Jean-Paul Zuñiga - L'histoire imperial à l'heure de l'histoire globale

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    L'HISTOIRE IMPRIALE L'HEURE DE L' HISTOIRE GLOBALE .Une perspective atlantiqueJean-Paul ZunigaBelin | Revue d'histoire moderne et contemporaine

    2007/5 - n54-4bis

    pages 54 68

    ISSN 0048-8003

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2007-5-page-54.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Zuniga Jean-Paul, L'Histoire impriale l'heure de l'histoire globale. Une perspective atlantique,

    Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2007/5 n54-4bis, p. 54-68.

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    Histoire globale, histoires connectes

    LHistoire impriale lheure de lhistoire globale .

    Une perspective atlantique

    Jean-Paul ZUNIGA

    Le dveloppement des moyens rapides de communication, Internet toutparticulirement, a donn limpression nos contemporains que le monde, pourla premire fois, battait lunisson. Cette ide reue, dont il est impossible dedire si elle est plus le constat gris du dcuplement des moyens de communica-tion que nous avons vcu ces dernires dcennies, que la transformation en vi-dence du sens commun dun slogan mdiatique, se trouve la base delengouement corrlatif pour la notion de globalisation ou de mondialisation.

    Ces notions ont reu des lettres de naturalit dans les sciences sociales grce la rapidit avec laquelle ces termes ont t adopts dans la recherche, donnantainsi presque un contenu andersonien aux expressions journalistiques villageglobal ou communaut virtuelle , devenues des communauts imagines ,et donc possibles, par la vertu de la communication1. Or, comment ne pas voirderrire cette rhtorique le dsir quasi mystique dune communaut retrouve(re-lie pourrait-on dire)? Cet aspect est dautant plus fort que dans le domainedes sciences sociales, lappel aux thmatiques globalises sonne comme lemoyen de retrouver le sens total,et en ce sens global , des phnomnes sociaux.

    Dune certaine manire, cette table ronde elle-mme, organise le 9 juin 2007

    par la SHMC, montre cette attente latente. En effet, son titre invite rflchir surles raisons qui ont amen lier demble deux problmes, celui de lusage deschelles dans le travail de lhistorien et la problmatique plus gnrale de lmer-gence de ce que lon appelle lhistoire globale. Il apparat alors rapidement queplusieurs facteurs unissent effectivement ces deux dmarches qui,bien que voyantle jour diffrents moments, semblent toutes les deux rpondre une mmedemande, celle de rintroduire dans le travail historique la possibilit danalysesautres que fragmentaires et parcellaires.

    1. Ce sont les journalistes qui ont popularis (et intronis) lexpression de Marshal McLuhan,qui aimaitnoncer ses ides sous forme de slogans pour le grand public. Cf. Marshall MCLUHAN, La Galaxie Gutenberg.Lagense de lhomme typographique [1962], Paris,Gallimard, 1977; et Benedict ANDERSON, Imagined Communities,1991, trad. fr. Limaginaire national. Rflexions sur lorigine et lessor du nationalisme, Paris, La Dcouverte, 2002.

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    DUNE ANALYSE SEGMENTE UN MONDE SANS BORNES ?

    Les vertus heuristiques du jeu dchelles2

    nont plus tre dmontres une recherche franaise qui, amplement subjugue par lexemple donn voiciplus de vingt ans par la microstoria italienne3, a naturalis et transform cetoutil mthodologique qui apparaissait bien des gards comme une rponsetechnique la crise des interprtations globales en histoire, cette fin duneautre histoire globale, lhistoire totale de nos ans4. Car grce lapprochemicro-historique, ltude dobjets extrmement restreints a rendu accessiblepour un mme chercheur lanalyse des multiples dimensions dune mme ra-lit, rompant de la sorte les frontires qui staient leves entre histoiresociale, culturelle, conomique et politique. La biographie apparaissait en ce

    sens comme le moyen dtudier en mme temps lensemble des contraintespesant sur un individu dans une socit et un milieu socioculturel donn, et lamarge de manuvre, de libert, dont il disposait pour se construire et dve-lopper un parcours individuel5.

    En cela, le jeu dchelles micro-historique se rapproche des proccupa-tions des approches globales , car la volont de dcloisonnement discipli-naire de la microstoria correspond, dans les analyses globales , le souci defaire clater le cloisonnement gographique ou culturel. Le matre mot desapproches globales est en ce sens la circulation dans lespace des hommes, des

    objets, des concepts ou des catgories6

    , circulation qui ne saurait saccommo-der des perspectives troites de ltat-nation, horizon le plus commun, neserait-ce que comme cadre de rflexion, des tudes historiques. La prise encompte de trs vastes aires, stendant transversalement sur diffrentes unitspolitiques et culturelles, serait ainsi le moyen de jouir dun point dobservationprivilgi, tout en induisant un travail faisant appel a diffrentes comptencesdisciplinaires. On voit ainsi clairement en quoi ces approches se sparent radi-calement de la vieille histoire universelle, fonde sur une vision civilisation-nelle et ethnocentrique, et dcline, dans sa version classique, comme lasuccession de grandes civilisations, units plus ou moins discrtes, analyses

    de manire linaire.Cette qute, commune aux analyses micro et globales, dapproches

    mthodologiques larges et de dmarches dcloisonnes, nimplique pour-tant nullement une convergence ; cest ainsi que, dans le domaine franais,Serge Gruzinski a revendiqu explicitement la supriorit dune approche mondialise mondialisation tant la variante franaise de laglobalization

    2. Jacques REVEL (d.),Jeux dchelles. La micro-analyse lexprience, Paris, Gallimard/Seuil, 1996.3. Giovanni LEVI, Le pouvoir au village. Histoire dun exorciste dans le Pimont du XVIIe sicle [1985],

    Paris, Gallimard, 1989.4. Roger CHARTIER,Au bord de la falaise, Paris,Albin Michel, 1998.5.G.LEVI, Les usages de la biographie,Annales,ESC, 44-6, 1989, p. 1325-1336.6. Claude MARKOVITS, Jacques POUCHEPADASS, Sanjay SUBRAHMANYAM (eds.), Society and

    Circulation. Mobile People and Itinerant Cultures in South Asia 1750-1950, Delhi, Permanent Black, 2006.

