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 L’EMPLOI DE TERMES RÉDUITS COMME RÉ VÉLATEUR DE LA CENTRALITÉ DANS LE DOMAINE  Ma ri e- Pau le Jac qu es ERSS – Université Toulouse II le Mirail Toulouse, France. Résumé : On s’intéresse ici aux formes identiques à la tête d’un terme complexe qui peuvent être considérées comme un terme réduit, c’est-à-dire l’équivalent d’un terme complexe mais amputé de son expansion. En chiffrant les occurrences des deux types d’emploi de ces termes réduits, soit comme reprise anaphorique, soit sans antécédent textuel, on constate que certains se dispensent très volontiers de leur terme complexe source, tout en se présentant avec un déterminant défini. Nous expliquons ceci par la notion de centralité. Mots-clés : réduction de termes complexes, analyse en discours, centralité. 1 INTRODUCTION Ce n’est que récemment que les linguistes et terminologues se sont avisés de replacer les termes dans leur contexte et de s’intéresser à leurs usages en situation réelle de communication spécialisée. Ce faisant, il apparaît que les termes ne sont pas que des étiquettes pour des concepts, ce sont aussi des éléments des textes et des discours, donc des formations langagières plus malléables qu’on ne voulait le reconnaître d’abord. Et en tant que tels, les termes sont modifiés, raccourcis, tronqués, simplifiés, réduits. Précisément  parc e qu’il s sont immerg és dans un co- text e, dans un co nte xte qu i permet et la rédu cti on des term es, et l’interprétation de leurs formes réduites, cf.  Collet (2000), Freixa (2002).  Nou s prés ento ns ic i quel qu es-u ns de s résu lta ts ob ten us en an aly san t les phé no mèn es de réd uc tio n des termes complexes dans deux corpus de textes spécialisés. Le propos général de l’étude était de montrer comment l’immersion dans un discours permet d’omettre une partie a priori  essentielle d’un terme complexe – c’est-à-dire formé de plusieurs mots, comme par exemple contrôleur de carrefour , équipement de terrain , effort à la commande , réseau routier national , etc. Selon les contextes, de tels termes peuvent se voir réduits à leur tête ou à leur expansion (signalons que la réduction ne se limite pas à la suppression des constituants majeurs du terme complexe, mais nous choisissons de nous intéresser seulement à ces effacements). Dans cet article, nous nous focaliserons sur le premier type de réduction, qui ne laisse à la surface du texte que la tête d’un terme complexe, soit contrôleur , équipement , effort , réseau , pour les exemples cités plus haut. Nous nous attacherons à mettre en évidence des différences de comportement des termes complexes à l’égard de cette réduction, différences perceptibles sur le plan quantitatif et qui révèlent selon nous des statuts différents des notions dénommées au sein du domaine. La proposition que nous illustrerons est l’idée que, plus les formes réduites considérées sont autonomes dans les textes, plus les notions dénommées par les termes complexes correspondants sont centrales dans le domaine. Il va de soi qu’une telle étude n’est possible que par l’analyse de corpus textuels. Nous présenterons dans la section 2 ces corpus et la méthode d’analyse. La section 3 sera consacrée aux résultats chiffrés et à la défense de notre hypothèse, la section 4 proposera, en guise de conclusion, une réflexion sur ce que peut apporter une analyse textuelle du f onctionneme nt des terme s. 2 CORPUS ET MÉTHODE  Not re obj et d’étude rés ide pri nci pa leme nt dans l’a naly se des ph énomènes de rédu ct ion de ter mes complexes dans leur usage réel, c’est-à-dire dans les textes produits par et pour les experts de domaines spécialisés, dont le propos fait donc crucialement intervenir les notions et les dénominations propres aux domaines concernés. Afin de ne pas nous limiter à un seul domaine, nous avons mené notre étude sur deux corpus. Leur caractéristique commune est de servir une communication entre experts, mais ils proviennent

Jacques l’Emploi de Termes Réduits Comme Révélateur

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  • LEMPLOI DE TERMES RDUITS COMME RVLATEUR DE LA CENTRALIT DANS LE DOMAINE

    Marie-Paule Jacques

    ERSS Universit Toulouse II le Mirail

    Toulouse, France.

