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Suicide el folie chezlesfroducfeurs im lnolres ANS son autobiographie, A I'ombre du mancenillier, Pierre Benoit écrit qu'il connut à la Commission d'assurance- chômage deux traducteurs ùu comportement pour le moins :rberrant.Le premier souffrait de délire religieux. " Il prêchait l'éuan- gile en public et se jetait dans la neige/es brttsen croix chaque fois qu'utt policier hi intimait I'ordre de circuler, (OM, zoo). Il devint fou furieux et sa fàmille dr-rt I'enfermerdans un hôpital psychiatrique. Son successeur souffrait d'un complexe de persécution. Sombre et morose, il .se terrait dans son coin, silencieux comme une tombe. Lorsqu'il sortait de son mutisme, toutefois, les résultats pouvaient être désastreux. Il déclenchaune panique dans le service le jour otr il claironna qu'il était atteint d'un mal vénérien. Un médecin I'examina et conclut gve "le seul rna/ dont souffrait ce prluure homrne se trouuait situé dans une autre partie de son tlnlto- mie, /e cerueau,, (Ibid.).Ironie du sort, on muta le malade au ministèrede la Santénationaleet du Bien-être sociai... Jean Delisle est profèsscLrr à l'Universiré d'Ortarva. Pour sa part, Mârcel Paré me confia que son cabinet de traduc- tion, Publicité-Serviccs, perdit au rnoins quatre collaborateurs de façon tragique : la corde, lc revolvcr et deu* rnorts par noyade - unc traductrice se jeta du lraut du cap d'Antibes, une autre, d'un pont reliant Hull et Ottawa (AL, r57). Sansêtre tabous, le suicide et la folic de certains mcmbres dc la profession sont des sujcts rarement évoquésdans lcs revuesou les ouvrage.s dc traduction. Pourtant, quel traductcur n'a pas cu yent de cas comme celui de cctte traductrice retrouvée asphlxiée à son bureau, la tête enfouie dans un sac de plastique? Ou de cet auteur d'un manuel de traduction bien connu qui nrit fin à ses jours en se ietant dans le canal Rideau ? I)e ce réviseur,chargé de cours à I'université. cui s'enlevala vie en se tirant une balle dans la tête? Ou encore dè ce fonctionnaire hystérique qui lança sa mâchine à écrire du neuvième étage d'un édifice à la suite d'une violente altercation avec son réviseur ? Dieu merci, ceux qui embrassent la carrièrede traducteurne connaissent pas tous unc fin aussi tlagique et ne sombrent pas for- cément dans la démence,quoi qu'en pensentcertainscvniques... Personne à ma connaissance n'a jamais démontr'é que marcher sul Devant ces appailtions.du perconnoge-troducteur dons lo littéroture quêbêcoise, fout-il rire ou pleurer? A vousde juger... par Jean Delisle 14 . JUrN 1992 - CTRCUTT

Jean Delisle - Suicide Et Folie Chez Les Traducteurs Imaginaires

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Page 1: Jean Delisle - Suicide Et Folie Chez Les Traducteurs Imaginaires

Suicide el foliechez les froducfeurs im lnolres

beaucoup de gens confbnclent dépression chronique et burnoutcar ce dernier est souvent accompagné de périodes dépressives.Sais-tu si elle a subi un choc dans sa vie, quelque chose qui auraitpu la marquer profôndément ? Paraît-cile triste ?,

L. u Pas que je sache. n

M. u Parce quc la dépress ion propre f i ren t d i te a souventcomlrrc point de départ un événement traumatique. E[e ne semirrr i fèstc pas toujours sur- le-champ; el le néccssite une périoded' incubation. El le se caractérisc oar de la tr istesse. une .sensation dedeuil . L,sr-cc qu'el le tc pareir videe, dégoirtée? Au travai l seulemcntou dan-s la vie en général ? Habituel lement, clans la dépression, let l cs i n ré r i ' t cs r généra l i sé . ,

l- . .Je pense que tu as n.r is lc doigt dessus. I l y a dcs périodcs oirel le semble complètement démolie, d'autrcs où cl le Hotte sur ur.rnLrage. Voi là pourquoi el le refuse de l 'aidc, el le dit toujours quecest passager. Dernièrement, par contre, el le nr 'a semblé ab:rt tueplus souve l t t . )