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    anglo-amricaine par rapport la microstoria, qui aurait pouss selon lui ngliger le lointain au profit du local7.

    Cette opposition entre local et global est par ailleurs trompeuse. En effet,jusquici nous avons prfr voquer les approches globales au pluriel, tant ilest difficile de mettre au singulier toutes les dmarches qui se rclament ou sontranges sous ltiquette globale . En France le titre de cette table ronde lat-teste clairement on a tendance utiliser le singulier, mlant de la sorte diff-rentes prises de position thoriques, nommment, et pour utiliser lanomenclature anglophone qui leur est inhrente (pour des raisons sur lesquellesnous reviendrons), World History, Global History et Connected History8. Les dif-frences considrables entre ces approches, et notamment laffirmation dunsystme mondial dinteraction pour les uns (un monde sans bornes?), l odautres, attentifs aux connexions rgionales, se heurtent justement au carac-tre morcel du pouvoir politique et des relations conomiques9, apparaissentainsi gommes et tmoignent par l mme de la principale diffrence entre lamicrostoria et lapproche globale vues depuis une perspective franaise : alorsque la premire a t adopte et intgre, la seconde, de rares exceptions prs,na pas encore t digre.

    Il reste que, naturalises ou non, les thmatiques et ltiquette global ontenvahi depuis les annes 1990 les sciences sociales, et exigent de ce fait que lonsinterroge sur leur sens, ne serait-ce que pour comprendre la lenteur de leur

    inscription, fut-elle sous forme de rfrent, dans lhistoriographie franaise.Mon approche, celle dun historien travaillant sur lempire espagnol, et en

    particulier sur les Indes de Castille et leur articulation avec le reste de la monar-chie, me conduit reconnatre le paralllisme entre les problmatiques qui vien-nent dtre voques et la constitution dune autre dmarche, elle aussi globale sa manire, celle de lhistoire atlantique. En ce sens, la comparaison entre lescaractristiques de ces deux perspectives peut tre heuristique, nous permet-tant de mieux comprendre les problmes soulevs par les termes atlantique,ou global dans le travail de lhistorien.

    HISTOIRE ATLANTIQUE ET HISTOIRES GLOBALES

    Sinspirant dans une certaine mesure de la Mditerrane de Braudel (bienque lapproche atlantique prcde de beaucoup la Mditerrane)10, les tudesatlantiques se dfinissent par la volont dembrasser large, en saffranchissant

    7. Serge GRUZINSKI, Les mondes mls de la monarchie catholique et autres connected histories ,Annales HSS,56-1, 2001, p. 88.

    8. Le dossier desAnnales consacr ces questions en janvier 2001 (56-1) titrait dj Une histoire

    lchelle globale. Soulign par nous.9. Frederick COOPER, Le concept de mondialisation sert-il quelque chose? Un point de vue dhis-

    torien, Critique internationale, 10, janvier 2001, p. 101-124 (ici, p. 112).10. Le journaliste Walter Lippmann na-t-il pas parl dune communaut atlantique ds 1917 ? Voir

    William OREILLY, Genealogies of Atlantic History ,Atlantic Studies, 1-1, 2004, p. 66.

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    des frontires politiques, juges peu pertinentes pour lanalyse, et en privil-giant au contraire ltude dun vaste espace relationnel, locan atlantique.

    LAmrique, lEurope et lAfrique seraient ainsi plus runies que spares parcette tendue deau dfinie tantt comme le cur tantt comme le moteur dela modernit11.

    On le voit, cette dfinition permet de souligner demble un ensemble depoints communs entre lAtlantic History et les fondements des histoires glo-bales. Les deux approches cherchent en effet abolir les frontires nationalesconsidres comme un cadre trop contraignant pour la comprhension de ph-nomnes qui ncessitent une approche plus large, ce qui explique leur com-mune rfrence la Mditerrane de Braudel12.

    Par ailleurs, elles sont toutes deux intimement lies des contextes histo-riques prcis qui permettent de mieux cerner leur gense. La fin de laDeuxime Guerre mondiale et le dbut de la Guerre froide sont des lmentsindissociables de lessor desAtlantic Studies, et ce nest pas un hasard si lidede rvolutions atlantiques mise en avant par Robert Palmer et JacquesGodechot au congrs international des sciences historiques de Rome en195513, sert de base pour avancer lide dune civilisation atlantique et mmedune communaut atlantique lheure o latlantisme politique en avait leplus besoin14.

    leur tour, les Global Studies voient le jour, sous ce label, dans un

    monde o la victoire de lconomie de march comme cadre mondial rgissantles changes aprs leffondrement des conomies dites socialistes dune part, etla diffusion dInternet de lautre, ont plus que jamais rendu plausible la mta-phore (ou le fantasme) de la connexion gnralise, du village global . Il nestpas tonnant ds lors que les approches globales aient eu un succs particuli-rement notoire en premier lieu parmi les historiens de lconomie, intresss la circulation des biens et lintgration des marchs15.

    11. Sur ce lieu commun, largement usit en sciences sociales, et comportant lui seul une vision dumonde, voir Dean TIPPS, Modernization theory and the comparative study of societies: a critical pers-pective,Comparative Studies in Society and History,15,1973,p.199-226;F.COOPER, Le concept de mon-dialisation , art. cit., p. 107-108 ; Pierre BOURDIEU, Loc WACQUANT, Sur les ruses de la raisonimprialiste,Actes de la recherche en sciences sociales, 121-122, 1998, p. 109-118,

    12. Sanjay SUBRAHMANYAM, Notes on circulation and asymmetry in two Mediterraneans, 1400-1800 ,Claude GUILLOT, Denys LOMBARD, Roderich PTAK (eds), From the Mediterranean to the China Sea,Wiesbaden, Harrassowitz, 1999, p. 21-43 ; S. GRUZINSKI, Les mondes mls, art. cit.

    13. Jacques GODECHOT, Robert PALMER, Le problme de lAtlantique du XVIIIe au XXe sicle,Actesdu X congrs international de sciences historiques (Rome 4-11 septembre 1955), Florence, Comitato interna-zionale di scienze storiche, 1955, p. 175-239.

