.

Dans les pays développés, il s’agit, à côté de l’intro-duction de nombreuses innovations dans les services urbains et le gouvernement des villes, de modèle de réorganisation des structures, des équipements et des modes d’intervention afin d’optimiser leur fonctionne-ment. Dans les pays des suds, le développement des « villes intelligentes » se présente bien souvent davan-

tage comme une innovation tout azimut dans la me-sure où les services comme les modes d’organisation préexistants sont rares et fragmentaires. Il s’agit dès lors moins d’optimisation que de création.

Les « villes intelligentes » sont donc devenues des questions à la fois très contemporaines et très pré-sentes dans les débats publics autour des perspec-tives de l’évolution des sociétés urbaines. De fait, elles sont également devenues des objets de « politiques publiques », en particulier au niveau de l’Union euro-péenne. On pourrait considérer que les « villes intel-ligentes », en puisant dans ces deux grands registres d’argumentation que sont le développement de la société de l’information d’un côté, le développement durable de l’autre, pourraient en constituer une forme d’incarnation synthétique. Villes « durables » comme « numériques » représentent les traductions locales des référentiels du développement durable d’un côté et de la société de l’information de l’autre.

Le fait que les « villes intelligentes » soient systémati-quement associées au rôle des TIC, quels que soient les modèles en débat, les situent clairement dans le pro-longement des « villes numériques ». On pourrait donc poser l’hypothèse que ces « villes intelligentes » sont une nouvelle génération des modèles de villes confron-tées aux TIC. Par ailleurs, les « villes intelligentes » ont quasi systématiquement comme enjeu fondamental de répondre aux injonctions d’un « développement du-rable ».

Les « villes intelligentes » :Objets de convergence ou de controverseentre développement de la société de l’informationet développement durable ?

Emmanuel EvenoLisst-Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès

Pour citer cet article : Eveno E., « Les “villes intelligentes” : objets de convergenge ou de controverse entre développement de la société de l’information et développement durable », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs asso-ciatifs », p. 9-16.

Page 12: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

10

Que les « villes intelligentes » empruntent alternative-ment ou simultanément aux référentiels de la « socié-té de l’information » et du « développement durable » ne signifie pas toutefois qu’elles se présentent dans la continuité des concepts et pas davantage des sys-tèmes d’acteurs élaborés dans un camp et dans l’autre. Il est clair qu’à la faveur du déploiement des premiers modèles de « villes intelligentes », on assiste aussi au déploiement de logiques concurrentielles entre ces deux camps.

Des logiques convergentes ?Ces deux types de politiques, en faveur des TIC ou du développement durable ont de nombreux points communs. L’une comme l’autre sont de génération récente, elles ont été portées notamment pas l’émer-gence d’une nouvelle catégorie d’acteur, la « société ci-vile » et ont donné lieu, l’une comme l’autre à des som-mets de l’Organisation des Nations Unies1. Enfin, l’une comme l’autre semblent être associées au processus de mondialisation. Mais, de façon plus fondamentale encore, dans le cas de ces deux politiques (promotion des TIC et développement durable), l’État semble s’en remettre pour l’essentiel aux collectivités locales. Dans l’un et l’autre cas, il ne s’agit plus de lancer de grands chantiers nationaux, mais de fournir un cadre de réfé-rences et de soutenir l’initiative des acteurs publics lo-caux. Dans ces deux cas, l’échelle d’action pertinente se révèle donc être l’échelle locale.

De nouveaux principes de gouvernance ?

Autour des problématiques du développement du-rable et de la société de l’information, il semble que nous assistions à toute une série de changements dans les principes de gouvernement. Avec une autre thématique, celle de « la ville », qui leur est d’ailleurs fortement liée, il semble que l’on soit dans un en-semble de questions fondamentales qui jouent le rôle d’opérateurs de réformes à la fois dans les politiques publiques, les modes d’organisation des structures gouvernementales, la mise en œuvre de partenariats incluant société civile, acteurs privés…. et, par-dessus tout, mettant fortement en lumière le rôle des collecti-vités locales en matière d’expérimentation.

L’un des changements parmi les plus profonds en ef-fet est celui qui tient à la décentralisation de l’action publique des états, qui confère aux collectivités lo-cales de nouveaux pouvoirs, notamment en matière de développement. Il s’agit là de bien plus qu’un chan-gement d’échelle, il pourrait s’agir de ce qu’on nous avons appelé dans des travaux antérieurs, de la mise

1 Sommet mondial pour la Société de l’information (SMSI) de Genève en 2003 puis de Tunis en 2005 d’une part ; série des sommets de Stockholm (1972), Naïrobi (1982), Rio (1992), Johannesburg (2002) puis à nouveau Rio (2012) d’autre part.

en place d’un « paradigme territorial »2 comme clef d’interprétation et modèle d’intervention en matière d’action publique.

Dans le même temps et en lien avec l’émergence de ce paradigme, ce sont trois types d’acteurs qui acquièrent une nouvelle importance dans la question de la gouver-nance. Le glissement du concept de celui de gouver-nement vers celui de gouvernance n’est pas nouveau, il souligne une ouverture du système des acteurs de gouvernement vers d’autres acteurs : les acteurs asso-ciatifs, les citoyens et les acteurs économiques.

Au niveau français, on peut donc concevoir que ces deux référentiels aient contribué à la remise en cause du modèle de l’État interventionniste. Plus qu’une re-mise en question de l’État colbertiste high tech tel que l’envisageait Elie Cohen3, il s’agirait d’une forme de ré-organisation des relations de pouvoir entre l’État et les collectivités locales.

C’est sans doute parce que l’État dispose de moyens d’actions de plus en plus limités que ce sont les collec-tivités locales qui interviennent. Ça pourrait aussi être la raison pour laquelle, l’État n’étant pas davantage ca-pable d’exporter son ou ses modèles, cet enjeu serait de plus en plus pris en charge par les collectivités dans le cadre de la coopération décentralisée.

Que ce soit en matière de développement durable ou de société de l’information, apparaissent dans ces deux champs de nombreuses associations qui, les unes comme les autres, vont avoir des rôles cruciaux dans l’émergence d’une société civile à l’échelle mondiale.

En 1992 à Rio, le Sommet des chefs d’états et de gou-vernements s’étant cantonné aux questions d’envi-ronnement global, la question urbaine avait été mise à l’agenda par le Forum des ONG et des mouvements sociaux et celui des collectivités locales. Une réunion préparatoire s’était ainsi tenue à Curitiba à l’initiative des grandes associations internationales de villes et avait réuni 300 maires et associations de villes. Elle se conclut par la signature de l’engagement de Curitiba pour une ville viable. « Les responsables des gouverne-ments locaux s’engageaient alors à faire de leurs villes des villes viables en mettant en œuvre un plan d’action ou un Agenda 21 local4.

Le premier sommet des Villes et des pouvoirs locaux, organisé en prélude du Sommet des chefs d’état et de gouvernements est celui qui s’est tenu en 2003, à Lyon, une semaine avant le SMSI de Genève. En l’espèce, il

2 Emmanuel Eveno, « Le paradigme territorial de la Société de l’Information », NETCOM 2004, vol. 18, n° 1-2, p. 89-134.

3 Elie Cohen, Le Colbertisme High Tech. Économie des Télécom et du Grand Projet, Paris, Ed. Pluriel, coll. « Enquête», 1992.

4 Normand Brunet, « L’engagement de Curitiba : un lien à établir pour Montréal, Canada (Québec) », in Agenda 21 Locaux : des perspectives à l’action, Vertigo, La revue électronique en sciences de l’environnement 2002, vol. 3, n° 3.

Page 13: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

11

reprenait les enseignements du Sommet de la terre de Rio de Janeiro (1992) qui avait notoirement servi de scène d’affirmation à la fois des acteurs de la société civile et des collectivités locales.

Le développement des TIC a pu, à différentes époques, incarner le rêve d’un gouvernement avec ou autour d’une communication directe entre décideurs et ci-toyens. C’est le principe de l’agora électronique tel que rappelé par Stefano Rodota5 mais que l’on retrouve également de façon assez nette dans la mise en place, en 1997 par le gouvernement français du PAGSI (Pro-gramme d’action gouvernemental pour la société de l’information) qui avait ouvert, sur le site du premier ministre de l’époque Lionel Jospin, un fil de discussion dans lequel pouvait s’exprimer tout citoyen (par ail-leurs « internaute »).

De leurs côtés, les politiques de développement du-rable passent, pour atteindre leurs objectifs, par une éducation des citoyens afin de leur faire adopter de nouvelles pratiques en matière de consommation, de déplacement, de « conscience environnementale »… et donc, nécessitent une mobilisation sociale, une par-ticipation des citoyens aux prises de décision.

En fait, dans de nombreuses expérimentations portant sur ces questions, il est question de « démocratie par-ticipative ». Ce fut notamment le cas dans l’expérimen-tation pilotée par la ville de Parthenay6. Par ailleurs, le site du Conseil régional de Rhône-Alpes soulignait que : « depuis 2004, le Conseil régional applique les prin-cipes du développement durable dans la conception et la mise en place de ses politiques. Les Rhônalpins jouent en outre un rôle de plus en plus important dans la prise de décision de l’Institution. La société civile et les citoyens sont en effet de plus en plus consul-tés grâce à l’arrivée de plusieurs outils de démocratie participative »7.

La mise en œuvre de ces programmes ambitieux par des collectivités locales qui jouent de ce fait le jeu de la distinction dans une logique de marketing urbain a rendu nécessaire de mobiliser de nouvelles sources de financements, autres que le financement public redis-tribué par l’État ou la fiscalité locale. Cette nécessité a constitué le cœur de la logique d’ouverture aux acteurs privés, industriels des différents métiers qui trouvent dans le marché des « villes intelligentes », un filon nou-veau et prometteur. C’est ainsi qu’arrivent sur ce mar-ché un ensemble d’acteurs dont l’objet consiste assez souvent à élaborer un catalogue de « solutions » dont telle ou telle ville pourra servir de plateforme d’expéri-mentation et de « rampe de lancement ».

5 Stefano Rodota, La démocratie électronique. De nouveaux concepts et expériences politiques, Ed. Apogée, 1999.

6 Cf. infra, l’article d’Alain d’Iribarne.

7 http://www.rhonealpes.fr/222-modes-et-intervention.htm

Les acteurs des technologies de l’information, ceux du monde des télécommunications ou ceux du monde de l’informatique se considèrent souvent comme les acteurs « naturels » de l’intégration de l’ensemble des systèmes étant amenés à composer une « ville intelli-gente ». « La ville intelligente est un écosystème riche mais très fragmenté. Les villes ont donc besoin de s’appuyer sur un acteur capable de nouer des parte-nariats pour leur apporter une réponse globale. C’est dans cette démarche de réponse aux besoins des villes et des citoyens que nous menons notre programme Smart Cities », déclare Nathalie Leboucher, directrice Smart Cities d’Orange.

Le programme Smarter Cities lancé par IBM en 2009 n’a pas pour objectif de transformer l’entreprise en un ac-teur du monde de l’énergie, des transports ou du trai-tement de l’eau. En revanche, à travers ce programme, IBM a pour objectif d’utiliser les technologies de l’infor-mation et de la communication au service des usagers pour rendre les villes plus intelligentes.

Pour le transporteur Bombardier : « Les villes intelli-gentes de demain vont redéfinir la durabilité et la via-bilité. Des systèmes de transport qui sont efficaces, sûrs pour l’environnement et qui transportent des centaines de milliers de personnes rapidement, en tout confort et de façon abordable vers leurs destinations – définiront singulièrement plusieurs des nouvelles éco-cités ».

Les énergéticiens sont également fortement mobili-sés sur ce type de projets. En fait, dès les années 1980, les énergéticiens avaient été amenés à développer quelques expérimentations en matière d’habitat intel-ligent, ce qu’on appelait la « domotique ». D’une cer-taine manière, les « villes intelligentes » offrent une nouvelle opportunité pour poursuivre ce type de pro-jet. La différence vient du fait que la domotique était centrée sur les automates, les capteurs, autrement dit la technologie tandis que, dans le cadre des projets de type « ville intelligente », il est davantage question d’économies d’énergie.

C’est ainsi que la Compagnie Schneider Electric présen-tait son partenariat avec la ville de Barcelone dans le cadre du projet 22@, au-delà des projets portant sur la mobilité : « […] le centre d’excellence développera d’autres applications pour la ville : gestion intelligente de l’eau ou des réseaux électriques, bâtiments intelli-gents, etc., l’ambition finale est d’intégrer ces diffé-rents systèmes dans une plateforme unique. Autre point intéressant dans cette approche : Schneider Elec-tric accompagne la ville non seulement dans la mise en œuvre de solutions, mais aussi dans la création, aux côtés de différents partenaires, d’un City protocol – un standard de mesure de la performance d’une ville – et d’un pôle de savoir-faire et de compétences pour la gestion intelligente des villes ».

Page 14: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

12

De fait, en se présentant assez systématiquement comme au cœur des projets, en proposant qui des « centres d’excellence » (Schneider Electric), qui des intégrations dans un vaste catalogue de solutions bre-vetées (Smarter Cities d’IBM), les acteurs industriels organisent à leurs profits le déplacement de plusieurs logiques d’organisation. Tandis que l’organisation en fonctions clairement différenciées et en métiers (ce qu’on appelle de façon assez péjorative désormais l’or-ganisation en silo) avait marqué la rationalisation du travail administratif et de la fourniture des services pu-blics locaux par les collectivités locales depuis de nom-breuses décennies, les projets de mise en systèmes intégrés qu’induisent les démarches de types « villes intelligentes » permettent de déplacer la régulation de l’intervention sur la ville vers une logique d’intégration de services.

Une même démarche de « labellisation » ?

En France, la dimension mimétique que l’on peut ob-server entre le label Villes Internet et le Ruban du développement durable indique clairement que l’on s’inscrive, dans un cas comme dans l’autre, dans une logique de convergence.

Si l’on ne retient que cette troisième partie, il convient de rappeler ce que sont le label villes Internet et le Ru-ban bleu. Les acteurs, notamment associatifs, qui sont impliqués dans l’un comme dans l’autre label ont d’ail-leurs une forte tradition de collaboration, ce qui contri-bue à mettre en partage des ressources accumulées par chacun des réseaux d’acteurs.

La géographie des villes internet et des villes du Ruban du développement durable est d’ailleurs très homo-

gène. Comme le montre la carte ci-dessous, de nom-breuses collectivités ont été doublement labellisées, en particulier dans les Régions Ile-de-France, Pays-de-la-Loire et Aquitaine.

L’inscription à l’Agenda de l’Union européenne

L’Union européenne a choisi de soutenir le dévelop-pement de « technologies intelligentes » dans les villes européennes afin d’apporter des « réponses ef-ficaces » aux problèmes auxquels elles sont confron-tées. « Près des trois quarts des Européens vivent en ville et consomment 70 % de l’énergie de l’UE. Chaque année, les embouteillages coûtent à l’Europe environ 1 % de son PIB, en particulier dans les zones urbaines »8.

Le « partenariat d’innovation » lancé en 2011 s’adresse aux « villes et communautés intelligentes » (VCI) et concernait dans un premier temps des programmes d’expérimentation technologique et de recherche de solutions dans les domaines de l’énergie et des trans-ports pour un montant de 81 millions d’euros. L’année suivante, le budget a plus que quadruplé (365 millions d’euros) et couvre, outre les secteurs énergie et trans-port, celui des TIC. Les démonstrateurs proposés par les collectivités locales devaient d’ailleurs prendre en compte simultanément ces trois secteurs afin d’exploi-ter au mieux les synergies entre eux.

De fait, sur la plate-forme des partenaires engagés dans la réflexion autour des projets de « villes intelligentes » en relation avec le « partenariat d’innovation », ce sont 1 328 villes qui sont référencées dans 48 pays (les pays

8 « La Commission lance un partenariat d’innovation pour les villes et communautés intelligentes », communiqué de presse, Commission européenne, Bruxelles, le 10 juillet 2012.

Villes lauréates du ruban du développe-ment durable et du label Villes Internet en 2010.

Page 15: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

13

européens plus des pays partenaires sur ces projets, comme la Suisse, la Turquie, le Brésil…). Les pays les plus fortement représentés sont9 :

Pays Nombre de villesItalie 367

Espagne 264

France 82

Portugal 65

Allemagne 63

Grèce 60

Suède 42

Roumanie 41

Royaume Uni 32

Belgique 28

Cette plate-forme réunit par ailleurs plusieurs centaines de membres, représentants de nombreux acteurs as-sociatifs, universitaires, économiques…

Ces chiffres soulignent à quel point ce programme eu-ropéen a pu déjà être mobilisateur. La plate-forme est structurée autour d’un Groupe de coordination et de Groupes de travail. Elle a été développée sous la res-ponsabilité de la DG Énergie de la Commission euro-péenne pour diffuser l’information sur l’initiative Villes et communautés intelligentes, mettre en visibilité des solutions technologiques à partir d’une base de don-nées consultable.

Au-delà des convergences,des divergences importantes

Des modes d’institutionnalisation inégaux

Le gravissement des étapes de l’institutionnalisation a été très différent entre les deux « camps » et ne s’ex-plique que par une histoire très dissemblable en ma-tière d’insertion dans les pratiques gouvernementales.

Pendant de nombreuses décennies, voire plusieurs siècles, l’information et la communication ont été par-mi les pouvoirs régaliens des états. Ces questions sont donc traitées depuis longtemps par un corps de fonc-tionnaire et des agents opérant au nom de l’intérêt public et assez fréquemment dans le cadre d’un mo-nopole. C’est à la mesure de cette intégration au cœur même du fonctionnement de l’État qu’il faut apprécier la possibilité pour les enjeux relatifs aux TIC à constituer une entité spécifique au sein de l’appareil d’État. Pour les gouvernements nationaux, il ne va pas de soi de créer un tel ministère dédié à ces enjeux. En France et dans de nombreux autres états fortement centralisés, ce qui touche à l’information et à la communication a longtemps été considéré comme une donnée consubs-tantielle du pouvoir, ce n’est pas quelque chose qui se partage aisément. Les structures existantes au ni-

9 Source : http://eu-smartcities.eu/smartcities-profiles

veau du gouvernement sont toutes des structures qui se trouvent au cœur de l’exécutif, directement ratta-chées, le plus souvent, au Premier ministre.

En fait, tandis que les problématiques environnemen-tales sont assez rapidement prises en charge par un ministère (en 1971, installation du premier ministère de l’Environnement, qui fut confié à Robert Poujade), la société de l’information ne l’est jamais en tant que telle, et est le plus souvent fragmentée en enjeux caté-goriels et entités éclatées.

D’un côté, on trouve donc une thématique, les TIC, qui ne trouve pas de héraut politique, qui ne s’incarne pas dans un ministre ni dans un ministère. Le ministère des PTT auquel sont rattachées les télécommunications ne leur octroie qu’une place marginale ; tandis que du côté de la thématique environnementale, le ministère apparaît comme l’une des originalités profondes de la présidence de Georges Pompidou (1969 – 1974). Si l’on poursuit le parallèle entre ces deux thématiques, on constate que dans le camp des TIC, se trouve un corps de fonctionnaires, celui des télécommunications, dont le sommet est occupé par le corps des ingénieurs de l’École Polytechnique. Ce corps aura d’ailleurs été as-sez puissant, à la fin de l’ère gaullienne et au début de la présidence de Georges Pompidou pour se révolter contre l’oubli dans lequel le Commissariat général au plan avait cantonné la question des télécommunica-tions et rédiger un manifeste pour dénoncer le délabre-ment du réseau français du téléphone : Le Téléphone pour tous signé par un certain J-F. Ruges (en fait, ana-gramme de Ségur, qui est la rue du ministère des PTT) et publié aux éditions du Seuil en 1970.

À l’inverse, dans le camp de l’environnement, tandis que le Ministère qui lui est dédié se développe sur un mode assez original, Bettina Laville, qui exerça long-temps la fonction de directrice de cabinet de ce Minis-tère considérait « [l’]extraordinaire difficulté à faire re-connaître par les autres ministères le ministère de l’En-vironnement comme une administration à part entière, pour des raisons parfois tout à fait valables mais aussi pour des raisons tout à fait injustes. Une des raisons valables est que jamais […] cette administration n’a eu un corps dédié de fonctionnaires. Or vous savez que l’administration fonctionne à partir de corps. Je veux bien croire qu’elle en a un aujourd’hui puisqu’il y a eu une fusion de corps d’ingénieurs. Ceci reste à voir tout simplement parce que, telle qu’a été faite la fusion, et c’est mon avis personnel, les environnementaux ne for-ment pas la culture majoritaire dans cette maison »10.

10 Bettina Laville, participation à la table ronde « La forme et l’évolution de la gouvernance dans le domaine de l’environnement depuis cette période pré-ministérielle », In Les 40 ans du ministère de l’Environnement. « Aux sources de la création du ministère de l’Environnement : des années 1950 à 1971 » ; Pour mémoire, Comité d’histoire ; Revue du ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’énergie, n° hors-série, printemps 2013, p. 102.

Page 16: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

14

L’affirmation des principes de développement durable au détriment de ceux traitant de la so-ciété de l’information.

Les deux référentiels ont prospéré en usant de l’argu-ment de l’urgence : urgence à lutter contre les effets de la pollution et du réchauffement climatique, ur-gence à « rattraper un retard » en matière de transition économique.

Les arguments dans lesquels puisent le développement durable comme celui de la société de l’information commencent à constituer des corpus dans le courant de la décennie 1970, avec les travaux de prospective du sociologue Daniel Bell sur la « société post-industrielle » ou encore ceux du Club de Rome sur la nécessité de repenser la croissance. La mobilisation des travaux d’experts par les gouvernement ou les instances inter-nationales s’intensifie jusqu’à la mise en œuvre de som-mets mondiaux à peu près à la même époque : 1997 pour le Protocole de Kyoto qui traduisait en engage-ments quantitatifs la Convention sur les changements climatiques adoptée en 1992 au Sommet de la Terre de Rio; 2003 puis 2005 pour les deux phases du Sommet mondial de la « société de l’information ».

En raison de ces proximités, ces référentiels vont se ré-véler en fait assez rapidement en concurrence. Concur-rence dans l’accès à la notoriété médiatique, dans l’établissement des priorités gouvernementales ou intergouvernementales, dans l’agenda des politiques publiques.

Jusqu’à la décennie 1990, au niveau mondial, ce sont les problématiques environnementales, inspira-trices des politiques de développement durable qui semblent prendre le pas sur les problématiques du développement de la « société de l’information ». Le premier Sommet de la Terre est celui qui se tient en 1972 à Stockholm, il est le premier à poser les enjeux du développement mondial en termes d’éco-développe-ment et institue l’environnement comme patrimoine mondial.

En 1980, la notion de « développement durable » fait son apparition au détour d’un rapport publié par l’Union internationale pour la conservation de la na-ture. Cette notion sera ensuite reprise et définie dans le rapport Brundtland dans le cadre de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, en 1987.

En revanche, avec le déclenchement du programme états-unien National Information Infrastructure en 1993 et pour le reste de cette décennie, c’est le référentiel de la « société de l’information » qui domine dans le débat institutionnel mais aussi dans le débat public. La politique publique états-unienne sera en effet reprise et imitée dans de très nombreux pays et de façon ex-trêmement rapide. C’est à cette époque que le Livre Blanc Croissance, Compétitivité, Emploi (1993) fixe le

référentiel communautaire de la « société de l’infor-mation » qui trouvera à se décliner dans la plupart des pays de l’Union européenne.

Avec les années 2000 toutefois, sans doute en raison du krach de la « nouvelle économie » et de l’éclatement de la « bulle internet », on va assister à un reflux du thème de la « société de l’information » dans les priori-tés gouvernementales. En fait, c’est un processus d’in-visibilisation qui se met en place. Dans le même temps, les thématiques du développement durable reviennent au-devant de la scène jusqu’à ce que, dans la fusion re-vendiquée des deux thématiques au sein du modèle des « villes intelligentes », on constate que les enjeux prioritaires sont bien ceux qui portent sur le dévelop-pement durable quand les enjeux qui étaient autrefois ceux du développement de la société de l’information s’estompent voire disparaissent, la seule articulation possible à la thématique restant dans le recours aux TIC comme instruments des politiques de développe-ment durable.

Le Rapport « TIC et développement durable » de 2008 considérait même qu’il convenait d’envisager les effets néfastes, en termes d’environnement, du développe-ment des TIC. Il s’agissait, dans les faits, d’une sorte de rupture de l’alliance naturelle entre ces deux thé-matiques, via l’affirmation du primat des politiques de développement durable, établies dans une logique de surplomb ou de régulation des effets indésirables de la politique liée aux TIC : « Les technologies de l’informa-tion et de la communication (TIC) ont longtemps été perçues essentiellement du point de vue de leur ap-port, incontestable, à la productivité de l’économie et au bien-être de la population. Ce n’est que récemment que leur impact environnemental est devenu une pré-occupation. Extension considérable de leur diffusion, difficulté à assurer l’alimentation électrique des centres de données géants, production de déchets toxiques en volumes : l’urgence d’une réflexion globale au titre du développement durable (DD) apparaît désormais. »11

De façon symptomatique, la quasi- totalité des projets existants dans le cadre du « Partenariat pour les Villes et Communautés intelligentes » sont des projets por-tant très explicitement sur le développement durable. Les TIC devenant les éléments d’une ingénierie au ser-vice de ce projet mais n’étant pratiquement en aucun cas au cœur d’un projet spécifique. Il n’est plus ques-tion de former les usagers aux TIC, il est plutôt ques-tion de former les usagers des TIC à des pratiques de durabilité, il n’est plus question de lutter contre la frac-ture numérique, ou de mobiliser le monde social et les citoyens autour du débat public, mais de les mobiliser pour les débats publics portant sur le développement durable….

11 Henri Breuil, Daniel Burette, Bernard Flüry-Hérard, Jean Cueugniet et Denis Vignolles, TIC et Développement Durable, rapport du CGEDD et du CGTI, 2008, p. 2.

Page 17: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

15

C’est ainsi que le Commissariat général au dévelop-pement durable, dans son « Point sur les villes intelli-gentes », liait-il le développement des villes intelligentes aux politiques de développement de la « ville durable » : « La ville “intelligente” est–elle pour demain ? L’intro-duction des TIC dans l’espace urbain ouvre la voie à de nouvelles fonctionnalités, de nouvelles manières de gérer, de gouverner et de vivre la ville. Des projets émergent aujourd’hui en France et à l’étranger qui té-moignent de l’intérêt des villes pour ces nouveaux dis-positifs mais aussi des enjeux industriels sous-jacents. Si les TIC peuvent contribuer à rendre les villes plus durables, leur développement n’est pas sans poser de questions tant sur le plan de l’acceptabilité sociale que sur ceux de leur mode de financement ou des transfor-mations qu’elles induisent dans la nature des services rendus et le rapport des citoyens/usagers à la ville. »12

La plate-forme des parties prenantes du Partenariat pour les Villes et Communautés intelligentes est d’ail-leurs très explicitement sous la responsabilité de la DG XI Environnement et non pas de la DG Connect (DG XIII Communication) au sein de la Commission européenne.

Ainsi, dans le cadre de sa participation au programme Smarter Cities d’IBM, la métropole de Nice Côte d’Azur a développé un projet ambitieux qui se concentre es-sentiellement sur la question des transports. Ce qui est attendu d’IBM porte sur la question d’une « Mobi-lité plus intelligente » qui se déploierait via un certain nombre d’actions :

• créer une plateforme de données de transport multimodal ;

• enrichir les services proposés à l’usager ;

• promouvoir la mobilité électrique ;

• accompagner la mise en œuvre de services de mo-bilité innovants ;

• développer des nouveaux modes de tarification13.

De son côté, la ville de Copenhague a choisi de mettre l’accent sur la problématique énergétique : « The City of Copenhagen, Denmark is one of 31 cities selected in 2013 to receive a Smarter Cities Challenge© grant as part of IBM’s citizenship efforts to build a Smarter Planet©. During three weeks in May 2013, a team of five IBM ex-perts interviewed 197 stakeholders and worked to deli-ver recommendations on a key challenge identified by the Lord Mayor, Frank Jensen, and his senior leadership team: How can management of data help Copenhagen achieve its goal of carbon neutrality by 2025? »14

12 Commissariat dénéral au développement durable, dans son « Point sur les villes intelligentes », n°143, septembre 2012.

13 Programme mondial IBM Smarter Cities Challenge, Nice Côte d’Azur, rapport.

14 « La ville de Copenhague, au Danemark, est l’une des 31 villes sélectionnées en 2013 pour recevoir une subvention du Smarter Cities Challenge© dans le cadre de la politique citoyenne mise en œuvre par IBM pour bâtir une « planète plus intelligente© ».

Conclusion provisoire…Le fait que, dans la concurrence entre les deux référen-tiels, les villes intelligentes mettent clairement en lu-mière la primauté de ceux traitant du développement durable indique que, à ce stade de leur histoire, les modus operandi qui ont permis leur déploiement ont été plus efficaces que ceux qui s’efforçaient de rendre concrète une société de l’information.

Il semble que si les thèmes développement durable affichent une meilleure santé que ceux de la société de l’information c’est parce que les acteurs qui ont été amenés à officier dans le premier camp ont mieux réussi à formaliser leur démarche et à rendre plus opé-rationnels l’application des principes de durabilité. On peut en effet remarquer un certain nombre de trans-ferts d’un camp au profit de l’autre, ainsi du vice-pré-sident des États-Unis d’Amérique, Al Gore, promoteur de la diffusion sociale d’Internet, qui après son échec aux élections présidentielles de 2000, s’est consacré à la lutte contre le réchauffement climatique et, en 2007, obtient le Prix Nobel de la Paix avec le GIEC « for their efforts to build up and disseminate greater knowledge about man-made climate change, and to lay the foun-dations for the measures that are needed to counteract such change »15. Il est par ailleurs tout à fait symptoma-tique de noter que les deux élus suédois du « Parti Pi-rate » au Parlement européen siègent avec le groupe des Verts/Alliance libre européenne.

L’affaire n’est peut-être pas entendue de façon défini-tive, on a vu que les inversions de priorité avaient pu exister. Il est même possible que les enjeux du déve-loppement durable soient en fin de règne, au profit d’autres qui seraient en voie d’émergence. S’il fallait faire un pari sur ces derniers, nous proposerions de considérer avec attention les enjeux relatifs à l’affirma-tion des questions territoriales, de la gouvernance de proximité, de la participation des populations…

Pendant trois semaines, en mai 2013, une équipe de cinq experts IBM a interrogé 197 intervenants et a travaillé pour fournir des recommandations sur un défi clé identifié par le maire, Frank Jensen et son équipe de direction : Comment la gestion des données peut aider Copenhague à atteindre son objectif de neutralité carbone d’ici 2025 ? » (traduction de l’auteur).

15 « pour leurs efforts visant à renforcer et diffuser les connaissances sur le changement climatique d’origine humaine, et de jeter les bases pour les mesures qui sont nécessaires pour contrer de tels changements » (traduction de l’auteur), site officiel du prix Nobel de la Paix.

Page 18: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

16

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Bibliographie

Association 4D, Analyse du contexte européen du processus « agendas 21 locaux » et comparaison avec la démarche française, Paris, 2001.

Caisse des Dépôts et Consignations, Les quartiers numé-riques. Une ambition collective au service du rayonnement in-ternational des écosystèmes numériques français et de leurs « Tech champions », 2013.

Emelianoff C., « La ville durable », in B. Zuindeau (dir.), Déve-loppement durable et territoire, Septentrion, 2010, chap. 14.

Emelianoff C., « Les agendas 21 locaux : quels apports sous quelles latitudes ? », Dossier 4 : La ville et l’enjeu du Dévelop-pement Durable, Développement durable et territoire, 2005.

Forest D., Futurologie et transitologie : les think tanks face à la « société de l’information », Quaderni n° 70, automne 2009.

Gaudin J.-P., « La gouvernance moderne, hier et aujourd’hui : quelques éclairages à partir des politiques publiques fran-çaises », La gouvernance, Revue internationale des sciences sociales 1998, n° 155, p. 51.

Mancebo F., « Le développement durable en questions », Cy-bergeo 2007-2, n° 404.

Smart Cities Project Guide, The Interreg IVB North Sea Region Program, 2010.

Strategic priorities for the new framework programme for re-search and innovation covering the period 2014-2020, Report of the Meeting of Advisory group ICT Infrastructure for ener-gy-efficient buildings and neighbourhoods for carbon-neutral cities, 16th September 2011, European Commission.

UN-Habitat’s, Strategy for the implementation of the Millen-nium Development Goal 7 target 11, United Nations Human Settlements Programme, 2005.

Workshop: Smart sustainable cities and regions, 5 October 2010, European Commission, DG Information Society and Me-dia and DG, Regional Policy.

Zuindeau B., « Le développement durable territorial : enjeux et perspectives », Colloque développement local, dévelop-pement régional, développement durable : quelles gouver-nances ? Toulouse, 2002.

Emmanuel Eveno est professeur de géographie à l’Université Toulouse Jean Jaurès et directeur du

Lisst-Cieu (Laboratoire interdisciplinaire solidarités sociétés territoires, Centre interdisciplinaire

d’études urbaines). Il s’emploie à élaborer une théorie générale des relations entre la ville et les techniques d’information et de communication.

L’hypothèse fondamentale qu’il met à l’épreuve de plusieurs travaux théoriques et empiriques, est que

le développement rapide des TIC dans les sociétés contemporaines est lié au développement de

l’urbanisation.Contact : [email protected]

Page 19: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

L’expérience « Ville numérique » de Parthenay, dans les Deux Sèvres, constitue probablement une expérience unique dans l’univers français des politiques publiques menées par une ville et, plus largement par une col-lectivité territoriale, au service d’un projet politique et économique bien précis : favoriser l’entrée d’une ville dans la « société de l’information » en faisant de ses citoyens des co-concepteurs des services dont ils souhaiteraient disposer. Pour être mené à bien, un tel projet s’est appuyé sur un dispositif singulier qui a mo-bilisé, dans une coopération étroite, des politiques et des services municipaux, des industriels ainsi que des chercheurs en sciences sociales.

C’est à l’initiative d’un député européen par ailleurs maire de la ville de Parthenay, que ce projet a été éla-boré dans le courant de l’année 1994 et en début 1995, en relation avec des industriels très présents dans les couloirs de la Commission européenne et soucieux de défendre leurs intérêts dans le cadre de la mise en forme des politiques publiques centrées sur la « socié-té européenne de l’information », mais également en relation avec des institutions de recherche scientifique, en particulier le CNRS français, représenté par son dé-partement scientifique des Sciences de l’Homme et de la Société (voir encadré).

Bénéficiant d’un cofinancement européen dans le cadre du Programme cadre de recherche développe-ment (le 4ème PCRD), il devait initialement se déployer dans trois petites villes européennes : Parthenay (France), Weinstadt (Allemagne) et Arnedo (Espagne).

Assez tôt, il intégra une autre ville, de l’ex-République démocratique allemande, Torgau, tandis qu’Arnedo fut remplacé à partir de 1998 par une ville italienne, Casale Monferato. En fait, les deux villes les plus stables et les plus impliquées furent Parthenay et Weinstadt.

Le Projet « Ville numérique », avant tout défini dans une logique d’action, s’est placé dans le cadre une réflexion générale portant sur les dynamiques sociales et poli-tiques agissant au cœur des sociétés européennes. Il se situe donc à la croisée de trois types d’expérimen-tation : l’une, sans doute la plus prégnante, à carac-tère politique, l’autre, particulièrement présente tout au long de la durée des différentes phases du projet, à caractère économico/industriel, et la troisième, enfin, à caractère scientifique.

Le but du projet

Le but du projet « villes numériques » était d’aider à dé-finir des applications innovantes en matière de TIC qui permettraient aux entreprises manufacturières et de services de développer leurs produits et aux commu-nautés locales d’élaborer des stratégies appropriées pour moderniser leurs services et en inventer des nouveaux.

Afin d’atteindre cet objectif global, le projet devait avoir une double fonction :

• permettre d’analyser ce que les habitants des pe-tites villes concernées par l’expérimentation atten-

Quelles articulations entre chercheurs experts, industriels et politiques ?L’expérience Ville numérique de Parthenay

Alain d’IribarneFondation de la Maison des sciences de l’Homme

Pour citer cet article : d’Iribarne A., « Quelles articulations entre chercheurs experts, industriels et politiques ? L’expérience Ville numérique de Parthenay », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 17-28.

Page 20: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

18

daient en matière d’applications et de services TIC (publics et/ou marchands) ; pour parvenir à cette fin, la demande sociale devait être appréhendée dans les contextes des groupes sociaux et des ter-ritoires qui contribuaient à la façonner ;

• également permettre d’élaborer des hypothèses en matière de dissémination de ces applications et services en dehors des contextes à l’intérieur des-quels ils avaient d’abord pris sens ; il s’agissait en particulier de tester cette dissémination entre les villes partenaires ; ce test de la possibilité d’une ex-périmentation à diffuser et à influencer de proche en proche devait permettre à l’Union européenne d’avoir une idée sur la façon dont ce type d’expé-rimentation pouvait avoir sens à l’échelle de l’Eu-rope toute entière, dans sa façon d’élaborer son « modèle » de « société de l’information » ;

Une composante fondamentale du projet était donc l’expérimentation d’une nouvelle place à donner à l’in-novation technique dans les sociétés contemporaines suivant une logique inverse de la logique dominante.

En effet, une caractéristique essentielle du projet « villes numériques » – ce qui le distinguait de la plupart des projets de R & D sur les TIC – est qu’il ne considérait

À l’origine du projet se trouve la rencontre entre Michel Hervé, alors maire de Parthenay et député européen PS, et le chercheur en science social qui prendra la responsabilité scientifique du projet, Alain d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS, et alors directeur du département scientifique des sciences humaines et sociales du CNRS. Cette rencontre s’était faite en 1993, au moment où les chercheurs ayant la charge de la gestion des sciences humaines et sociales dans les grands pays de la Communauté européenne recherchaient l’appui du Parlement européen pour que des recherches relevant de leurs disciplines soient enfin éligibles aux financements européens, en parti-culier dans le cadre du 4ème Programme cadre de re-cherche et développement (PCRD) qui était en cours d’élaboration.

À cette époque, Michel Hervé était membre de l’Of-fice parlementaire d’évaluation des sciences et des techniques » (STOA) et, à ce titre, avait exprimé la pré-occupation des parlementaires européens de voir se développer des recherches dans le domaine des tech-nological assesments en association aux grands pro-grammes de R&D technologiques qui constituaient le noyau dur de la recherche sous financements euro-péens. Le traité de Maastricht ayant fait figurer la re-cherche dans les domaines relevant de la codécision, le Parlement, in fine, avait pu obtenir que des aspects intéressants les questions d’utilité économiques et

sociales des innovations technologiques puissent être éligibles dans les programmes européens de R&DT. Encore fallait-il que cette grande victoire de principe se traduise dans la réalité des projets et donc que ces aspects soient présents dans des projets de recherches répondant aux appels d’offre des pro-grammes européens relevant du PCRD.

C’est la présence d’une telle opportunité qui a conduit les deux protagonistes à considérer qu’il pourrait être intéressant de travailler ensemble sur une approche concrète et sur une préoccupation commune : offrir aux utilisateurs des équipements techniques, la pos-sibilité d’avoir leur mot à dire sur l’utilité, pour eux, de ces équipements, dès lors qu’ils se trouvaient dans leurs mains en usages courants. Michel Hervé a donc proposé de monter un projet européen destiné à dé-velopper des services multimédia en réseau à destina-tion des citoyens de sa commune. Ainsi est né l’idée du projet « Villes Numérisées » et de sa traduction en terme d’un projet européen de R&DT, ce qui im-pliquait de trouver des villes d’autres pays de l’Union européenne, de même que des industriels et des cher-cheurs qui seraient intéressés par un tel projet. Cette idée s’est traduite par la constitution d’un consortium pour proposer un projet de R&DT au programme Te-lematics and Towns piloté par la DG XIII de la Commis-sion européenne. En effet, ce programme paraissait bien ciblé par rapport aux objectifs recherchés.

À l’origine du projet

pas la production de technologies innovantes comme un point de départ, mais comme une conclusion. Il s’agissait tout simplement d’inverser les termes de l’équation, c’est à dire ne pas commencer à réfléchir aux technologies et aux différentes façons qui permet-traient de les diffuser dans le monde social, mais de s’intéresser en premier lieu aux « demandes sociales », aux demandes exprimées de façons très diverses par les groupes sociaux… Les technologies, applications et services que les industriels avaient à charge de déve-lopper et que les collectivités locales devaient déployer étaient censées être des réponses à ces demandes.

Ce projet représentait donc, d’un point de vue idéo-logico/économique, une tentative de substituer au traditionnel technological push market drive une ap-proche centrée sur le social pull public policy drive. Au-trement dit, l’innovation était censée découler d’un dialogue entre les concepteurs de technologies et les usagers finaux, le rôle de ces usagers finaux étant aux fondements de la démarche. Alors que ce que les multiples façons dont les usagers finaux « réagissent » aux « offres » technologiques qui leur sont faites sont classiquement considérées comme étant conditionnés par les options proposées par les technologies mises à

Page 21: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

19

disposition, le projet « villes numériques » se propose de décrypter ce en quoi les dynamiques sociales « ap-pellent » ou « donnent sens » aux technologies.

Le projet METASA1 : la constitution d’un consortium de recherche et la réponse à l’appel d’offreCette genèse, rapidement esquissée, explique pour-quoi la conception du projet européen a été large-ment dominée par une problématique et des opéra-teurs français. Dans son principe, le problème de cette conception était simple : il y avait un appel d’offre com-munautaire avec un cahier des charges très complet, méticuleusement détaillé, et vis-à-vis duquel il fallait pouvoir présenter une proposition attractive dans ses orientations, solide dans son contenu technique et dans son organisation, crédible dans ses participants, enfin, respectueuse des orientations politiques de la Commission2. Par ailleurs, la Commission finançant au maximum 50 % du budget globale du projet, les autres 50 % devaient être auto-financés par les partenaires, à charge pour eux de se s’accorder sur les distinctions existantes dans les modalités de financement suivant leur statut juridique et leur place dans le projet3. C’est avec cette perspective que les deux protagonistes initiaux se sont mis à activer leurs réseaux respectifs pour constituer le consortium de recherche, support du projet : l’élu s’est mis à la recherche de villes et d’in-dustriels, le chercheur s’est mis à la recherche de cher-cheurs en sciences sociales.

La constitution du sous consortium des villes

C’est ainsi que le Maire de Partenay a sollicité les maires des villes d’Arnédo et de Weinstadt qui étaient jumelées à Partenay. Ces derniers n’ont pas manifesté d’hostilité de principe, lui faisant confiance. Par ailleurs, Siemens-Nixdorf intéressé à participer au projet et qui était présent dans d’autres projets européens avec la ville de Torgau (près Leipzig), a fait rapidement savoir qu’il serait opportun, vis-à-vis de le Commission, d’in-clure cette ville dans le projet car l’ex-RDA faisait par-

1 Son titre complet de « Multimedia villes européennes expérimentale avec une approche sociale-pull » (METASA) reflète son ambition globale.

2 On notera que par souci de transparence, les soumissionnaires aux appels d’offre européens connaissent les critères qui seront utilisés par les évaluateurs pour évaluer les projets.

3 Les participants aux projets européens sont répartis dans des catégories bien précises qui déterminent leur place dans les projets. Ainsi arrivent en premier les main contrator qui contractent avec la Commission. Viennent en suite les co-contractor aux quels peuvent être budgétairement rattachés des Associated contractor. Enfin, viennent des possibles sub contractor. En principe, tous les participants sont en coûts totaux (FC) sauf la cherche publique qui est en coûts additionnels (AC) – hors salaires des personnels statutaires. Cette recherche peut imputer au projet 100 % de ces coûts additionnels, tandis que les sous-traitants peuvent y imputer 100 % de leurs coûts totaux.

ti, à l’époque, de ses priorités politiques. Sa présence augmentait donc l’attractivité politique du projet pour la Commission, mais introduisait en quelques sortes un corps étranger, dans le consortium des villes.

La constitution du sous consortium des chercheurs en sciences sociales

Il fallait trouver, dans chaque pays, des chercheurs qui, indépendamment de leur discipline de référence soient capable de travailler ensemble, connaissent le domaine, soient familiarisés avec ce type de problématique et avec la pratique de la recherche/action. De plus, il était souhaitable qu’ils soient suffisamment près des villes, d’un point de vue géographique, pour pouvoir travail-ler sur le « terrain » dans des conditions satisfaisantes. C’est dans cette perspective que celui qui allait devenir le responsable scientifique du projet a contacté, via le « PIR Ville » du CNRS, Emmanuel Eveno, géographe de l’Université de Toulouse le Mirail qui travaillait sur les technologies de l’information et de la communication dans les villes4. Celui-ci, en raison de ses préoccupa-tions personnelles, a manifesté un intérêt pour le pro-jet. Il a ensuite sollicité ses réseaux scientifiques pour trouver les autres chercheurs susceptibles de répondre à ces desiderata. Dans la pratique, il a trouvé une so-ciologue, professeure à l’université de Saragosse, pour travailler sur Arnédo et une géographe, professeure à l’Université de Stuttgart, pour travailler sur Weinstadt, son équipe acceptant, en plus, de superviser le travail qui devait être réalisé sur Torgau par un chercheur du Chemnitz-Zwickau. Les chercheurs, qui appartenaient à des disciplines différentes, n’avaient donc jamais tra-vaillé ensemble et ne se connaissaient pas.

