Jacques d'Andurain - Commentaires_apres-guerre

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  • Jacques dAndurain

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    InLibroVeritas

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  • Du mme auteur :

    Drle de mre

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  • Table des matires

    Introduction ..........................................................................9

    tudiants pour le Marchal ....................................................11

    1 - tudiants pour le Marchal...........................................13

    2 - Le vrai double jeu ........................................................27

    3 - Libration Sud...........................................................31

    4 - L'homme se nommait Jean Moulin ...............................41

    5 - Mon 18 juin 1940, moi .............................................43

    6 - Quarante millions de ptainistes ..................................49

    7 - Ma carrire militaire - 1935-1945 ................................53

    8 - Dans l'arme d'armistice..............................................57

    9 - La coupe de La Vayssire ........................................61

    vasion de Pierre Herv.........................................................63

    1 - Une grande premire ...................................................65

    2 - Arrestation....................................................................71

    3 - Palais de justice de Paris ...............................................73

    4 - Guerre Germano-Sovitique.........................................75

    5 - C'est nous, qui brisons, les barreaux, des prisons,

    pour nos frres ...........................................................81

    6 - O le canular de mardi devient dans la presse,

    la bombe politique du mercredi ...................................91

    Le 6,35 de Marga DAndurain ...............................................99

    1 - Prambule....................................................................101

    2 - Dbuts de la rsistance arme organise en France ......103

    3 - L'incendie des isolants de Vitry (13 aot 1941).............105

    4 - Visite au Colonel Marchand, Deuxime bureau :

    Ministre de la Guerre, Paris ........................................119

    5 - Les ballades d'un Brlot ...............................................123

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  • La Bande Ren ....................................................................133

    1 - Prambule....................................................................135

    2 - Recrutement des premiers effectifs - Une rumeur .........141

    3 - La rumeur orange .........................................................145

    4 - Errances en fort...........................................................147

    5 - Scurit ........................................................................155

    6 - Nos trois Sovitiques ....................................................159

    7 - Encore Montsgur, sept cents ans aprs ........................163

    8 - Toujours la rumeur ou, comment fut raconte

    la bataille de l'Affrau ....................................................169

    9 - Les seins d'Hlne - Un rve pour Napolon ...............177

    10 - Premier bilan de la stle de la Frau...............................183

    11 - Tueur gages ...............................................................185

    12 - Un prfet rgional et son intendant de police ...............189

    13 - Le roman de la Montagne Noire...................................191

    14 - Le Plo del may .............................................................193

    15 - Le lieutenant Mller .....................................................197

    16 - Le corps franc de la Montagne Noire............................199

    17 - Le M.5.F. Montalric les 2 et 3 juin 1944 ....................203

    18 - L'phmre M.5.F.........................................................209

    19 - Toulouse prise ou libre .............................................215

    20 - le groupe Armagnac, colonel Galinier, corps franc

    de la libration N 1 du Tarn ........................................219

    21 - Le 20 juillet 1944 au Plo del May en fort d'Hautaniboul,

    le C.F.M.N. perd Toulouse ............................................225

    22 - Mort de Riton et fin du M.5.F........................................227

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  • Introduction

    Au dbut de lan 2001 Bernard Pivot, recevant Jorge Semprun Bouillon de Culture soulignait la rarfaction des tmoins vivantsde la guerre 39-45, et surtout la disparition des acteurs et victimesde la dportation, des prisons et des camps de concentration, oudes organisations de Rsistance.

    Et il ne restait plus personne, qui, ayant commenc la Rsistanceds le dbut 1940 lait termine, encore combattant, enaot 1944.

    Omission de sa documentation : quelques-uns, dont moi.

    Jai rsist depuis le 18 juin 1940 Sablet (Vaucluse), soldat rampantde lescadrille de reconnaissance de lArme des Alpes, et jtais,carabine Remington en mains, en aot 1944, sur la place du Vigan Albi, o, cur, je vis les rsistants de la dernire heure tondreles filles qui avaient couch avec les Boches .

    Lomission est la mienne : je nai rien crit.

    Quelques mois auparavant, je tlphonais Lucie Aubrac pour luidire mon indignation devant les accusations du Testament de Barbieexhumes par Matre Vergs qui la dsignait comme la dnonciatricede Jean Moulin et de lhistorique runion de Caluire en juin 1943.Elle mavait demand comment jexpliquais lattitude de Vergs :jmis une supposition, et Lucie, avec sa vhmence habituelle mecria cris le ! cris, cris .

    crire - Jy songeais depuis longtemps, mais, plus sur ma mre,Marga dAndurain que sur moi ; ma mre qui la dernire soire oje la vis Tanger, avant son assassinat sur son yacht le Djeilan ,mavait demand :

    - Que feras-tu aprs ma mort ?

    - Jcrirai votre histoire Mais La vrit.

    Ctait en 1948.

    Je voudrais dabord rpondre quelques notes me concernant paruesdans divers livres sur la Rsistance, avec limpression dtre commeun ramasseur de balles de tennis qui se raconterait en disant, avecquelque prtention : cest moi qui ai donn Yannick Noah sa ballede match le jour de sa victoire Roland Garros.

    Pour parler de Rsistance un prambule simpose, il est dHenri

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  • Jeanson dans Le Canard Enchane du 30 avril 1947 :

    Un pur trouve toujours un plus pur qui lpure .

    Parce que loubli nest pas si total que a, mme aujourdhui. Maisaussi et surtout parce que le rcit qui en est donn, encoreaujourdhui, comme dj hier, est plein dinexactitudes ; alors, bienque pas le moins du monde historien, je veux crire une illustrationde la fragilit du tmoignage, crit et publi du vivant des tmoinseux-mmes.

    Mon tmoignage.

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  • tudiants pour le Marchal

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  • 1 - tudiants pour le Marchal

    Aprs les manifestations du 11 novembre 1940 sur les Champslyses, la seule vritable rpression avait t, dabord, larrestationde la majorit des tudiants communistes organiss, nous lavionsenvisage, comme la pire consquence possible pour nous. Puis lapunition collective la plus manifeste et la plus pniblement ressentiepar la totalit des tudiants Parisiens : la fermeture, sine die, deluniversit (o les tudiants communistes, lappel de lU.N.E.F.dirige par notre meilleur sous-marin, Franois de Lescure, avaientappel la manifestation).

    Nous lavions envisage comme le pige dans lequel nous esprionsfaire tomber les Allemands.

    Seront-ils assez cons pour fermer lUniversit comme Prague,aprs les accords de Munich et se mettre tout le monde dos,alors que nous voyions tous les jours des tudiantes au bras dofficiersallemands en uniforme, disant partout : ils sont si corrects, ils sontsi cultivs, potes, mlomanes.

    Parenthse : un ptard la bibliothque Sainte Genevive.

    Je ntais pas encore inscrit en Sorbonne, mais jallais labibliothque Sainte Ginette, Place du Panthon feuilletantpsychologie, ou sociologie, contactant les uns et les autres, toujourstrs discrtement. Mes nouvelles connaissances avaient remarqu,avec moi, depuis trois jours un pimpant officier allemand, blond etdlicieux, au bras dune jeune fille, elle aussi trs blonde et sexy ;sans leur avoir adress la parole nous avions dcid quelle taitfranaise. En dautres temps jaurais jug trs progressiste etcharmante cette fraternisation si internationaliste. Mais il portait ununiforme, celui de loccupant National Socialiste. Donc pasfraternisation, mais trahison. Rassurez-vous : je nallai pas chercherune tondeuse, comme certains, la Libration. Non, jallai rue desCarmes, fouiller un magasin de Farces et Attrapes, qui existe toujoursau XXe sicle. Jachetai une amorce, une seule : ce genre de trucquon place sous un verre ou une assiette, qui pte quand on lessoulve. Dans lentre de la bibliothque, il y avait une srie decasiers, avec les fiches des livres dont on devait demander lacommunication lappariteur. Long stationnement des lecteurs dans

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  • un couloir bord dune verrire qui le sparait de la salle de lecture,o tout le monde pouvait voir les imptrants faire la queue. C taitl que les jours prcdents javais pu loisir observer le charmant,et scandaleux, couple collaborateur.

    Appuye tout au long de la verrire, une table de plus de deuxmtres tait couverte de dictionnaires de toutes les langues auxquelsleur paisseur permettait de tenir debout, mais dont chaque retraitpour consultation, faisait seffondrer le bel alignement. Cesconsultations et ces effondrements se rptaient chaque instant.Vous lavez devin : je plaai lamorce entre deux dictionnaires dsque je vis mes blondeurs derrire la verrire, et peine revenu ma place, on entendit lexplosion.

    Ca fait beaucoup, beaucoup de bruit, une minuscule amorce, sousles hauts plafonds dune bibliothque toute silencieuse ; tout lemonde leva et tourna le nez vers la verrire, et tout le monde aperutlobjet de ma farce. peine quelques instants aprs, tous refixaientleurs bouquins. Le couple, croyant une blague normale, avaitsouri, sans souponner ma vilenie. Le lendemain jachetai une autreamorce, et quand les tourtereaux revinrent : rebelote.

    Re belote aussi des nez sur lofficier nazi, et long arrt de tous surimage: ils avaient compris, les lvres se fendaient, les yeux vrillaient.Ils avaient compris. Lofficier allemand aussi. Il rougit. Le sang de sespommettes ne vint pas sacraliser le plancher de Sainte Ginette. Lesacrifice fut le mme: il ne revint jamais, du moins sous luniforme.

    Cest ainsi que je me permets de revendiquer le titre dacteur de lapremire dculotte de larme allemande car le rire aussi, tue.Nest-ce pas, mon cher Canard Enchan ?

    Fin de la parenthse.

    Sils sont assez astucieux, ils nen parleront pas et la censureempchera tout le monde, sauf les participants, de commenter cenon-vnement . Ce fut la police franaise, dj collaborationniste,dun Vichy bien dcid faire sa collaboration sa faon, se crerun tat fort, et fasciste, sur le modle nazi : pur de tous Juifs,Communistes, Socialistes, Francs-Maons, et mme, simplesrpublicains, ou dmocrates.

    Aucune sanction navait t prise contre les lycens, trs majoritaires,appels par Griotteray et les traditionnelles ligues dextrme-droite,qui tous les ans organisaient une clbration chauvine ltoile,non pour lArmistice de 1918, mais pour la Victoire de 1918, sur les boches .

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  • La fermeture de lUniversit, que les autorits de Vichy affirmaientavoir t exige par les Allemands, stait voulue une vritablebrimade pour les tudiants.

    Tous les tudiants de province devaient quitter Paris, retourner dansleur province, perdant ainsi leur logement et parfois aussi, le petitboulot de subsistance que les plus dmunis avaient pu y obtenir ;tandis que les tudiants de Paris, qui auraient pu quitter Paris, prendredes vacances la campagne, bien sy nourrir, et mme rapporterquelques provisions pour leurs familles, avaient linterdiction dequitter Paris, et lobligation de passer tous les jours dans lecommissariat de leur quartier, signer un registre de contrle.

    Ces mesures avaient provoqu une immense hostilit chez tous lestudiants, punis pour une manifestation laquelle, trs peu dentreeux avaient particip : un sentiment de totale injustice, ce sentimentdtre punis, certes sans peine de mort, mais comme les otagesdune rpression de guerre. Ctait ce que nous avions espr demieux.

    Pendant cette fermeture, Vichy avait invit les tudiants Parisiens une sorte de stage, dont jai oubli la date, comme lintitul exact,mais qui signifiait quelque chose comme : les tudiants avec lemarchal au chteau de Sillery

    Je navais pas encore rejoint une cellule prcise dune fac, et PierreHerv mavait dit : va faire un tour dans ce truc, ta particule tepermettra de montrer patte blanche, chez ces fascistes.