    14. Et ctait l tout le sens de cette notion pour le journaliste Walter Lippman, longtemps attachcomme conseiller politique des prsidences de Dmocrates et Rpublicains avant et aprs la DeuximeGuerre mondiale.

    15. Et de fait, S. Subramahnyam est dabord un historien de lconomie. Par ailleurs, la diffusion enFrance de la thmatique globale occupe en premier les conomistes et les politistes. Voir Jean-PierreFAUGRE, Guy CAIRE, Bertrand BELLON (d.), Convergence et diversit lheure de la mondialisation, Paris,Economica,1997; Groupement conomie mondiale,Tiers-Monde,Dveloppement, Mondialisation : les motset les choses, Paris, Karthala, 1999.

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    Mais laspect le plus frappant et le plus problmatique qui merge dela mise en parallle de ces deux approches, est le fait quelles argumentent

    toutes deux par le moyen de postulats poss comme des vidences, mais surlesquels on est en droit dexercer un regard critique.

    Lhistoire atlantique par exemple justifie son existence par le caractre cen-tral de lconomie dont locan atlantique serait le cadre. La spcificit et la cen-tralit de cette conomie atlantique rsideraient dans lunit de lespaceconsidr, unit qui serait fonde sur un certain nombre de variables spci-fiques, dont le volume du commerce et des changes (le commerce triangulairenotamment), le dynamisme et linnovation conomiques (nommment lessordu capitalisme) seraient les principaux traits distinctifs, tout comme lunitcre par la circulation massive de populations migrantes.Or, tout historien desempires est pour le moins en droit de se demander jusqu quel point cet espace atlantique constituait une unit discrte lintrieur de constructionsimpriales qui le contenaient tout en stendant bien au-del. tout le moins,ces empires fournissaient des perspectives alternatives pour discerner dautresliens et dautres logiques dagencement des espaces, par-del cette unit atlan-tique assume et proclame. De surcrot, la recherche rcente met galement mal les fondements de cette spcificit.Ainsi, les travaux de Kenneth Pomeranzmontrent par exemple que le commerce, la circulation et le dveloppement co-nomique de la Chine et de lEurope, bien quau sein dconomies fort diff-

    rentes, taient comparables en efficacit et en capacit dinvestissement etdinnovation caractristique du capitalisme atlantique et ce jusquau dbutdu XIXe sicle au moins16.

    Pour ce qui est des grandes migrations enfin, lide dune spcificit atlan-tique est galement battue en brche par des tudes montrant que la circulationde populations en Asie et vers lextrieur de lAsie, entre 1840 et1940,a t qui-valente aux mouvements atlantiques entre 1830 et 193017, tablissant ainsi uneforte connexion pacifique qui relativise considrablement largument de laforte connectivit atlantique comme fondement dun espace intgr.

    Les approches globales ne procdent pas autrement. En effet, un principefondamental postul sans tre dmontr qui caractrise une grande partie dela production htrogne qui est classe sous le label Global Studies, par-deldnormes diffrences dinterprtation, est celui de la notion mme de monde globalis, qui suppose non seulement lide dintgration plus grande lchelle mondiale, mais de surcrot lexistence (explicite ou implicite) dun pro-cessus menant cette situation18. La mondialisation apparat ainsi comme une

    16. Kenneth POMERANZ, The Great Divergence: China, Europe, and the Making of the Modern WorldEconomy, Princeton, Princeton University Press, 2000.

    17. Travaux dAdam MacKeown, cits par Donna GABACCIA A long Atlantic in a wider world,Atlantic Studies,1-1, 2004, p. 14.

    18.S.GRUZINSKI Les mondes mls, art. cit.,p.89 affirmait ainsi Le processus de globalisationest en train de modifier inluctablementles cadres de notre pense (soulign par nous).

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    mise en relation des phnomnes lchelle plantaire, les rendant pour ainsidire interdpendants19 ; ou encore, elle est vue comme le rsultat de toute une

    srie de processus qui ont intgr le monde ds le dbut de lpoque moderne,ce dont tmoigne par exemple le Mexique, tudi par Serge Gruzinski, centredu monde brassant des hommes, des biens et des connaissances venus de tousles recoins du monde connu, et dont les lettrs maniaient plusieurs chronologiesconcomitantes et des rfrences allant du Japon Goa en passant par Madrid20.Cette mise en relation aurait rendu les contemporains, pour la premire fois,capables de concevoir lexistence de processus lchelle globale21. Et concevoirla globalit, cela veut dire, dans les termes de Frederick Cooper, avoir la capa-cit de penser la plante comme horizon dune ambition ou dune stratgiepolitique et conomique 22. Or, ces assertions sont largement discutables.

    Tout dabord, la conscience de la globalit 23 est une question relative pardfinition. Si elle ne sembarrasse pas, au XVIIe sicle, dignorer une bonne par-tie de lintrieur des continents effectivement connus, de lAustralie et deleurs habitants pour tre qualifie de globale , cette conscience du monde ,orbis, na de sens que par rapport la reprsentation que lon sen fait, le restenexistant pas, par dfinition. Les reprsentations cartographiques mdivalessont l pour nous rappeler que, de tout temps, on sest imagin une totalit plusgrande que sa propre socit lintrieur dun monde fini, monde dont leslimites taient plus ou moins concrtes, plus ou moins mythiques. Faut-il rap-

    peler que cette composante fantasmatique lie aux dernires limites du mondeconnu a perdur bien au-del des circumnavigations du XVIe sicle24 ?

    En ce qui concerne le fait que le monde ainsi dfini ait pu tre consciem-ment le cadre dune stratgie , on peut galement noter que la notion duni-versel propre au message apostolique, devant tre port partout et toutesles nations25 lpoque de la premire dispersion du christianisme, ce feuvenu embraser le monde, est la mme notion que celle dcline sur le plafondde lglise Saint-Ignace Rome au XVIIe sicle par le pre Andrea Pozzo : le sensdu terme universel na pas chang du tout, bien que son contenu se soitconsidrablement accru26. Enfin, la distance est grande, de la conscience la

    19.Voir notamment Christopher A. BAYLY, Naissance du monde moderne, 1780-1914. (2004), Paris,ditions ouvrires/Le monde diplomatique, 2007.