    Rsum : On sintresse ici aux formes identiques la tte dun terme complexe qui peuvent tre considres

    comme un terme rduit, cest--dire lquivalent dun terme complexe mais amput de son expansion. En chiffrant les occurrences des deux types demploi de ces termes rduits, soit comme reprise anaphorique, soit sans antcdent

    textuel, on constate que certains se dispensent trs volontiers de leur terme complexe source, tout en se prsentant

    avec un dterminant dfini. Nous expliquons ceci par la notion de centralit.

    Mots-cls : rduction de termes complexes, analyse en discours, centralit.

    1. INTRODUCTION

    Ce nest que rcemment que les linguistes et terminologues se sont aviss de replacer les termes dans leur contexte et de sintresser leurs usages en situation relle de communication spcialise. Ce faisant, il apparat que les termes ne sont pas que des tiquettes pour des concepts, ce sont aussi des lments des textes et des discours, donc des formations langagires plus mallables quon ne voulait le reconnatre dabord. Et en tant que tels, les termes sont modifis, raccourcis, tronqus, simplifis, rduits. Prcisment parce quils sont immergs dans un co-texte, dans un contexte qui permet et la rduction des termes, et linterprtation de leurs formes rduites, cf. Collet (2000), Freixa (2002).

    Nous prsentons ici quelques-uns des rsultats obtenus en analysant les phnomnes de rduction des termes complexes dans deux corpus de textes spcialiss. Le propos gnral de ltude tait de montrer comment limmersion dans un discours permet domettre une partie a priori essentielle dun terme complexe cest--dire form de plusieurs mots, comme par exemple contrleur de carrefour, quipement de terrain, effort la commande, rseau routier national, etc. Selon les contextes, de tels termes peuvent se voir rduits leur tte ou leur expansion (signalons que la rduction ne se limite pas la suppression des constituants majeurs du terme complexe, mais nous choisissons de nous intresser seulement ces effacements). Dans cet article, nous nous focaliserons sur le premier type de rduction, qui ne laisse la surface du texte que la tte dun terme complexe, soit contrleur, quipement, effort, rseau, pour les exemples cits plus haut. Nous nous attacherons mettre en vidence des diffrences de comportement des termes complexes lgard de cette rduction, diffrences perceptibles sur le plan quantitatif et qui rvlent selon nous des statuts diffrents des notions dnommes au sein du domaine. La proposition que nous illustrerons est lide que, plus les formes rduites considres sont autonomes dans les textes, plus les notions dnommes par les termes complexes correspondants sont centrales dans le domaine.

    Il va de soi quune telle tude nest possible que par lanalyse de corpus textuels. Nous prsenterons dans la section 2 ces corpus et la mthode danalyse. La section 3 sera consacre aux rsultats chiffrs et la dfense de notre hypothse, la section 4 proposera, en guise de conclusion, une rflexion sur ce que peut apporter une analyse textuelle du fonctionnement des termes.

    2. CORPUS ET MTHODE

    Notre objet dtude rside principalement dans lanalyse des phnomnes de rduction de termes complexes dans leur usage rel, cest--dire dans les textes produits par et pour les experts de domaines spcialiss, dont le propos fait donc crucialement intervenir les notions et les dnominations propres aux domaines concerns. Afin de ne pas nous limiter un seul domaine, nous avons men notre tude sur deux corpus. Leur caractristique commune est de servir une communication entre experts, mais ils proviennent

  • de domaines diffrents et de canaux de publication diffrents : le corpus professionnel appartient au domaine de la gestion des dplacements et est constitu de textes professionnels diffusion restreinte ; le corpus sport-loisir appartient au domaine du vol libre et est constitu darticles de magazines spcialiss diffusion non restreinte : tout un chacun peut se les procurer dans nimporte quelle librairie.