M..Ça resscmble davantage à un burnout causé par un excèsde stress, et déclenché par I 'accroissement de ses responsabil i tés oud'ur-re irrsarisfact ion au travai l . Lc burnout, conrme le disait si bienM. Freunder.rberger. c 'cst l" 'âme cn cleui l de son idéal ". La per-sonnc vit un deLri l , pirs une rupturc par rapport : i un événenrentou Llne autre personne, mai.s plutôt un deuil lace à cl lc-même, àson idéal, qu'cllc n':rrrive pas à rcncontrer. "

L. u' [ 'u sais comnre cl le cst perfect ionnistc. u

M. " L , t tou jours insa t is fa i tc : e l le sc p la in t souvent que lescl icnts n'or.rt aucunc rcconnaissancc à son égard. C'est la candiclatcicléale. l-a pcrsonne s'acharne à di 'plovcr des cf l-orts c1r,r i sont sanscommunc mesure avec les résult:r ts obtenus, jusqdà l 'épuiscmentde ses ressources. I l fàudrait la convaincre de demancler de I 'aide.n

ANS son autobiographie, A I'ombre du mancenillier, PierreBeno i t éc r i t qu ' i l connut à la Commiss ion d 'assurance-chômage deux traducteurs ùu comportement pour le moins

:rberrant. Le premier souffrait de délire religieux. " Il prêchait l'éuan-gile en public et se jetait dans la neige /es brtts en croix chaque fois qu'uttpolicier hi intimait I'ordre de circuler, (OM, zoo). Il devint foufurieux et sa fàmille dr-rt I'enfermer dans un hôpital psychiatrique.

Son successeur souffrait d'un complexe de persécution. Sombreet morose, i l . se te r ra i t dans son co in , s i lenc ieux comme unetombe. Lorsqu' i l sortait de son mutisme, toutefois, les résultatspouvaient être désastreux. Il déclencha une panique dans le servicele jour otr i l claironna qu' i l était atteint d'un mal vénérien. Unmédecin I'examina et conclut gve "le seul rna/ dont souffrait ceprluure homrne se trouuait situé dans une autre partie de son tlnlto-mie, /e cerueau,, (Ibid.). Ironie du sort, on muta le malade auministère de la Santé nationale et du Bien-être sociai. . .

Jean Del is le est profèsscLrr à l 'Universiré d'Ortarva.

M. u En passant, sais-tu qu'en fiançais, on suggère d'employerle terme épuisement professionnel ou surmenage plutôt quetrurnout? Pour certains auteurs, lc travail ne )^erait en hit qu'un

élément déclcncheur. Parler <i'épuisement professionnel biaiieraitdonc le concept. Car même -iil est généralement d'ordre profes-sionnel, ce phénomène découlc tout autant des attentes que la per-.sonne entret ient au plan personnel. D'autrcs termes ont été propo-sés cornme dépression d'épuisement, syndrome de I'usure autravail, brûlure interne. Mais or.r se rend bien compte en lisantsur le su je t que le te rme burnout es t en t ra in de passer dansI 'usage. , I

BIBLIOGRAPHIE

a l f l \Str l { l lF. , lcxn ( l l iu( lc cr Jcrn- l 'h i l rppc I l ( ) tJI lN(; t . l { . . l cs cHers n. 'grr i is c lc l rnx,.rr i " . . \ r iù ' ( . t \ j rl ' . r r i r , I r . c L i o r I \ r b l i . . r r i r r x , I L r \ S / f i ( . r " r 6 l , { l , r r n , l ) r L r o 8 r , t , . } r 4 6

a(. l l^ lVlN. l )o,r) i r i ( tnc, ln in fua rux ' t t : rhn h nt, l t t t i t l iunr. ATyl i ' t t ton' 1rarz1a' , l ) rr is. l ts l . t l it io i ls l r5 j r r . r l l ; , ry f .