    20. Cest ainsi que Serge GRUZINSKI caractrise lpoque de la monarchie catholique (1580-1640)comme celle de la premire mondialisation. Voir Les quatre parties du monde. Histoire dune mondialisa-tion, Paris, La Martinire, 2004.

    21.S.SUBRAHMANYAM, Explorations in Connected History.From the Tagus to the Ganges, Delhi,OxfordUniversity Press, 2005, p. 103.

    22. F. COOPER, art. cit., p. 112.23. Roger CHARTIER, La conscience de la globalit,Annales.HSS, 56-1, 2001, p. 119-123.

    24. Sur la vision de lAfrique aux XVIIIe et XIXe sicles voir Andrew CURRAN, Imaginer lAfrique ausicle des Lumires, Cromohs, 10, 2005, p. 1-14.

    25. Matthieu, 28,19, Lc, 12, 49; Lc, 24, 47.26. Le pre Pozzo (S.I.) glorifie ainsi la mission universelle de lvanglisation en figurant une flamme

    descendue du ciel et embrasant les quatre continents connus, par lintermdiaire dIgnace et ses disciples!

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    capacit pratique dembrasser la totalit du globe, ce qui incite la plus grandeprudence.

    Mais les rserves les plus solides rsident ailleurs. Lhistorien tats-unienFrederick Cooper sest lev voici une dizaine dannes, dans un article fonda-mental, contre cette coquille vide conceptuelle que serait selon lui la notionde mondialisation27 : celle-ci ne saurait en aucun cas tre considre commeun processus homogne (ce que son caractre unique supposerait) ; selon lesdomaines considrs, nous nous trouvons face des dynamiques fort diff-rentes, et lintgration bancaire, par exemple, ne trouve pas dquivalent dansla culture, les sciences ou la circulation des personnes.Pire, la fluidit entre mar-chs a t bien plus forte, cest--dire que les conomies ont t plus intgres,jusque dans les annes 1950, que de nos jours, ce qui suppose des avances etdes reculs dans ce prtendu processus linaire dintgration mondiale.Que direen ce sens de la circulation des personnes? Peut-on srieusement prtendre quelintgration mondiale vue travers le prisme des migrations internationalesnous montre aujourdhui un monde plus intgr, moins cloisonn que celui dela premire moitie du XXe sicle, o les empires coloniaux taient encore enplace? Pour le migrant sngalais, le monde dans lequel il vit aujourdhui estcertainement plus cloisonn que celui de ses grands-parents, et le village glo-bal est une mtaphore qui ne peut avoir de sens que pour les touristes fortu-ns ou les internautes occidentaux28

    Lintgration mondiale est ainsi une notion qui ne peut tre dfendue,comme catgorie danalyse,quen fonction de chaque domaine spcifique, tan-dis que sa pertinence comme processus postul connat pour le moins desclipses et des retours. tout prendre, la thmatique de la globalisation relvepour lheure davantage dun discours que dun processus luvre et, surtout,invitable. Cependant, ce discours semble pour linstant trouver un cho limitdans lhistoriographie franaise.

    Il en va autrement pour les travaux de Sanjay Subrahmanyam, dont lhis-toire connecte (traduction de connected history),qui sinscrit dans les tudes glo-bales, est mieux connue en France29. Grce la mtaphore lectrique de laconnexion, la connected history propose un outil prsent comme un moyen de

    27. F. COOPER, art. cit., p. 101-124. Largumentation qui suit reprend celle de Cooper dans cetarticle.

    28. On peut ajouter qu limage des tudes sur les race relations, les black studies,lesgender studies, lesuccs mme du terme de globalisation ou mondialisation renvoie la force dans le champ dessciences sociales de la recherche mene aux tats-Unis plus qu une hypothtique uniformisation et int-gration du monde due aux flux dchanges qui connecteraient les quatre coins du globe. Ce phnomnese traduit galement par laccroissement exponentiel des anglicismes dans la production franaise ds quelon sapproche de terrains nouveaux la nouveaut nayant pas laiss de temps la traduction ter-

    rains dicts par les thmes et les notions qui, pour des raisons spcifiques leur contexte dorigine, se sontimposs dans la recherche mene aux tats-Unis. Voir Pierre BOURDIEU, Loc WACQUANT, Sur lesruses, art. cit.; Roger CHARTIER, La conscience de la globalit, art. cit., p. 120.

    29. Sanjay SUBRAHMANYAM, Du Tage au Gange au XVIe sicle : une conjoncture millnariste lchelle eurasiatique,Annales HSS, n 1, 2001, p. 51-84, o lauteur sinscrit dans les global studies.

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    sortir de limpasse que constituerait lhistoire compare30 qui,par sa mthode decomparaison terme terme, ngligerait les contacts et les circulations de formes

    culturelles ou dimaginaires politiques. Cest ainsi que Sanjay Subrahmanyammontre la prsence, une mme poque et dans un vaste espace allant du Tageau Gange,de la thmatique millnariste dans la pense politique,thmatique ana-lyse comme moyen de lgitimer le pouvoir (selon les contextes) et o les paral-lles et ressemblances tmoignent demprunts rciproques de concepts - telle lafigure de limam cach, le mahdi, qui trouve son quivalent dans la figure de DonSbastian, roi cach dont on attend le retour concepts qui, tout en circulant,se transforment au gr des contextes. Les formes crmonielles de la puissanceroyale en Inde empruntes par les Portugais de Goa au XVIe sicle, tudies par

    Catarina Madeira Santos, mettent galement laccent sur la circulation des sym-boles et sur la labilit des barrires censes sparer des mondes culturels31.Bien que ces connexions connaissent une gomtrie variable selon le contexte,Subrahmanyam affirme limportance de se dtacher de lchelle locale au profitdune chelle plus vaste, et mme globale32.