    Ces deux corpus ont t analyss avec Syntex (Bourigault et al. 2005), qui produit, entre autres rsultats, une liste de candidats termes simples et complexes. Parmi ceux-ci, nous avons choisi une centaine de termes complexes dans le corpus professionnel et une quarantaine dans le corpus sport-loisir, en privilgiant deux critres pour le choix des termes analyser : la frquence et le partage de la tte avec un autre terme. En effet, pour la comprhension des mcanismes de rduction, il savre plus pertinent danalyser les situations dans lesquelles une certaine forme est susceptible de renvoyer plus dun terme complexe, car ces situations permettent de cerner pourquoi et comment le locuteur dun domaine spcialis, en un certain point de son discours, peut se dispenser de la part dinformation contenue dans llment effac du terme complexe. Par exemple, dans le corpus professionnel, un seul terme, contrleur de carrefour, comporte comme tte syntaxique le mot contrleur. De ce fait, lemploi de ce mot seul renvoie immanquablement au terme contrleur de carrefour :

    [1] Au PC Capitoul, la rgulation en mode automatique mise en uvre par Capitoul consiste, zone par zone, : [] envoyer chaque contrleur concern les commandes correspondant aux plans de feux []

    Comme il ny a aucune autre possibilit, le scripteur na sentourer daucune prcaution particulire, linterprtation est en quelque sorte garantie par lunicit du terme source potentiel. Mais pour le linguiste ou le terminologue soucieux de saisir le fonctionnement langagier des termes complexes et leurs modalits de rduction, une telle situation nest gure informative.

    Plus riche dinformations est en revanche le cas de figure dans lequel une forme simple correspond la tte de plusieurs termes complexes, comme toujours dans le corpus professionnel le mot dossier qui peut renvoyer dossier [davant-projet sommaire], dossier [de consultation des entreprises], dossier [de voirie dagglomration], dossier [dtudes prliminaires] ou encore dossier [dexploitation]. En ce cas, lorsque le mot dossier apparat sans aucune expansion (lexpression entre crochets), le discours doit comporter les moyens dune interprtation correcte. Celle-ci est coup sr obtenue si la forme simple fait suite une mention du terme complexe, cest--dire si elle est anaphorique :

    [2] Le dossier dexploitation est transmis [] au plus tard trois semaines avant la date prvue de dbut du chantier. Ce dossier est tabli en deux exemplaires, dont un est conserv par le gestionnaire de la voirie.

    Mais, et cette situation est la plus intrigante, il peut arriver que la forme simple soit employe hors reprise anaphorique, non pour voquer la notion hyperonyme, mais bien avec la valeur dfinie par lun des termes complexes du domaine. On trouvera par exemple :

    [3] Les donnes de trafic sont recueillies en temps rel au moyen de stations de comptages rgulirement rparties sur lensemble du rseau.

    o rseau doit tre compris comme rseau de lagglomration (toulousaine), sans cependant que ce terme apparaisse antrieurement.

    Afin de dterminer comment le co-texte restitue cette valeur, afin de saisir les diffrents mcanismes luvre, nous avons analys manuellement toutes les occurrences de formes simples identiques la tte dune srie de termes complexes (par exemple bulletin, chantier, comit, dossier, quipe, quipement, rseau, systme pour le corpus professionnel ; aile, appui, ascendance, bord, effort, fermeture pour le corpus sport-loisir).

    Sans dtailler ici tous les aspects de lanalyse, il faut prciser que chaque occurrence a donn lieu un classement : il faut dabord dterminer si elle a ou non la valeur dun terme complexe ce que nous apprcions principalement par la possibilit de substituer le terme complexe loccurrence, cf. Jacques (2003a), Jacques (2003b) , si oui, nous la considrons comme un terme rduit et nous la relions son terme complexe source ; ensuite dterminer si le terme complexe source est prsent dans lenvironnement du terme rduit ou non. Si oui, nous parlons de reprise anaphorique (RA), si non, de termes rduits sans

  • antcdents textuels (TSA). Nous nous intressons dans la section qui suit quelques caractristiques remarquables de ces deux catgories, en prsentant une partie des rsultats de lanalyse.

    3. RSULTATS DE LANALYSE

    Commenons par des rsultats chiffrs. Le tableau qui suit indique, pour chaque corpus, le nombre doccurrences de reprises anaphoriques (RA), le nombre doccurrences de termes rduits sans antcdents (TSA) et le total de ces deux catgories, cest--dire le nombre total doccurrences de termes rduits analyses. Dans la dernire colonne, nous mentionnons titre indicatif le nombre doccurrences des termes complexes correspondants.