    Un Pasteur Jousselin nous accueillit, avec trs grande et trsmanifeste chaleur humaine, ds les premiers mots, totalementcomprhensive de nos supposs motifs de mcontentements divers,complice, en un mot, de toutes nos rvoltes : complice et loyal,pour une confession de groupe. Je ne le compris comme une miseen scne que beaucoup plus tard, et encore maintenant, il marrivede me demander sil ntait pas rellement sincre : en tout cas, silne ltait pas, je plongeai tte baisse dans le pige des autoritsde Vichy.

    La premire confrence dbat portait sur : la Question Juive dansla France daujourdhui.

    En tant quHomme, en tant que Pasteur, en tant que Franais, je nesuis absolument pas Antismite, nous clame Jousselin, comme entreen matire. Violente interruption dans la salle, hurlements de colre,insultes en tous genres, de deux fanatiques qui sadressaient auPasteur Jousselin, et voulaient nous appeler (nous, une quarantainede participants) partager leur virulente indignation ; Dans leur

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  • logorrhe, plutt confuse, javais compris quils taient doriotistes,purs pros nazis, et ne pouvaient admettre quun fonctionnaire deVichy trahit ainsi la pense collaborationniste du Marchal,notoirement antismite, et affirm comme tel, quelques semainesavant, avec le recensement des Juifs doctobre. Trs intressantsondage pour moi : au diapason de leur violence, toutes sortes derponses jaillirent, et de plus en plus fortes et tout aussi intolrantes.

    Ce fut dabord, assez timidement, lhypocrite on nest pas ici pourfaire de la politique qui pour moi, caractrise habituellement lesgens de droite, puis des on nest pas nazis, on nest pas des fascistescomme vous , bande dun tas de choses, une gnrosit dinsultesdans la plus belle gamme de grossirets de notre clavier, pour finirpar : Dehors ! Sortez-les !!! qui devint vite notre slogan du plusunanime consensus.

    Le pasteur Jousselin sapprocha des odieux provocateurs, se mettantentre eux et des amateurs de lynchage, qui se sentaient monter desvellits nouvelles. Le pasteur russit les calmer et les convaincrede quitter la salle, sans esclandres plus pousses, pour leur bien etpour notre retour la srnit.

    Une bizarre sensation dtre enfin entre nous .

    Quand il les eut raccompagns au grand portail de la proprit, ilrevint vers nous dans la salle, puis, sans forfanterie aucune ilenchana : Et maintenant, en tant que fonctionnaire dugouvernement du Marchal, je vais vous exposer sa position sur laquestion Juive .

    Lun des deux gars ainsi chasss de notre assemble se nommaitMarc Augier, connu lpoque dans les auberges de jeunesse commeun des trs rares militants dextrme droite, saffichant trsagressivement dans un milieu populaire o se rencontraientseulement les diffrentes nuances de la gauche et de lextrmegauche, des chrtiens genres Marc Sangnier, qui se disaient fondateursdu mouvement des auberges, des communistes jusquaux trotskisteset leurs innombrables fractions et aux sionistes qui trouvaientbeaucoup de passerelles entre auberges et Kibboutzim, et nous tousaussi.

    Je devrai attendre les annes soixante-sept, ou huit, pour voir desmembres du Btar vouloir y venir manger kasher, faire unevaisselle spare, et rompre cette institution de base des auberges :la collo, ce repas collectif laque, excluant tout menu religieux.

    Pour sexcuser de rompre la lacit traditionnelle des auberges, leresponsable du Btar me dit que les repas Kasher taient entirement

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  • pays par une donation Rotschild. Nous verrons quand je serai enSyrie, et dcouvrirai ltrange paralllisme dexploitation ptrolireet de Terre sainte, les discrets achats des mmes Rotschild de quelquesterres en Palestine, bientt Terres saintes, ouvrant des droits sur lesgisements de ptrole, dont les environs sont riches (dont lesimmigrants sionistes idalistes des kibboutzim deviendront lessentinelles bien involontaires, mais forces).

    Le mme Marc Augier sera lun des premiers endosser luniformedes Waffens S.S., en sengageant dans la Lgion Antibolcheviquepour aller se battre contre lUnion Sovitique ; il en reviendra etsous le nom de plume de Saint Loup, publiera, aprs guerre,mmoires et plaidoyers pour son camp.

    La Question Juive dont voulait nous parler le Pasteur Jousselinmintressait : je venais de devenir moi-mme chef de familleJuive suite un recensement des Juifs, organis au mois doctobrepar le gouvernement de Vichy : ma femme, Ella Raitz, athe commemoi, ne se considrait pas plus juive que je naurais admis de meconsidrer comme catholique, mais mavait-elle dit : puisquonveut emmerder les juifs, je ne vais pas refuser de me solidariser aveceux, cest--dire, ma famille .

    Jadmirai llgance du geste, et lapprouvai entirement. Je pensais,et je pense toujours, que si javais vcu en Irlande du Nord, ou auCanada, o existe une discrimination contre les catholiques, je meserais proclam des leurs, malgr mon athisme. Ce quexprimeront,moins de trois dcades plus tard les tudiants Parisiens en criant: noussommes tous des Juifs Allemands.

    Ella tait revenue de la Mairie de Neuilly sur Seine, un peu confuse. Ils exigent que ce soit le mari, le chef de famille, qui fasse ladclaration ; si le couple na pas trois de ses parents catholiques, ilest considr comme juif . Cest ainsi quun jour doctobre 1940,jtais devenu chef de famille juive, en faisant, pour cela, la queue la Mairie, ou peut-tre un commissariat.

    Une connerie de plus pour le Marchal, dautant (je lapprendraiplus tard) quaucune pression allemande ne lavait contraint cettemesure. Elle allait, loin de protger les juifs, permettre de les recenser,pour les liminer de tous les emplois publics, et voler leurscommerces, et plus tard, quand on voudra livrer de rcentsnaturaliss, pour remplir encore quelques wagons de dports, letravail des Bousquet ou Papon, ne sera quun jeu denfant Prvoyantet persvrant.

    Je ne me souviens pas trs clairement de ce que nous a dit Jousselin,

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  • sinon que tout dcoulait de la dfaite, que Vichy ne pouvait plusassurer une protection territoriale aux juifs trangers, ressortissantsde nations occupes par lAllemagne, que, par contre, la cration,pour les juifs franais, leurs frais, dune sorte de caisse de solidarit,rtablirait une sorte de justice sociale. plusieurs reprises Jousselinavait insist pour nous dire que ce ntait que le point de vue dugouvernement de Vichy : autant dire quil ne fallait pas en croire unmot. Je nai jamais racont mon passage Sillery, peine quelquesmots Herv.

    Seule marque dans ma mmoire: des commissions furent constitues:sports et loisirs, avec Claude Jouan, dont lactivit sera dorganiserquelques repas aux alentours du Panthon, tous, bien sr, avec unminimum de tickets dalimentation (de bas prix de march noir) ; ily eut une sorte de commission daction sociale, surtout axe sur lesdiffrentes aides matrielles aux tudiants.

    Une de nos chansons, notre ministre de la Jeunesse , Lamirandsur les navigations par calme plat :

    Cest laviron, qui nous mne, mne, mneCest laviron qui nous mne au vent.Cest Lamirand, qui nous mne, mne, mneCest Lamirand qui nous mne En rangs.

    Il y eut enfin une commission dite politique la tte de laquelleje crus trs habile de mtre fait dsigner, en bon sous-marincoutumier. Jy avais t pouss par deux copains de ma chambre,deux jumeaux, qui nous amusaient beaucoup avec la narration trsenjoue de toutes les blagues que permettait leur trs parfaiteressemblance, les meilleures tant, naturellement, en alternant leursrendez-vous avec une mme fille, fort jolie, que je rencontrais parla suite, aux dners de Claude Jouan.

    Parenthse temporelle :

    Ayant cess de les voir depuis le coup du Palais de Justice, en 1941,je rencontrai lun deux dans un bar, aux abords de llyse, plus devingt ans plus tard : 1963, ou 1964 : nous avions encore bonil etbonne mmoire :

    - Tu es Andr, toi, Andr Ducret ?

    - Et toi, Jacques dAndurain, tu te souviens de Sillery ?

    Je me souvenais parfaitement, alors, du nom de la fille, laquelleil jouait tant de blagues, quest-elle devenue ?

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  • - Marie, trois enfants, je la vois toujours, je jouais au tennis avecelle, encore la semaine dernire.

    Aprs avoir clus un demi-ensemble, nos souvenirs, il me dit :

    - Viens dans mon bureau, on sera plus laise. Et la main sur lpauleil me fit entrer llyse, copieusement salu, avec lui, par lesGardes Rpublicains : il tait le chef des services de protection duGnral de Gaulle, llyse comme dans ses voyages ; il le seraencore lors de lattentat du Petit-Clamart ; il serait bientt le Prfetde police de Paris, sous Giscard dEstaing, lorsque le Ministre delIntrieur, Poniatowski, ralisa ce record, digne du Guinness desrecords : lenqute ficele en vingt-quatre heures sur lassassinat deson collgue, ministre et ami le Prince de Broglie ; lun desgrands tonnements de la prsidence de Giscard (Pour le CanardEnchan).

    Revenons Sillery :

    la commission politique nous avions commenter le texte dundiscours du Marchal, que lon disait crit par Gaston Bergery,ancien protagoniste du Front Populaire, aprs avoir voulu lancer lemouvement Front Unique, sans trop de succs.

    Parenthse Bergery :

    Il tait, lpoque, mari Louba Krassine, fille du premier ministredes finances des Soviets, et Ptain lenverra, comme Ambassadeurde Vichy, Moscou. Aprs la guerre Emmanuel dAstier divorcera deson Amricaine Grace, pousera Louba Krassine, ira Moscou,rencontrera Staline et toute la Nomenklatura Sovitique. Quand lafille de Staline schappera dUnion Sovitique, elle viendra serfugier, en Suisse, chez Emmanuel dAstier de la Vigerie qui medira, peu avant sa mort : Je suis le Pre Joseph de de Gaulle.

    Fin de la parenthse Bergery.

    Ce discours, message au peuple franais du 11 octobre 1940, visait justifier la trs rcente rencontre de Ptain avec Hitler Montoire,et sa poigne de main Hitler, loccasion de laquelle il avaitprononc un mot qui lui sera toujours reproch, le mot collaboration,comme une trahison. Je choisis une seule phrase, cense rsumer lediscours en forme de conclusion ; elle disait : En prsence dunvainqueur qui aura su dominer sa victoire, nous saurons dominernotre dfaite .

    Je fis remarquer que rien dans lattitude des autorits allemandes,

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  • envers les tudiants, ne manifestait la moindre domination de leurvictoire. La fermeture de lUniversit, pour sanctionner la djclbre manifestation du 11 novembre 1940 ltoile, tait dautantplus injustifie que tout le monde savait, surtout nous autres iciprsents, que la participation des tudiants avait tproportionnellement trs faible. Par consquent, nous autres tudiants,ne pouvons pas un instant penser que les conditions dune loyalecollaboration puissent exister, mais bien plutt celles dune totalersistance et cela, bien dans lesprit de fidlit la pense de notreMarchal.

    Nous navons pas chant Marchal, nous voil , qui tait lhymnehabituel de ce genre de runions, mais je nen paraissais pas si loin ;et surtout, pour ne pas avoir lair de faire de la politique je navaispas dit un mot de tous les autres sujets possibles de rcriminations.Je fus applaudi et ma dclaration fut approuve lunanimit, sansmme un vote.