    Si lon comprend tout lintrt dadopter cette perspective large, le sautentre celle-ci et une chelle globale repose bel et bien sur une dmarche pre-nant en compte lensemble des connexions possibles qui concourent ltudedun phnomne culturel ou politique: limage explicite ou tacite de cettedmarche reste celle dune connexion plantaire limage du web, avec tous les

    problmes quune telle assertion soulve.Or, revenant au parallle dress plus haut entre histoire globale et histoire

    atlantique, on constate que dans le domaine de lhistoire atlantique, les postulatsdune hypothtique intgration trans-ocanique nont pas rsist conceptuelle-ment au-del du discours. Cest pourquoi la production historiographique, danssa pratique mme,atomise lAtlantique non seulement en zones dhgmonie poli-tique impriale (Atlantique anglo-saxon, et Atlantique ibrique par exemple) maisencore en espaces chromatiques (Black Atlantic, White Atlantic, Red Atlantic)33,

    30. Cest ainsi que le pose Sanjay SUBRAHMANYAM dans Connected histories: notes towards a recon-figuration of early modern Eurasia , Victor LIEBERMAN (ed.), Beyond Binary Histories. Re-imaginingEurasia to c. 1830, Ann Arbor,The University of Michigan Press, 1997, p. 289-315, mais plus rcemmentaussi dans le chapitre 5 (qui donne son titre louvrage) de Explorations in Connected History. From theTagus to the Ganges, Delhi, Oxford University Press, 2005, p. 103. Arrivant des conclusions diffrentes,voir la discussion propose il y a dix ans par Jocelyne Dakhlia au sujet des cueils conceptuels desapproches comparatistes. Jocelyne Dakhlia, La question des lieux communs. Des modles de souverai-net dans lIslam mditerranen, in Bernard LEPETIT (d.), Les formes de lexprience, Paris, Albin Michel,1997, p. 39-61.

    31. Catarina MADEIRA SANTOS, Goa e a chave de toda a India. Perfil Poltico da Capital do Estada daIndia (1505-1570), Lisbonne, CNCDP, 1999.

    32. S. SUBRAHMANYAM, Du Tage au Gange, art. cit., p. 84.

    33. Paul GILROY, LAtlantique noir.Modernit et double conscience (1993), Lille-Paris, Kargo-ditionsde lclat, 2003; D. GABACCIA, A long Atlantic, art. cit., p. 16; Markus REDIKER, The Red Atlantic, ora terrible blast swept over the heaving sea, in Bernhard KLEIN, Gesa MACKENTHUM (eds), Sea Changes :Historicizing the Ocean, Londres, Routledge, 2004. Pour la bibliographie sous cette tiquette : DavidARMITAGE, The Red Atlantic, Reviews in American History, 29, 2001, p. 479-586.

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    dont les noms, intraduisibles srieusement en franais, renvoient aux considrablesdiffrences dapproches entre les historiographies anglo-saxonne et franaise.

    Si les dfaillances conceptuelles dune intgration globale des espacesatlantiques ont men limpasse, imposant cependant des analyses plus atten-tives aux segments atlantiques, politiques, conomiques, ou mme gogra-phiques, qui constituent non plus des mtaphores mais des espaces sociauxsujets une approche historique, peut-on penser quil en va de mme pourlhistoire globale, dont on a soulign combien ses postulats avaient souvent uncaractre purement discursif?

    Il faut sans doute se garder de parler dimpasse, ce qui serait une faussemanire de poser la question. On peut, en revanche, souligner la ncessit deresituer chaque proposition sa juste place. En ce sens, lhistoire connecte,comme la microstoria, sont avant tout des approches mthodologiques (mme sides concepts forts les sous-tendent) et non des visions ou thories de lhistoire.

    CONNECTED HISTORY ET ANALYSE SOCIALE

    La connected history, en insistant sur les circulations, a montr quel pointles mthodes induisent les rsultats du travail historique,puisque grce la miseen vidence de circulations, elle a permis de formuler une critique aigu desprsupposs ethnocentriques dautres approches,ainsi que du caractre rduc-teur des oppositions mcaniques entre centre et priphrie. Par l mme, enrelativisant et en complexifiant la notion de seuil ou de frontire lesconnexions ne se font-elles pas par-dessus les barrires couramment acceptescomme des frontires? , elle a apport une pierre de plus la critique de luti-lisation en sciences sociales de la catgorie daire culturelle comme cadre dana-lyse cohrent ou probant.

    La connexion cependant, limage du on foucaldien, soulve un trsgrand nombre de questions ce qui est loin dtre ngligeable et montre leslimites, en ltat, que la connected history pose lanalyse historienne.

    Car un des problmes qui surgit demble est celui de savoir la manire dontil convient de qualifier les diffrentes connexions.Tout lien est-il quivalent unautre? Considrons par exemple diverses situations nous mettant de manire vi-dente face des connexions. Le paysan du Lauragais, pratiquant la culture dumas ds le dbut du XVIIe sicle selon une technique associant une range de maset une range de haricots, reproduit ce faisant une technique msoamricaine plu-risculaire34. Le Zapotque de la rgion dOaxaca, ou le Coca de Chapalaconsommant des poules de castille, du mouton,ou du porc ds le XVIe sicle, ont

    34. En effet, ds le dbut du XVIIe sicle, le mas devient une culture de plein champ dans leToulousain, o il remplace le pastel : les Toulousains mangent alors des galettes et des bouillies de mas etexportent leur bl. Voir Jean JACQUART, Immobilismes et catastrophes , in Georges DUBY, ArmandWALLON (d.), Histoire de la France rurale, Paris, Seuil, t. 2, 1975, p. 236.

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    intgr quant eux des habitudes alimentaires propres lEurope du sud35, toutcomme les Indiens insoumis du Chili austral qui, outre le cheval et les armes feu,

    ont galement adopt la nourriture carne et la pratique de la friture des mets36.Tous ces comportements se rapportent au domaine alimentaire et tmoignent detoute vidence de fortes connexions entre traditions culturelles loignes: peut-oncependant mettre toutes ces connexions, celle du tenancier du LanguedocdAncien Rgime,celle du paysan indien dencomienda de Nouvelle-Espagne, celledu guerrier insoumis de la rgion de La Imperial, sur le mme registre? Et quedire de la circulation des techniques de lcriture? Ladoption, au XVIe sicle, delcriture de la langue nahuatl en caractres latins par la noblesse mexica, leve parles missionnaires franciscains au sein du collge trilingue37 (nahuatl castillan

    latin) de Santa Cruz Tlatelolco ce qui leur permet dcrire au Souverain Pontifeen latin est-elle quivalente ladoption de lalphabet latin par les lites bakongoet par les tats indpendants Ndembu dAngola38 ou par la fameuse reine Jingadu Matamba, ce qui leur permet, eux aussi, de sadresser pistolairement aupape39? La rponse toutes ces questions est videmment ngative.