. ( : l i A I \ , I N , l ) i l n l i n i q r r c ' | l l i r L | t , t l l t : t t t t l l , t , t l , l ù t , 1 l o t i l n n , . ( o l 1 i n t ! n 1 1 r t ! r l l p n ' b | i , l t ' | ' . v t s ' 1 *l i l i r i o r s I l S i r r 8 s . r o o l r .

a l ) ( ) I l 4 R I , \ . c r , r r r r r e : . N , , t r t n r l t r o t r r n , i / i , z l l ' . r r i s . l i h r r i r i c l u n , \ \ ' . r e s r . n l r l ) .a l \ )N l , \ lNI , l r rrneine cr Mrrg.rrcr ( i . Kl l . l \ ' . " l .c l )orn orrr , l In,c cn , l r r i l , lc

"r l rJL1.r l , , , , 'V,r : ,a4 r la, ' / l r ' , r\ l , r n t r t r l , v o l . 8 , n ' ; . ' c p r . r r r h r . , r c r , ' b R r e 1 8 , t , . r 8 r 4

O l r l { l l t J l ) l r N l } | l t ( ; I l t , I l c r h c n 1 . . N ( ) l { l l l . ( ; . r v l c . t L l t t t t t N r ) I i l , l r z h l i ' n n u l v l o , , r f t l . r l . l . f s l i l i ( i , ) n \' l r .nsrrrorrr l . ,

r , )87. ]5, p.. ( ; ^ l | l l | I I | l i ' J r r . t 1 < , ' . l . i r n r c r r . l t l r i l . l t " , n i < | [ ' t 1 " ' l t : I ) i 7 ) t u | l '

c i e l t i r i r c n i r c c l c N l o , , r i r . r l . r f ' r 7 L , l , r r e r r e e r , 1 r . 4 5O ( i r u u l l ) n r n r n r r n , t t , y l , ' 7 , i n 1 n 1 . r , " r ' , r l ' r r r . I i l ) r . r i r i , I , r , r , $ . , r e l r r , 2 1 l s , r o v , r l .a l ( ) l r 1 ; l { l N , l . . r L r r c u r c r . r r r r r c s . . S r r c s * , l r l c r J o r ' " . l L N r n r ' l ( ) h v n r t t r t t : l ' r r i s . N o L r v c l ( ) b s c r v r r c u r r l r

N l o r k l ( , r f r t : 1 , r l n r . i l \ r 9 e o , f . 6 I tO I ÀN( ;( r lR^N l) . l tLyt: , I 'ntrnir l t I ' tn / / , / , \1, , , , r , i . r1. l r i l i r i , , r r . I l (1r i r ts(, ret i , , , ) , l ' .a l . ( ) l t l ) , ( l r h r r i l r c , . , l . 6 d , ' , v c 1 ' h r s e r c l u l r u r n , r r r " , l t ( a : L r r , l r l t n t n , t J r r . l h c . , t i r r r s c i l < l u s r . r r u r J c l r

1 . r r r r r r . . v , , 1 . r o , r r ' . 1 . r r , ' r . r r l n < l ' . r r n l t r , 7 3 l . t , . r r r oO l\y, kthyi lu traùi

, lu rnr.rr l . lc l . r , rgLrc l r , rrr l . r r 'e, \nrnrr i . r l . I ' r rsss i lc I t in irersir . rr lu t l r r '1, . . , rvr-- . ;s r 1 ' .o l t ( ) l } | . l t | i l , . r u l r r l l l t , ' | t ( ) n n l l l | ' , | naSl l . l .AM\' , Noi l )cn, / )r t r , / ,d/ /( / tu y:yrh,hai. l ' rn. , I ib,r i r ic I rn,uss.. re11e. rh, r ' .

Pour sa part, Mârcel Paré me confia que son cabinet de traduc-t ion, Publici té-Serviccs, perdit au rnoins quatre col laborateurs defaçon tragique : la corde, lc revolvcr et deu* rnorts par noyade -

unc traductr ice se jeta du lraut du cap d'Antibes, une autre, d'unpont rel iant Hull et Ottawa (AL, r57).

Sans être tabous, le suicide et la folic de certains mcmbres dc laprofession sont des sujcts rarement évoqués dans lcs revues ou lesouvrage.s dc traduction. Pourtant, quel traductcur n'a pas cu yent

de cas comme celui de cctte traductrice retrouvée asphlxiée à sonbureau, la tête enfouie dans un sac de plastique ? Ou de cet auteurd'un manuel de traduction bien connu qui nrit fin à ses jours en se

ietant dans le canal Rideau ? I)e ce réviseur, chargé de cours àI'université. cui s'enleva la vie en se tirant une balle dans la tête?Ou encore dè ce fonctionnaire hystérique qui lança sa mâchine àécrire du neuvième étage d'un édif ice à la suite d'une violentealtercation avec son réviseur ?