La constitution du sous consortium des industriels

Ils ont, à l’exception de Météo France, pratiquement tous été sollicités par Michel Hervé qui a utilisé son carnet d’adresse aux trois niveaux qui caractérisaient son capital social : le niveau européen avec Philips et Siemens-Nixdorf, le niveau national avec Thomson, EDF, France Télécom, le niveau régional avec le CNED5. Il couvrait ainsi la diversité des compétences indus-trielles et de services requis pour un tel projet.

En ce qui concerne ce consortium, il nous paraît inté-ressant de s’arrêter sur deux points. Le premier corres-pond à la nature juridique des entreprises françaises qui le constituaient : elles étaient toutes des entre-

4 En France, la « Ville » constituait déjà à l’époque un objet important de politique publique entraînant, de ce fait, la mise en place de « politiques incitatives » en vue de générer des recherches sur des questions concernant son domaine.

5 Ce classement du CNED est un peu ambigu puisqu’il s’agit d’une institution nationale, mais son siège étant installé près de Poitiers sur le site du Futuroscope sa stratégie de présence relevait autant d’une stratégie régionale. À l’inverse, la stratégie de présence de France Télécom était tout autant régionale, en raison d’une organisation commerciale en directions régionales.

Page 22: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

20

prises publiques dont les préoccupations de rentabilité étaient pour le moins limitées. Le deuxième concerne sa dynamique, dynamique d’autant plus importante que le main contractor devait être obligatoirement un industriel. À l’origine Michel Hervé avait prévu que le main contractor serait Thomson à travers sa filiale Thomson broadband system. Or, au tout dernier mo-ment, cette dernière avait décidé de ne pas participer au projet, obligeant Michel Hervé de demander à Phi-lips de bien vouloir accepter le rôle. De même, Visio Co-lor qui était la filiale d’EDF devant participer au projet s’était retirée au dernier moment6.

Le projet METASA : un rôle central pour les chercheurs en sciences sociales lié à la place des « attentes sociales » dans le projetEn s’inscrivant d’emblée dans une démarche qui s’ef-forçait de puiser dans la connaissance et la méthode scientifiques un surcroit de légitimité, le projet va très vite convoquer un certain nombre de corpus sur le rôle et la place des techniques dans le changement social, sur le rôle des politiques publiques, sur l’évolution des sociétés urbaines, sur les attentes sociales. Un des rôles importants dévolus aux chercheurs en sciences sociales par les différents Consortia constitutifs du projet fut, en effet, de tisser les liens entre ces corpus éclatés, de les rendre accessibles, sous réserve d’éven-tuelles traductions (dans le sens sociologique de la « sociologie de la traduction ») aux acteurs politiques et économiques du projet. Ce rôle, à l’articulation entre la mise à jour des demandes ou des attentes sociales et de l’observation des acteurs du projet, sera parfois lourd de contradictions.

En contrepartie, le projet « Villes numériques » offrait à des chercheurs de différentes disciplines relevant des sciences sociales, autant de « laboratoires in vivo » de l’évolution vers une « société de l’information » qu’il y avait de villes partenaires. Cette place éminente ac-cordée à la recherche a eut pour effet d’intégrer les chercheurs des différentes équipes ayant pris part aux différents stades du projet dans le système d’acteurs.

6 Ces mouvements de retrait s’expliquent par la conjonction de deux phénomènes : le premier est assez structurel et caractéristique du fonctionnement français : Michel Hervé s’était directement adressé à ses « amis PDG » sans s’assurer de la bonne volonté et de l’intérêt des « directions ». Celles ci se sont donc fait un malin plaisir à montrer qu’elles n’étaient pas serviles et avaient leur « honneur » (voir Philippe d’Iribarne, La logique de l’honneur, Le Seuil). Le second est plus lié à la conjoncture, c’est le moment où Thomson, au bord de la faillite, est prêt à être vendu par le gouvernement d’Alain Juppé pour un franc symbolique et se réorganise complètement. C’est également le moment où le gouvernement français commence à engager un bras de fer avec la Commission européenne à propos de ses monopôles d’État, en particulier dans les secteurs des télécommunications et de l’énergie. C’est ainsi qu’EDF craint au dernier moment que sa présence dans un projet mettant en avant une stratégie de diversification vers le secteur de la communication, soit utilisée pour l’attaquer sur son monopôle électrique.

Toutefois, en ayant le rôle d’observer à la fois le dé-ploiement de l’action et les dynamiques sociales, les chercheurs avaient une position en partie bivalente, à la fois acteurs et observateurs. Cette position singu-lière leur a permit de disposer d’un accès total à l’en-semble des informations et des données. Elle a été, pour eux, une source considérable d’enseignements, et de façon sans doute contradictoire, elle a fortement obéré leur capacité à produire des publications scien-tifiques au-delà des « delivrables » contractuellement requis par les projets européens.

Parce que la « Ville numérique », ainsi définie, regrou-pait un projet de politique publique locale, un proto-type industriel et un laboratoire de recherche sur les usages sociaux des TIC, les « attentes » sociales qu’il s’agissait de mettre en perspective prenaient leur sens en relation avec les stratégies, les enjeux ou les intérêts des acteurs impliqués : il convenait, en effet, d’interroger les habitants des petites villes impliquées pour savoir ce qu’ils « attendaient » de l’offre munici-pale et de l’offre marchande industrielle, en matière de services urbains.

Le projet demandait donc très clairement que soient identifiées différents types d’attentes émanant des sociétés locales ou des groupes sociaux qui les com-posaient, afin d’éclairer les partenaires du projet – en premier lieu les acteurs industriels – de façon à leur permettre d’imaginer et de développer des applica-tions techniques pouvant constituer des réponses à ces attentes ou aux problèmes évoqués, par exemple à ceux liés à l’accès à différents types d’information. Une fois les applications imaginées, ce sont les services mu-nicipaux qui devaient constituer les acteurs principaux dans la mesure où ils étaient alors en responsabilité de devoir organiser la diffusion sociale des applications en question.

Cette méthodologie de projet a logiquement conduit les acteurs du projet, à partir des travaux des cher-cheurs en science sociale, à une recherche de solu-tions fonctionnelles. Le principe était qu’il devait être possible d’envisager un équipement, une application comme étant de nature à encourager ou à faciliter la fourniture de tel ou tel type de nouveau service à tel ou tel groupe ou catégorie de la société locale. Une telle démarche revenait à considérer que les chercheurs étaient en capacité de faire émerger des attentes à par-tir d’une série d’enquêtes auprès des sociétés locales, que les laboratoires de R&D des industriels étaient eux-mêmes en capacité à transcrire ces attentes en appli-cations et, enfin, que les acteurs municipaux étaient en mesure de développer les applications et de les propo-ser à leur population, soit dans le cadre de services pu-blics, soit sous formes de services marchands confiés à des prestataires de services.

Page 23: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

21

Les enseignements du projet MINDMultimédia INitiation of the Digital towns

Dans sa finalité, MIND s’inscrivait bien dans la perspec-tive globale du projet de moyen/long terme de « numé-risation » des quatre villes. En effet, il était destiné à étudier les mises en place dans un cadre participatif et expérimental de services utilisant des TIC. Ces services devaient être conçus et expérimentés par les Indus-triels du consortium de façon à permettre aux munici-palités de mieux cerner les difficultés de réalisation des projets de « création de contenus » à développer dans leur ville, ainsi que de mieux connaître les réactions des populations face à des services et à des équipements directement proposés.

Ainsi, la justification du projet était essentiellement économique. Elle correspondait au constat que, d’un point de vue micro-industriel, les équipements déve-loppés à grand frais de R&D ne produisent de la valeur pour les entreprises – des taux de retour d’investisse-ment de R&D – qu’à travers leurs usages effectifs. Elle renvoyait aux constats faits par ailleurs que ces inves-tissements, d’un point de vue collectif, ne présentaient d’intérêts réels que s’ils débouchaient sur des services utiles, parce que utilisés.

Dans son cahier des charges, MIND correspondait à la mise en place de « démonstrateurs » dans les quatre villes. Ces démonstrateurs étaient constitués par des équipements « multimédia » juste mis aux points par les industriels du consortium, pour être commerciali-sés : un « kiosque » proposé par Siemens-Nixdorf et un « télé CDI » proposé par Philips. Il correspondait égale-ment à la définition d’une « maquette » d’architecture de « réseaux locaux » destinés à relier des équipements en place et à servir de structures d’accueil à des équi-pements nouveaux, dans une perspective de « mutua-lisation » possible d’un certain nombre d’entre eux. Cette maquette devait être faite par Thomson Syseca, également présent dans METASA. La participation les chercheurs en sciences sociales au projet avait comme intérêt de regarder les processus d’implantation de ces démonstrateurs par les industriels concernés, en vue de permettre la fourniture de « services locaux ». Elle avait également comme objectif de regarder les moda-lités d’usage de ces équipements par les populations, de façon à tester les conditions « d’ouverture de mar-chés ».

Du point de vue des acteurs participants au projet, si les deux sous consortium des villes et des chercheurs étaient identiques au précédant, le sous consortium des industriels était beaucoup plus ramassé, puisque ramené à trois acteurs : Philips, Siémens-Nixdorf et Thomson-Syseca. Cependant, compte tenu de la nature du projet, les configurations internes à ces consortia étaient plus complexes puisqu’il s’agissait de s’associer pour expérimenter des contenus dans les quatre villes :

ainsi la ville de Parthenay était-elle amenée à mobiliser ses « espaces numérisés » et ses « équipes locales d’édi-tion », de même que Siemens-Nixdorf Corporate était amené à mobiliser plus fortement Siemens France.

Les difficultés rencontrées par les industriels pour mettre leurs équipements à la disposition des « ci-toyens-usagers » de façon à leur permettre d’expéri-menter des productions de contenu, ont en quelque sorte validé l’hypothèse critique du projet « Villes nu-mérisées » par rapport aux démarches traditionnelles des industriels en matière d’innovations technolo-giques à destination du grand public. De même on peut dire que les résultats de MIND ont permis de donner du crédit aux craintes initialement exprimées par les po-pulations dans le projet METASA. Ces craintes étaient de voir les Industriels leur proposer des technologies dont les mérites dans l’abstrait seraient élevés, mais dont les conditions concrètes de mise en œuvre se-raient sources de déboires, en raison de décalages entre des « promesses » faites et des réalités. En effet, à des degrés divers, dans toutes les villes, les deux in-dustriels fournisseurs d’équipements supports de nou-veaux services ont eu du mal à mettre ces équipements à disposition des populations dans des conditions satis-faisantes, c’est à dire permettant aux populations des villes de s’organiser pour produire les prototypes de services attendus dans les délais voulus.

À défaut d’apporter des informations sur des résultats du travail de production des acteurs mobilisés pour innover, MIND a apporté des informations précieuses sur les processus de production de ces innovations.

Page 24: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

22

En effet, c’est probablement par rapport à la compré-hension des causes des difficultés collectivement ren-contrées pour atteindre les objectifs opérationnels af-fichés dans le cadre du projet que les apports de MIND ont été les plus importants. Il a en particulier permis de montrer que les causes de ces difficultés devaient être recherchées dans des sources variées, aussi bien tech-nologiques que procédurales, liée aux conditions de mise à disposition des équipements. Il a également per-mis de montrer que si chacune de ces causes, en elles mêmes, ne paraissent pas majeures, elles étaient sus-ceptibles, additionnées, de produire des catastrophes.

Une incapacité des grandes entreprises pourvoyeuses d’équipements à s’organiser convenablement pour répondre à leurs objectifs

Conformément au cahier des charges de MIND, les grandes entreprises sont arrivées avec des techno-logies qui correspondaient à une génération don-née d’un point de vue opérationnel. Mais elles ont eu tendance à vouloir les « faire briller » pour encore mieux convaincre, en leur donnant des propriétés qui n’étaient vraiment opérationnelles que pour des équi-pements correspondant à des développements en cours. Procédant à un effet « d’annonce », elles ont plus ou moins « vendu » des équipements « prototypes » non immédiatement disponibles, ou non maîtrisés par ceux qui étaient chargés de les implanter sur le ter-rain. Elles se sont donc trouvées prises à leur propre jeu dès lors que leurs « clients/utilisateurs » ont exigé le maximum des performances théoriques annoncées. Cela a été tout particulièrement vrai autour du carac-tère « non propriétaire » des équipements, l’enjeu étant de savoir s’il était possible ou non de se placer dès le départ dans des logiques « d’Internet ».

De façon non moins classique, elles ont eu du mal à présenter leurs équipements dans des conditions susceptibles de favoriser leur appropriation par les utilisateurs destinés à produire des « contenus ». Bien qu’étant sur des marchés européens voir mondiaux, elles se sont présentées dans leur nationalité d’origine ou, au mieux, comme internationales anglophones, sans être capable de « nationaliser » convenablement leurs prestations. De façon plus directe, elles ont pré-senté leurs produits dans leur langue d’origine, ou en

anglais, mais pas dans les langues locales. Cela signifie, de fait, qu’elles ont considéré qu’il appartenait à l’utili-sateur d’aller au constructeur et non l’inverse.

Pour pallier à cet inconvénient initial, deux possibilités leurs étaient offertes. La première était de disposer d’un correspondant national ou local susceptible de faire le relais de proximité. Encore fallait-il que le corres-pondant soit convenablement relié à la maison mère et qu’il connaisse suffisamment bien le projet pour pou-voir intervenir de façon pertinente. La seconde était de disposer d’ingénieurs-commerciaux capables de faire le travail de « mise à disposition ».

La première solution n’a été que partiellement utilisée. La seconde l’a été assez mal, d’autant plus mal semble-t-il que la distance en temps de transport par rapport à la base de l’intervenant était grande. Un problème plus important encore a été celui de la stabilité des ingé-nieurs-commerciaux présents dans les projets de ville, ainsi que leur connaissance et leur compréhension des projets, et la passation des consignes entre eux. Il ap-paraît que, plus les intervenants ont été nombreux, et plus l’incompréhension du projet a été forte. En par-ticulier, certains interlocuteurs n’ont pas su se situer dans une position intermédiaire entre un partenariat de développement et une logique strictement mar-chande, client-fournisseur. La grande instabilité et les lacunes d’organisation en la matière suffisent à limiter les accusations d’incompétence qui ont pu être formu-lées, ça et là, à leur encontre. Elle ne disculpe pas, ce-pendant, des défauts de résultats.

Il ressort très clairement de MIND que les grands groupes industriels fournisseurs de technologies ont eu énormément de mal à appliquer leur propre slogan commercial think global, act local. Cette situation n’est pas propre aux groupes concernés. Elle reste, de fait, dominante. Cependant elle est particulièrement dom-mageable lorsqu’ils se rapprochent de la fourniture de services. Plus précisément, on voit bien que les grands industriels se sont placés dans une situation d’insuffi-sante universalité technologique en présentant des systèmes de fait propriétaires et, dans une situation de trop grande généralité de services, en présentant leur produit singulier comme universel, sans s’organi-ser pour les adapter en « sur-mesure ». MIND a donc révélé qu’ils n’avaient pas les structures organisation-nelles à la hauteur de leurs ambitions légitimes, et qu’ils n’avaient pas su les mettre en place, même à titre expérimental.

Des jeux ambigus de la part des « Villes » partenaires

L’incapacité de s’organiser en conformité avec les be-soins n’a pas été le problème exclusif des trois grands groupes industriels. On a trouvé des situations assez équivalentes pour les villes, sachant que dans ce cas,

Page 25: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

23

il a fallu distinguer les mairies des autres acteurs de la ville.

Face à une situation technologique particulièrement mouvante, en particulier, face à la monté rapide de la logique « Internet », certaines d’entre elles ont poussé au maximum, en cours de projet, vers la logique non propriétaire et vers l’adoption de protocoles « TCPIP ». Dans cette perspective, elles ont fait comme si les four-nisseurs s’étaient formellement engagés à leur fournir les équipements voulus à cette norme, et à défaut, ont pu considérer « qu’étant le payeur », elles avaient rai-son, même si cette posture pouvait correspondre à une interprétation douteuse du cahier des charges formel, initial.

Il est certain que ce type de position a été d’autant plus facile à tenir que le cahier des charges initial était im-précis et que les fournisseurs d’équipements avaient pu être ambigus dans leurs présentations. Il est égale-ment certain que ces demandes étaient d’autant plus légitimes que, par rapport à la situation qui existait au moment de la conception du projet « l’état de l’art » s’est très rapidement déplacé vers une logique « Inter-net » alors que le projet a tardé à se mettre en place. Pour bien faire, il aurait donc du y avoir très tôt, un ar-rêt et une remise à plat du projet entre les partenaires, pour l’adapter à la nouvelle situation et pour exami-ner les implications que sa redéfinition aurait, tant en termes techniques que de coûts ou de délais, en parti-culier pour les Industriels.

Les Villes ont pu être d’autant plus poussées à tenir cette position qu’elles ont adopté des dispositifs « d’élaboration de contenus », relativement participa-tifs, c’est-à-dire mobilisant une population élargie sur les deux applications. Dans ce cas, les concepteurs de contenu ont vite eu du mal à accepter la contrainte de « refaire deux fois les mêmes choses » pour des contraintes techniques, sous le prétexte que les équi-pements étaient « propriétaires ». Il y ont vu une absur-dité d’autant plus forte que le développement d’une « ambiance Internet » était en voie d’affirmation, et qu’ils étaient « néophytes » en termes de technique: dans ce cas, les contraintes techniques ne sont pas connues, et ne veulent pas être connues.

Leur position a également été dépendante de la pré-sence sur leur territoire et dans leur mouvance, de PME pourvoyeuses de services, dont l’expertise à été mobi-lisée à leur profit. Leur jeu d’acteur au sein du projet MIND est également intéressant à prendre en compte en relation avec ceux des municipalités. En effet ces PME sont apparues détentrices de projets propres liés à leur propre histoire, plus ou moins compatibles avec les orientations intrinsèques du projet MIND, et à la limite plus ou moins concurrents avec les projets que pouvaient avoir les grands groupes, sur les sites. En d’autre terme, ces PME placées en interface entre les grandes entreprises et les municipalités, ont pu plus ou

moins facilité la résolution de problèmes en fonction de leur propre position dans les processus de décision et de leur propre posture par rapport à la technique.

On retrouve là une situation de plus en plus fréquente dans les grands projets technologiques, où les acteurs industriels se trouvent dans des situations structurelles non pas de coopération, mais de coopération-concur-rences, et cela d’autant plus que les perspectives de va-lorisation sont proches. La tentation, alors, est grande, pour le « partenaire/client » de se positionner dès la réalisation du projet, dans une posture de mise en concurrence plus ou moins explicite des partenaires/fournisseurs, pour obtenir leur « docilité » par rapport à ses exigences.

Ainsi s’explique pourquoi, dans des projets de R&D, les questions de « confiance » entre partenaires ont très vite émergées, bien au delà des purs problèmes techniques. De fait, dès ce stade, les enjeux principaux étaient économiques. Les questions posées pour les industriels étaient celles des taux de retour potentiels directs sur les sites, des investissements de R&D faits dans le cadre du projet. Il est clair que des durées de un an pour un projet sont dérisoires par rapport aux délais de retour sur investissement, et on comprend bien pourquoi les industriels ont cherché à obtenir des accords de développement plus longs avec une mise en place de logiques commerciales en vraie grandeur, de façon à limiter les risques de voir les dividendes de leurs investissements, touchés par d’autres.

Enfin, les municipalités elles même ont pu mettre en place des dispositifs de pilotage ou de désignation

Carte de vie quotidienne, permettant l’accès à crèche, la cantine scolaire, la médiathèque, etc.

Page 26: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

24

de correspondants, plus ou mois complexes, plus ou moins stables et plus ou moins efficaces en terme de technique, facilitant ou non, suivant les solutions rete-nues, les tâches de régulation entre les partenaires. Il est certain que de ce point de vue, la multiplication des interlocuteurs et la faiblesse de leur technicité, n’a pu que compliquer les choses : qui était en charge de quoi à un moment donné et avait le temps de s’en occuper réellement compte tenu des charges de travail qu’il avait par ailleurs ? Qui avait la capacité réelle de déci-sion au regard de sa capacité théorique, compte tenu des répartitions réelles de pouvoirs ? Autant de ques-tions bien connues dans la problématique des tensions entre logiques décentralisées et logiques centralisées, auxquelles MIND n’a pas pu échapper.

Des mises en relations défaillantes au sein des projets de villes

On comprend ainsi pourquoi le projet MIND a présen-té, en quelques sortes, une série de problèmes en cas-cades. Ces problèmes permettent, en particulier, d’en-trevoir une question intéressante en matière de R&D sur les rapports que peuvent entretenir des compé-tences techniques et des compétences commerciales autour de la combinaison technologie/services basés sur ces technologies. Il ressort très fortement du projet que la solution à des problèmes fondamentaux expri-més en termes de services rendus aux usagers, comme la possibilité de rentrer en une seule fois une informa-tion quels que soient les systèmes, renvoie à des pro-blèmes de compatibilité entre des équipements, qui eux même ne peuvent être résolus que par un dialogue extrêmement technique entre des « experts » connais-sant très bien les matériels et leurs spécificités : telle génération de matériel en telle version comprend tel composant à partir duquel il est réellement possible d’établir une connexion « efficace », avec tel autre ma-tériel de telle autre génération correspondant à telle série. Ainsi apparaît à nouveau le poids et les méfaits des logiques techniciennes dominantes et ceci pour les entreprises fournisseur d’équipements.

Les considérations sur le déploiement du projet ME-TASA permettent de comprendre pourquoi, au sein de MIND, ces problèmes se sont posés différemment dans les quatre villes : les situations diversifiées résul-taient de « constructions systémiques d’acteurs terri-torialisés » qui étaient différentes. Elles résultent des différences entre les modalités de construction de ces acteurs et dans leur mise en relations. Ainsi se justifie, à nouveau, le choix retenu d’une approche territoria-lisée du développement des TIC. En la matière, plus les industriels ont été proche de leur pays d’origine, plus ils ont eu affaire à des municipalités qui se sont tenu au cahier des charges initial, mettant en place des dispositifs simples et stables, acceptant des logiques techniques et se dotant de moyens pou cela, et plus les résultats de MIND ont été proches des attentes ini-

tiales, les problèmes de régulation se trouvant limités et parvenant à être résolus.

On peut dire qu’à l’inverse, plus les industriels ont été éloignés de leur bases d’origine et plus les municipa-lités ont « interprété » le cahier des charges en le dis-tordant par rapport à la technique au nom du carac-tère premier du « service à rendre » aux populations, et au nom des avis locaux correspondants, et plus le projet MIND a connu des difficultés de réalisation et de régulation, les résultats étant alors plutôt décevants. Le paradoxe apparent est donc que les difficultés de réalisation du projet ont été les plus grandes, et les ré-sultats ont été les moins bons, là où sont apparues les logiques d’innovation les plus fortes, et donc les plus porteuses d’avenir.

Une conduite de projet déficiente par rapport aux besoins

Les dernières leçons que l’on peut tirer du déroulement de MIND concerne le conduite de projet et d’organi-sation des principaux acteurs : MIND apparaît comme une illustration très « pure » de ce qui peut être dit sur les conduites de projet de R&D et sur les limites du mo-dèle de « l’ingénierie » pour leur pilotage. Il apporte sur ce sujet, une série d’enseignements extrêmement précieux tant pour les entreprises que pour les munici-palités et pour la Commission, qui mériteraient d’être convenablement valorisés.

Par opposition à METASA pour lequel les enjeux indus-triels étaient éloignés, ce qui facilitait les coopérations et pour lequel il y a eu un « bon esprit » autour d’une équipe projet à forte cohésion, MIND s’est trouvé dans un environnement beaucoup moins favorable avec, comme on l’a vu, des fortes tensions entre les acteurs. Il en est résulté une situation délicate pour la conduite du projet qui s’est incontestablement traduite par un déficit de régulation dans le pilotage de MIND, à tous les niveaux et avec tous les acteurs. En fait il n’y a pas eu à proprement parler, de « chef de projet » au sens où nous l’avons précédemment évoqué. Il n’y a pas eu non plus de mise en place d’une véritable structure collective, à même de jouer ce rôle non seulement de pilote mais d’arbitre décisionnel. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu régulation et concertation dans le pro-jet, et que le steering committe n’a pas joué son rôle.

Page 27: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

25

Cela signifie simplement, qu’en dépit des précautions qui ont pu être prises, les exigences de régulation ont été fortement sousestimées et que les palliatifs mis en place sous forme de régulations plus personnelles, ont été insuffisants pour résoudre certains problèmes rencontrés7.

Il en a résulté de façon classique, une dérive par rap-port aux objectifs annoncés et des tensions plus im-portantes que la normale dans les projets de villes. Ces tensions ont été directement liées à la capacité à résoudre de façon satisfaisante, les problèmes ren-contrés. Cependant, il apparaît très clairement que les causes des problèmes ont été variables selon les par-tenaires et leurs implications dans les projets de ville8.

Le consortium des villes

Comme dans METASA et MIND, il était composé de quatre villes, mais avec une ville italienne, Casale, qui remplaçait la ville espagnole, Arnedo. Le poids de ce consortium des villes se voit singulièrement renforcé par la présence de fournisseurs de services de diverses natures et qu’elles mobilisent sous la forme d’Asso-ciated Contractor ou de Sub Contractor.

Le consortium des industriels

Parmi les grandes entreprises, Siemens Corporate est devenu le Main Contrator à la place Philips qui n’était plus que son Associated Contractor. Finsiel et Micro-soft Europe sont devenu co-contractor, le premier se focalisant sur le cas italien tandis que le second était appelé à joué un rôle technique central puisque devant fournir, dans chaque ville, la plateforme technique et les logiciels pour développer les applications. France Télécom, compte tenu de ce que la mairie de Parthenay attendait de lui dans sa ville, conserva sa place comme co-contractor et devait intervenir transversalement dans le projet pour la confection des business plans. Au même titre que le CNED, EDF devint Associated Contractor de la ville de Parthenay, avec comme objec-tif d’y créer une cyber agence EDF/GDF.

Le consortium des chercheurs

Cette fois-ci, il était géré par le CNRS (co-contractor), mais restait dans sa configuration de base avec le même « coordinateur scientifique » et les mêmes deux équipes universitaires de Toulouse et Stuttgart (Asso-ciated Contractors), auxquelles vint s’ajouter, à la de-mande de la ville de Torgau, une équipe allemande de

7 De ce point de vue, la manière habituelle de Michel Hervé de travailler par délégation sans s’impliquer lui même, n’a pas fonctionné dans le bon sens. En effet, il a largement laissé celui auquel il avait délégué la gestion technique du projet, se débrouiller avec des questions plus politiques alors qu’il n’en avait pas la légitimité.

8 Ces difficultés de pilotage de gros projets européens de développement associant de nombreux acteurs, variés dans leurs métiers et souvent rivaux dans leurs objectifs, ne sont pas propre à MIND. On les retrouve souvent.

l’université de Leipzig. De plus, après des tractations difficiles avec Finsiel et la ville de Casale, le consor-tium fut rejoint par une équipe de l’université de Tu-rin. Toutefois, cette dernière eut le statut d’Associated Contractor de la ville italienne ce qui ne fut pas fait pour simplifier les choses.

Le fonctionnement d’IMAGINE :un management délicat qui va demander du doigter

Par opposition aux avatars qu’avait connu METASA lors de son processus de sélection, on peut dire que, pour IMAGINE, le processus correspondant s’est passé dans de bonnes conditions, le problème principal rencontré ayant été financier : celui du niveau budgétaire accep-table pour la Commission au regard des demandes initiales et celui du type de dépenses éligibles dans le cadre du projet, en particulier les dépenses d’équipe-ment. Le projet a donc été accepté pour une durée de trois ans avec un démarrage au 1er janvier 1998 et un achèvement le 31 décembre 2000.

Avec son passé liée à l’histoire des projets précédents, avec son nombre élevé de participants et leur grande hétérogénéité, avec l’existence de grandes zones de concurrence et de fortes divergences d’intérêt entre les participants au delà de leurs communautés d’inté-rêts, enfin, avec le poids des enjeux économiques sous-jacents à sa réalisation, IMAGINE s’est rapidement avéré difficile à piloter pour le « project leader » : ce-lui-ci, extrêmement rigoureux, formé au management des grands projets techniques industriels, s’est trouvé confronté aux incertitudes comportementales assez caractéristiques de ce type de projet9. C’est pourquoi, auprès de lui, le steering committee a été rapidement amené à jouer un rôle essentiel en tant que lieu de ré-gulation des conflits et d’ajustement des positions.

• Le fonctionnement des industriels

On a vu que, dès la constitution du consortium, le jeu des industriels a été marqué par cette situation de coopération/concurrence. C’est ainsi que très vite, les antagonismes se sont confirmés à deux niveaux : entre les grands groupes industriels et, surtout, entre ces groupes et les PME. Pour les premiers, il s’est agi de bien marquer leur territoire à venir. Cela a été tout particulièrement le cas de Finsiel qui, très actif dans la régulation centrale, a entendu bien garder le contrôle de tout ce qui se passait en Italie, tout en se disant qu’il pouvait y avoir des choses intéressantes à glaner chez

9 Nous aurions envie de saluer ici, sa nette évolution en cours de projet : désespérant en quelque sorte de discipliner quelque peu ses troupes au regard de ce qu’exigeait le management d’un tel projet, conscient qu’il ne disposait en définitive que de peu de moyens coercitifs pour obtenir le respect des engagement aussi bien techniques que comptables qui avaient été pris, il a peu à peu était amené à prendre une posture plus distanciée et humoristique qui, de notre avis, a été autrement plus efficace que ce qu’il aurait pu obtenir en s’en tenant à l’orthodoxie.

Page 28: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

26

les autres10. À ce jeu, Philips abandonne en fin 1998, de même que le CNED. Pour les seconds, il s’agissait de préserver leur propriété intellectuelle dans le cas d’une commercialisation des résultats. En fait, leur crainte était focalisée sur Microsoft qui avait emporté la ba-taille des standards pour les logiciels au nom de la dif-fusion à venir des applications.

Ces antagonismes se sont cristallisés lors de l’élabo-ration du projet de Memorendum of understanding (MOU), qui, en dépit de multiples va et viens, n’est pas parvenu à donner satisfaction à tous les protago-nistes. C’est pourquoi, faute de parvenir à une entente, les membres du consortium décidèrent que toutes les productions d’IMAGINE seraient la propriété collective du consortium durant sa période de réalisation et que la répartition des droits se ferait in fine.

• Le fonctionnement des villes

Les tensions qui concernaient le sous consortium des villes étaient moins entre les villes qu’entre telle ou telle d’entre elles et les autres partenaires du consor-tium. Une distinction doit cependant être opérée entre ce qui relève des régulations globales que nous évo-querons ici, et des régulations locales liées à la conduite du projet dans chaque ville.

Globalement, une tension est rapidement apparue entre l’ensemble des villes et les industriels fournis-seurs d’équipements – en particulier Microsoft – au-tour de la question de savoir si les équipements mis à la disposition des villes dans le cadre du projet devaient être facturés aux villes ou s’ils constituaient des ap-ports en nature, faits au projet par les industriels. En dehors de ce point, on ne peut pas dire qu’il y ait eu un front commun des villes. Il a plus eu des modes de par-ticipation des maires au steering committee qui ont re-flété des variétés de styles d’engagement et, surtout, différentes visions du projet.

Ainsi, encore plus que pour les deux projets précé-dents, le maire de Parthenay a incontestablement joué en la matière un rôle central. Tirant les ficelles dans une perspective stratégique au service de l’esprit du projet, il a été constamment tenté d’en remodeler les contours aussi bien que le rôle des participants11. Se faisant, vis-à-vis de l’extérieur, le meilleur porte parole à travers la publicité faite à son projet de ville, il entendait, à l’in-térieur, avoir un taux de retour substantiel de ses in-vestissements médiatiques. C’est ainsi qu’affirmant la supériorité de son projet de ville sur le projet IMAGINE

10 Finsiel a été d’autant plus actif dans la régulation globale du projet qu’au moment de sa préparation, il avait été au centre des tractations susceptibles d’en faire la « solution de rechange » à Siemens comme Main Contractor au cas où les exigences de ce dernier, pour accepter de jouer ce rôle, auraient été jugées trop élevées.

11 C’est ainsi qu’une des TPE de la ville, ARGIA , tombée en disgrâce, abandonne le projet en fin 1998. De même, pour des raisons d’opportunité, il fait intervenir, sur sa ville, d’autres chercheurs que ceux du consortium.

qui n’était pour lui qu’un moyen, après d’autres et par-mi d’autres, de le réaliser, il s’est senti peu lié par la lettre de son contrat. De même, il attendait des grands industriels qui participaient au projet, qu’ils effectuent à leurs frais des investissements dans sa ville en contre-partie de l’apport de la plateforme d’expérimentations sociales que représentait sa ville. Enfin, tout en ayant joué en faveur de Microsoft au nom de sa puissance industrielle et de sa capacité à valoriser un modèle éco-nomique, il appuyait, à l’inverse, les revendications des « petits », au nom de la créativité et du développement des territoires.

Face à l’activisme stratégique de l’élu parthenaysien, on peut dire qu’autant dans le projet que dans sa ville, le maire de Weinstadt est apparu comme le tenant d’une grande modération et stabilité vis-à-vis des en-gagements pris, respectant à la fois la lettre et l’esprit. Alors qu’au départ, à l’époque de METASA, il avait plutôt été conduit à faire participer sa ville au projet « villes numérisées », par amitié pour le maire de Par-thenay, il en devient avec IMAGINE un acteur essentiel, moteur. C’est ainsi que sa ville a joué le jeu d’une stra-tégie d’accumulation à moyen terme à travers des pro-cessus d’apprentissages dont le développement des applications retenues constituait le support. La ville, à travers ses acteurs, participait donc pleinement au pro-jet, mettant ses développements à la disposition des autres, en particulier de la ville de Casale, tout en ayant une position de pointe dans la défense de la propriété intellectuelle des PME, face aux grands groupes.

Le maire de Torgau, quant à lui, a gardé sa position de suiveur. Peu présente dans la régulation globale du projet, la municipalité, bien encadrée par Siemens et s’appuyant sur son système local d’acteurs, a joué son jeu de développement local qu’elle entendait bien contrôler.

Enfin, la mairie de Casale fut très peu présente dans le projet auquel elle participait moins par conviction qu’en raison des circonstances. Support de Finsiel qui était venu dans le projet par un opportunisme lié à sa propre stratégie de développement appuyée sur des partenariats avec les collectivités territoriale, la ville n’est pas apparue comme un lieu moteur dans la production de nouvelles applications à travers une mobilisation des ces « citoyen-usagers ». Traînant des pieds, elle a préféré se contenter d’utiliser des logiciels développés par ailleurs, les aides européens venant en quelques sortes soutenir des activités qu’elle aurait aussi bien pu mener sans le soutien du projet.

• Le fonctionnement des chercheurs

Très rapidement, le dispositif retenu pour les cher-cheurs avec trois des équipes en position de « contrac-tant associé » au CNRS s’est avéré intenable du point de vue gestionnaire en raison des règles de gestion et

Page 29: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

27

en l’absence des supports administratifs voulus12. Il a donc été décidé, dès juillet 1998, que ces équipes de recherches deviendraient des « contractant associés » des villes avec lesquelles elles travaillaient, sur le mo-dèle retenu pour Casale. Un tel basculement est venu créer, vis-à-vis des villes, un lien formel de dépendance des équipes de recherche.

Dans le travail des chercheurs, une distinction doit être faite entre les activités relevant des deux enquêtes sur les usages de 1998 et 2000 et celles qui ont concerné les observations des dispositifs de mobilisation des ci-toyens-usagers pour coproduire des services. Dans le premier cas, les équipes qui travaillaient sur Parthenay et Weinstadt, ont bénéficié du fait d’avoir déjà coopéré dans le cadre des projets antérieurs ainsi que du sou-tien actif des villes très intéressées par ces enquêtes. La situation a été plus délicate concernant la seconde équipe allemande qui arrivait dans le projet avec un in-térêt limité de sa ville pour ce type d’enquête et dont les fondements scientifiques étaient plus éloignés des autres13. Elle l’a été encore plus concernant l’équipe ita-lienne qui, faute de ressources, n’a pas pu débuter son travail comme prévu et en temps voulu14.

En dépit de ces difficultés, les équipes de recherche ont pu réaliser les deux enquêtes dans les délais vou-lus. Par contre, des insuffisances d’homogénéités tant dans leur définition que dans leur traitement, ont ré-duit les comparabilités statistiques des résultats aussi bien entre les deux enquêtes et qu’entre les villes15. Dans le deuxième cas, suivant une situation assez voi-sine de celle qu’ils avaient rencontrée dans MIND, la multiplication des retards, d’abord dans l’installation

12 Cette situation est en grande partie résultante des coupures budgétaires réalisées dans le projet. Dès lors, l’équipe du CNRS, support du « coordinateur scientifique », n’avait plus les ressources administratives suffisantes pour assurer les tâches voulues de gestion. On peut signaler, à ce propos, que ces difficultés gestionnaires ont tout autant été le lot commun des chercheurs français gérés par leurs universités. C’est ce qui explique pourquoi, pour les deux premiers projets, il avait été demandé à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme, en dépit de sa localisation parisienne, de bien vouloir servir de support juridique à la participation des chercheurs, en raison de son statut de fondation.

13 La responsable de l’équipe avait en effet, une formation de psychologue suivie à l’université de Moscou.

14 Il a en effet fallu mener de longues tractations pour que la ville et Finsiel admettent que, comme il était prévu dans le contrat, ils assurent les charges budgétaires de l’équipe. Or celle-ci était d’autant plus dépendante que, supportée par une coopérative fonctionnant en sous traitante, elle n’avait de trésorerie lui permettant d’avoir des avances de paiement. La réduction des moyens et le retard pris a fait que l’équipe italienne n’a pas pu faire l’étude structurelle rapide de la ville qui avait pu être faite dans les autres villes lors de la préparation de METASA, rendant de ce fait plus difficile, la constitution des échantillons d’enquête.

15 Cette situation a en grande parti résulté du fait que les chercheurs français ont eu du mal à se plier à une discipline collective, ce qui aurait du être contrebalancé par un contrôle beaucoup plus poussé du coordinateur scientifique.

des platesformes techniques dans les villes, puis dans la mise en place des dispositifs de production d’appli-cations, a fait que les chercheurs n’ont pas eu grand chose à rapporter.

Un enseignement pour les chercheurs : la nécessité de légitimer des pratiques évoluées de production de connaissancesUn dernier enseignement qui peut être intéressant à tirer des trois projets concerne la manière dont les chercheurs en sciences sociales, au coté des ci-toyen-usagers, ont été mobilisés – convoqués ? – par les deux autres ensembles d’acteurs des projets – les villes et les industriels – pour innover et produire des connaissances nouvelles, ainsi que les conséquences qui en découlent pour leurs pratiques et compétences professionnelles16.

En premier lieu, il ressort nettement de la réalisation des trois projets, qu’en dépit de la place pleine et en-tière qui leur a été faite et des rôles importants qu’ils ont été amenés à jouer en faveur de leur bon déroule-ment, les chercheurs en sciences sociales ont constam-ment dû faire la preuve de la pertinence de leur pré-sence dans les projets, moins au regard de leurs fina-lités globales qu’au regard des finalités spécifiques à chaque des acteurs. Cette perspective d’instrumen-talisation des chercheurs a été particulièrement per-ceptible lors du passage de METASA à IMAGINE, c’est à dire lors du passage d’un projet à finalité de R&D à un projet plus strictement tourné vers le « développe-ment ». Il ressort, non moins nettement, qu’en dépit de la bonne volonté de tous, l’élection du citoyen-usager au titre de co-concepteur de nouveau service, donc sa pleine participation à des processus d’innovation, est constamment venu buter sur des problèmes concrets qui ont largement annihilé les bonnes intensions de départ.

Il est également certain que ces types de projets, de par leur caractère éminemment appliqué, posent aux chercheurs en sciences sociales relevant de l’acadé-misme, un problème de positionnement profession-nel d’autant plus important et intéressant à souligner qu’ils correspondent au modèle de pratique de re-cherche en cours de diffusion. En effet, au modèle dit de la big science qui avait prédominé dans l’après guerre avec la physique nucléaire et corpusculaire, est entrain de se substituer le modèle interactionniste dit, pour simplifier, « de Gibbons 2 » qui, a une vision en cascade de l’innovation qui découlerait de la science vers la technique et de la technique vers les produits industriels, substituerait un modèle qui ferait naître les innovations au cœur de dispositifs complexes d’inte-ractions entre des connaissances cognitives savantes

16 On retrouve là des questions qui, à l’origine, concernaient plus spécifiquement la recherche action et qui, aujourd’hui, s’étendent à des champs de recherche de plus en plus larges.

Page 30: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

28

et des connaissances appliquées, profanes, et encrées dans des pratiques d’usages.

On voit bien à travers les difficultés qu’ont rencontrées les chercheurs en sciences sociales dans la conduite de leurs tâches au sein de ces projets, qu’un position-nement professionnel sur ce type de projet, tout en allant dans le bon sens dans les principes, pose des problèmes redoutables pour eux de compétences pro-fessionnelles. Du point de vue de leurs compétences, de telles recherches, menées en partenariat élargi sur des objets en émergences, supposent des capacités de dialogues intégrateurs et d’innovation dans les dispo-sitifs d’investigation qui renvoient d’un coté à la domi-nation de pratiques interdisciplinaires et de l’autre à la domination de pratiques d’écoutes et de travail avec des « non scientifiques » : la définition des objets et des méthodes de recherche sortent ainsi des laboratoires pour entrer dans la société. Elles supposent également des capacités et des possibilités gestionnaires de prise de risque. Cela est particulièrement vrai pour la publi-cation des résultats dans des domaines où, comme ceux qui concernent la société de l’information, les vi-tesses d’évolutions factuelles sont fortes et les enjeux autour des productions de connaissance sont forts sur les trois plans : descriptifs, interprétatifs et normatifs17.

17 On rappellera que le descriptif « met en forme », l’interprétatif « donne du sens » et le normatif dit si c’est bien ou mal.

Dans un même esprit, un tel projet pose des questions intéressantes sur d’évaluation des pratiques profes-sionnelles des chercheurs. Cette évaluation renvoie tout particulièrement à un arbitrage de l’usage de leur temps entre la mobilisation des acteurs élargis, en par-ticulier les citoyen-usagers, et la régulation des conflits les concernant ; la réalisation de la recherche elle-même ; la valorisation économique et sociale de ses résultats et les publications scientifiques. On voit bien que la participation à de tels projets suppose en corol-laire que l’évaluation des pratiques professionnelles des chercheurs évolue de telle sorte qu’elle s’harmo-nise avec les attentes formulées. Dans le cas contraire, il est logique qu’en dépit de son importance tant éco-nomique que sociale, les chercheurs n’investissent pas ce champs nouveau de production de connaissance, à la hauteur des enjeux qui lui sont associés, ou l’inves-tisse suivant des pratiques académiques standard qui limitent l’intérêt de leurs productions18. Il en résulte une nécessité de légitimer des renouvellements dans les pratiques de production de connaissances.

18 Sur ces questions de déplacement des modèles de recherche et les conséquences sur l’évaluation des chercheurs on pourra se reporter à M. Gadille et A. d’Iribarne, communication au Colloque triple hélice Copenhague 2002 ; et A. d’Iribarne, la gestion des chercheurs au CNRS, colloque PMP, Strasbourg 2003.

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, experts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et innovations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuaji-malpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont béné-ficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 :Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition :Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS-UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Alain d’IRIBARNEAlain d’Iribarne a été administrateur de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (MSH), à Paris.Directeur de recherche au CNRS et docteur d’État en sciences économique, il a effectué une double carrière comme chercheur interdisciplinaire sur le fonctionnement des

entreprises et comme gestionnaire de la recherche en sciences humaines et sociales. À ce titre, il a été successivement chef de département au Centre d’étude et de recherche sur les qualifications (CEREQ), directeur du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST/CNRS), directeur du Programme interdisciplinaire de recherche sur les technologies, le travail, l’emploi et les modes de vie (PIRTTEM/CNRS), directeur du département scientifique des Sciences de l’Homme et de la Société du CNRS. Il a exercé en outre des activités d’enseignement à l’université, ainsi que d’expertises et de conseils tant auprès de grandes entreprises que d’institutions publiques nationales et internationales.

Contact : [email protected]

Page 31: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

L’application UbiLoop permet la déclaration d’inci-dents par des citoyens auprès des services de la voiries d’une collectivité, par le biais de son smartphone et de la géolocalisation du problème rencontré in situ. Cet outil a été testé lors d’une expérimentation entre fin 2011 et début 2013 dans la commune de Toulouse.

Introduction : de la nécessité d’une enquête en sciences socialesLa procédure d’enquête est utilisée quand, dans un do-maine donné, on se trouve confronté à une situation d’incertitude quant aux causes d’un état de chose. De ce fait on est amené à poser des questions, souvent à des personnes, pour inventorier leurs opinions, leurs pratiques, leur situation, leur passé. De ce vaste coup de filet sans hypothèse préalable, on espère tirer des explications sur les phénomènes en cause.

L’expérimentation Ubiloop pose des questions concer-nant l’acceptabilité du dispositif, tant du point de vue technique (facilité d’utilisation et de pénétration de la technologie auprès de la population), que du point de vue acceptabilité et éthique individuelle. Enfin la rela-tion de l’administré à la collectivité (élus et agents) est également interrogée par le dispositif.