    Je devenais le responsable politique des tudiants pour leMarchal . Je rencontrai peu aprs le colonel de Tournemire, (dontjignorais la haute situation dans la hirarchie de la Cagoule, jignoraisaussi presque tout, surtout le principal, sur la Cagoule) le reprsentantdu Marchal pour cette propagande, et quand je rentrai Paris,raconter cette comdie Pierre Herv on se tapa vigoureusementsur les cuisses, pour rythmer notre rigolade.

    Javais dsormais une couverture, comparable celle de Franois deLescure, la tte de lU.N.E.F. Et tous les deux avec notre particule.Aprs la guerre, Franois de Lescure, sacrifiera la sienne sur lautelde la dictature du proltariat, doctrine encore en vigueur au Particommuniste, lpoque.

    Au Parti communiste actuel (aot 2001) qui vient de rhabiliter Pierre Herv, (longtemps aprs sa mort en 1993) aprs lui avoir trssrieusement reproch ses relations avec moi, ainsi que mon choix,pour le remplacer la direction des tudiants communistes Paris,joffre dajouter une pice son dossier : Je pense que sil ma choisi,ce fut, aussi, pour utiliser lexcellence de la couverture conquise Sillery, par un petit sous-marin, peu conscient de ltre ce point,sur le moment.

    Si aujourdhui, au XXIe sicle je vous raconte tout a, cest parce queje viens de lire, en 2001, le dernier livre dHenri Frenay, (que lontitularise volontiers de Fondateur de la Rsistance), sur Jean Moulin,quil intitule, lnigme Jean Moulin, o il sefforce de prouver quecelui-ci tait un cryptocommuniste, cest--dire un espion russe,

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  • effaant du mme coup la gravit de laccusation, plus que prouve,porte contre son fidle et dvou Hardy (le dnonciateur de JeanMoulin) qui navait, en somme, que servi la France, en la librant delemprise sur de Gaulle et sur la Rsistance, dun trs dangereuxsous-marin ; certes, il ne le dit pas, mais a ne peut tre que le sensde son dernier livre.

    Je me permets de faire parler un mort, Henri Frenay, sans droit derponse, bien sr, mais na-t-il pas fait de mme, avec Jean Moulin?

    Alors que javais dit tout le mal que je pensais de Frenay, de sonvivant, la personne qui menregistrait, pour Henri Nogures et samonumentale Histoire de la Rsistance en France en cinq volumesvol. II p. 345 : Nen prenons, pour exemple que le tmoignage dedAndurain qui, au dbut de 1942, a rejoint Libration o iltravaille avec Brunschwig-Bordier et avec Morandat. voquant vingt-cinq ans plus tard les souvenirs de cette poque, voici ce quil nousa dit de Frenay et de Combat :

    Quand Frenay entra dans la Rsistance (sic) il a cr un mouvementavec un certain blanc-seing de Pucheu Ce que nous avons tous puconstater cest que chaque fois que nous avons eu des agents doubles lintrieur des mouvements de rsistance ctait par Combat quils taient rentrs. Tous les mouchards, tous les types douteuxqui sont rentrs lintrieur des mouvements, nous nen avonspratiquement pas eu Libration o il y avait une forte implantationcommuniste, il ny en a pas eu beaucoup Franc-Tireur, tandis quedes pans entiers de rseaux sont tombs par Combat .

    On ne peut lire ces lignes sans avoir le double sentiment de leurinexactitude et de leur injustice: Frenay na pas rejoint la RsistanceCest plutt la Rsistance, qui, en zone Sud a rejoint Frenay. EtCombat ou ce qui la prcd na pas t cr avec un blanc-seing de Pucheu

    Il tait nanmoins intressant de citer ce jugement car, par sonoutrance mme, il est rvlateur de ltat desprit que les dmarcheseffectues par Frenay Vichy ont pu faire natre chez ceux qui entaient mal informs.

    Effectivement jtais mal inform vingt-cinq ans aprs les faits, javaisquitt Paris et la France aprs la guerre, la suite des aventures etmsaventures de ma mre, Marga dAndurain (accusation dassassinat Paris en 1945, sur son filleul Raymond Clrisse, puis arrestation trstapageuse Nice en 1946, non-lieu en 1947, enfin son assassinat Tanger en 1948).

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  • Je ne lirai quau XXIe sicle quelques dtails sur laffaire GrandClment en 1943 : un modle dhomme de droite Tratre et rsistant la fois. Mais vraiment tratre et dextrme droite.

    Mais la lecture trs tardive du dernier livre de Frenay : lnigme JeanMoulin. (Robert Laffont 1989). Confirme et au-del, mon opiniondalors ; non seulement elle me la confirme, mais elle me prouve lajustesse de mes outrances . Et les tout premiers dirigeants taientissus de larme (page 51).

    Comme il est par ailleurs connu que Frenay, officier de larmedarmistice, y tait affect au service de ce que lon appelait les menes antinationales , qui depuis 1939 et linterdiction du particommuniste visait essentiellement (et presque exclusivement) lesactivits communistes, comme on sait aussi que cette ArmedArmistice avait t qumande aux Allemands par Weyganduniquement pour rsister aux communistes et lui permettre decapituler en toute srnit, sans la hantise de la Commune de Paris,ou de la Rvolution de 1917. Comme on sait que cest endcembre 1940 que Frenay, et quatre officiers de ce mme service,ont commenc la cration de ce qui deviendra Combat, comme unpapier tue-mouches pour attraper les communistes, les vritablesrsistants, les seuls organiss, depuis 1939 et bien avant.

    Bien sr, je ne veux en aucune faon dire que la quasi-totalit desadhrents de Combat taient consciemment des papiers tue-mouches,mais Hardy certainement, avec lintention au dbut, daffirmer safidlit Ptain, dont la popularit patriotique a t trs entame parla poigne de main Hitler, et sa demande de collaboration, il fautlaisser entendre que Ptain joue le double jeu. On cre unmouvement de Rsistance , confiant dans la volont de Rsistancede Ptain, et cela, qui nest certainement pas le hasard duneconcidence, la mme date o le Colonel de Tournemire, (unimportant cagoulard) vient, Paris, prsenter son Pasteur Jousselin,aux tudiants, un peu berlus, runis au chteau de Sillery. Etproclamant sa volont de coordination de tous les rsistants, on vabien finir par dcouvrir, au nom de lunit, les vritables Rsistants,ceux qui sont contre Ptain et le Hitler quil veut copier. Ainsi, moiqui croyais avoir trs subtilement noyaut les ptainistes, jtaistomb dans le mme filet que celui tendu par Frenay, en zone Sud.Pour continuer de rpondre la critique de Nogures, et ce quilnomme mes outrances, je dois expliquer pourquoi je dis : quandFrenay entra dans la Rsistance, cest pour dire quand et quellesconditions il commena de ngocier sa fidlit de Gaulle et derecevoir les subsides de la Rsistance, subsides qui lui furent remis,

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  • non pas par Jean Moulin lui-mme, mais par Yvon Morandat, dontje jouais alors, de temps en temps, le garde du corps.

    En plus il se trompe sur la somme, soi-disant rapporte par JeanMoulin, ctait six cent mille francs et non cinq cent mille ; et larpartition fut 250000 pour Frenay, et 250000 pour dAstier de laVigerie; Morandat, avec dAstier, tudia le montant de mon indemnitmensuelle de permanent : javais estim mes besoins de clandestin,sans carte dalimentation, trois mille, ils jugrent que javais aumoins besoin de cinq mille, ce que je reus, ds lors, peu prsrgulirement. Lamusant dans cet argent, cest quil tait vhiculpar lIntelligence Service, partir de la Suisse, (non parachut commele dit Frenay) et quil avait t remis Morandat Lyon par unsocialiste allemand, membre de lIntelligence Service ; cestexactement ainsi que jai, plus tard, entendu dfinir le curriculumvitae du futur Chancelier dAllemagne, Willy Brandt, avec lequelje bavardai un peu ce jour-l.

    Et si je suis en fvrier 1942 garde du corps dYvon Morandat, dropp(parachut) le 7 novembre 41 soit moins de deux mois avant JeanMoulin, avec pour principale mission, de contacter les milieuxsyndicalistes chrtiens, cest parce quon me crditera des bonnesleons que ma prodigues le futur Colonel Fabien, qui SuzanneDjian, a confi son anarchiste petit-bourgeois de copain, aprs soncanular du Palais de Justice de Paris.

    Je suis all un soir dhiver glacial, accompagner Morandat au boutde lavenue de la Rpublique, au coin de la place des Terreaux, Lyon, pour rencontrer les reprsentants (4) de Frenay (peut-tre lesquatre fondateurs ) dans un bistrot aux vitres embues, o jepouvais suivre les ombres, toutes grandes et imposantes qui avaientaccueilli le tout petit Yvon (Lon Morandat) si petit que je le dpassaisdu haut de mes 1 m 63. Il mavait dit : si je ne suis pas sorti, au boutde (jai oubli la dure exacte) tu rentres, et tu me cherches, cest diresi la confiance rgnait, Je neus pas besoin den arriver l.

    Je le vis rapidement revenir, rayonnant de la satisfaction dumaquignon (il tait issu dune famille paysanne de lAin, de Pauillat,je crois) qui a bien tortill sa ngociation.

    Au dbut ils mont dit navoir aucun besoin de de Gaulle comme Librateur de la France , ils avaient dj Frenay, pour ce rle surle thtre des oprations, et navaient rien contre Ptain, bien aucontraire. Aprs quelques minutes perdues, discuter tactiqueglobale, vue mondiale de la guerre, etc. je leur dis : nous navonsaucune volont de supplanter, ni vos chefs, ni vos prfrences, mais

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  • peut-tre pouvons-nous vous aider, peut-tre quelque argent ?

    Alors l, ils se dridrent compltement, me dit Morandat : laffaireest dans le sac, et mme au fond du sac. Pour tre honnte, (peut-tre aussi mdisant) je dois vous avouer que rencontrant Morandat,dans sa rcente proprit de Ventabren, dans le midi, je lui dis,longtemps aprs guerre : tu te rappelles quand nous achetionsFrenay, en 42? , Il me dvisagea, lair trs honntement ahuri, et medit : Je ne vois pas de quoi tu parles . Il faut dire, que nous tionsaprs le retour de de Gaulle au pouvoir de 1958, et quil soutenaittrs activement le nouveau rassemblement de toutes les droites,autour du Gnral, auquel il venait de demander lautorisation depublier ses propres mmoires.

    Compltes, elles auraient t passionnantes, mais je pense quiltait trs conscient de ce que lon nomme aujourdhui le devoirde rserve . Car il avait beaucoup achet, je dis acheter. Je doisprciser que je nassistai pas la remise dargent aux mains deFrenay, mais Morandat me lavait dit, et attendait la parution duprochain numro de Combat, pour y constater lallgeance deGaulle. Je ne me souviens ni de la date, ni du contenu prcis decet exemplaire, mais je me souviens parfaitement de la trs viveindignation de Morandat pour linsignifiance du rattachement deGaulle, et de la rupture promise avec la thse du double jeu dePtain. Il rdigea alors, avec moi, un tlgramme pour Londres,clamant son indignation. Je ne sais pas si ce tlgramme tait pourLondres mme, ou pour Jean Moulin, dj oprationnel en France.Mais je me souviens trs bien de sa rvolte quand il reut lordre depersvrer dans son arrosage de Frenay.

