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N 243 AVRIL 2010

LASERdpasser les frontires

La rvoLution

Safran et le CNRS : un got commun pour la recherche

INNoVAtIoN Entretien avec Jean-Paul Herteman

sommaireVIE DES LABOS

SOMMAIRE

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P. 6.

> REPORTAGELe journal du CNRS1, place Aristide-Briand 92195 Meudon Cedex Tlphone : 01 45 07 53 75 Tlcopie : 01 45 07 56 68 Ml. : [email protected] Le journal en ligne : www2.cnrs.fr/presse/journal/ CNRS (sige) 3, rue Michel-Ange 75794 Paris Cedex 16 Kaksonen/CNRS Photothque/EDF L. Kristensen /Fotolia

Les maisons colos du futur > ACTUALITS P. 8 Les derniers rsultats de la recherche > MISSION P. 13 lassaut des humeurs du Soleil INNOVATION P. 14 Un got pour la recherche Entretien avec Jean-Paul Herteman PAROLE DEXPERT P. 16 Gitans : halte aux ides reues Entretien avec Marc Bordigoni JEUNES CHERCHEURS P. 17 Lexploratrice du cerveau Portrait de Carine Karachi LENQUTE P. 18

Directeur de la publication : Alain Fuchs Directrice de la rdaction : Marie-Hlne Beauvais Directeur adjoint de la rdaction : Fabrice Impriali Rdacteur en chef adjoint : Matthieu Ravaud Chefs de rubrique : Fabrice Demarthon Charline Zeitoun Rdactrice : Anne Loutrel Assistante de la rdaction et fabrication : Laurence Winter Ont particip ce numro : Kheira Bettayeb Julien Bourdet Jean-Philippe Braly Patricia Chairopoulos Caroline Danglant Christian Debraisne Denis Delbecq Sebastin Escaln Grgory Flchet Mathieu Grousson Stphan Julienne Xavier Mller Marion Papanian Vah Ter Minassian Philippe Testard-Vaillant Graldine Vron Secrtaire de rdaction : Anne-Solweig Gremillet Conception graphique : Cline Hein Iconographe : Cecilia Vignuzzi Couverture : F. Vrignaud/CNRS Photothque ; F. Pitchal/SAFRAN Photogravure : Scoop Communication Impression : Imprimerie Didier Mary 6, route de la Fert-sous-Jouarre 77440 Mary-sur-Marne ISSN 0994-7647 AIP 0001309 Dpt lgal : parution Photos CNRS disponibles : [email protected] http://phototheque.cnrs.fr/La reproduction intgrale ou partielle des textes et des illustrations doit faire obligatoirement lobjet dune demande auprs de la rdaction.

VIE DES LABOS > Une explication pour le paradoxe franais, p. 12

VIE DES LABOS > Les maisons colos du futur, p. 6

La rvolution

LASERRcit dune dcouverte lumineuse Des lasers tout faire Dautres promesses pour demain > 19 > 22 > 25 NASA/Debbie McCallum

ZOOM P. 28. Jeux de mains Borno RENCONTRE AVEC P. 31. Une philosophe trs romanesque Portrait de Gwenalle Aubry, Prix Femina 2009 IN SITU P. 32 Une vraie dynamique sest cre Entretien avec Jacqueline Lecourtier, directrice gnrale de lAgence nationale de la recherche (ANR) C. Lebedinsky/CNRS Photothque

HORIZON P. 36 En route vers une nouvelle physique Entretien avec Michel Spiro, prsident du conseil du Cern GUIDE P. 38 Le point sur les livres, les expos, les manifestations, les filmsLe journal du CNRS n 243 avril 2010

HORIZON > En route vers une nouvelle physique, p. 36

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CLATS

Philippe Baptiste la tte des sciences informatiquesPhilippe Baptiste a t nomm directeur par intrim de lInstitut des sciences informatiques et leurs interactions (INS2I) du CNRS, le 25 fvrier dernier, par Alain Fuchs, prsident de lorganisme. Il remplace Michel Habib, dmissionnaire. Directeur de recherche au CNRS et professeur charg de cours lcole polytechnique, dont il dirige le Laboratoire dinformatique 1, Philippe Baptiste est directeur adjoint scientifique de lINS2I depuis septembre 2009. Ses travaux de recherche en thorie de lordonnancement, en optimisation combinatoire et en recherche oprationnelle, publis dans une quarantaine de revues internationales, ont t rcompenss par plusieurs prix. Membre du Comit national de la recherche scientifique de 2004 2008 (section 7), Philippe Baptiste a aussi men de nombreux partenariats avec des industriels comme Microsoft, Ilog, Thales ou Eurocontrol. Il a galement cr, avec Youssef Hamadi, la chaire Optimisation et dveloppement durable runissant le CNRS, Microsoft et lcole polytechnique.1. Laboratoire CNRS / cole polytechnique.

L V N E M E N T

Jol Bertrand et Xavier Inglebert directeurs gnraux du CNRSLes deux directeurs gnraux du CNRS viennent dtre nomms par Alain Fuchs, prsident de lorganisme : Jol Bertrand occupe cette fonction en tant que dlgu la science depuis le 25 fvrier et Xavier Inglebert en tant que dlgu aux ressources du CNRS depuis le 15 mars. Ces deux fonctions ont t cres lors des dcrets ministriels des 1er novembre et 29 octobre 2009. Avec le prsident Alain Fuchs, ils forment tous les trois le nouveau directoire du CNRS. Jol Bertrand sera prsent, aux cts du prsident de lorganisme, en charge de la coordination des dix instituts du CNRS, de linterdisciplinarit et des partenariats. Mdaille de bronze du CNRS en 1986, et directeur de recherche du CNRS depuis 1989, Jol Bertrand, galement matre s sciences conomiques, est devenu en 2001 directeur du laboratoire de gnie chimique 1, puis directeur du RTRA Sciences et technologies pour laronautique et lespace en 2007 . Quant Xavier Inglebert, agrg dhistoire en 1986, enseignant pendant huit ans, puis lve lcole nationale dadministration, il a occup des postes de sous-prfet sur le terrain pendant plusieurs annes entre 1996 et 2007 . Rapporteur la Cour des comptes de 2000 2002, cet administrateur civil hors classe occupait avant sa nomination le poste de sous-directeur de ladministration gnrale et des finances au ministre de lIntrieur. Il prolongera laction dirigeante du prsident du CNRS dans le domaine des ressources humaines et financires.1. Unit CNRS / INP Toulouse / Universit Toulouse-III.

C. Lebedinsky/CNRS Photothque

Jol Bertrand

Xavier Inglebert

N. Tiget/CNRS Photothque

LE SUCCS SCIENTIFIQUE

Une molcule prometteuse contre le sidaUne molcule capable dempcher le passage du VIH dune cellule une autre a t mise au point par des chercheurs de lInstitut de biologie structurale JeanPierre-Ebel 1, en collaboration avec des scientifiquesVirus du sida la surface dun lymphocyte T4 infect.

UNE MATHMATICIENNE FEMME DE LANNELa mathmaticienne Alessandra Carbone, professeur au dpartement informatique de luniversit Pierre-et-Marie-Curie et responsable du laboratoire Gnomique des micro-organismes 1, a reu le Prix Irne-Joliot-Curie de la femme scientifique de lanne, le 8 mars dernier. Le jury de la 9e dition de ce prix, qui rcompense trois femmes dans trois catgories diffrentes, tait prsid par Franoise Barr-Sinoussi, Prix Nobel de mdecine 2008. Alessandra Carbone a t distingue pour avoir apport une contribution personnelle remarquable dans le domaine de la recherche en France. Chacune des laurates a reu une dotation de 10 000 euros.1. Laboratoire CNRS / UPMC.

Ch.Dauguet/CNRS Photothque

italiens et espagnols. Elle permet de bloquer le rcepteur DC-SIGN, prsent la surface de certaines cellules immunitaires (les cellules dendritiques) et utilis par le VIH pour envahir lorganisme dans les premiers temps de linfection. Trs soluble dans le milieu physiologique, non toxique et dote dune structure assez simple, la molcule a dmontr son

efficacit in vitro. Les chercheurs souhaitent maintenant entamer des tests prcliniques sur des modles animaux. Cette dcouverte brevete par le CNRS et luniversit Joseph-Fourier savre dautant plus importante que la substance pourrait contrer dautres pathognes utilisant le rcepteur DC-SIGN, comme les virus de lhpatiteC, de la dengue ou Ebola, la bactrie Mycobacterium tuberculosis et certains parasites.1. CNRS / Universit Joseph-Fourier / CEA.

> www2.cnrs.fr/presse/communique/1829.htm

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

Andr DucassePrsident du ple de comptitivit ALPhA-Route des Lasers Vice-prsident du Comit national des 50 ans des lasers

edito dito

DITO

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Mais au moment o les applications du laser envahissent la plupart des secteurs industriels, on ne peut se dispenser dune rflexion B. Hugard

sur notre faon dexploiter les avances de nos laboratoires dans ce domaine. La Commission europenne a plac la photonique dans les cinq technologies-cls pour les

Le laser, une technologie d'avenir

prochaines dcennies, les Allemands et les Anglais en ont fait leur premire priorit. Il faut reconnatre que la France nen est pas encore ce stade. Heureusement, les choses voluent, notamment grce la

L

es lasers ont fait rver des gnrations de scientifiques et nourrissent encore la crativit des chercheurs. Au moment o lon fte leurs 50 ans, on constate quils sont aussi devenus des outils essentiels pour linnovation technologique, comme le montre lenqute du Journal du

mobilisation de la communaut franaise qui a donn naissance au Comit national doptique photonique (Cnop). Le Cnop regroupe 7 ples optiques rgionaux dont 3 ples de comptitivit, 3 socits savantes et sappuie sur lInstitut de physique (INP) et lInstitut des sciences de lingnierie et des systmes (INSIS) du CNRS. Sa mission consiste dfendre la position franaise au niveau europen en assurant une bonne coordination des ambitions nationales en matire de recherche scientifique et industrielle. Le dynamisme du Cnop pourrait contribuer rattraper le retard de notre pays dans le domaine des applications des lasers et de la photonique, qui sexplique en grande partie par la manire dont lindustrie sest structure dans ce secteur. Lenjeu est de taille, car il sagit dun secteur forte valeur ajoute, crateur demplois difficiles dlocaliser. Cette optimisation du transfert des dcouvertes scientifiques vers notre industrie, doit saccompagner dun effort accru vers la recherche. Nous pourrons alors esprer de remarquables avances des chercheurs et de nouvelles applications. La manifestation nationale de clture des 50 ans, qui se tiendra Bordeaux en dcembre prochain, ouvrira une large discussion sur ces perspectives.

CNRS. Ils constituent aussi des lments fondamentaux pour le dveloppement de nos entreprises. La France, dans le domaine de la recherche, occupe une place de choix dans la comptition internationale sur les lasers et la photonique. En attestent les lauriers internationaux attribus de grands chercheurs franais, tout particulirement le prix Nobel de Claude Cohen-Tannoudji ou le trs rcent prix Wolf dAlain Aspect.