L’enquête est une méthode de recherche, une dé-marche scientifique visant à collecter des informations de manière systématique à l’intérieur d’une population donnée pour décrire, comparer ou expliquer les objets ou phénomènes individuels ou sociaux étudiés. L’en-

quête est ici une « méthode », c’est à dire un « corps de principes, ensembles d’opérations présidant à toute recherche organisée permettant de sélectionner et de coordonner les techniques mises en œuvre pour atteindre un ou plusieurs objectifs » (Grawitz). Pour mener cette enquête, nous nous sommes appuyés sur un ensemble de dispositif hybrides afin de palier l’ab-sence de recul lié à une technologie et un processus non achevé.

L’explicitation s’accompagne de la réflexivité. En effet ces éléments doivent être analysés en rapport à leur origine, leurs conséquences, les moyens mis en œuvre pour en assurer le contrôle, leur rapport à la théorie et la pratique. Ce travail représente le processus perma-nent d’auto-analyse critique du travail du chercheur.

Concernant Ubiloop en particulier, il a été important de s’interroger sur les conditions de production de l’expérimentation, dans un contexte lié aux particu-larités locales : territoire de l’expérimentation, condi-tions de mise en pratique, freins et contraintes liés aux contexte. Enfin la position particulière du chercheur de cette enquête a été questionnée, puisqu’il était égale-ment élu au conseil municipal de la ville. L’articulation entre ces deux positions (politique de type performatif et chercheur qui demande de la reflexivité) s’est avé-rée particulièrement contraignante.

Toulouse, la vie rêvéedu « smartphone informateur »Bilan de l’expérience UbiLoop

Erwane Monthubert MoretteLaSSP, Institut d’étude politique, Toulouse

Pour citer cet article : Monthubert Morette E., « Toulouse, la vie rêvée du “smartphone informateur” : bilan de l’expérience UbiLoop », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 29-36.

Page 32: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

30

À propos de la participation citoyenne

La participation citoyenne, instrument de gestion pu-blique, mène à la création d’espaces publics de débat qui se sont révélés encore très limités du point de vue de la formation d’un pouvoir local qui discute la res pu-blica, la chose publique. Il est important de question-ner ces espaces, ses possibilités et limites.

Une forme de gestion est appelée « démocratie parti-cipative », distincte de la « démocratie représentative » par le fait qu’on élargit les bases de discussion dans la prise de décisions, au travers d’une consultation à la so-ciété organisée en conseils et/ou entités de représenta-tion populaire. Mais la dite « démocratie participative » a aussi ses limitations : d’une part, si les personnes ne sont pas toujours disposées à participer, cela implique d’autre part l’existence d’un État qui, en plus de re-connaître le droit de ses citoyens, partage avec eux le pouvoir d’établir des critères pour la définition des po-litiques publiques.

Dans le cas de la forme de gouvernement dite démo-cratie participative, l’État, en plus de reconnaître les droits des citoyens, partage avec eux le pouvoir d’éta-blir des critères pour les politiques publiques. Ceci sup-pose des citoyens informés et actifs, qui auront de l’in-fluence lors de la formulation et accompagnement des politiques décidées de commun accord entre le pou-voir public et la société civile. Pour que tout fonctionne plus ou moins, le pouvoir public doit être complète-ment transparent et informer de toutes ses actions.

Cette transparence n’est pas tellement facile à at-teindre dans la pratique, malgré tout l’apparat techno-logique disponible pour atteindre cet objectif. Il existe des raisons profondes, comme dans le cas du système éducationnel qui ne se préoccupe pas de la formation du citoyen, et qui face aux informations véhiculées par les médias (qui défendent les intérêts les plus variés), ne dispose pas des instruments d’analyse pour for-mer leur opinion. Pour Sartori (2001), il est nécessaire d’analyser l’opinion publique et le problème de l’in-formation. Selon cet auteur, une opinion est publique non seulement parce qu’elle appartient au public, mais aussi parce qu’elle englobe la res publica, la chose pu-blique, c’est-à-dire les sujets de nature publique, l’inté-rêt public, le bien commun, les problèmes collectifs. La question est plus sérieuse encore dans le cas de l’au-tonomie. Dans quels termes l’opinion publique est-elle autonome lorsque l’industrie culturelle assujettit la société, en causant différents degrés de dépendance. Sartori (2001, p. 52) affirme que l’opinion n’est déjà plus forgée par le public, mais seulement dans le public, ce qui n’est pas la même chose. L’auteur rappelle encore que l’opinion publique est savoir, non pas science, et l’opinion, comme la conviction qui devient croyance.

L’expérimentation UbiLoop s’inscrit dans ce cadre poli-tique et technologique. Cette application est une mise

en œuvre directe des principes de participation par le média d’un outil technologique avancé. À ce titre, une enquête de sociologie politique s’est avérée une initia-tive prometteuse et riche d’enseignements.

Les dispositifs de dialogue triangulaire à Toulouse entre habitants, élus et administration à propos du cadre de vie

Au sein de la ville de Toulouse un cadre original de mé-diation a été imaginé par l’équipe en place depuis 2008, à la faveur d’une alternance politique et en remplace-ment de la ligne classique d’appel téléphonique « allo mairie » pré-existante. Cette initiative a bénéficié d’un plan de campagne de communication très important à l’échelle de la ville (presse, affichage et médias mu-nicipaux) ainsi que d’une couverture presse à l’échelle nationale. Depuis sa création le dispositif a été « visi-té » par de nombreuses collectivités locales de France et d’Europe, intéressées potentiellement par la repro-duction du procédé.

Créé à l’automne 2009 par la ville de Toulouse, l’Office de la tranquillité est un dispositif téléphonique est né du constat qu’après 18h et le week-end, personne ne répond aux demandes des usagers à l’exception des services d’urgence, qui de ce fait sont encombrés. En composant le 31 01 (appel gratuit depuis un poste fixe), les citoyens entrent en contact avec des opérateurs de l’Office de la tranquillité, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept pour résoudre leurs problèmes quotidiens d’incivilités et de tranquillité. Des médiateurs sont, en outre, prévu pour se rendre sur le terrain en cas de de-mande de médiation de voisinage.

En 2010, la mairie communique sur le dépassement de la barre symbolique des 300 000 appels et sur les chiffres concernant « les principales préoccupations des Toulousains » : 68,82 % des appels, soit l’immense majorité, concernent des demandes liées aux déchets, au signalement ou à l’enlèvement des ordures ména-gères et des encombrants. Cette activité correspond à peu de choses près à l’ancien service « Allo mairie », qui a été intégré à l’Office de la tranquillité lors de sa création. Depuis le lancement par la mairie de Toulouse du Défi propreté (engagements et opérations visant à l’amélioration de la propreté au centre ville), les agents municipaux sont équipés d’une application iPhone pour signaler directement à l’Office tout incident sur la voirie (appelé « la zapette »). « C’est un système qui nous apporte beaucoup de renseignements », selon l’adjoint à la sécurité, Jean-Pierre Havrin. « Parfois on intervient avant même que les riverains ne donnent l’alerte ».

Les nuisances sonores constituent avec 3,86 % des ap-pels (plus de cinq cents par mois) la principale activité des régulateurs. « C’est vraiment le gros problème » admet Jean-Pierre Havrin qui cible trois quartiers : la

Page 33: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

31

place Saint-Pierre, les quais de la Daurade et la place des Tiercerettes près d’Arnaud-Bernard. La plupart des appels émanent du centre-ville.

Selon le site de la mairie de Toulouse1, « La démocra-tie participative s’est organisée avec les Toulousains à travers les Rencontres de la démocratie locale, qui se sont déroulées d’octobre à novembre 2008. Objectif ? Inventer une nouvelle communication entre les habi-tants et leurs élus. Le fonctionnement de la nouvelle démocratie de proximité, né de cette concertation, se veut plus proche des Toulousains, avec :

• « un nouveau découpage territorial de Toulouse en six secteurs et en 22 quartiers,

• « la création de lieux d’expressions et d’organes de concertation sur deux niveaux, les conseils de sec-teurs pour penser l’aménagement ensemble et des commissions de quartier pour assurer la proximité. »

Chacun des six secteurs est affecté à un adjoint dit « territorial » auquel est associé au moins un élu de la majorité sur chacun des 22 quartiers toulousains. Dans chacun des quartiers est créé un « bureau » ou siègent les associations locales impliquées dans les questions de cadre de vie ou ayant une intervention sur la vie du quartier (associations de résidents ou socio-culturelles et MJC, associations de propriétaires ou locataires, as-sociations de commerçants).

Outre la discussion autour des ordres du jour des ré-unions publiques, les propositions concernant les tra-vaux prioritaires à réaliser avec les élus et en général la vie du quartier, une enveloppe de 100 000 euros est at-tribuée à chaque quartier dont l’usage est discuté avec les membres du bureau, même si l’affectation finale en revient aux élus du secteur.

Très fréquenté par les militants des associations locales, ce dispositif est relativement méconnu du reste de la population toulousaine. Peu d’habitants connaissent cette organisation et sont capables d’identifier leurs élus de quartier et un certain nombre (surtout parmi les « seniors ») regrettent l’organisation de l’ancienne municipalité autour des « maires de quartier », mieux connus des habitants localement. C’est au nom de la participation des citoyens et contre les tentations de clientélisme que l’actuel maire de Toulouse avait sou-haité mettre en place ce dispositif de « démocratie lo-cale » plus participatif et transparent. Si les associations localement y participent activement et en sont globa-lement satisfaites, l’opposition municipale promet le retour des « maires de quartier » dans son programme en vue des élections de 2014.

L’expérimentation UbiLoop arrive donc dans un contexte où la participation citoyenne est considérée comme un élément prioritaire par l’équipe municipale. En outre, l’Office de la tranquillité a été conçu pour ap-

1 http://www.toulouse.fr/

porter une meilleure réponse aux problèmes rencon-trés par les habitants : plus d’efficacité et de réactivi-té sont visés. Les agents sont d’ailleurs équipés d’un outil comparable et en sont plutôt satisfaits. Pourtant, l’expérience UbiLoop va connaître de nombreux freins comme nous le verrons dans la suite de cette analyse.

L’enquête auprès des usagers, des élus et des agents de la collectivité

Ubiloop étant une technologie expérimentale, sans modèles établis ni expériences déjà étudiées par des chercheurs en sciences sociales, il convient de prépa-rer l’enquête quantitative d’une phase d’exploration de terrain in situ.

Le programme Feder UbiLoop est constitué de parte-nariats multiples, dont celle de l’association de quartier Croix de Pierre, située non loin du centre-ville toulou-sain. Ce quartier a la particularité d’avoir été particu-lièrement marqué par l’accident industriel AZF une di-zaine d’année plus tôt, qui a profondément marqué la structuration associative et militante au niveau micro local. La connaissance de l’histoire du quartier et de sa géographie fut donc un préalable à cette phase initiale. Ainsi, des visites furent programmés sur place avec des habitants du quartier pour s’imprégner des particulari-tés du lieu.

Parallèlement les premières observations ont porté sur la prise en compte de l’expérimentation au sein de l’association, notamment par la présence aux réunions de présentation du projet. Ainsi les réactions des parti-cipants à l’exposé du projet ont apporté les premières informations concernant la réception du public au dis-positif et permis de former les premières hypothèses sur l’acceptabilité du produit.

À la suite des ces premières prises de contact, une sé-rie d’entretiens non directifs a été menée avec des ha-bitants du quartier considéré pour l’expérimentation. Il a été procédé à environ quinze entretiens avec des profils divers. Sans rechercher une réelle représentati-vité des répondants, ni à constituer un échantillonage élaboré, une certaine diversité des profils a été recher-chée pour ces entretiens (sexe, âge, situation profes-sionnelle et familiale).

• À une exception près, l’ensemble des personnes in-terrogées a jugé le projet d’application plus ou moins intéressant pour l’amélioration du cadre de vie et en-visagerait une utilisation occasionnelle ou régulière de cet outil.

• Les habitants sont très différemment impliqués dans la vie de leur quartier. Les étudiants interrogés ne font pas partie de structures locales et revendiquent un manque de temps et d’intérêt pour leur quartier et son amélioration, au contraire des retraités, mais aussi de la plupart des actifs interrogés.

Page 34: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

32

• Les catégories les plus âgées sont sensibles à la fa-cilité d’utilisation (ergonomie, etc.) de l’application future, qui pourrait être une frein à son utilisation.

• Des interrogations et inquiétudes apparaissent sur les aspects éthiques aux différents bouts de la chaîne chez certains interviewés : est-ce que l’application ne développe pas le système de la délation de son voi-sin ? La mairie ne va-t-elle pas tracer les utilisateurs et réutiliser les données nominatives collectées si l’utili-sation n’est pas anonyme ? Cependant ces craintes, si les garanties sont données, n’entravent pas la volon-té d’utilisation occasionnelle du dispositif.

• On ne note pas, au cours des entretiens, de diffé-rence notable de « réaction » des individus au projet en fonction de leur sensibilité politique.

• La question du traitement effectif des incidents dé-clarés par les élus et les services voirie de la collec-tivité est centrale dans les interrogations. « À quoi bon déclarer des problèmes s’ils ne sont pas pris en compte comme c’est souvent le cas actuellement par le téléphone ? » déclare ainsi l’un des enquêtés.

• Enfin, les usagers potentiels interrogés évoquent la confiance relative que les services peuvent avoir vis-à-vis de déclarations spontanées des citoyens, crai-gnant les usages mal intentionnés.

Le choix de l’enquête par questionnaire s’est imposé pour le projet UbiLoop en ce qui concerne la recherche sur les usagers potentiels du dispositif technique et citoyen UbiLoop. En effet, l’analyse nécessitait de re-cueillir l’« opinion » d’un échantillon plus important de sujets que pour d’autres catégories d’acteurs du projet (agents et élus). Le panel visé a été fixé 200 répondants.

L’analyse du profil des sondés nous renseigne sur les conditions de publicité de ce sondage qui a été parti-culièrement suivi dans les milieux académiques (étu-diants et professeurs). Le niveau de qualification très élevé d’une grande partie des sondés est révélatrice de ce biais. L ‘utilisation d’Internet était d’ailleurs un prérequis pour participer à ce sondage et la possession d’un smartphone, bien qu’elle tende à se généraliser, est bien supérieur à la moyenne réelle dans la popu-lation. Cependant, compte tenu de la nature de l’outil expérimenté, la cible potentielle d’utilisateur pourrait se rapprocher de la typologie des sondés : équipés, éduqués, urbains, plus ou moins investis dans la vie de la Cité. L’analyse des questionnaires en croisant les réponses selon les profils des sondés nous apportent quelques éléments supplémentaires.

• La réception vis à vis de l’outil est positive ou très positive dans la quasi totalité des cas, mais il reste quelques questionnement quand à l’utilisation des

données par l’adminis-tration, l’anonymisa-tion des déclarations et l’utilisation déviante par certains usagers (délation). En cas de mise à disposition d’une application de ce type, la campagne d’information sur les limites exactes de son utilisation et les garde fous législatifs et organisationnels est essentielle.

• La gratuité ainsi que la facilité d’utilisation sont des éléments es-sentiels de la réussite d’un dispositif de dé-claration d’incident citoyenne, selon les sondés.

• Les plus jeunes sont en moyenne moins concernés par leur cadre de vie (présence dans les associations de quartier, volonté de

Page 35: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

33

contact direct avec les élus ou les agents municipaux à propos des incidents). En revanche ils seraient ma-joritairement prêts à utiliser l’application UbiLoop « occasionnellement » et revendiquent une mairie qui règle les problèmes rapidement en sans trop de feedback.

• Plus le sondé est investi dans les structures associa-tives locales, plus il est disposé à se servir régulière-ment de l’application. On ne constate pas de diffé-rence significative dans les questionnaires selon les positionnements politiques affichés par les sondés. La relation avec les élus (mais aussi avec l’ensemble de l’administration) est souvent tendue et génère des demandes et des remarques quand à l’écoute et aux réponses apportées, à la réactivité, au traite-ment des problèmes et à l’information.

• Les structures administratives et les organigrammes de la collectivité et les dispositifs mis en place pour le contact avec les citoyens sont mal ou insuffisam-ment connus, ce qui génère des incompréhensions et frustrations.

• Une application telle qu’UbiLoop peut trouver un écho auprès d’une population équipée et éduquée. Elle ne peut en aucun cas se substituer à des dispo-sitif plus classique de relation aux citoyens et leurs demandes (réunions participatives et d’information, rencontres directes des élus avec les citoyens dans le cadre associatif et de contact sur le terrain, dispositif de contacts téléphonique et traitement efficace du courrier reçu).

Le projet UbiLoop comprend, en outre, un volet d’en-quête auprès des élus, groupes politiques municipaux et militants politiques hors partis représentés au sein du conseil municipal de Toulouse. Ce travail a consisté en des rencontres régulières avec les acteurs concer-nés. En complément de ces contacts « institutionnels », quinze entretiens non directif ont été menés. Ce travail a eu lieu entre mars et juillet 2012.

Dans toutes les enquêtes de sciences sociales, l’étude de terrain est nécessaire à la mise en réalité du fait étu-dié. Dans le cas d’étude de l’expérimentation UbiLoop dans le contexte toulousain, il a été nécessaire d’obser-ver le contexte politique de la collectivité. L’alternance politique au sein du conseil municipal de Toulouse a correspondu à un changement important d’orientation des priorités politiques de l’équipe municipale dans le domaine de l’innovation et des technologies. Ainsi Pierre Cohen, le nouveau maire, a souhaité position-ner Toulouse en temps que « ville de la connaissance ». Entre autres choses, un festival des savoirs a été créé et l’adjoint à la voirie a procédé à plusieurs expérimen-tations sur le territoire (trottoir intelligent, places de parking avec technologie sans contact…).

En outre, les dispositifs relevant de la participation ci-toyenne ont été également l’objet de notre enquête,

notamment en ce qui concerne les outils technolo-giques utilisés, ou pas, en appui des démarches de la municipalité. Enfin, nous avons porté un regard com-plémentaires sur les acteurs politiques toulousains ap-partenant à des mouvances politiques non représen-tées au sein des instances municipales (appartenant es-sentiellement aux groupes politiques plus extrêmes).

L’expérimentation UbiLoop a rencontré un écho fa-vorable à très favorable chez l’ensemble des élus des partis dits « de gouvernement ». S’ils manifestent une adhésion « sans réserve », il est probable que des élus positionnés à droite rencontreraient les même freins avec l’administration que les élus socialistes en place s’ils étaient au commande de la ville, ce qui est confir-mé par le témoignage de l’ancien élu aux TIC avant 2008. Il n’y a donc pas de contre-indication en fonction des positions politiques des élus. L’expérimentation UbiLoop est de type consensuelle.

Quelques réticences existent cependant chez certains Verts et communistes, mais elles ne sont pas de nature à empêcher la mise en place de ce type de dispositif, à condition que quelques précautions soient prises (concertation sur les ondes et accord des syndicats). Les militants des partis placés aux extrêmes de l’échi-quier politique sont en revanche plutôt réticents à la mise en place d’outils numériques (notamment pour des raisons de priorité et de « traçabilité » des citoyens). Mais ils ne jugent pas la possibilité d’un tel outil comme déterminante au point d’engager une campagne spé-cifique contre la municipalité qui le mettrait en place.

Enfin, l’enquête s’est déroulée auprès des agents de la collectivité. Parmi les projets au sein des services, certains relèvent d’une très grande proximité avec le dispositif UbiLoop.

Le premier de ceux-ci est la mise en place, depuis 2009, de l’Office de la tranquillité, dispositif d’appel télépho-nique des usagers pour répondre à leurs demande à l’exception des services d’urgence, qui de ce fait sont encombrés. Un second dispositif permet à 300 agents à la propreté de la ville d’utiliser une « zapette » (ter-minal mobile de type smartphone) pour signaler un incident sur la voirie, ce qui permet une intervention rapide si besoin.

Parallèlement a cette enquête de terrain fouillée, huit entretiens semi-directifs ont été menés auprès des agents de terrain (six utilisateurs de la « zapette » et deux membres de l’équipe de l’Office de la tranquilli-té). La conduite de ces entretiens a été délibérément spontanée et non contraignante afin de laisser l’usa-ger potentiel le plus libre de ses réponses et de ses choix. Cependant, ont été mesurés systématiquement le rapport personnel de l’interviewé aux outils tech-nologiques (modalités d’usage, éthique personnelle, ressentis, croyances potentielles) ainsi que la place de l’interviewé dans la vie publique (rapport au « poli-

Page 36: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

34

tique »). Enfin l’entretien se concluait toujours avec les réactions de l’interviewé sur la pertinence du dispositif testé (UbiLoop).

Les entretiens ont essentiellement permis de mettre à jour deux variables :

• Si les craintes quant à l’utilisation d’outils technolo-giques dans le cadre de leur travail de terrain étaient présentes au départ, les agents dotés de la « za-pette » en tirent finalement bénéfices, intérêt, voir « fierté ». Les réticences de départ portaient pour certains sur la facilité d’utilisation et sur le traçage de leur activité. Mais les agents interrogés sont mainte-nant satisfaits de l’application sur ces deux points et ne relèvent pas d’utilisation malveillante de la part de leur hiérarchie. Ils jugent ce type de procédé plu-tôt « ludique » et « rapide ».

• Vis-à-vis de l’extension d’un tel dispositif à l’ensemble des citoyens, les avis sont nettement partagés. Deux agents n’en voient pas du tout l’utilité, trois ont crainte de voir « [leur] utilité baisser ». Trois autres trouvent intéressante l’idée de faire participer les habitants de la ville à la « veille citoyenne ». Cepen-dant, dans six des entretiens, on peut relever, plus ou moins fortement, la même crainte qu’au sein de la Direction générale des services : que le nombre des incidents déclarés explose et augmente à l’extrême la charge de travail. Les agents interrogés réclament presque tous (six sur huit) de l’embauche en préa-lable à tout déploiement d’un tel dispositif.

Les agents des services municipaux en bout de chaîne hiérarchique constituent le principal frein potentiel à la mise en place d’outils technologiques permettant la déclaration citoyenne d’incidents. Les arguments sont parfois induits par le contexte particulier toulousain (coexistence avec des outils déjà déployés et déve-loppés en interne). D’autres arguments très présents sont surtout liés à la crainte d’une surcharge de travail et d’une désorganisation des services. Deux éléments sont cependant à noter :

• Ce type de crainte n’a jamais existé vis-à-vis de la mise en place ou de l’extension de services similaires via le téléphone. Il s’agit donc là d’une crainte spontanée que l’on retrouve dans bon nombre d’expérimenta-tions innovantes.

• Les renseignements pris parallèlement à cette étude auprès de municipalités ayant déjà mis en place ce type d’outils (Narbonne et Rennes) tendent à mon-trer plutôt une « sous-utilisation » des outils mis à dis-position des citoyens et le transfert de déclarations habituellement déposées par courrier ou par télé-phone au moyen de ce nouveau canal, plutôt qu’une « explosion » des déclarations d’incidents.

Synthèse de l’expérimentation toulousaine de l’application UbiLoop (2010-2013)

Genigraph, PME innovante de Midi-Pyrénées et les la-boratoires de recherches de la Région (Institut de re-cherche en informatique et Institut d’études politiques de Toulouse) ainsi que Toulouse Métropole comme partenaire utilisateur se sont associés pour proposer un service industriel pour la gestion d’incidents consta-tés dans des lieux publics : un service ouvert mobile géolocalisé et mutualisé de déclaration d’incident avec workflow de traitement et notification sur les réseaux sociaux.

Ce projet a eu vocation notamment à favoriser la mise en place d’un pôle de compétences e-Government en Midi-Pyrénées, et à appuyer la mise en place dans les territoires de la Région de projets d’administration électronique avec une extension en France puis à l’ex-port favorisant le développement de la société de la connaissance et l’information du citoyen.

Il s’agissait au départ de mesurer la réception de l’ap-plication au sein des trois catégories d’acteurs d’une municipalité (élus, agents et citoyens). Les enquêtes ont permis de mesurer les grandes tendances dans ces trois types de population, ainsi que les divergences po-tentielles sur des profils affinés.

Une des hypothèses portait sur des différences entre profils en fonction des différences de sensibilité poli-tique. Cette hypothèse a été infirmée par l’enquête (en ce qui concerne les partis dits de « gouvernement »). Une seconde hypothèse portait également sur les ré-ticences des agents. Cette hypothèse a été confirmée par l’enquête. Une mesure devait concerner « l’enthou-siasme social » des élus et des citoyens. Ce paramètre a été étudié attentivement :

• La réception a été globalement favorable par les ha-bitants testés par entretiens et questionnaires.

• Les élus ont montré un intérêt plus ou moins vifs pour le projet en fonction de leur profil et de leur sen-sibilité politique, mais sans veto. Certains groupes extrêmes sont en revanche apparus plus hostiles à ce type de dispositif.

• Les agents ont représenté le principal frein potentiel au déploiement de ce type d’application, mais des mesures peuvent être prises en fonction de leurs réticences.

Les trois enquêtes, enfin, ont constitué une réelle application de la « recherche-action » au service de l’industrie et ont permis d’établir des préconisations concrètes, tel que prévu au départ du projet : par exemple, la gratuité de l’application et la nécessité d’une campagne de communication sur les aspects le-gislatifs et réglementaires.

Page 37: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

35

Bibliographie non exhaustiveAALTO, L., GÖTHLIN, N., KORHONEN, J., OJALA, T., Bluetoo-th and WAP Push Based Location-Aware Mobile Advertising System, Proceedings of MobiSYS’04, New York, ACM Press, 2004 p. 49-58.

BARNES, S.J. , Known by the Network: the Emergence of Lo-cation Based Mobile Commerce, in E.-P. Lim et K. Siau, Ad-vances in Mobile Commerce Technologies, Hershey, PA., Idea Group Publishing, 2003.

BAUDRILLARD, J., À l’ombre des majorités silencieuses ou la fin du social, Fontenay- sous-Bois, Cahiers d’Utopie, 1978.

BENSAID, D., Un monde à changer, mouvements et stratégie, Paris, éditions Textuel, coll. « La Discorde », 2003.

BODEN, MOLOTCH, The compulsion to proximity, in R. Frie-dland et D. Boden (eds), Nowhere. Space, time and modernity, Berkeley, University of California Press, 1994.

BUSCHER, M., URRY, L., Mobile Methods and the Empirical, European Journal of Social Theory 2008, n° 12(1), p. 99-116.

DEBORD, G., La société du spectacle. Paris, Gallimard, 1992.

HARVEY, D., O novo imperialismo. São Paulo, Loyola, 2004.

LICOPPE, C., Sociabilité et technologies de communication. Deux modalités d’entretien des liens interpersonnels dans le

contexte du déploiement des dispositifs de communication mobiles. Réseaux 2002, n° 112-113, p. 171-210.

LICOPPE, C., HEURTIN, J.-P., Managing One’s Availability to Telephone Communication through Mobile phones: A French Case Study of the Development Dynamics of the Use of Mo-bile Phones, Personal and Ubiquitous Computing, 2001.

NARDI, B., KUCHINSKY, A., WHITTAKER, S., LEICHNER, R., SCHWARZ, H., Video as data: technical and social aspects of a collaborative multimedia application, in Computer Supported Cooperative Work, n° 4, 1996.

PINTAUDI, S. M., Participação Cidadã e Gestão Urbana. Ci-dades, revista científica, Grupo de Estudos Urbanos 2004, vol 1, no. 2, p. 169-180.

Revue Réseaux, 2009/4 (n° 156) « Les usages avancés du télé-phone mobile ».

ROSANVALLON, P., Le peuple introuvable, Paris, Gallimard, 1998.

SARTORI, G., Pluralisme, multiculturalisme et étrangers, Edi-tions des Syrtes, 2003.

SLOTERDIJK, P., La mobilisation infinie : vers une critique de la cinétique politique, 2000 (Eurotaoismus. Zur Kritik der poli-tischen Kinetik, 1989).

Erwane Monthubert Morette est docteure en information et communication. Elle est enseignante au sein de l’Institut d’études politiques de Toulouse. Après des études à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, elle rejoint pendant deux ans UPENN (University of Pennsylvania) à Philadelphie, où elle encadre des travaux en linguistique computationnelle et en création d’outils multimédias pour la didactique des langues. De retour en France en 1998, elle participe au sein de start-up, à Paris et à Toulouse, au développement des Cd-rom et du web pour l’entreprise et l’édition. Après un passage par l’INRA et la mission Agrobiosciences, en tant que chef de projet multimédia, elle rejoint l’IEP de Toulouse en 2003 et effectue ses recherches au sein du Lassp. Depuis 2008, elle est élue au conseil municipal de Toulouse et à la communauté urbaine Toulouse Métropole où elle est en charge des TIC. Sa double « casquette » recherche et élue l’a naturellement conduite à s’intéresser en pratique à la « recherche-action ».

Contact : [email protected]

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Page 38: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation
Page 39: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

La question des « villes intelligentes » – ou Smart Cities, pour reprendre le terme anglais – se place désormais pleinement au cœur des problématiques de la prospec-tive et du développement urbains. En effet, alors que la population mondiale est dorénavant majoritairement urbaine – le cap a été franchi en 2007 (Veron, 2007) – et que les tendances suggèrent que la proportion d’ur-bains pourrait avoisiner 70 % de la population mondiale d’ici 2040, il apparaît incontournable de raisonner diffé-remment la gestion des villes, que ce soit par exemple en matière d’énergie, de transports et d’utilisation ou de gestion des données. Ainsi, l’expression « villes in-telligentes » regroupe désormais les problématiques et questionnements développés jusque là notamment au-tour des Green Cities et des « villes numériques », et se trouve rendue envisageable par l’intégration des pos-sibilités offertes par le développement du numérique.

Notamment poussée par les industriels voyant en elle de nouveaux marchés à très forts potentiels, l’expres-sion Smart Cities semble aujourd’hui pleinement ap-propriée par les grandes collectivités et leurs élus, à la fois dans l’objectif évidemment louable d’optimiser leur fonctionnement et leurs services mais aussi, par-fois dans le cadre de ce qui ressemble fort à du mar-keting territorial. Dans le même temps, il est du rôle du chercheur en sciences humaines, et particulière-ment en géographie, de s’interroger sur la pertinence de ce nouveau concept que certains – dont les indus-triels pré-cités – voudraient presque ériger au rang de paradigme en matière de gestion urbaine et d’usages

associés. Et, par ailleurs, il s’agit de s’interroger quant aux enjeux que soulève cette ville intelligente pour l’habitant-citoyen.

Dans cet objectif, il semble tout d’abord nécessaire de définir cette expression, « villes intelligentes », qui re-coupe des expérimentations, situations et projets ur-bains bien différents les uns des autres. Nous verrons ensuite que les applications possibles pourraient bou-leverser la ville telle que nous la connaissons et vivons actuellement, en prenant pour exemples deux do-maines que sont les transports et la gestion de l’infor-mation – et ce dernier cas est d’autant plus intéressant qu’il s’appuie la plupart du temps sur des « tuyaux » in-visibles, des réseaux presque « virtuels » (fibre optique, réseaux 3G/4G ou wi-fi, etc).

Quels habitants et usagersde la ville intelligente ?Éléments de prospective

Mathieu VidalINU-Champollion, Albi

Lisst-Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès

Pour citer cet article : Vidal M., « Quels habitants et usagers de la ville intelligente ? Éléments de prospective », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 37-46.

Réseaux urbains. Photo DR

Page 40: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

38

Enfin, les expériences ont ceci d’intéressant qu’au-delà de leur propre application, elles rappellent, mis à part dans le cas particulier des villes créées ex nihilo, la conti-nuité de la construction du fait urbain et imposent, plu-tôt que d’oublier quelque peu celui-ci, la nécessité de laisser l’habitant au centre du projet : les villes intelli-gentes seraient donc d’abord l’affaire des citoyens.

Des modèles en construction et contrastés de villes intelligentes

Un changement de paradigme urbain ?

Les technologies de l’information et de la communi-cation (TIC) sont parfois caractérisées comme consti-tutives d’une troisième révolution industrielle (Rifkin, 2012). Et à une autre échelle, la ville, sans la person-nifier, quoique les discours englobants donnent par-fois l’impression qu’elle s’autonomise et s’affranchit presque de ses propres habitants, jusqu’à désormais parfois pouvoir recevoir le qualificatif de Big Mother1, voit elle aussi son organisation et son fonctionnement être clairement bouleversés par le numérique.

Ces bouleversements sont aussi marquants pour la ville que l’ont été les introductions de l’électricité ou de la voiture – d’autres types de réseaux – avec leurs ensembles de voies, de lignes et de routes. Mais les TIC se caractérisent par une première différence, fon-1 Expression mêlant les références au Big Brother du roman 1984

de George Orwell mais aussi au comportement de certaines mères pouvant être intrusives, via les TIC, dans la vie de leurs enfants, pour le bien de ceux-ci. C’est également le titre d’un ouvrage de Sébastien Desreux Big Mother veille sur vous, vous surveille. Pourquoi et comment la NSA s’intéresse à vous (éd. H&K, décembre 2013) et utilisé pour décrire le fonctionnement de la NSA dénoncé par E. Snowden.

damentale, relative à l’invisibilité des réseaux, enter-rés (mais c’est le cas du métro ou, régulièrement, de l’électricité) et, surtout, déployés et accessibles par les ondes. La seconde distinction, incidente, est relative au fait que les usages peuvent se faire certes devant un terminal branché au réseau de manière fixe, mais sur-tout, en toute liberté géographique et donc en mobili-té, dès lors que l’équipement technique et la réception du signal le permettent. Sans compter, évidemment, que ces innovations peuvent également être intégrées à d’autres domaines, comme l’exemple des transports pris ci-dessus.

Néanmoins, les usages que rendent possibles les TIC ne sont pas complètement nouveaux et si l’on parle désormais de « villes intelligentes », elles n’étaient évi-demment pas non plus jusque là tout à fait « idiotes » ou passives en matière d’intégration de l’innovation. Ainsi, par exemple, la ville de Curitiba, au Brésil, était reconnue « ville la plus innovante au monde » dès 1996, lors du sommet des maires et urbanistes, pour sa ges-tion des transports en commun (avec le « Métro de sur-face », en fait des bus en site propre) et des déchets.

Dans un autre domaine, mais pour démontrer l’aspect déjà relativement ancien de ces éléments, on admet généralement que le premier bouleversement en France, en matière d’Open Data (qui constitue l’un des piliers des villes intelligentes), est l’accès pour tous aux documents administratifs que permet la loi Cada du 17 juillet 1978. Enfin, et s’il fallait démontrer que l’ « intel-ligence » ne passe pas forcément par la technologie, le Wall Street Journal a décerné le titre de « ville la plus innovante », en 2012, à Medellin (Colombie), pour avoir su lutter contre la criminalité grâce à la mise en place d’innovations de type low tech.

Le métro de surface de Curitiba. Photo Augusto Janiscki Junior

Page 41: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

39

Cependant, la très forte pénétration des TIC dans la société et l’infinité des applications potentielles bou-leversent d’une part l’organisation possible de la ville de demain, dont l’intelligence apparaît comme collec-tive et, d’autre part, la place de l’habitant individuel au cœur de celle-ci.

En quelques années à peine (et avec une accélération notable à partir de 2012), les chercheurs et les collecti-vités se sont donc appropriés une expression dévelop-pée au départ par les industriels2, dont les chantres in-contestés sont sans doute Cisco et IBM3, cette dernière entreprise se targuant même d’accompagner plus de 10 000 projets sur la planète via son programme Smar-ter City4.

Ainsi, désormais, et comme le décrit par exemple Ru-dolf Giffinger, « une ville intelligente est une ville perfor-mante dans six domaines construits sur la combinaison “intelligente” des acquis et des activités de citoyens auto-déterminés, indépendants et sensibilisés ». Ces six domaines (leur périmètre varie en fonction des au-teurs) tournent autour de l’économie, de la mobilité, de l’environnement, de la population, de l’habitat et de la gouvernance. Un nouvel arrangement, sans doute ; mais peut-être pas tout à fait un nouveau paradigme.

De l’optimisation urbaine à la Ville intelligente

Certes, quelques exemples de « villes intelligentes » bâ-ties de toutes pièces voient le jour ici ou là ; pensons à Songdo (en Corée du Sud), à Masdar (aux Émirats Arabes Unis) ou encore à Fujisawa (au Japon, la « ville Panasonic »). Mais loin de ces « villes laboratoires », ou « villes vitrines » de grands industriels et architectes,

2 Cf. : http://francispisani.net/2015/08/aborder-les-problemes-par-les-villes.html – tous les liens cités sont vérifiés le 1er juin 2016.

3 Cf. : http://smartcitiescouncil.com/article/report-cisco-and-ibm-leaders-smart-cities-technology-market

4 Cf. : http://www.ibm.com/smarterplanet/fr/fr/overview/ideas/?re=sph

construites ex nihilo, presque comme des systèmes autonomes, avec une société et une citoyenneté à construire, faisant la part belle à l’architecture, aux transports collectifs, aux énergies renouvelables, à la domotique5, au recyclage et évidemment au partage d’informations, de nombreuses expériences, peut-être moins ambitieuses mais pragmatiques, sont déployées partout dans le monde, au sein de villes et de commu-nautés en construction permanente.

Ces expériences ont ceci d’intéressant qu’au-delà de leur application, elles rappellent la continuité de la construction du fait urbain et imposent la nécessité

5 Automatisation de certaines fonctions du logement, parmi lesquelles les communications, le chauffage ou la sécurité.

Les piliers de la Smart City, selon Rudolf Giffinger

Songdo la « ville du futur », Corée du Sud. DR

Page 42: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

40

de laisser l’habitant au centre du projet. Car il vérifie la pertinence de l’usage, même si celui-ci lui est par-fois imposé, et permet son intégration au sein de la communauté.

Mais les logiques urbaines, architecturales ou tech-niques ne peuvent qu’être différentes selon que l’on considère des villes créées ex nihilo faisant système globalement (quand ce n’est pas bloc par bloc), dans lesquelles il semble relativement aisé de mettre en place les dernières techniques innovantes et – mais c’est évidemment le cas le plus général – des villes au sein desquelles l’innovation doit être intégrée en tenant compte du caractère historique et continuelle-ment évolutif du tissu urbain.

De la même manière, diverses typologies sont mises en place afin de caractériser ces formes possibles de la (ou des) ville(s) de demain. Ainsi peut-on par exemple (Vié-vard, 2014) envisager des projets :

• de « techno-cités », dans lesquelles les entreprises déployant leurs infrastructures et technologies au-raient une place prépondérante ;

• de « villes contributives », au sein desquelles les ci-toyens seraient véritablement producteurs des es-paces urbains et des services associés ;

• ou encore de « e-cités », dans lesquelles l’institution proposerait un modèle de gouvernance hybride.

Ainsi, l’un des enjeux de la ville intelligente consiste-ra sûrement à trouver un équilibre entre les deux vi-sions actuelles consistant dans un cas à se focaliser sur les données, dans l’autre à miser sur la participation citoyenne.

Transports et gestion de l’information : des révolutions en coursLe principe inhérent aux villes intelligentes est que bien des secteurs devraient se trouver bouleversés, du fait de l’introduction de l’innovation et des TIC. Dans ce cadre, deux domaines semblent particulièrement inté-ressants à aborder : ceux des transports et de la ges-tion de l’information.

Des transports d’une nouvelle ère ?

L’intégration au secteur des transports des possibilités offertes par le numérique laisse augurer une transfor-mation du fonctionnement des réseaux actuels et des

usages associés, ainsi que le déploiement de nouveaux types de réseaux (et donc de nouveaux usages).

En effet, l’évolution prévisible des technologies et des usages, dans le secteur des transports, à court ou moyen terme, semble digne de ce qui aurait pu passer pour de la pure science-fiction il y a à peine deux ou trois décennies, du fait de la mise en œuvre d’innova-tions de rupture (comme les véhicules autonomes ou les drones, pour citer deux exemples). Dans certains cas extrêmes comme ceux des villes créées ex nihilo, on peut même s’attendre à avoir des formes de réseaux, des technologies ou des moyens de transports remet-tant sans doute complètement à plat les pratiques ayant actuellement cours dans les pays développés, et ce d’ici quelques années ou décennies à peine. Et si la recherche sur les transports routiers, leur sécurité et leur évolution, n’est évidemment pas récente, les pro-blématiques liées aux Smart Transports connaissent ac-tuellement un fort développement, que ce soit grâce à la recherche publique6 mais aussi privée.

Les projets de véhicules autonomes reflètent pleine-ment cette révolution en cours dans les transports. L’enjeu est de taille pour les filières industrielle et tech-nologique nationales, en témoigne, l’autorisation des expérimentations sur route ouverte ainsi que l’évolu-tion progressive des législations7.

6 Citons par exemple l’UMTRI, Institut de recherche sur les transports de l’université du Michigan, positionné sur cette question depuis 1965 et faisant référence en matière de Smart Transports ; ou encore des laboratoires européens, et notamment néerlandais. Cf. notamment le cas développé à Wageningen : http://www.les-smartgrids.fr/innovation-et-vie-quotidienne/22092015,transport-public-les-navettes-electriques-autonomes-arrivent-sur-les-routes-neerlandaises,1149.html

7 Voir notamment la décision du 23 mars 2016 de l’UNECE (Commission économique des Nations Unies pour l’Europe) faisant évoluer la Convention de Vienne sur la circulation routière en y intégrant les véhicules autonomes.

Ci-dessus : la Google Car. Ci-dessous, le projet Hyperloop (Tesla) et le projet Pime Air (Amazon). Photos DR

Page 43: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

41

Dans le monde, le modèle le plus avancé actuellement est sans doute la Google Car, dont l’expérimentation démontre jusque là que, malgré les craintes possibles d’une partie de la population quant à la sécurité offerte par de tels véhicules automatiques, les rares accidents qu’elle a connus en mode automatique ont très majo-ritairement été causés …par les automobilistes qui la suivaient8.

Et dans le cadre de certaines villes nouvelles, comme à Masdar avec le « Personal Rapid Transit »9, le projet af-fiché au départ (avant abandon de cette partie du pro-jet en 2011, notamment du fait de la crise économique) prévoyait la mise en place de 3000 véhicules automa-tiques, emmenant les passagers, à la demande, d’un endroit à un autre, sans arrêt intermédiaire. Gageons que ce n’est que partie remise...

Si d’aucuns peuvent déclarer que l’Humain ne conduira plus d’ici une vingtaine d’années10, ce à quoi il est pos-sible d’opposer la dangerosité de se laisser transporter par une machine, on peut tout de même pour le moins penser crédibles les scénarios envisageant que l’hu-main ne conduira plus lui-même, d’ici quelques temps, au moins sur certains tronçons, grâce à l’électronique embarquée et/ou grâce à des routes spécialement aménagées. Il s’agira alors, une fois surmonté le né-cessaire saut psychologique et la mise en place d’une législation adaptée (notamment sur les responsabilités engagées), dans le cadre urbain, de véhicules semi-au-tomatiques pouvant rappeler le principe du convoyage des bagages existant déjà au sein des entrailles des aé-roports modernes et, dans l’interurbain, de véritables corridors de véhicules. Dans ce dernier cas, rappelons l’emblématique projet Hyperloop, « train » se dépla-çant dans un système tubulaire, développé par Tesla, lancé en 2015 et devant par exemple relier Los Angeles à San Francisco (550 kilomètres) en 35 minutes.

Mais la Ville intelligente est également prise en compte dans sa troisième dimension, en matière de trans-ports : ainsi, Prime Air11, le projet de livraison de colis par drones d’Amazon, se heurte certes pour l’instant à de nombreuses contraintes pratiques et juridiques (poids limité du colis, autonomie du drône, survol des villes souvent interdit, etc.), mais laisse présager des flux potentiels, continus ou presque, de véhicules sil-lonnant nos cieux, à basse altitude.

Ville ultra-connectée, géolocalisation permanente et omniprésence des réseaux ?

8 Le seul accident recensé jusque là pour lequel la Google Car fut fautive eut lieu le 14 février 2016. http://www.numerama.com/magazine/33713-google-car-un-accident-confirme-que-le-danger-c-est-l-humain.html

9 Cf. : http://www.2getthere.eu/projects/masdar-prt/.

10 Cf : http://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/technologies-de-l-information/voitures-autonomes-pas-avant-2030-selon-des-experts/582153

11 Cf. : https://www.amazon.com/b?node=8037720011

Cette ville intelligente, en construction continue dans les agglomérations anciennes, semble par ailleurs pré-sager un fonctionnement pour l’usager s’articulant au-tour de deux caractéristiques : d’une part un échange permanent de données entre les différents types d’ac-teurs et, d’autre part, des usages en continu répondant à l’hyper-mobilité et facilités par la géolocalisation qu’autorisent les terminaux mobiles.

Mais parler de ville ultra-connectée, expression désor-mais fréquente pour caractériser la ville intelligente, semble évacuer de fait la question de la fracture nu-mérique. Comme si, parce que la ville proposait les fameux « tuyaux » et « services », les habitants deve-naient forcément des usagers. La pénétration des TIC dans la société n’empêche pas de s’interroger, au contraire, sur la place des éventuels réfractaires ou exclus des technologies qui deviendraient donc de véritables laissés-pour-compte de la ville numérique. En effet, que deviendraient les victimes, dans leurs « quatre dimensions »12 (Adel Ben Youssef, 2004), de cette fracture numérique ou, pour prendre une autre typologie de non-usagers des TIC, les « abandonnistes volontaires » (rejecters) ou « involontaires » (expelled), les « exclus » (excluded) et les « résistants » (resisters) (Wyatt, 2005) ?