    Car il est clair que les modalits de ces connexions changent selon que lona affaire un pouvoir politique indpendant cest le cas du maniKongo oude la reine Jinga du Matamba,qui choisissent de sadresser directement au papeafin de sparer lvanglisation de la conqute territoriale portugaise ou desvaincus lissue dune violente conqute, et les vicissitudes du Collge de

    Tlatelolco montrent bien la prcarit de ces derniers40. Il en va de mme pourles emprunts alimentaires, qui changent de sens selon quils reprsentent unlment de plus dans une polyculture ouverte sur des innovations permettantde faire face aux alas politiques ou climatiques cest le cas du paysan tou-lousain ou quils rpondent une conomie de guerre et de razzia, commedans le cas des Indiens indpendants du Chili austral41.Ainsi, si le constat dune

    35. Sur la consommation carne : le livre polmique de John C. SUPER, Food, Conquest andColonization in Sixteenth-Century Spanish America, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1988.

    Sur la prcocit de ces transferts vue travers la ponction impositive:Thomas H ILLERKUSS, Tasacionesy tributos de los pueblos de Indios de la provincia de Avalos, Historia Novohispana, 16, 1996, p. 15-32.36.Voir ce sujet le rcit dun captif parmi les Araucan en 1629: Francisco Nez DE PINEDA Y

    BASCUN, Cautiverio Feliz, d. par Mario Ferreccio Podest et Rassa Kordi Riquelme, Santiago, RILeditores, 2001, p. 532-533 ; 555, 638 et passim.

    37. Officieusement, puisque le castillan semble ne pas avoir t enseign officiellement: ChristianDUVERGER, La conversion des Indiens de Nouvelle Espagne, Paris, Seuil, 1987, p. 220.

    38.Ana Paula TAVARES, Catarina MADEIRA SANTOS (eds),Africae Monumenta.A apropriaco da Escritapelos Africanos Arquivo Caculo Cacahenda, Lisbonne, Instituto de Investigao Cientfica Tropical, 2002.

    39. Elikia MBOKOLO,Afrique noire :Histoire et civilisations, Paris, Hatier, 1995, p. 330-331 ; EduardoA. MUACA, Breve Histria da Evangelizao de Angola.1491-1991, Lisbonne,Secr. Nac.das Comemoraesdos 5 Sculos, 1991, p. 35.

    40. En 1595, le collge tait devenu une cole lmentaire pour les enfants de Tlatelolco! Voir FrayGernimo DE MENDIETA, Histor ia eclesiastica indiana, dit par Joaqun Garca Icazbalceta, Mexico,

    Antigua Librera, Portal de Agustinos n 3, 1870, p. 148; Ch. DUVERGER, op. cit.p. 222.41. Dans ce cas prcis, les aliments et prparations de type espagnol ont t diffuss, aux dires de

    Francisco de Pineda, grce aux Indiennes libres du joug espagnol et qui travaillaient auparavant dans lescuisines de leurs matres, ainsi que par les captives espagnoles qui vivaient parmi les Indiens.Voir F. NezDE PINEDA Y BASCUN, Cautiverio Feliz, op.cit.

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    connexion nous ouvre les yeux quant aux circulations qui se sont produites ousont en train de se produire, il est insuffisant pour apprhender les processus

    qui la sous-tendent.Dautant que le problme du statut de la connexion ne se pose pas unique-

    ment en termes de diffrents types de connexions, mais aussi sur le sens accor-der une mme connexion. Sanjay Subramayam dmontre de manireprobante les liens unissant lexemple de don Sbastien, le roi cach et celui delimam cach de la tradition musulmane, ainsi que lutilit de ces images commemoyen de lgitimation des pouvoirs en place42. Cependant, si ces connexionsmontrent effectivement des circulations de figures et de stratgies discursives,voire de toute une srie de conceptions et de logiques visant lgitimer le pou-voir temporel en lui donnant un contenu transcendant, que nous disent-elles surles rapports entre les notions de pouvoir et de lgitimit dans chaque contexte?Ces exemples renvoient-ils aux mmes logiques et un mme imaginaire poli-tique? Et si cest le cas, quimplique pour les socits analyses le fait de parta-ger une notion, des objets, voire un imaginaire? Nest-on pas en train detomber dans le mme travers dont on accusait lhistoire compare, cest--direcelui de dclarer quivalents deux phnomnes comme prmisse de lanalyse43?

    En revanche, ce que lexemple de limaginaire politique dvelopp ici montreclairement, cest que la manire de penser le pouvoir et de le lgitimer en Europepuise diffrentes sources, ce qui est le propre de tout phnomne culturel

    dans nimporte quelle socit. Car sans nier lexistence despaces culturels, ilserait en effet illusoire de les penser en termes dunits discrtes, spares nette-ment par des barrires prcises.Ce qui fait un ensemble culturel, cest moins sonhypothtique homognit toujours relative que la manire spcifique dont setrouvent dclins dans un contexte donn un ensemble composite dinfluences,demprunts et dexpriences naturalises comme propres,mais jamais achevs ettoujours en renouvellement, puisque issus en mme temps de la tradition et delexprience. La notion de mlange culturel, que lon a lhabitude de lier unique-ment aux dynamiques se produisant entre expressions culturelles nes dans descontextes gographiques extrmement loigns les uns des autres, nest que lanature mme de la culture, en perptuel remaniement par adjonction, limina-tion, adaptation, transformation, etc.44 La vertu de lapproche connecte est jus-tement de venir nous rappeler une vidence: ces circulations existent partout etnon seulement dans les mondes coloniaux, o le caractre plus vident de laconfrontation, de la ngociation et de lchange (dhommes, dides, dobjets)pourrait nous faire croire une spcificit.

    42. S. SUBRAHMANYAM, Explorations op.cit. ; Du Tage au Gange, art. cit.

    43.Voir lanalyse consacre par Jocelyne DAKHLIA la rfrence au roi Salomon comme modle deroi, commune lEurope latine, Byzance et lEmpire ottoman: La question des lieux communs,art. cit. in B. LEPETIT, op. cit., p. 50-54.