Cette excellence, si elle est partiellement due une forte tradition historique, relve aussi dune position du CNRS qui a, dans son soutien la recherche fondamentale, dvelopp ce thme quand le laser ntait quune source de laboratoire sans perspective dapplications industrielles. Je ferai rfrence une exprience personnelle. Dans les annes 1970-1980, Bernard Couillaud, qui a men depuis une brillante carrire industrielle aux tats-Unis, et moi-mme avons pu dvelopper Bordeaux un groupe de recherche sur les lasers grce une aide individuelle CNRS . Ctait le ferment dun dveloppement du domaine en Aquitaine, qui sest acclr avec larrive du laser Mgajoule et la croissance des laboratoires universitaires bordelais.

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

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VIEDESLABOS

Reportage

DVELOPPEMENT DURABLE

Les maisons colos du futurDes scientifiques prparent lhabitat cologique de demain au sein dun laboratoire commun au Centre de thermique de Lyon et EDF. Alors que ces deux partenaires viennent de renouveler pour quatre ans leur accord de coopration, visite guide de ce que sera peut-tre le btiment du futur. Photos : Kaksonen/CNRS Photothque/EDF

E

n cette frache journe de fvrier, le soleil brille sur le campus de la Doua, Villeurbanne. Du coup, aujourdhui, le btiment denseignement que vous voyez risque la surchauffe : en effet, lisolation est tellement bonne que lnergie accumule ne peut pas tre vacue , explique JeanJacques Roux, du Centre de thermique de Lyon (Cethil) 1. Spcialiste depuis plus de vingt-cinq ans du comportement thermique des btiments, il copilote le laboratoire commun Btiments haute efficacit nergtique (BHEE) avec son collgue Jean-Luc Hubert, dEDF recherche & dveloppement. Cr il y a cinq ans par EDF et le Cethil, le BHEE compte aujourdhui une cinquantaine de personnes 2. Cest deux fois plus quil y a quatre ans. Leur objectif ? Assurer des bases solides la qute defficacit nergtique et de basse consommation dans les btiments en dveloppant des modles de comportement nergtique fiables, nourris de donnes prcises sur les matriaux utiliss. Alors que le Grenelle de lenvironnement a propos dimposer une norme de construction nergie positive des btiments qui produisent plus dnergie quils nen consomment partir de 2020, les chercheurs du BHEE sattellent montrer comment y parvenir. Jusqu prsent, les efforts se sont concentrs sur la priode de chauffage, rsume Jean-Jacques Roux.Le journal du CNRS n 243 avril 2010

Do la tendance construire des coquilles trs isoles. Est-ce bien la solution ? Dune part on rduit les apports solaires en priode hivernale, et dautre part on pige lexcdent de chaleur parfois produit en interne, quil est alors difficile dvacuer. De plus, quoi sert de rduire la facture nergtique hivernale sil faut climatiser ds la mi-saison ? La solution doit tre optimale pour lensemble de lanne.

Minibat est une pice dont lenvironnement climatique est totalement contrl. Elle recevra bientt une faade en briques de verre incorporant de la cire, claire par un soleil artificiel.

UN LIEU SOUS CONTRLEAu BHEE, les chercheurs tudient principalement lenveloppe des btiments (faades, toit) et lintgration de technologies solaires celle-ci. Deux axes qui reposent autant sur ltude des performances des matriaux que sur la modlisation des btiments, effectue laide doutils de simulations valids par des expriences grandeur nature. Dans le grand hall qui accueille une partie des expriences du BHEE, on dcouvre ainsi Minibat, une habitation dont lenvironnement climatique est totalement contrl. La temprature et lhumidit de lair y sont rgles pour reproduire les conditions extrieures ou simuler la prsence dun logement contigu. En cours de rnovation, Minibat est aujourdhui une pice vide, de six mtres sur trois et deux mtres cinquante de hauteur. La faade donne sur le gnrateur climati-

VIEDESLABOS

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Cette exprience permet d'tudier la manire dont la chaleur d'un panneau solaire se transmet la faade.

Chez EDF, le futur btimentlaboratoire Bestlab servira notamment valider, dans un climat rel, des mesures obtenues par le BHEE.

que : un espace dans lequel de puissants projecteurs simulent le soleil et o circule pendant les expriences un flux dair reproduisant les conditions extrieures. Les expriences sont ainsi totalement matrises et parfaitement reproductibles. Toutes les parois sont bardes de capteurs, capables de mesurer la temprature, et le flux de chaleur qui les traverse. Dans quelques semaines, Minibat recevra sa nouvelle faade : un assemblage de briques de verre remplies dun matriau dit changement de phase , qui fond en captant de la chaleur et se solidifie en la librant. Cest une piste importante pour les btiments haute efficacit nergtique , explique Jean-Jacques Roux. Pour viter la surchauffe en hiver, lie une forte isolation, le matriau changement de phase fond en prlevant lexcs dnergie dans le btiment. Celle-ci est libre la nuit au cours de la solidification pour prchauffer lair destin lintrieur, rduisant ainsi le besoin de chauffage lorsquil fait plus frais. Le systme fonctionne aussi lt o il est possible de rduire les besoins de climatisation, voire de les supprimer en amortissant les surchauffes de temprature. La chaleur en excs est toujours pige la journe et libre la nuit, mais cette fois vers lextrieur du btiment. Reste dterminer le meilleur matriau changement de phase pour rguler lintrieur des btiments : il doit fondre autour de 22C, et rsister dinnombrables cycles fusion-solidification. Do le recours des paraffines tires du ptrole ou des graisses dorigine vgtale. Nous avons travaill, dans le cadre du programme Habisol de lAgence nationale de la recherche (ANR), entre autres avec Dupont de Nemours et EDF, sur des panneaux intgrant de petites capsules de matriaux changement de phase , poursuit le chercheur lyonnais.

leur humidit. Car, comme dans beaucoup de domaines, la simulation est le moyen le plus souple pour tester ides et concepts. Une modlisation qui fait appel de nombreux paramtres : il faut la fois reprsenter le btiment, sa gomtrie, ses matriaux, mais aussi son environnement : clairement solaire, ombres, vent, humidit et mme rayonnement issu du ciel et des nuages de jour comme de nuit. Il faut aussi prendre en compte le mode de ventilation et bien sr lhumidit de lair, car la condensation peut rapidement dgrader les matriaux et leurs performances. Et, enfin, intgrer les systmes de chauffage et de climatisation (chaudire, lectricit, solaire thermique, pompe chaleur simple ou couple une installation gothermique, etc.) ainsi que leur rgulation. Nous simulons lensemble sur ordinateur sur le long terme, au moins sur une anne, en tenant compte des donnes mtorologiques locales, rsume Jean-Jacques Roux. Cela nous permet par exemple de vrifier quune ide qui semble bonne pour lhiver prsente galement de bonnes performances en t ou en demi-saison.

DES BULLES POUR VALIDER LES MODLESAussi complte soit-elle, la modlisation se heurte une difficult de taille : le comportement des occupants. Dans lcoquartier de Fribourg en Allemagne, la consommation annuelle au mtre carr varie dans un rapport de 1 5 dun logement lautre! Cela sexplique essentiellement par le comportement des occupants. Comme quoi, malgr les progrs techniques, rien ne se fera sans sensibiliser les utilisateurs. Dans limmdiat, les chercheurs et techniciens du BHEE esprent pouvoir financer le projet 33 , inspir de Minibat : un cube de trois mtres de ct, plac en ambiance totalement contrle (pression, hygromtrie et temprature), et quip entre autres dun systme dimagerie de pointe afin de visualiser les mouvements de lair dans la pice laide dune technique appele vlocimtrie par suivi de particules. Au lieu dun capteur de vitesse locale quil est ncessaire de dplacer en chaque point de mesure, les chercheurs du BHEE suivent les mouvements de minuscules bulles de savon remplies dhlium, laide dun trio de camras haute vitesse (120 images par seconde). Hier, la mesure du champ de vitesse de lair dans une pice prenait une semaine avec le capteur de vitesse ; dans 33 ce dispositif permettra de faire la mme chose en moins dune heure et avec une meilleure prcision ! Rendez-vous est pris en 2012, si les financements sont l. Denis Delbecq1. Unit CNRS / Insa de Lyon / Universit Claude-Bernard de Lyon. 2. Celles-ci travaillent sur le campus de la Doua et au centre de recherches des Renardires dEDF.

MURS DOUBLE PEAUtude thermique d'une mince paroi comportant des capsules de cire. Celles-ci sont destines capter les excs de chaleur librs dans un btiment.

Le BHEE consacre galement dimportants efforts ltude des enveloppes des btiments, et notamment les murs double peau comme ces faades qui portent des panneaux solaires photovoltaques. Panneaux situs quelques centimtres des murs de manire assurer leur refroidissement par larrire. Les performances des cellules diminuent quand leur temprature augmente. Il faut donc les ventiler, si possible naturellement. En hiver, dans lidal, cette chaleur pourrait rchauffer le btiment, mais il faut surtout viter quelle y pntre en t. Un dispositif exprimental, avec une alternance de panneaux solaires et de parois vitres sur toute la hauteur de la faade, permet de tester en vraie grandeur lefficacit de ce composant de faade. Nous testons toute une gamme de situations pour dterminer le comportement optimal de cette double peau , conclut Jean-Jacques Roux. Murs changement de phase ou double peau Le dveloppement de ces nouvelles structures ncessite modlisations et simulations. Car les nouveaux matriaux, par exemple, ne font pas tout. Il faut aussi savoir o les installer prcisment. Depuis plusieurs dcennies, le Cethil sest donc fait une spcialit de la modlisation thermo-hygro-araulique des btiments : ltude des changes de chaleur, des flux dair et de

CONTACTS

Jean-Jacques RouxCethil, Lyon [email protected]

Jean-Luc HubertEDF, Moret-sur-Loing [email protected]

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

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VIEDESLABOSARCHOLOGIE

Actualits

Un monastre fleur de bitumeEn Haute-Sane, des archologues du CNRS viennent dexhumer les vestiges de lun des plus importants monastres dEurope du haut Moyen ge : environ 125 sarcophages, des murs bien conservs dune glise funraire et une crypte.