Pour les autres, on peut donc présager une ville « où le numérique ne s’ajoute plus à notre monde mais s’y substitue »13, rendant inéluctable une appropriation des TIC par le citoyen mais lui permettant – ou plutôt lui promettant – d’optimiser ses positionnements idéo-logiques, ses échanges interpersonnels, ses modes de déplacement et de consommation, etc. L’expression « urbanisation des systèmes d’information », utilisée en informatique, n’aura jamais été aussi pertinente.

En effet, dans une ville intelligente, il est désormais tout à fait possible, techniquement, d’envisager (et certains de ces services existent déjà), mais de façon généralisée (avec les dérives afférentes potentielles) et en toute simplicité ou transparence pour l’usager, des services publics ou commerciaux accessibles en ligne 24h/24, des publicités ou des offres ciblées en fonction de l’arrivée à proximité d’un magasin, la géo-localisation des enfants, du conjoint – voire même du futur conjoint – grâce à son terminal mobile, l’incitation à l’utilisation de l’électricité aux moments particulière-ment creux, l’utilisation globale de la vidéoprotection, etc. Tout cela grâce à la production de données (et leur mise en musique technologique), dont les volumes de 12 Quatre dimensions axées, pour Ben Youssef, autour (1) des

inégalités économiques et sociales liées à l’accès, (2) des inégalités d’usages des TIC, (3) des efficacités d’usages et (4) des modalités d’apprentissage et de performance.

13 Propos attribué à Marc Andreesen ; cf. : https://www.digitalwallonia.be/smartcities-cles-numeriques-pour-la-ville-intelligente/

Page 44: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

42

création ont connu une croissance véritablement ex-ponentielle à partir de 201114.

On associe souvent à la ville intelligente des innova-tions de rupture. Comme on l’a vu précédemment, c’est plus facilement envisageable dans les cités créées ex nihilo (pensons dans ce cas par exemple à Songdo ou à Fujisawa), et au sein desquelles les promoteurs vont pouvoir penser et intégrer les « tuyaux » et les ré-seaux dès le départ, afin de réaliser une gestion globale de l’information.

Mais actuellement, les villes gagnent en « intelligence » le plus souvent grâce à l’introduction de l’innovation de manière incrémentale, notamment par la mise en place de services dont les habitants bénéficient, via des applications, l’open data, le big data, l’internet des objets (IoT, pour Internet of Things), des capteurs, etc. Il peut s’agir « simplement » d’un accès gratuit au wi-fi dans les zones publiques, d’un parking indiquant les directions vers les places libres, d’une application menant à une place de parking disponible, ou un pro-blème sur la voie publique, ou bien encore de surveiller sa consommation d’eau ou d’électricité afin de limiter les dysfonctionnements et les dépenses.

Certes, certaines réalisations déjà en place peuvent laisser perplexes quant à l’utilisation de l’innovation dans un but mercantile – pensons par exemple aux publicités diffusées sur les murs de certaines lignes de métro (comme à Shanghai, précurseur en la matière) et qui défilent à la vitesse des rames.

Et évidemment, s’il y a utilisation des réseaux par les ci-tadins, il y a forcément création, récupération ou capta-tion de certaines de leurs données par les opérateurs, ce à quoi on pense parfois moins. Ainsi les opérateurs de téléphonie mobile sont-ils par exemple en capacité de traiter les données des touristes étrangers sur un lieu (temps passé, provenance, destination, etc.), afin

14 « 90 % de l’ensemble des données du monde ont été créées ces deux dernières années », déclarait Stéphen Gold (IBM) en mai 2012 au Webcom de Montréal. Cf. : http://www.internetactu.net/2012/06/01/vers-un-nouveau-monde-de-donnees/

de permettre à certaines municipalités de s’adapter à leurs pratiques15.

Quels enjeux pour l’habitant-citoyen ?

De nouveaux rôles à envisager pour continuer d’habiter véritablement la ville

Dans ce contexte de mutation urbaine, la recherche identifie actuellement, et de façon assez consen-suelle, trois types de changements pour l’habitant-ci-toyen-usager en interaction avec la « ville intelligente » : la participation accrue, la coproduction de données et l’interactivité.

La « participation » à la vie de la cité, dont la prise de connaissance des décisions est déjà une première étape, a véritablement progressé avec la mise en ligne des différents documents relatifs aux conseils munici-paux, mais ne peut qu’augmenter avec les sondages ou consultations en ligne, ou encore avec les forums (qu’ils soient officiels ou non) permettant au plus grand nombre d’apporter son point de vue. La mise en place d’un budget participatif, dont Porto Alegre est l’un des chantres (tout comme désormais Hambourg, Toronto ou même Paris), permet symboliquement au citoyen de se réapproprier sa ville, grâce à un pouvoir

15 Cf. : http://tourismedigital.fr/digital/big-data/flux-vision-analyse-des-flux-touristiques/

La publicité dans le métro de Shanghai. Photo DR. C-dessous, le calendrier du budget participatif de la ville de Paris. DR

Page 45: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

43

de décision direct sur une partie plus ou moins impor-tante du budget16.

La « coproduction » de données peut prendre dif-férentes formes, directes ou indirectes. Nice a par exemple mis en place une application (« Risques Nice ») pour smartphones permettant aux usagers d’indiquer notamment les dysfonctionnements repérés dans la ville, constituant ainsi un véritable gain de temps pour les services concernés, mais posant sans doute aussi, au-delà, d’autres questions, comme l’évaluation par le citoyen de l’efficacité de la prise en compte et du traite-ment de l’information qu’il a transmise. Rennes Métro-pole, notamment, se positionne également sur ce cré-neau de la coproduction, avec l’ouverture des données de ses différents réseaux et l’incitation, par le biais de concours, à réaliser des applications permettant d’ani-mer le territoire. De façon indirecte, remettre un vélo public sur une borne ou libérer une place de parking équipée d’une sonde intelligente constitue également un acte de coproduction pouvant servir à l’usager sui-vant (au-delà du gestionnaire réalisant ses statistiques et indicateurs).

L’« interaction » homme-machine ou entre usagers, que certains appellent « réflexibilité » (Denis, 2012), ren-voie à l’usager une information susceptible de modifier son comportement : l’affichage de la température, les messages de pollution ou d’accidentologie, la vitesse, etc. Mais cela peut également concerner des alertes par texto d’une action culturelle à venir, de risques d’inondation, d’absence d’un enfant à l’école, etc. Les exemples sont déjà extrêmement nombreux et ne de-

16 Cf. par exemple : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/07/03/donner-les-cles-du-budget-aux-citoyens-nouvelle-tendance-des-villes-du-monde_4449464_4355770.html

vraient cesser de se développer et de se déployer (no-tamment du fait du développement à prévoir de l’IoT, l’Internet des objets17), faisant des ces expérimenta-tions actuelles des usages devenant progressivement banals. Mais l’un des enjeux consiste à continuer d’ha-biter la ville, et non à la consommer… (Kaplan, 2012).

La sérendipité et l’anonymat des citadins remis en cause par les réseaux ?

Cette ville du futur, qui se veut à la fois frugale en consommation d’énergie et pléthorique en ressources informationnelles, et dans laquelle l’hyperconnexion « risque » d’être le préalable à toute activité person-nelle, professionnelle ou citoyenne, pose tout de même la question des enjeux qui devraient se faire jour pour l’habitant-citoyen. En effet, pour les seuls aspects liés au numérique, certaines expériences ou projets peuvent poser question, que ce soit en matière de gou-vernance, de place laissée à l’aléa ou à la sérendipité, voire de possible déconnexion à ces réseaux par l’usa-ger, fût-ce de manière temporaire18.

Pour Saskia Sassen (Guillaud, 2011) nous devrions veil-ler à « urbaniser les technologies plutôt que d’utiliser des technologies qui désurbanisent la ville », la socio-logue ajoute même que « pour être interactives, pour s’intégrer dans des écologies multiples, les technolo-gies devraient plutôt être visibles, accessibles à qui les regarde ou les utilise ». Mais prenons-nous vraiment cette voie ? C’est dans cette veine que la ville intelli-

17 Certains analystes (comme Brendan O’Brien) prévoient que 50 milliards d’appareils seront connectés, d’ici 2020.

18 Il est fait mention à ce droit à la déconnexion dans la Loi Travail (Loi El Khomri) de juillet 2016 ; notons par ailleurs que certaines grandes entreprises mettent déjà en attente les mails reçus ou envoyés, par exemple entre 20h et 7h.

Évolution et perspective d’évolution de l’Internet des objets, de 2000 à 2020 (en milliards d’objets connectés). DR

Page 46: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

44

gente est désormais parfois qualifiée de Big Mother en puissance, en référence à un organisme quasi vivant qui saurait tout de ses citoyens.

Se posent également les questions de la sécurité et de la déconnexion possible, au moins pour un temps donné non disqualifiant, de ce « système d’exploitation urbain » omniprésent et rappelant une science fiction19 dont on tend parfois à se rapprocher. Aussi, les évo-lutions potentielles semblent plus que jamais justifier l’importance des organismes de régulation et de res-pect de la vie privée (ayant pour l’instant bien souvent des pouvoirs très limités), au profit des usagers, afin que ceux-ci ne deviennent pas uniquement des usa-gers-clients du système urbain mais continuent d’en être les acteurs.

ConclusionLe principe des villes intelligentes semble acquis ; s’il est pour l’instant impossible de dire vers quel modèle les villes actuelles vont se diriger, l’un des enjeux consiste bien à trouver un juste milieu entre, d’une part, les projets faisant la part belle à la technique et dans les-quels l’habitant-citoyen serait finalement plutôt passif et consommateur de sa ville, et par ailleurs ceux dans lesquels le citoyen reste l’acteur principal d’une ville qu’il habite activement. Il est intéressant de remarquer que Bill Gates (Microsoft) et Elon Musk (Tesla) mettent eux-mêmes en garde contre les menaces potentielles de sociétés (et donc de villes) qui seraient trop tour-nées vers la technique et l’intelligence artificielle et n’incluraient pas suffisamment la réflexion humaine et la participation citoyenne20.

L’introduction de la technique et de l’innovation dans nos sociétés – déjà bien ancienne mais dont les effets sont encore plus massifs du fait de l’Internet – ne doit évidemment pas en effrayer les acteurs ; nous sommes tout de même encore loin de ce monde dirigé par des ordinateurs et régulièrement qualifié de post-humani-té. Mais il semble donc indispensable de veiller, notam-ment par des mécanismes de régulation, à ce que les ci-toyens, les collectivités et même les états ne se fassent pas supplanter par des entreprises mondiales aux ca-pitaux disponibles parfois démesurés. Dans le même temps, des chercheurs démontrent d’ailleurs le rôle clef du territoire et le fait que « la ville, détentrice de la plateforme économique […] est identifiée comme seul acteur pivot susceptible d’initier une dynamique d’in-novation collective » (Attour & Rallet, 2014).

19 Pensons par exemple à des films comme 1984 (réalisé par Michael Anderson en 1956), Le Cinquième élément (Luc Besson, 1997), The Truman Show (Peter Weir, 1998), Minority Report (Steven Spielberg, 2002), Matrix (Andy et Lana Wachowski, 1999).

20 Cf. notamment : http://www.lesechos.fr/30/01/2015/lesechos.fr/0204122175688_intelligence-artificielle---pourquoi-musk--hawking-et-gates-s-inquietent--.htm

Les deux secteurs que nous avons rapidement trai-tés ici – les transports et la société de l’information – constituent deux domaines pour lesquels il est inté-ressant de s’interroger quant à la manière dont ils vont évoluer et sûrement impacter les villes de demain, que ce soit de manière frontale, grâce aux réseaux visibles, mais également par l’intermédiaire des « tuyaux ou réseaux invisibles », qu’ils soient enterrés ou fonction-nant par les ondes.

L’enjeu principal consiste tout de même à s’assurer que la ville reste intelligible pour le citoyen et que celui-ci conserve la place centrale, dans la mise en place de tels projets urbains. Il en va de la capacité du citoyen à vivre la ville en intelligence (Boullier, 1999).

Mathieu Vidal est maître de conférences en géographie et aménagement au Centre universitaire Jean-François Champollion d’Albi. Il y est membre de l’axe de recherche PPES (Politiques publiques, environnements, sociétés), co-responsable du Master 2 TICS et chargé de mission au Numérique. Il est par ailleurs membre du LISST-Cieu, UMR5193, CNRS, à l’Université Toulouse Jean Jaurès.

Ses thèmes de recherche et centres d’intérêt portent sur l’aménagement et l’aménagement numérique du territoire, le développement territorial et la compétitivité territoriale, les technologies de l’information et de la communication (TIC), les politiques publiques, les usages et usagers des TIC, les villes intelligentes et territoires numériques.

[email protected]

Page 47: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

45

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Sources des illustrationsRéseaux urbains - http://www.ccimag.be/2015/01/08/le-smart-city-institute-un-nouvel-outil-au-service-du-developpement-des-villes-intelligentes/

Le métro de surface de Curitiba - https://www.flickr.com/photos/61357231@N08/6894198526

Les piliers de la Smart City - http://www.smart-cities.eu/model.html

Songdo - http://kstore.korea.net/publication/view?articleId=7340

La Google Car - https://www.google.com/selfdrivingcar/

Le projet Hyperloop - http://hyperlooptransp.com/

Le projet Prime Air - https://www.amazon.com/b?node=8037720011

La publicité dans le métro de Shanghai - https://www.youtube.com/watch?v=DBIwyJIY59Q

Le budget participatif de la Ville de Paris - https://budgetparticipatif.paris.fr/

Attour A. & Rallet A., 2014, « Le rôle des territoires dans le développement des systèmes trans-sectoriels d’innovation locaux : le cas des smart cities », Innovations, 2014/1 n° 43, p. 253-279.

Ben Youssef A., 2004, « Les quatre dimensions de la fracture numérique », Réseaux, 2004/5, n°127-128, p. 81-209.

Blanc S., 4 avril 2014, « La ville intelligente, une Big Mother en puissance ? », La Gazette des Communes. http://www.lagazettedescommunes.com/228554/la-ville-intelligente-une-big-mother-en-puissance/

Boullier D., 1999, L’urbanité numérique. Essai sur la troisième ville en 2100, Paris, L’Harmattan, 185 p.

Denis J., 2012, « La ville numérique, quels impacts pour les citadins ? », Blog du site Regards sur le numérique. http://www.rslnmag.fr/post/2012/01/23/La-ville-numerique-quels-impacts-pour-les-citadins-.aspx

Guillaud H., 2011, « Est-ce que la technologie désurba-nise la ville ? », Internet Actu. http://www.internetactu.net/2011/07/12/est-ce-que-la-technologie-desurbanise-la-ville

Institut de l’Entreprise, 2013, Smart cities - Efficace, inno-vante, participative : comment rendre la ville plus intelli-gente ?, 180 p. http://www.uraia.org/OlalaCMS4/files/570_ar-quivoB.pdf

Kaplan D., 2012, « Ta ville, trop smart pour toi », In-ternet Actu. http://www.internetactu.net/2012/10/02/ta-ville-trop-smart-pour-toi/

Picon A., 2013, Smart cities. Théorie et critique d’un idéal auto-réalisateur.

Pisani F., 2015, « Les capteurs ne sont pas indispensables. La participation citoyenne, si ! », L’Atelier. http://www.atelier.net/trends/articles/francis-pisani-smart-city-capteurs-ne-in-dispensables-participation-citoyenne_436837

Rifkin J., 2012, La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde. Éditions Les liens qui libèrent, 380 p.

Sassen S., 2014, « Talking back to your intelligent city », McKinsey on Society. http://voices.mckinseyonsociety.com/talking-back-to-your-intelligent-city/

Véron J., 2007, « La moitié de la population mondiale vit en ville », Populations & Sociétés, n°435, 4p. https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19103/435.fr.pdf

Vidal M., Automne 2014, « Habiter la ville intelligente », Dos-sier « Villes numériques, villes intelligentes ? », Revue Urba-nisme, n° 394.

Viévard L., 2014, « La ville intelligente : Modèles et finalités », Rapport pour Grand Lyon Métropole, FRV100, 36 p.

Wyatt S., Henwood F., Hart A. & Smith J., 2005, « The digital divide, health information and everyday life », New Media & Society, 7(2): p. 199-218.

Bibliographie succincte

Page 48: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation
Page 49: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

La thèse CIFRE : point de départ d’une expérience de recherche-action à caractère sociétal

Créée en 1981, la Convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE) est un dispositif qui permet de subventionner toute entreprise de droit français qui embauche un doctorant dont la thèse est accueil-lie et encadrée par un laboratoire de recherche acadé-mique. Les thèses CIFRE sont intégralement financées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui en a confié la mise en œuvre à l’Asso-ciation nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) dans le but de favoriser le développement de la recherche partenariale publique-privée. Les docto-rants qui réalisent des thèses CIFRE ont donc la double opportunité d’évoluer dans un milieu professionnel avec un statut de salarié et de conduire un projet de re-cherche s’inscrivant au cœur d’une collaboration entre des acteurs du monde industriel et des acteurs du mi-lieu académique et universitaire.

En dehors des entreprises, les organisations non-gou-vernementales (ONG), les associations et les collectivi-tés territoriales sont également éligibles depuis 2006 au dispositif CIFRE et peuvent également accueillir des doctorants dans le cadre d’une convention de re-cherche pour l’action publique et sociétale (CRAPS). Grâce à cette nouvelle mesure, le nombre de thèses CIFRE menées dans le domaine des sciences humaines et sociales connait une importante croissance, passant

de 15 % en 2005 à près de 25 % en 2012. Ceci témoigne globalement d’un renforcement des échanges entre les laboratoires de recherche publique et les milieux so-cio-économiques, éloignant un peu de nous la période où l’on considérait les chercheurs comme des penseurs isolés, déconnectés des problématiques sociétales et enfermés dans leur tour d’ivoire.

Le processus de recherche-action dont nous présen-tons ici l’itinéraire s’inscrit dans le cadre de la réalisa-tion d’une thèse CIFRE-CRAPS en géographie, qui s’est appuyée sur une collaboration institutionnelle entre le Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés et territoires (Lisst-Cieu, université Toulouse Jean Jaurès) et l’Agence mondiale de solidarité numérique (ASN), structure d’accueil du doctorant.

La thèse visait principalement à faire le bilan des poli-tiques internationales de solidarité numérique (en par-ticulier les actions de coopération décentralisée entre des collectivités françaises et des collectivités africaines en matière de lutte contre la fracture numérique Nord-Sud). Il s’agissait d’une recherche évaluative1 dont

1 La recherche évaluative consiste à analyser par des méthodes scientifiques valides et reconnues (empruntées à la recherche en sciences sociales) le degré de cohérence, de pertinence, d’efficacité et d’efficience liés aux effets propres de mise en œuvre d’une activité particulière ou d’un programme d’action sociale (politique publique) donné. La littérature anglo-saxonne fait souvent référence à cette notion (evaluative research) que certains auteurs distinguent de la pratique proprement dite d’évaluation de programme, qui intègre quant à elle une dimension politique visant au réajustement du programme évalué. L’évaluation de programme peut ainsi s’appuyer sur

Recherche-action évaluative des politiques de coopération décentralisée de solidarité numériqueUn itinéraire entre recherche et expertise

Destiny TchehoualiCentre d’études sur l’intégration et la mondialisation

Université du Québec à Montréal

Pour citer cet article : Tchehouali D., « Recherche-action évaluative des politiques de coopération décentralisée de solidarité numérique : un itinéraire entre recherche et expertise », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs asso-ciatifs », p. 47-56.

Page 50: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

48

l’objectif était de permettre aux bénéficiaires des po-litiques de solidarité numérique de pouvoir en ap-précier la pertinence par rapport à leurs besoins et d’autre part d’aider les décideurs et promo-teurs de ces politiques à mieux les évaluer2, les améliorer et les adapter en fonction des besoins des populations cibles dans les pays du Sud, en particulier en Afrique. Différents types d’objets ont été étudiés dans cette recherche : des « acteurs », des « actions », des « initiatives », des « pro-grammes3 » inhérents à la mission et aux activités de l’ASN.

L’articulation des exigences universitaires, des exigences institutionnelles et des exigences du « terrain »La convention CIFRE imposait à notre recherche une finalité à la fois « déontologique » et « décision-nelle ». La finalité « déontologique » consistait à at-tendre de cette recherche qu’elle puisse être en capa-cité d’informer et de rendre des comptes aux respon-sables de l’ASN des résultats liés à la mise en œuvre de leurs actions de solidarité numérique en Afrique de l’Ouest.

La finalité décisionnelle impliquait quant à elle que les résultats de la recherche puissent aider l’ASN à la prise de décisions concernant la poursuite, l’arrêt ou la ré-orientation stratégique de certaines de ses actions et programmes.

Il était primordial de viser un certain équilibre dans l’agencement des missions qui nous étaient confiés, d’une part en tant que salarié de l’ASN et d’autre part en tant que doctorant du Lisst-Cieu. Il était donc im-portant de conjuguer la posture d’un jeune praticien

l’utilisation de méthodes de recherche évaluative sans s’y limiter. Pour en apprendre plus sur les pratiques de recherche évaluative, voir les travaux de Guba et Lincoln (1981), Leconte et Rutman (1982), Palumbo (1987), Rossi et Freeman (1993), Weiss (1998).

2 Le décret du 22 janvier 1990 propose la définition suivante pour l’évaluation des politiques publiques : « évaluer un politique c’est rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou financiers mis en œuvre permettent de produire les effets attendus de cette politique et d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés ».

3 Dans le contexte des objets étudiés par cette thèse, nous utilisons la notion de programme pour désigner une action ponctuelle de solidarité numérique (limitée dans le temps) dont les moyens, les objectifs opératoires et les résultats attendus sont précisément définis et lisibles dans le dispositif. (par exemple, le « Programme Sankoré », un programme visant à équiper d’ici 2015 en tableaux numériques interactifs plus de 6000 classes à travers l’Afrique ou le Programme « 1000 unités de télémédecines pour l’Afrique »). Notre travail ne consistera pas à évaluer ces programmes, mais plutôt de voir comment leur mise en œuvre s’insère et s’articule dans un ensemble complexe de politiques de solidarité numérique, révélatrices de conceptions différentes de l’action publique internationale de lutte contre la fracture numérique Nord-Sud.

sollicité pour son expertise à celle d’un apprenti-cher-cheur sollicité pour ses compétences scientifiques. Mon itinéraire m’a ainsi confronté à trois types d’exi-gences répondant soit à des contraintes liées à l’exper-tise soit à des exigences en matière de recherche. Ces contraintes et exigences relèvent de la « commande » émanant de chaque type d’acteurs auquel je devais rendre compte, à savoir : l’Université (le laboratoire d’accueil de la thèse), l’ASN (l’employeur du doctorant CIFRE), les bailleurs et partenaires institutionnels de l’ASN.

Les exigences de l’Université sont celles liées à la réali-sation d’un cursus de thèse avec d’une part des impé-ratifs de validation du parcours de formation doctorale et de réinscription administrative annuelle exigée par l’école doctorale et d’autre part des livrables exigés par le directeur de thèse pour suivre les avancées de la recherche (depuis l’étape de conception du projet de thèse jusqu’à la soutenance en passant par les ren-dez-vous mensuels, la participation aux séminaires du labo, le travail de terrain, et la rédaction de la thèse).

Ensuite, il y a les exigences de la structure qui emploie le doctorant et qui finance la thèse. Généralement dans les conventions CIFRE, c’est l’institution qui em-bauche le doctorant qui propose, voire impose un thème ou un sujet de recherche correspondant à des problèmes ou des besoins préalablement identifiés au sein de la structure. Il est ainsi facile au jeune cher-cheur d’avoir un sujet et un terrain tout identifié avant

Illustration de trois types d’exigences institutionnelles autour d’un projet de recherche-action, mené dans le cadre

d’un dispositif de thèse CIFRE

Page 51: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

49

même la signature de son contrat d’embauche. Mais si cela se vérifie dans le cas des CIFRE en sciences dures, la réalité est toute autre dans le cadre des thèses CIFRE en Sciences Humaines car comme le montrent les tendances actuelles, un doctorant en Sciences Humaines et Sociales est généralement perçu par une entreprise comme un em-ployé tertiaire de haut niveau, en d’autres termes une personne qui dispose d’une bonne culture géné-rale, dotée de souplesse et d’apti-tudes pour les tâches généralistes, tertiaires. Il arrive ainsi que l’en-treprise recrute un doctorant sans pour autant avoir au préalable une commande de recherche précise à lui confier.

En ce qui nous concerne, étant don-né qu’il n’y avait pas une commande de recherche émanant de l’ASN pré-alablement au montage du dossier CIFRE, il y a eu beaucoup de difficul-tés (une fois embauché) à délimiter les contours du sujet de recherche car les mandats de l’Agence (ASN) étaient sans cesse évolutifs et re-nouvelés. Par ailleurs, les respon-sabilités qui étaient les miennes en tant que chargé de mission m’ame-naient à réaliser différents types de tâche sur des problématiques différentes, ce qui ne permettait pas de dégager une proposition de recherche cohérente. C’est finale-ment le mandat que la Délégation pour l’action extérieure des collec-tivités territoriales (DAECT-MAEE) a confié à l’ASN sur l’instruction des projets de coopération décentrali-sée en matière de solidarité numé-rique qui a permis de formaliser un projet de recherche sur le bilan des projets menés. Les responsabilités qui m’ont été confiées à cette oc-casion ont permis d’accumuler de façon légitime des observations utiles à la structuration de la thèse et de collecter des données auprès d’acteurs à l’occasion des missions professionnelles de terrain.

Notons que les exigences liées à la temporalité immé-diate de l’action et de l’obtention des résultats selon les logiques de la structure qui emploie le doctorant,

De haut en bas : participation aux activités 1- du Lisst-Cieu (communication lors des 3èmes Rencontres e-Atlas

FAO, Cotonou, le 26 octobre 2011) 2- de l’ASN (mission de suivi-évaluation du projet de numérisation des Manuscrits

de Tombouctou, Tombouctou, décembre 2009) 3- à la demande du bailleur (couverture du Guide de la coopération

décentralisée pour la solidarité numérique, 2008). DR

Page 52: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

50

(en l’occurrence ici une agence d’expertise) ne pre-naient pas en compte la temporalité des exigences relatives au travail de rédaction et au livrable acadé-mique qu’est la production d’une thèse soutenable. L’équation de la répartition du temps de travail entre l’ASN et le laboratoire était une donnée très complexe à gérer au cours de cette recherche surtout à chaque fois que l’employeur devait lui-même se plier à l’agen-da et aux délais qui lui étaient imposés par le bailleur. Il est souvent arrivé que la pression institutionnelle liée à l’action d’expertise empiète sur les exigences liées à l’action de recherche.

Quant aux exigences institutionnelles du principal bail-leur de l’ASN (la DAECT-MAEE), elles se résument à l’ins-truction des demandes de cofinancement de projets de solidarité numérique soumises par les collectivités territoriales françaises, le suivi et l’évaluation à mi-par-cours des projets, l’animation de réunions régulières avec les porteurs de projets. La DAECT est par ailleurs demandeuse de quelques missions ponctuelles de ter-rain pour organiser des rencontres entre porteurs, par-tenaires et bénéficiaires finaux dans le but de faire un état des lieux de la mise en œuvre des projets et de promouvoir le dispositif d’appels à projets. Enfin, elle encourage l’élaboration de guides méthodologiques pour valoriser les pratiques et inciter à une mutualisa-tion des ressources.

En dehors de ces exigences universitaires et institu-tionnelles, il y a également des exigences qui émanent plutôt des acteurs de terrain et des potentiels bénéfi-ciaires des programmes internationaux de solidarité numérique. Plutôt que d’exigences, il s’agit en réalité des attentes diverses exprimées par des porteurs et des bénéficiaires de projets à l’occasion de réunions ou de rencontres occasionnelles. Tandis que les collectivi-tés territoriales du Nord sont demandeuses de conseils et d’aide au montage et à la rédaction de leur dossier de demande de financement, les représentants des collec-

tivités au Sud souhaitent plutôt être informés des op-portunités d’appel à projets, de bourses de formations ou de missions à l’étranger pour renforcer leurs capaci-tés ou échanger les bonnes pratiques. Il faut souligner que les attentes, les exigences et les discours de ces acteurs de terrain peuvent varier sensiblement et être même contradictoires en fonction de leurs propres intérêts individuels. C’est donc au chercheur de faire preuve de discernement au moment de confronter ses hypothèses de départ aux réalités du terrain, en évitant de tomber dans le piège des discours institu-tionnels « autorisés » par rapport aux pratiques réelles des acteurs. C’est ici que le chercheur peut recourir à une « double stratégie de l’attachement et du détache-ment » (Callon, 1999), en opérant un détachement des discours des acteurs et des dispositifs d’intéressement qui les sous-tendent ces discours tout en s’impliquant suffisamment dans l’action pour pouvoir mieux réussir à traduire les savoirs informels émanant du terrain en savoirs formels.

L’observation participante : quel degré d’implication pour le chercheur-praticien ?La recherche action intègre un processus d’observa-tion participante qui permet au chercheur d’observer la réalité qu’il entend étudier « de l’intérieur » au sens strict, du moins au plus près de ceux qui la vivent, et en interaction (Emerson, 2003) permanente avec eux. Les travaux de R.L. Gold (1958) et B. Junker (1960) ont permis de distinguer en fonction de leur degré d’implication quatre catégories d’observateurs : l’ob-servateur intégral (complete observer), l’observateur qui participe (observer as participant), le participant

Illustration d’une activité de terrain avec les municipalités (animation de stands de démonstration d’usages et d’e-services et organisation de rencontres professionnelles

entre collectivités municipales, acteurs associatifs, universitaires et bailleurs, en marge des 3èmes rencontres

e-Atlas de Cotonou, 27 octobre 2011)

Page 53: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

51

qui observe (participant as observer) et le participant intégral (complete participant). Autant dire que notre recherche nous positionne comme un observateur qui participe (observer as participant) directement aux pro-cessus qu’il étudie tout en déclinant son identité pro-fessionnelle (observation participante déclarée)4.

Le processus est entendu ici comme une constante de l’action dans le temps qui peut prendre la forme d’un accompagnement responsable et durable avec les ac-teurs locaux (être avec eux avant, pendant et après les projets). Cet accompagnement incarne la participation dans la démarche d’observation. Rappelons que l’ob-servation commence dès l’identification du terrain, des acteurs et des projets qui entreront en interaction avec le chercheur et son objet de recherche. Pour Bogdan et Taylor (1975), l’observation participante peut être définie comme « une recherche caractérisée par une période d’interactions sociales intenses entre le cher-cheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers. Au cours de cette période, des données sont systémati-quement collectées5 […] ».

Selon Platt (1983), c’est vers la fin des années 1930 que la conceptualisation de l’expression « observation par-ticipante » se serait imposée comme une technique de recherche dans laquelle les chercheurs en sciences so-ciales étudient des processus dans lesquels il prennent une part active ou observent des groupes sociaux dans

4 Quand on pratique l’observation participante dans le cadre d’une recherche-action institutionnelle, on est souvent bien obligé de déclarer ou de décliner son identité professionnelle. On parle dans ce cas d’un « overt researcher » par opposition à un « covert researcher » (observateur caché ou clandestin) qui, lui, dissimule son identité pour les besoins de sa recherche.

5 Les données collectées par l’observation participante proviennent de l’observation, des entretiens ethnographiques, des conversations informelles, ou encore de l’étude des documents officiels…

lesquels ils sont eux-mêmes membres. Jean-Pierre Oli-vier de Sardan (2001) insiste sur le fait que dans toute démarche d’observation participante, on devrait s’in-terroger non pas simplement sur ce qui est observé, mais surtout sur la part de participation du chercheur et ce qu’on inclut dans cette participation.

Dans leur ouvrage intitulé Membership roles in field Re-search (1987), Patricia et Peter Adler proposent trois formes de « rapport au terrain » qui constituent les degrés de participation/implication dans un processus d’observation participante : l’observation participante périphérique, l’observation participante active, et l’ob-servation participante complète. Dans le cas de l’ob-servation périphérique, le chercheur s’investit comme un membre de l’expérience sans pour autant être au centre des activités et sans trop influencer la situa-tion étudiée. En participant depuis la « périphérie », le chercheur adopte ainsi une prudence méthodique qui lui permet de se détacher facilement de l’expérience étudiée en limitant les attentes du groupe à leur égard, tout en restant disponible pour être sollicité à tout mo-ment de l’expérience. L’observation participante ac-tive permet, quant à elle, au chercheur de jouer un rôle et d’acquérir un statut à l’intérieur de l’institution qu’il étudie. Enfin, en ce qui concerne l’observation parti-cipante complète, elle suggère soit une participation complète par opportunité où le chercheur met à profit l’« opportunité » qui lui est donnée par son statut déjà acquis dans la situation ou soit une participation com-plète par conversion.

Le processus d’observation participante qui a été le plus utilisé dans le cas de notre expérience de recherche-ac-tion est l’observation participante active puisque nous avons en effet été intensément impliqué dans les acti-vités et les projets de terrain menés par l’Agence mon-

Illustration d’une situation de « participation observante » : démonstration d’utilisation d’un tableau numérique interactif dans le cadre de la promotion du projet des « Jumelages Sankoré » (Assises de la coopération décentralisée Sénégalo-européennes,

Dakar, les 4 et 5 novembre 2010)

Page 54: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

52

diale de solidarité numérique (ASN). Parfois même, cette observation participante prenait une tournure de participation observante (PO) dans le sens où certaines circonstances nous obligeaient à donner la priorité à la participation au terrain investigué pour pouvoir mieux observer, avec le recul nécessaire, les logiques d’ap-propriation ou de réappropriation des discours, des pratiques. Nous avons donc eu la possibilité de maintenir une distance et un recul analytique par rapport aux projets sur lesquels nous sommes intervenus, en revendi-quant et en assumant notre statut de chercheur, de telle sorte à préserver une certaine crédibilité scientifique vis-à-vis de notre implication sur le terrain.

Le « dédoublement statutaire »et la nécessaire distanciation Avec un statut de salarié-doctorant assumant les fonc-tions de « consultant / chargé de mission » au sein de l’Agence mondiale de solidarité numérique (ASN, Lyon), nous avions une double posture de praticien-ob-servateur et de chercheur se posant des questions scientifiques à partir des actions auxquelles il participe ou sur lesquelles il est appelé à agir.

Cette double posture constitue un véritable appren-tissage de la recherche impliquant une démarche de réflexivité critique. Celle-ci, loin de vouloir opposer le monde de la recherche et le monde de l’action amène à construire une compétence sociale en matière de gestion des interactions sociales, faisant appel à une capacité d’adaptation aux dynamiques de négociation et aux mécanismes de coopération, de domination et de conflits qui caractérisent le processus d’hybridation de l’identité de l’apprenti chercheur engagé dans un itinéraire croisant la recherche et l’expertise. Chris-tine Mias (2003) résume bien la situation à laquelle sont confrontés les chercheurs impliqués dans un tel processus : « Il peut paraître équilibriste de mener un travail de recherche sur un terrain connu de l’intérieur, d’essayer d’analyser des pratiques qui somme toutes sont les vôtres, d’avoir un regard objectif (s’il en est) sur un milieu professionnel qu’on abandonne (symbo-liquement) pour un temps, afin d’en mieux saisir les in-teractions. De plus, cette place dans un “entre-deux” amène forcément un changement dans la manière dont on peut vous percevoir (et dont vous percevez les autres). […] Il va falloir jongler avec les différences dans l’observation : celles de l’observateur, de l’obser-vé et surtout de l’observant ! » (Mias, 2003, 293).

Jean-Pierre Olivier de Sardan utilise, quant à lui, l’ex-pression « dédoublement statutaire » pour rapporter

cette situation dans laquelle le chercheur est le plus souvent « un opérateur de développement (consultant, expert, technicien, chef, de projet, etc.) qui fait de sur-croît de la recherche » (Olivier de Sardan, 2001, 188). Du point de vue de notre expérience de recherche-action en matière de solidarité numérique, le dédoublement statuaire n’a pas été un obstacle méthodologique, il était à la fois souhaité (pour avoir un accès légitime à notre terrain de recherche) et imposé (compte tenu de notre statut de salarié au sein de l’Agence mondiale de solidarité numérique).

Si notre implication a été intense au niveau des activi-tés de l’institution qui nous employait (institution éga-lement objet de notre recherche), cette implication a été atténuée par le court temps passé en immersion auprès des acteurs et des populations concernées par les projets de solidarité numérique que nous avons étudiés en en Afrique. En effet, au lieu de passer par exemple trois mois au Sénégal et au Bénin prolongé au sein du groupe d’acteurs ou de la société locale étu-diée, nous avons préféré effectuer plusieurs séjours courts, d’une durée d’un mois à intervalle relativement régulier (une fois tous les six mois). Cette option a été envisagée pour éviter d’avoir un excès d’implication subjective et sentimentale qui déboucherait sur une illusion fusionnelle (« je suis un des leurs ») et illusion communicationnelle (« je suis sur la même longueur d’onde qu’eux »)6. La posture adoptée était donc : « je repère, je viens, je mène mes entretiens, et je m’en

6 Pour J.-P. Olivier de Sardan, un excès d’implication subjective et sentimentale de l’anthropologue dans les croyances de ceux qu’il étudie peut aboutir à « présenter les croyances vécues et perçues par l’ethnologue participant-séduit-et-enthousiaste comme étant celles-là mêmes vécues et perçues par les intéressés, oubliant par-là à la fois les différences de position et de trajectoire entre le chercheur et ses sujets et les pièges ou ruses d’un moi qui est loin d’être innocent, fidèle et transparent.

Illustration d’un projet ayant fait l’objet d’une observation participante sur le terrain (plaquette de présentation du

projet des « Jumelages Sankoré »). DR

Page 55: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

53

vais ». C’est ce qui nous a permis de revendiquer un sta-tut relativement extérieur sur le terrain tout en ayant réussi à maintenir, via Internet et les réseaux sociaux, le contact et l’empathie avec les interlocuteurs et les acteurs impliqués au niveau local. Toujours est-il que sans être un véritable acteur direct du jeu local, nous ne nous situons pas dans une extériorité forte puisque étant originaire du Bénin et ayant une bonne connais-sance des réalités socioculturelles du continent afri-cain, cette compétence culturelle (famille, langues, culture…) nous a donné une capacité d’imprégnation (capacité de comprendre ce qui se passe sur le terrain, les logiques d’acteurs…) du terrain plus importante qu’un simple visiteur-touriste ou qu’un simple enquê-teur-expert de passage en Afrique en général, au Bénin ou au Sénégal en particulier.

En effet, lorsqu’un chercheur intervient sur une activité d’expertise, comme par exemple l’évaluation de pro-jets ou de politiques de coopération décentralisée en matière de solidarité numérique, il endosse un statut d’expert qui le fait passer auprès du commanditaire comme un consultant dont l’expérience donne de la lé-gitimité et de la crédibilité à ses recommandations ou « conseils ». Mais en sollicitant le chercheur, l’intention du commanditaire n’est pas simplement de recourir à son expertise mais surtout d’obtenir une sorte de cau-tion scientifique sur une activité ou une mission don-née. Il arrive très souvent que le chercheur, dans une situation d’expertise, ne soit plus tout à fait libre de développer un raisonnement scientifique pur, et qu’il soit appelé à porter des jugements de valeur, à évaluer, à qualifier des situations avec la finalité d’orienter ou d’influencer la prise de décision. Par rapport aux exi-gences institutionnelles de l’expertise, le chercheur a heureusement la possibilité d’adopter une posture d’implication-distanciation nécessaire, qui sur la base de mon propre itinéraire peut se caractériser par un

On a alors affaire à une double illusion : ne pas mêler égocentrisme et ethnocentrisme » (Olivier de Sardan, 2001, 193).

ensemble de stratégies et de tactiques vis-à-vis d’un opérateur, vis-à-vis d’un bailleur et vis-à-vis des béné-ficiaires. Ainsi, face aux exigences institutionnelles liées à la mission d’expertise qui m’était confiée, j’ai pu adopter des stratégies d’acquiescement, de défi, de compromis, d’évitement ou d’influence comme le montre le tableau ci-dessus. Ce tableau n’a pas voca-tion à susciter des généralisations rapides puisqu’il s’applique à un cas particulier. Il mériterait certaine-ment d’être plus affiné dans le cadre d’une étude qui prendrait en compte de nombreux autres cas signifi-catifs liés à des situations vécues ou éprouvées diver-sement par d’autres chercheurs-praticiens ou d’autres doctorants CIFRE.

D’après mon expérience personnelle, les interactions que j’ai pu avoir par exemple avec les collectivités bénéficiaires des subventions de la DAECT sur la thé-matique de la solidarité numérique font que j’étais perçu par ces collectivités comme un facilitateur et un pion important puisque mes interlocuteurs m’avaient identifié au sein de l’ASN comme étant la personne en charge de l’instruction des dossiers de demande de cofinancement soumis à la DAECT. J’étais donc tenu de trouver des logiques de plaidoyer (ou d’intermédia-tion) pour équilibrer leurs attentes et faire remonter leurs suggestions et souhaits auprès de l’ASN et de la DAECT.

Par ailleurs, sur le terrain en Afrique, les référents lo-caux des projets de solidarité numérique au sein des collectivités africaines me considéraient souvent comme un des leurs, certainement parce que j’étais « africain » et qu’ils se sentaient souvent à l’aise lors des entretiens et échanges que nous avons pu avoir sur la mise en œuvre de leurs projets et sur leurs rapports avec leurs partenaires du Nord.

Avec le dédoublement statutaire, j’arrivais ainsi à créer un climat de confiance et à obtenir de mes interlocu-teurs qu’ils délient leur langue et qu’ils dépassent les

Réponses stratégiques du chercheurface aux exigences institutionnelles liées à une expertise

Vis-à-vis de l’opérateur (employeur)

Vis-à-vis du bailleur Vis-à-vis des bénéficiaires

ACQUIESCEMENTSe soumettre et obéir aux règles, en res-pectant le cahier des charges

ACQUIESCEMENTRespecter les délais des livrables

INTERMÉDIATIONNégocier auprès de l’opérateur et du bailleur pour que leurs attentes soient prises en compte

RÉSISTANCEContester et désapprouver les objectifs de la commande et ses exigences

INFLUENCEAgir sur les grilles et les critères d’évalua-tion des projets financés par le bailleur

INFLUENCEAgir sur les grilles et les critères d’évalua-tion des projets financés par le bailleur

COMPROMISÉquilibrer la répartition du temps de tra-vail entre l’expertise et la recherche

ÉVITEMENTChanger d’objectifs ou d’activités

Page 56: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

54

discours convenus qui sont parfois tenus face aux bailleurs pour les convaincre par exemple de la néces-sité d’un nouveau financement. Il m’a fallu de temps à autre mettre un peu de distance et garder une rela-tive extériorité vis-à-vis de ce « terrain glissant » afin d’éviter un excès d’implication subjective et sentimen-tale qui risquait de déboucher sur l’illusion fusionnelle avec les bénéficiaires, ce qui m’aurait emmené à faire comme si j’étais vraiment un des leurs, voire à devenir leur porte-parole alors que d’une part j’étais tenu par l’exigence de transmettre à la DAECT des recomman-dations objectives sur les « projets pertinents » à finan-cer, et d’autre part je devais satisfaire aux exigences universitaires d’une enquête de terrain fondée sur une démarche méthodologique rigoureuse.

Les apports de l’université à la réussite d’un processus de recherche-action évaluative

À partir de cet itinéraire entre recherche et expertise, nous pouvons dégager quatre apports fondamen-taux de l’université à la réussite d’un processus de recherche-action évaluative portant sur les politiques de coopération décentralisée en matière de solidarité numérique.

Premièrement, les acteurs universitaires contribuent à l’observation des processus à l’œuvre dans la mise en œuvre des logiques partenariales de coopération décentralisée en matière de solidarité numérique. Compte tenu de leur compréhension des exigences institutionnelles des bailleurs, des logiques des opéra-teurs et des exécutants et des contraintes la demande sociale, ils arrivent par le « jeu des dispositifs » à pro-poser une réflexion méthodologique et une analyse critique éclairante sur les pratiques de l’action de soli-darité numérique entre collectivités du Nord et collec-tivités du Sud.

Deuxièmement, l’université joue un rôle important dans l’instruction, le suivi et le bilan évaluatif des pro-jets de coopération décentralisée dans le domaine de

la solidarité numérique à travers l’élabora-tion des grilles d’instruction et d’analyse des projets. D’ailleurs, après la disparition de l’ASN, c’est le laboratoire Lisst qui a pris le relais de l’exécution du mandat de la DAECT relatif à cette expertise.

Un troisième apport consiste à la forma-tion, à la valorisation et à la capacitation des acteurs locaux en matière d’utilisation des TIC à des fins de gouvernance locale. Il faut souligner ici l’apport particulier du réseau e-Atlas francophone de l’Afrique de l’Ouest (FAO) qui a institué depuis quelques années avec le soutien de la DAECT une tradition de rencontres et de

dialogues Nord-Sud entre experts, chercheurs, acteurs locaux et bailleurs autour des problématiques relatives au développement à l’échelle locale des sociétés de l’information. Les quatrièmes rencontres du réseau qui se ont eu lieu en novembre 2013 à Ouagadougou (Burkina-Faso) se sont focalisées d’ailleurs sur le thème de la « formation des acteurs locaux des sociétés afri-caines de l’information ». Le projet e-Atlas FAO est ain-si en train de promouvoir un modèle de projet de re-cherche-action-formation, à dimension pédagogique, dans la mesure où il vise un changement social à partir de la capacitation des acteurs locaux à pouvoir s’adap-ter, innover, se prendre en charge et s’auto-dévelop-per durablement à l’ère du numérique (Rullanti, 2005).

