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1 Jésus, l’homme et le fils de Dieu Michel QUESNEL Paris, Flammarion, 2004, 231p Résumé par Lucien Lemieux Publié du 19 décembre 2010 au 27 février 2011 Introduction Tout change en ce qui concerne un personnage tel que Jésus. Des documents nouvellement mis à jour permettent de se faire une idée inédite du judaïsme au I er siècle de notre ère. À une histoire événementielle se substitue une histoire des cultures et des mentalités. Les critères d’historicité, utilisés pour dessiner les traits du personnage de l’an 30, ne sont plus ce qui était mis encore en valeur en 1995. Et pourtant le fait de se référer mondialement à la présumée date de naissance de Jésus pour le calendrier actuel, habitude prise au VII e siècle dans les îles britanniques et répandue progressivement par la suite, n’est-il pas un signe de l’importance de ce personnage? 1. Approche historique 1.1 Les sources chrétiennes Des sources littéraires chrétiennes ressortent les vingt-sept livrets de la Bible, dits ceux de la Nouvelle Alliance. Entre la plus proche de Jésus : l’épître de Paul aux Thessaloniciens en l’année 50 et la plus éloignée : la seconde épître attribuée à Pierre entre 125 et 130, s’insère l’Évangile quadriforme, particulièrement centré sur Jésus. Marc, disciple de Pierre, aurait rédigé son texte à Rome vers l’année 70. Il fait ressortir Jésus comme Christ, c’est-à-dire le Messie d’Israël, et comme Fils de Dieu.

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Jésus, l’homme et le fils de Dieu

Michel QUESNEL

Paris, Flammarion, 2004, 231p

Résumé par Lucien Lemieux

Publié du 19 décembre 2010 au 27 février 2011

Introduction Tout change en ce qui concerne un personnage tel que Jésus. Des documents

nouvellement mis à jour permettent de se faire une idée inédite du judaïsme au Ier

siècle de notre ère. À une histoire événementielle se substitue une histoire des cultures

et des mentalités. Les critères d’historicité, utilisés pour dessiner les traits du

personnage de l’an 30, ne sont plus ce qui était mis encore en valeur en 1995. Et

pourtant le fait de se référer mondialement à la présumée date de naissance de Jésus

pour le calendrier actuel, habitude prise au VIIe siècle dans les îles britanniques et

répandue progressivement par la suite, n’est-il pas un signe de l’importance de ce

personnage?

1. Approche historique

1.1 Les sources chrétiennes

Des sources littéraires chrétiennes ressortent les vingt-sept livrets de la Bible, dits ceux

de la Nouvelle Alliance. Entre la plus proche de Jésus : l’épître de Paul aux

Thessaloniciens en l’année 50 et la plus éloignée : la seconde épître attribuée à Pierre

entre 125 et 130, s’insère l’Évangile quadriforme, particulièrement centré sur Jésus.

Marc, disciple de Pierre, aurait rédigé son texte à Rome vers l’année 70. Il fait

ressortir Jésus comme Christ, c’est-à-dire le Messie d’Israël, et comme Fils de

Dieu.

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Matthieu s’est adressé, entre 80 et 85 à un milieu judéo-chrétien, c’est-à-dire à

des chrétiens d’origine juive. « Il distribue l’essentiel de l’enseignement de Jésus

en cinq grands discours », rappelant le pentateuque, les cinq premiers livrets de

l’Ancienne Alliance.

Luc, à la même époque que Matthieu, a écrit l’histoire du christianisme des

années 30 à 60 en deux tomes, le second étant les Actes des apôtres. Juif

hellénisé, compagnon de saint Paul, il a composé son texte évangélique en Asie

Mineure ou en Grèce.

Jean, pas nécessairement l’un des Douze, a terminé sa présentation de

l’Évangile à Éphèse ou à Patmos vers 90-95; il révèle l’intimité de Jésus avec

Dieu.

Des textes évangéliques apocryphes dans lesquels n’a pas été reconnue « la règle de la

foi », incluent des documents du IIe siècle : l’Évangile selon Pierre, selon Thomas, des

Nazaréens, des Hébreux, des Ébionites. D’autres sont plus tardifs. Ce qui les caractérise,

c’est la description de certains événements relatifs à Jésus, incluant sa résurrection,

souvent de façon imaginative sinon fantaisiste. Il importe d’ajouter une seconde vague

littéraire chrétienne, postérieure ou concomitante aux livrets de la Nouvelle Alliance,

c’est-à-dire entre 95 et 150 : l’épître de Clément de Rome aux Corinthiens en 95, la

Didache (Instruction des Apôtres) vers 100, sinon vers 150, les épîtres attribuées à

Ignace d’Antioche; il n’y est cependant fait qu’allusion à Jésus le Christ, car il est plutôt

question de sujets d’actualité ecclésiale.