    44.Voir en ce sens la lecture du clbre article de March Bloch sur lhistoire compare de lEurope,Revue de synthse, 1928, propose par J. DAKHLIA, art. cit. p. 49.

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    Cette dernire remarque nous fait comprendre que pour rpondre laquestion pose plus haut comment qualifier les diverses situations o lon

    constate des connexions? , il est ncessaire dinterroger la notion de connexion la lumire des acquis de lhistoire culturelle et notamment des notions derception et dappropriation, rception qui ne saurait tre dgage de soncontexte prcis : rapports de force, quilibres dmographiques, politiques,ngociations, adaptation, transformation, autant dlments qui dterminentlimportance et le sens des mises en relation45.

    Il suffit de songer aux flux actuels de dplacement de population dans lemonde pour raliser quel point les circulations et les connexions quellesentranent, mme si elles dfinissent effectivement, par le fait dexister, desespaces sociaux spcifiques, sont elles-mmes dtermines par des logiques quisont loin dtre neutres. Si un fort courant migratoire lie les pays du Sud aux pays du Nord, cest parce qu la base des rapports ingaux lient le Nord auSud ! Il serait par consquent nfaste de ngliger les rapports de force qui expli-quent que les acteurs sociaux, les ides et les objets culturels ne se trouvent passur un pied dgalit en ce qui concerne leur capacit circuler . Cescontraintes fondamentales doivent tre intgres limage de la connexion,comme les ples dune pile lectrique, pour filer la mme mtaphore. Or, pourlhistorien, cette polarit nest dcelable quau travers de la contextualisation.

    Ainsi, si la logique de la connexion est fonde sur le mirage du web, le rseau

    interplantaire, ou encore sur le modle du rseau lectrique46, prenons alorsau mot cette image et appliquons cette dmarche les lments danalyse quenous utilisons pour les rseaux depuis les annes 1950. Nous savons parexemple quun rseau ne se rsume pas un ensemble de connexions : lesconnexions nen constituent que la trame. Elles sont un circuit, mais pas sonalimentation. Une trame ne devient rseau que sil y a circulation relle (din-dividus, dinformation, de biens matriels ou immatriels)47. Le type de trans-fert, la frquence du lien dterminent ce que nous pourrions appeler sa densit.Dans lespace des connexions possibles et relles, la quantit et la densit desliens existants forment des grumeaux , aires de forte interconnexion, dvoi-lant lexistence despaces de ngociation et dchange.

    Ce sont l,me semble-t-il, des tapes fondamentales pour passer de ltudedun ensemble de connexions la construction dun espace relationnel pr-cis (quil soit territorial, culturel, intellectuel, technique).

    45. Roger CHARTIER, Lectures et lecteurs dans la France dAncien Rgime, Paris, Seuil, 1989, et Laconscience de la globalit , Annales HSS, art. cit. ; Jacob LASSNER, Demonizing the Queen of Sheba.Boundaries of Gender and Culture in Postbiblical Judaism and Medieval Islam, Chicago,The University of

    Chicago Press, 1993, ch. 6 : The transfer and absorption of cultural artifacts , cit par J. Dakhlia.46. S. GRUZINSKI, Les mondes mls de la Monarchie, art. cit., p. 89.47.Voir Jean-Pierre DEDIEU, Zacarias MOUTOUKIAS, Approche de la thorie des rseaux sociaux,

    Juan Luis CASTELLANO, Jean-Pierre DEDIEU (d.), Rseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibrique lafin de lAncien Rgime, Paris, CNRS ditions, 1998, p. 7-30.

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    LHISTOIRE IMPRIALE : POUR UNE HISTOIRE SITUE DES CONNEXIONS

    Considrant les paramtres dvelopps plus haut, on comprend en quoilhistoire impriale - nom pompeux pour dsigner un vaste terrain denqute -permet dtudier les modalits dune construction territoriale, construction quinest telle que parce que les connexions et les circulations en son sein ne sontpas alatoires, mais sont au contraire rgies par des logiques donnant une cer-taine unit lexprience, avec ses noyaux denses et ses trous noirs48. Ainsi,ltude de larchitecture de lempire espagnol, dans sa diachronie, rvle toutela contingence dun processus qui se veut celui dune intgration, mais dont lesrsultats historiques montrent bien les diverses logiques (individuelles, collec-tives) luvre dans toute exprience, ainsi que limportance des formes pra-

    tiques de leur mise en place dans chaque contexte social prcis49.Pour sen tenir au cas de la circulation des personnes, nous constatons des

    circulations diffrencies,qui dessinent, selon les priodes, des espaces de fortecirculation des hommes par exemple, par opposition dautres, sortes de cul-de-sac des mouvements de populations. La distribution de ces espaces nest pashomogne, ce qui se traduit, lintrieur des possessions espagnoles du conti-nent amricain au XVIIe sicle, par lexistence de frontires intrieures laCarabe, le Guatemala, ou mieux, ce no mans landconstitu par les marchesaustrales du Guatemala (Costa Rica actuel) ou la Terre Ferme territoires

    pourtant trs frquents pendant la premire moiti du XVIe

    sicle. Dautresrgions, en revanche, connaissent ds le XVIe sicle une centralit ininterrom-pue dans la circulation des biens, des hommes et des ides. Cest le cas de laNouvelle-Espagne (centr autour de Mexico)50 ou des curs de la vice-royautdu Prou, Lima, Cuzco et Potosi51. Il est clair que ces variations des flux ne sontpas le fait du hasard, et que dans le cas prcis de la Carabe et des rgions deTerre Ferme les logiques conomiques expliquent cette clipse de prs dunsicle aux consquences rgionales durables.

    Les circulations peuvent aussi tre rgies par des logiques politiques,ou parla manire dont les profanes intgrent les cadres juridiques de la monarchie.

    Ainsi, bien que les Indes, qui appartenaient en droit au royaume de Castille,aient t ouvertes ds le XVIe sicle limmigration de tous les ressortissants deCastille et dAragon, rares sont les Aragonais qui franchissent locan, pour nepas parler des Catalans qui, encore la fin du XVIIIe sicle, continuent tre vus

    48. En ce sens, je nuancerai lide selon laquelle la circulation ou les rgimes de circulation (circu-latory regime) modlent la socit. Il me semble au contraire que ce sont les forces travaillant une socitdonne qui dterminent et modlent des types spcifiques de circulation. Sur ces circulatory regimes, voirC. MARKOVITS, J . POUCHEPADASS, S . SUBRAHMANYAM (ed.), Society and Circulation, op. cit., Introduction.