Dieu merci, ceux qui embrassent la carr ière de traducteur neconnaissent pas tous unc fin aussi tlagique et ne sombrent pas for-cément dans la démence, quoi qu'en pensent certains cvniques...Personne à ma connaissance n'a jamais démontr'é que marcher sul

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Devant ces appailtions.du perconnoge-troducteur dons lo littéroture quêbêcoise,fout-il rire ou pleurer? A vous de juger...

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Page 2: Jean Delisle - Suicide Et Folie Chez Les Traducteurs Imaginaires

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de lau lesventt sonrteuren serrs àtête ?ine àIente

tr ne; for-. e s . . .r sur

[:jin- de saint Jérôme représentait une menacc pour la sanré

Les romanciers ct nouvcl l istes québécois semblent cependantenclins à le croire. En réunissant la documenration en vue d'uneétr,rde sur la représentation du traducteur dans la littérature québé-coise, j'ai été fiappé par la récurrence des thèmes de la folic et dusuicide chez les personnages-traducteurs. Leurs créateurs, dont beau-coup sont ou ont été traducteurs eux-mêmes, semblent concevoir latraduction commc un rravai l de sol i-taires introvertis, repliés sur eux-mêmeset un tantinet schizop.l-rrèn... À l .r t ,ycr,lx, cettc acrivité intellectuelle prive-rair lir personne qui s'y adonne de tourepenséc or ig ina le , ce <1u i , à la longue,rurait pour cffct de vicler son cerveau.De là r\ fairc sombrcr leurs créaturcsimaginaires clans la folic ou le désespoirconduisant au suiciclr, i l r iy a <1iun pasvite fi:rnchi. Vryons quelques cas.

Ju les Ronde: ru , dans S i le cnurmet td ie , cons ta te : " [ . . . ] / ' i so lementnourrit na pertséc de rniettu d'idics.l)tr-

Ji/uu. 1...1 Il ne nrc rcstc qu'un couiltu à tutitié rJnséchë d'ancientraducrcur hors piste. Je me suis moi-rnêmt /iquidl mentalementt(SIt-, z9). S' i l en est arr ivé à cct rrssùchernenr c'est, dit- i l , parcc cluc

" j( n'di ilintttiJ rirn crëë. 'lraduira

lrs nots, lcs prnsées dcs atûrcs, quoifu plus ttbrutissant, (p. tl+). u()uarorze ans dans cette hoîte inJàma,un grand lnorceltLl de uic gaspillë à tnrduire /a stupidité humainc

[. . .] " ,i n s'rtrrarher las rutlnin.qes ri tmduire des stloperies qui ont .fer-tnrnté daw dcs cerue,iux pourris rongls pltr h lèpre anglo-saxonne"(p . zz ) . Faut - i l s 'é tonnr r quc cc pcrsonnage, conva incu de sona u t o d c s t r u c t i o n p a r l l t r a c l u c t i o n , c o n u : r i s s e l a t c n t a t i o nsrricicl:rire ? " [4a silhouttte danse sur I't,tu salc. Sullirait dt tnc lnissertombar uers /'auant ct plouf! f ni Julcs llondeau ' (ù. lo).

Dans les Gruvres parucs avant I960, dont Jean l l iuard, LaMaison uide, Lu Médisattces de Claurle l)errin, Conmerce ct La Findes sortges,lc nrét icr clc tr ,rductcur apprrraît conlme un pis-:r l lcr, uncoccupation excrcée cl:rns I 'attcnte dc trouver nrieux, cr peu propiceà nourrir l 'cspri t . Claude Perrin avoue : u F-ina/ement f

'entrai

ct,rune traductetrr dans utte ltgcnce fu publicité anglaise. J'acrcptai cet(ntPloi romûtc un trclnplin pour lttruenir phrs baut, (MCP, 16r).Mais, constate -t-tl, u au bout de cinrl ans, je n'étais guère p/us ric/te etj'étais deuenu complètemeut bête, (p. 166). Pour éviter ce r u abêtisse-ment), Roch Laragne, lr .r i , dans ()ommerce, rrouve le n-royen dcmettre s()n cervcau uhors circuit , , quand i l traduit. A un ami quilui dernarrda s' i l était journir l iste , i l répondit ' u - Jorcnal isre ?Oui, si tu ueux. Je traduis des dépêches. 1...1 Je gardc mon c.if)rit pourle so i r " (CO,8r ) . T iadu i re sans penscr? . . .