    Ce fut sa premire leon de cynisme et il sut parfaitement lassimiler,et Frenay, lui aussi, prendre quelques distances avec Ptain. (Entoute honntet, et dans lhonneur) Il neut pas les mmes difficultsavec Libration, car dAstier lui avait confi la charge de son dition,impression, et presque, diffusion, travaux sur lesquels je papillonnais.Cest ainsi que le 12 mai 1942, jallais avec mon ami Bocquet cheznotre imprimeur, chercher le premier numro de la reparution duPopulaire, (lancien quotidien du Parti Socialiste S.F.I.O.) qui allaitfaire la gloire de Daniel Mayer, et de la constitution du C.A.S. (ComitdAction Socialiste, prlude la renaissance du Parti Socialiste deLon Blum.)

    Je remis ce premier numro, encore tout frais, Morandat, qui ledonna triomphalement Daniel Mayer. Si je sais, aujourdhui, ladate du 12 mai 1942, cest parce que je lai lue dans la biographiede Daniel Mayer la B.D.I.C. en 2001.

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  • Pour linstant revenons en 1941, mon ami Claude Jouan et aux TUDIANTS POUR LE MARCHAL . Pas un seul de ses copainsdu bureau de tabac na mis la plus petite rserve sur les 21communistes vads, alors que toute la presse, unanime, navaitpas assez de mots pour les stigmatiser.

    Est-ce de ce jour-l que les quarante millions de Ptainistes, quunsondage de cette mme presse aux ordres a fait dcouvrir HenriAmouroux, vont fondre comme neige au soleil ?

    En tout cas pour les Ptainistes du quartier latin, pas de doute : laneige avait fondu depuis longtemps.

    Du mme coup, la collaboration aussi ; qui va devenir un duo,mal harmonis, de communiqus de police franaise et darmeallemande, et de discours affols de ministres franais.

    Pour bien comprendre cela, je ferai appel un autre document,exhum aprs la guerre par mon cousin Arnaud dAndurain deMatie, diplomate, qui tudiait, fort judicieusement, pour la France,les archives allemandes, lors du procs de Nuremberg :

    Nuremberg, le 10 fvrier 1948

    N 44/SC M. Arnaud dAndurain de Matie Dlgu auprs duTribunal amricain de Nuremberg Son Excellence le ministre desAffaires trangres Paris Secrtariat des Confrences.

    Communiqu Europe au Conseiller Politique Baden-Baden Ci-joint lexemplaire pour le ministre de la justice

    (9 juillet 1940). Directive du Dpartement de la Presse du Reich ausujet des relations franco-allemandes

    Le ministre public a, ces jours derniers, voqu dans le procs desministres le cas de lancien secrtaire dtat la Propagande, OttoDietrich. cet effet plusieurs sances ont t consacres lancienneorganisation de la propagande du Reich, des tmoins ont tentendus et de nombreux documents prsents au tribunal. Parmices pices je crois devoir seulement signaler au Dpartement lextraitsuivant des dossiers Brammer .

    Charles-Auguste Brammer, qui a comparu la semaine dernire, adirig, de 1933 1944, une agence dinformation qui portait sonnom. ce titre, il assista, pendant onze ans, la confrence depresse tenue quotidiennement au dpartement de la presse du Reich. la date du 9 juillet 1940, il notait la direction suivante donne lejour mme midi, par le prsident de la confrence de presse :

    Directive n 490 (directive fondamentale)

    LAllemagne ne conclut pas avec la France une paix

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  • chevaleresque . LAllemagne ne considre pas la France comme sonallie, mais seulement comme un tat avec lequel elle compteentretenir des relations paisibles.

    La France lavenir jouera en Europe le rle dune Suisse agrandie et deviendra un pays de tourisme qui, ventuellement, pourra treautoris produire, en quantit mdiocre, quelques articles.

    Cest pourquoi il ny a pas lieu dappuyer les efforts que fait legouvernement franais pour instaurer un tat autoritaire. Toute formede gouvernement qui apparatra de nature restaurer la puissancede la France sera combattue par le Reich. En Europe, le pouvoir dedcision nappartient qu lAllemagne. Dans son rle dirigeant,lAllemagne na (en dehors de lItalie qui dispose maintenant deson Lebensraum particulier) aucun alli ou partenaire qui soit missur le mme pied quelle-mme. Telle est la rgle de parole ,officielle et bien claire, qui doit inspirer la rdaction de toutecontribution que vous seriez amen fournir aux annonces ouarticles etc. consacrs aux relations germano-franaises, sans quilsoit besoin dnoncer chaque fois cette brutale dclaration deprincipe

    Extrait de : DPCHES DIPLOMATIQUES. 1938-1963 ARNAUDDANDURAIN DE MATIE Prface : Alain Peyrefitte, de lAcadmieFranaise. J & D ditions. 64200 Biarritz.

    Jai soulign ce passage, mais il suscite en moi tant de rflexionsque je veux, bien le sparer : La France lavenir jouera en Europele rle dune Suisse agrandie et deviendra un pays de tourismequi, ventuellement, pourra tre autoris produire, en quantitmdiocre, quelques articles.

    O en est-on dans la France touristique de lEurope du XXIe sicle,telle que dessine par Hitler ? ? ?

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  • 2 - Le vrai double jeu

    Cette date du 9 juillet 1940, est pour moi, une date capitale pourtoute rflexion ultrieure sur lensemble du problme de laCollaboration et de lescroquerie du double jeu, laquelle le colonelde Tournemire, comme le capitaine Frenay, vont tenter de donnerune certaine vie, que reprendra plus tard Rmy, avec la chevaleresqueformule de lpe et du Bouclier, ainsi, plus ou moins, que Franois-Georges Dreyfus dans son Histoire de la Rsistance , p. 92. ditionsde Fallois, Paris. Lequel Franois-Georges Dreyfus reprend, sur unton dhonntet intellectuelle presque outrage, la critique deNogures mon sujet : Il est vrai que quelques rsistants ragissentmal, comme le rappelle M. dAndurain, membre de Libration ,proche du PC, dans un texte que cite Nogures.

    Pour lui, quand Frenay a rejoint la Rsistance (sic), il a cr unmouvement avec un certain blanc-seing de Pucheu .

    On ne peut gure accumuler autant de contrevrits en quelquesmots. Mais ce texte explique la profondeur des rivalits qui existentet persisteront dans la Rsistance jusqu la Libration. Car le doublejeu ne ltait qu lgard des seuls franais et de la rpublique Jelavoue bien bas, cher grand historien, je nai aucune de vos rfrencespour parler de la Rsistance, et le fait dy avoir particip depuis lesdbuts ne garantit en rien une vision panoramique ni objective : eneffet, je ny ai navigu, depuis le dbut, que comme sous-marin, ettellement autonome, que vos trs fins limiers, Frenay, ou Paillole,nont pas pu dterminer mon existence de sous-marin communiste.

    Paillole que jai rencontr fin 1944, (et qui, comme Suzanne Djianme prenait pour un anarchiste petit-bourgeois ou quelque chosedapprochant) quelques jours seulement avant que le Gnral deGaulle ne lui signifie son cong immdiat de la direction de nosservices de renseignements. ! Et qui sen tonne, sans rapprocher deconcidences.

    Peut-tre vous en parlerai-je, si je termine mes mmoires, avec lalibration de Toulouse, et vous parle de mes ballades dans la MontagneNoire, entre Revel, Mazamet et Carcassonne.

    Alors, si ce sont l, cher Professeur, vos rfrences pour prorer surla Rsistance, permettez-moi de ricaner (cest un tic) mme si vousajoutez aux grandes respectabilits de vos rfrences, un abb, Rende Naurois, compagnon de la Libration. lui, comme Georges

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  • Bidault, et quelques autres futurs M.R.P. que jai connus, aux tousdbuts chez Paul Parel (une trs bonne table) : ce que vous pensiez, lpoque, de toute votre Sainte Mre lglise, de toute sa hirarchie,de tous ses vques, dont vous guidez aujourdhui les processions,nest-il pas admirablement croqu dans les premires strophes duChant des Partisans :

    Ami, entends-tu, le vol noir, des corbeaux, sur la plaine?

    Je vous en parlerai quand je vous raconterai mon 18 juin 1940, lemien.

    Le document dArnaud dAndurain est trs intressant : lessentieldu procs de Ptain est bas sur laccusation de trahison, pour actionau service de lennemi, par la collaboration ; si lon peut prouverquil ny a pas eu de collaboration (puisque lennemi nen voulaitpas) il ny a pas eu trahison, il ny a pas eu daction au service delennemi.

    Au contraire, cette attitude, vue comme la volont de crer un tatfort, sur les schmas dalors, pour prparer la revanche, serait tout lloge du Marchal.

    Ainsi les lois rpressives contre juifs, communistes, francs-maons,et tous dmocrates, ne seraient, comme en son temps lAffaire Dreyfus,quun excs de patriotisme. Ainsi la question de la prparation, etlorganisation de la dfaite ne pourraient pas se poser, alors le volnoir des corbeaux sur la plaine ne serait quune mouvante imagepotique quEmmanuel dAstier de la Vigerie aurait propose Kesselet Druon, quelque peu anticlricaux et bien dpasss.

    Non, le seul procs quil fallait faire Ptain, ctait exactementlinverse de celui que Vichy voulut faire Blum. Qui a prvu, voulu,et prpar la dfaite, celle du Front Populaire, de la Rpublique, etpar l mme de la France. Qui dans ce but a complot, Madrid, Rome, Berlin, et par-dessus tout, au Vatican et tout autant danslArme contre Gamelin, ce franc-maon?

    Question trs libre que je me pose, aprs lecture du livre de PierreMiquel: les mensonges de lhistoire. (Perrin, dcembre 2002). Lesquelsdbutent par les Croisades. Et quil pourra illustrer dans les jours quiviennent par lIrak. (21 fvrier 2003). La guerre 39/45 na-t-elle tque la dernire, trs machiavlique croisade, prpare par Pie XI etPie XII ?

    Hitler, tout le monde le sait clairement, par opposition au Trait deVersailles. Le Vatican, beaucoup plus discrtement, par opposition auTrait de Svres.

    Le Vatican veut annuler les effets de la dclaration Balfour de 1917

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  • qui par la notion de terre sainte largie aux Juifs contre sonmonopole vaticanesque et militaire franais (fille ane de lglise)dtruit tous les acquis de toutes les Croisades. Depuis 1917 le Vaticanlutte contre le communisme athe de lURSS. Comme il combatpartout les Serbes, orthodoxes (par Oustachis Croates entre autres).

    Comme il combat partout les ides de la Rvolution franaise, cellesdu sicle des Lumires Hitler, en Ukraine, tendra le domaine desUniates catholiques. Quil prenne donc lUkraine. Hitler maintiendrale trs avantageux statut du clerg allemand, et ltendra au monde:la France aprs 1919 a bien t contrainte de le conserver en Alsace;dailleurs on en parle dj en filigrane de lEurope du XXe sicle.Enfin la Croisade du Christ Roi en a dmontr la mthode, et lafacilit, en Espagne de 1936 1939. Combat commun de la Lgiontrangre, des Tabors Marocains, de laviation dHitler, des troupesde Mussolini, et des Catholiques Hystriques manuvrs par lanaissante Opus Dei.

    Cest--dire faire combattre, pour les buts de sa Croisade, des troupesqui nen ont rien foutre.

    On envoie Ptain comme ambassadeur Madrid, en tudier le modedemploi, et il contacte non seulement Franco, mais aussi le Vatican.Pourquoi le Vatican? Le 9 octobre 1934 jarrive Marseille, sur lebateau Providence des Messageries Maritimes. Passagers consigns bord; la ville de Marseille est en tat de sige: Le Roi de Yougoslavie,ainsi que Louis Barthou, notre ministre des Affaires trangres ontt assassins.