    RRA TSA Total Termes complexes

    Corpus professionnel

    313 675 988 (35 %) 1822 (65 %)

    Corpus sport-loisir 56 185 241 (28 %) 615 (72 %)

    Total 369 860 1229 (34 %) 2437 (66 %)

    Tableau 1 : Nombre doccurrences analyses

    Ce tableau fait apparatre deux faits dimportance. Premirement, la rduction des termes nest pas un phnomne marginal dans les textes, il ne sagit pas ici de quelques occurrences isoles, mais bien dun mcanisme systmatique. Deuximement, la reprise anaphorique est finalement beaucoup moins prsente que la rduction en labsence du terme complexe source : seulement 30 % des occurrences de termes rduits sont des RA. Et lon verra plus loin que cette disproportion globale saccentue encore pour certains termes, et ce dans les deux corpus. Mais avant dentrer dans ces considrations, analysons les indices par lesquels ces diffrents termes rduits peuvent tre interprts convenablement, cest--dire les indices par lesquels un expert du domaine est capable de relier une forme simple un terme complexe source.

    3.1. Des indices pour linterprtation des formes rduites

    Lorsque le terme rduit suit de prs le terme complexe source, son interprtation repose sur une mise en relation avec son antcdent. Une imposante littrature linguistique sur lanaphore et la rfrence Apothloz (1995a), Apothloz (1995b), Charolles (2002), Corblin (1987), Corblin (1995), Cornish (2001), Cornish (2003), de Mulder (1994), Kleiber (1986), Reichler-Bguelin (1988) met le dterminant de lexpression anaphorique au premier rang des moyens par lesquels cette mise en relation est assure. Effectivement, dans les deux corpus, la reprise anaphorique apparat massivement avec un dterminant dfini ou un dmonstratif (78 % des RA dans le corpus professionnel, 56 % dans le corpus sport-loisir) qui signalent une certaine accessibilit du terme complexe. Le terme rduit, bien quincomplet, rcupre de cette faon la valeur smantique et rfrentielle du terme complexe antcdent.

    Lorsque le terme rduit est employ sans mention antrieure du terme complexe, une telle opration de rcupration via un antcdent est impossible. Le co-texte et le contexte de loccurrence du terme rduit jouent alors un rle majeur : ils dlimitent un cadre dans lequel une certaine interprtation de la forme est plausible. La mise en place de ce cadre interprtatif repose tout la fois sur des indices locaux tels que :

    - la structure verbale dans laquelle le terme rduit est enchss ;

    - le lexique environnant ;

    - le thme du paragraphe ou de la section,

    et sur des indices plus globaux tels que :

    - la thmatique globale du document ;

  • - la centralit du rfrent du terme dans le domaine.

    La centralit du rfrent renvoie au fait que, dans une sphre dactivits donne, certains rfrents sont plus au centre des proccupations des locuteurs de cette sphre dactivit que dautres rfrents (par exemple, ascendance thermique est une notion centrale dans le domaine du vol libre). Nous montrerons dans la prochaine section que nous la dduisons des types demplois des termes rduits dans les textes et que nous en faisons le motif dune interprtation par dfaut de la forme rduite, interprtation par dfaut qui peut tre annule par les indices prsents la surface du texte.

    La structure que le terme rduit forme avec le verbe de la phrase renseigne le lecteur sur sa rfrence.

    [4] Linversion demande 3 secondes. [corpus sport-loisir]

    Dans cette phrase, linversion a la valeur du terme inversion de virage, ce qui apparat nettement ds lors quon la rapproche de lextrait suivant :

    [5] Linversion de virage demande 2,5 s 30 km/h et 30 dinclinaison. [corpus sport-loisir]

    De manire tout aussi vidente pour les locuteurs du domaine, le lexique environnant loccurrence dtermine sa valeur sans ambigut. Dans lexemple suivant, cest lautre valeur de linversion, linversion de temprature, qui est vise, ce quun expert du domaine saisit la lecture de la combinaison du terme rduit avec laltitude.