Le dernier apport, non moins essentiel, est celui de l’approche mutualisée des connaissances, des pra-tiques, des coûts et des ressources. Cette approche est souvent privilégiée dans les interventions des acteurs universitaires sur des projets de coopération décentra-lisée en matière de solidarité numérique.

En définitive, l’itinéraire entre recherche et exper-tise qui a caractérisé cette recherche-action évalua-tive, nous a donné l’opportunité d’accéder à des dy-namiques de coopération décentralisée en matière de solidarité numérique observables sur le terrain. Nous avons vu que le positionnement et le rôle du chercheur-praticien diffère et s’ajuste en fonction de son degré d’implication-distanciation et en fonction de la manière dont il articule les exigences du milieu uni-versitaire et celles institutionnelles ou bureaucratiques émanant des bailleurs ou des opérateurs, tout en te-nant compte des contraintes et exigences propres au terrain observé. Il ne serait pas dénué d’intérêt d’inter-roger les différentes logiques de la recherche-action, comme projet d’expertise technique ou d’expérimen-tation scientifique sous l’angle de la spécificité des mo-dalités de coopération entre universités et collectivités territoriales en matière de développement numérique des territoires.

Cartographie des partenariats de coopération décentralisée dans le domaine de la solidarité numérique. © D. Tchehouali, 2012. Une version interactive de cette carte est

disponible, URL : http://sourcemap.com/view/4439

Page 57: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

55

BibliographieAdler, P. & Adler, P. (1987). Membership roles in field research. Newbury Park, Sage publication.

Akrich, M. ; Callon, M.; Latour, B. (1991). « L’art de l’intéressement. L’art de choisir les bons porte-parole » (déjà publié in Annales des Mines, série Gérer et comprendre, n°11 & 12), p. 27-76, in Vinck, D. (ed.), Gestion de la recherche Nouveaux problèmes, nouveaux outils. Bruxelles, De Boeck.

Bogdan, R., & Taylor, S.J. (1975). Introduction to qualitative research method: a phenomenological approach to the social sciences. New York, Wiley.

Bourdieu, P. (1978). « Sur l’objectivation participante. Réponse à quelques objections ». Actes de la recherche en sciences sociales, 23, 67-69.

Callon, M. (1999). « Ni intellectuel engagé, ni intellectuel dégagé : la double stratégie de l’attachement et du détachement », Sociologie du travail, 1999/41, 65-78.

Crozier, M. & Friedberg, E. (2008). L’acteur et le système. Sociologie politique. Paris, Seuil.

De Sardan, J.P.O. (2008). La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique. Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant.

Olivier De Sardan, J.P. (2001). « L’enquête de terrain socio-anthropologique », Enquête, 8, 63-81.

Emerson, R. (2003). « Le travail de terrain comme activité d’observation. Perspectives ethnométhodologistes et interactionnistes ». p. 398-424, in Céfaï, D. (ed.) L’enquête de terrain. Paris, La Découverte/MAUSS.

Gold, R.L. (1958). « Roles in sociological field observations ». Social Forces, vol. 36, 3, 217-223.

Guba, E.G., & Lincoln, Y.S. (1981). Effective evaluation. San Francisco, Jossey-Bass.

Lecomte, R. & Rutman, L. (1982), Introduction aux Méthodes de Recherche Évaluative. Ottawa, Université de Carleton.

Mias, C. (2003). « Praticien-chercheur : Le problème de la double posture. Quand la recherche se déroule sur un terrain totalement investi par le chercheur », p. 291-306, in Mesnier, P-M. & Missotte, P. (dir.), La recherche-action. Une autre manière chercher, se former, transformer. Paris, L’Harmattan.

Palumbo, D. (dir.), (1987). The politics of program evaluation. Beverly Hills, Sage Publication.

Platt, J. (1983). « The Development of the “Participant Observation” Method in Sociology: Origin Myth and History ». Journal of the History of the Behavioral Sciences, 19, 379-393.

Pye, M. (2000). Review of Rüdiger Schott’s « Orakel und Opferkulte bei Völkern der westafrikanischen Savanne ». Marburg Journal of Religion, 5, 27-29.

Rocher, G. (1984). « Le sociologue et le pouvoir ou comment se mêler des affaires des autres », p. 369-383, in Lévesque et al. (dir.) Continuité et rupture. Les sciences sociales au Québec (Tome 2). Montréal, Presses de l’Université de Montréal.

Rossi and Freeman H. (1993). Evaluation: A Systematic Approach. Thousand Oaks, Sage Publications.

Rullanti, G. (2005). La recherche-action au service de l’auto-développement. Paris, L’Harmattan.

Tchéhouali, D. (2013). Les politiques et actions internationales de solidarité numérique à l’épreuve de la diffusion des TIC en Afrique : bilan et perspectives, thèse de doctorat, sous la direction d’Emmanuel Eveno et d’Olivier Sagna, université de Toulouse 2, 406 p. URL : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00879871/document

Weiss, C. H. (1998). Evaluation: Methods for studying programs and policies (2nd ed.). Upper Saddle River, NJ: Prentice Hall.

Page 58: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

56

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Docteur en géographie de l’Université Toulouse Jean Jaurès, Destiny Tchéhouali est spécialiste de la coopération internationale dans le domaine du numérique. Sa thèse dresse un bilan des politiques internationales en matière de solidarité numérique en Afrique. Cumulant une dizaine d’années d’expérience en tant que consultant international, Il a notamment travaillé au cours de ces dernières années pour la Commission européenne, l’UNESCO, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l’Agence mondiale de solidarité numérique (ASN), ainsi que pour des gouvernements nationaux et locaux (ministères de la Culture et des Communications du Québec, du Canada et de la France, ministère français des Affaires étrangères et du développement international, ministères des TIC de plusieurs pays africains, municipalités francaises et africaines). Actuellement chercheur au Centre d’études sur i’intégration et la mondialisation (CEIM) et chargé de cours au département de science politique de l’université du Québec à Montréal (UQÀM), ses recherches portent sur la mondialisation et la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique, les villes intelligentes et numériques ainsi que la diffusion des innovations numériques dans les pays du Sud.

Contact : [email protected]

Page 59: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

L’histoire nous montre que beaucoup de produits tech-nologiques et de pratiques ont été sous estimées ou pas pensées du tout. On peut évoquer le téléphone portable sur le plan des ventes, mais il y a aussi, sur-tout, ces usages courants en Afrique, en Amérique latine, qui ne cessent d’étonner les opérateurs télé-phoniques. C’est donc dans les usages et non dans les offres technologiques que se révèlent les « arts de faire ». La révolution arabe vient de montrer une fois de plus des possibilités insoupçonnées, conduisant à inscrire les TIC parmi les facteurs déterminant de cette révolution. Mais au-delà de l’usage simple, il s’agit de confrontations d’usages, ceux des opposants au ré-gime (contrôle, verrouillage, identification, géolocalisa-tion) et ceux des utilisateurs ordinaires, orientés vers la survie et l’amélioration de leur quotidien. C’est comme si, le pouvoir (technique ou politique) mettait en place des stratégies de conservation de ses positions domi-nantes tandis que le citoyen tentait de les déjouer par des tactiques diverses (de Certeau, 1990).

Une recherche orientée communication pour le développementCette réflexion s’inscrit dans le cadre de la communica-tion pour le développement, courant de pensée apparu en Asie et précisément aux Philippines. Le terme a été utilisé pour la première fois par le professeur Nora Que-bral et repris par un groupe de chercheurs de l’UPLB (University of the Philippines Los Baños). Ce nouveau champ d’études et de pratiques trouve son ancrage

premier dans les études agricoles, le journalisme rural pour le développement et la mise en place d’émissions éducatives. Il est apparu dans le cadre des réflexions menées au départ sur les médias et le développement des pays du Tiers-monde. Il s’agissait, à l’époque, de ré-pondre à la question du rôle de l’information dans le développement de ces pays. Il y a donc une évolution de la pensée qui s’est tournée vers d’autres probléma-tiques, notamment celle de savoir comment utiliser de manière efficace la communication en faveur de la démocratie.

Ce positionnement intègre la prise en compte de la participation des populations concernées. Comme le souligne à juste titre Nora Cruz Quebral, la communi-cation participative pour le développement, de par « la fenêtre unique qu’elle ouvre sur le développement humain, lui permet de jouer un rôle de pionnier en ma-tière de nouveaux concepts et de nouvelles pratiques, que d’autres domaines peuvent par la suite adopter » (Cruz Quebral, 2007, 62).

Il s’agit donc à n’en point douter d’une approche qui s’inscrit dans ce qu’il est convenu d’appeler la re-cherche-action, puisqu’il est question, avant tout, de viser le changement social et économique des popula-tions amenées à participer au processus de réflexion. Appliquée aux technologies de l’information et de la communication cette posture s’avère plus aisée lors-qu’il s’agit d’analyser les processus d’appropriation.

Développement des TIC,développement de la démocratiedans les collectivités locales africaines

Alain KiyindouLaboratoire Médiations, informations, communication, arts

Université Bordeaux Montaigne

Pour citer cet article : Kiyindou A., « Développement des TIC, développement de la démocratie dans les collectivités locales africaines », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 57-62.

Page 60: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

58

TIC et démocratie locale

Du grec dêmos, peuple, et kratos, pouvoir, démocra-tie signifie le gouvernement du peuple par le peuple. Il s’agit donc du droit des habitants de la commune à être informés et à être consultés. Plus concrètement, c’est un régime dans lequel tous les citoyens possèdent, à l’égard du pouvoir, un droit de participation (vote) et un droit de contestation (liberté d’opposition). En Afrique, la démocratie s’est exercée sous différentes formes liées à l’organisation familiale, clanique ou villa-geoise voire sociale. Quant aux TIC, elles désignent les moyens actuels chargés de collecter, stocker et diffu-ser l’information. Le lien établi entre TIC et démocratie, nous amène à nous interroger sur le rôle des TIC dans la participation citoyenne. En effet, une société démo-cratique suppose le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture. Elle implique que la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations et les idées accueillies avec faveur mais aussi celles qui heurtent, choquent et inquiètent l’État ou une fraction de la po-pulation. La liberté d’expression constitue donc l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Pour beaucoup, la cyber-démocratie est l’aboutissement évolutif et organique de l’intelligence collective vers un idéal démocratique planétaire implanté par les technologies de l’informa-tion et de la communication. Pourtant, ce qui s’appa-rente à une démocratie est tout son contraire puisqu’il s’agit souvent de dictature, d’imposition d’un type de rationalité, de triomphe de la « technologique ».

TIC et démocratie locale en Afrique

Malgré de nombreux écueils, on assiste, en Afrique, à l’apparition de nouveaux espaces d’expression issus de l’usage des technologies de l’information et de la

communication. Les téléphones mobiles, Internet avec son lot de blogs, forums et sites sont aujourd’hui des outils incontournables. Toutefois, Internet n’est pas le premier à favoriser l’expression démocratique. On se souvient encore de l’arbre à palabre et de la place du marché qui ont été de véritables espaces d’expression démocratiques. C’est en effet là que les questions les plus cruciales de la vie du groupe sont traitées avec une prise de parole très codifiée, faisant appel aux pro-verbes, signe d’érudition, puisque le parler simple est, dans la société africaine, propre aux enfants.

Dans un autre contexte, les médias légers et les mass-médias de façon générale ont toujours été des vecteurs démocratiques. C’est ce qui explique qu’à chaque coup d’État, la télévision et la radio ont été les premières cibles. Dans les années soixante, sous la hou-lette de l’Unesco et de la FAO, un accent particulier a été mis sur la radio rurale. Les tribunes radiophoniques rurales, systèmes de groupe de discussions organisés pour l’écoute d’émissions rurales sont utilisés pour pallier le problème d’acquisition du poste radio. Après l’émission, les membres du club demandent des expli-cations supplémentaires, approuvent ou émettent des réserves sur tel ou tel autre point de l’émission. Les TIC dites « nouvelles » ne viennent donc, que s’ajouter à une série d’autres espaces, souvent plus en phase avec le système culturel.

La multiplication des sites internet

Les sites qui se sont multipliés ces dernières années constituent des espaces d’expression démocratiques. C’est le contrepoids de l’espace médiatique fortement occupé et régenté par le pouvoir politique. L’obser-vation des sites internet de quatre grandes villes afri-caines (Abidjan, Cotonou, Dakar, Douala) font ressurgir quelques récurrences.

Site web de la mairie de Cotonou

Page 61: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

59

En général, ces sites laissent la place au dialogue et à l’expression citoyenne à travers des rubriques particulières no-tamment des sondages, forums et autres commentaires. L’interface est simple mais on note une volonté d’en faire un outil de dialogue même si l’aspect vitrine reste dominant.

Les thématiques abordées vont de la ges-tion de la municipalité à des demandes personnelles en passant par des vœux de nouvel an. Les sujets abordés sont nombreux. Un jeune étudiant sénégalais sollicite une bourse d’études :

« Je m’appelle Amadou Mbaye je suis étudiant à l’université Henri Poincaré de Nancy en France, je suis étudiant en licence science physique. Natif de Dakar, j’aimerai savoir si vous oc-troyez des bourses d’études à l’étran-ger. Pour tous renseignements mon email est […].Veuillez agréer monsieur le Maire mes sentiments les plus distingués. »

Un autre s’offusque de la subvention ac-cordée au chanteur sénégalais Youssou N’dour :

« Bonjour Mr le maire, je suis étudiant à Paris et je dirige une association qui lutte contre l’immigration clandes-tine. Je vous suis de très près et avec beaucoup d’intérêt depuis quelques temps mais je pense que les jeunes artistes émergeant méritent plus la subvention que vous avez octroyée à Youssou Ndour. Cela pourrait servir à l’éducation, à lutter contre la faim, vraiment je pense qu’avant l’athlé-tisme et la musique, les gens doivent d’abord manger à leur faim. Donc ne vous laissez plus avoir de cette ma-nière. »

Mais au-delà de l’affichage démocratique, l’expres-sion citoyenne est rare voire orientée. On peut noter tout d’abord une forte participation des membres de la diaspora. Ceux-là qui sans doutent craignent moins les éventuelles représailles et qui ont un plus grand accès aux technologies de l’information et de la com-munication. On constate ensuite une quasi absence des populations féminines qui sans doute préfèrent rester en marge de ces « turbulences ». En effet, dans un contexte juridique non libre et devant des outils qu’ils savent contrôlés les internautes se méfient et préfèrent ne pas participer d’où la faiblesse du nombre de réponses et commentaires. Les décideurs politiques

De haut en bas : page d’inscription du site web de la mairie de Douala, et statistiques de participation sur le site web de

la mairie d’Abidjan.

auraient pourtant tout à gagner de l’éclairage des chercheurs très au fait des usages démocratiques des technologies mais l’implication de ces derniers dans la conception et même l’évolution de ces dispositifs est quasiment absente. Les décideurs politiques peuvent donc aisément tracer les citoyens sans se soucier des conséquences liées à une prise de parole souvent sen-tie comme risquée. Le site de la mairie de Douala par exemple, nécessite pour pouvoir lancer des sujets de discussion, une phase d’inscription nécessitant de four-

Page 62: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

60

nir des données personnelles. Il est d’ailleurs rappelé que l’adresse IP de tous les messages est enregistrée…

Toutefois les quelques personnes qui s’expriment ne cachent pas leurs opinions. 13 % de participants au son-dage publié sur le site de la mairie de Dakar jugent sa gestion catastrophique, 16 % la trouvent nulle et 22 % se prononcent pour un changement d’équipe. On peut toutefois se demander si les messages postés ne le sont pas parfois par des agents de la mairie. Sur le site de la mairie d’Abidjan, on peut par exemple lire :

« Toutes mes félicitations Monsieur le maire ! Il nous fallait un homme comme vous ! Rigoureux et digne de confiance. C’est une excellente initiative que de désengorger Dakar ! J’admire votre courage et votre abnégation ! Ne reculez surtout pas ; car vous avez le soutient de la population ! Tous mes bons vœux à vous et à toute l’équipe municipale qui vous accompagne dans cette mission qui n’est pas facile ! Mais vous réussirez inchallah ! Puisse le sei-gneur vous guider et vous assister dans cette digne tâche. »

La question fondamentale qui se pose donc ici est celle de l’interprétation par le chercheur des données issues d’un contexte où les autorités déploient des arsenaux énormes pour garantir leur réputation souvent mise à mal par les outils modernes. Le faible investissement dans les sites web et la quasi absence des collectivi-tés territoriales africaines dans les réseaux sociaux dénotent une sous-information sur les possibilités communicationnelles existantes et un déficit de com-pétences technologiques. Très peu de collectivités se livrent en effet à un usage professionnel de Facebook, Twitter, Myspace et autres réseaux sociaux ou sites de microblogging.

Le rôle ambigu de la téléphonie mobileAu-delà du lien social, le téléphone mobile s’est avéré un excellent outil de coordination et d’organisation des masses. De nombreux meetings sont ainsi organisés en s’appuyant sur ce moyen de communication à la fois très rapide et très ciblé. Mais le téléphone mobile est avant tout un moyen pour exister, être compris et par-ticiper à une relation sociale. Toutefois, les décideurs politiques n’ont pas mis longtemps pour comprendre qu’ils pouvaient l’utiliser à leur fin. Ils n’hésitent pas à mettre la main sur les fichiers des abonnés aux diffé-rents opérateurs pour leurs adresser directement des messages les invitant notamment à participer aux mee-tings ou à voter pour tel ou tel autre parti.

En Tanzanie, les responsables de l’organisation des élections générales du 31 octobre 2010 ont créé un système d’information électoral via SMS permettant aux électeurs de localiser leur bureau de vote. Toute-fois, le téléphone mobile, par la souplesse d’utilisation qu’il offre est intégré dans les stratégies de résistances

procédant par la diffusion des rumeurs ou la circulation des messages de dérision à l’encontre du pouvoir. À travers cet outil, le « téléphone arabe » prend une di-mension encore plus importante allant jusqu’à contre-carrer les stratégies de fraude électorale. Les usages militants sont nombreux, ils vont de l’organisation des manifestations politiques, la coordination des grèves à la dénonciation des actions de corruption ou tout autre abus. Les fonctions photo, enregistreur et caméra du téléphone portable sont de plus en plus utilisées pour rendre public des propos et des images qui sans elles se-raient restées inconnues. Bien entendu, tout ceci pose des problèmes éthiques et de fiabilité de l’information circulant sans réelle vérification ni recoupement.

On peut constater que même si les usages des TIC sont nombreux, ils restent inscrits dans un cadre social et démocratique restreint. Le dialogue envisagé, les es-paces de discussion ou d’expression libre ne sont qua-siment pas présents sur les sites présidentiels, c’est donc simplement au niveau local que le « débat démo-cratique » est autorisé. Aussi les espaces mis en place ne le sont pas dans un objectif de co-gouvernance. Sur le plan technologique, on est loin de s’approprier les dispositifs de data visualisation et de géolocalisation ou en tous cas à les intégrer dans les stratégies de gouvernance. Les usages des TIC pour la démocratie en Afrique souffrent encore de la non maîtrise tech-nologique et du contexte politico-juridique. Mais la démocratie est aussi sociale et la véritable appropria-tion s’opère au niveau des populations et des systèmes traditionnels de gouvernance. Les chefs qui hier s’ap-puyaient sur les rapports oraux établis par leurs repré-sentants utilisent tous le raccourci technologique pour être au courant des dernières évolutions dans la vie lo-cale et lancer les directives nécessaires et orienter les actions. Ces changements de pratique ne doivent pas être vus comme un abandon des postures tradition-nelles mais une évolution logique des cultures. Il reste que le pouvoir en Afrique est bi-polaire. Il y a d’abord une structure traditionnelle, bien ancrée dans la vie so-ciale à laquelle vient se superposer un pouvoir politique moderne dirigée depuis la ville. Si ce sont les sphères de politiques modernes qui impulsent les stratégies d’appropriation des technologies, leurs usages les plus socialisés s’ancrent véritablement dans les structures les plus classiques. Ici, il ne s’agit pas d’être multi-bran-ché, mais d’utiliser la technologie la plus adéquate tout en respectant les normes sociales. Bien entendu, des conflits peuvent surgir entre ces outils modernes et les codes de profération de la parole en vigueur mais des adaptations permettent de réduire le décalage et c’est là que le téléphone portable apparaît comme la tech-nologie la plus apte à se plier aux différentes exigences sociales.

Page 63: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

61

Références bibliographiques

Ba Amadou, Internet, Cyberespace et Usages en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2003.

Bessette Guy (dir.), Eau, terre et vie, Paris, L’Harmattan, 2007.

de Certeau Michel, l’invention du quotidien : les arts de faire, Folio/essais, Paris, Gallimard, 1990

Cheneau-Loquay, Annie, Modes d’appropriation innovants du téléphone mobile en Afrique, rapport édité par le ministère des Affaires étrangères et européennes français et l’Union internationale des télécommunications, 2010.

Kamga Osée « Un exemple de développement dans le contexte africain. L’appropriation de la téléphonie mobile en Côte d’Ivoire. » In Place et rôle de la communication dans le développement international, Jean-Paul Lafrance, Anne-Marie Laulan et Carmen Rico de Sotelo (dir.), Québec, Presses de l’Université́ du Québec, 2006, p. 105-122.

Kiyindou Alain, Les pays en développement face à la société de l’information, Paris, L’Harmattan, 2009.

Kiyindou Alain (dir.), Communication pour le développement, dispositifs et pratiques professionnels, Bruxelles, EME, 2010.

Kiyindou Alain, Mathien Michel, La liberté d’expression face à l’évolution économique libérale, Bruxelles, Bruylant, 2007.

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Alain Kiyindou est professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux Montaigne. Il est également président d’honneur de la Société française des sciences de l’information et de la communication et expert permanent à la commission française pour l’Unesco.

Contact : [email protected]

Page 64: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation
Page 65: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

En Afrique, le fait urbain est devenu un élément ma-jeur de l’organisation des sociétés et des territoires : près de la moitié de la population africaine vit désor-mais dans les villes. Certaines sont devenues, en peu de temps, des métropoles mondiales, telles Le Caire et Lagos. D’autres sont des métropoles régionales, capi-tales d’états ou de régions, ou de simples villes-centres de « pays » ruraux.

Dans quelle mesure les TIC contribuent-elles au gouver-nement des villes et à leur développement, et, dans ce « modèle », quels rôles jouent ces différents acteurs ? En matière de « gouvernement des villes », le Cap-Vert peut être présenté comme un contre-modèle, celui de la relation forte entre experts et administrations davantage qu’entre chercheurs-experts-acteurs asso-ciatifs. On reste aussi, dans cet exemple, dans une « gouvernance par le haut », sauf pour ce qui concerne certains aspects de l’implication citoyenne dans la dé-mocratie locale.

Le Cap-Vert :citoyenneté, gouvernance et TIC

Citoyenneté et société de l’information

Le Cap-Vert est l’un des pays les plus démocratiques d’Afrique. Au classement Mo-Ibrahim 2013 de la bonne gouvernance, il se classe au troisième rang, derrière Maurice et le Botswana, et devant les Seychelles et l’Afrique du Sud. Contrairement à d’autres pays

Développement des TIC et activités citoyennes dans la ville africaineL’exemple du Cap-Vert

Michel LesourdUniversité de Rouen

Pour citer cet article : Lesourd M., « Développement des TIC et activités citoyennes dans le ville africaine, l’exemple du Cap-Vert », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 63-70.

La République du Cap-VertÀ 500 km à l’ouest du continent africain, la République du Cap-Vert, archipel (10 îles dont 9 habitées) situé dans l’océan Atlantique centre-oriental à 1 750 km au sud des Îles Canaries et à 3 000 km du Nordeste du Brésil, est un petit État (4 033 km2, 530 000 habitants), indépendant depuis 1975.

Il se caractérise par l’importance de sa diaspora (750 000 émigrés), sa pauvreté et un espace maritime (ZEE : 740 000 km2) qui lui confère une position géostratégique importante.

Pays « à revenu moyen inférieur » selon les Nations Unies (en 2012, le PIB par habitant s’élevait à 3 540 USD, avec un indice de développement humain [IDH] égal à 0,586, se plaçant au 132ème rang mondial), sa croissance est largement fondée sur l’aide internationale et les transferts financiers des émigrés, alors que le secteur productif demeure modeste.

Sa faible population, son relatif isolement, les risques naturels chroniques, des ressources limitées, la fragilité structurelle de son économie, en font un exemple de pays très vulnérable dans le contexte de la mondialisation économique et financière. Mais la « révolution » des technologies de l’information contribue grandement à l’insertion du pays dans la mondialisation. Dans l’archipel, l’urbain concerne aujourd’hui 62 % de la population.

Page 66: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

64

d’Afrique, la République du Cap-Vert vit, depuis 1991, une démocratie apaisée. Les élections présidentielles de 2000, qui opposaient M. Carlos Veiga, Premier ministre sortant (du MpD, Movimento para Democracia) à M. Pedro Pires, ancien Premier ministre (PAICV, Partido Africano para Independência do Cabo Verde), ont vu la victoire de ce dernier avec douze voix d’avance sur son adver-saire. Le perdant, constatant que les élections s’étaient déroulées sans incident et sous le regard d’obser-vateurs internationaux, a jugé inu-tile de demander le recomptage des voix ! Cette qualité de la vie politique s’appelle au Cap-Vert le convivio, re-cherche exemplaire de la conviviali-té et du « vivre ensemble » politique.

Le contexte cap-verdien est celui d’un État-archipel décentralisé. Neuf des dix îles, au peuplement contras-té et de superficie variable, sont ha-bitées. Les lois de décentralisation, entrées en vigueur entre 1992 et 2005, l’ont organisé en 22 Municipes. Nombreuses sont les collectivités in-fra-insulaires : l’île n’est pas nécessairement considé-rée comme une entité territoriale pertinente. Chaque collectivité dispose d’un chef-lieu, cidade ou vila, lieu de résidence du pouvoir local, c’est à dire des deux assemblées élues au suffrage universel : Câmara muni-cipal, avec, à sa tête, un président, chef de l’exécutif municipal, élu pour six ans, et une Assembleia munici-pal consultative. Mais la tradition de fort encadrement d’un État « guide » du développement renvoie à la ca-pacité ou l’impuissance de la « société civile » à peser sur la dynamique de gouvernance des villes.

Le Cap-Vert est aussi un État « projeté » : État, collec-tivités territoriales, ONG et associations fonctionnent principalement grâce à l’apport de projets, le plus souvent financés par un ou plusieurs partenaires inter-nationaux (État, collectivité, agence, ONG). Une telle situation n’est pas anodine : même si les projets per-mettent au pays d’avancer, elle génère l’usage de mo-dèles importés qui ne prennent que partiellement en compte la réalité cap-verdienne.

L’émigration internationale est une composante déci-sive de la société. La connaissance et le brassage des modèles importés des pays développés en sont une conséquence. La révolution des TIC a fait son œuvre : migrant connecté et vie citoyenne passent désormais par les réseaux sociaux, au moins en ce qui concerne les jeunes. Les « Îles extérieures » de la diaspora cap-ver-dienne péri-atlantique sont bien reliées aux « îles inté-rieures » de l’archipel.

Le Cap-Vert est actuellement le quatrième pays d’Afrique pour l’importance de ses abonnements In-ternet, (taux de 30 % d’équipement des ménages) der-rière le Maroc (49 %), et son taux d’équipement en télé-phones portables est de 83 %. La politique de dévelop-pement menée par l’État en termes d’infrastructures TIC remonte à la fin des années 1990, avec la transfor-mation de la société d’État de gestion des télécoms en une compagnie dans laquelle l’État, mais également les travailleurs et les capitaux portugais sont repré-sentés, Cabo Verde Telecom, en charge des principaux services publics de télécommunications et d’Internet. Mais c’est surtout au début des années 2000 que le Cap-Vert s’est lancé dans la promotion d’une « société de l’information », avec la création d’une agence para-gouvernementale, le NOSI (Noyau opérationnel pour la société de l’information), en charge de l’élaboration de réseaux et de services à l’État, aux collectivités ter-ritoriales, aux entreprises et aux particuliers. La poli-tique TIC du pays est multidimensionnelle et concerne autant les grandes infrastructures d’équipement que les services et les outils de gestion des espaces et terri-toires ou la gouvernance citoyenne.

Gouvernance : le haut et le bas

En termes de gouvernance, on retrouve, au Cap-Vert comme souvent ailleurs, le rôle majeur de six acteurs. L’État et sa tradition de forte centralisation ; les collec-tivités territoriales (Municipios), aux moyens humains et financiers limités ; les chercheurs, encore peu nom-breux, puisque l’université du Cap-Vert n’est opération-

Page 67: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

65

nelle que depuis 2006, et les chercheurs étrangers qui leur sont associés encore rares. Les experts cap-ver-diens sont surtout professionnels (ingénieurs NOSI et de PME pour les TIC) et travaillent fréquemment avec des étrangers ; les ONG et associations, nombreuses et actives ; les citoyens enfin, très inégalement concernés par la gouvernance locale.

L’aménagement urbain concerne les quatre types de gouvernance urbaine : décisionnelle (structures poli-tiques et décisionnelles publiques et privées) ; de l’in-novation par les structures universitaires, la recherche, l’entreprise ; de l’échange, avec la promotion des gateways et la fonction de hub ; « symbolique » : identi-té, représentation, modernité, citadinité. C’est dans ce cadre que s’exerce – ou non – la citoyenneté : ainsi doit-on situer la « gouvernance citoyenne », que l’on peut aussi nommer « gouvernance par le bas ».

Dans le détail, il convient d’insister plus particulière-ment sur les aspects suivants :

• L’approche par la gestion citoyenne politico-dé-mocratique : participation/adhésion à la démocra-tie représentative et participative, la participation à l’élection et l’analyse du fait électoral. La parti-cipation démocratique, avec une forte demande de transparence, se fait par une analyse critique utilisant les outils TIC et d’information-communi-cation : blogs, presse, ce que l’État nomme encore la « communication sociale ».

• la gestion citoyenne des fonctionnalités et améni-tés (confort, qualité de l’assainissement, énergie, eau, emplois, la circulation entre emploi et domi-cile, l’environnement en ville.

• la gestion citoyenne de la citadinité : appropriation des lieux et des temps de la ville, incluant les lieux de convivialité et de fête.

• la gestion citoyenne des problèmes de société : vul-nérabilité sociale, notamment celle des femmes, des jeunes, des handicapés.

Une question de normes

Qui impose les normes ? L’État ? Les « élites » ? Les ex-perts (étrangers le plus souvent) ? Par exemple, qu’en est-il du modèle « TIC et démocratie », qui comprend un important arsenal normé : fichier électoral, décou-page du territoire en circonscriptions, élections orga-nisées avec traitement statistique et cartographique, partis politiques utilisant les plate-formes de presse et e-presse, transparence, participation et vigilance ci-toyenne ? En Afrique, la réalité-terrain est, par rapport au « modèle », toujours plus complexe. Il convient en particulier de prendre en compte que, dans les sociétés d’ailleurs, le modèle occidental de démocratie n’est pas accepté « tel quel », qu’il peut être fortement critiqué, à cause de la corruption qui, trop souvent, le caracté-rise, ou des abus de pouvoir, à cause aussi, sans doute,

du modèle de développement qui lui est associé et qui est parfois lui-même rejeté, tel le « patrimoine » tel que le conçoit l’UNESCO dans les villes maliennes par exemple, modèle peu susceptible de résoudre les pro-blèmes sociaux et d’emploi locaux. On peut donc op-poser à la norme « démocratie occidentale » un autre modèle (contre-modèle ?), plus opératoire, de « dé-mocratie du consensus » (au Mali : islamique et coutu-mier). Dans un tel contexte, on constate le faible rôle des experts, le faible rôle des chercheurs (qui vont, au mieux, diffuser un autre modèle démocratique et ex-pliquer la « réislamisation » de la société), et le rôle im-portant de la population (avec éventuellement un peu de TIC). En effet, le rôle des TIC n’est pas négligeable, puisque les TIC, notamment Internet, permettent au ci-toyen de connaître d’autres expériences que celles de l’occident, et parce que le téléphone mobile favorise la connaissance des phénomènes de société, la ville, la vie en ville.

On pourrait ainsi multiplier les interrogations sur d’autres modèles de gestion : ceux des « villes saintes » ou des « cités-État » historiques nigérianes, caractéri-sés par un compromis entre pouvoir municipal et kha-lifat confrérique, comme à Touba (Sénégal) : dans ce cas, le rôle des chercheurs est faible ; celui des experts, médiocre. Le rôle essentiel revient à la société civile et le couple confrérie-municipalité (s’il en existe une) ou confrérie ou plus exactement une famille dominante de la confrérie-citoyens (qui sont en même temps des fidèles et/ou affiliés).

Praia et les villes du Cap-Vert :villes digitales et e-citadinité

L’archipel est de dimension modeste. Deux villes, Praia (île de Santiago, capitale politique, 130 000 habitants) et Mindelo (île de Sao Vicente, 75 000 habitants), do-minent l’organisation urbaine. Les autres villes, capi-tales d’île et/ou de municipio, sont toutes inférieures à 25 000 habitants. Mais leurs équipements sont signifi-cativement supérieurs à ce que peut laisser entendre leur faible taille.

Praia, capitale

La ville de Praia se caractérise par une croissance mal maîtrisée. On doit à l’héritage de la colonisation por-tugaise l’absence de cadastre, ce qui ne facilite pas la gestion territoriale. L’exode rural, l’immigration, consi-dérable (la population de la ville a doublé entre 1980 et 2000) en provenance des autres îles et, depuis peu, une immigration étrangère non négligeable, ont en-traîné la création de quartiers « spontanés », installés le plus souvent sur de fortes pentes et les fonds inon-dables des vallées qui structurent le site de la ville.

La gestion urbaine n’en est que plus difficile, et les prin-cipaux problèmes concernent en premier lieu et de

Page 68: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

66

manière classique les aménités (assainissement et dis-tribution d’eau, énergie électrique principalement), les infrastructures d’approvisionnement et de circulation, puisque la localisation historique du marché municipal est enclavée en centre-ville, et la circulation des trans-ports collectifs insuffisamment structurée.

Le « pensé » de la ville, « en amont » de son aménage-ment, et surtout la question de l’organisation en quar-tiers, avec leurs limites (quartiers en essor, quartiers spontanés régularisés), la non prise en compte de l’es-pace vécu des citadins, largement référencé en termes « d’infra-quartier », ainsi que les questions des risques environnementaux et des héritages des « vieux » quar-tiers, constituent un des défis de l’aménagement de la capitale, en relation notamment avec l’implantation d’infrastructures permettant l’accès à Internet.

D’autres problèmes caractérisent cette petite capi-tale : l’insertion citadine des populations du fora (la campagne), néo-citadins ignorants des contraintes ur-baines, mais aussi la non prise en compte de la ques-tion « pour qui la ville est-elle faite ? » : les élites ? le peuple ? Et ceci, même si, classiquement, la construc-tion immobilière et le foncier local compartimentent depuis longtemps les espaces de vie des différentes catégories sociales.

Enfin, la question de la « modernité » urbaine, du bran-chement économique au monde (les activités por-

tuaires, l’espace financier, les TIC, le patrimoine local) constituent un autre défi, sans doute davantage tourné vers celui de l’insertion mondiale, même s’il convient d’y ajouter l’enjeu de la « cyber-citoyenneté démocra-tique », intégrant la « communication transnationale » avec des émigrés « absents-présents » dans la ville.

Dans tout ce contexte, la question de la contribution des TIC à l’aménagement et au développement de la ville de Praia est posée : quels résultats peut-on avan-cer en termes de contribution des TIC à la citoyenne-té et à la citadinité à Praia et dans les autres villes de l’archipel ? Avec l’exemple de la ville de Praia, trois domaines de résultats peuvent être avancés dans ce domaine des services numériques : dans la gestion du politique, dans les rapports administration d’État-ci-toyen, et en ce qui concerne la gestion territoriale et l’aménagement.

Praia, ville numérique

La contribution des TIC à l’aménagement et au déve-loppement municipal procède principalement des au-torités étatiques et des projets menés par des experts cap-verdiens et étrangers, du moins en ce qui concerne les grands équipements et services. L’action des ONG, d’ailleurs souvent portée par des projets, de coopéra-tion décentralisée ou non, se limite le plus souvent à des interventions dans les périmètres restreints des quartiers.

Le portail citoyen de la République du Cap-Vert

Page 69: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

67

• Dans le domaine politique : un e-gouvernement opérationnel

Depuis bientôt dix ans, le gouvernement du Cap-Vert est équipé d’une boucle Intranet (Intranet gouverne-mental), qui lui a permis de mettre en place et déve-lopper un Système d’information gouvernemental (SIGOV). Dans les années qui ont suivi, la boucle a été élargie aux municipios, progressivement connectés. Le site gouvernemental est d’un grand intérêt : il offre de nombreuses informations aux citoyens dans le champ des décisions gouvernementales ; il informe sur les débats à l’Assemblée nationale, les projets de lois, et contribue à la transparence d’une démocratie cap-ver-dienne aujourd’hui mature. L’inter-connection pouvoir municipal-pouvoir central n’est pas complète, mais elle devrait, à terme, faciliter les rapports, notamment fi-nanciers, réglementaires et de gestion des ressources humaines, entre l’État et les collectivités territoriales. Considéré comme un modèle à suivre, le modèle infor-matique du e-gouvernement du Cap-Vert a fait l’objet de campagnes de démonstration, par les experts du NOSI, dans certains pays d’Afrique de l’Ouest.

• Une e-administration plus proche du citoyen

Afin d’améliorer la relation entre l’État et le citoyen, les autorités politiques ont décidé de créer, en 2006, une « Maison du Citoyen » (Casa do Cidadao). Les bu-reaux les plus importants sont installés dans la capi-tale et dans les principaux chefs-lieux de municipe. Ils accueillent librement dans des guichets dédiés tout ci-toyen en attente de document d’état-civil, de création d’entreprise ou de toute information administrative. La Casa do Cidadao dispose aussi d’un service automobile, qui sillonne le territoire des municipes isolés. Mais la nouveauté est que les services offerts existent égale-ment sous une forme entièrement numérique : l’envoi ou l’obtention de tout document se font sans nécessité de déplacement, avec une grande célérité. Le portail lui-même est d’usage simple et convivial, et rend de grands services, en même temps qu’il contribue à la création d’emplois dans le domaine des applications informatiques.

• Des aménagements et e-usages territoriaux

Le projet KONEKTA (2006)

Il s’agissait d’un projet d’État, financé par les coopéra-tions internationales, qui consistait à équiper en WiFi Internet gratuit les trente places publiques des villes du pays, de la capitale à la plus modeste, lieux qui de-venaient ainsi des « places digitales ». Rappelons que, dans le modèle cap-verdien de ville (hérité du modèle portugais), la place centrale est importante, comme le sont aussi, dans ce même modèle, les miradors (mira-douros) comme lieux centraux de la réunion-commu-nication citoyenne, tant pour la déambulation-prome-nade que des loisirs plus ciblés comme, par exemple dans le cas du Cap-Vert, des concerts gratuits. Dans ce

projet, les chercheurs, comme les citoyens, n’ont joué aucun rôle : ce sont les experts du NOSI qui ont lancé l’initiative et proposé le projet à des coopérations in-ternationales pour financement. La réussite du projet est remarquable. Peu de pays d’Afrique, même les plus riches, ou ceux disposant des plus grandes métropoles, disposent de telles aménités. Les places digitales sont devenues des espaces d’accès au web particulièrement utilisés par les jeunes. Ils profitent aussi aux familles et à toute personne installée dans les kiosques et petits cafés installés sur ces places.

Le cadastre urbain

Beaucoup d’atermoiements, une recherche de finan-cements, une réalisation compliquée parce que devant intégrer l’informalité de nombreux édifices privés de résidence, et aussi une recherche des meilleures tech-niques ont entraîné perte de temps, lenteur et succes-sion de projets demeurés sans lendemain. Le manque de cohérence renvoie ici au rôle des experts interna-tionaux et des fonctionnaires (ingénieurs de l’Équipe-ment et techniciens en informatique) autant qu’aux décideurs gouvernementaux et aux bailleurs de fonds.

Le Système d’information géographique de la capitale (SIG Praia)

L’histoire de ce projet, mené de 1996 à 2000, puis aban-donné est exemplaire. En 1996, un jeune universitaire cap-verdien formé en France, devenu adjoint au maire de Praia, avait développé un projet de SIG pour la ville capitale. Avec un financement de la coopération fran-çaise, et diverses collaborations, dont celle d’un expert ingénieur français chef d’entreprise au Cap-Vert, neuf techniciens furent formés en France, en même temps que se mettaient progressivement en place les équipe-ments pour les bureaux de la ville. Mais le projet, entré dans sa phase opérationnelle, s’arrêta lors du change-ment d’équipe municipale en 2000 et le départ, pour cause de défaite aux élections municipales, de l’équipe en charge du projet. Les nouveaux maîtres de Praia

Place disposant du WiFi gratuit (Assomada, Cap-Vert)

Page 70: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

68

jugèrent le projet SIG-Praia non prioritaire pour la ges-tion territoriale municipale et susceptible de concur-rencer le projet de cadastre en cours réalisé par l’ad-ministration centrale. La décision de principe de doter la capitale d’un SIG a été renouvelée en 2006, et plu-sieurs projets ont alors été élaborés et proposés. Mais en 2013, le processus est toujours en cours…L’exemple montre clairement le rôle du politique dans la prise de décision : manque de présence des techniciens et des intellectuels dans le processus décisionnel autant qu’absence des voix citoyennes.

Le SIM et les outils informatiques

Un autre exemple de projet est celui du Système d’in-formation municipal (SIM). Il a pour finalité de déve-lopper et harmoniser la gestion territoriale et humaine interne à l’administration de la collectivité. Dans ce cas, une plus grande participation des chercheurs de l’uni-versité du Cap-Vert a permis des avancées significatives en matière de connaissance des problèmes de circu-lation et de transport collectif dans la ville. Mais ces travaux demeurent plus étatiques que municipaux : le bilan est très fortement orienté « experts-chercheurs » en duo, avec inégalité des rôles, les chercheurs de-meurant fortement en retrait. Mais, avec la montée en puissance de la société civile et des ONG dans le pro-cessus de demande/exigence démocratique, ainsi que la critique politique par les médias professionnels ainsi que par les journaux et la presse en ligne, et enfin les réseaux sociaux (blogs), il semble que Praia, ainsi que d’autres villes, soit en train de devenir une ville dans laquelle l’action citoyenne s’ajoute aux autres actions de « décideurs ».

Le Cluster TIC

Cet ultime exemple montre la création d’un parc tech-nologique dans la capitale, destiné principalement à attirer les entreprises numériques et promouvoir une économie des services numériques au Cap-Vert, la-quelle est encore, à l’heure actuelle, extrêmement mo-deste. Situé dans la zone de l’aéroport international, il doit être inauguré au début de l’année 2014. Il reprend un modèle bien connu et opérationnel dans des pays comme le Maroc (CasaNearShore à Casablanca) et est avant tout l’œuvre des autorités politiques dirigeantes et des experts de l’agence de promotion des investis-sements du pays.

ConclusionDans le processus de développement des villes nu-mériques au Cap-Vert, beaucoup d’interrogations de-meurent en suspens. Elles renvoient en premier lieu à l’appui à la connaissance, mais également à l’appui à l’activité commerciale et de services, et plus spéciale-ment au soutien à un secteur touristique en expansion. A cet égard, la comparaison avec le projet « Fès virtuel » au Maroc pourrait inciter le Cap-Vert à développer

des services numériques au service de la connaissance du patrimoine urbain du pays. Sur le patrimoine et le capital symbolique, les musées virtuels, l’identité des quartiers, beaucoup pourrait être fait, qui valoriserait les travaux des chercheurs historiens : Cidade Velha, première capitale du pays et ville historique récem-ment inscrite au Patrimoine mondial UNESCO, il serait tout à fait possible de proposer une reconstitution vir-tuelle du plan de défense ancien de la cité.

Le vivre ensemble (convivio) pourrait proposer de nombreuses activités à usage communautaire, no-tamment en ce qui concerne les fêtes municipales. On s’étonnera aussi de constater l’inexistence de politique intégrant le support « téléphone portable » dans le do-maine culturel, patrimonial, touristique, alors que cela existe pour les paiements bancaires et commerciaux. On attend aussi, avec une promotion menée par les universitaires et chercheurs, une politique d’utilisa-tion des logiciels libres, ainsi que des nouveaux outils « libres » cartographiques citoyens, qui avaient permis, voici quelques années, d’aider les sauveteurs après le passage de l’ouragan Katrina à Nouvelle Orleans et le séisme de Port au Prince. Le « modèle » de ville nu-mérique réalisé par le Cap-Vert constitue une avancée significative pour le développement d’un pays pauvre soumis à de fortes contraintes. Il demeure cependant caractéristique du rôle majeur tenu par les experts et les décideurs politiques dans l’orientation des choix techniques et sociaux. L’avenir devrait pourtant per-mettre aux citoyens, aux intellectuels et aux organisa-tions de la société civile de s’exprimer et œuvrer davan-tage au service de leur pays.