    Lenqute tablira que lassassin est un Croate, membre des Oustachis,fanatiques de haine contre les Serbes de religion orthodoxe, toutaussi fanatiques damour catholique, fanatiques du pape, (Pie XI lpoque) mais aussi instrumentaliss, pays et organiss par lesservices secrets Nazis.

    Fanatiques de Terre Sainte, quelle soit revendique par les orthodoxes,par les Turcs et toutes les varits dIslam, ou par les Juifs, justifis endroit International par la Dclaration Balfour de 1917, justifis aussipar une certaine lecture de lHistoire, le droit du sol, vu comme ledroit du premier occupant ; ce qui, chez des tribus nomades, estillimit : entre Nil et Euphrate, mais sans exclusivit pour aucunetranshumance.

    Ainsi peut-on dire que la deuxime guerre mondiale a commenc le9 octobre 1934 Marseille par une opration conjugue du Vaticanet de Hitler.

    Voir aussi, daprs Dominique Venner : Histoire critique de laRsistance. (ditions Pygmalion page 120). O lon voit lAmiral

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  • Canaris, lex chef de lAbwher-le Service despionnage de lArmeAllemande rfugi Paris, au Couvent de la Sainte Agonie (sansironie de ma part) recherch par la Gestapo, aprs le complot desgnraux contre Hitler, sr dtre incessamment captur, rpondre la question dArnoult :

    - Pourquoi avoir ainsi trahi votre patrie ?

    - Au-dessus de lAllemagne, il y a la chrtient. Cela vaut bien unmillion dAllemands

    Tandis qu Beyrouth, ds 1936, le Gnral Huntzinger, commandanten chef des troupes du Levant fait chouer, par les provocations dePierre Gemayel et des Phalanges libanaises, le projet dindpendanceLibano-Syrienne.

    Projet que son propre Haut-Commissaire, le Comte Damien deMartel, sur les directives du ministre des Affaires trangres du FrontPopulaire veut faire aboutir.

    L e Haut Commissaire, qui viendra en 1937, accompagn de sonCommissaire aux affaires politiques, le Comte Ostrorog, (sans menavertir, prsider une runion que jai organise, avec lUniversitAmricaine de Beyrouth, Place des Canons) pour dire aux tudiantsquil ny avait pas de terre sainte au moyen orient, mais uniquementdes terres ptrolires, et que seule la lacit pouvait la rendre lanation arabe quelles que soient ses religions.

    Mon principal soutien, pour organiser cette confrence, sappelaitAbbas Hoveida.

    Nous avons pass notre bac ensemble cette anne-l.

    Il sera douze ans premier ministre du Shah dIran, et sera fusill parles Pasdarans aprs la victoire de lAyatollah Khomeiny. Le publicfranais en entendra, la veille de son excution, une interview resteclbre, de Christine Ockrent en 1979.

    Le Gnral Huntzinger sera le dlgu franais la commissiondarmistice. Il sera le ministre de la Guerre de Ptain qui feracondamner de Gaulle mort (par contumace).

    Il commandait aussi la deuxime arme, le 10 mai 1940, dont on adit quil avait les moyens, avec larme Corap de boucher la percedes panzers de Sedan. Le gouvernement de Paul Reynaud dclaraque des fautes avaient t commises (des fautes militaires) et quedes sanctions seraient prises Il dmissionnait le lendemain, cdantle pouvoir Ptain, qui remplaait Gamelin par Weygand, pourdemander lArmistice, dont il chargera Huntziger. Un cardinal dirabientt : Ptain cest la France, la France cest Ptain.

    Sabre, goupillon et croix gamme.

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  • 3 - Libration Sud

    Il faut maintenant vous dire dans quelles conditions jai rencontrle fondateur de Libration Sud : Emmanuel dAstier de la Vigerie.Jai dabord lattestation de Lucie Aubrac. Contact Saint Jean Cap Ferrat par Emmanuel dAstier, fondateurdu mouvement .Ce nest pas tout fait Saint Jean Cap Ferrat, mais Nice. Maiscomment ? Si je lavais dit Henri Frenay, avant sa mort, nul doutequil ny eut trouv la clef de son Graal : La preuve que Jean Moulintait bien un cryptocommuniste. Eh, ma foi, je ne dirais peut-tre pasnon, avec indignation, (car toute politique de vritable intrt nationalfranais a besoin du contrepoids russe en Europe.)Au contraire, je serais trs fier de le voir rejoindre la phalange, deSorge, ou Kim Philby, et de vous dire tout ce que je puis honntementaffirmer : je lui ai serr la main sans savoir quil tait Jean Moulin,ni surtout quil le deviendrait, ni quil venait dtre parachut, avecle microfilm de sa mission pour de Gaulle. En esprant que cetpisode vous amusera, autant quil me plat de vous le raconter.Vers la fin novembre 1941, aprs les attentats de Nantes et deBordeaux, et les trs lourdes excutions dotages, celles deChteaubriant surtout, qui avaient eu de terrifiants chos, Frdo,qui deviendra, pour la postrit, le colonel Fabien, me dit : Il y aeu des chutes, nombreuses, certains ont parl ; pendant quelquesjours on ne se voit plus, vite les lieux o tu peux rencontrer descopains : comme je lui dis avoir rencontr Brustlein, lauteur ducoup de Nantes et dont tous les journaux prsentent la photo, aveclannonce dune prime de cinq millions, pour le dnonciateur,Fabien me dit, trs net : Surtout Brustlein ! Je plaisante quand mme : pour un attentat rat Rouen, je nai tmis prix que de dix mille francs, et dans lanonymat le plus complet.Alors Brustlein : Cinq millions ! Chapeau ! Avec son nom en grosseslettres partout : je souffrais de lanonymat. Dans cette guerre, commedans ma vie, jai toujours eu beaucoup de chance : jusqumaintenant. Touchons du bois.Vers le 24 novembre? 1941 une lettre de mon oncle Jean dAndurainnous convoque, mon frre et moi, au Pays Basque, pour un hritage;quand nous en revenons, la bonne me dit le rituel :- Deux messieurs sont venus vous demander Pas lair de copains.

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  • Elle, elle tait communiste.Le lendemain passe un autre flic ! Tout seul. Renseignementsgnraux ;Le moment de fuir tait venu ; et de fuir immdiatement, pas surlheure, mais la minute, et sans prvenir maman, qui tait sortie.La veille, je lui avais dit mes craintes, aprs le passage des deuxmessieurs , mais elle ny croyait pas et pensait que je voulais vivreune fugue avec Lise D. une amie de la Sorbonne, tudiante enHistoire, venue plusieurs fois Neuilly.Seul mon frre tait prsent ; il prvoyait la mme conclusionmaternelle.- Je vais lui envoyer des copains, qui joueront les faux policiers,comme a, elle y croira.Ce disant je navais aucune ide des moyens dexcution, dautantque Fabien mavait dit de rompre tous contacts; mais javais demand mon frre de nen rien dire. Un secret ! Jaurais d savoir que lecharme principal dun secret est den faire cadeau la personneconcerne.Deux jours plus tard, lorsque quatre trs jeunes membres de la toutenouvelle Brigade Antiterroriste cre spcialement pour nous, seprcipitrent de la porte dentre la chambre de ma mre, encriant des ordres, qui se voulaient terrifiants et comminatoires, dugenre :- Haut les mains, les mains au mur, pas un geste etc. elle souleva peine la tte de son oreiller, pour leur dire avec la plus drisoirecompassion :- Vous jouez trs mal votre rle, je sais trs bien que vous tes lesamis de mon fils. Dites-lui quil peut revenir, tranquille, vivre avecLise. Il ne risque rien.- Mais madame, nous sommes des vrais policiers !- Bof ! Montrez-moi vos papiers.- Vous voyez bien quils sont faux, ils sont tout neufs.- Mais nous sommes la toute nouvelle brigade antiterroriste.- coutez, finissons-en : appelons la police.- Bien sr, Madame, dit lun deux, lui tendant lappareil.Elle le prit, puis le reposa vivement :- Non, Jacques ne me le pardonnerait pas, si je vous faisais arrter.Et comme la jeune quipe semblait sentter, elle leur lcha :- Bon, faites comme vous voulez, mais il nest pas l, ni dans les

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  • armoires, ni dans les tiroirs, et moi, je dors.Quand je la revis, prs de deux ans plus tard, elle me dit :- Tu sais, jai vu tout de suite que ctaient tes amis ; ils taienttimides, polis, dans ta bibliothque ils nont mme pas remarqutesuvres compltes de Lnine.- Elles sont en anglais Lenin, Lenin, Lenin, ils ne savaient pas langlais.Je ne russis pas la convaincre entirement. Pour ma part jtais partipour Nevers ladresse que mavait donne Annie, pour le cas, o je voudrais fuir en zone sud. Je sonnai au 3 rue des Rcollets, unedame en deuil ! En deuil caractris, longue, maigre et portantnergiquement, si lon peut dire, plutt assumant, toute la misre dumonde, maccueillit, avec toute la tendresse quelle tait capabledoffrir :Annie lui avait parl de moi, certainement avec beaucoup de chaleur,car tout de suite elle massura quelle me traiterait comme sonfils son fils unique, disparu en 1940, disparu, pas tu, quelleattendait chaque jour. Depuis son dpart la mobilisation, en 1939,elle avait chaque jour, fait sa chambre , ouvert ses volets, essuydinvisibles poussires, pour quil pt, en rentrant, la retrouver dansltat o il lavait quitte, cette chambre qui avait t leur chambrenuptiale, elle et son mari, avant la guerre de 1914, quelle avaitcess dhabiter quand elle avait appris sa mort au Front, chambrequelle avait prpare, telle une relique, pour le prochain orphelin natre, de lui, cette chambre o son fils tait n et avait grandi.Seul.Cette chambre serait la mienne, pour moi, moi comme son fils. Etelle mouvrirait tout grands les volets, pour moi, qui menais le mmecombat que son fils et son mari. Mes yeux se voilent, ce souvenir.Deux jours plus tard ses amis me conduisirent de nuit, pour franchirla ligne de dmarcation, dans une gare. Do, aprs une nuit glacialedans un demi-muid vide, je pus rejoindre, prs de Mailly, le pitonde La Ripe, o la famille dAnnie maccueillit-on ne peut mieux,(sa mre, son pre, Octave, la tante Guitte) et me donna son adresse Clermont-Ferrand. Partout intense affection. Inoubliable, quimmeut encore, quand je vous en parle.De mon hritage, point venu, au pays Basque, javais emportquelques bibelots de valeur, vendus illico par ma belle-mre Moussia,mre dElla, au March aux puces, pour me constituer un magotsalvateur. Annie me proposa daller Saint-Gervais les Bains, o satante, Clmence, avait un htel. Celle-ci nous conseilla une villa, hautdans les neiges, les Viollettes , dont Annie ne cessait de soulignerlorthographe fantaisiste ; mais nous trouvions du beurre volont,