    [6] En conclusion, cette journe du 10 aot a t exceptionnelle en montagne grce la conjonction de conditions anticycloniques pas trop bloquantes et dune forte chaleur en basses couches, permettant aux ascendances de dpasser largement laltitude de linversion. [corpus sport-loisir]

    Au-del du lexique, la thmatique du co-texte joue aussi un rle primordial. Par exemple, dans lextrait suivant, le titre recle un indice pour linterprtation dun dossier :

    [7] Rdaction de lAPS relative aux quipements terrain [titre]

    Pour ce qui concerne les quipements terrain, leur identification est dj pratiquement connue. Le travail accomplir est donc essentiellement de monter un dossier dfinissant les spcifications techniques minimums, des schmas dimplantation et une approche financire. [corpus professionnel]

    Sachant que le thme de cette section est la rdaction dun Avant-Projet Sommaire (APS), le dossier en question est un dossier davant-projet sommaire et non un dossier dexploitation ou un dossier de consultation des entreprises.

    un autre niveau, plus loign de loccurrence elle-mme du terme, le thme global du document est un facteur dinterprtation primordial. Par exemple, dans les documents du corpus professionnel consacrs la mise en place dun systme dit systme Erato pour la gestion dune partie du rseau routier appele rseau Erato, on trouve 111 occurrences de rseau sans antcdent textuel. Sans surprise, 86 de ces occurrences sont la rduction du terme rseau Erato.

    Le thme global du document fait de lun des termes un lment central, ce qui est marqu par labondance des rfrences ce terme au moyen de descriptions sous-spcifies, cest--dire des occurrences de la tte du terme complexe sans antcdent textuel auquel se raccrocher . Nous pensons que, dans ce cas, la forme est traite au moyen dune interprtation par dfaut qui serait tant donn lunivers de discours construit par le texte, la forme le N renvoie, par dfaut, au terme complexe N-Y , cest--dire, par rapport lexemple utilis ci-dessus : tant donn que le document concerne au premier chef la mise en place du systme Erato, la forme le rseau renvoie, par dfaut, au terme complexe le rseau Erato , et ce, parce que le rseau Erato est, dans ces documents, un lment central :

    Il faut prciser que ce statut [de centralit] prsente lui aussi, mais un autre niveau, un caractre contingent : un objet nest bien sr pas central en soi ; il ne lest que dans le cadre dun texte donn, ou dun secteur de ce texte. La proprit de centralit est lie un projet de signification. (Apothloz 1995b : 316).

  • Il nest pas anodin de constater que, malgr labsence du terme complexe source, la majorit de ces occurrences est dtermine par un article dfini (72 % pour le corpus professionnel, 52 % dans le corpus sport-loisir). Celui-ci constitue une indication au lecteur que la valeur de loccurrence est aise rcuprer, autant que pour une reprise anaphorique, et ce parce que le rfrent est aussi saillant que sil venait dtre voqu par un terme complexe explicite. Ceci sexplique si lon considre quune sphre dactivit donne privilgie certaines de ses notions spcifiques.

    3.2. Les termes rduits sans antcdent textuel : un rvlateur de la centralit dans le domaine

    Nous proposons dtendre ces deux notions de centralit du rfrent et dinterprtation par dfaut au domaine, plus prcisment la sphre dactivit elle-mme. Notre analyse met en lumire que, pour certains des termes complexes de chacun des deux domaines, il existe dans les textes un usage prpondrant du terme rduit soit comme reprise anaphorique, soit sans antcdent textuel. Le tableau suivant ne fournit pas une liste exhaustive de nos dcomptes, celle-ci est prsente dans Jacques (2003a), mais donne, pour certains termes, le nombre doccurrences du terme complexe, de la reprise anaphorique et du terme rduit sans antcdent textuel correspondant.