N

euf mois de fouilles entre 2008 et 2009 auront t ncessaires lquipe de Sbastien Bully, du laboratoire Archologie, terre, histoire, socits (ARTeHIS) 1, pour sortir de terre les vestiges de lune des glises de labbaye de Luxeuil-les-Bains en Franche-Comt. Quel Luxovien aurait pu simaginer que sous la place o il faisait son march se cachaient prs de 125 sarcophages dats entre le Ve et le dbut du VIIIe sicle ? Comment auraitil pu penser quil sagissait l de lune des plus grandes concentrations de lEst de la France ? Les premires tombes et les premiers squelettes ne sont qu quelques centimtres du sol actuel, confie Sbastien Bully. On passe presque directement du goudron de la route aux couvercles des sarcophages. Ce bond chronologique clair sexplique : lensemble des couches suprieures du sol a disparu parce quau XIXe sicle, la ville a abaiss le niveau de la place deux reprises. Cest la suite dun sondage effectu en prvision de travaux que les archologues ont dcouvert le site et engag les fouilles programmes. En 2005, prcise larchologue, nous avons fait une grande tranche sur la place parce que des sources darchives et des plans anciens indiquaient la prsence dune glise funraire appartenant labbaye de Luxeuil, lune des abbayes les plus prestigieuses du monde occidental du haut Moyen ge. Cette renomme, elle la doit son fondateur Colomban, un moine irlandais, et ses multiples

Une stle funraire antique sculpte forme le couvercle de ce sarcophage (Ve sicle).Le journal du CNRS n 243 avril 2010

disciples. Grce eux, labbaye va devenir un lieu de formation dabbs et dvques qui, leur tour, fonderont une cinquantaine de monastres dans toute lEurope. Luxeuil simposera alors, entre le VIIe et le Xe sicle, comme une vritable capitale monastique. Aujourdhui, les rsultats de ces fouilles remettent en question une partie de lhistoire de la ville et de la fondation de son abbaye. On pensait que saint Colomban avait difi son monastre la fin du VIe sicle dans une ville antique en ruine et dserte. Or, sur les 650 m2 de fouilles, les archologues ont constat quil existait des preuves matrielles de la permanence dune occupation. La plus ancienne, un quartier artisanal, remonte au Ier sicle aprs Jsus-Christ. Dautres difices se sont succds au cours du temps dans les mmes lieux : un habitat urbain galloromain ou domus du IIe sicle, une ncropole paenne au IVe sicle ou encore une basilique palochrtienne aux V et VIe sicles. La premire mention de cette glise funraire remonte la fin du Xe sicle, dans un texte relatant linhumation dans une crypte dun travail admirable 2, de saint Valbert, troisime abb de Luxeuil. Matrialiser et identifier cet espace partir de sources crites aussi anciennes, insiste larchologue, cest rarissime. Grce cela, nous avons pu confronter le texte la ralit : une salle quadrangulaire dont le dcor architectural ne correspondait en rien limage que lon pouvait sen faire. Les

murs sans peintures, ni fresques, ni sculptures taient seulement anims par des niches aveugles. Les vestiges du haut Moyen ge mis au jour sont exceptionnels car ils restent trs rares en FrancheComt. Et leur analyse, par des tudes pluridisciplinaires (anthropologie, tude des cramiques, des monnaies), apportera un riche complment aux sources historiques. Les conclusions dfinitives devraient tre rendues en fin danne. Depuis la fin du mois de janvier, le chantier de fouilles est termin mais le site ne sera pas remblay. En effet, la ville de Luxeuil envisage de prserver les lieux et de mettre en valeur ces dcouvertes. Pour cela, une demande de protection au titre des monuments historiques et un projet de muse sont en cours. Aprs restauration, les vestiges seront exposs. Des passerelles et des vitres de verre seront amnages directement sur le site pour permettre aux visiteurs de marcher sur les traces de la ville antique de Luxovium et de son monastre. Graldine Vron1. Unit CNRS / Universit de Bourgogne / Ministre de la culture et de la communication. 2. Rcit des miracles des abbs Eustasie et Valbert, crit par labb Adson.

Photos : quipe de fouille, CNRS

CONTACT

Sbastien BullyArchologie, terre, histoire, socits (ARTeHIS), Dijon [email protected]

VIEDESLABOSVue gnrale de la ncropole. La plupart des sarcophages sont intacts, leurs couvercles scellant encore la cuve.

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ALZHEIMER

Lnigme du cuivre presque rsolue

D

epuis quelques annes, on sait que le cuivre, et plus prcisment lion cuivrique Cu2+, est impliqu dans la maladie dAlzheimer. Des lments charge ont t avancs par plusieurs laboratoires dans le monde, sans que les dtails exacts sur son rle et la manire dont il interagit avec les autres lments de la maladie ne soient connus. Aujourdhui, les travaux raliss au laboratoire Systmes membranaires, photobiologie, stress et dtoxication (SMPSD) 1, Saclay, et au Laboratoire de chimie de coordination (LCC) du CNRS Toulouse, apportent enfin des rponses prcises sur ce point. Plus exactement, les scientifiques sont parvenus dchiffrer linteraction de lion cuivrique avec lamylode-. Ce peptide, constitu dune chane de 40 42 acides amins, est connu pour sa participation la maladie dAlzheimer. Dans un cerveau sain, il se trouve sous forme

soluble. Dans celui dun malade, il sagrge en plaques satures dions mtalliques neurotoxiques (dont lion cuivrique). Il y avait beaucoup de controverses concernant les acides amins impliqus dans la fixation du cuivre , explique Pierre Dorlet, chercheur au SMPSD. La diversit des mthodes utilises depuis 2000 ne permettait en effet pas de les identifier avec certitude. Nous avons donc utilis un ensemble de mthodes dites spectroscopiques et recoup les rsultats de toutes nos mesures. De faon univoque, nous avons russi alors dterminer quels taient les acides amins du peptide qui fixaient lion cuivrique. savoir deux acides aspartiques (Asp 1 et 7), deux acides glutamiques (Glu 3 et 11) et deux histidines (His 13 et 14). Saclay, les chercheurs ont fait appel la rsonance paramagntique lectronique (RPE). Toulouse, la rsonance magntique nuclaire (RMN). Ces deux mthodes ana-

logues de sondage des lments ont abouti aux rsultats publis en novembre et en dcembre dernier dans le journal allemand Angewandte Chemie 2. Reste dterminer lordre des choses. Ce que lon ne connat pas encore, souligne Pierre Dorlet, cest la place du cuivre dans la chronologie de la maladie : si la concentration de cuivre est une des sources du mal ou si le mal est lorigine de la concentration du cuivre. La comprhension de cette tape dans la maladie dAlzheime pourrait, long terme, contribuer la mise au point dun remde. Stphan Julienne1. Laboratoire CNRS / CEA. 2. Vol. 48, Issue 50, 7 dcembre, 2009, pp. 9 522-9 525 Vol. 48, Issue 49, 23 novembre 2009, pp. 9 273-9 276

CONTACT

Pierre DorletSMPSD, Saclay [email protected]

VO L U T I O N

Une hasardeuse histoire de lhumanit

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elon le concept de slection naturelle imagin par Darwin, lenvironnement modle les espces en liminant les individus les moins adapts leur milieu. Chez lhumain, cest au contraire le hasard, que les scientifiques qualifient de drive gntique, qui serait le principal moteur de lvolution. Et ce depuis les premires migrations dHomo sapiens en dehors de lAfrique, il y a 60 000 ans. Son importance dans le faonnage de lespce humaine vient dtre conforte par une nouvelle tude de grande ampleur 1 mene par des chercheurs du laboratoire Anthropologie bioculturelle 2 et de luniversit de Stanford, aux tats-Unis. Pour disposer dun chantillon suffisamment reprsentatif des populations humaines contemporaines, lquipe a tout dabord runi

les donnes dune cinquantaine dtudes gntiques dj publies. partir dun vaste chantillon de 45 864 individus appartenant 937 populations diffrentes, les scientifiques ont mesur la diversit gntique du chromosome Y. Ils ont ensuite dtermin la valeur attendue de cette diversit en partant de lhypothse que seule la drive gntique, ou la slection naturelle, intervenait. La diversit mesure tait trs proche de celle obtenue dans lhypothse o seule la drive gntique participait lvolution de lhomme, prouvant que le hasard avait donc jou un rle prpondrant , souligne Jacques Chiaroni. Prsent en un seul exemplaire dans le gnome masculin, le chromosome Y a lavantage de ne pas tre soumis aux changes de matriel gntique, appels recombinaisons, entre

les 22 autres chromosomes groups par paires. Une particularit qui lui permet de garder intactes les mutations accumules au fil du temps et de la colonisation de la plante par lhomme. Celle-ci a t entreprise partir du rift africain par de petits groupes successifs, dun millier dindividus tout au plus. Disposant dun rservoir de diversit gntique forcment plus restreint que la population dorigine, ces pionniers ont subi, au fil des gnrations, la perte alatoire de certaines variations des allles dun mme gne. Quant aux allles qui furent pargns par le phnomne, ils ont vu leur frquence augmenter trs rapidement au fil du temps. Cest cette volution que les chercheurs ont analyse. Pour autant, notre espce nest pas parvenue saffranchir totalement

des lois de la slection naturelle : Mme si celle-ci a encore perdu du terrain avec la matrise du langage puis lapparition de lagriculture, qui ont permis aux hommes de sadapter leur milieu avant que la nature ne les y contraigne, explique Jacques Chiaroni, cela ne signifie pas que la slection naturelle na plus prise sur nous. En matire dvolution le hasard ne ferait pas tout. Grgory Flchet1. Article publi dans PNAS, le 1er dcembre 2009, vol. 106, n 48, pp. 20 174-20 179. 2. Unit CNRS / tablissement franais du sang / Universit Aix-Marseille-II.

CONTACT

Jacques ChiaroniAnthropologie bioculturelle, Marseille [email protected]

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

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VIEDESLABOSBIODIVERSIT

Actualits

Lodysse des espces de MadagascarPourquoi de nombreuses espces de cet tat insulaire dAfrique ont-elles une origine asiatique? Des chercheurs franais ont peut-tre rsolu cette nigme : de nombreuses les, aujourdhui immerges, ont form un gu, propice aux escales, entre lInde et le continent africain.Sur cette carte, on peut voir un chapelet dles maintenant englouties (en bleu) qui aurait favoris la migration despces asiatiques vers Madagascar.Maldives Seychelles Chagos Saya de Malha Nazareth Saint-Geran Saint-Brandon (Cargados Carajos) le Maurice La Runion

Ben H. Warren

D. Hansen

Reste encore aux chercheurs renforcer leur thorie en testant certaines hypothses. Par exemple, un point en sa faveur serait de dmontrer que la plupart des espces dorigine asiatique de Madagascar sont adaptes aux climats ctiers qui rgnaient sur ces les de passage. Mais dj, nos chercheurs voudraient tirer les leons de cet imbroglio qui durait depuis 150 ans : Lun des intrts de ces travaux est de rappeler que lon ne peut pas retracer lvolution de la biodiversit sans tenir compte des modifications gographiques ayant eu lieu au cours du temps. Sebastin Escaln1. Unit CNRS / Universit Paul-Sabatier / Enfa. 2. Publi en ligne le 15 dcembre 2009.