Pour aller plus loin

Lesourd M. État et société aux Îles du Cap-Vert. Paris, Karthala, 1995.

Lesourd M. Le Cap-Vert aujourd’hui. Paris. Les Éditions du Jaguar, 2006.

Lesourd M. « NTIC, mondialisation, développement : le cas du Cap-Vert. Les NTIC au service de l’ insertion dans l’économie-monde et du développement local », in Annie Chéneau-Loquay (dir.), Mondialisation et technologies de la communication en Afrique. Paris, Karthala, 2004, p. 77-103.

Lesourd M. et Tsassa C. (dir.) Technologies de l’information et communication et transformation du Cap-Vert. PNUD, RNDH Cap-Vert, 2004.

Lesourd M. « Nouvelles technologies, nouvelles inégalités ? Les NTIC et les fractures socio-spatiales. Exemples au Sénégal et aux îles du Cap-Vert », in M. Lesourd (dir.) L’Afrique. Vulnérabilité et défis. Nantes, Éditions du Temps, 2003, p. 421-447.

Page 71: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

69

Michel Lesourd est agrégé de géographie, docteur HDR et professeur émérite à l’université de Rouen, membre de l’UMR IDEES (CNRS 6266). Ses thèmes de recherches portent sur l’Afrique francophone et lusophone, les dynamiques agraires et rurales, les TIC et le développement. Il est l’auteur de État et Société aux Îles du Cap-Vert (Karthala, 1996), Le Cap-Vert aujourd’hui (Jaguar, 2006), « Traces coloniales. Le “Blanc” et “l’indigène”, regards-traces croisés dans la mondialisation » (L’Homme trace, B. Galinon-Mélénec, 2011), « La diaspora et son rôle dans l’archipel du Cap-Vert. Développement, politique, identité » (Hommes et migrations, n° 1256, 2005). Il a coordonné Crises et mutations des agricultures et des espaces ruraux et L’Afrique. Vulnérabilité et défis (éd. du Temps, 1997 et 2003).

Contact : [email protected]

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Page 72: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation
Page 73: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

Le programme de recherche Information and commu-nication technologies for development (ICT4D) a été initié par Enda LEAD Afrique francophone avec une subvention du Centre de recherches pour le dévelop-pement international (CRDI). Il a été mené dans six pays africains (Bénin, Kenya, Malawi, Rwanda, Sénégal, Tunisie) autour de la problématique de l’utilisation des « systèmes d’information géographique participatifs (SIG-P) pour la gestion des ressources naturelles dans une perspective de sécurité alimentaire en Afrique ».

Une gouvernance vertueuse des richesses que portent les territoires africains, notamment des richesses naturelles, nécessite une réelle participation des populations aux processus décisionnels. Elle exige des connaissances spécifiques du milieu et un dispositif de communication et d’information adapté. C’est dans cette perspective que la question de l’usage des SIG-P a été soulevée dans le cadre du programme de recherche ICT4D, comme un axe central de réflexion et d’action sur le terrain. Les équipes du programme ICT4D se sont intéressées à cette question à travers cinq entrées faisant chacune l’objet d’une étude de cas :

• l’adaptation au changement climatique (étude de cas au Malawi) ;

• la sécurisation des droits fonciers (Sénégal) ; • la gestion des ressources forestières (Kenya et

Rwanda) ;• la gestion des ressources en eau (Bénin) ; • la valorisation des savoirs ancestraux en matière

d’irrigation (Tunisie).

L’outil SIG-Pà l’épreuve des territoires africainsLes éclairages du programme ICT4D

Ibrahima SyllaUCAD et Enda LEAD, Dakar

Pour citer cet article : Sylla I., « L’outil SIG-P à l’épreuve des territoires africains : les éclairages du programme ICT4D », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelli-gentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 71-78.

L’objectif visé à travers cette recherche était de contri-buer à rendre disponibles des systèmes d’information de qualité, fiables et conçus selon des formats acces-sibles, grâce à la mise en œuvre de l’approche SIG-P. Le finalité devait consister à permettre aux décideurs de disposer d’une bonne information et d’améliorer la gouvernance des ressources naturelles dans une pers-pective de sécurité alimentaire.

Au démarrage des activités, la réalisation d’un diagnos-tic situationnel de l’utilisation des SIG et SIG-P dans les pays concernés s’est imposée comme une exigence pour avoir une vue sur les expériences en matière de système d’information. Pour y parvenir, une approche participative a été mise en œuvre, avec l’implication des communautés à la base et des institutions de déve-loppement chargées des SIG au niveau national. Cette démarche inclusive a constitué un moyen de cartogra-phie efficace dans la mesure où elle a permis la produc-tion de connaissances variées.

Les diagnostics établis ont globalement produit un consensus sur trois éléments. Le premier élément de consensus est que les SIG, au-delà des considérations techniques, doivent être considérés comme un outil multi-public (par la diversification des cibles), multi-sca-laire (par le changement d’échelle qu’il autorise) et multithématique (par la diversité des thèmes gérés). Le deuxième point de consensus se rapporte aux préoccu-pations de leurs concepteurs : en fonction des missions conférées à leurs auteurs, les données SIG paraissent

Page 74: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

72

éparses et non intégrées, d’où le problème de l’inte-ropérabilité. Ces données qui restent souvent dans « l’anonymat », sont le monopole de certains groupes qui les gèrent comme ils l’entendent. Le troisième élé-ment consensuel se réfère à la rareté des productions scientifiques portant sur les SIG-P. Cette situation s’ex-plique surtout par le caractère relativement récent (an-nées 1990, aux USA) de l’approche participative visant la production de l’information géographique.

En se basant sur ces éléments de consensus émanant des constats faits par les chercheurs, ce papier discute l’utilité des SIG-P dans la gouvernance des territoires. Elle apporte des éclairages sur les enjeux sociaux liés à l’appropriation de ces outils, en l’occurrence les ques-tions de genre, d’éthique et de participation.

Éléments du contexte de la recherche

Pour l’essentiel, les pays africains restent confrontés à de nouveaux défis dans la gestion de leurs territoires ainsi que des ressources qu’ils portent. Reliés aux ef-fets du changement climatique, ces défis exigent des efforts supplémentaires de la part des décideurs et des communautés, qui se voient contraints de s’ouvrir à de nouvelles approches permettant de générer une dynamique de participation de toutes les parties à la gouvernance locale.

La pertinence de l’approche participative est large-ment tributaire des méthodes et des outils mobilisés. Mais le SIG-P s’impose comme un outil puissant per-mettant la production d’une information de qualité sur l’état des ressources, les dynamiques spatiales en cours, les contraintes du milieu, les menaces et les risques naturels et anthropiques. À ce titre, l’outil se présente comme un moyen d’éclairage du processus décisionnel, d’optimisation de la démarche de gestion des ressources naturelles et d’adaptation aux scéna-rios d’évolution.

• Bénin

Au Bénin, la valeur de l’outil SIG-P a été testée au tra-vers de la gestion des ressources hydriques dans le bas-sin de l’Okpara. Il faut dire que des expériences de re-cherche sur les SIG et l’eau existent depuis longtemps. Cependant, elles n’ont concerné que le département des Collines et n’ont pas mis en avant les aspects mé-thodologiques relatifs à la participation des commu-nautés locales. L’équipe de recherche s’est investie pour combler ce manquement tout en renforçant les capacités des cadres techniques des collectivités lo-cales et des équipes techniques locales pour l’utilisa-tion du SIG et la production de cartes thématiques.

• Kenya

Dans le cas du Kenya, l’utilité du SIG-P a été étudiée en relation avec la gestion communautaire des forêts dans le massif forestier du Law Taner River affecté par

la dégradation de ses ressources. En effet, le microcli-mat des terroirs autour des zones de forêts a considé-rablement changé, entrainant l’irrégularité et la rareté des pluies qui se répercutent sur des activités comme l’élevage. Étant donné que le rapport entre la rareté de l’eau et les difficultés qui minent l’activité d’élevage n’est pas toujours bien perçu par les communautés locales, l’équipe de recherche s’est investie pour le changement de perception et de comportement dans la manière d’utiliser les ressources naturelles. À l’aide du SIG-P, les chercheurs ont voulu relever le défi de développer chez les communautés la conscience des liens entre la stabilité sociale, le développement éco-nomique et la gestion écologique durable.

• Malawi

Au Malawi, l’outil SIG-P a été introduit dans le question-nement relatif à l’anticipation des impacts des change-ments climatiques sur les ressources forestières et les ressources en eau dans le complexe de la zone proté-gée de Liwonde-de Mangochi (LMPAC). Il était ques-tion, en relation avec les communautés de Liwonde, d’explorer des stratégies d’anticipation et d’adapta-tion permettant de pallier les effets des sécheresses, des inondations et du déboisement. Le rôle des cher-cheurs a été de déterminer l’apport des SIG-P dans les stratégies locales, dans le but d’exercer une influence positive sur les conditions de vie des communautés locales.

• Rwanda

Au Rwanda, l’équipe a analysé l’apport des SIG-P dans l’élaboration de modèles communautaires de gestion des ressources forestières. Le prétexte est que dans ce pays, le secteur forestier est en crise, avec une réduc-tion des superficies de près de 65 % entre 1960 et 1990. L’objectif consistait alors à contribuer à l’amélioration de la sécurité alimentaire par la gestion des ressources forestières reposant sur la mise en œuvre de façon par-ticipative de plans de gestion durable des forêts.

• Sénégal

Dans le cas du Sénégal, la recherche a été menée dans la communauté rurale de Mbane, dans la vallée du Sé-négal (Nord du pays) où l’agrobusiness se développe et génère de vives tensions entre les acteurs écono-miques et les populations. Source de malentendus profonds entre les pouvoirs publics qui « assimilent le domaine national à la propriété de l’État » et les collec-tivités locales qui se croient « propriétaires des terres dans leurs zones respectives », la gestion des terres exclut des pans entiers des populations locales. Face à cette situation, l’équipe de recherche s’est proposé d’introduire le SIG-P comme outil de gestion et moyen de contrôle citoyen de l’action du pouvoir local dans le domaine du foncier.

Page 75: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

73

• Tunisie

S’agissant de la Tunisie, il s’est agi d’analyser la perti-nence de l’outil SIG-P dans le domaine de l’irrigation. Le volume des eaux, qu’elles soient souterraines, d’écou-lement et de renouvellement par précipitation, reste relativement limité par rapport aux besoins actuels et futurs de la population. Mené dans la région du Cap Bon (nord-ouest tunisien) qui combine des activités d’agriculture irriguée et de tourisme, l’équipe du projet s’est fixée pour objectif d’optimiser l’exploitation des ressources aquifères utilisées en matière d’irrigation en se fondant sur des connaissances ancestrales des communautés impliquées dans les activités agricoles, des connaissances empiriques contemporaines por-tant sur la gestion des eaux d’irrigation, la conception et l’adoption d’outils d’extraction, de traitement et d’exploitation des informations géographiques dans un contexte de prise de décision participationniste.

Approche des questions de recherche

L’interopérabilité ou le besoin d’harmonisation des contenus

Identifiée au démarrage de la recherche, la question de l’interopérabilité des bases de données SIG s’est fi-nalement révélée cruciale voire grave. En effet, toutes les études ont confirmé l’hypothèse de départ selon laquelle les bases de données existantes ne sont pas interopérables, en d’autres termes « elles ne se parlent pas ». Dans tous les pays où la recherche a été menée, les SIG créés jusque-là restent caractérisés par la multi-plicité des sources de données qui favorise un risque de doublon et d’incohérence assez élevé. Généralement, les données recherchées existent déjà quelque part, mais elles sont parfois saisies à nouveau soit parce que la documentation appropriée manque, soit parce qu’elles présentent une structure incompatible. Leur intégration nécessite la prise en compte de plusieurs aspects problématiques, notamment la compréhen-sion de la sémantique des données et le choix d’une description intégrée adéquate.

En plus du défaut d’harmonisation des données, les chercheurs ont aussi relaté le fait que l’interopérabilité relève avant tout d’une volonté de collaborer sous-ten-due par une bonne répartition des rôles entre les concepteurs de SIG. La mutualisation des ressources qui en découle conduit à des économies d’échelle du fait de la réduction des coûts.

Si l’interopérabilité est envisagée au niveau de la capaci-té des systèmes à communiquer entre eux, la notion de compatibilité des données de SIG caractérise la confor-mité des données à des spécifications précises qui faci-litent l’échange et le partage entre les systèmes. Le res-pect de référentiels communs, de modèles identiques et d’une sémantique harmonisée assure les conditions

d’utilisation multiple et évite la duplication d’efforts ainsi que la déperdition des ressources financières.

La nécessité de mettre en relations des données pro-venant de différentes sources pour la mise en place de système SIG a favorisé l’émergence de standards d’in-teropérabilité. Ce même besoin pousse aussi les SIG à utiliser de manière croissante le web comme plate-forme de base, l’ubiquité et les standards de l’Internet permettant de simplifier considérablement l’interopé-rabilité. On parle alors de Web-SIG. C’est dans ce cadre qu’entre la création en 1994 de l’Association internatio-nale de géomaticiens appelée Open GeoSpatial Consor-tium (OGC) dont le but est de promouvoir l’interopéra-bilité des SIG.

Un défi majeur consiste à explorer la piste des solu-tions libres d’autant plus qu’elles sont performantes et moins onéreuses. Par ailleurs, alors que certains pays comme la France se dotent de portail national visant à mettre à disposition des utilisateurs des données de référence et cataloguer les sources d’information géo-graphiques produites sur le territoire, les pays africains peinent à suivre l’évolution du domaine de la géoma-tique. Par exemple, le Sénégal s’est doté d’un plan national géomatique (2010-2014) pour servir de cadre stratégique, organisationnel et technique de dévelop-pement de la géomatique comme socle du développe-ment durable. Toutefois, jusqu’en juin 2013, ses résul-tats étaient très peu perceptibles.

L’institutionnalisation ou le rôle des politiques

Malgré les bénéfices que l’institutionnalisation des ap-proches basées sur le SIG aurait pu produire pour les organismes publics et les collectivités locales confron-tés au défi de la planification, ce processus s’avère très peu développé. L’outil SIG ou SIG-P reste par consé-quent très peu utilisé pour la prise de décision.

Bien que n’étant pas encore effective dans les pays afri-cains, les recherches menées ont identifié un certain nombre d’avantages que l’institutionnalisation des SIG aurait pu permettre de capitaliser. L’équipe du Rwan-da a insisté sur les opportunités suivantes : 1) aider les communautés à générer et partager des connaissances spatiales ; 2) permettre aux communautés de créer et d’archiver le savoir local ; 3) assister les collectivités dans la planification et la gestion de la ressource fon-cière ; 4) permettre aux communautés d’entreprendre des plaidoyers en faveur des bonnes pratiques en ma-tière de gestion des ressources naturelles ; 5) renforcer les capacités techniques des populations ; et 6) réduire les risques de conflits autour des ressources naturelles.

Ces opportunités diverses liées aux SIG montrent en réalité que ces outils ne peuvent avoir de portée que si les décideurs et gestionnaires locaux se l’approprient effectivement. Pour faciliter cette appropriation, les études réalisées ont souligné la nécessité d’instaurer

Page 76: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

74

des cadres d’interaction et d’échanges intégrant les leaders politiques, les chercheurs, les élus locaux et les communautés. En plus de favoriser une confiance mutuelle, ces cadres pourraient servir de moyen pour : 1) supprimer les lourdeurs et complications adminis-tratives liées à l’acquisition de données de recherche ; 2) juguler le manque d’information des décideurs sur les innovations et les paquets technologiques dispo-nibles ; 3) anéantir les logiques concurrentielles entre la recherche et l’expertise privée ; 4) rendre les résul-tats de recherche accessibles en dehors de la commu-nauté scientifique ; et 5) permettre une plus grande valorisation des résultats de recherche. Pour faciliter la mise en place de cadres de dialogue entre les acteurs, il semble opportun, tel que l’a suggéré par l’équipe du Bénin, de favoriser la mise en place d’un cadre régle-mentaire propice.

Le profil des acteurs

À l’échelle des pays où la recherche a été menée, il n’existe pas de structure dont la mission est résolu-ment orientée vers la promotion des SIG et SIG-P. Étant donné que les SIG sont nécessaires pour la réussite des interventions dans plusieurs domaines, leur concep-tion et leur réalisation sont le fait de plusieurs types d’acteurs qui s’en servent selon les besoins et les op-portunités exprimés.

Les acteurs institutionnels sont de loin les plus en vue en matière d’utilisation des SIG. Pour la plupart, il s’agit des ministères sectoriels, des directions techniques et des agences portant une mission de gestion et de conservation des ressources naturelles. L’intervention de ces catégories d’acteurs se déroule généralement dans le cadre de coopération multi-acteurs et parfois sous l’impulsion directe d’acteurs étrangers. L’autre groupe de parties prenantes se compose de centres de recherche et d’institution de soutien à la recherche, d’organismes de développement et de centres d’excel-lence. Les ONG et les collectivités locales semblent très peu actives dans ce domaine.

Au Bénin, la recherche a révélé qu’en dépit de la recon-naissance de l’intérêt des SIG et des opportunités dont ils sont porteurs, rare sont les responsables de SIG qui évoluent dans le cadre d’un réseau de chercheurs sur les SIG. D’après l’étude, beaucoup d’acteurs de la re-cherche et du développement ne connaissent pas en-core les SIG et ses différentes applications. Il y a aussi le fait chaque utilisateur évolue dans son domaine et tente de gérer ses problèmes comme il peut. Ces utili-sateurs sont des chercheurs (géographes, agronomes, hydrologues, environnementalistes, démographes), des agents techniques du développement agricole, des agents techniques de gestion des ressources natu-relles, des cadres des services techniques des mairies et ONG. Pour l’essentiel, il s’agit des cadres de niveau allant de la maîtrise au doctorat.

Étant donné que ce constat est applicable dans tous les autres pays où la recherche a été menée, l’enseigne-ment qui se dégage est que la plupart des acteurs n’ont pas encore perçu l’intérêt de se constituer en réseau de chercheurs-utilisateurs des SIG.

Si les utilisateurs restent confinés dans certains do-maines, c’est surtout en raison de l’insuffisance de l’offre de formation en SIG. Dans des pays comme le Sénégal par exemple, les SIG ont été introduits de-puis la fin des années 1970 mais ce n’est que vers la fin des années 1990 et surtout courant 2000, que les res-sources humaines disposant de formation et de com-pétences réelles en SIG sont disponibles sur le marché national de l’emploi. À ce jour, les formations profes-sionnelles en SIG demeurent rares dans ce pays et les experts dans ce domaine sont généralement formés au RECTAS (Nigéria). Les offres disponibles sont surtout des formations classiques intégrant la pratique des SIG dans leur programme pédagogique (universités, ISE, ENEA). Seuls le CSE et quelques organisations privées proposent des formations exclusivement en SIG, le plus souvent sur commande et à la carte. Mais compte tenu des coûts relativement élevés, les utilisateurs in-dividuels sont souvent privés de ces opportunités de formation. Ainsi, si les experts et autres promoteurs de projets SIG ont une bonne maîtrise de l’outil, ce n’est pas toujours le cas au niveau des utilisateurs finaux. Il en découle un décalage net entre les vœux du concep-teur et la compréhension du réalisateur qui se traduit par une instabilité et un éternel recommencement.

L’approche thématique et géographique des projets SIG

D’un point de vue thématique, les études ont mon-tré que le développement des SIG concerne presque tous les aspects de la préservation des ressources na-turelles. Cependant, les expériences les plus en vue concernent le foncier, les activités agricoles, le pasto-ralisme, la gestion des ressources en eau et des forêts.

Malgré la pluralité des thématiques abordées dans la mise en œuvre des SIG, le domaine de prédilection va-rie selon les pays et corrélativement avec la probléma-tique placée au cœur du développement national. Par exemple, si la question foncière se retrouve beaucoup plus que d’autres dans les initiatives de SIG dévelop-pées au Sénégal, la préservation des espèces végétales et animales en voie de disparition cristallise davantage l’intérêt des acteurs rwandais. La conservation des res-sources en eau et en sol a aussi fait l’objet de SIG, par-fois en relation avec des questions centrales du débat à l’échelle internationale telles que le changement clima-tique. Les équipes de recherche de la Tunisie et du Ma-lawi ont rapporté des résultats édifiants à ce propos.

Les SIG analysés portent non seulement sur des villes et régions, mais aussi des communautés rurales. Il existe en même temps des initiatives qui vont au-delà du

Page 77: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

75

territoire national et englobe d’autres pays à l’échelle sous-régionale. De telles initiatives se déroulent avec le financement d’organisations internationales d’aide au développement ou de soutien à la recherche. Au re-gard de la répartition spatiale des SIG, il apparaît que la logique qui les guide est celle du développement par projet. Or, si celle-ci reste importante et récurrente dans les pays en développement, elle ne garantit par une pénétration homogène du territoire nationale par ces outils d’aide à la prise de décision. Les SIG qui au-raient pu être considérés comme des instruments de gouvernance démocratique restent confinés dans des logiques d’utilisation partisane par le fait d’un groupe restreint de personnes averties.

Les opportunités et les limites des SIG

L’accès à une information précise et à jour reste in-dispensable dans tout processus de prise de décision, en particulier dans le domaine de la gestion des res-sources naturelles. Par conséquent, il semble évident que le SIG, de par sa nature et la richesse de ses conte-nus, offre beaucoup de possibilités d’analyse et de ges-tion de l’information sur le territoire. Ses avantages s’apprécient à l’aune de l’amélioration qu’il permet sur la qualité de l’information, la précision de la localisation des phénomènes observés, les possibilités de simula-tion de scénarios divers, les délais de traitement des problèmes ciblés, le suivi des évolutions remarquables à travers des mises à jour continuelles de la base de données.

La mise en œuvre des SIG dans les différents contextes analysés ne donne pas cependant tous les effets es-comptés au départ. Si les caractéristiques du contexte d’expérimentation restent influentes pour la réussite des projets, il faut souligner que les applications com-portent en elles-mêmes des limites considérables. Il s’agit notamment des défauts de standardisation, de l’absence de mise à jour régulière des données, du pro-blème d’appropriation et de sémiologie, de la faible ap-propriation des applications par les utilisateurs finaux, des difficultés de finalisation et de pérennisation des projets SIG qui découlent d’une dépendance à des fi-nancements limités dans le temps.

En s’interrogeant sur la pérennisation des projets SIG au niveau des pays, on se rend à l’évidence que ces derniers sont souvent impulsés de façon ponctuelle et sous un prisme sectoriel ou thématique. C’est la raison pour laquelle, les initiatives, y compris celles axées sur le SIG-P, se déroulent avec une participation insigni-fiante des communautés locales. Compte tenu de ce constat, il y a une grande nécessité de développer des plateformes d’utilisateurs et des communautés de pra-tique, tout en offrant aux chercheurs des opportunités d’intégrer les différents groupes sociaux.

Des problèmes subsistent au regard du développe-ment des usages des SIG. Ils s’expriment en particulier

lorsque l’on s’intéresse au nombre de personnes res-sources pouvant être considérées comme experts ou spécialistes des SIG au niveau des administrations pu-bliques et des collectivités locales. D’ailleurs, en interro-geant les acteurs de terrain à propos des « références » dans le domaine des SIG, ils évoquent les mêmes noms de personnes et d’institutions, confortant ainsi l’idée que les compétences en la matière restent très rares et peu diversifiées.

Problématiques sociales liées aux SIG

L’approche genre

Comme le soulignait Fatou Sarr, « la perspective genre met en doute les stéréotypes sexuels et porte un regard critique sur les différents aspects des diffé-rences ». Les résultats de la recherche rapportent ce-pendant qu’à l’état actuel des choses, il n’existe pas de prise en compte spécifique du genre dans les proces-sus de conception des SIG. Dans pratiquement tous les cas étudiés, aucune distinction n’est faite de façon pré-cise en considération du sexe, de l’âge, des conditions socioéconomiques, etc., dans les différentes activités en rapport avec les projets SIG. Il n’existe pas non plus d’accent particulier mis sur la considération du genre.

Les inégalités de genre continuent de marquer le do-maine de la GRN, empêchant l’installation d’un déve-loppement durable et solidaire (Banque mondiale, FAO et FIDA, 2009 ; Meizen-Dick et al, 2011). Tout porte à croire que les ménages n’agissent pas de manière unitaire lors de la prise de décisions ou de l’allocation des ressources, or ce sont les mêmes problèmes qui marquent la conception, la réalisation, l’accès et l’uti-lisation des outils destinés à la gestion des ressources au niveau local.

Un constat de plus en plus partagé (FAO, 2011) est que les femmes gèrent d’habitude beaucoup mieux les biens communs qui leur sont confiés que les hommes et se préoccupent davantage de l’alimentation, de la santé, de l’habillement et de l’éducation de leurs fa-milles que ces derniers. Paradoxalement, elles consti-tuent un groupe marginalisé, du moins sous-représen-té dans les instances de décision concernant l’accès et le contrôle des ressources naturelles.

L’équation de la participation

Les résultats de la recherche révèlent que la différence majeure entre les approches reposant simplement sur les SIG et celles axées sur les SIG-P est la « partici-pation ». Celle se retrouve alors projetée subitement comme une condition de succès de la gouvernance territoriale, en particulier de la gestion des ressources naturelles.

Les informations générées et validées par les commu-nautés locales à partir d’une approche participative fa-

Page 78: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

76

cilitent l’impulsion d’un développement local favorisé par l’appropriation des problématiques du territoire, contrairement aux SIG traditionnels qui créent géné-ralement l’information géographique à partir d’images ou de photographies aériennes. Beaucoup d’études réalisées sur le thème du SIG-P (Lefebvre, 2005 ; Cham-bers Robert, 2006 ; Rambaldi, 2010) avaient abouti à cette conclusion qui se voit ainsi confortée par l’ana-lyse des chercheurs du programme ICT4D.

Les résultats obtenus au Rwanda, par exemple, montrent que la participation est un moyen pour les différents acteurs de s’engager pour la mise en œuvre des stratégies de développement local. Il s’agit d’un acquis non négligeable qui permet d’accomplir des progrès considérables dans les processus décisionnels, mais surtout dans la planification du développement à la base. Grâce à l’implication des communautés, plu-sieurs centaines d’hectares de forêt ont été épargnés de la dégradation.

Bien que remarquable, la participation des communau-tés semble néanmoins assez limitée presque partout. Lorsqu’elle existe, elle apparait simplement comme un processus dont les bénéfices sont appréciés à la lumière des paramètres comme : 1) le nombre d’acti-vités réalisées avec les communautés ; 2) le nombre et la diversité des catégories d’acteurs impliqués ; et 3) les financements captés pour ces activités. Bien que déterminants, ces paramètres ne suffisent évidem-ment pas pour garantir la qualité de la participation dans la mesure où le processus se heurte à des réali-tés sociales contraignantes. Il existe des zones, au Sé-négal par exemple, où les femmes n’ont pas droit à la parole en assemblée, ou du moins au même titre que les hommes. Dans des contextes pareils, la démarche participative s’arrête là où elle commence.

La réponse aux incertitudes autour de la participation suppose une prise de conscience du fait que le niveau stratégique d’organisation de cette démarche est com-plexe. Elle nécessite une réflexion sur les méthodes et sur les outils d’opérationnalisation qui sont un prétexte évident au dialogue et à la prise de décision. Elle exige également des stratégies appropriées, à définir en te-nant compte des cadres de développement existants. En effet, l’essentiel n’est pas simplement que les ac-teurs aient la possibilité voire la liberté de participer, mais qu’ils soient surtout en mesure de cerner, de com-prendre et de maîtriser les enjeux, les approches et les techniques de participation.

L’analyse des processus participatifs doit alors s’inté-resser aux conditions, aux résultats et à l’impact de la participation. Cette « démarche-qualité » permet de garantir que l’inclusion des acteurs n’est pas un leurre, que leur contribution n’est un « faire-valoir » et que le processus diffère d’une manipulation. Elle pose comme exigence le renforcement de l’ingénierie de la participa-tion en termes de méthodes et d’outils censés appor-

ter des réponses satisfaisantes à trois préoccupations majeures, à savoir : 1) la disponibilité d’une information crédible, exhaustive, compréhensible et accessible ; 2) l’échange fécond de savoirs ; et 3) la mise en relation permanente des parties prenantes.

L’exigence de l’éthique

La question de la participation ne peut en réalité être étudiée en faisant fi de celle de l’éthique en ce sens qu’en fin de compte quelques questions s’imposent. Qui participe véritablement aux processus de création de SIG-P ? À qui appartiennent les cartes réalisées ? Qui le conserve et où ? Qui en a accès et suivant quelles mo-dalités ? À quel usage sont-elles destinées ?

Dans les processus de production, de validation et de gestion des connaissances territoriales reposant sur les méthodes participatives liées au SIG, les questions d’éthique, de propriété et d’utilisation des données produites restent prépondérantes. La raison est que même si plusieurs classes sociales au sein d’une com-munauté rurale telle que Mbane (lieu d’intervention de l’équipe du Sénégal) assistent à l’atelier de carto-graphie participative, elles ne participent toutes à la séance. De ce point de vue, le questionnement intro-duit acquiert une importance cruciale.

Bien que posées parfois à l’entame des expériences de cartographie, ces questions sont généralement envisagées de façon hâtive sinon naïve. Les porteurs de projets s’empressent de lancer des initiatives et de communiquer ensuite autour celles-ci. En renonçant à la réflexion en amont de l’action afin de créer une cohé-sion de groupe, ils font fi de la nécessité de consolider l’intelligence territoriale collective. Or, des expériences l’ont démontré (Rambaldi, 2010), la cartographie par-ticipative est avant tout un moment de stimulation de l’estime de soi, de renforcement de l’identité culturelle et de l’autonomisation, d’apprentissage et de commu-nication, de production de patrimoine et de pratiques documentées.

Page 79: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

77

Ibrahima Sylla est docteur en géographie et aménagement, diplômé de l’université de Toulouse 2 et de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ses recherches portent sur la problématique des usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans une perspective de développement territorial. Entre 2009 à 2014, il a activement collaboré avec les ONG, en occupant notamment les postes de chargé de programme de recherche sur les SIG-P en Afrique et de directeur régional du programme Enda LEAD Afrique Francophone. Maître de conférences de son état, Ibrahima Sylla mène actuellement des recherches sur l’utilisation des réseaux sociaux dans les stratégies de communication des élus locaux au Sénégal.Contact : [email protected]

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Page 80: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation
Page 81: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

La coopération décentralisée entre la Communau-té d’agglomération de Castres-Mazamet et la ville de Guédiawaye a démarré fin 2007. Elle s’est déroulée au cours de deux appels à projet triennaux du ministère des Affaires étrangères en 2007-2009 (« outil collabora-tif pour la e-gouvernance et le développement durable de l’agglomération dakaroise »), puis en 2010-2012 (« un outil numérique au service de la gouvernance d’une ville de 400 000 habitants »).

Contexte

Le SIG : un outil et des objectifs en phase avec la solidarité numérique

L’université de Toulouse le Mirail1 a eu l’idée de rap-procher les deux collectivités dans ce projet de soli-darité numérique, qui correspond parfaitement au sa-voir-faire de Castres-Mazamet développé dans les TIC mais aussi à l’intérêt commun de la Communauté d’ag-glomération et de l’Université d’accompagner la mise en place d’une formation de master « e-administration et solidarité numérique » à Castres.

L’objectif est d’apporter un outil d’aide à la décision pour Guédiawaye grâce à la mise en œuvre d’un SIG. Cet objectif a évolué en trois temps au cours du pro-jet. Initialement il s’agissait de centraliser dans un ou-til unique des données cartographiques dispersées, de permette leur superposition, analyse, mise à jour, 1 Université Toulouse Jean Jaurès, actuellement.

Mise en œuvre d’un Système d’information géographique (SIG)à Guédiawaye, SénégalPotentialités et limites d’une expérience de recherche-action

Bruno BlaiseCommunauté d’agglomération de Castres-Mazamet

Pour citer cet article : Blaise B., « Mise en œuvre d’un Système d’information géographique (SIG) à Guédiawaye, Sénégal. Potentialités et limites d’une expérience de recherche-action », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Exper-tise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 79-86.

etc., pour aider ainsi la collectivité dans l’exercice de ses compétences. Cet objectif large s’est dans un deu-xième temps précisé sur deux axes : le renforcement des capacités financières et l’aide à la structuration des services. Enfin, après un approfondissement de la réflexion avec les services du Cadastre et l’appui de l’Agence de développement municipal (ADM), l’orien-tation de l’outil s’est calée sur l’aide à la gestion des équipements municipaux et l’appui au montage du budget.

Trois partenaires complémentaires

La ville de Guédiawaye, est une des quatre principales villes de la région de Dakar aux côtés de Rufisque et Pikine. Peuplé de 400 000 habitants, ce petit territoire de 15 km² a une densité de population élevée et des contraintes géographiques fortes une bande littorale au nord et une dépression marécageuse au sud, la Grande Niaye.

Les statuts de Guédiawaye se sont enrichis au fil du temps : constituée en commune à partir de 1990, elle est devenue un ville en 1996, découpée en cinq com-munes d’arrondissement, et enfin un département en 2002. Elle dispose ainsi d’un bon niveau d’équipements (stade, espace jeune, espace culturel…) et d’une cer-taine autonomie par rapport aux villes voisines. Cepen-dant les difficultés ne manquent pas : problèmes d’as-sainissement, d’inondation, de collecte des ordures ménagères et de gestion de l’environnement… L’ab-sence de véritable tissu économique, contrairement à

Page 82: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

80

Dakar et Pikine qui bénéficient de la présence du port, en font une ville dortoir avec de faibles recettes fis-cales. Cette caractéristique est renforcée par le recen-sement très incomplet des administrés.

La Communauté d’agglomération de Castres-Mazamet est située à 70 km à l’est de Toulouse. Elle compte seize communes, 85 000 habitants et 260 agents. Créée de-puis une vingtaine d’années, ce projet est sa première expérience de coopération décentralisée. Le Système d’information géographique est rattaché à la direc-tion de l’aménagement et des ressources techniques. Le SIG fournit un appui technique indispensable dans la gestion quotidienne de la Collectivité. Cet outil est aussi un service sur mesure apporté aux communes et à deux intercommunalités voisines de l’agglomération.

L’université de Toulouse le Mirail (UTM) connaît Castres-Mazamet pour avoir travaillé sur des projets communs liés à la cartographie et aux données. Elle est également un interlocuteur de la Communauté sur les questions du développement de l’enseignement supérieur. Ce projet est ainsi à l’origine du soutient au développement d’une formation de master à Castres « e-administration et solidarité numérique ».

Facteurs favorables et défavorables pour le développement d’un SIG au Sénégal

Le Sénégal, et particulièrement la région de Dakar, sont favorables au développement d’un SIG : la gou-

vernance du numérique y est ancienne, avec un taux d’équipement numérique relativement important lié au contexte urbain ; la cartographie numérique et les organismes intéressés ou travaillant déjà avec des SIG sont nombreux et se développent.

D’autres facteurs sont moins favorables. Les SIG de collectivité sont rares et livrés à eux-mêmes. De nom-breuses cartes existent sur l’agglomération mais elles ne sont généralement pas exploitables dans un SIG de collectivité : l’échelle est soit trop petite (document de planification), soit trop grande (documents de génie ci-vil). De plus, l’absence de coordonnées géographiques nécessite un travail spécialisé de géoréférencement des fichiers pour pouvoir les intégrer dans le SIG.

Le SIG : comment et pour quoi faire ?

Les SIG sont des logiciels de cartographie qui asso-cient géographie et informatique (géomatique). Ils permettent la collecte, le stockage, la visualisation, le croisement et l’analyse des données. Ces données spatiales sont superposables car elles disposent d’un même système de coordonnées géographiques. Ces cartes sont dites « intelligentes » car leur contenu est composé de différents objets interrogeables grâce aux données alphanumériques attachées. Dans le cas d’une route par exemple, les informations associées peuvent être la longueur, la nature de revêtement, le nombre de voie, etc.

Localisation de la zone d’étude

Page 83: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

81

Les SIG constituent ainsi des outils d’aide à la décision qui permettent de mieux connaître le territoire de la collectivité et de s’en faire une vision plus claire. En cela, ils favorisent une meilleure gestion et fournissent des éléments utiles pour la planification et la prise de décisions.

Plusieurs exemples d’applications possibles du SIG dans le quotidien de Guédiawaye peuvent assurer la compétence « amélioration du cadre de vie » :

• conception et l’élaboration d’un plan de développe-ment local ;

• entretien des équipements scolaires, sanitaires, postes de santé, sportifs et socioculturels ;

• désensablement et entretien des rues, places et es-paces verts ;

• gestion des marchés de quartier

• surveillance et entretien de l’éclairage public ;

• réalisation de travaux d’assainissement et d’hygiène ;

• participation à la collecte des ordures ménagères ;

• planification.

Réalisation

Mise en œuvre : l’association indispensable des aspects techniques et humains

La mise en œuvre a fait appel à différents registres.

1. L’organisation de plusieurs ateliers au cours des deux appels à projet : lancement, mi-parcours et bilan.

2. La mise en place d’un partenariat local avec des structures clés qui partagent des intérêts communs avec la collectivité : le cadastre et l’Agence de déve-loppement municipal (ADM).

3. Un travail sur les données pour centraliser les infor-mations existantes et créer des données nouvelles.

4. La Formation et l’accueil de trois stagiaires à Castres et Guédiawaye ; à noter que le SIG a été présenté dans les cinq communes d’arrondissement.

5. Plusieurs missions au Nord comme Sud ont permis d’approfondir les connaissances des contextes, des acteurs et de travailler concrètement au contenu du SIG. À noter plus particulièrement la mission à Castres du maire du Guédiawaye, accompagné du chef du cadastre ainsi que la participation à la mis-sion bilan en décembre 2012 à Guédiawaye de l’élue de Castres-Mazamet en charge de la coopération.

6. Le partage d’expériences par la publication d’ar-ticles, rapports, bilan au cours des cinq années, mais aussi par la présentation de l’expérience de Gué-diawaye au côté d’autres collectivités à l’invitation du réseau eAtlas.

Résultats : l’outil fonctionne avec des premières applications encourageantes

Les résultats consistent en l’élaboration du pôle SIG proprement dit avec l’acquisition des matériels et logi-ciels. Grâce aux données remises par les partenaires, la base du SIG a pu être bâtie autour de la superposition de trois couches : orthophoto, plan d’adressage et par-celles cadastrales. Deux couches prioritaires sont sai-sies : voirie et collecte des déchets. Ces deux couches permettent par exemple des premières analyses spa-tiales par croisement de la nature du revêtement de la voirie (sable, asphalte) et du circuit de collecte des ordures ménagères en tenant compte des dépôts sau-vages. Deux autres couches papier sont prêtes à sai-sir : le foncier disponible sur Guédiawaye et les points bas en lien avec les problèmes d’inondation. Les thé-matiques initialement retenues ont été réduites à une dizaine : économie, santé, espaces publics, administra-tifs, projets, transports, foncier, environnement… cer-

Fonctionnement du SIG

Moyens mis en œuvre et contenu du SIG

Page 84: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

82

taines thématiques sont avancées (saisie des places de marchés par exemple), pour d’autres, la structure des informations à collecter est prête en vue d’effectuer le travail de collecte à venir.

Une carte de localisation-adressage en format AO a été réalisée et remise officiellement pour chaque com-mune d’arrondissement. Des échanges de données entre les partenaires du projet, notamment l’ADM et le cadastre, permettent d’abonder le travail de chacun comme par exemple la mise en application de la poli-tique nationale d’adressage souhaitée par l’ADM et re-prise par le cadastre pour ses enquêtes.

Le SIG en question…

L’ONG ENDA graf a organisé un atelier d’une vingtaine de personnes dans ses locaux à Grand Yoff-Dakar sur l’apport des SIG dans la gestion de ses programmes. À cette occasion, un échange sur le SIG de Guédiawaye a permis de préciser plusieurs questions.

Questions-réponses : extraits…

Comment pouvez-vous imaginer adapter un outil fait pour Castres-Mazamet avec des réalités très diffé-rentes de celle de Guédiawaye ?

[Guédiawaye] Le SIG nous vient d’une expérience ex-térieure, en l’occurrence Castres-Mazamet qui s’est elle-même inspiré d’autres démarches (ville de Castres, etc.). Pour ce qui nous concerne, nous n’allons pas ignorer cette expérience pour faire autre chose pour le plaisir et risquer de ne pas arriver à atteindre nos objectifs.

[Castres-Mazamet] Il n’est pas question d’adapter un outil fait pour la Communauté d’agglomération au contexte très différent de Guédiawaye. Le SIG est seu-lement une boîte à outil qui se construit à partir des ré-alités locales, des attentes et priorités de Guédiawaye. Mais attention, le SIG n’a d’intérêt que s’il y a derrière des renseignements fiables et une réactualisation qui l’est également. Sinon, l’interrogation du SIG renvoie des informations erronées et il est très vite mis de côté. Il faut donc essayer d’être efficient et réaliste et pour cela se cantonner dans thématiques que l’on est en me-sure de maîtriser. La façon de procéder à Guédiawaye est dont de chercher à maîtriser une thématique avant d’avancer sur une autre.

Guédiawaye s’intéresse à l’économie dans le SIG : comment le secteur informel a-t-il été pris en compte ?

[Guédiawaye] : au niveau de l’économie, aujourd’hui seuls les marchés sont saisis, c’est-à-dire cartographiés et renseignés. Lorsque l’on interroge un marché dans le SIG, les résultats portent sur le nombre de cantines, le nombre d’étals, etc. L’économie a été abordée car les recettes de la collectivité sont très faibles dans ce domaine… Quel que soit le maire de Guédiawaye, s’il n’arrive pas à maîtriser la fiscalité locale il aura toutes

les peines du monde à assoir une politique municipale durable. C’est la raison pour laquelle le renforcement des capacités financières a été abordé avec le cadastre.

La dimension participative ne pourrait-elle pas s’appli-quer au sein de la ville avec ses communes d’arrondis-sement : comment sont-elles impliquées aujourd’hui ?

[Guédiawaye ] : l’implication des communes d’arron-dissement existe déjà. Elles sont conviées à toutes les rencontres organisées : les maires, leurs représentants et même les présidents de commissions chargés des NTIC et de la communication. Les ateliers de démar-rage, de mi parcours et de bilan en sont l’illustration.

Concernant les moyens, Guédiawaye est en relation avec d’autres municipalités comme Pikine ou Dakar : est-ce que la question des moyens ne pourrait-elle pas être résolue par la mutualisation, la mise en réseau ?

[Guédiawaye] Aujourd’hui, la structure qui permet de faciliter cette mutualisation, c’est l’Agence de dévelop-pement municipal (ADM). Il est tout à fait réconfortant d’entendre de la bouche de la directrice technique que Guédiawaye va servir de ville pilote pour l’ADM. Cette dernière est prête aujourd’hui à consacrer des moyens en direction de Guédiawaye pour que cet outil puisse faire véritablement tache d’huile dans l’ensemble des collectivités du Sénégal. Voilà vraiment une manière de mutualiser. Mais chaque chose en son temps et nous parviendrons petit à petit à partager cet outil avec ceux qui le veulent bien. La dimension temporelle est importante dans la mise en place durable d’un SIG. Ceci est particulièrement vrai dans des collectivités locales comme Guédiawaye qui manque de moyens humains, matériels et financiers. C’est donc seulement avec une construction lente mais sûre que l’on va parvenir à avoir un SIG qui réponde aux attentes et aux besoins.

Recherche-Action : retour d’expérience

Quelle articulation entre Guédiawaye et la Communauté d’agglomération Castres-Mazamet ?

Les relations ont toujours été bonnes avec Gué-diawaye, quelles que soient les difficultés sur le projet. Ceci s’explique par la compétence et l’implication du coordonnateur, mais aussi par la motivation des maires successifs. Les différents ateliers réalisés à Guédiawaye ont toujours bénéficié d’une bonne organisation, at-testée par le taux élevé de participation et ont permis des débats toujours de bonne tenue, avec des interlo-cuteurs variés et avisés. L’engouement pour le projet SIG est illustré aussi par la mobilisation des partenaires (cadastre et ADM) et l’embauche d’une technicienne.

Du côté de la Communauté d’agglomération, son im-plication s’est progressivement renforcée par l’envoi matériel, le financement direct de missions ou d’outils de gestion à distance pour le partage du projet, la dési-

Page 85: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

83

gnation d’une élue référente en 2011 qui a participé au bilan fin 2012.

Pour autant, le développement du projet connaît des faiblesses à plusieurs niveaux. Au-delà des résultats tangibles présentés dans différents instances, en cinq ans, les potentialités du SIG à Guédiawaye laissaient es-pérer davantage de contenu. La principale raison tient à des problèmes d’organisation en générale et de plan de charge pour le coordonnateur sollicité sur de nom-breuses missions. Le départ de ce dernier mi-2012 est un manque à gagner certain, bien qu’il reste intéressé par le projet et a continué de s’impliquer jusqu’à la mis-sion bilan de décembre 2012. Par ailleurs, le profil de la technicienne embauchée en 2011 est inadapté pour le SIG. Elle doit bénéficier d’une formation approfondie tant sur le plan technique que sur celui des applications de l’outil. Ceci explique qu’au-delà de prises de paroles toujours brillantes et motivées à propos du SIG, la mise en œuvre effective de l’outil peine faute de continui-té et de moyens humains dédiés et formés. Au niveau de la Communauté d’agglomération, ce projet est un choix à l’origine plutôt technique dont l’appropriation politique se fait progressivement.