    tterme complexe RA TSA

    Corpus professionnel

    camras de terrain 2 0 16

    chantier courant 7 10 0

    chantier non courant 5 5 0

    contrleur de carrefour 84 33 15

    quipement de terrain 55 20 82

    exploitation de la route 38 12 81

    rseau (urbain) de surface 16 0 1

    rseau de lagglomration 1 0 7

    rseau Erato 28 5 89

    rseau informatique 3 0 7

    rseau routier 40 9 114

    systme Capitoul-2 28 5 64

    systme Erato 88 23 31

    Corpus sport-loisir

    ascendance dynamique 1 0 0

  • ascendance thermique 14 44 77

    effort la commande 24 4 50

    effort en virage 16 0 0

    fermeture asymtrique 9 1 18

    fermeture frontale 4 0 0

    inversion de temprature 3 3 6

    inversion de virage 26 0 5

    Tableau 2 : chantillon de la rpartition de termes rduits entre reprises anaphoriques et termes rduits sans antcdent textuel

    Par exemple, dans le corpus professionnel, la forme rduite de camras de terrain (donc camras), nest jamais employe dans un co-texte de reprise anaphorique, mais toujours dans un co-texte o le terme nest pas exprim. linverse, chantier (s), forme rduite de chantier courant ou de chantier non courant, napparat que dans des cotextes de reprise anaphorique. Pour les termes rseau routier, rseau Erato, quipement de terrain, exploitation de la route, systme Capitoul-2 ou encore systme Erato, les deux types doccurrences, comme reprise anaphorique ou sans antcdent textuel, peuvent tre observes dans les textes, mais avec une supriorit quantitative trs nette des secondes.

    De mme, dans le corpus sport-loisir, le terme rduit ascendance comme rduction du terme complexe ascendance thermique est utilis prfrentiellement sans antcdent textuel. La notion dnomme fermeture asymtrique est plus volontiers dsigne par le terme rduit sans antcdent textuel quen situation de reprise anaphorique, cependant que la forme fermeture nest jamais employe pour un autre terme du domaine, fermeture frontale. Dit autrement, lorsque le scripteur des textes analyss parle de fermeture asymtrique, il emploie soit le terme complexe, soit fermeture, ce dernier prfrentiellement la place du terme complexe, rarement pour une anaphore. Mais lorsquil voque la fermeture frontale, alors il emploie toujours le terme complexe, jamais une forme rduite. On pourrait faire le mme type de remarque pour effort la commande et effort en virage : le premier peut tre simplement voqu par le terme leffort alors que le second est toujours mentionn avec tous ses constituants.

    Nous voyons cette diffrence demploi comme un indice de la position du rfrent du terme dans le domaine : plus lentit dnomme par le terme est centrale, cest--dire fait lobjet des proccupations des locuteurs du domaine, plus ceux-ci auront tendance rduire le terme, quel que soit son contexte demploi. Et sils se permettent dliminer les lments de spcification du terme complexe, cest parce que la forme rsultante sera interprte par dfaut comme correspondant ce terme, comme si elle tait univoque, comme, par exemple, contrleur qui ne renvoie, dans le corpus professionnel, qu un terme complexe du domaine, contrleur de carrefour. Dans la sphre dactivit de ces locuteurs, voquer par exemple le rseau sous-entend quune des sortes de rseau possibles simpose par dfaut comme le rseau, et ce dautant plus lorsque sont prsents dans le co-texte des indices qui confortent cette interprtation par dfaut, tels ceux que nous avons prcdemment mis en lumire. Par exemple, il apparat que le rseau sans expansion et sans antcdent textuel est essentiellement utilis pour une rfrence au rseau routier (114 occurrences).

    De mme, dans le domaine du vol libre, parler de lascendance, cest signifier que lune des notions qui peut tre dsigne par ce syntagme nominal, lascendance thermique, est centrale dans le domaine. Quand le rfrent dsign occupe dans le domaine une place plus centrale quun autre rfrent qui pourrait tre voqu par le mme terme rduit, il devient presque redondant de raliser le constituant qui en explicite les traits distinctifs.

  • Mais, nous lavons montr dans la section prcdente, cette interprtation par dfaut peut tre annule. Que le document ou la section du document concerne une thmatique qui se focalise sur une autre entit que celle qui apparat comme tant plus centrale dans le domaine, et cest celle-ci qui constitue alors le rfrent activ prfrentiellement. Cest ce qui explique que, dans certains documents du corpus professionnel, on ait davantage doccurrences de le rseau pour dnoter le rseau Erato que pour dnoter le rseau routier. De la mme manire, dans certains documents, le systme renvoie au systme Erato alors que dans dautres documents, cette mme expression le systme renvoie au systme Capitoul-2.