V

oici lun des plus persistants mystres de lhistoire naturelle : lorigine de la biodiversit de Madagascar. Vu la position gographique de la Grande le, on sattendrait ce que toutes les espces qui lhabitent ou presque soient dorigine africaine. Or, il se trouve quun bon tiers des animaux et vgtaux malgaches sont dorigine asiatique. Comment diable ont fait tant despces doiseaux, insectes, reptiles, poissons et plantes pour raliser un voyage de plus de 3 600 kilomtres travers locan Indien avant de sinstaller Madagascar ? Cette question dconcerte depuis le XIXe sicle des savants aussi importants quAlfred Wallace, codcouvreur de lide de la slection naturelle. Des chercheurs du laboratoire volution et diversit biologique 1 de Toulouse et de luniversit de la Runion viennent de proposer une explication cette bizarrerie. Dans un article publi dans la revue Cladistics 2, ils montrent quau cours des 35 derniers millions dannes, des variations rcurrentes du niveau de la mer ont laiss affleurer de nombreuses les dans locan Indien. Aujourdhui englouties, ces les auraient rendu possible cette tonnante migration despces depuis lInde. Dans les annes 1960, on avait cru cette affaire lucide grce la tectonique des plaques : le peuplement de Madagascar avait eu lieu il y a plus de 80 millions dannes, lorsque lInde, lAfrique et Madagascar ne formaient quun seul supercontinent, le Gondwana, qui sest ensuite dsagrg. Une belle thorie balaye dans lesLe journal du CNRS n 243 avril 2010

annes 1990, par le dveloppement des techniques de squenage rapide de lADN et lexplosion de la systmatique molculaire, approches qui permettent destimer depuis combien de temps deux espces se sont spares dun anctre commun. Appliques la biodiversit malgache, elles ont montr que la plupart des espces asiatiques taient arrives bien aprs la dislocation du Gondwana. Les chercheurs se retrouvaient nouveau dans lincapacit dexpliquer comment des milliers despces avaient allgrement travers locan Indien. Et ce, jusqu ce que nos chercheurs se penchent sur de nouvelles cartes des fonds marins et sur des donnes paloclimatiques. Il y a entre lInde et Madagascar une srie de hautsfonds. Durant les 35 derniers millions dannes, le niveau de la mer a considrablement vari de faon rpte. certaines priodes, il a t 150 mtres plus bas. Or, en abaissant le niveau de la mer de seulement 75 mtres, nous voyons ces hauts-fonds se transformer en un chapelet dles formant une sorte de gu entre lle et le continent , explique Christophe Thbaud, chercheur au laboratoire EDB. Avec la prsence de ces gtes dtape , la distance transocanique entre Madagascar et lInde passe de 3 600 kilomtres 1 500. De plus, certaines de ces les avaient une surface considrable. Et elles ont pu abriter, durant leurs dizaines de milliers dannes dexistence, une riche biodiversit qui a ainsi pu se propager de proche en proche, avec laide des vents de la mousson dhiver qui soufflent vers le sud-ouest.

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Christophe Thbaudvolution et diversit biologique, Toulouse [email protected]

PA R T I C U L E S

Des rayons dans

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ais do viennent donc les rayons cosmiques ? La question empoisonne les astronomes depuis la dcouverte du phnomne au dbut du XXe sicle. Ce flux de particules de haute nergie venu de lespace est constitu de protons, de quelques noyaux (principalement dhlium) et de 1 % dlectrons. Et serait pour lessentiel produit au sein de notre galaxie, dans des superacclrateurs de particules au sein dtoiles moribondes : les restes de supernovae. Sauf que, malgr des dcennies defforts, les scientifiques nont toujours pas russi le dmontrer. Une quipe internationale associant 51 laboratoires dont cinq du CNRS 1 vient de franchir une tape dcisive vers ltablissement de cette

VIEDESLABOSAROLOGIELa suie prsente dans l'air des villes peut devenir un puissant ractif atmosphrique.

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La suie, quelle poisse!

C

est une nuisance bien identifie. Lun de ces polluants caractriss de longue date. Produite par la combustion des moteurs ou par les feux de chemine, la suie qui baigne en permanence dans lair de nos villes est connue depuis longtemps pour avoir des impacts ngatifs sur la sant, la visibilit ou le climat. Mais au moins, les experts de la qualit de lair saccordaient-ils jusqu prsent pour estimer que la participation de cet arosol la chimie de notre environnement urbain tait limite. Des chercheurs lyonnais, suisses et canadiens viennent pour la premire fois de dmontrer exactement le contraire 1. Lquipe de Barbara dAnna et Christian George

de lInstitut de recherches sur la catalyse et lenvironnement de Lyon 2 Villeurbanne a mis en contact des chantillons de suie avec diffrents gaz prsents dans latmosphre des grandes agglomrations. Leur verdict ? Contrairement aux ides reues, le compos carbon est ractif lorsquil est soumis la lumire du jour. Au point quil participe, non seulement laugmentation de la concentration dozone dans lair des cits durant la journe, mais galement au dplacement de cette pollution sur des dizaines de kilomtres ! Longtemps, les scientifiques ont pens que la capacit ragir de la suie tait inhibe rapidement par le caractre oxydant de lair et donc que son impact sur la composition de latmosphre

tait limit, explique Christian George, directeur de recherche au CNRS. Mais cette hypothse paraissait douteuse aux yeux de certains spcialistes, qui stonnaient de constater que les expriences de laboratoire soutenant cette thorie avaient t ralises dans les annes 1980 dans lobscurit. En recommenant le test en prsence de lumire cette fois, Barbara dAnna, Christian George et leurs collgues sont arrivs une tout autre conclusion. Selon eux, sous irradiation solaire, le dioxyde dazote (NO2) de lair ragit trs efficacement avec la suie pour produire de lacide nitreux (HONO), lun des prcurseurs de lozone. De plus, lquipe a dcouvert que la suie est capable de piger sa surface durant

la nuit une partie des oxydes dazote quelle 5 m libre nouveau une fois le jour venu. Comme il peut tre emport trs loin par les vents en quelques heures, larosol carbon pourrait ainsi jouer le rle dun transporteur nocturne longue distance de ces initiateurs de lozone. Vah Ter Minassian1 Pnas, 11 novembre 2009. 2 Unit CNRS / Universit Lyon-I.

CONTACTSIrcelyon, Villeurbanne

Barbara dAnna

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Christian George

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Les astrophysiciens pensent que les rayons cosmiques sont crs au sein de restes de supernovae. Grce au tlscope spatial Fermi, ils ont russi runir de nouveaux lments en faveur de cette thse. NASA/DOE/Fermi LAT Collaboration, CXC/SAO/JPL -Caltech/ Steward/O. Krause et al., and NRAO/AUI

les supernovaepreuve 2. En utilisant linstrument LAT (Large Area Telescope) du tlescope spatial Fermi de la Nasa, ces chercheurs ont, en effet, ralis une image dun reste de supernova dans une gamme de longueurs donde du rayonnement gamma qui leur tait jusque-l inaccessible. Or, expliquent-ils, russir ce type de clich est indispensable la rsolution du mystre. Selon les thories en vigueur, les rayons cosmiques ont pour origine les supernovae, des explosions dtoiles massives arrives en fin de vie, explique Jean Ballet, chercheur au laboratoire Astrophysique, interactions multichelles (AIM) 3 Gif-sur-Yvette. En se dplaant une vitesse de plusieurs milliers de kilomtres par seconde, londe de choc gnre

supernovae W44, situ environ 91 000 annes-lumire de la Terre, lquipe a obtenu une partie du spectre gamma caractristique de lacclration des protons. Voici deux ans, le tlescope au sol HESS 4 avait russi cet exploit sur un autre reste dans le domaine des rayons gamma les plus nergtiques. Il ny a donc plus qu trouver un vestige que les deux instruments pourraient observer de concert pour apporter la preuve dfinitive de lorigine des rayons cosmiques. Vah Ter Minassian1. Laboratoire AIM , Laboratoire Leprince-Ringuet, Laboratoire de physique thorique et astroparticules, Centre dtudes nuclaires de Bordeaux-Gradignan, Centre dtude spatiale des rayonnements. 2. Science, 26 fvrier 2010, n 327, pp. 11031106 (publi en ligne le 7 janvier 2010). 3. Unit CNRS / Universit Paris-Diderot / CEA-Irfu. 4. HESS (High Energy Stereoscopic System) est un rseau de quatre tlescopes. Il est actuellement le dtecteur de rayons gamma le plus sensible aux trs hautes nergies.

par lexplosion pigerait en son sein des protons et des lectrons du milieu interstellaire. Puis, les acclrerait des nergies trs importantes avant, au bout de quelques milliers dannes, de les relarguer dans lespace. De l, ils parviendraient jusqu nous. Au dbut des annes 2000, des tudes ont permis de vrifier cette hypothse pour les seuls lectrons. Mais quen est-il des protons qui constituent 99 % des particules dont sont faits les rayons cosmi-

ques ? Pour le dmontrer, il faut dans un premier temps reprer dans des restes de supernovae la trace dun rayonnement gamma, caractristique du phnomne dacclration des protons. Puis tablir, dans une seconde phase, sa signature son spectre disent les astrophysiciens complte. Cest ce que vient de raliser en partie la collaboration internationale runie autour du tlescope spatial Fermi. Sur le reste de

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Jean BalletLaboratoire AIM, Gif-sur-Yvette [email protected]

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

F Simonet/IRCELYON .

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VIEDESLABOSBIOLOGIE

Actualits

Une explication pour le paradoxe franais

E

n dpit de repas dont la lgret nest pas la premire des vertus, les Franais souffrent moins de problmes cardiovasculaires que la plupart de leurs voisins europens. Cette exception, que les Nord-Amricains nomment french paradox, le paradoxe franais, serait notamment lie une consommation rgulire et modre de vin rouge. Riche en molcules aux proprits antioxydantes appeles polyphnols, le nectar la robe rubis est de longue date suspect davoir une action protectrice sur nos vaisseaux sanguins. Toutefois, personne nest jusqualors parvenu lucider son mode daction prcis. Une tude ralise 1 par une quipe du Laboratoire de biologie neurovasculaire intgre 2 Angers lve aujourdhui une partie du voile sur cette nigme. Nous savions dj que la delphinidine, lun des polyphnols contenus dans le vin rouge, possde une structure molculaire assez proche dhormones, dites strognes, qui interviennent notamment dans la dilatation des vaisseaux sanguins, prcise Ramaroson Andriantsitohaina, biologiste au sein de ce laboratoire. Cela laissait prsager que les polyphnols utilisaient le mme mcanisme que ces hormones pour agir sur notre Outre ses proprits organisme. Pour vrifier antioxydantes, lhypothse, les scientifiques la delphinidine ont fait appel des souris donne sa gntiquement modifies couleur au vin rouge. pour ne plus exprimer lun des rcepteurs aux strognes, le

1. Article publi dans la revue PlosOne en janvier 2010. 2. Unit CNRS / Inserm.

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Ramaroson AndriantsitohainaLaboratoire de biologie neurovasculaire intgre, Angers [email protected]

P Guionie/CNES/2009 .

sous-type (ER), localis sur la paroi interne des vaisseaux sanguins. En temps normal, lactivation des rcepteurs ER par les hormones a, en effet, la particularit de dclencher la libration de monoxyde de carbone dans les cellules qui constituent les vaisseaux sanguins, ce qui provoque leur relchement. Les chercheurs ont alors test directement laction de la delphinidine sur les artres de souris sauvages dune part, et de souris transgniques dpourvues dER de lautre. Rsultat : la rponse vasodilatatrice est intervenue uniquement sur les artres des souris sauvages. Cela dmontre clairement que leffet vasodilatateur des polyphnols ne peut avoir lieu sans la prsence du rcepteur ER , souligne Ramaroson Andriantsitohaina. Une exprience similaire ralise cette fois-ci sur des souris nourries partir dextraits naturels de polyphnols a permis de confirmer cette dcouverte, avec toutefois une nuance : Nous avons constat quun extrait contenant lensemble des polyphnols du vin rouge tait efficace des concentrations plus faibles quune substance contenant la seule delphinidine. Autrement dit, certaines de ces molcules bienfaitrices useraient dautres modes daction que la seule voie hormonale. Pour quelque temps encore, notre bon vieux paradoxe franais devrait garder sa part de mystre. Grgory Flchet

L. Kristensen /Fotolia

S AT E L L I T E

lassaut des

BRVES

Des souris et des gnesEn matire de gntique, le sexe des mammifres suit une rgle simple : une paire de chromosomes X donne une femelle; une paire XY donne un mle. La souris naine dAfrique Nus minutoides, elle, chappe cette loi. Des chercheurs, notamment du CNRS et de lIRD, rvlent quune forte proportion de femelles de cette espce portent une paire XY tout en tant fertiles. Daprs leur tude, cest une mutation sur le chromosome X qui dterminerait le sexe de lanimal.> En savoir plus : www2.cnrs.fr/presse/communique/1802.htmLe journal du CNRS n 243 avril 2010

La pollution touche au curLa pollution urbaine altre la fonction cardiaque chez le rat. Cest ce quont montr des chercheurs du CNRS et de lInserm en exposant des rongeurs au monoxyde de carbone (CO) pendant quatre semaines dans des conditions de pollution citadine. Aprs altration, des mcanismes compensateurs se mettent en place mais les rats sont plus vulnrables aux pathologies cardiaques. Publis le 15 mars dans la revue American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, ces rsultats sont aujourdhui suivis de travaux chez lhumain.> En savoir plus : www2.cnrs.fr/presse/communique/1826.htm

Mission CNES/ill. D. Ducros, 2008

VIEDESLABOS

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En mesurant finement le diamtre du Soleil, Picard permettra de mieux connatre la structure interne de lastre.