Trois principales leçons ?

« Mieux vaut une réussite solidaire qu’un exploit soli-taire » (une lycéenne citée par Albert Jacquard ).

Le projet a besoin de durée pour se connaître, se faire sa propre expérience, mais aussi pour avoir une rela-tion « naturelle » entre les partenaires.

Il importe ensuite de définir ensemble les objectifs et le rôle de chaque collectivité afin de travailler en com-plémentarité. Il est plus facile par la suite de partager le suivi de la réalisation du programme et l’évaluation des résultats.

Enfin, il faut du « temps passé » pour les personnes chargées du projet. La coopération décentralisée peut être considéré comme « une forme de service public par delà les frontières de la collectivité ». Ce service se matérialise par du temps passé pour assurer le bon dé-roulement du projet, mais aussi la capitalisation, le par-tage et la communication de cette expérience.

Quelle articulation entre l’Université et la Communauté d’agglomération ?

Le partenariat Université-Communauté d’aggloméra-tion est caractérisé à la fois par des complémentarités et des différences.

Les complémentarités existent aussi bien dans les structures que les binômes. Pour rappel, il y avait pour l’Université un binôme formé de Françoise Desbordes et Jean-Jacques Guibbert, avec un apport spécifique sur plusieurs points : connaissance du Sénégal et de Guédiawaye, montage du projet, savoir faire dans l’animation des ateliers, recul théorique TIC-SIG, par-

tage d’expériences au travers d’« eAtlas FAO » réseau de recherche-action sur l’émergence des sociétés de l’information dans leurs rapports aux sociétés et aux territoires.

Du côté Communauté d’agglomération, le binôme est constitué par deux profils complémentaires : une tech-nicienne SIG expérimentée, Véronique Tassa, avec un rôle essentiel sur la méthodologie et le développement de l’outil SIG, et un géographe, Bruno Blaise, dont le profil plus généraliste a fait l’interface entre la vision « techniquo-pratique » de la Collectivité et l’approche « recherche-action » de l’Université. Les apports spé-cifiques de la Communauté d’agglomération sont l’accueil de plusieurs missions dont une délégation à Castres, l’accueil de trois stagiaires, la formation, la méthodologie et le soutien technique SIG, le suivi ad-ministratif et financier et la formalisation du projet…

Les différences peuvent être regroupées en trois prin-cipaux domaines, mais restent un exercice théorique à relativiser.

L’approche de la Communauté d’agglomération re-cherche le pragmatisme, avec une concentration sur l’outil SIG. L’obtention de résultats tangibles sur l’outil est la priorité qui pourrait se résumer ainsi : « le SIG a du contenu et fonctionne donc la coopération est utile ». Face à cela, l’approche « recherche-action » de l’Univer-sité n’est pas antinomique mais parfois en décalage. En effet, la recherche-action suppose une part théorique avec un langage, des concepts. Cette prise de recul, peut être aussi être perçue comme une « divagation » éloignée de la cible du projet... et qui à tendance par-fois à compliquer ce qui paraissait simple au départ. La volonté d’expérimentation issue de la recherche-ac-tion, telle que la création d’applications sur téléphone portable ou la sollicitions de radio locale par exemple, ont alimenté le décalage. Enfin, la finalité des travaux pour l’Université est autant dans l’observation, l’ana-lyse, le partage d’expériences et la publication... De ce point de vue, une publication intéressante qui conclut à l’absence de résultat du projet est tout de même un résultat positif.

En définitive, la complémentarité des approches entre Université et Communauté d’agglomération a consti-tué un atout. L’Université a favorisé la réflexion sur le déroulement du projet et donné l’opportunité de valo-riser cette expérimentation au sein du réseau eAtlas. Ces échanges avec d’autres collectivités ont créé une ouverture et favorisé d’autres occasions de valorisa-tion. La Collectivité a apporté des attentes concrètes, un souci de pragmatisme et de résultats. Avec le recul, les décalages de point de vue au cours du projet au-raient pu être facilement évitées par une phase initiale d’explicitation des attentes de chaque structure.

Page 86: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

84

Bilan : gains et difficultés

Performance des résultats ou marge de progression ?

L’appréciation du bilan doit tenir en compte du niveau de départ de la coopération qui se caractérise par deux « premières » : une première expérience de coopéra-tion pour la Communauté d’agglomération mais aussi un premier contact avec l’Afrique et le Sénégal pour les deux personnes chargées du projet à la Communauté d’agglomération. Ceci implique une inévitable phase d’apprentissage des caractéristiques de l’action inter-nationale des collectivités territoriales, de la culture sénégalaise et des réalités du terrain en Afrique qui en-traîne des adaptations successives.

Pour ces raisons, il est important d’évaluer les diffé-rents aspects de la coopération et l’amplitude de la progression depuis le niveau de départ plutôt que la seule performance des résultats du SIG.

Ce qui à bien fonctionné

Le SIG est un outil en phase avec les besoins et les at-tentes de Guédiawaye : simple d’utilisation, efficace et peu coûteux, le logiciel Minivue a facilité le démarrage et la progression du projet sur des bases concrètes. Dans le même esprit, le travail avec les partenaires lo-caux de Guédiawaye a permis d’être en phase avec les besoins réels de la collectivité en ajustant les objectifs. L’organisation de plusieurs ateliers à Guédiawaye a été bénéfique ; l’expérience de l’Université à cet égard a été profitable. La continuité s’est traduite dans la vo-lonté des trois maires successifs de développer le SIG,

ainsi que par la réalisation successive des deux appels à projet triennaux et le souhait de la Communauté d’ag-glomération et de ses partenaires de poursuive la coo-pération après 2012. La formalisation du travail et des missions a contribué à rendre plus concrète la coopé-ration décentralisée et lui donner plus de visibilité en fournissant des supports communication.

Eléments de transfert

Sur le plan des moyens humains, une technicienne dé-diée au SIG a été embauchée en 2011.

Au niveau du partenariat, la coopération a favorisé le décloisement des relations entre le cadastre, l’Agence de développement municipal et Guédiawaye grâce à une meilleure connaissance mutuelle. Un contact est établi avec le PCIT de Dakar dont les représentants sont venus au bilan du projet en décembre 2012 à Guédiawaye.

Guédiawaye bénéficie d’une certaine notoriété dans le domaine du SIG. Le projet aura permis la capitalisation et le partage d’expériences à de nombreuses reprises : gouvernement des Canaries, ministère du Logement, Réseau eAtlas lors des rencontres Bamako et Cotonou, présentations à Africités 2012 et dans plusieurs atelier en France.

Sur le plan des moyens matériels, logiciels et forma-tion, l’Association française de développement a versé une subvention de 33 000 € pour le SIG de Guédiawaye en janvier 2013, par l’intermédiaire de l’ADM comme annoncé courant 2012.

L’orientation du SIG est aujourd’hui mieux définie : un outil d’aide à la gestion des équipements municipaux et d’aide au montage du budget. Ceci implique de ne

pas chercher à tout faire soi-même et d’utiliser le travail de structures spé-cialisées comme l’ADM ou le Centre de suivi éco-logique sur des questions complexes comme les inondations par exemple, et simplement intégrer les résultats dans le SIG pour les croiser avec d’autres thématiques.

Difficultés

Les potentialités et les besoins à Guédiawaye laissaient espérer plus de résultats au niveau SIG. Au moment du bilan fin 2012, une déconnexion gran-dissante entre la commu-nication du projet et son

Activités en lien avec la construction de l’outil

Page 87: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

85

développement concret à Guédiawaye est constatée. Sans négliger les aspects positifs, les questions étaient alors : faut-il poursuivre ? Si oui, que faut-il améliorer prioritairement ?

Le SIG de Guédiawaye a un temps d’avance sur son environnement comme l’illustrent trois exemples. Le cadastre au Sénégal est en cours de modernisa-tion complète sur le modèle du cadastre français, ce qui va prendre plusieurs années. Ensuite, l’Agence de développement municipal, qui dispose d’une banque de données urbaines conséquente, est en train seu-lement d’élaborer sont SIG. Pour cela, le responsable SIG, expérimenté et compétent, s’est formé pendant plusieurs semaines au logiciel ArcGIS. Enfin, le SIG Gué-diawaye se met en place dans un environnement où tout est à construire : les données sont inexistantes dans la collectivité, des procédures sont à créer pour faire remonter les informations vers le SIG, les données externes doivent être retravaillées…

Conclusion

En définitive, le SIG constitue un outil opérationnel entre les mains de la collectivité. Il faut à présent une équipe dédiée, formée et stable avec un travail en continu. Ce projet, inédit pour une collectivité sénéga-laise, s’appuie à présent sur une expérience de cinq ans avec de bons atouts pour se développer efficacement.

« À la différence d’un projet informatique délimité dans le temps, un SIG ne s’arrête pas, il se développe. »

Début 2013, des changements importants sont interve-nus. Le maire de Guédiawaye s’est engagé à renforcer SIG avec la nomination d’un nouveau coordonnateur, l’embauche de deux personnes à temps partiel sur le SIG et la désignation d’un référent élu, vice-président en charge du PCIT à la région de Dakar.

L’AFD a bien versé la subvention de 33 000 € en logi-ciels, matériels et formation.

De son côté, la Communauté d’agglomération a sou-haité poursuivre la coopération par le dépôt d’un nou-vel appel à projet 2013-2015 auprès du ministère fran-çais des Affaires étrangère fin mars 2013, avec pour intitulé : « Professionnalisation du SIG de Guédiawaye ». Ce troisième appel à projet officialise le partenariat avec l’ADM à Dakar et fait une large place à l’organisa-tion du pôle SIG à Guédiawaye, l’animation du projet et le suivi-évaluation des résultats. Il s’organise autour de six axes de travail.

1. Structurer et développer le pôle SIG : sécurisation des équipements, créations de procédures, dévelop-pement de bases de données, production cartogra-phique, formation aux logiciels…

2. Piloter et animer le projet : régularité du suivi, éva-luation du travail en continu… avec le volontaire de solidarité internationale, le groupe projet et le comi-té de direction.

3. Ancrer le partenariat local : poursuivre le travail avec l’ADM et le cadastre, ouvrir le réseau des fournis-seurs de données externes, mais également avec l’Université, le Conseil régional pour Plan climat de Dakar…

4. Former à l’utilisation et promouvoir l’intérêt du SIG : au-delà du savoir faire technique sur les logiciels, une formation à l’utilisation de la cartographie est indis-pensable pour les techniciens, les services et les élus de Guédiawaye afin de promouvoir l’intérêt du SIG.

5. Généraliser l’expérience à d’autres collectivités : il s’agit pour Guédiawaye de jouer effectivement le rôle de «ville pilote» pressenti par l’Agence de déve-loppement municipal afin de promouvoir l’utilisation de ce type d’outil.

6. Mettre à disposition un volontaire de solida-rité internationale : son rôle sera de renforcer la coordination et le sou-tien au projet. Indispen-sable d’avoir quelqu’un sur place.

Guédiawaye vue depuis les jardins de la mairie

Page 88: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

86

Bruno BLAISE a soutenu DEA de géographie et d’aménagement des montagnes, à l’Institut de géographie Alpine de Grenoble. Il est ingénieur territorial à la Communauté d’agglomération de Castres-Mazamet et chargé de mission, responsable de l’observatoire économique et social.Son expérience porte à la fois sur la connaissance des données, le traitement et l’analyse pour la connaissance du territoire. L’observatoire travaille en lien avec les besoins de la collectivité et en binôme sur le SCoT du Pays d’Autan. En complément, il est chef de projet pour la coopération décentralisée et travaille avec Véronique Tassa, responsable du SIG de la Communauté.L’activité d’information est transversale à ces deux centres d’intérêt et se traduit dans différentes dimensions : organisation et gestion, édition, prestation, participation et communication.

Contact : [email protected]

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

 

Page 89: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

En 2015, trois robots de circulation routière sont mis en service aux carrefours de la ville de Kinshasa1, capitale de 11,5 millions d’habitants connue pour sa circulation chaotique et la corruption de sa police. Dotés de pan-neaux solaires et équipés de caméras vidéo ces robots sont capable de transmettre, en temps réel, des images au Centre de contrôle et de surveillance routière. Chaque robot a coûté 27 500 dollars. Women’s Tech-nology, l’association congolaise d’ingénieurs qui pilote ce projet, a proposé aux autorités l’achat de trente ma-chines semblables pour les installer aux grands carre-fours de la capitale. Le général Célestin Kanyama, chef de la police de la capitale congolaise estime que « ces robots seront d’un apport important pour la police »2.

Une vision mimétique, techniciste etnéo-libérale de la ville intelligente africaine

Cette information est à rapprocher d’autres articles parus dans la presse à la même période. La corruption, endémique à Kinshasa, prend de plus en plus d’am-pleur. Plusieurs institutions de la République démo-cratique du Congo sont concernées. La police de la cir-culation routière ne fait pas exception. Les dos d’ânes sont finalement devenus des points de perception de ce que d’aucuns surnomment « taxe spéciale roulage ». Dans l’anonymat, un agent de la police de circulation 1 « Trois nouveaux robots agents pour réguler la circulation à

Kinshasa », Le Parisien, 3 mars 2015.

2 http://fr.metrotime.be/2015/03/04/

Villes intelligentes « par le bas »Illustrations africaines

Jean-Jacques GuibbertLisst-Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès

Pour citer cet article : Guibbert J.-J., « Villes intelligentes “par le bas”, illustrations africaines », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 87-100.

routière affecté à Binza-Delveau reconnait sourire aux lèvres recourir à cette pratique. « C’est tout à fait nor-mal qu’on y recoure car notre maigre salaire ne peut pas à lui seul subvenir à tous nos besoins » s’est-il jus-tifié. « Imaginez qu’aujourd’hui, j’ai laissé mon enfant malade à la maison et ma femme va bientôt mettre au monde. Je n’ai pas d’autre choix que celui de soutirer quelques billets aux chauffeurs pour faire soigner mon enfant »3.3 « Phénomène poignée de main aux policiers de circulation

routière, une corruption en plein air », 21 mars 2014, http://speakjhr.com/

Un robot pour réguler la circulation routière à Kinshasa, 2015 (source : http://www.rtbf.be)

Page 90: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

88

Le projet de ville intelligente de Modderfontein, Johannesburg, Afrique du Sud (source : www.les-smartgrids.fr)

Quartier Ouaga 2000, Burkina Faso (en bas à gauche) et ACI Bamako

2000, Mali (en bas à droite)Photos J.-J. Guibbert

Opération Quatre Bornes, Île Maurice(source : http://www.lemauricien.com)

Page 91: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

89

Aujourd’hui, ces RoboCop4 version congolaise, pa-raissent totalement perdus dans le flot piétonnier et les encombrements de cette ville de 11,5 millions d’ha-bitants, devenu en 2016 « la plus grande ville franco-phone du monde » avant Paris5.

Le 26 avril 2014, la revue Les Smart Grids6 présente Le projet de ville intelligente de Modderfontein : cette ville devrait constituer sur 1 600 hectares un « nouveau centre ville » de Johannesburg et inclure « un quartier central d’affaires, un centre de conférence et d’exposi-tion internationale, des communautés résidentielles de haut standing, etc. »

L’image de synthèse de cette ville ressemble étran-gement à celle de la ville du futur présentée par Bou-ygues immobilier dans sa vidéo diffusée sur Youtube, « Demain la ville »7. « Demain votre ville sera belle, har-monieuse et agréable à vivre […] il y aura des écrans partout […] les bâtiments seront verts et intelligents, on y trouvera des fermes urbaines des jardins partagés […] on fera du vélo au dessus de la ville […] on pourra y bien vieillir chez soi […] la ville sera hyper connec-tée […] on n’aura plus besoin de faire les courses ». Économie de partage, liens nouveaux entre les gens, mixité, bien être et vie au cœur de la ville, promet le commentateur… « Elle est jolie, cette ville du futur » répond une voix d’enfant. Tous les poncifs de la ville du futur sont là. Ce marketing angélique cache une autre réalité. La ville du futur est devenu le nouveau terrain de jeux et de prospection des multinationales du BTP et des services urbains.

La smart city telle qu’on la présente la plupart du temps en Afrique est basée sur une vision techniciste qui se traduit souvent par la sous-estimation, voire la défiance vis-à-vis des citoyens. Dans le cadre du projet de smart city des Quatre-Bornes en île Maurice, le maire en place se réjouit, début 2015, de pouvoir intégrer un projet d’internet des objets soumis au financement du Plan Horizon 2020 de l’Union européenne. Les problèmes identifiés sont ceux de la « surveillance de la circulation routière, de l’environnement (pollution de l’air et de l’eau) et des déchets ». Seules les carences des popu-lations sont prises en considération : « absence d’édu-cation citoyenne sur l’utilisation efficace de l’énergie dans les foyers », « manque d’information des citoyens quant au niveau de pollution sonore », « ignorance des 4 RoboCop est un film de science fiction américain mettant

en scène un policier cyborg pour lutter contre le crime et la corruption (Paul Verhoeven, 1987).

5 « Kinshasa, la petite sœur de Singapour », Cityscapes, Le Cap, 9 déc. 2015, repris dans Courrier international, 28 juillet 2016.

6 Perrault A., « Afrique du Sud : le projet de ville intelligente», Les Smart Grids, 25 avril 2014.

7 La vidéo « Ville du futur connectée » a été primée aux Deauville Green Awards de 2015. URL : http://www.bouygues-immobilier-corporate.com/content/le-film-ville-du-futur-connectee-recompense-aux-deauville-green-awards-2015

citoyens du contrôle de la qualité de l’eau potable dis-tribuée » etc. dont le projet semble ignorer le potentiel.

La photo de Quatre Bornes, qui illustre l’article du Mau-ricien8, nous rappelle étrangement les grands projets urbains de certaines capitales d’Afrique de l’Ouest (ACI Bamako 20009, Ouaga 200010) quartiers sans vie, cen-sés incarner la modernité et la marche vers le progrès des villes africaines, mais qui sont souvent considérés par les populations comme les symboles de la gabegie et de la corruption des pouvoirs en place, incapables de résoudre les problèmes des villes et de la majorité de leurs habitants. Paul Béranger, un des principaux leaders de l’opposition mauricienne ne s’y est pas trompé qui déclarait le 9 juin 2015 « À Quatre-Bornes, les smart-cities, c’est du bluff ». La créativité et l’intel-ligence urbaine ne sont-elles pas à rechercher ailleurs ?

L’émergenced’une ville intelligente « par le bas » ?

L’hypothèse que nous avançons dans cet article est que nous assistons en Afrique à l’émergence d’un mo-dèle alternatif de ville intelligente « par le bas ». Un regard rétrospectif (l’introduction des innovations numériques dans ces villes datent aujourd’hui d’une quinzaine d’années) fait apparaître que les territoires, et surtout les villes, ont fait mieux que rentrer en résis-tance face à la diffusion mondialisée de ce type d’inno-vations et sont devenus des territoires et des sociétés « créatifs ». C’est ainsi que les problématiques du dé-veloppement et de la démocratisation, en particulier à l‘échelle locale, ont retrouvé du sens dans l’utilisation des technologies numériques, non pas pour se rappro-cher ou reproduire de manière mimétique un modèle distant, mais pour expérimenter et affirmer des usages et des appropriations locales. Mais avant d’illustrer cette hypothèse, nous devons contextualiser les socié-tés africaines de l’information.

Des sociétés de l’information contextualisées dans un processus d’urbanisation rapide et inégalitaire, focus sur Dakar

L’Afrique de demain sera citadine. « Le basculement ur-bain devrait se produire en 2020 pour l’Afrique occiden-tale et centrale et après 2050 pour l’Afrique de l’Est. Il est déjà consommé en Afrique du Nord et en Afrique Australe » (Bayard, Hibou et Samuel, 2000).

On ne peut parler des villes intelligentes en Afrique sans parler de leur contexte économique et social. Je prendrais comme exemple le cas sénégalais. Si le Sé-négal a connu pendant la décennie 2000-2010 un taux 8 « Quatre Bornes », www.lemauricien.com, 9 juin 2015.

9 Sanogo K., « Hamdallaye ACI 2000 : la désillusion des habitants », Le Républicain du 11 juillet 2014 (MaliActu.net).

10 Diop B., « Ouaga 2000. Une ville dans la ville », Enquête +, 22 mars 2013.

Page 92: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

90

De haut en bas et de gauche à droite :services de téléphonie mobile Tigo, Dakar ;

vente de portables en bord de route à Bobo Dioulasso ; publicité Orange pour la

téléphonie mobile, Dakar ; publicité pour un service d’e.banking, Dakar ; publicité pour

une clé internet mobile, Dakar.Photos J.-J. Guibbert

Page 93: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

91

que 17,7 % des Sénégalais de plus de 12 ans étaient des utilisateurs d’internet, et que 11,5 % des ménages sé-négalais disposaient d’un ordinateur1. Cependant, ces chiffres sont contrebalancés par la généralisation de la téléphonie mobile. En 2014, le taux de pénétration de la téléphonie mobile au Sénégal atteignait 99%. L’Afrique est ainsi présentée comme « le prochain grand mar-ché » par les multinationales de la technologie2.

Des politiques publiques et des usages encastrés dans un jeu d’acteur particulier.

La réflexion collective menée dans le cadre du réseau eAtlas FAO (Eveno et al, 2008 ; Guibbert et Sagna, 2012) depuis une dizaine d’années nous a convaincu de la spécificité du processus de construction des sociétés locales de l’information et de leur système d’acteurs et donc du contexte d’émergence des « villes intelligentes » en Afrique. C’est ainsi que les études récentes nous ont permis d’observer en matière de numérique : des multinationales à la conquête d’un marché en crois-sance forte et très lucratif3 ; un recul de l’intervention-nisme et du volontarisme étatiques (le rôle de l’État se réduisant pour l’essentiel au triptyque privatisation, libéralisation et régulation) ; un relatif effacement des collectivités locales (les collectivités locales africaines sont encore en retard dans les usages du numérique, en particulier dans les villes petites et moyennes) ; un

1 Voir aussi Sylvestre Kouakou Kouassi, « Quelques chiffres de l’utilisation d’Internet en Afrique de l’Ouest », article n° 29, Ivoirybibliodoc, blog de S. Kouakou, 14 janvier 2014, https://ivorybibliodoc.wordpress.com.

2 Kenza Adeida, atelier Accelerating Business, BNP Paris Group, 2014.

3 Jean-Christophe Servant, « Gagnants et perdants de la ruée vers l’Afrique », in Manière de voir n° 109, Le Monde diplomatique, février-mars 2010.

de croissance moyen de 4 % ceci ne doit pas nous faire oublier que de graves problèmes subsistent. En 2011, la Banque mondiale estimait que la moitié (50,8 %) des Sénégalais vivait en dessous du seuil de pauvreté, que si la proportion de pauvres diminue faiblement, leur nombre absolu ne cesse d’augmenter et que les inéga-lités socio-spatiales restent prononcées.

En 2013, l’Afrique subsaharienne est la région du monde qui compte la plus forte proportion de bidonvilles (62 %), ce qui représente une masse de 213 millions de personnes vivant dans des conditions qualifiées de taudis selon les normes internationales de ONU Habi-tat. Au Sénégal, pays dont nous tirerons la plupart de nos illustrations, ce pourcentage se situerait, selon les sources, entre 30 et 40 %.

Le taux d’alphabétisation des adultes (plus de 15 ans) reste faible (49,7 % en 2012) et celui des jeunes (de 15 à 24 ans) préoccupant (51 %). Enfin, les Sénégalais, pratiquent une grande variété de langues nationales, la langue officielle, le français, héritée des anciens co-lonisateurs n’est maîtrisée que par seulement 10 % de la population et reste l’apanage des élites politiques et économiques.

Un dernier élément de contexte qui n’est pas sans importance : Dakar est une ville laboratoire de l’aide internationale. Les acteurs globaux, organisations in-ternationales ou entreprises multinationales y expéri-mentent de nouveaux dispositifs avant de les étendre au reste de la région Ouest-africaine.

Des contraintes spécifiques aux sociétés de l’information en Afrique

Aux fractures sociales et linguistiques s’ajoute la frac-ture numérique. En 2014 la Banque Mondiale estimait

Quelques données sur le niveau de pauvreté et d’éducation (source : Rapport mondial sur le développement humain, 2009)

Pays Indice de pauvreté humaine (%)

Personnes vivant en sous le seuil de pauvreté (%)

Alphabétisation des adultes de 15 ans et plus (%)

Scolarisation combinée* (%)

Sénégal 41,6 60,3 41,9 41,2

Burkina Faso 51,8 81,2 28,7 32,8

Côte d’Ivoire 37,4 46,8 48,7 37,5

Cap-Vert 14,5 40,2 83,8 68,1

Nigeria 36,2 83,9 72,0 53,0* Éducation primaire, secondaire et supérieure

Quelques données d’accès à internet et au téléphone mobile (Banque mondiale, 2014, http://donnees.banquemondiale.org)

Zone géographique Utilisateurs d’internet(pour 100 personnes)

Abonnements à la téléphonie mobile (%)

Lignes téléphoniques(pour cent personnes)

Monde 40,7 97 15

Union européenne 78,1 129 42

Afrique du Nord et Proche Orient 19,2 71 1

Afrique sub-saharienne 38,3 110 15

Sénégal 17,7 99 2

Page 94: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

92

rôle pionnier joué par les acteurs de la société civile, et tout particulièrement les ONG ; enfin une grande capacité d’innovation dans les usages des TIC par les acteurs « populaires », en particulier le secteur dit « in-formel » et l’économie sociale et solidaire.

La révolution du mobile

On ne peut comprendre pas les mécanismes de fonc-tionnement des sociétés locales de l’information en Afrique si on ne prends pas en considération les bou-leversements qu’a entrainé au cours de ces dernières années l’arrivée massive de la téléphonie mobile et des terminaux mobiles.

Fin 2014, les taux de pénétration du téléphone mo-bile ont atteint 97 % dans le monde, 129 % dans l’Union Européenne et 71 % en Afrique Sub-saharienne. En Afrique, certains pays comme l’Afrique du Sud (149 %) le Botswana (167 %) ou la Tunisie (128 %) ont largement dépassé la barre des 100 %, de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest ayant atteint ce chiffre symbolique (Sénégal, 99 %, Bénin, 100 %, Côte d’Ivoire, 106 %, Gambie, 120 %, Mali, 149 %) qui fait de la téléphonie mobile un moyen de communication quasi universel.

Le mobile s’adapte particulièrement au contexte afri-cain et son explosion doit beaucoup à son adaptabili-té à la culture africaine de l’oralité et à la faiblesse in-frastructurelle récurrente du continent. Le coût élevé et le manque de couverture et de fiabilité des réseaux fixes dans la région font que le haut débit mobile est le seul moyen pour la grande majorité des habitants d’ac-céder à internet. C’est ainsi qu’une nouvelle génération de pratiques se développe : m-commerce, m-learning, m-crowd funding, m-banking, etc.

Usages et appropriations des TIC « par le bas », illustrations sénégalaises

Secteurs et échelles d’appropriations

À la question « les africains sont ils demeurés des ré-cepteurs passifs de technologies découvertes et fabri-quées ailleurs ou bien ont-ils été capables de devenir à leur tour producteurs ? » la réponse de Cheikh Ou-mar Traore de l’université de Montréal, illustrée par le cas du téléphone, est claire : « De nos jours, ils ne pro-duisent pas de téléphones, mais ont développé des so-lutions alternatives pour l’utilisation du téléphone mo-bile, ils ont su l’adapter à leurs besoins » (Traoré, 2015).

Le tableau suivant (p. 94-95) illustre bien la grande di-versité des initiatives de construction de la ville intelli-gente par le bas en Afrique. Nous en présenterons ci après trois exemples significatifs. Ces expériences sont portées par trois acteurs clés de l’appropriation par le bas : le secteur « informel », l’ESS et les PME pour les télécentres et cybercafés ; les municipalités pour le site et le SIG collaboratif de la ville de Guédiawaye ; les orga-

nisations de la société civile et les ONG pour le contrôle citoyen des élections présidentielles au Sénégal.

Naissance et déclin des lieux d’accès collectifs au téléphone fixe et à internet : télécentres et cybercafés au Sénégal

Au début des années 2000, Serigne Mansour Tall (2002) nous racontait l’histoire du téléphone portable de Khady Diagne, une femme du village de Gade Kébé (150 habitants) dans la région de Louga. Son mari, tra-vaillant en Italie, l’avait dotée d’un téléphone portable rapidement devenu communautaire. Ce téléphone fonctionnait comme la « cabine téléphonique » du vil-lage, la « ligne de vie » entre le village et la petite ville voisine. Cette expérience, illustre l’appropriation par-ticulière que font les sociétés africaines des outils de communication proposés par les entreprises du Nord.

En 1987, la « télédensité » du Sénégal était très faible (une ligne téléphonique pour 300 habitants). La Socié-té nationale des télécommunications (SONATEL), alors société publique, avait décidé d’installer un certain nombre de cabines téléphoniques publiques, régulière-ment mises hors service pendant les manifestations ou par le vandalisme au quotidien. En 1993, la compagnie de télécommunications change d’orientation et auto-rise la revente au détail des services de télécommuni-cations, ce qui marque la naissance des télécentres. Pour un investissement minimum de 600 euros (non compris les coûts d’équipements et de local), il est dé-sormais possible de revendre des télécommunications en appliquant un tarif encadré. Ce système connaît un succès fulgurant. En 2006, 18 500 télécentres totali-sant 23 000 lignes téléphoniques emploient 30 000 personnes et génèrent un chiffre d’affaires 50 milliards de francs CFA, qui représente 33 % du chiffre d’affaire d’une SONATEL qui a été privatisée entre temps en 1997. L’accès au téléphone s’est élargi rapidement à l’ensemble du territoire national. Ces télécentres, dans un contexte où la crise économique fait rage, ouvrent des opportunités de travail à de nombreux jeunes sans-emploi et retraités.

Mais le changement de stratégie de la SONATEL, qui adopte la taxation à la seconde et la généralisation de la téléphonie mobile, entraîne une concurrence fé-roce et la chute brutale du nombre de télécentres, qui passent de 24 000 en 2005 à 4 000 en 20084.

Cette histoire démontre à la fois une grande capacité d’appropriation d’une technologie nouvelle par les acteurs de l’économie populaire et la grande fragilité du système par rapport aux décisions des acteurs « du haut ».

4 Olivier Sagna, «Les télécentres privés du Sénégal», Les cahiers de NETSUDS « Accès aux nouvelles technologies en Afrique et en Asie », mis à jour le 10 mai 2011. URL : http://revues.mshparisnord.org/netsuds/index.php?id=271.

Page 95: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

93

Le numérique municipalentre modernisation et démocratisation

Les politiques de décentralisation qui se généra-lisent dans les pays africains à partir des années 1990, poussent les municipalités sur le devant de la scène. . Ce processus ambigu, entre désengagement des Etats en phase d’ajustement structurel et revendications d’une plus grande autonomie et marges d’initiatives de la part des acteurs municipaux, ouvre une fenêtre d’op-portunité pour l’appropriation locale des dispositifs TIC liés à la gouvernance et au développement local.

Les villes d’Afrique de l’Ouest se lanceront dans une sé-rie d’expérimentations d’usage des TIC au service de la modernisation de la gouvernance locale. . Le dévelop-pement d’un Site et d’un SIG collaboratif dans la ville de Guédiawaye sera une de ces expérimentations .

Dans la ville de Guédiawaye, une municipalité de 450 000 habitants de la périphérie de Dakar, un projet de coopération décentralisée, mené en partenariat avec la Communauté d’Agglomération de Castres Mazamet, s’est efforcé de créer un SIG participatif et un site col-laboratif d’aide à la décision pour les politiques munici-pales. Cette ville avait été choisie en raison de sa tradi-tion de projets participatifs : Projet de ville développé en 1996 ou élaboration d’un Agenda 21 local au début des années 2000. De nombreuses activités de forma-tion (sur place ou en France) ainsi que plusieurs expé-rimentations furent réalisées, qui retinrent l’intérêt de l’Agence de Développement Municipal du Sénégal.

Quelques activités du projet SIG de Guédiawaye

De nombreuses activités (voir ci-contre), souvent très novatrices dans le contexte sénégalais, seront réali-sées dans le cadre du projet. Cependant, si la qualité technique des productions numériques réalisées est souvent remarquable, la dimension participative et col-laborative de la gestion et la production de ces outils n’a pas attient l’objectif fixé initialement. Par ailleurs l’appropriation des processus techniques et la stabili-sation institutionnelle du mécanisme au sein du dispo-sitif municipal fut, malgré les efforts déployés de part et d’autre, plus lente que prévue.

Un bilan de cette expérience, emblématique des par-tenariats de coopération décentralisée avec les col-lectivités françaises en Afrique de l’Ouest dans les années 2010 fait apparaître un certain nombre de caractéristiques.

• L’objectif de modernisation (en particulier pour améliorer la capacité de collecte des taxes et impôts locaux par la municipalité) prime sur celui de démo-cratisation par l’ouverture des mécanismes de pro-duction et d’utilisation de l’information.

• On observe une dépendance encore trop impor-tante des financements et des appuis techniques

De haut en bas : atelier de formation des techniciens des services municipaux à l’utilisation du SIG par

un technicien de la coopération décentralisée et un professeur de l’université de Toulouse 2 ; cartographie des points de ramassage des ordures de la ville établie

avec la participation des services de la CADAK (le service de collecte de l’agglomération de Dakar) ; cartographie

des panneaux publicitaires réalisée pendant un atelier de formation en vue d’améliorer la collecte des taxes locales.

Photos et documents Projet SIG

Page 96: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

94

Secteurs d’application Exemples d’initiatives Pays et structures porteusesDémocratie,suivi processus électoraux,lutte contre la corruption

« Sama Baat », « Carapide », plateformes et blog de contrôle citoyen des élections présidentielles

Sénégal (collectif d’organisations de la Société civile, bloggeurs, citoyens)

Site web Forum Civil, promotion de la démocratie, citoyenneté, transparence

Sénégal, (association société civile)

Système cartographique Ushahidi, contrôle du processus électoral

Kenya (électeurs)

Mécanisme de vigilance contre la corruption

Bénin (ONG)

Outils de lutte anti corruption, suivi de l’information financière du gouvernement local, formation en ligne au plaidoyer anti-corruption

Afrique de l’Ouest (WANGONet, réseau ONG)

Formations, sites web communes d’arrondissement

Dakar, Sénégal (ONG CRESP)

Utilisation des réseaux sociaux pour la relation maires-citoyens

Sénégal (différents maires et élus)

Usage de SMS, campagne des élections municipales

Cap-Vert (candidats)

« Abidjan.net », site d’information politique de la diaspora

Côte d’Ivoire (société privée, entreprise Weblogy)

Planificationgestion urbaine et sécurité

SIG d’aide à la décision et aux finances locales

Guédiawaye, Sénégal (Ville et coopération décentralisée)

Numérisation de l’état civil Bénin (Communauté des communes du Plateaux et coopération décentralisée)

Formations applications et budgets participatifs

Différentes villes Afrique (ENDA ecopop et Observatoire de la démocratie participative)

Base de données cadastrale et de gestion foncière

Quartier Madiyana, Touba, Sénégal (Khalife de quartier, confrérie mouride)

« Police Diary », émission de radio interactive, blogs, SMS, e-mails

Nigeria (Radio fédérale du Nigéria)

Services urbains(eau potable, énergie, assainissement, éclairage public, communication, transports)

Télécentres et cyber centres, ieux accès publics téléphone fixe et internet

Sénégal et la plupart des villes africaines (PME, secteur informel, ESS)

Points phones cellulaires, points d’accès public téléphonie mobile

Côte d’Ivoire, Sénégal, etc. (jeunes, secteur informel)

Système « mWater », application d’aide à la gestion des forages et AEP communautaires

Sénégal (ASUFOR, société Manobi)

Usage SMS mobilisation contre les coupures électricité

Praia, Cap-Vert (usagers-citoyens)

Système tel mobiles et réservations moto taxi

Le Caire , Égypte (secteur informel)

Services vocaux langues nationales, Projet CERCO

Bénin (établissements scolaires privés et parents d’élèves)

Centres multimédias Communaux et Maison des savoirs (accès, formation)

Ouagadougou (municipalité)

Économie urbaine et crédit « Kara International Exchange », instrument informel mouride de transfert de fonds

Sandaga, Dakar/Broadway, New York (bureau privé, communautaire mouride)

mBanking transfert d’argent par SMS Kenya (Système M-Pesa), Afrique du Sud (MTN Banking)

Recyclage et tropicalisation d’ordinateurs de récupération pour les écoles

Dakar (ONG Sénéclic, ville de Besançon, coopération décentralisée, écoles primaires, travailleurs handicapés)

Page 97: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

95

Secteurs d’application Exemples d’initiatives Pays et structures porteusesÉducation, santé, culture,lien social, genre

Systéme SMS « Je sais tout » de suivi des absences scolaires

Bénin (écoles, parents d’élèves)

Centre d’appel, prévention sida et info sexualité

Sénégal (ONG ENDA graf)

Kiosques tactile, écrans tactiles d’information VIH/sida en langues nationales, dans lieux publics

Nigéria (MNT, société de téléphonie mobile)

Collecte fonds financement hôpital Touba, Sénégal ( « Matlaboul Fawzaîni » dahira d’émigrés mourides)

Fablab « Def Ko Ak Nep » Keur Thiossane, Dakar (association artistique)

« Ouagalab », formation étudiants, architectes

Ouagadougou (initiative privée)

Réseau de communication électronique enfants et jeunes travailleurs

Différentes villes africaines (ENDA Jeuda et Réseau EJT Afrique )

M-crowdfunding, collecte de solidarité pour les victimes de sécheresse

Afrique de l’Est (utilisateurs de Mpesa)

« Famafrique », site de lutte contre la fracture numérique de genre

Afrique francophone (ENDA synfev)

Commerce et approvisionnement

Suivi par SMS des processus de commercialisation et d’accès aux prix des marchés urbains pour les producteurs agricoles

Mali (GIE Fruilema), Ghana, (BusyLab), Kenya (SMS Soniki)

« Xam Marsé » (Connais ton marché), Plateforme d’information technique et de prix de marché pour pécheurs et maraichers

Région Dakar, Sénégal (société MANOBI, Sonatel)

Système d’information prix produits agricoles (combinaison observateurs, tel portable, radios communautaires)

Région Kaolak, Sénégal (ENDA graf, organisations paysannes, radio communautaires)

Un cybercafé dans un quartier de classes moyennes à Dakar. Photo J.-J. Guibbert

Page 98: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

96

extérieurs, dans ce cas des mécanismes de la coopé-ration décentralisée.

• On note aussi la subsistance d’une méfiance réci-proque entre les institutions municipales et les or-ganisations de la société civile locale, qui semblent à certains égards en compétition pour l’accès à cer-tains financements et freine leur participation pleine et entière aux mécanismes de co-pilotage du site communal comme du SIG.

Si cette lecture critique est nécessaire pour en tirer toutes les leçons opérationnelles, on aurait tort ce-pendant de n’en retenir que ces aspects négatifs. Au gré des échanges et des multiples expérimentations, l’usage du numérique par les collectivités locales afri-caines trouve sa place et se développe, entre moder-nisation et démocratisation. Comme le dit le proverbe wolof « jeem teele ayul nakka jeem a aay » (chercher et échouer n’est pas grave, ce qui est grave c’est de refuser d’essayer).

Nous avions relevé au début des années 2010 « la fai-blesse quasi générale de l’appropriation des TIC par les acteurs publics locaux » et Olivier Sagna n’hésitait pas à qualifier les municipalités de « chainon manquant » dans le système d’acteurs des sociétés africaines de l’information (Guibbert et Sagna, 2012). Entre plagiat mimétique des modèles véhiculés par les cabinets d’ex-pertise, les financiers et entreprises multinationales, illusions du marketing territorial et un rôle patient de mobilisateur et d’ensemblier de la créativité et des énergies dont sont riches leurs territoires, les collecti-vités locales africaines et leurs élus hésitent encore.

Réseaux sociaux et contrôle citoyen :la démocratie sénégalaiseà l’heure du numérique

Pendant les élections présidentielles de 2000 et de 2012 la mobilisation des électeurs pour assurer une vi-gilance citoyenne via le web et les réseaux sociaux du processus électoral et de ses résultats, parallèlement à l’information officielle, a évité probablement un tru-quage des élections.

Au moment de l’élection présidentielle de 2000, la société civile Sénégalaise a été une des premières en Afrique à mettre sur pied un mécanisme de contrôle citoyen des élections. Des centaines de militants en-voyaient par téléphone portable les résultats des dif-férents bureaux de vote de l’ensemble du pays à un dispositif qui permettait de mettre à disposition du public sur les radios et télévisions indépendantes, une information en direct, parallèle à celle de la commis-sion officielle, exerçant ainsi un effet dissuasif sur les tentations de fraude qui avaient caractérisé certaines élections antérieures. Après quanrante ans de gouver-nement socialiste, le Président Abdou Diouf acceptait sa défaite rapidement et ouvrait la voie à l’alternance.

De haut en bas : mouvement « Y’en à marre », élections présidentielles 2012, Dakar (source : www.senenews-com) ; manifestation violente pendant la campagne présidentielle, 2012, Dakar (source : guinée.over-blog.net) ; bureau de vote, élections présidentielles 2012, Dakar.

Page 99: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

97

Il en fut de même pour écarter en 2012 Ab-doulaye Wade, le vainqueur de 2000, usé par le pouvoir et ses abus. Création de sites web citoyens mettant à disposition des électeurs toute information majeure pen-dant la campagne, animation d’observa-toires régionaux de veille et de contrôle des opérations électorales, mise en ligne des résultats pendant la soirée électorale : ma-nifestants et blogueurs ont uni leurs efforts pour déjouer les tentatives de manipulation électorale du pouvoir en place.

Le site Carrapide avec ses rubriques « La pa-role aux Sénégalais » ou « Parole aux jeunes » a assuré une couverture de proximité de l’ensemble des manifestations et des réunions électorales de la campagne pré-sidentielle, limitant ainsi les phénomènes d’intimidation et de violence des tenants du pouvoir en place.

Sama Baat, plateforme lancée à l’initiative d’une vingtaine d’ONG nationales et inter-nationales avec l’appui de OXFAM, OSIWA, de l’ambassade de Grande Bretagne et de l’Union européenne, géolocalise les inci-dents électoraux sur la base des alertes envoyées par les citoyens eux-mêmes. Elle fonctionne d’une part comme une plateforme d’informations sur les règles électorales et de débats (blogs, etc.) et d’autre part comme un mécanisme de surveillance des élections. Sunu 2012, l’association des blogueurs du Sé-négal, s’est mobiliserée et a joué un rôle essentiel pour alimenter l’ensemble de ces dispositifs.

« Les Sénégalais engagés dans l’utilisation des réseaux sociaux pour la participation politique n’ont pas appli-qué des recettes importées. Ils se sont au contraire approprié les technologies et leurs possibilités dans le cadre d’une dynamique endogène et les ont adaptées à leurs besoins et à leurs envies » (Bajo Erro, 2013 ; Tine, 2015). L’expérience de contrôle citoyen des élections a inspiré des mécanismes similaires dans les pays de la sous région.

Conclusion : une autre ville intelligente africaine existe déjà

« La ville intelligente de demain sera verte, dense et hyper connectée » a déclaré Nathalie Leboucher (directrice du programme Smart cities d’Orange) à la Up Conférence « Smart City, la nouvelle révolution urbaine », le 25 mars 2014. La ville intelligente (Smart City) est devenu la nouvelle coqueluche des multinationales de la communication, du BTP, des services urbains ou de l’environnement. IBM, Cisco, Veolia, Orange ou Bouygues, pour n’en citer que quelques unes, ne jurent plus que par elle.

Site Carripide et plateforme Samaa Baat (captures d’écrans)

« Ville habitable, ville durable et ville intelligente », les défis de la construction de la ville inclusive et partici-pante ont été relevés depuis longtemps par les mouve-ments sociaux urbains et les acteurs « du bas »5 :

• l’agriculture urbaine et péri urbaine aux origines de la « ville verte » a été un des chevaux de bataille des tenants de l’écodéveloppement pendant les décen-nies 1970-80 ;

• le recyclage et la valorisation des déchets est une pratique massive des communautés de recycleurs des villes du Sud depuis une cinquantaine d’années ;

• la ville dense a été expérimentée et théorisée par les tenants de l’auto-construction en hauteur en Amé-rique latine dans les années 1980 (AVP Colombie, CIUDAD Équateur, DESCO Pérou, SUR Chili, etc.) ;

• l’hyper connexion sociale a été pratiquée par les ha-bitants des quartiers populaires des villes africaines bien avant l’apparition de sa version technologisée ; réseaux sociaux réels et néo-lignagers6 fonction-nèrent bien longtemps avant les réseaux sociaux électroniques comme palliatifs aux carences de l’État en matière de protection sociale et de solidarité ;

5 Projet PREFALC 2014-2017, « Les défis de la ville inclusive et participante : Ville habitable, ville durable et ville intelligente » piloté par l’Université Toulouse 2 Jean-Jaurès

6 Des déchets et des hommes. Expériences urbaines de recyclage dans le tiers monde, Environnement Africain, ENDA Dakar, 1990.