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  • (et mme moins cher que le prix de la taxe car le ramassage nemontait pas jusque-l) des pommes de terre, et Annie nous prparaitde succulentes pommes dauphines rgal inconnu dans les villes.Cette villa les Viollettes sera le point de dpart et de prparationdune extraordinaire expdition dune quipe de 4 marins et 4alpinistes pour la Gorgie du Sud, une trentaine dannes plus tard.Pour nous ce fut le point de dpart dune dbandade et deretrouvailles ultrieures.Par une inconsquence gravissime, mais frquente chez moi,jignorais que les vrais policiers taient venus me chercher Neuilly,continuaient leurs poursuites, mavaient cherch, au 11bis rue JeanMermoz Paris VIIIe. Chez ma cousine germaine, Franoise, et avaientappris quelle viendrait passer la Nol prs de Mgre, CrestVolland, en zone non occupe.Une brigade antiterroriste, a flaire toutes les pistes, elle avait suiviFranoise. Quand, moi qui avais la mmoire de son tlphone,aprs Nol, je lappelai, elle neut que le temps de me crier : Attention la police est l , et la communication fut interrompue.Pas un instant je ne ralisai que ce put tre pour moi. Je pensaimarch noir du beurre, par Franoise.Pour la Messe de minuit nous tions descendus, Herv, Annie etmoi dans le centre-ville de Saint Gervais o logeait son frre Pierre,avec Jeanine : pour mieux nous camoufler, Nol avait rejoint lachorale de la paroisse, malgr notre athisme, et avait fourni sa trsbelle voix de basse pour le Minuit Chrtiens .Il avait t chaudement flicit par tous. Au lieu de remonter dansnotre villa des Viollettes, nous tions rests chez lui, et Pierre Hervme donnait ma premire leon dchecs de ma vie. Elle sera aussila dernire. Lehman, lami de la tante Clmence, tout essouffl,accourait nous alerter : La gendarmerie menvoie vous prvenir :la Brigade Spciale de Paris vous recherche. Ils ont dit que voustiez de riches trafiquants dor. Les gendarmes, qui vous surveillent,depuis votre arrive, nen ont pas cru un mot. La Brigade de Paris,cest les Allemands : fuyez immdiatement. Nous saurons plus tard que les gendarmes, requis de conduire leshommes de la brigade spciale vers la villa les Viollettes , enramenrent un sur un brancard, lautre boitant : ils avaient deschaussures basses Ces Parisiens, et je croirai toujours que lesgendarmes ne leur avaient pas montr les plus inoffensifs passages.Quand je vous dis que jai toujours eu de la chance. !!!Nous voil notre tour dans la neige et la nuit, Herv, Annie etmoi, avec nos sacs dos bourrs de lainages, et aprs un long arrt

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  • sur la terrasse dune maison inhabite, Annie revient de je ne saiso, avec du jambon, du pain et un splendide couteau.Certes les nuits dans la neige sont longues en hiver, et jusquau journous dvalerons, en crabe, la montagne, pour ne pas nous retrouversur la route, la verticale de Saint Gervais. Des haltes sous les sapinsles plus touffus, des tranches de jambon, du pain, de la neige volont laisser fondre en bouche. Puis tous les enfin : le jour,la route, lautobus.Sparation : Pierre et Annie vont ensemble dans le fond du bus, moitout seul vers le milieu; cest moi, nominalement, qui suis recherch,et je nai pas de faux papiers. un carrefour, barrage de gendarmerie: Vos papiers . Je pense : cest la fin. Je me retourne vers Pierre etAnnie, au fond : un regard dadieu, celui que durent avoir lesinnombrables dports de cette guerre, que dis-je, de toutes lesguerres. Adieu. Les gendarmes regardrent longtemps, ma carte,mon visage, ma carte encore, puis ils passrent au suivant. Quandnous arriverons la gare, o nos chemins se spareront, Annie medira : Quand tu tes retourn vers nous, tu tais blanc .Quelques heures plus tard jarrivais, par le train, chez Grace dAstierde la Vigerie, une Amricaine, amie de ma mre, Saint Jean CapFerrat, dans les Alpes Maritimes. Srieusement poursuivi, ne sachanto me cacher, je la croyais capable de me donner une filire, pourpasser en Angleterre, ou pourquoi pas, aux tats-Unis, eux aussi enguerre, depuis moins dun mois. (7 dcembre 1941)Je connaissais son adresse sur la cte parce quelle avait corresponduavec ma mre depuis la dbcle de juin 1940, propos de ses chatssiamois, abandonns dans son appartement du 10 rue des SaintsPres, Paris VIe.Cette correspondance se faisait par cartes postales Interzone, pr-imprimes, peu prs ainsi: va bien , va mal , est prisonnier , est dcd .On avait juste le droit dinscrire le nom de la personne, et de barrerles mentions inutiles. Or lun des chats de Grace sappelait Tommy,ce qui tait le nom trs affectueux par lequel on dsignait les petitssoldats anglais. Javais plusieurs fois post la carte pour Grace, et mamre sattendait toujours un quiproquo avec la censure. MaisGrace prsentait un autre intrt : elle stait appele Roosevelt,avant baronne dAstier, pouse de lun des fils du Prsident des tatsUnis ; elle avait gard dexcellents rapports avec sa belle-mredalors, la trs populaire Eleanor Roosevelt, que lon disait trscoute conseillre de son mari, plus prcisment pour ses tendancesde Gauche, et Quand on dit gauche aux USA. !!! Trs peu

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  • avant la guerre elle tait venue en France, et le Gouvernement,sentant le conflit proche, avait voulu lui offrir une rception trssolennelle dans les Palais Nationaux. Elle avait choisi de descendrechez son ancienne belle-fille, 10 rue des Saints-Pres.Ainsi, Emmanuel dAstier de la Vigerie, journaliste pigiste Marianne,opiomane, ml de toujours aux Surralistes, avait particip toutesrceptions et plus discrtes rencontres ; ceci dautant plus facilementquil avait t officier de marine, mais au service de renseignements ;son frre Franois, tait lun des deux gnraux cinq toiles, quicommandait lAviation Franaise.Quand Emmanuel dAstier fut pass en Angleterre par sous-marin,laccueil de de Gaulle fut immdiatement favorable, et je pense (jenen sais rien, je nen ai mme pas parl avec dAstier) que beaucoupplus que pour son prtendu mouvement de Rsistance il fut conquispar les perspectives daccueil par le Prsident Roosevelt avec lequelil narrivait pas prendre bon contact ; ma supputation est dautantplus plausible, quaussitt, plutt que de lui demander de retournerillico en France, il lui demanda de partir immdiatement pour les tatsUnis pour bnficier de son excellent contact avec Eleanor Roosevelt.Me parlant plus tard dune altercation avec le Gnral Catroux, en1944, au sujet de ma mre o Catroux en conflit dautorit avecdAstier menaait de dmissionner, et que de Gaulle arbitrafavorablement et ma mre, et dAstier, Many mexpliqua : deGaulle avait, ce moment, besoin de moi auprs des Amricains .Quand jeus fini de raconter Grace et mes aventures et mes espoirs,elle me dit, aprs mavoir flicit et avec beaucoup dautorit : Vous avez beaucoup mieux faire, ici, que dans une arme; Many(diminutif anglais dEmmanuel) fait quelque chose ici, en France : Ila besoin dhommes comme vous .Moi qui me voyais toujours comme un enfant, surtout auprs desGrandes Personnes amies de ma mre, je me sentis multipli parcet norme compliment, et renonais presque tout de suite lidede passer en Angleterre, acceptant aussitt de travailler avecson mari.Je lavais rencontr peu de temps avant la guerre, au 63 avenueRaymond Poincar (XVIe arrondissement) o jhabitais avec mamre, avant dtre rappel sous les drapeaux, dabord Orly, puisau Ministre de lAir, boulevard Victor ; elle avait lou ma chambre,suite une annonce dans Le Figaro un allemand nomm PaulKreger, venu dAngleterre, o il tait responsable du Service desAllemands ltranger. Il disait vouloir connatre des Franais .Many tait venu le voir . Aprs une longue conversation pour

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  • sonder ses vues, ses convictions Nationales-Socialistes, ses doutesaussi, questionnaire dont javais beaucoup admir la finesse, lasubtilit, autant que la profondeur, dAstier nous avait dit : Il est du bureau Ribbentrop Jignorais alors totalement que cela signifiait un documentaliste de trs haut rang, du service diplomatique, qui soccupait de bienautre chose que de runions folkloriques pour la fte de la Bire, oude faire chanter la Tyrolienne des jeunes gens en culotte de cuir,avec une plume au chapeau. Ribbentrop tait le ministre des Affairestrangres dHitler.Revenons Mme de Taillac, et sa Comtesse de Palmyre, et elle estcertainement bien informe, puisque, dans ses sources elle citele Gnral Aussaresses, qui, encore moins vieux que moi, na jamaisconnu ma mre, mais a peut-tre consult des archives du Servicede Renseignements franais, dont il fut, un moment, le patron, etArdisson, qui est bien jeune (pour moi).Supposition gratuite de ma part Et fielleuse, daccord. Peut-tre lemoment est-il venu de vous dire comment jai connu ( peine connu)un personnage qui dpasse tous ceux de la Rsistance, car il a djjou un rle de tout premier plan lors de la premire guerre mondiale,lorsque minuscule attach militaire Moscou en 1917, il a particip la naissance de la Troisime Internationale, la structuration delArme Rouge, la dbcle des interventionnistes franais, avec les Mutins de la Mer Noire Andr Marty et Charles Tillon (qui seraen 1941 le chef des F.T.P.F. en France), et sera dlgu de Trotski, pourla bataille de Tsaritsyne, sur la Volga, auprs de JosephVissarionovitch, lhomme qui aprs avoir pris cette ville seramondialement connu sous le nom de Staline, et la ville baptiseStalingrad. Ce personnage tait le capitaine Jacques Sadoul. (1881-1956)Sa biographie que je tire de J. Maitron : Dictionnaire biographiquedu mouvement ouvrier franais (ditions de lAtelier), tourne engrande partie autour de son uvre principale : notes sur la rvolutionBolchevique, dont je possde la rdition de 1971 chez Maspro.Je nai aucune autre documentation qui me permette de critiquer cettebiographie : pourtant elle parle de son fils unique Ari, dcd en1936. Or jai appris ce dcs en 1939, par sa sur, Moussia, laquelle jen demandais des nouvelles, parce que javais connu Arien 1934, Palmyre, chez nous lhtel Znobie, assistant metteuren scne de Epstein, venu tourner un pisode de La Chtelaine duLiban, o jouaient les vedettes Annabela et Jean Murat.Et papa mavait abondamment parl du tratre Sadoul, version