Le thènre de la folie revicnt égalcmer.rt ci:rns Za Fin das songes,où lc traducteur Marcel Larocque se demande comment i l peut( rePrendre tous /es jours ù yaudil idiot de tradttction dans un .iour-nal, , (FS, r6), pour un salaire r idicr-Llc. l) 'hunrcur changernte crimprévisible, le sol i taire Marcel aff ichait I 'att i tude étrange d'uncarâctériel. Des crises de " confusion de personnalités, (p. r45) ponc-tuèrent la monotonie de sa vie jusqdau jour oir i l craqua et se jetasous les roues d'un trirmwa)'.

Emmuré et.r lui-mêr.r.re, Jules Drouant, dans Chronique de l'âgeamer, aff iche lui aussi le comportcment bizarre d'un abouliquedoublé d'un schizophrène: u[. . . ] i l était de plus en plusfuide. I l

faisait des jeux de mots, ndis on n( Paruendit ?lus à le ,çortir de lui-même. Ses /èures s'entr'ouuraient, ntais aucun son n'en ënanait. Ilriait par petites secousset de réparties qu'il gardait secrètes et embltrras-stlit tout le moude, (CAA, 8l).

Dans Ze Bateau d'Hitler, ChristophePerkins gagnc sa vie comme traducteurde règlen-rents fèdéraux. " Il auait renoncéà tous ses antis. 1...1 I/ uoulait en arriuer àoub/ier son âme, son orgueil, son ambition,à s'abîmer dans la pauureté, /e dësert inté-r icur, (Bl i f , r55). Cc traducter.rr ' . douépour les langues et qui passa vingt ans desa vie en prison, est lui :russi hanté par lesuicide : "

" L,[e tirer une ba/le dans latt'te. " Ccttc phrast lui reuenait (onstam-

m(nt, et chaque fois i/ auait l'impression desentir, contre sd temPe, /e /roid canon du coh j8 qu'il auait /aissé àMontréal, rlans /t: tiroir droit de son pupin'e, où il pottrrait le saisiraussi simplemenr qu'on Prend un dictionnaire 1...). D'un geste las, ilchassrtit comme une moucbe /'idée du suicide, mais e/le le hantait l...1(p. ,+t).

La jeurre traductricc de z7 ans, Maric-Patrle, dans Anandas etmelon, éprouve elle aussi un ,, tnrl/ d'être lancinant, (AMA, 31).E l le fu i t , seu le , en

' lu rqu ie . l )ans des lc t t res <1u 'e l le t : xpéd ie

d'Ankara à son :rncien anrxnt Jérônre, ellc u enudopp[el prurletu-nu,rt t / ' idla dc sa mnrt, (p. 125). h.rstable e t indépend:rnre, broui l léeavec la réalitd, ellc rcssent un vide profond que ses vagabondagesliberrins, ses <intoxituttions /tntoureuset, (p. 4(r5) ne réussissent pasr) dissipcr. Lir tracluctrice , s. L'r(usttit ttn pcu trop pro.fondénent /atêtc, poi là tout,1.. .1 on pouu,t ir se suicider darts un esprit parei l ,(p. l :6). Au bout d'un an d'attentc ct d' inquiétude, ses proches,sans nouvellcs d'el lc, déses;rèrcnt de jamais la revoir. Marie-Pauleaurait-cl lc cl-roisi cl 'al lcr mourir loin des sicns dans un pays étrangcr?

(bnrment cx1> l ic luer quc bon nombre de t reduc teurs i rnag i -naircs soicnt si souvent des êtrcs Fragi les ct dépressifs, happés par lafbl ie ou la hantise du suicide? Pourcluoi tant d'autcurs :rssocient- i lsl a t r r r c l u c t i o n r \ c c s c x c è s ? U n e c l t u d e p l u s c o m p l i ' t e d c spersonnages- t raduc teurs de no t re l i t té ra tu re dcvr , r i r pc r 'n le r r red'apportcr tout :ru moins des éléments dc réponsc : i ces qucstions.Mais, d'orcs et détà, i l est possible d' isoler :ru moins quatre c:ruses :I ' i ncon- rpréhens ion , l c surmenage, I 'e r - r r - ru i p ro fbnc l e t l c dés i ru pathologique , de v:r lor iser lcs traducreurs en travai l lant à cc qu' i lest convenu d'appclcr la reconnaissance profcssionncl lc.