Page 100: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

98

Une productrice maraichère munie de son téléphone mobile, zone proche de Dakar. Photo J.-J. Guibbert

• les habitants des villes africaines et leurs organisa-tions ont su dés les années 1980 s’approprier les technologies de la communication et construire des dispositifs « à la base »7 pour contrebalancer le poids des médias officiels, comme ils le font aujourd’hui pour l’appropriation des outils numériques.

La ville intelligente « par le bas » se situe dans cette tradition de recherche-action qui mise sur la créativité populaire et l’intelligence territoriale pour participer au développement et à la gouvernance locale. Une autre ville intelligente est déjà en construction « par le bas » et mérite toute notre attention. Quelle sera son rôle et les modalités de son articulation avec les processus de construction de la ville intelligente « par le haut », que nous avons évoqués dans notre introduction ? Ré-sistance ? Instrumentalisation ? Expérimentation ? ou co-construction sociale et politique des villes du fu-tur dans leur relations avec leur hinterland et avec le monde ?

Si les projets de villes intelligentes en Afrique, comme c’est trop souvent le cas, débouchent sur la construc-tion de ghettos de riches ultra connectés noyés dans un océan de pauvreté et sont essentiellement des op-portunités d’investissement pour le capital financier international et de contrats pour les multinationales des services urbains et les bureaux d’études étran-gers, alors nous pouvons nous attendre à de futures révoltes sociales, dérives politiques et catastrophes écologiques et craindre que les attentats d’aujourd’hui à Bamako, Ouagadougou, Grand Bassam, ou Chibok annoncent des jours de bruit et de fureur pour les villes africaines et leurs habitants.

Si l’utilisation des technologies du numérique dans les villes africaines permet au contraire d’ élargir le spectre de la participation et de la démocratie locale, participe à l’élargissement des services et du marché de l’emploi aux plus défavorisés, contribue au développement ur-bain durable et à une transition énergétique pour tous, à la valorisation des cultures et des savoirs populaires, à l’augmentation de l’intelligence territoriale et socié-tale et collabore à la construction de villes inclusives et démocratique, alors la notion de ville intelligente aura acquis toute sa signification.

7 Session de réflexion et d’échange d’expériences sur la communication à la base, ENDA-ACCT, Dakar 1980 ; Communiquer dans les groupes de base : manipulation ou libération ? in Communication à la base, manipulation ou libération ? ENDA-ACCT, Bogota, 1980, pp.389-415.

Quelques références bibliographiquesAdP Villes en développement, Les villes du Sud à l’heure du numérique, bulletin n° 98, février 2015.

Bajo Erro C., « Les soleils de la citoyenneté numérique. Parti-cipation sociale et politique pendant l’élection présidentielle de 2012 », in Le Sénégal sous Abdoulaye Wade, Paris, Karthala, 2013, chap. XXII.

Bayard J.-F., Hibou B., Samule B., « L’Afrique cent ans après les indépendances vers quel gouvernement politique ? » Poli-tique africaine 2000, n° 119, p. 129-159.

Chéneau-Loquay A. (dir.), Enjeux des technologies de la com-munication en Afrique. Du téléphone à internet, Paris, Karthala 2000.

Chéneau-Loquay A., Modes d’appropriation innovants du té-léphone portable en Afrique, MAE, UIT, 2010. URL : https://www.itu.int/ITU-D/cyb/app/docs/itu-maee-mobile-innova-tion-afrique-f.pdf

Coll J.-L. et Guibbert J.-J. (dir.) L’Aménagement au défi de la dé-centralisation, PUM coll. «Villes et territores », Toulouse, 2005.

Collectif eAtlas FAO, Sociétés africaines de l’information, vol. 2, Recherches et Actions en Afrique de l’Ouest Francophone, PUM, Toulouse, 2012.

Eveno E., Gueye C., Guibbert J.-J., Sagna O. (dir.) « Sociétés africaines de l’information : Illustrations africaines », numéro spécial des revues NETCOM et NETSuds, janvier 2008.

Eveno E. et al., dossier « Villes numériques, villes intelli-gentes », La revue Urbanisme 2014, n° 394, automne.

Gueye C., « Enjeux et rôle des NTIC dans les mutations ur-baines : le cas de Touba » in Diop M. C. (dir.), Le sénégal à l’heure de l’information : Technologies et Société, Paris, Kar-thala et Genève, UNRISD, 2002, p.169-222.

Page 101: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

99

Jean-Jacques Guibbert, géographe-aménageur et diplômé de l’IEDES, est chercheur associé au Lisst-Cieu à l’Université Toulouse Jean Jaurès. Il a enseigné pendant plus de dix ans dans une série de masters (Habitat, Économie sociale, Villes et environnement, Numérique) de l’université Toulouse. Ses responsabilités dans les ONG d’accompagnement des dynamiques urbaines dans les villes du Sud en Afrique et en Amérique latine (de 1975 à 2012), puis de membre fondateur du réseau eAtlas Francophone pour l’Afrique de l’Ouest (2006-2015), l’ont amené à porter un regard liant intimement recherche et action dans le domaine de la communication pour le développement et la gouvernance urbaine, ainsi que de la construction des sociétés de l’information « par le bas » en Afrique.

Contact : [email protected]

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Guibbert J.-J. (dir.), « Communication à la base, manipulation ou libération ? », ENDA-ACCT, Bogota, 1980, p.389-415.

Guibbert J.-J. et Sagna O., « Le rôle des ONG dans la concep-tion et la mise en œuvre des politiques publiques liées au développement de la société de l’information en Afrique de l’Ouest : regards croisés sur le Bénin, le Mali et le Sénégal », Sociétés Africaines de l’information, vol. 2, Toulouse, Collectif eAtlas FAO, 2012, p.57-79.

Institut Panos Afrique de l’Ouest (IPAO) et PNUD, L’e-gou-vernance et la Participation Citoyenne en Afrique de l’Ouest. Enjeux et Etudes de cas, IPAO, PNUD, 2009.

Kiyindou A., Anaté K., Capo-Chichi A. (dir.) Quand l’Afrique ré-invente la téléphonie mobile, L’Harmattan,2015.

Ndione E. S., Dakar une société en grappe, Karthala et ENDA Graf-Sahel, 1993.

Tall S. M., « Les émigrés sénégalais et les nouvelles techno-logies de l’information et de la communication », in Diop M. C. (dir.), Le sénégal à l’heure de l’information : Technologies et Société, Paris, Karthala et Genève, UNRISD, 2002, p.223-261.

Tchéhouali D., « La coopération décentralisée en matière de solidarité numérique : quels enseignements tirer de cinq années d’expérimentations ? », in Sociétés africaines de l’in-formation, Recherches et actions en Afrique de l’Ouest Franco-phone, vol. 2, Toulouse, Collectif eAtlas FAO, 2012 p. 133-148.

Tine B., Elhaou M.-A., « Mouvements populaires en Afrique : primauté technologique ou austérité sociale ? Études de cas du Sénégal et de la Tunisie », Communication, technologie et développement 2015, n° 2. http://www.comtecdev.com/

Traoré C. O., « Les impacts du téléphone mobile sur les com-munautés en Afrique de l’Ouest », in Kiyindou A., Anaté K., Capo-Chichi A. (dir.) Quand l’Afrique réinvente la téléphonie mobile, L’Harmattan, 2015, p. 235-241.

Water and Sanitation Program (WSP), Desserte des popula-tions pauvres des zones rural et semi urbaines. Bilan sur sept pays africains, Délégation de gestion du service d’eau en mi-lieu rural et semi urbain , oct 2010, Note de terrain. https://www.wsp.org/sites/wsp.org/files/publications/WSP-Delega-tion-de-gestion-du-service-d-eau.pdf

Page 102: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation
Page 103: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

El desarrollo de las tecnologías de la información ha permitido replantear los alcances y trasformaciones de una sociedad cuyo desarrollo está basado en buena medida en la gestión de su conocimiento. El contexto que permite entender la emergencia de la noción de In-teligencia Territorial (IT) se distingue por el entrecruce de tres factores: a) el reconocimiento generalizado que se le asigna a la información y la comunicación; b) una serie de trasformaciones socio-ecológicas impor-tantes ocurridas en escala global en los últimos 30 años -de diversos tipos: políticas, económicas, ambientales, tecnológicas, y c) la concientización de la importancia del territorio como espacio de apropiación de recursos materiales y simbólicos, y como construcción identita-ria. Estos tres factores permiten asociar el desarrollo de las tecnologías de la información y la comunicación (TIC), la gestión del conocimiento colectivo, y la gober-nanza territorial.

Este artículo aborda la noción de inteligencia territorial, concretamente da cuenta de las líneas de investiga-ción-acción del grupo de investigación interdisciplina-ria de inteligencia territorial de la Universidad Autóno-ma Metropolitana-Cuajimalpa (GIIIT), en la ciudad de México. El texto, inicia con una breve discusión sobre la noción de inteligencia territorial, sus componentes y principales métodos. En la segunda parte se presen-tan las líneas de investigación acción de del GIIIT, su proyecto de formación y del desarrollo de tecnologías para el desarrollo de sistemas de inteligencia territo-rial. En la sección tercera y última se presentan algunas

Inteligencia territorial e investigación-acción-participativaMétodos y casos de estudio en la Ciudad de México

Salomón González ArellanoDepartamento de Ciencias Sociales de la UAM-Cuajimalpa

Pour citer cet article : González Arellano S., « Inteligencia territorial e investigación-acción-participativa, métodos y casos de estudio en la Ciudad de México », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 101-108.

reflexiones sobre las posibles contribuciones de la no-ción y métodos de inteligencia territorial en el análisis y desarrollo del modelo de la Smart City.

Inteligencia Territorial

La inteligencia es uno de esos conceptos de uso común pero difícil de delimitar. La noción está presente en dis-tintos campos del conocimiento; en las ciencias cogni-tivas, en la informática, en la sociología, la psicología, y en actividades estratégicas como la gerencia de em-presas, la seguridad nacional, o el desarrollo tecnológi-co. De hecho la noción puede tener según su contexto geográfico una noción contrastante. Por ejemplo, en sociedades con una experiencia de regímenes totalita-rios, la inteligencia está asociada al control social; el es-pionaje, y atentar al derecho de una vida privada. Por otro lado, se puede asociar con asuntos de seguridad nacional o civil mientras que también puede hacer refe-rencia a la inteligencia competitiva y de apoyo a la ges-tión de información estratégica o espionaje industrial.

Un referente cercano a la IT es el de la Inteligencia Colectiva (IC). La IC puede ser entendida como el conjunto de atributos cognitivos que se comparte por un colectivo y que permite mediante una serie de prác-ticas, disminuir la incertidumbre ante un problema o la necesidad de una innovación. Según Levy, la Inteligen-cia Colectiva se compone de un conjunto de axiomas: a) la IC repartida en todas partes, es decir no es exclu-siva a un tipo de saber o sector del conocimiento, b)

Page 104: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

102

la IC está valorizada constantemente, la ignorancia o desprecio de otros saberes requiere de constante re-conocimiento y apropiación, c) la IC es coordinada en tiempo real, esto implica adecuaciones constantes de comunicación apoyándose en todo tipo de tecnolo-gías, permitiendo a las colectividades y sus individuos coordinar las interacciones, y d) la IC permite la movi-lización efectiva de competencias de cada uno de los miembros, es decir, a partir de la identificación de es-tas competencias, reconocerle en su más amplia diver-sidad (Lévy, 999).

En este sentido, la IC se basa en buena medida en la movilización efectiva, de competencias valorizadas y fortalecidas por las interacciones entre los miembros del colectivo. Estas interacciones poseen una espacia-lidad que inevitablemente juega un papel activo, y no meramente de soporte, para el adecuado entendimien-to del desarrollo de la IC. Así, la Inteligencia Territorial toma sentido como la forma activa del espacio geográ-fico en el desarrollo de la inteligencia colectiva.

La inteligencia territorial como objeto científico se construye desde inicios de la década de los 90 en el seno del medio universitario europeo. La Red Interna-cional en Inteligencia Territorial (INTI) ha sido la prin-cipal arena para la discusión y desarrollo científico y tecnológico de la Inteligencia territorial. Este grupo de académicos de caracter interdisciplinario ha conforma-do una serie encuentros y acciones que se sintetiza en tres ejes programáticos: a) el desarrollo de referentes teóricos sobre la inteligencia territorial, b) el diseño y validación de métodos, y c) el desarrollo de herramien-tas tecnológicas orientadas a la implementación de sis-temas de inteligencia territorial para diversos actores, problemas y contextos.

Desde la perspectiva de este grupo, se pueden identifi-car diversas concepciones de IT. Según Girardot (2009) consiste necesariamente en un enfoque interdiscipli-nar que tiene como objeto el desarrollo sostenible de los territorios y cuyos sujetos son los individuos y los colectivos territoriales. Por otra parte, la IT se puede entender como un proyecto científico que trata com-prender la coproducción del territorio a partir de la ges-tión de la información y el conocimiento. Desde otra óptica, Bozzano identifica en la noción de Inteligencia Territorial tres cuestiones que son, desde su perspecti-va, específicas a la realidad de América Latina; 1) la IT como una estrategia para el desarrollo sostenible de los territorios, 2) un proceso basado en la construcción de personas en sujetos, de espacios banales en territo-rios y de ideas vagas en proyectos concretos, y 3) apun-ta a trabajar por identidades, necesidades y escenarios futuros (Bozzano 2013).

La noción de IT resulta demasiado joven y podemos considerar que está en construcción. Herbaux (2007) la define como la evolución de la cultura de lo local basada en la colecta y cooperación de signos e infor-

mación entre todos sus actores, y al efecto de proveer al decidor y al momento oportuno, la información pertinente:

Se puede considerar a la Inteligencia Territorial como un proceso informacional y antropológico, regular y continuo, iniciado por actores locales físi-camente presentes y/o distantes, con el propósito de apropiación de los recursos de un espacio, mo-vilizando y trasformando la energía del sistema ter-ritorial en capacidad de proyecto. De este hecho, la Inteligencia Territorial puede ser asimilada a la terri-torialidad que resulta del fenómeno de apropiación de los recursos de un territorio y de la transferencia de competencias entre las categorías de actores locales y de culturas diferentes. El objetivo de este proceder, es mantenerse vigilante para la dotación de la escala territorial del desarrollo de su capital formal territorial (Herbaux 2007:70).

Los procesos de gestión colectivos del conocimiento que hacen explícita la dimensión territorial favorecen el reconocimiento y desarrollo de una serie de habilidades y competencias sociocognitivas. Algunas de éstas son: Autoconciencia, la memoria colectiva, la anticipación, la toma de decisiones, y la gestión de conflictos. Este desarrollo de habilidades se da de manera iterativa y es justamente el desarrollo de la observación colectiva el basamento de este proceso (González, 2013).

Autoconciencia

La conciencia puede ser entendida comúnmente como el conocimiento que se tiene de los propios estados, percepciones, ideas, y sentimientos, es decir, de uno mismo y de las condiciones y transformaciones de su entorno. La idea de conciencia incorpora un aspecto moral; la capacidad de autojuzgarse, y un aspecto teórico; la posibilidad de conocer de manera directa e infalible. En este sentido, la Observación Colectiva pue-de ser un detonador de la conciencia, especialmente si entendemos que uno es parte del entorno.

Memoria colectiva

Entendemos la memoria colectiva como aquellos refe-rentes evocados y compartidos por una colectividad. La construcción y mantenimiento de estos referentes puede tener muy distintos soportes como de tipo ma-terial e inmaterial. Los documentos y otros dispositivos de registro y depósito de información son los menos relevantes en esta tipo de memoria. La historia oral, las tradiciones, los sistemas institucionalizados de docu-mentación, y el espacio construido o natural son tipos de soportes de la memoria colectiva (Halbwachs, 2011).

La anticipación

La capacidad que pueden desarrollar las colectividades para la construcción de escenarios posibles es otro de los componentes de la Inteligencia Colectiva. Existen

Page 105: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

103

términos comunes para describir mejor esta compe-tencia. La capacidad de predicción, y de estimar ten-dencias o proyecciones son algunas de las nociones cercanas a esta competencia. De manera más precisa, la anticipación sugiere, por una parte, la imposibilidad de predecir con precisión y de tomar con prudencia las tendencias o proyecciones; y por otra plantea una postura pro-activa, o una acción ante el posible even-to o escenario. En un sistema de Inteligencia Territorial se esperaría tener un sistema de anticipación que en medida de lo posible remplace o complemente en lo posible el sistema de reacción (Heuer y Pherson, 2010).

La decisión territorial

La toma de decisiones ante un posible escenario consiste en la manifestación concreta de la anticipa-ción. Los procesos de toma de decisión por parte de colectividades requieren de la articulación y valoración de información en distintas etapas. La gestión adecua-da de esta información y de la identificación de poten-cialidades distribuidas en el territorio son partes clave de la toma de decisión. Tanto la adecuada coordinación de la información entre los actores como la construc-ción efectiva de un consenso territorial, son compe-tencias que pueden apoyarse en herramientas y tecno-logías para este propósito. Algunos de los atributos de estos instrumentos consisten en el desarrollo del trabajo colaborativo, de la cooperación y transparencia de la información, y de la toma en cuenta de las prefe-rencias de los actores. Además de estos atributos, la toma de decisión valora por medio de la construcción de escenarios las posibles consecuencias y costos de tales decisiones (Joerin et al. 2009).

Gestión de conflicto territorial

La gestión efectiva de la in-formación tiene un papel central en la gestión de todo conflicto. Concretamente, entendemos conflicto ter-ritorial como la situación de oposición y desacuerdo entre dos o más actores, individuos o colectivos, a partir de valores e intereses divergentes, dispuestos a realizar acciones dirigidas a expresar su desacuerdo respecto a diversos asun-tos relacionados con el uso, organización y distribución espacial de los recursos y costos de un territorio, in-cluyendo los procesos de apropiación del mismo. Las colectividades que desar-rollan competencias para la

gestión de los conflictos hacen uso de la información de diversas maneras. Algunas de estas competencias consisten en la identificación y conocimiento de los ac-tores involucrados, de sus intereses y posiciones en el proceso del conflicto, de su repertorio de acciones y re-cursos, así como de la capacidad de anticipar los costos y beneficios de las decisiones distribuidos en el territo-rio (González Arellano et al. 2011).

Los métodos de la IT analizados esta asociados a los procesos colaborativos de la gestión del conocimiento. La inteligencia territorial surge como una alternativa de abajo hacia arriba que busca empoderar a los actores locales con la finalidad de transformar su capital social y territorial en capacidad de proyecto. Entre otros be-neficios, destaca la posibilidad de enriquecer la capa-cidad de comunicación y de gestión de los actores al partir de la idea de bienestar definida por los propios ciudadanos. Por basarse en métodos colaborativos en la co-producción del proyecto territorial, la inteligencia territorial de las colectividades favorece el desarrol-lo democrático de los territorios. En este sentido, la IT se convierte en una poderosa vía para la defensa y construcción del derecho a la ciudad. Como se muestra en la figura 1, los componentes de la Inteligencia Terri-torial permiten desarrollar competencias socio-cogniti-vas no solo para mejorar el conocimiento de los territo-rios, sino en el proceso de toma de decisiones e incluso la gestión de conflictos territoriales.

La colaboración eficaz y ágil entre miembros de equi-pos de trabajo ha sido estudiada y analizada permitien-do identificar tres grandes tipos de funciones. Estas funciones son conocidas como “las tres C” de la cola-boración: comunicación, cooperación y coordinación (fig. 2). En este sentido, la gestión de IT (y de inteligen-

Figura. 1 Componentes de la IT y sus fases del proceso de colaboración

Page 106: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

104

cia colectiva, en general) conlleva también el desarrollo de diferentes grados de colaboración:

• La comunicación es la etapa básica y se refiere al contacto e interacción de los actores.

• La cooperación se trata de compartir recursos, de tipo material e inmaterial, por un interés común, y finalmente,

• La coordinación se da cuando los actores se organi-zan para buscar un fin común.

Desde INTI, el método se ha designado como Cata-lyse (Girardot y Masselot, 2012) y consiste en promo-ver entre un colectivo la posibilidad de crear, com-partir, estudiar la evolución en el tiempo y contrastar tres conjuntos de información referidos a: las nece-sidades de la población, los indicadores territoriales que las contextualizan y el repertorio de los recursos existentes en el territorio para darles repuesta. El mé-todo combina diferentes técnicas básicas de sistemas de información, evaluación y gestión de proyectos, procesamiento de encuestas, análisis de datos, infor-mación espacial así como diversas herramientas de co-municación. Catalyse integra herramientas adaptadas a las competencias de diferentes niveles de usuarios dentro de una plataforma de software disponible en línea.En función de las características específicas de los proyectos y del tipo de actores involucrados los mé-todos y técnicas para el desarrollo de la IT pueden ser muy variados, siempre que impliquen el desarrollo de una metodología participativa para la gestión sistemá-tica del conocimiento territorial por parte de un grupo de actores involucrados con los desafíos socioecológi-cos territoriales a medio y largo plazo.

La investigación acción en los sistemas de Inteligencia TerritorialEn este apartado damos cuenta de algunas expe-riencias desarrolladas por el Grupo de Investigación

Interdisciplinario de Inteligencia Territorial de la Uni-versidad Autónoma Metropolitana-Cuajimalpa (GIIIT). Primeramente se presenta brevemente un trabajo de investigación con un grupo de organizaciones con el fin de caracterizar sus procesos de gestión de conoci-miento territorial. Segundo, se describe un proyecto de desarrollo tecnológico para el diseño de herramientas para la Inteligencia Territorial. Tercero, se trata de un proyecto de formación continua; el Diplomado en Inte-ligencia Territorial el cual se describe sus componentes y objetivos. Por último, se presenta CONCORDIA un proyecto interdisciplinario para la gestión en tiempo real de conflictos territoriales.

La IT en la ciudad de México

Esta investigación-acción-participativa tuvo como pro-pósito trabajar con seis organizaciones de la ciudad de México con el fin de tomar conciencia del estado de sus competencias territoriales como un acercamiento a la caracterización de su inteligencia territorial. Se busca-ron organizaciones que fueran lo más diferentes entre sí con el propósito de captar una mayor diversidad de estrategias organizativas. Se trató de una organización de colonos del Pueblo de Santa Fe, Cuajimalpa, una universidad, dos dependencias de gobierno locales (la Secretaria de Medio Ambiente del DF y la Comisión de Derechos Humanos del DF), una agencia inmobiliaria, y una ONG dedicada a la promoción de la movilidad en bicicleta. Durante el proyecto se aplicaron técnicas participati-vas, entre ellas se realizaron autodiagnósticos, entrevis-tas y grupos focales. En esta fase de la investigación se buscó identificar entre cada una de las organizaciones su proyecto territorial. En algunos casos este proyecto resultó muy claro además de asociarlo con una delimi-tación geográfica de manera muy concreta. Por ejem-plo, las dependencias de gobierno y la organización de colones tenían claramente delimitado su espacio de acción. Para otras organizaciones resultó menos preci-so identificar la extensión territorial del proyecto de su organización; la agencia de bienes raíces se había espe-cializado con una zona de la ciudad sin embargo tenia acciones en toda la metrópoli e incluso algunas fuera de la ciudad. La universidad identificó como área de influencia la zona metropolitana de la ciudad de Méxi-co sin embargo para varias de sus funciones identifica un espacio más local dentro de la ciudad de México, mientras que para otras se concebía con una vocación regional o nacional. Resultó muy interesante la fase de la investigación en que los participantes identificaban las actividades aso-ciadas a la gestión del conocimiento territorial. Cabe señalar que ninguna de las seis organizaciones parti-cipantes tenía una policita explica para la gestión de la información y el conocimiento, a excepto de la Secreta-ria del Medio Ambiente que dedicaba de manera regu-lar con recursos el desarrollo de acopio de información

Figura. 2 Les “tres C” de la colaboración (Gulati et al, 2012)

Page 107: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

105

y análisis del territorio. Las acciones se trataban en la gran mayoría de actividades espontaneas poco sis-tematizadas. Por ejemplo, se identificaron reuniones entre miembros de las organizaciones para “ponerse al dia” y compartir información sobre eventos o cam-bios en su respectivo territorio; los colonos indicaban donde se vendía droga en su colona, o donde habían atropellado o asaltado alguien, la agencia de bienes raíces se reunían para indicar nuevos “productos in-mobiliarios” y de las características de su entorno, la Secretaria de Medio Ambiente por medio de cuadrillas o denuncias identificaban invasiones o talas ilegales en zonas de conservación de la ciudad, etc. Igualmente interesante en este proceso es el uso y apropiación de herramientas para la gestión de la in-formación territorial por parte de los participantes de este proyecto. En términos generales se pudo adver-tir un gradiente analógico-digital de las herramientas enlistadas por las organizaciones. La asociación de colonos mostró un rezago considerable en el uso de tecnologías de la información. Buen aparte de su in-formación se trasmitía oralmente, se apoyaban en la memoria colectiva del grupo y en el mejor de los casos existían algunas bitácoras y agendas por algunos de los líderes de la organización. El conocimiento territorial estaba basado en la experiencia de varias generaciones de vecinos, de la vivencia cotidiana y del compartir de manera oral su conocimiento territorial. Otras organi-zaciones demostraron el uso de tecnologías para sis-tematizar información, comunicar y realizar consultas en plataformas de internet. La Secretaria de Medio Ambiente demostró una mayor integración y desarrol-lo en el uso y apropiación de las TICs, concretamente en cuanto a la gestión de la información territorial al grado de la construcción de sistemas de información geográfica, sistemas de indicadores y de observación territorial.

Diseño y desarrollo de herramientas para la IT

¿Qué estrategias son adecuadas para el desarrollo de la inteligencia territorial de los colectivos? El trabajo con organizaciones sobre sus prácticas y herramientas para la gestión del conocimiento territorial permitió caracterizar en cinco grandes tipos de sus acciones: observación, memoria o registro, anticipación, toma de decisiones, y gestión de conflictos. Como se señaló en anteriormente, estas acciones mostraron diversos niveles de colaboración que podían ir desde la comuni-cación, la cooperación o la coordinación. Además, para el desarrollo de estas acciones, en cualquiera de sus ni-veles de colaboración, se apoyaron en distintas tecno-logías, pudiendo ser muy elementales como bitácoras de papel, o digitales y especializadas como los sistemas de información geográfica o WEB Mapping. Desde una perspectiva de la transición tecnológica, podemos identificar diversas estrategias para el uso y apropia-ción de las tecnologías por los ciudadanos. Una de es-

tas estrategias es el desarrollo de “juegos serios. Así, una de las líneas en la que actualmente trabaja el GIIIT consiste en el diseño y desarrollo de juegos para el desarrollo de la inteligencia territorial. Para esto se ha adoptado la perspectiva de juegos serios lo que refiere concretamente en una competencia/colaboración, ju-gado entre varias personas con reglas específicas que promueven aplicaciones específicas (entrenamiento corporativo, educación, salud, políticas públicas y la comunicación estratégica). El potencial de los juegos serios tiene que ver con la incentivación de la partici-pación pública, muchas veces de manera implícita, que ayuden a diversos aspectos de la planificación urbana (López 2015).El objetivo de un juego serio de esta naturaleza es de fomentar la participación de los “no expertos” intere-sados en los proyectos ligados al territorio, creando un mayor apoyo a las soluciones espaciales desde temas climáticos, la infraestructura urbana, conflictos territo-riales., etc. En este sentido este proyecto busca fortale-cer las competencias colaborativas de los participantes además de incrementar sus competencias territoriales los que algunos pueden señalar con la figura de “Smart Citizen” bajo las siguientes competencias:• Ciudadano interactivo: informado, con múltiples

fuentes, canales y redes.• Ciudadano responsable: con más criterio para situar

su posicionamiento.• Ciudadano crítico: con una visión crítica de la reali-

dad que le envuelve.• Ciudadano reactivo: ya no se limita a observar la rea-

lidad, sino que genera alternativas.Algunas preguntas que guían este proyecto son: ¿Pue-den estos juegos serios mejorar el entendimiento que tienen los ciudadanos sobre su entorno? ¿Cuáles histo-rias de juegos son las más apropiadas para los juegos serios en la planeación urbana? ¿Cómo diseñar estos juegos para que sean más atractivos a muchos ciuda-danos? ¿Qué tan serio puede ser un “juego serio” en planeación urbana? (López 2015).

Diplomado en IT

El Diplomado en Inteligencia Territorial tiene por obje-tivo el desarrollar un conjunto de conocimientos y ha-bilidades sobre la gestión colectiva del conocimiento territorial haciendo uso de las tecnologías y el diseño de la información a partir de la aplicación de los prin-cipios, métodos y técnicas de la investigación acción participativa. En este sentido, los principios y métodos de la Inteligencia Territorial resultan una vía adecuada para integrar métodos participativos, las tecnologías de la información y el diseño de información para el de-sarrollo territorial

El diplomado ofrece la integración de distintos saberes por medio del enfoque de la investigación acción parti-cipativa lo que lo hace innovador y de gran relevancia

Page 108: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

106

para la formación de pro-fesionales y promotores del desarrollo territorial. Además, la modalidad pro-puesta de este diplomado incorpora actividades de vinculación con población involucrada en un proble-ma socioterritorial real ha-ciendo de este programa una valiosa experiencia didáctica y de extensión universitaria. En este sen-tido, el Diplomado ha sido diseñado para personas con mínimas competen-cias en el uso de tecno-logías de la información, ningún dominio en la re-presentación cartográfica digital y sin experiencia al-guna en el uso de sistemas de información geográfica. Este perfil de participantes representa un reto en el proceso de enseñanza aprendizaje del Diploma-do, concretamente en cuanto a la aplicación de conceptos, métodos y her-ramientas propias de los sistemas de información geográfica.

El Diplomado se organiza en cuatro módulos. El pri-mer módulo consiste en la introducción a la inteligen-cia territorial y los princi-pales conceptos geográfi-cos, el segundo presenta conceptos y herramientas para el diseño de la infor-mación, el tercer módulo está dedicado a las tecnolo-gías de la información geográfica y el cuarto se dedica a la construcción de indicadores territoriales. (Gonzalez Arellano, 2015).

CONCORDIA

COCORDIA es un proyecto de desarrollo tecnológico de carácter interdisciplinario, y tiene como objetivo diseñar y desarrollar una plataforma informática para la gestión en tiempo real de conflictos territoriales. El desarrollo busca aclarar a los actores implicados en un conflicto, a la ciudadanía, mediadores y gobierno las di-versos las interacciones conflictivas, reivindicaciones, puntos de acuerdo, acciones, etc. durante el ciclo de vida del conflicto.

El papel de la información es central para mejorar la calidad de la gestión, en este sentido el proyecto bus-ca identificar una serie de retos sintetizados en el de-sarrollo de instrumentos que favorezcan la mediación/consenso/negociación de manera oportuna (en tiempo pertinente) para darle seguimiento al ciclo de vida de los conflictos. Una plataforma que favorezca la argu-mentación de la postura de cada actor facilitando. Que a la vez almacene, organice y provea de la información de manera clara y lógica a los actores u observadores en cualquier momento del conflicto mediante argu-mentos y documentos.

Imagen 1.- Práctica de cartografía participativaImagen 2.- Modelo sintético del territorio

Page 109: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

107

Cuatro funciones centrales de CONCORDIA:

1) Función de observación socioterritorial: Esta función está presente en antes y después de conflicto.

2) Función de la interacción conflictiva: Algunas de las funciones son:

• Identificar el sistema territorial del conflicto:

• Repertorio y evaluación de los asuntos

• Construir opciones de acuerdo

• Evaluar resultados de acuerdo tomando como base el BATNA para cada involucrado

• Modelar costos y beneficios de las opciones de acuerdo

• Identificar posibilidades de formar coaliciones

3) Función de memoria: registro de la actividad conflic-tiva territorial que pueda responder a preguntas como

4) Función anticipación del conflicto deberá permitir entender las condiciones socioterritoriales que favore-cen la emergencia de un conflicto.

CONCORDIA se concibe como una plataforma ami-gable para que se pueda responder en forma partici-pativa las preguntas sobre, involucrados, intereses, repertorios de acción, costos y beneficios, escenarios futuros. Además debe asegurar la opción de un manejo confidencial de la información que aportan los diver-sos informantes. Entre las funcionalidades se puede rastrear las fuentes y permite distinguir la informa-ción que proviene directamente de los involucrados, de la que proviene de análisis hechos por expertos o recopilada en forma secundaria con base en noticias, informes etc. Además, la plataforma permite generar reportes especializados de avances o la construcción de escenarios para la toma de decisión y a dar la opción

a quien los prepara de compartirlos con otros. Esto in-cluye la producción de gráficos y mapas sencillos.

Conclusiones: Inteligencia Territorial y la Smart CityLa noción de Inteligencia territorial sigue siendo re-ciente y aún no existe un consenso sobre su definición. En el GIIIT de la UAM.Cuajimalpa hemos adoptado una visión de la IT que pone énfasis en los procesos antro-pológicos e informacionales que comparten colectivos para el desarrollo de competencias territoriales. Esta perspectiva trata las tecnologías de la información de manera muy amplia y desde una postura de las tran-sición tecnológica que ve el usos y apropiación de las tecnologías como una asunto dinámico, situacional y evolutivo; “a cada situación, su tecnología”. Desde esta perspectiva, el paradigma de la Inteligencia Ter-ritorial le puede dar sentido a la propuesta de Smart City desde una perspectiva más incluyente y adaptativa al no poner tanto énfasis en las tecnologías digitales e incorporar una visión más democrática de la gestión de la información territorial. Por otro lado, la IT refuer-za el balance de eficiencia/equidad en los objetivos de la incorporación, desarrollo y aplicación de las tecno-logías en las funciones urbanas. Smart city a menudo señala su contribución a funciones urbanas como las de transporte, la vigilancia, el uso del suelo, etc. Por su lado la Inteligencia Territorial, se preocupa de fun-ciones sociocognitivas como la autoconciencia, la me-moria colectiva, la anticipación, la toma de decisiones y la gestión del conflictos. En este sentido, la IT parte de una visión sociopolítica mientras que Smart city desde una más sociotecnologica.

Con lo anteriormente señalado, podemos proponer la Smart city como un caso particular de un sistema de in-teligencia territorial, el cual requiere mayor flexibilidad a la diversidad de estrategias y prácticas para la gestión colectiva del conocimiento.

Figura 3.- Modelo del conflicto territorial

Page 110: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

108

BibliografíaBozzano, Horacio. 2013. «La geografía, útil de transforma-ción. El método Territorii, diálogo con la Inteligencia Territo-rial / Geography, useful of transformation. The method Ter-ritorii, dialogue with the Territorial Intelligence». Campo-Ter-ritório : Revista de geografía agrária 8(16). http://www.seer.ufu.br/index.php/campoterritorio/article/view/23803.

Giraradot, Jean-Jacques. 2009. «Evolution of the concept of territorial intelligence within the coordination action of the European network of territorial intelligence». Res-Ricerca e Sviluppo per le politiche sociali 1 (2): 11-29.

Girardot, J-J. y Masselot, C. (2012). «Métodos, técnicas y her-ramientas de la inteligencia territorial en Europa. El metodo catalyse» en Bozzano, H., et al, (2012). Inteligencia Territo-rial. Teoría, Métodos e Iniciativas en Europa y América Latina, Edulp, La Plata.

Gonzalez Arellano, Salomón, Christian Lemaitre, Cesar Carde-nas, Eduardo Calvillo, Marta Sylvia del Río, Luis Castro, Alicia Iberri, y Liliana Daniel. 2011. «CONCORDIA: Web-based Sup-porting Platform for the Management and Resolution of Territorial Conflicts» presentado en Gran Reto 6: Servicios Basados en el Conocimiento para el Ciudadano, Mexico City.

González, Salomón. 2013. «Measuring Territorial Intelligence in Mexico City». En Los Angeles, CA.

Gulati, Ranjay, Franz Wohlgezogen, and Pavel Zhelyazkov 2012. «The Two Facets of Collaboration: Cooperation and Coordination in Strategic Alliances». Academy of Manage-ment Annals 6: 531–583.

Halbwachs, Maurice. 2011. La memoria colectiva. Miño y Dávi-la Editores.

Heuer, Richards J., y Randolph H. Pherson. 2010. Structured Ana-lytic Techniques for Intelligence Analysis. Spi. CQ Press College.

Joerin, Florent, Gilles Desthieux, Sandrine Billeau Beuze, y Aurore Nembrini. 2009. «Participatory diagnosis in urban planning: Proposal for a learning process based on geogra-phical information». Journal of Environmental Management 90 (6): 2002-11. doi:10.1016/j.jenvman.2007.08.024.

Lévy, Pierre. 1999. Collective Intelligence: Mankind’s Emerging World in Cyberspace. Perseus Books Group.

López E. 2015. «Ciudades Inteligentes ¿Qué usuarios? ¿Qué participación?», en Segundo Taller Temático Franco-Mexica-no «Smart city desde abajo», 9 -11 de diciembre 2015, Ciudad de México.

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.

Salomón González Arellano est architecte et docteur en aménagement du territoire. Il est enseignant-chercheur à l’Université autonome métropolitaine de Mexico et membre du Laboratoire d’analyse socio-territoriale (LAST). Ses lignes de recherche portent sur la ségrégation socio-résidentielle dans les villes mexicaines, la mobilité et l’accessibilité, la morphologie urbaine. Actuellement, il coordonne des projets sur les processus de la connaissance territoriale et les technologies de l’information ainsi que sur l’intelligence territoriale.Contact : [email protected]

Page 111: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entrechercheurs, experts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 à Toulouse par le LISST Cieu, Université ToulouseJean Jaurès et le LaSSP Sciences Po Toulouse, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligenteset innovations ‘ par le bas ‘ » organisé les 9-11 décembre 2015 à Mexico par le LISST cieu, Université Toulouse JeanJaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciencesde l’homme et de la société de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication - Jean-Jacques Guibbert

Éditeurs du cahier n° 5 - Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Tallec

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS-UMS 838),

Crédits photographiques de la couverture : Photos DR.

Pour citer ce documentEveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs »,

Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirae 2016, n° 5

Les Ateliers de dialogue interdisciplinaires« Recherche – Action – Expertise :

regards croisés Nord – Sud »

En 2009, le Conseil scientifique du GIS Réseau national des Maisons des sciences de l’homme (RNMSH) diag-nostiquait une insuffisance des relations Universités – Société : « Les contacts avec la société civile, les milieuxassociatifs et syndicaux semblent rares, voire inexistants. Aucune MSH ne rapporte la mise sur pied de méca-nismes de collecte d’informations ou d’échanges avec les populations locales, qui leur permettraient de saisirles besoins et d’élaborer des programmes de recherche – action. »La fracture entre l’Université et son environnement économique et social, et la difficulté à repenser les re-lations entre Université et Société, est un défi à relever dans le cadre des nouvelles dynamiques de la re-cherche universitaire. Il est donc paru opportun de proposer un espace de débats et d’échanges sur l’évolutiondes pratiques, des réflexions et des interactions entre « Recherche, Expertise et Recherche - Action », touten portant sur cette question un regard croisé Nord-Sud.Ce questionnement, longtemps souterrain, est aujourd’hui largement partagé tant au niveau français qu’inter-national. Il se traduit par un certain métissage des pratiques et une porosité entre les acteurs de la recherche,de l’expertise, des politiques publiques et des organisations de la société civile et politique. Il est abordé àl’occasion d’une série d’ateliers, organisée au rythme de deux ateliers par an avec l’appui de la MSHS de Tou-louse, qui a décidé d’inscrire cette activité dans le cadre de son projet quinquennal 2011 - 2015.Chaque atelier s’organise autour des éléments suivants :

→ choix d’un domaine d’application de la relation recherche, expertise, recherche-action, abordéde manière interdisciplinaire ;→ combinaison entre des présentations de type académique, des témoignages d’acteurs et l’évocationd’itinéraires ;→ regard comparatif Nord-Sud.

Huit ateliers ont déjà été organisés grâce à l’implication d’une vingtaine de structures en charge de la recherche,de l’expertise et des politiques publiques dans la région Midi-Pyrénées :

→ 3 novembre 2011, « Quelles relations entre experts, chercheurs et acteurs associatifs face audéveloppement des organisations collectives d’agriculteurs dans les filières agricoles ? » (DynamiquesRurales, INRA AGIR et LEREPS) ;→ 27 janvier 2012,« Quelles articulations entre chercheurs, experts et acteurs sociaux dans les politiquesurbaines et les interventions en direction des quartiers populaires ? » (LISST-Cieu, LRA ENSAT) ;→ 27 avril 2012. « Quelles articulations entre recherche, expertise et recherche – action dans les po-litiques urbaine de prévention et de sécurité ? » (LISST-Cieu, CERP) ;→ 19 octobre 2012. « Habiter et vieillir. Une société pour tous les âges. Quelles articulations entrechercheurs, experts et acteurs sociaux dans le champ des politiques de la vieillesse ? » (CNRS LISST-Cieu, LISST-Cers, ORSMIP, INSERM 1027).→ 17 mai 2013, « TIC et gouvernement des villes. Quelles articulations chercheurs, experts et acteursassociatifs ? » (LISST-Cieu, LaSSP Sciences Po Toulouse)→ 7 juin 2013, « Conserver la nature. Quels savoirs ? Quelles actions ? Articulations chercheurs, ex-perts, acteurs associatifs et institutionnels » (LISST-Cas, Conservatoire botanique national des Py-rénées et Midi-Pyrénées)→ 1er octobre 2014, « Genre et développement : entre engagement et professionnalisation » (Dy-namiques rurales - Enfa, CERTOP, ENDA-Europe) ;→ 13 mars 2015, « Villes et climat : au carrefour de la recherche, de l’action et de la participation »(LISST Cieu, CNRM/GAME - Météo France)

Les documents produits à l’occasion de ces ateliers sont consultables sur le site : www.msh.univ-tlse2.fr

ContactJean-Jacques Guibbert [email protected]

Page 112: G J AUQER 5Emmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbertmshs.univ-toulouse.fr/IMG/pdf/Cahier_ADIRAE_5.pdf · 2016-11-15 · parle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation

?coordonnés par Jean-Jacques Guibbert, LISST – CIEUMSHST - Université Toulouse - Jean Jaurès

Villes intelligentes« par le bas » Entre chercheurs, expertset acteurs associatifs

Cahier des Ateliers de dialogueRecherche-Action-ExpertiseÉdité parEmmanuel Éveno, Jean-Jacques Guibbert 5

Conférence

HABITAT III QUITO 2016

Ateliers de dialogueRecherche - Action - Expertise, regards Nord-Sud

Conc

eptio

n gr

aphi

que

: Yaë

l Kou

zmin

e, IN

RA &

Ben

oît C

olas

, UTM

/ CP

RS -

UM

S 83

8. P

hoto

grap

hies

: ©

Pro

jet E

URE

QU

A et

Jea

n-Ja

cque

s Gui

bber

t.

Les « villes intelligentes », sont un bon exemple de ces expressions à la mode, entre in-ventions conceptuelles, habillages marketing, slogans politiques ou utopies sociales. Onpeut admettre qu’il pourrait y avoir trois grands types de « villes intelligentes » :

Villes terrains d’expérimentations : Des villes qui sont des terrains d’expérimenta-tions diverses sans pour autant que les acteurs publics urbains locaux y soient pour grand-chose. Ce sont de grands industriels, qui proposent aux Villes des « packages » desolutions susceptibles de répondre à leurs besoins.

Villes actrices d’expérimentations : L’expérimentation devient alors un objet despolitiques urbaines, ce qui réclame que l’appareil municipal ou métropolitain se dotedes compétences nécessaires et organise des consortiums d’acteurs au profit du projetqu’il s’efforce de promouvoir.

Villes dont la population expérimente : Ce sont les « villes intelligentes » dont onparle le moins. Dans ces villes, une part significative de l’expérimentation n’est ni le faitde l’action d’acteurs hexogènes, ni le fait de politiques urbaines clairement exposées,mais plutôt le résultat de l’initiative des acteurs locaux

Ce 5° Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise, fait converger lesréflexions et les expériences présentées sur le sujet dans le cadre de deux collectifsfonctionnant en réseau de recherche-action.Le réseau eAtlas francophone de l’Afrique de l’Ouest à l’initiative d’une série deRencontres multi-acteurs sur les enjeux du déploiement de la « Société de l’Information» en Afrique. Le projet « Villes inclusives et participatives » mené en partenariat avec trois uni-versités latino américaines à l’origine du Séminaire, « Villes intelligentes et innovationspar le bas : perspectives franco-mexicaines » (2015 Mexico) prolongé par la conférence« Villes du futur » (2016 Medellin) puis par le side event « Villes intelligentes par le bas». organisé pendant la Conférence Habitat III (2016, Quito)

Ce cahier qui permet de croiser un regard Nord Sud sur le sujet, a comme objectif demettre en perspective le rôle des acteurs qui s’inscrivent dans les logiques d’innovation« par le bas » (entendues comme innovations produites par les acteurs territoriaux). Ils’agira de voir en quoi « les intelligences de la ville » se mobilisent autour de projets in-tégrant les technologies numériques. Dans ce cahier, nous passerons en revue quelques-unes de ces expérimentations enFrance (Parthenay, Toulouse) en Afrique (Sénégal, Cap Vert) ou en Amérique Latine(Mexico) et nous nous efforcerons d’en tirer quelques pistes de réflexion.

www.msh.univ-tlse2.fr & https://villesdufutur.wordpress.com/villes-intelligentes-par-le-bas/