Prparation des essais thermiques sur Picard. Le satellite aidera clarifier linfluence de l'activit du Soleil sur les volutions du climat de la Terre.

humeurs du Soleil

Ltoile va tre soumise pendant trois ans la surveillance minutieuse du satellite Picard. Lenjeu : lucider lorigine de ses variations de luminosit et tudier leur rle dans les changements climatiques.

force de le voir se lever tous les matins, avec la rgularit dun mtronome, on en oublierait presque que le Soleil est lunatique : loin dtre constante, sa luminosit change au gr des annes. Ainsi, tous les onze ans, elle entame un cycle durant lequel elle varie de 0,1 %. plus long terme, trois autres cycles solaires ont t identifis, sta-

lant de quatre-vingt-dix ans 2 300 ans. Fluctuation de la temprature de la couche externe du Soleil, modification de la rpartition des lectrons dans lastre : les hypothses ne manquent pas pour expliquer ces variations lumineuses. Pour aider y voir plus clair, le Centre national dtudes spatiales (Cnes) placera en orbite terrestre le satellite Picard au mois davril. La mission de ce petit bijou dont la mise au point a impliqu des chercheurs du CNRS : comprendre pourquoi notre astre est dhumeur changeante. Picard sera le premier mesurer le diamtre du Soleil laide dun instrument ddi. Selon les modlisations mathmatiques les plus rcentes, le diamtre solaire contiendrait en effet une grande quantit dinformations utiles pour lucider les mcanismes physiques internes luvre dans le Soleil et, de l, ses sautes dhumeur. Lhabit fait le moine, en somme. Le satellite tire dailleurs son nom du premier savant, Jean Picard, avoir pris, au XVIIe sicle, les mensurations de lastre du jour, laide dune lunette astronomique. Petit gabarit de 150 kg, il hbergera trois instruments. Sodism, dabord, un tlescope dot dune camra conue par des chercheurs franais du Laboratoire atmosphres, milieux, observations spatiales (Latmos) 1. Il capturera limage du Soleil plusieurs longueurs donde. Lenveloppe externe de lastre est en effet constitue de couches de gaz plus ou moins chaudes qui mettent dans des longueurs donde spcifiques. Selon quon lobserve dans le vert ou le rouge, le Soleil peut ainsi prendre 20 km de tour de taille en plus. En observant de lultraviolet au proche infrarouge, Sodism devrait russir prendre toutes les mensurations du Soleil. Le dveloppement de Sodism sest tal sur cinq ans. Le dfi ? Raliser un appareil qui saffranchisse du mouvement propre du satellite. Car

Picard ne sera point sur le soleil quapproximativement. Donc, pour tre sr que le Soleil reste en permanence au centre du dtecteur, nous avons d avoir recours une technique dite dasservissement du miroir primaire du tlescope lui-mme, ce qui revient bouger le miroir de faon compenser les mouvements du satellite , raconte Grard Thuillier, responsable scientifique du projet au Latmos. Par ailleurs, le diamtre solaire sera rgulirement compar la distance apparente sparant des toiles brillantes. Grce cette double prcaution, Picard aura une vision daigle, prcise au 1 milliarcseconde prs, soit lquivalent de 750 mtres au niveau du Soleil. Les deux autres instruments embarqus, Sovap et Premos, sont luvre dune quipe belge et dune suisse 2. Mme sils utilisent des technologies diffrentes, ils seront tous deux chargs de la mme tche : mesurer prcisment la puissance lumineuse totale mise par le Soleil (le doublon dappareils vise viter limpact du vieillissement des instruments sur les mesures). Picard va tre lanc de la base de Yasny, en Russie. Une fois en orbite 725 kilomtres daltitude, il restera aveugle un mois durant, le temps que le vide spatial limine des instruments les particules polluantes venues de la Terre. Puis les chercheurs ouvriront ses paupires. Un nouveau jour commencera alors pour la connaissance du Soleil, mais aussi de notre propre plante. Car la relation entre lactivit solaire et le climat de la Terre est galement lun des enjeux de la mission. Le XVIIe sicle a t marqu par une baisse de 0,2 0,3% de cette activit, ce qui a suffi plonger la Terre, et plus particulirement lEurope, dans un pisode froid surnomm le petit ge glaciaire. Aujourdhui, la luminosit du Soleil ne varie au cours de ses cycles courts quau maximum de 0,1 pour cent, et ne jouerait quun rle mineur sur le changement climatique face aux gaz effet de serre. Mais quest-ce que le Soleil nous rserve pour lavenir ? Dans lhypothse o il voluerait vers des cycles plus accentus, peutil venir renforcer le rchauffement climatique, ou au contraire, lattnuer ? Picard devrait apporter un vent frais sur ces questions. Xavier Mller1. Le Latmos (CNRS / Universit Paris-VI/ Universit Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines), est la runion du Service daronomie de Paris, et du CETP (Centre dtude des environnements terrestre et plantaires) de Saint-Maur-des-Fosss. 2. Le Bureau suisse des affaires spatiales et le Service public fdral de programmation politique scientifique de Belgique.

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Grard ThuillierLatmos, Paris [email protected]

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

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INNOVATIONSAFRAN

Entretien

Un got pour la rechercheNouveaux matriaux, nergtique, mcanique ou encore biomtrie les champs de recherche communs du groupe Safran et du CNRS croisent naturellement questions fondamentales et problmatiques industrielles. Entretien avec Jean-Paul Herteman, prsident du directoire du groupe Safran, et membre du Conseil dadministration du CNRS.Safran est un quipementier international de haute technologie, leader en aronautique, dfense et scurit. Quelle est la part de ses activits consacre la recherche et au dveloppement? Jean-Paul Herteman : En 2009, Safran a ralis un chiffre daffaire denviron 10,5 milliards deuros et a consacr 1,1 milliard deuros la recherche et au dveloppement. Ces activits concernent 20 % des 54 900 collaborateurs du groupe. Notre succs industriel est intimement li aux progrs technologiques que nous accomplissons et intgrons dans nos produits. Ainsi, lanne dernire, Safran a dpos 500 brevets, se plaant au cinquime rang du classement des acteurs franais ralis par lInstitut national de la proprit industrielle. Sur quoi linnovation de Safran est-elle fonde? J-P. H. : videmment, nous ne disposons pas en interne de tous les savoir-faire scientifiques et techniques ncessaires notre dveloppement, en particulier pour ce qui concerne les premires tapes de la recherche & technologie (R & T). Aussi Safran a construit un important rseau de partenaires au sein de la recherche universitaire ou applique. Depuis de nombreuses annes, le CNRS est le premier partenaire scientifique de Safran et assure plus de la moiti de nos collaborations scientifiques. Ce nest pas un hasard. Lindustrie aronautique est trs attentive la fiabilit et la sret de ses produits et est soumise la plus grande rigueur dans la certification de ses innovations, quil sagisse de matriaux, de procds ou de pices spcifiques. Cela passe par une parfaite comprhension des phnomnes amonts, cest--dire des proprits physiques et chimiques de nos proSchma de la duits. En ce sens, nous plateforme Pivoine 2G partageons pour une part exploite par le CNRS, des universits, les objectifs denrichisse- le Cnes et Safran pour ment de la connaissance tudier des moteurs lectriques plasma. qui sont ceux du CNRS.Le journal du CNRS n 243 avril 2010

Comment est n ce laboratoire? J-P. H. : Ds 1975, la Socit europenne de propulsion [NDLR : absorbe en 1997 par Snecma dont la fusion avec Sagem en 2005 a donn naissance au groupe Safran] avait collabor avec le Laboratoire de chimie du solide du CNRS llaboration de matriaux en carbure de silicium, afin de rpondre nos besoins en propulsion et en freinage aronautique. Mais dune certaine manire, ces collaborations ponctuelles, dbouchant sur des solutions pragmatiques, ne nous satisfaisaient pas totalement. Do la dcision de crer un laboratoire commun afin daffiner notre comprhension de ces matriaux, puis par la suite den dvelopper de nouveaux, telles les cramiques, sur la base dune comprhension de leurs proprits lchelle microscopique. Cest ainsi que nous avons dvelopp les matriaux utiliss pour la tuyre du Rafale ou celle du lanceur lourd Delta4 de Boeing. Cest aussi dans ce cadre que nous dveloppons

F Pitchal / SAFRAN .

L. Mdard/CNRS Photothque

Au point davoir mis sur pied des laboratoires communs J-P. H. : Exactement. Le cas du Laboratoire des composites thermostructuraux (LCTS) Bordeaux en est un excellent exemple. Unit mixte fonde en 1988 qui regroupe le CNRS, le CEA, lUniversit de Bordeaux-1 et le groupe Safran, le LCTS est au plan mondial lune des plus importantes units de recherche consacres aux composites destins aux hautes tempratures. En 20 ans, il a t lorigine dune quinzaine de brevets et dune centaine de thses.

aujourdhui les cramiques lgres et ultrarsistantes qui quiperont dici 10 20 ans les avions verts, consommant 25 50 % en moins de carburant quaujourdhui. Sur quels autres sujets Safran et le CNRS collaborent-ils? J-P. H. : Les scientifiques du CNRS travaillent dans de nombreuses directions. Ainsi, leurs centres dintrt couvrent une part importante de nos besoins fondamentaux, que ce soit en nergtique, arodynamique, mcanique, biomtrie ou science des systmes complexes. Concrtement, nous avons mis en place de vritables ples dlocaliss. Sur la combustion par exemple, nous collaborons avec 15 laboratoires et 40 thses ont t soutenues depuis 2002. Sur la modlisation numrique, nous avons suivi 107 thses dans 50 laboratoires sur la mme priode. Et sur la rduction des nuisances sonores, nous avons mis en place un programme incluant 30 laboratoires en 2005. Dans chacun de ces exemples, 50 % des laboratoires appartiennent au CNRS. Je voudrais encore citer notre collaboration avec lInstitut de combustion, arothermique, ractivit et environnement (Icare) du CNRS, Orlans, avec lequel nous avons dvelopp la technologie de propulsion plasmique pour satellites, utilise sur la sonde europenne Smart 1 (lance en 2003), dont la performance propul-

P Lasgorceix /ICARE .