Le traducteur serait tout d'abord un grand incompris

. - tbr,r, l, b;rl,*r,t Vr/@bâtiments, ç'a se uoit, ça se mesure ! Vous arriuez et uous dites auclient: ".j'ai pcinturë 2 ooo pie(h carrés, nonsieur" Et le client t,ousrëpond : " z ooo à tant du picd, ça.fàit tnnt. Voilà uotre argent!"

'lr/1-

rJuctetrr? A/lez donc! Traducteur! N'importe qui peut être traducteur!Sufit d'auoir dcs dictionnaires! Peu importe que uous nadtisiez" women's c/ub " p,tr " mdssut r/e femmc

" ott " cur/inq club " par " clult

Hugpes Langlais.n.'t'r.: t.t. n.Â\'( )( t^ t '

Brothu, Gutkin. Ste-Muric & Lan€itris

pfate du Collège Té1. : (.514) 166-92191079" r 'hernin t le ( iharnbly. bureau 207 Té1. : ( .5f4) 651-5511Longueui l (Quélxr : ) J4I I 3NI? ' l 'é lér 'opieur : (51{) f i5 l -089-1

C I R C U T T - J U r N l 9 e 2 . 1 5

Page 3: Jean Delisle - Suicide Et Folie Chez Les Traducteurs Imaginaires

de coffiurs ". S"frt d'auoir des dictionnaires ! Et, monsieur, /a têre

qu'ils font quand uous /eur présentez un comPte !Honoré obserua Saumuze. Voilà un incompris, se dit-il. C'est mal-

lteureux! Un incompris qui est traducteur par-dessus le marché, c'estpire que de I'infortune, c'est de ltl tragédie !, (TT, 16)

Le cas de Jérémie Pélissier est dillérent. S'il affiche un u teint de

boîte de nuit, (COS, 14) et att irc la compassion pirr son aspect

famélique, c'est qu'il brûle la chandcllc par les deux bouts : u Il tra'

uaillait beaucoup; d'abord au journal où il rléditait les bulletins de

nouuel/es et traduisait les artic/es d'information, et ensuite, chez lui,

où il gagnait pas mal en traduisant de la publicité, (MOE, 9z). Unami jugea bon de lui faire cctte mise eng:rrde : u'fu uas te creuer au boult,t, monuicux. Pourquoi ueux-tu creucr? (."(il ltdsnét'essaire.

'lu bosses trop. 7u uas Jinir par

(n c reucr , a lo rs pourquo i t 'en tê te r ? ,( p . q 6 ) .

Dans son prcmic r roman, Hé lènd,Claude

- l i r t i lon mct en scène un écrivain

c l u i e s t : r u s s i t r a d u c t e u r p u b l i c i t a i r cp i g i s t c . l ' h i l i p p e J o u h c r t , c c - p i s s c -bouquins,, auteur de z4 polars érot iques,rêvc d'écrire un vrai roman. Mais i [ n'encst pas e ncore là et vi t stressé. Harcelé,d'unc part, par son éditeur Albcrt Mart inq r r i l ' o l r l i g c i p , r n d r e ( l r . l : r l r ( t i t r c s p : t l ': rnnée et, d'autre part, par son ami ( l i l les

l ' a r a c l i s , q u i I ' a l i n r c n t c c n t r a d u c t i o n sp u b l i c i t a i r c s , P h i l r . r ' a p a s l c t c r n p s d cun i r i sc r , , comrnc i l d i t , s ' i l veu t honorcrses échéanccs . I l l : r i t dans le fas t food l i f t -rairc ct ptrblicit:rire (Ie mot fast prcnmt icitout son scns), au point d'er-r oubl icr devivre : "Je dois être.fàu, ma parole. Ces troisderniers mois, j'ai uëcu comme un .t'àrçat,trauaillttnt quinzc hcur,'s par .four. .ournnlrJ'une échéance à I'autre pour paruenir àliurer ici un cbapitre du DusJàur [c hérosdc ses polarsl, là un soutien-gorge tul/e ëlas-

frustration, voire d'agressivité. Dans Opération orchidëe, ChristianeVillon Fait dire à son personnage Lucie, traductrice, tout comme

elle, :ru Bureau de la traduction du gouvernement fédéral ' ,,- Eh

bien, on peut dire que, dans ton cas, le trauail c'esr /a sdnté. Je nepourrais pas en dire autltnt. Moi, je m'emmerde, je m'emmerde et je

m'emmerde. On traduit en ce moment un raP-port sur les p/uies acides; j'ai jamais rien uud'aussi rébarbatif, je dirais même d'aussi caus-tique, (OO, t4). Selon le Petit Robert, caus-t ique signi l ic , , qui désorganise, attaquc, cor-rode les t i ssus an imaux e t végétaux r . Letissu cérébr:r l scrait- i l part icul ièrement vul-nérable à I 'cffet caustique de I 'e nnui ?