    49.Voir ce sujet les remarques exprimes par la rdaction desAnnales dans le commentaire prli-

    minaire introduisant le dossier Une histoire lchelle globale (56-1, 2001).50.Voir S. GRUZINSKI, Les quatre parties du monde, op. cit. ; Oscar MAZIN, (ed.),Mxico en el mundo

    hispnico, Zamora, El colegio de Michoacn, 2000.51.Voir Margarita SUREZ, Desafos transatlnticos.Mercaderes, banqueros y el estado en el Per virrei-

    nal, 1600-1700, Lima, Fondo de cultura econmica/IFEA, 2001.

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    comme des trangers aux Indes52. Si la frquence du contact tend rvler laconstruction dun espace, cet espace est avant tout castillano-amricain, bien

    plus quhispano-amricain. Cette union, qui est celle de la langue dominantemais aussi du droit partag le droit castillan sapplique aux Indes53, contrai-rement ce qui se passe pour les autres royaumes de la monarchie (Aragon,royaume de Naples, Milanais, Flandres) se trouve galement dcline dansles statuts de la confrrie de la nation espagnole de Rome, datant de 1555.Fonde pour aider les jeunes filles pauvres et orphelines de la nation, pourles doter notamment, la confrrie tablit en effet vers 1600 que les confrresdoivent secourir les membres de la confrrie dans une hirarchie prcise :dabord les Castillanes (en incluant explicitement sous ce terme la Castille et

    les Indes de Castille), puis les Valenciennes, les Aragonaises, les Navarraises, lesCatalanes, les Portugaises et enfin les Bourguignonnes, [] les Flamandes, lesSiennoises, les Napolitaines et Sardes et dans cet ordre54 ! La vise politiqueexplicite de ces statuts (la confrrie de la nation espagnole se superposait,sans les annuler, aux anciennes confrries de Portugais, de Castillans etdAragonais qui existaient dans la ville ternelle) ne change rien largument :ce projet politique nen dessine pas moins un empire idal, dont le noyau (lepremier membre dans lordre hirarchique) se trouve cheval entre la Castilleet les Indes, noyau autour duquel graviteraient toutes les autres parties de lem-pire, aussi bien en Espagne que dans le reste de Europe55. Cet difice politique

    explique la densit des connexions entre la Castille et ses Indes,et confirmeen mme temps le caractre bien des gards infructueux dune analyse de cetensemble en termes de mtropole et de colonies, autrement dit en termesde centre et priphrie 56.

    Il est tout aussi clair que lespace ainsi dfini nest quun des multiplesespaces qui forment et traversent lempire, lui donnant une cohrence politiqueet un ancrage culturel. Car dautres relations, tout aussi denses, dterminent desespaces sociaux fonds sur lorigine ( Espagnols , Indiens , Noirs ,basques, marranes), voire sur le lignage (noblesses castillanes, noblesses

    autochtones, purs et impurs) mettant au jour la circulation de notions etconcepts sur le sang et lhrdit, dclins de manire spcifique dans chaquecontexte57. Et si lon considrait limaginaire politique, et notamment lide

    52. Peter BOYD-BOWMAN, Patterns of spanish emigration to the Indies until 1600 , HispanicAmerican Historical Review, 56, 1976, p. 580-604 ; Antonio EIRAS ROEL (ed.), La emigracin espaola aUltramar,1492-1914, Madrid,Tabapress, 1991.

    53. Juridiquement les Indes sontla Castille.54.Thomas DANDELET, Spanish conquest and colonization at the center of the old world: the spa-

    nish nation in Rome, 1555-1625, The Journal of Modern History, 69-3, sept. 1997, p. 506.55.Voir Jean-Paul ZUNIGA, Le voyage dEspagne. Mobilit gographique et construction impriale

    en Amrique hispanique, Cahiers du CRH(EHESS), paratre.56. Pour une autre approche de la mme question,voir S. GRUZINSKI, Les mondes mls, art. cit.,

    p. 114. note 140.57. Jai abord cette question dans J.-P. ZUNIGA, La voix du sang. Du mtis lide de mtissage en

    Amrique espagnole,Annales HSS, 54-2, 1999, p. 425-452.

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    dune monarchie de droit divin, ou encore la dimension confessionnelle de lamonarchie hispanique, on se trouverait face des espaces mouvants tra-

    versant lempire, et le rattachant dautres ralits culturelles non hispa-niques (lensemble des socits justifiant le pouvoir politique par la volontdivine dans un cas, la catholicit dans lautre).

    Ce type denqute situe permet ainsi de mettre laccent sur des dyna-miques culturelles ou conomiques,de mettre en place des notions comme cellede crolisation par exemple, plus attentive aux mcanismes de linteraction desconnexions in situ, quels que soient par ailleurs les mcanismes continentaux,impriaux ou globaux traduits sur place par cette interaction.

    * * *

    Si lon retient des histoires globales la notion de connexion, force est deconstater quil sagit l dun outil de premier ordre qui vient enrichir loutillagedes historiens. Ajoute en particulier aux acquis de lhistoire sociale des pra-tiques culturelles, elle ne peut que fertiliser le travail de lhistorien, et elle montreavec acuit le besoin constant de rexaminer les catgories avec lesquelles noustravaillons.

    Mais un outil, aussi performant ft-il, na pas vocation se substituer unedmarche thorique. Le problme nest donc pas tant de savoir quelle chelle,locale ou globale, il faut adopter pour tudier les socits humaines, que de

    choisir les outils les plus adapts pour rpondre un questionnement spci-fique. En ce sens, le global , niveau de plus mis la disposition de lhistorien,ne saurait tre une manire de nier le poids des forces qui dterminent la qua-lit, la direction et la densit des connexions formant un espace social.

    Jean-Paul ZUNIGA

    Centre de Recherches Historiques

    EHESS

    54 boulevard Raspail

    75006 Paris

    [email protected]

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