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  • Action Franaise, ce qui avait aviv chez moi, curiosit et immensesympathie pour le fils Sadoul; cette date, juste devenu communiste,je prenais le contre-pied de toutes les ides de mon pre.Donc je me permets de signaler Maitron que Jacques Sadoul avaitune fille, Moussia marie avec Albert Elissalt, armateur la pcheet vivant jusqu lan 2000, Saint Jean de Luz (Pyrnes atlantiques).Je parlerai de nouveau de Moussia Sadoul, quand je raconterai monmariage blanc avec Ella Raitz, qui faisait partie de la bande J. P . (Vernant) qui pratiquait le tout nouveau scandaleux nudisme,en 1939, lle du Levant.Durant lt 1917, Albert Thomas sous-secrtaire dtat lArtillerieet lquipement militaire dcida, en accord avec le gouvernementRibot-Painlev, de dtacher J. Sadoul auprs de la mission militairefranaise, comme observateur politique charg de transmettre sesobservations sur lvolution de la situation en Russie.Ainsi naquirent ces notes sur la Rvolution Bolchevique. les lireon peut penser que ce fut un excellent document pour pousser le partisocialiste ladhsion la Troisime Internationale, et lon comprendtrs bien que Lnine, lui-mme, lui ait demand de le faire publieren France, et de rompre avec le parti socialiste. Mais ce que lon voiten permanence cest aussi une dmonstration lumineuse de sondsir de tout faire, ou conseiller de faire, notre diplomatie, pourviter cette capitulation sans conditions que fut la paix de Brest-Litovsk qui librait lAllemagne sur tout son front Est.Sadoul, de toutes ses forces, demandait de ne pas soutenir LesBlancs ; ce que persistaient faire, Mission Militaire et Ambassade Moscou, ainsi que ltat-Major Paris.Aprs la parution Paris de ses notes sur la Rvolution Bolchevique(octobre 1919) avec une prface dHenri Barbusse, J. Sadoul futinculp de dsertion ltranger en temps de guerre, dintelligenceavec lennemi, de provocation de militaires la dsobissance,dembauchage de militaires franais dans une arme ennemie. Ilfut condamn mort et la dgradation militaire le 8 novembre1919 par le conseil de guerre de Paris. Pire que Dreyfus, mais parcontumace et pour lui aussi a sest arrang.Si je peux le rencontrer lautomne 1939, avec sa fille, Moussia, J.-P. Vernant, sa femme Lida, ma nouvelle pouse (blanche) Ella, Bordeaux, Grande rue Sainte Catherine prolonge, jai oubli lenumro (je nai aucune note) cest parce que depuis le dbut de laguerre, le 3 septembre 1939 il multiplie les contacts pour rectifierles normes mensonges qui ont entour le pacte Germano-Sovitique, et que je suis mobilis, depuis aot 1939, la base

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  • arienne de Bordeaux-Mrignac.J. Sadoul resta collaborateur des Isvestia (presse sovitique) jusquau17 aot 1939, date laquelle, daprs une note quil adressa le26 aot 1939 Marcel Cachin (et conserve dans les archivesMorizet) la direction du journal lui tlgraphia de cesserimmdiatement sa collaboration; il en concluait que le gouvernementsovitique avait dcid de rompre ds le 16 ou 17 aot lesngociations avec la France et lAngleterre. Il assurait Cachin que lepacte tait provisoire et que le devoir des communistes franaistait de rester sans merci contre lhitlrisme et de faire bloc derrirele gouvernement franais. Il critiquait svrement lattitude de ladirection du parti franais.Ce sont ces mmes explications quil nous fournit avec grandevhmence, Bordeaux, je lcoutais bouche be, nous assurer quele pacte Germano-Sovitique ne signifiait en rien une alliance, et nenous obligeait, en rien, soutenir les nazis.J.-P. Vernant, seul, ntait pas daccord, et comme jacceptaistotalement Sadoul, appelant les autres lappui, il me glissa enapart : il y en a qui ont desillres. Quelques jours aprs, heureux de mes certitudes, je me prcipitais Grenoble, pour rencontrer le groupe des lycens communistesque javais connu au lyce Champollion en fin 1937, pour lesinformer de ce que je pensais tre la vraie ligne du parti: jy rencontraiPierre Fugain, dont le nom est insparable de lhistoire de laRsistance dans la rgion, et de ses victoires. Je lui racontais cetterencontre avec Jacques Sadoul Bordeaux.Nous tions l, presque toute la bande J.-P. qui taient runisen aot 1939 lle du Levant : signaler la prsence de LopoldCdar Senghor, agrg de lettres, que mon pouse blanche EllaRaitz avait intgr au groupe avec une certaine dose dironie : ellese croyait la plus brune de toute la bande, triomphant trs volontiersde la pleur des autres; un matin, de la fentre qui donnait sur la courquelquun lui cria :- Il y a quelquun de plus noir que toi ! Viens voir ! Accourant dufond du couloir elle hurlait :- Pas possible, il faut que je le tue.Mettant le nez la fentre elle clata de rire en voyant ce noir,vraiment tout noir, qui avait tout entendu : assis mme le sol, iltournait vers la fentre un visage plutt hilare, et fit ds lors partiede la bande J.-P. Il y avait eu Bordeaux aussi un change que tout le monde par lasuite retint avec beaucoup de sourires : Cdar mavait demand,

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  • avec la trs grande prcision qui le caractrisait, la significationexacte du terme mariage blanc en insistant sur la totale libertsexuelle de mon pouse blanche .Vous pouvez imaginer la suite mticuleuse que ce grand grammairienfranais apportera son tude pratique. La petite fille de JacquesSadoul en rigole encore, Moussia, sa mre, lui avait racont monmariage blanc et son tude par Cdar.Senghor, dput dans la premire Assemble Constituante, aprs laLibration, fut charg de contrler la rdaction de la Constitution denotre quatrime Rpublique : il tait le seul capable dcrire en bonfranais. Quelques annes aprs il sera prsident de la Rpubliquedu Sngal et crera le mot Ngritude.J.-P. Vernant a raison, je me suis toujours et partout prsent commele fils de ma mre, et je continue ici, Saint Jean Cap Ferrat, chezGrace dAstier.Et au fils de ma mre, elle propose immdiatement un contact avecson mari, et cela, par un canal encore plus secret.Aprs deux ou trois nuits dans son htel, interdit de toute sortie,mais cajol mieux que ses chats siamois par ma mre Paris, elleme donne une filire Nice :Prs de la place Massna, au dbut de la Rue de France, il y a unegalerie librairie o je dois demander un Monsieur, dont jai oublile nom, qui doit me mettre en contact avec Many. Tout ce que je peuxen dire, cest quil arrive trs discrtement, il est sympathique, porteun grand chapeau mou, et un foulard autour du cou. Dehors il faitfrisquet.Il maccueille trs gentiment, ne me questionne pas : il suffit de melaisser parler, ce que trs naturellement je fais dabondance, et sansdiscrtion aucune. Nest-il pas lami de Grace dAstier ? Il regardesa montre, mexplique sa mthode: il va sortir seul, le premier, et nousne nous connaissons plus ; je le suivrai dans la foule huit ou dixpas en direction de lavenue qui, aujourdhui sappelle Jean Mdecin,comme si je voulais aller mattabler la grande terrasse dunebrasserie, qui, plus tard, deviendra Les Galeries Lafayette, l jecroiserai la silhouette gante et dgingande dEmmanuel dAstier,que je connais trs bien, et, sans lui adresser la parole, aprs quelquespas je reviendrai sa suite, toujours petite distance ; sil na rienremarqu de louche il rentrera dans la brasserie, je le suivrai etmassoirai sa table.Des annes aprs, je verrai cette mme figure sympathique sur unbouquin, avec chapeau mou et foulard, et que la galerie du dbutde la rue de France, tait la Galerie Romanin, la sienne.

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  • 4 - Lhomme se nommait Jean Moulin

    Ctait au tout dbut de janvier 1942, il venait dtre parachut enFrance, avec son microfilm, par lequel de Gaulle lui donnait missiondorganiser la Rsistance, il me prsentait dAstier : ainsi pourrais-je vous dire que Jean Moulin mavait fait entrer dans la RsistanceGaulliste, avant mme quelle nexistt, premier minuscule sous-marin communiste, non homologu, plutt rejet, un vritable anarchiste petit-bourgeois .

    Si tu avais su Henri Frenay ! Toi qui cherchais un vague pasteur deligues humanitaires pour prouver les louches frquentationsamricaines et communistes de Jean Moulin. Si tu avais pu papoteravec le Snateur Mac Carthy sur Eleanor Roosevelt et ses rseauxcommunistes en France mme Et dcouvrir que Grace dAstierntait pas seulement une mm chat ; peut-tre aussi, depuis quandet comment elle connaissait Jean Moulin, en tout cas avant sondpart pour Londres et quel rle avait t le sien dans mission etvoyage.

    Avec dAstier jallais parler, beaucoup parler, jallais tre son singede foire, son premier terroriste de France, Quil allait, en cachettecertes, montrer partout. Douzou ma dit avoir retrouv dans lesarchives du B.C.R.A. (je crois) mention dun commando ayantrejoint dAstier cette date. Moi? Un commando!! ! Plutt un blancduf battu en neige.

    Dans le dsordre de mes inadmissibles (pour les contrleurs descadres du parti, dont je ne suis pas) confidences, je vais essayer demettre de lordre. Et en enfant bien lev, poliment curieux, je lavaisdabord cout.

    Formidable : lui, fumeur dopium (comme mon pre) stait sevr,sevr tout seul, sans aucune aide mdicale. Voulant faire quelquechose il avait envisag le principal risque de la clandestinit :larrestation, la torture, et ce qui pouvait tout foutre en lair : Lesaveux.

    Une doctrine avait cours : compter les moutons, se concentrer surle comptage des moutons, sous les coups: un mouton, deux moutons,cent dix-neuf moutons Et la suite, dans le mutisme le plus complet.Une sorte dauto-hypnose, si lon veut bien se rfrer la dfinitionde lhypnose par lcole anglaise :

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  • Lhypnose est un dtournement de lattention. Compter les moutons,pas les coups.

    Many pensait pouvoir longtemps rsister ainsi aux coups, maisopiomane de longue date, il savait quil succomberait une privationdopium, et, en loques, parlerait. Ainsi, seul, sans assistance aucune,il avait cess de fumer, pour pouvoir agir. Il me disait a toutsimplement, pour me montrer que je pouvais avoir confiance enlui.

    Il savait que mon pre, lui aussi opiomane, (Grace tait venue Palmyre, visiter avec ma mre, les tribus bdouines, o sa blondeuravait dchan des passions) mavait offert de tirer sur la pipe, pourme rcompenser de lavoir, un jour, Palmyre en Syrie, aid planquer son kilo dopium, lors dune perquisition de la police, etque javais trs vivement refus de devenir esclave de cette drogue.

    Je crois quil tait plus fier de me dire son sevrage, dont mon preavait toujours t incapable, que sa cration dun mouvement deRsistance.

    Ainsi mis en confiance, moi de lui parler de moi.

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  • 5 - Mon 18 juin 1940, moi

    Ami, entends-tu le vol noir, des corbeaux, sur la plaine.

    Mut de Bordeaux-Mrignac, jtais soldat de deuxime classe,dans lescadrille de reconnaissance de lArme des Alpes.

    Aprs la chute de Paris (le 14 juin) notre unit stait replie, en bonordre, sur le petit village de Sablet, dans le Vaucluse, deux pas deVaison la Romaine, dans la dlicieuse rgion viticole de Gigondas,Vacqueiras, au pied de la chane des Dentelles de Montmirail : leParadis ne fait pas mieux. Les cerises bigarreaux, mures clater.

    Le maire de Sablet, en cette priode o Henri Amouroux dcomptera40 millions de Ptainistes, (population totale de la France, en 1940)avait reu du mieux possible notre unit ; au commandant de laVayssire, quil accueillait dans sa minuscule mairie, il avait prsentlhospitalit du village : Craignant que votre intendance ne suivepas bien, pour ce soir, toutes les familles du village recevront dner, selon leurs moyens, un ou deux soldats, soldats seulement, pasun seul grad, ni sous officier, ni officier .

    Dans cette France, o lHistoire dAmouroux oublie quil y avait lacensure, lopinion relle, lopinion publique, ne parlait que dunedbcle inimaginable des cadres officiers de toute notre arme,fuyant les premiers, en Traction Avant (la Citron, dernier cri) et sesaoulant au Champagne, alors quils abandonnaient leurs hommes,qui eux, pied ou en camions, ne se saoulaient quau Gros Rouge,les pauvres. Le lendemain, le mme maire, avait pri les mmessoldats, de deuxime classe, de bien vouloir soulager les cerisiersde leurs fruits trop mrs, les hommes du village tant au Front, oudj prisonniers, ne pouvant faire lindispensable cueillette ; maisencore une fois le maire demandait aux seuls simples soldatsdassumer cette dlicieuse corve.