Enfin, le cas le plus étonn:rnt des annalesd c l a t r a d u c t i o n e t d c l a p s y c h i a t r i ed c m c u r e , à m o n a v i s , c c l u i d e c e b r a v eDonatien, dans .I-ss Obsédés textue/s, qui vou-l'ùt "fàire de la /angue sa maîtresse et, chose

plus incroyable encore, tenter da ua/oriser les trdducteurs, (O'1, t17).

Parei l le insanité, on s'en doute lr iet-r, lui valut ur-re réclusion i \ pcr-oétuité dans un asile. La salle oir :rv:ricnt été enfermés les traduc-i " r ' r r . r . t rouva i t au bor t t d 'un long cou lo i r . Leur nornbre c tI 'excentr ici té de leurs manies rendaicnt nécessaire leur regroupc-

nrent dans une salle spéciale. u Tltus ces traductopathes amPutés de

leurs Jàcuhés [étaient] afiligës de la même tare proJèssionnelle. Ik

auaient pourtant si bien jong/é auec les nots, les sentiments, les idéa.Ils ne sont plus que des culs-de-jatte de l'intelligentz [...] , (p. rz4).

Un ancicn col lègue de Donatien lcur rer-rdit visi te et ler,rr l ivra

un discours aussi éloqucnt <1uc réconftrrtant, dont voici quelcluesbribes : * En uériré,je uous le dis, il ny a pas de plus bel dntour que dcsat'ri/ier son intcl/igcrtce pour la traduction et /a /angue. Vous êtes dasiru:onnus ? On uous mésestime ? Qu'imltortc. [/n jour uone mëriteimmanse sertt re[onnu et proclamy' sur tous les toits. Vous brillerezalors d'une gloire éternelle au.firmament de la renommée. 1...1 La

gloire, rnêrne posthume, esl encore ldgloirc. l) ' ic i à t c qut la mort uienneuous dél iurer da / ' ingrati tude deshommes, gardez-uous de sombrer dans ledésespoir. Souuanez-uous du combathéroique qui lut ce/ui de uotre uie t(P . rz8) .

À l" Ên de sor.r envolée parhétiquc,d i g n e d ' u n D é m o s t h è n e , I ' o r a t e u rdescendit de sa tr ibunc ct sc mit à dis-tr ibuer à la rondc des macarons surlescluels on por.rvait lire :

Je suis fou de la TRADUCTION. I

REFÉRFrNcEsr \ l l ) l : l ls l . l i , l t rn, / . r ;1/r / ,ar i ' !À lÀ l ' t i r i t \ . Ln Soùlt l . lA r ,a, / t tu, , , : ,1 ' , {)ut ln. teat r?ra, () t tu 'r , Lts

I ,rcsscs clc l Linivcrsirc l , r . ) . )o,446 p.A\14 \1()Nl l ' l F. , Nlrclc lc inc, : izrarzlr rr r ia '1al . 1\ '1rrnrr i i r l . l i l lcxrgonc. r99r, 4(,( , p.I lAl ILJII( ; t ()N, l ' i t t t , l . t l t tut l ' l l i t l r r Morrrrû1, l lorar l . r98l i . :1r p.( lAA ( l l IAI iBONNtTALi, l tobcrt , {) l raniquL fu l i i r atutr Mrrrrrer l , F., l i tnns Ju Srbl i t r , I9a)7, I .+4 p.( l ( ) l l r \ l l . l . i \ l t ( ; I r ( )N, I ' icrrc, ( . :onnrn, Nlonn. lr l , l .cs crdir ions V.rr i i r ls, r 9.17. r 13; p.( .()s | ; \ l t . l . l r ' l l r \nt l rolc, " l cs tonspirrrerrrs ' . àn: l r Xlottr talair col l . . l .cs ronrrrr . iss du iour, . N{onr

rcr l , t rs idi tnrns du Jour 1962, I4r l ) .t l : l t l ( ) tJX. 1lélùrc. . l .es Ànrures. l É.1. ' , ,uu,." , t l .ns t l lntnt tL l lng (arr Nloni l r l , Qu(ibc./Ânrl

i l ( | rc, r986. Iro P.IrS t . l - lÈ., l \obcn. La l : in fui :ongt. , lv l"rrrru.r l . l :J i r i , ,n ' l rc.ru.hcnrn reio, :5h p.l l l l .