    Malgr les videntes possibilits dorienter la lecture dune occurrence particulire, il demeure que, selon la sphre dactivit, un terme rduit recevra prfrentiellement une certaine interprtation. La preuve en est que, si lon inscrit le propos dans une autre activit, la mme forme recevra une autre interprtation. Dans des textes de la Semvat (responsable au moment de ltude des transports en commun de lagglomration toulousaine), on rencontre aussi le rseau, utilis hors situations de reprise anaphorique, sans antcdent textuel. Mais, pour la Semvat, le rseau nest aucunement le rseau routier ou le rseau Erato, cest le rseau de transports en commun. Rien ninterdit a priori que, dans dautres domaines encore, le rseau puisse tre, par dfaut, le rseau deau potable, le rseau lectrique, le rseau informatique, etc.

    Autre exemple, dans le domaine couvert par le corpus sport-loisir, une forme comme lactivit, sans plus de prcision, renvoie la notion dactivit thermique. Mais dans la sphre de la volcanologie, lactivit est volontiers lactivit volcanique (merci A. Josselin-Leray pour cette prcision, cf. Josselin-Leray et Roberts 2004, pour une analyse des termes de volcanologie).

    Formulation elliptique et interprtation par dfaut se joignent pour faire reposer sur le domaine de connaissance une part non ngligeable de la signification. Celui-ci promeut un rfrent (ou une srie de rfrents) au rang dlment cognitivement saillant, quasiment constamment accessible, ou tout au moins facilement rcuprable la moindre vocation de la tte du terme correspondant. Il est donc clair que la formulation elliptique ne peut fonctionner convenablement que tant que les textes circulent dun expert un autre expert de la mme sphre dactivit, cest--dire dun locuteur pourvu de connaissances approfondies, non seulement du domaine, mais de ses habitudes langagires, un autre locuteur en tous points similaire. Ds que les textes sortent de ce circuit o la connaissance partage autorise de plus en plus de sous-spcifications et dimplicite, les formes que nous reconnaissons comme termes rduits tendent sopacifier.

    Lemploi de termes rduits sans antcdent textuel peut aussi tre vu comme une marque de la connivence qui existe entre locuteurs dune mme sphre dactivit. Leur expertise, la connaissance des habitudes langagires du domaine, en un mot les connaissances partages par ces locuteurs, sont autant de facteurs qui favorisent ce type demploi de termes rduits. Ces connaissances darrire-plan supposes communes sont ainsi dcelables en creux dans le texte : elles concernent tout ce qui nest pas explicitement exprim et quil faut cependant mobiliser dans llaboration du discours.

    4. CONCLUSION

    Nous avons dans cet article essay de montrer que certaines occurrences de formes simples ayant la valeur dun terme complexe permettent dapprcier des diffrences de statuts des notions dun domaine. En nous basant sur la comparaison quantitative de ces formes employes comme reprise anaphorique ou employes sans antcdent textuel, nous avons mis en vidence que, contrairement ce quoi on pourrait sattendre, les locuteurs dun domaine privilgient les formes du type le N sans antcdent textuel. Nous y voyons lindice du caractre central de la notion dans le domaine, grce quoi une interprtation par dfaut de la forme est possible.

    Ce type danalyse claire selon nous dun point de vue diffrent la recherche terminologique, qui converge avec la proposition de terminologie textuelle de Bourigault et Slodzian (1999). Si lon peut, dans une certaine mesure, saffranchir des textes spcialiss pour certaines tudes (par exemple la morphologie des termes ou les procds nologiques), lanalyse des cotextes demploi des termes sous leurs diverses

  • formes permet datteindre un niveau qui nest plus seulement celui de la notion brute ou de sa dnomination, mais le niveau du discours. Et celui-ci, par les traces doprations langagires quil recle, reflte des oprations cognitives, des traitements diffrencis de certaines notions. Cest l une voie daccs nouvelle aux domaines spcialiss, leurs systmes linguistiques et notionnels.

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