INNOVATION

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sive a tabli un record mondial. Innovation pour laquelle Pascale Lasgorceix a obtenu en 2004 le cristal du CNRS. La synergie que vous dcrivez semble ne pas faire de distinction entre recherche acadmique et recherche vises industrielles? J-P. H. : Du moins elle ne les oppose pas. Nous autres, industriels, cherchons aussi comprendre les phnomnes physiques ou chimiques ayant cours dans nos produits. De plus, mon exprience ma montr qu partir du moment o nous faisons leffort intellectuel de nous intresser aux proccupations des chercheurs, en plus de les orienter vers nos besoins, cela fonctionne trs bien. Jajouterais quil nest jamais trs bon de donner des objectifs rigides un laboratoire. Car on observe trs souvent que la premire application technologique dcoulant dun effort de recherche se situe rarement l o on lattendait au dpart. Par exemple, nous avons dvelopp un matriau organique en pensant aux aubes dun turboracteur, qui puisse rsister de violents chocs, comme celui caus par une collision avec un oiseau. Eh bien aprs 20 ans defforts, sa premire application concerne des pices des trains datterrissage du Boeing 787 !

En collaboration avec des quipes du CNRS, Safran sest fait une spcialit des matriaux composites capables de supporter de trs hautes tempratures.

Vous avez t nomm au Conseil dadministration du CNRS en novembre dernier. votre avis, quels sont les enjeux les plus importants auxquels le centre doive faire face? J-P. H. : Dune faon gnrale, le maintien dune base industrielle forte sur son territoire est un enjeu pour la France, si nous ne voulons pas devenir un simple pays de services. De ce point de vue, notre seule possibilit est de dvelopper une industrie innovante et fort contenu technologique. Certes, les applications industrielles ne sont pas la vocation premire du CNRS. Mais sans les recherches quil ralise, nos industries perdraient rapidement lavance technologique ncessaire. Ainsi, le monde de lindustrie doit comprendre que tout rsultat de la recherche fondamentale peut un jour lui tre utile. Dun autre ct, il ne faut pas avoir de rticence ce que le fruit de travaux fondamentaux gnre des emplois, amliore le niveau de vie, le bien-tre ou lindpendance nationale. Propos recueillis par Mathieu Grousson

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Catherine MalekRelations presse Safran, Paris [email protected]

VA L O R I S AT I O N

Une aventure en or

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est une vritable success story ! La start-up franaise Sensitive Object, qui commercialise une technologie capable de transformer nimporte quelle surface en cran tactile, vient dtre rachete pour 62 millions de dollars 1 par le gant amricain Tyco Electronics. Lhistoire commence en 2002. Luniversit Paris-Diderot et le CNRS dposent un brevet pour protger cette invention prometteuse qui permet de rendre interactifs les objets de la vie courante. Mise au point par lquipe du Laboratoire ondes et acoustique (LOA), devenu Institut Langevin 2, elle utilise les ondes acoustiques (ou sonores). En effet, nimporte quel choc, comme le tapotement dun doigt sur un objet, cre ce type dondes qui se propagent ensuite la surface dudit objet. Il existait dj des capteurs capables de transformer ces ondes en lectricit puis dutiliser ce signal, pour

commander un interrupteur par exemple. Mais Ros Kiri Ing du LOA est all plus loin ! Il utilise le fameux miroir retournement temporel 3 de son collgue Mathias Fink, aujourdhui directeur de lInstitut Langevin, qui permet de remonter au point de naissance des ondes sonores. Rsultat : on peut localiser le point prcis o lobjet a t tapot. Plusieurs de ces points peuvent tre relis une commande diffrente. Et on peut ainsi crer en un clin dil plusieurs boutons virtuels sur un objet pour le transformer en clavier. Fort de cette invention, Ros Kiri Ing fonde Sensitive Object en 2003 tout en restant salari de luniversit Paris-Diderot grce la loi sur linnovation. Et lanne suivante, les investisseurs franais Sofinnova Partners propulsent la start-up dans le monde industriel. Rsultat : des digicodes et des claviers tactiles, des-

La technologie Sensitive Object permet de transformer toute surface en tlcommande. Ici, un miroir rassemble rgulateur de chauffage et interrupteurs.

tins aux structures mdicales car trs simples nettoyer, sont commercialiss. Trs conomique par rapport ses concurrents, la technologie pourrait maintenant conqurir le plus gros march actuel, celui de la tlphonie mobile. Cerise sur le gteau, elle est exploitable sur tout type de surface quelle que soit leur taille et elle nimpose presque aucune contrainte aux designers. Le french toucher acoustique semble donc avoir de beaux jours devant lui ! Caroline Danglant

1. Soit environ 45 millions deuros. 2. Laboratoire CNRS / Universit Paris-VII / UPMC / ESPCI Paris / Inserm. 3. Plusieurs applications en imagerie mdicale en dcoulent, lire Le journal du CNRS n 208, mai 2007, p. 14 ; n 226, novembre 2008, p. 14 ; et n 238, novembre 2009, p. 25.

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Jean-Ren BaillyFist, Paris [email protected]

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

Sensitive Object

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PAROLEDEXPERT

Marc Bordigoni, ingnieur de recherche CNRS lInstitut dethnologie mditerranenne et comparative 1

Gitans : halte aux ides reuesLe 8 avril, comme chaque anne, lUnion europenne va clbrer la Journe internationale des Roms , le Brsil a instaur un Dia nacional do cigano (une journe nationale des Tsiganes, dirions-nous), votre livre sintitule Les Gitans 2 et on dit aussi les gens du voyage. Parle-t-on des mmes personnes? Marc Bordigoni : Selon le contexte et selon qui parle, il y a des termes diffrents pour dsigner ces gens-l, ceux que lon appelle les Gitans dans le franais de tous les jours, do le choix que jai fait pour aborder les ides reues les concernant. Si les instances internationales ont retenu le mot Roms qui, en romans, signifie les hommes, cest que le terme Tsigane est pjoratif dans de nombreux pays balkaniques ou slaves. Mais en France, en Allemagne ou au Brsil, par exemple, beaucoup de Gitans ne veulent pas dune identit transnationale rom et revendiquent, au contraire, laccs la pleine citoyennet de la nation qui leur donne leur identit lgale. Quand la Haute autorit de lutte contre les discriminations et pour lgalit (Halde) parle des gens du voyage , elle dsigne des Franais qui dtiennent un document administratif particulier (un titre de circulation selon la loi de 1969) et sont sans domicile fixe . Cela concerne environ 300000 personnes. Toutefois, ce que lon peut appeler le monde du voyage, cest--dire toutes les personnes qui se disent Gitans face au monde des Gadj (les non-Tsiganes) comprend aussi des sdentaires, des familles qui vivent toute lanne au mme endroit et qui se diront tout de mme voyageurs ou voyageuses.Le journal du CNRS n 243 avril 2010

La quasi-totalit des Tsiganes europens sont sdentaires.Les familles qui ont fui les pays de lex-Europe de lEst pour des raisons conomiques, depuis leffondrement du bloc sovitique, ont-elles toujours t nomades? M.B. : Non. Ces familles vivaient en maison ou en appartement depuis des gnrations. Elles ont dcouvert la caravane, comme habitat de fortune, leur arrive en France. Et la quasi-totalit des Tsiganes europens sont sdentaires. Pourquoi ces Roms habitent-ils souvent des campements de fortune prs des autoroutes ou des dcharges alors? M.B. : Il y a un petit dtail rappeler pour comprendre leur situation. Circulant en Europe en famille, le plus souvent (il y a aussi une migration de main-duvre dhommes roms tout fait ordinaire), ils sont identifis comme Roms rfugis et sont lobjet dun reprage administratif et policier qui ne tient plus compte de leur nationalit et leur interdit de fait laccs au march du travail intracommunautaire. La prcarit de leur statut ne leur laisse comme possibilit que de se rfugier dans les interstices urbains, et dacqurir pour la premire fois de vieilles caravanes, ce qui renforce le strotype du Tsigane nomade. Dans lattente dune trs probable expulsion.

Les gens du voyage, citoyens franais, sont-ils eux aussi victimes de discriminations? M.B. : La Halde a reconnu en 2009 quau sein de la Rpublique franaise, des citoyens nomms gens du voyage font lobjet dune srie de discriminations inscrites dans la loi 3, sans oublier toutes les autres discriminations dans la vie quotidienne, quelles soient le fait des autorits de police ou de gendarmerie, des services, des entreprises ou des citoyens ordinaires. En particulier, alors que la libert de circuler est une libert fondamentale, dans le cas des voyageurs franais, elle est entrave par la difficult croissante pour sarrter, trouver un espace o stationner quelques jours. La loi dite Besson de 2000 prvoit la cration daires daccueil. Cela peut tre une solution partielle, mais nombre de familles qui en ont les moyens achtent des terrains (souvent en zone agricole) pour pouvoir se dplacer de terrains familiaux en terrains familiaux, et ainsi ne pas dpendre des institutions publiques. Les journalistes ou les travailleurs sociaux, qui ne voient bien souvent que les familles les plus prcaires dpendant de laide publique, ne peroivent-ils pas quune partie de la ralit tsigane? M.B. : Si. La majorit des familles du monde du voyage vivent des ressources de leur travail (commerce, artisanat), beaucoup des saisons (travaux agricoles), mais aussi du travail salari, des emplois municipaux. Ils sont alors le plus souvent invisibles en tant que Tsiganes pour les pouvoirs publics ou leurs voisins. Quelques-uns ou quelques-unes, au contraire, sont fortement visibles : les musiciens, les danseuses ou les diseuses de bonne aventure. En bons connaisseurs du monde des Gadj, les Tsiganes peuvent tre amens souffrir de limage qui leur colle la peau, mais aussi en jouer pour faire un peu peur, pour faire rver ou bien tour tour lun ou lautre. Propos recueillis par Philippe Testard-Vaillant1. Unit CNRS / Universit Aix-Marseille-I. 2. Les Gitans, d. Le Cavalier Bleu, coll. Ides reues , mars 2007, 128 p. 9,80 . 3. Dlibration relative aux discriminations subies par les gens du voyage, n 2009-143 du 6 avril 2009 (www.halde.fr/spip.php?page=article&id_article=12849&lie ns=ok)

Ph. Groscaux/CCJ-CNRS

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Marc BordigoniIdemec, Aix-en-Provence [email protected]

JEUNESCHERCHEURS

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Carine KarachiLexploratrice du cerveau