' lÂi l l . ( )N, ( lhudr, l / laa. I ' . r r is. Arc.rnrère, reer, r11 p.

\{( lP I IAILI.AR(;t .ON.l ' icrrc,1- ir , l l t rz lu,mltOhntul l ' t r i i l .1!{ontréal, l .escdit ionsdulour,re71.r. ;7p.NIOIr N{AI l . l . l r ' l l Andr&. . Mcurs rmorrcuscs c1c cinq \{ontrérhis ' , dns I . t : Mutr/ , tk is, col l . . l .cs n,nrrn

cicro r lu j rrrr " , V{rrrrré.r1. l .es édit ions t lu Jour, I ,76:, r45 p.Ol\1 RlrNOll l I ' i ' re, À lhi ln tu nazral l lnr Montrér l , l .es Ll l i t ions Bergcnn. reih, r8r p.()() Vl t . l .ON, ( lhr ist i i \ rc, Ol) l i l t ioa odrl .1a Nlontéi l , l . t Jour, adircur, r98t. I87 p.() l I )F. l . lSt F.. Jean, I r Ohridû t txtnrk. I lu l l , Lcs ddir ions Ast i .olr . r9l j r , Ie6 p.

SI L i r lAILl l l l . . Pierc. . \ i h cnn r nenl ie. col l . . l iomrns cl ru jourol 'hui " . Monr rér1. l .es éditn;ns La I 'Lcssc,

r 9 N r , r 7 0 p .l ' 1 l F . l l t l N , t . t r , l i r z l t t r a l t t t t u r , N ' l o n r r i r l . l . i b r r i r i e l ) é o m , r e a r r , 2 r r p .

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tique, une ruTildnte ltutomobile six cy/indres en /igne boîte t'inq rap-porrs lses contrats dc publ ,' (HIrl,, 5r). Cc rythme de galérien lecor-rduit tout droit à. vn burnout. Sur ordre dc son médecin, i l doitse mcttrc au repos, "au moins un mois, (p. rz6). Mais commcr]tarrêtcr la roue ? I l vierrt à peinc dc l ivrer son dernier dépl iant publ i-citaire que son donneur d'ouvr,rge s'empressc de lui refilcr un nou-ve:ru texte à traduire < un touT petit truc d'une cinquantaine de mots,pas plus, (lbid.). Mtis cettc F<ris, il est résolu : "1...1 ce sera le der-nier. Jurë-craché, (lbid.). S:rura-t-il tenir parole ? Pas fàcilc quand onaime les mots ( à k folie r, qu'orr les a.ime " corlts et âme > (p. IzS).

L,t si le surmenage était une façon de se suicider en douceur.. .Ce danger guctte la traductr ice d'unc nouvcl le d'Hélène Rioux,E léonore , " qu i n 'a pas d 'amis ) parce qu 'e l le " ne L- ro i t l ,as - (nI 'dnit ié,, bien qu'el le air, ,cinq ùmants. tous mariés, (FE, r5). A laMarrufacture de Mots, où cllc travaille , " i/ faut corriger cinq millemots par jour en rédiger deux mil/e, en tfttduire mille cinq cents. Oniest pas payé pour se complaire dans des rêueries lubriques, (p. rS;.u Course contre /a montre. E/le ueut, elle doit auoir terminé auantcinq heures, surtout ne p/$ rapporter de trauail à /a maison, ne pasdeuoir paxer la soirée le nez dans les dictionnaires, (p. zz). I-e sur-menage, volontaire ou imposé, et le strcss serâient-ils les voies lesplus directes conduisant à la folie et à l'< exit hnal , ?

Lennui que distillent certains textes débilitants est en sor unesource de stress et déclenche parfois des sentiments de profonde

16. JUrN 1992 - CIRCUIT

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