    Ordre pass de rentrer pour 17 heures : rassemblement dans la courde lcole, on ne savait pas pourquoi. Nous revenions en dsordre,vivement indigns parce que, jaloux, plusieurs sous-officiers taientvenus casser des branches de cerisiers, pour nous en faire porter lafaute ; trs agits aussi dune imptueuse diarrhe que nous neparvenions pas contenir, dans cette petite cour qui ne comportaitquun seul cabinet la Turque. Dsastre dans toute la cour.

    Rassemblement dans la seule classe de lcole, pour couter le

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  • Marchal Ptain, parler de cesser le combat. Jen conclus, plus tard,que ctait le 17 juin 1940.

    En silence, plus ou moins au garde vous, nous avons cout. Ungars sest mis pleurer. Ctait un boy-scout. Je ne disais rien.Jobservais. Un gars dit :

    Quest-ce quon fout ici ? Quand est-ce quon sen va ?

    Puis plusieurs voix : ouais, quand est-ce quon se tire ? Merde ici,merde ici.

    Se sentant interpell, la cantonade, ladjudant-chef Deguinesvoulut nous faire taire, peut-tre saluer au garde vous une tristeMarseillaise.

    Ne croyez pas que vous serez mieux avec les Boches : ils vontvous mater, eux. Oui, ils vont vous mater, les boches . Avec unrictus de jouissance.

    Comme sil regrettait de ne pas avoir pu nous imposer une dictature,comme si dj, il reniflait des espoirs de collaboration , pournous mater. Pour nous mater, on nous annonait, sur le champ,notre dpart de Sablet, lantimilitarisme dltre.

    Le soir mme on dmnageait pour une base dans la nature,Travaillan, je crois, sans population, dans un camp abandonnprcipitamment par une autre unit daviation.

    Au matin, branle-bas de combat : tenue N 1, (je ne lavais jamaisporte depuis 1938, pour saluer, sur les Champs lyses, le Roi etla Reine dAngleterre) chaussures astiques, molletiresarchicontrles, en rangs, pour assister la messe ; une messe pourdemander pardon, pour nous, mais o lglise semblait, elle, clbrerson Te Deum de victoire. Pour la premire fois je maperois que nousavons un officier aumnier.

    Une, deux, une, deux, flanqus de nos sous-officiers on nous conduitvers un autel install sur la queue dun Potez 63, le dernier modlede notre aviation.

    Garde vous, le commandant de la Vayssire nous passe lentementen revue.

    Quand il arrive ma hauteur, je saute hors du rang, je salue lecommandant six pas, garde vous impeccable, tte bien droite,le regard fix droit devant moi : mon commandant, je ne dsire pasassister cette messe .

    Le commandant, un instant interloqu, couvre sa surprise, et dungeste trs noble, me montrant lun des baraquements abandonns :

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  • - Cest ton droit, tu peux te retirer.

    Nouveau salut six pas, nouveau garde vous, demi-tour droite,droite, je mloigne au pas gymnastique. De toute la guerre, je penseque cest mon seul vritable acte de courage, parce que spontan.Il ne ma valu aucune dcoration.

    Jexplique Many ma virulente indignation : depuis plusieurs jours,tous les journaux ne cessaient de nous comparer, nous les jeunesdaujourdhui , aux jeunes de 14 18, les poilus, les hrosNous ntions que des fainants, issus des premiers congs pays,fils aussi de lcole sans dieu et du Front Populaire.

    Voir ce prtre venir nous proposer de demander pardon, en nousmontrant le chemin de lglise, je comprenais Aubaine de ladfaite , je comprenais charognards et corbeaux sur les cadavresdes champs de bataille. Javais eu comme un flash dun clbretableau de Breughel, les corbeaux sur la neige en hiver . Quand,dbut 1944, au maquis de la Montagne Noire, jentendrai pour lapremire fois, la Radio Anglaise, ce prambule de ce qui allaittre baptis : Le Chant des Partisans

    Ami, entends-tu, le vol noir, des corbeaux, sur la plaine

    Je fus emball, et mempressai de faire partager, motion et jubilation mes copains : je me souvenais, je me sentais avec des amis,magnifiquement exprim, compris, aim : les auteurs de ce chantavaient ressenti les mmes vibrations que moi, le 18 juin 1940.Cest nous, qui brisons, les barreaux, des prisons, pour nos frres.Ctaient Blanchard et moi, avec Herv, finissant le huitime barreaudu Palais de Justice de Paris.

    Oh les tueurs la balle et au couteau tuez vite

    Ctaient Manuel et moi, presss de trouver notre premier officiernazi, si presss que nous ne voyons pas venir lheure du couvre-feu, et sommes enferms dans le commissariat de la rue Bonaparte,lui avec son poignard, moi avec le 6, 35 de ma mre. Le chant despartisans, ctait bien notre chant. L, dans la Montagne Noire, en1944, avec le groupe Armagnac, dont jtais un peu le cornac, trslocal, nous lavions adopt. Alors, en janvier 1942, je racontais dAstier, tout sur les dbuts du tout nouveau terrorisme dontparlaient presse et radio, et comme tout le monde, comme lui dAstieraussi, jexagrais bien inutilement mon propre rle, par exempleen affirmant avoir particip, moi-mme, certains coups dontjavais seulement connu dans le dtail lexcution ; a faisaitbeaucoup, beaucoup. Il minstalla dans un premier temps Antibes,chez un peintre nomm Girard, qui avait cr , on dira plus tard

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  • imagin un rseau que lon nommera Carte, dans lHistoirede la Rsistance. (Voir: Histoire de la Rsistance en France, Nogures,Degliame, Vigier, chez Robert Laffont, Tome II) Mais les servicesanglais lui avaient quand mme dlgu un officier traitant, et pasmal de fric. (On retrouve le rseau Carte dans lintroduction de celuiqui se fera appeler Guillain de Bnouville, et sera sur ses omissions au sujet de Hardy ; de plus Carte tait totalementcontre de Gaulle.).

    Totalement inculte en peinture, comme dans le reste, jaimaispourtant beaucoup ce quil faisait. Jadmirais encore plus ses troisfilles, trs belles et charmantes, mais auxquelles on avait dit quejtais tellement secret, quil ne fallait pas me parler. Elles neurentde cesse de me prsenter leur copine, la fille du docteur Lvy qui,lui, travaillait rellement, et efficacement avec les Anglais. Il y perdrala vie. Il mavait propos de mhberger quand Girard en auraitassez, mais jtais une coqueluche ; lune des filles Girard seraconnue dans le cinma sous le nom de Danile Delorme. Les autresaussi je crois, feront du cinma, mais jai oubli les noms.

    Cest curieux de devenir un singe de foire, bien poli, bien gentil.Jtais le premier et le seul terroriste sur la cte dAzur, mais sipeu terrifiant. Girard, tout fier de sa capture, dcida de me montrer Henri Matisse, le parrain de tout ce qui se voulait artiste sur lacte. Jaimais bien a, en attendant que Many et trouv qui memontrer Lyon, qui sera la capitale de la Rsistance Gaulliste, en cetteanne 1942. (Yvon Morandat, Georges Bidault, les Aubrac, PascalCopeau Ribire, etc.).

    Au Cap dAntibes, Matisse, Girard, et un autre peintre, invits partager le Grand Secret, sachant que jtais recherch sur fiche parla police, voulurent jouer les experts maquilleurs, en modifiant lesquilibres de mon visage, et par la mme action, participer une trsvibrante Rsistance. Jtais aux anges : maquill par Henri Matisse.

    Mais ce qui aujourdhui, en mars 2000, me monte au znith delHistoire, cest quand, de passage lAssemble Nationale, (invitpour une commmoration de copains fusills en 1942) au hasarddune lecture, je vois que lhymne Les Partisans, auquel chaquecrmonie, les autorits se recueillent, a t crit par Joseph Kesselet Maurice Druon, daprs un texte dEmmanuel dAstier de laVigerie, lequel a su magnifiquement interprter la narration de sonpetit singe de foire, que jintitule : Mon 18 juin 1940 moi. Le Chantdes partisans, 30 mai 1943.

    Depuis 1940, Anna Marly chante en Grande Bretagne pour les

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  • soldats, en franais, en anglais et en russe, sa langue maternelle.

    Emmanuel dAstier de la Vigerie a crit, sur lun de ses airs, lesparoles de La Complainte du Partisan, que je me permets, sansaucune concertation avec qui que ce soit, de rapprocher de la trsclbre complainte de maki dont sinspira en aot 1928, BertoltBrecht, pour son Opra de quatre sous jou au Thtre amSchiffbauerdam. Il les a proposes Andr Gillois, responsabledHonneur et Patrie, radio de la Rsistance franaise, pour lindicatifde sa premire mission, prvue pour le 17 mai.

    Un air inspir du folklore russe fut prfr. Siffl et non chant,simplement accompagn par le bruit feutr des pas sur les cordesbloques de la guitare. Cest la premire version du Chant desPartisans

    Aujourdhui, le journaliste Joseph Kessel, dorigine russe, en a crit,avec son neveu Maurice Druon, une version franaise destine la chanteuse Germaine Sablon, pour le film de propagande ThreeSongs About Rsistance .

    Les paroles nouvelles, plus denses, plus fortes que les premires,semblent maner directement des maquis :

    Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux dans la plaine ?Ami, entends-tu les cris sourds du pays quon enchane ?Oh ! Partisans, ouvriers et paysans, cest lalarme !Ce soir lennemi connatra le prix du sang et des larmes.

    Montez de la mine, descendez des collines, camarades !Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenadesOh ! Francs-tireurs, vos armes, vos couteaux ! Tirez vite.Oh ! Saboteur, attention ton fardeau : dynamite !

    Cest nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frres,La haine nos trousses et la faim qui nous pousse, la misre.Il y a des pays o les gens au creux des lits font des rvesIci, nous, vois-tu, nous, on marche, nous, on tue, nous, on crve.

    Ici, chacun sait ce quil veut, ce quil fait, quand il passeAmi, si tu tombes, un ami sort de lombre ta place.Demain, du sang noir schera au grand soleil sur les routes.Chantez, compagnons ! Dans la nuit la libert nous coute.

    Relisant le texte, Kessel murmure son neveu : cest peut-tre toutce qui restera de nous.

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  • 6 - Quarante millions de ptainistes

    Comme veut bien le dire Henri Amouroux, qui ntait pas l, etoublie quil y avait la censure.

    Mon 18 juin moi avait eu des tmoins, tous mes camaradesaligns en rangs pour assister la messe, mais aussi lofficier, dontjai oubli le nom, avec lequel je travaillais habituellement tenir jour, sur une immense carte de lItalie, son dispositif militaire ;mon travail consistait poser des punaises multicolores, et des brinsde laine coloris sur la carte, en accord soit avec les comptes rendusde notre Escadrille de reconnaissance de larme des Alpes , soitavec un bulletin quotidien que nous adressait le Deuxime Bureau.

    Je marquais ainsi toutes les installations militaires italiennes: casernes,cantonnements, hpitaux, bases de tir, hangars, approvisionnements,troupes, depuis les mulets, jusqu la quintessence de larmeitalienne : Les Chemises noires fascistes. Sans mtre jamaisquestionn sur la dfinition de la fonction de cet officier, je leconsidrais comme lofficier du Deuxime Bureau de notreunit.

    Trs peu aprs ma sortie des rangs, avant la messe sur le Potez 63,il avait son tour salu le Commandant de la Vayssire, et venait merejoindre dans le baraquement o javai