F

orte de sa vocation denfance, elle aurait pu tre neurochirurgienne part entire. Mais non. 36 ans, Carine Karachi, chef de clinique dans le service de neurochirurgie de la Piti-Salptrire Paris, porte aussi la casquette de neurobiologiste au Centre de recherche de linstitut du cerveau et de la moelle pinire 1. Et depuis six mois, cest luniversit Columbia de New York que vous pouvez croiser cette laurate du prix 2009 Jeune chercheur de la fondation Bettencourt-Schueller. Elle y mne un postdoc auprs de lun des pontes du cortex crbral. Tardivement ? Oui, je fais tout plus lentement du fait de mes allers-retours entre la mdecine et la recherche que jai rencontre un peu tard. En premire anne de mdecine, un stage au bloc opratoire lui rvle toute la beaut du cerveau. Cest parti pour la neurochirurgie. Mais la question des symptmes et de ce quils disent du fonctionnement du cerveau la taraude. Il lui faut comprendre, donc faire de la recherche . 1999, interruption de linternat pour un DEA dans le laboratoire du Pr Yves Agid, o elle exerce encore aujourdhui. Et dcouverte des travaux de ses collgues anatomistes, sur le singe macaque. Les recherches sur lanimal ? Dun point de vue thique, jy suis attache car ce sont elles qui assurent une scurit maximale nos patients , justifie-t-elle dun ton ferme. Quid des menaces rgulires reues par les tenants de cette position ? Moue furtive. Et dinsister plutt sur leurs efforts pour publier avec un minimum danimaux. Sur quel sujet exactement ? Les ganglions de la base . Enfouis profondment sous le cortex crbral, ce sont eux qui grent lautomatisation des gestes comme par exemple ceux lis la conduite automobile. Or la chercheuse et son quipe contribuent dmontrer, dans les annes 2000, que leur activit est module par les motions. Autrement dit, un automobiliste confront une forte motion peut brusquement devenir incapable de poursuivre sa conduite. Paralllement, nous avons tabli un atlas des ganglions de base du cerveau humain comprenant les zones impliques dans la gestion des motions. Cet outil permet aujourdhui dimplanter des lectrodes dans

le cerveau de faon plus prcise, notamment pour essayer de traiter des maladies situes aux frontires de la neurologie et de la psychiatrie Quant aux travaux exprimentaux sur le singe, ils se poursuivent jusquen 2004. Avec, en filigrane, une question prcise : et si certains troubles neurologiques venaient dun dysfonctionnement des ganglions de base ?

Bingo ! En modifiant leur activit via un agent pharmacologique Carine Karachi montre chez lanimal lapparition de troubles du comportement gestuel proches de ceux que lon peut observer chez les humains tels que le nettoyage compulsif des doigts. Des expriences qui apportent alors un nouvel clairage sur certaines pathologies, comme les troubles obsessionnels compulsifs (Toc). En 2005, thse en poche, dcision est prise de rorienter ses travaux vers les troubles de la marche. Objectif : soulager certains patients souffrant de maladie de Parkinson et victimes de chutes frquentes. Pas question de quitter ses chers ganglions de la base. Soumettant une autre zone (le noyau pdonculopontin) la stimulation profonde 2, la jeune femme obtient des rsultats plus que concluants chez le singe. De quoi franchir le pas chez lhumain, et oprer dores et dj deux patients dans le cadre dun protocole de recherche en cours. Cest un dfi important en sant publique car les chutes augmentent fortement la mortalit des personnes ges. La sensibilit du mdecin nest jamais loin, indispensable allie du temps pass expliquer aux patients le pourquoi de leur maladie ou dune intervention. Carine apprcie lchange, linstar de son quipe o cliniciens, anatomistes et comportementalistes ont su tisser des liens troits . De lnergie revendre, de la passion. Les ingrdients essentiels sont l pour mener de front cette double carrire. Sans oublier la vie familiale avec une petite fille de 10 ans, la course pied, le thtre, le jazz Bref, des connexions multiples la vie. Patricia Chairopoulos1. Unit CNRS / Inserm / Universit Paris-VI. 2. La stimulation crbrale profonde est utilise comme traitement dans certains cas de maladie de Parkinson. Via une sonde munie de microlectrodes, elle consiste stimuler lectriquement des structures cibles du cerveau.

En premire anne de mdecine, un stage au bloc opratoire lui rvle toute la beaut du cerveau.

S. Compoint

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Carine [email protected]

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

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LENQUTE

LA RVOLUTION

LASERCest en mai 1960 que le physicien amricain Theodore Maiman dcrit dans une publication le fonctionnement du premier laser rubis. Cinquante ans plus tard, le laser a conquis la plante et le monde rend hommage ce hros de la technologie moderne. Il faut dire que le laser sest rendu indispensable lindustrie, la mdecine, notre vie quotidienne, mais aussi la recherche. En effet, grce ses innombrables applications, ce sont aujourdhui toutes les sciences qui ont recours lui. Et pourtant, ce fabuleux succs nen est qu ses dbuts Car dans les labos, de nombreux efforts sont dploys pour amliorer en permanence les technologies du laser, donnant ainsi naissance des applications souvent inattendues. Pleins feux sur un quinquagnaire toujours aussi rvolutionnaire. F Vrignaud/CNRS Photothque .

Le phnomne lumineux ci-dessus est un supercontinuum. Il apparat lorsquune impulsion laser est envoye dans une fibre optique microstructure et y gnre toute la gamme de longueurs donde visible.Le journal du CNRS n 243 avril 2010

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RCIT DUNE DCOUVERTE LUMINEUSE DES LASERS TOUT FAIRE DAUTRES PROMESSES POUR DEMAIN

Rcit duneLe physicien amricain Theodore Maiman, concepteur du tout premier laser.

I

nvention banale ! Tel est, en substance, le premier jugement port en 1960 sur le travail dun chercheur dun petit laboratoire Malibu, en Californie. Alors que mme son suprieur ny croyait pas, Theodore Maiman, un physicien de 32 ans qui, plus jeune, rparait des appareils lectriques pour se payer les frais duniversit, est parvenu concrtiser lide un peu folle dArthur Schawlow et Charles Townes, deux scientifiques thoriciens : produire, grce aux lois de la mcanique quantique, un faisceau de lumire amplifie parfaitement rectiligne. Le premier laser tait n. Pourtant, la prestigieuse revue Physical Review Letters, qui Theodore Maiman a envoy son compte rendu dexprience, rejette larticle : Encore un nime papier sur les masers [lanctre du laser fonctionnant avec des micro-ondes, NDLR] , rpond-elle, lapidaire, dans une lettre adresse Theodore Maiman. Inutile de prciser que lhistoire a donn tort cette premire raction. Au cur dun march mondial de plusieurs milliards deuros, le laser est aujourdhui partout : dans les salons, les supermarchs, les cabinets mdicaux, les usines, mais aussi dans les labos de recherche o il a su se rendre indispensable dans toutes les disciplines. En fait, si Theodore Maiman a apport une contribution historique essentielle au laser, ses vritables inventeurs demeurent Arthur Schawlow et, surtout, Charles Townes qui travaillait

dans les annes 1950 luniversit de Columbia. Charles Townes recevra le prix Nobel en 1964 pour le dveloppement des concepts ayant amen au maser, puis au laser. Ayant travaill durant la Seconde Guerre mondiale sur des systmes de bombardement assists par radar, Townes tait familier des appareils gnrateurs de micro-ondes (utilises au mme titre que les ondes radio dans les radars). Dans les annes 1950, en exploitant ses connaissances et un processus imagin par Einstein, lmission stimule (voir illustration pp. 20-21), Townes imagine crer un flux de photons tous identiques, obtenus par amplification dune onde lectromagntique. En quelque sorte, une photocopieuse photons ! Il fabrique alors lappareil dit damplification de micro-ondes par mission stimule de radiation, ou maser. Cest la premire fois quon amplifie lidentique un rayonnement lectromagntique. Townes se pose alors naturellement la question : la lumire visible peut-elle aussi tre amplifie ? Avec son beau-frre Arthur Schawlow, Charles Townes publie en 1958 un article qui jette les bases thoriques du laser (amplification de lumire par mission stimule de radiation). Reste que la concrtisation de lide est loin dtre une affaire plie, mme si de nombreux laboratoires se lancent dans laventure. Il faudra en effet attendre deux ans pour que le bricoleur de gnie de Malibu Theodore Maiman fabrique le premier laser en utilisant un barreau de

rubis. Il publiera finalement ses recherches dans la revue scientifique Nature. Son laboratoire organise une campagne de publicit pour promouvoir son invention. Dans le monde entier, cest la course qui obtiendra leffet laser avec des systmes physiques diffrents du rubis quavait utilis Theodore Maiman. On ignore alors toujours quoi servira cet instrument qui dlivre un fin pinceau de lumire, mais une chose est sre : le laser fascine.Le journal du CNRS n 243 avril 2010

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HRL Laboratories, LLC

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rt en physique avec lapparition, en 1966, des lasers colorant (baptiss ainsi car le milieu amplificateur est constitu de colorants chimiques en solution). Limmense avantage de ces lasers : en variant les concentrations des colorants, on peut ajuster la longueur donde de la lumire mise par le laser. Les lasers colorant ont t une rvolution pour la spectroscopie qui permet dtudier les proprits datomes ou de molcules travers leur capacit absorber les ondes lectromagntiques, explique Lucile Julien, du Laboratoire Kastler-Brossel (LKB) 1. Pour la premire fois, on a pu balayer les raies atomiques [soit cibler les unes aprs les autres diffrentes longueurs donde absorbes par les atomes observs, NDLR] et faire de la spectroscopie haute rsolution. Ces annesl, tout le monde comprend que le laser va vite devenir incontournable dans les labos. Quand je suis arrive au LKB en 1972, certains groupes achetaient des lasers sans avoir encore une ide prcise de ce quils en feraient , se rappelle la scientifique. Les physiciens vont aussi exploiter la puissance de la lumire mise par les lasers. Ainsi vont natre loptique non-linaire, une branche de

LE FONCTIONNEMENT DU LASER

HLR Laboratories, LCC

> Linvention va rapidement montrer son int-

Copie du laser de Theodore Maiman au centre duquel on distingue la barre de rubis qui produit les photons.

loptique o les proprits optiques des matriaux sont altres par le faisceau laser qui les traverse, et loptique quantique qui tudie les consquences de la nature quantique de la lumire (sa dcomposition en photons) sur sa manire dinteragir avec la matire. Cette discipline sera la base, dans les annes 1990, de tours de passe-passe optiques qui enfanteront linformation quantique, discipline dans laquelle les photons du laser sont porteurs dinformation, et dont la cryptographie, la tlportation, et lordinateur quantiques sont les derniers avatars.

UN SUCCS QUI NE SE DMENT PASAujourdhui, le march mondial du laser est estim environ 6 milliards de dollars. Plus de la moiti de cette somme provient du stockage dinformation sur CD ou DVD, mais aussi des tlcommunications. Le laser possde des pro-

prits qui permettent de transmettre une densit dinformations importantes sur de longues distances, explique Sylvain Fve, ingnieur dtudes au laboratoire Fonctions optiques pour les technologies de linformation (Foton) 2 Lannion. En particulier, comme cest un faisceau trs directif et trs cohrent [tous les photons dun mme faisceau conservent une sorte dtiquette qui permet de les distinguer des photons dun autre faisceau, pourtant de mme longueur donde, NDLR], on peut faire rentrer la lumire de plusieurs lasers dans une mme fibre optique sans quils interfrent. Lannion avait t le thtre, en 1966, de la premire transmission dinformations dans lair par laser. De nos jours, les transmissions circulent dans des centaines de millions de fibres optiques qui sillonnent les continents, traversent les ocans ou font du cabotage le long des ctes. En fait, tout le cur des rseaux de tlcommunications mondiales est quip de fibres, tandis que la transmission par fils de cuivre (dont le dbit est au moins 10000 fois moins lev que

1.

LES COMPOSANTSUn laser est constitu de trois lments : un milieu actif (solide, liquide ou gazeux) dans lequel la lumire est amplifie, un mcanisme dit de pompage qui confre de lnergie ce milieu, et un rsonateur optique qui sert dmultiplier lamplification. Contrairement la lumire ordinaire, la lumire laser est monochromatique (les photons sont tous de mme longueur donde) et unidirectionnelle (les photons se dplacent tous dans la mme direction).

Miroir rflchissant

Photon incident

Atome

Photon

Apport extrieur dnergie

Apport extrieur dnergie

2.Photon

LE POMPAGE OPTIQUELorsquun atome est excit, il met un photon dune longueur donde caractristique pour revenir un niveau dnergie plus bas. Pour obtenir la lumire laser, il faut donc en premier lieu exciter les atomes du milieu actif (appel aussi milieu amplificateur) en leur fournissant de lnergie (lectrique, chimique ou lumineuse). Cest le pompage optique. Invente par Alfred Kastler, cette mthode permet de raliser une inversion de population , explique Claude Cohen-Tannoudji du Laboratoire Kastler-Brossel, prix Nobel de physique en 1997. Le milieu amplificateur possde alors davantage datomes dnergie leve que datomes de basse nergie. Selon que le pompage est continu ou intermittent, le laser mettra une lumire continue ou des impulsions plus ou moins courtes.

Atome ltat fondamental

Atome excit mettant un photon

Retour ltat fondamental

Le journal du CNRS n 243 avril 2010

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par fibre) est rserve la priphrie du rseau. valu deux milliards de dollars, le deuxime march des lasers est le micro-usinage : les lasers ultrapuissants employs dans lindustrie permettent de souder et de dcouper de la tle avec une prcision diabolique. Les constructeurs automobiles sont trs friands de ces lasers qui concentrent une puissance de 20 100 watts sur une zone infrieure au diamtre dun cheveu. Autres utilisateurs, les fabricants de panneaux solaires qui dcoupent leurs cellules photovoltaques dans des plaques de silicium, ou encore les industriels de laronautique qui percent certaines parties des moteurs davion afin que lair vienne refroidir les pales. Le marquage dobjets, telles les lettres sur le clavier dordinateur ou linscription dune marque sur un stylo, se fait galement avec des lasers. Pour encourager la recherche sur les procds utilisant les lasers de puissance, un laboratoire vient de prolonger lunique Groupement dintrt scientifique sur le laser. Abordant de nombreux programmes de recherche et baptise Gepli, cette runion dacteurs privs (dont Air Liquide, ArcelorMittal, PSA, Safran et Thales) comme publics

Les lasers ont trouv une application de premire importance dans lindustrie, notamment pour la dcoupe et le micro-usinage de pices.

D. Parker/SPL

Aujourdhui, le laser et la fibre optique sont au cur des tlcommunications mondiales. Ils permettent de transmettre rapidement des informations sur toute la surface de la plante.

Photon mis semblable au photon incident

3.

LAMPLIFICATION PAR MISSION STIMULELa production de lumire par un atome excit peut tre soit spontane, le photon part alors dans nimporte quelle direction, soit stimule. Dans ce cas, cest un photon dit incident qui pousse latome se dsexciter en mettant un photon en tout point identique (mme longueur donde et mme direction) au premier. Ce second pourra son tour dsexciter dautres atomes, qui gnreront eux aussi des photons identiques. Petit petit, les photons sajoutent les uns aux autres et forment la lumire laser.

4.Miroir semirflchissant

LA PRODUCTION DU FAISCEAULe milieu actif du laser est enferm dans un rsonateur optique qui sert dmultiplier lamplification de la lumire afin de crer le faisceau laser. Le plus souvent, il sagit dune cavit aux extrmits de laquelle se trouvent deux miroirs, lun totalement rflchissant, lautre semi-transparent (dans le cas des diodes laser, les miroirs ont disparu et cest la structure de la diode elle-mme qui forme les parois rflchissantes du rsonateur optique). Les photons sont renvoys dans le milieu actif par les miroirs qui se font face, continuant ainsi dsexciter des atomes et donc gnrer de la lumire. Une faible fraction de cette lumire traverse le miroir semitransparent : cest le faisceau laser.

Flux laser

(le laboratoire Procd et ingnierie en mcanique et matriaux 3) tudie notamment le soudage de tles couvertes de revtements anticorrosion, opration pour linstant problmatique et cruciale pour lindustrie automobile. Elle tentera par ailleurs de donner une ralit industrielle au prototypage laser : dans ce procd de fabrication rapide de pices mtalliques, un faisceau laser, pilot par un robot, agglomre par fusion une poudre mtallique qui adopte alors la forme des pices souhaites. Une technique qui intresse de nombreux industriels, en particulier pour raliser des prototypes la gomtrie complexe ou pour rparer des lments mtalliques uss (aubes de turbines de racteurs davion, pices tournantes de machines, etc.). Autour des mastodontes conomiques que sont les tlcommunications et le micro-usinage gravitent une galaxie dapplications du laser au poids financier plus modeste. Linvention se retrouve par exemple dans les caisses de supermarch pour lire les codes-barres, les imprimantes de bureau ou encore les capteurs de niveau. Dans lindustrie automobile, on mesure le dbit dinjecteurs en interceptant le filet de gouttelettes en sortie avec un faisceau laser. Sur mer ou dans les airs, on calcule linclinaison dun navire ou dun avion grce des gyromtres lasers. Dans les travaux publics, on noie des fibres optiques dans le bton des ponts pour dtecter des dsquilibres mcaniques (les tensions compriment les fibres, ce qui change leur transmission lumineuse). En ophtalmologie, on corrige la vue en taillant la corne pour rediriger les rayons lumineux vers la rtine, tandis quen chirurgie onLe journal du CNRS n 243 avril 2010

www.gregcirade.com pour le journal du CNRS

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Ph. Plailly/Eurelios/LookatSciences

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> cautrise des petites plaies. Les dermatologues emploient le laser pour brler des taches de lpiderme ou diminuer la pilosit. Les statues et les monuments se refont galement une beaut grce lui. En tirant des impulsions laser sur la surface de la pierre, on peut en effet la chauffer suffisamment pour entraner sa brve vaporation et retirer ainsi la couche noirtre due une raction chimique avec la pollution des villes. Autre bnficiaire : les peintures sur pierre. En collaboration avec plusieurs organismes nationaux de conservation du patrimoine, le Laboratoire lasers, plasmas et procds photoniques (LP3) 4, Marseille, a mis au point une technique pour redonner leurs couleurs des sculptures ou des fresques murales. Le rouge base doxyde de plomb a beaucoup t utilis dans les glises, dcrit Philippe Delaporte, responsable du projet au LP3. Or ce rouge ragit loxygne de lair et noircit. Avec un laser continu, on peut faire vaporer loxygne et retrouver la couleur originelle. Grce au soutien du fabricant de laser Coherent, une peinture murale du XIXe sicle de la chapelle de Solomiat, dans lAin, a partiellement retrouv sa jeunesse dantan. Avec ces recherches, le laser, enfant illgitime de la Grande Guerre et des recherches menes sur les radars et les micro-ondes, croise une nouvelle fois la route de lhistoire. Au vu des mille et une applications de linstrument de Townes et Schawlow, parions notre chemise que lvnement se reproduira. Xavier Mller1. Unit CNRS / Universit Paris-VI / ENS Paris / Collge de France. 2. Unit CNRS / Universit Rennes-I / Insa Rennes / ENST Bretagne. 3. Unit CNRS / Ensam ParisTech. 4. CNRS/ Universit Aix Marseille-II.

Grce au laser, lobservatoire astronomique et gophysique Goddard, aux tats-Unis, suit les dplacements de la sonde spatiale LRO, en orbite autour de la Lune.

NASA/Debbie McCallum

Des lasers

Q

5 mm Les lasers permettent de restaurer les fresques murales : gauche, en noir, la zone non traite, droite, la zone irradie redevenue rouge orang.

CONTACTS

Sylvain Fve, [email protected] Lucile Julien, [email protected] Philippe [email protected]

uestion : quelle est la seule composante du programme amricain Appollo toujours en fonctionnement ? Celle qui permet de mesurer la distance Terre-Lune. Les missions Apollo 11, 14 et 15 avaient en effet install sur le sol lunaire des rflecteurs lasers. Dans les dcennies suivantes, en braquant vers ces rflecteurs des faisceaux laser depuis le sol terrestre (et vers des rflecteurs dposs par deux sondes russes), les astrophysiciens ont dvoil limage dune Lune orbitant 384 467 kilomtres autour de notre plante et sen loignant de 3,3 cm par an. Le programme, toujours en cours, permet daffiner notre connaissance de lhistoire passe et future du satellite naturel de la Terre travers celle de son orbite. Cet exemple le prouve : les lasers sont des outils au moins aussi utiles aux scientifiques quaux industriels. En physique fondamentale, linstrument de Charles Townes va, par exemple, prochainement servir tester une loi de la relativit gnrale selon laquelle la gravit influence le temps : celui-ci scoulerait plus vite dans lespace qu la surface dune plante ! En thorie, comparer les temps donns par lhorloge dun satellite en orbite et le temps international, mesur sur Terre, devrait suffire mettre en vidence leffet. Mais il existe actuellement 100 150 horloges atomiques au sol qui dterminent, aprs avoir effectu une moyenne, le temps mondial, rappelle Pierre Exertier, directeur de recherche au laboratoire Gosciences Azur (Goazur) 1, SophiaAntipolis. Or les systmes actuels de transfert de temps par ondes radio [grce auxquels les hor-

loges schangent leur temps, NDLR] sont moins prcis que les horloges elles-mmes, de sorte que la prcision du temps international est limit quelques nanosecondes , un -peu-prs insuffisant pour observer leffet de la gravit. Do lide du projet T2L2, auquel participe Pierre Exertier, dexploiter le rflecteur mont sur le satellite ocanographique Jason 2, lanc en 2008, pour synchroniser, grce une lumire laser faisant des allers et retours entre le sol et Jason, le temps de plusieurs horloges atomiques terrestres. Quand cet change de donnes entre terre et espace, encore en rodage, sera ralis, les physiciens disposeront enfin dun chronomtre la graduation assez fine pour y lire leffet de la gravit sur lcoulement du temps.

SONDER LATMOSPHREEn 1991, au ple Nord, la station DumonDurville, la joie se lit sur les visages dune quipe de physiciens de latmosphre : ils viennent dinstaller lun des tout p