1.2 Les sources non chrétiennes

L’historien juif Flavius Josèphe (+100) dans son livre Antiquités judaïques, XVIII, 63-64,

fait allusion à Jean le Baptiste, à Jésus et à Jacques, frère de Jésus. Comme le texte

original n’a pas été trouvé, il s’agit de citations rapportées ultérieurement par des

auteurs chrétiens;, ces derniers ont sans doute coloré l’original en faveur de Jésus et de

sa résurrection. Trois auteurs latins de religions dites païennes : Pline le Jeune, Tacite et

Suétone ont écrit entre 110 et 120 à propos du christianisme. Ce mot est dit procéder

du Christ, « livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate sous le principat en Tibère

». Il y est ajouté que cette « superstition d’origine orientale n’a guère eu la faveur des

intellectuels ni des patriciens romains ». Des découvertes archéologiques, tels les restes

d’un crucifié du début du Ier siècle, nommé Johanan, à Jérusalem en 1968, une barque

en bois d’il y a vingt siècles, retrouvée en 1986 au nord-ouest du lac de Tibériade, un

ossuaire du Ier siècle, trouvé en 2000 à Jérusalem et portant le nom de « Jacques, fils de

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Joseph et frère de Jésus », mots ayant pu cependant être écrits plus tard, ajoutent une

certaine crédibilité aux écrits évangéliques.

1.3 Traitement des sources

Toutes les sources mentionnées dans le semainier de dimanche dernier sont des

interprétations de la réalité. Il est heureux que depuis le XVIe siècle la Bible fasse l’objet

de notes marginales placées à côté du texte, en même tempos qu’elle fut peu à peu

traduite en langues vernaculaires. L’avènement de l’histoire critique ne viendra que

dans la seconde moitié du XIXe siècle. Après une « première quête » qui se déroule

jusqu’au début du XXe siècle, une deuxième est apparue en 1920, l’accent étant mis sur

les genres littéraires des 46 livrets de l’Ancienne Alliance. Depuis 1980, une troisième

quête de sens concerne la figure historique de Jésus, grâce à une approche du « cadre

juif qui fut celui de sa vie. »

La recherche historique exige d’abord une critique textuelle, puis une étude

comparative des sources, avant que l’on ne procède à l’écriture d’un texte amélioré.

Ainsi, une vie de Jésus en ressort renouvelée, pour autant que l’on prenne en compte

les critères d’historicité suivants :

le nombre de fois qu’une expression est employée, par exemple « les premiers

seront les derniers »; plus elle est répétée, plus elle peut être véridique;

la cohérence ou la convergence d’évènements; par exemple à propos de

l’attention aux personnes exclues, souvent mentionnée;

la dissemblance ou la dimissilitude, par exemple le fait que Jésus ne sache pas

quand va arriver la fin du monde, ce qui est un aveu de son ignorance qui

s’oppose à l’omniscience de ressuscité entretenue par ses disciples quarante ans

après sa mort; c’est plus réaliste;

la plausibilité, par exemple la contestation de Jésus par rapport au sabbat, ce qui

montre de sa part une certaine proximité avec les pharisiens, et ce contre les

sadducéens et les grands-prêtres; les événements rapportés dans l’Évangile sont

alors analysés à partir de leurs liens avec le milieu historique de Jésus.

Grâce à la combinaison de ces critères, une personne spécialisée en histoire dispose

d’outils assez fiables pour écrire la vie de Jésus, tout en se rappelant que l’histoire n’est

pas une science rigoureusement exacte.

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1.4 Un Galiléen du Iersiècle

Jésus a été un homme de son temps. À cette époque, la date de la mort était la plus

importante à retenir. À part quelque roi ou prince, la naissance de quiconque n’était pas

consignée. Comme les calendriers étaient multiples et souvent locaux, il est opportun de

se fier sur le fait que Jésus n’aurait pas été crucifié le jour même de la Pâque juive, par

attention à cette plus grande fête religieuse en judaïsme. Par prudence, il était

préférable que ce soit la veille, donc le vendredi 14 nisan (le nom d’un mois du

calendrier juif), ce qui correspondrait au vendredi 7 avril de l’an 30 selon le calendrier de

notre ère, et ce après de nombreux calculs appropriés. Ainsi la Cène a eu lieu jeudi,

l’avant-veille de la pâque juive, (un samedi, le jour du sabbat).

Le lieu de la naissance de Jésus demeure pour sa part douteux. Les évangélistes

Matthieu et Luc mentionnent Bethléem, mais il peut s’agir de la portée symbolique de

cet endroit, car elle était la ville de David et de son clan. Au VIIe siècle avant Jésus, le

prophète Michée avait écrit : « Bethléem… de toi sortira celui qui doit gouverner Israël

». Pour sa part, selon l’évangéliste Jean, Jésus serait Galiléen de naissance (Jn 7, 41-42 et

1, 45-46).

Si l’on doute du lieu de naissance, il est sûr que Jésus est né cinq ou six ans avant l’ère

en cours, dite chrétienne. L’historien juif Flavius Josèphe situe le recensement en l’an 6

de notre ère, soit une dizaine d’années après la mort d’Hérode le Grand. Ainsi, Jésus

serait décédé à 24 ans. Matthieu et Luc mentionnent clairement que Jésus est né au

temps d’Hérode, ce qui est le plus vraisemblable. La principale erreur est celle du moine

Denys le Petit (+545), qui fut le premier à faire un calendrier à partir de la naissance de

Jésus. En optant pour le mois de décembre de l’an 753 après la fondation de Rome, il le

faisait naître trois ans après la mort d’Hérode le Grand, ce qui est contradictoire avec

une naissance qui aurait eu lieu quelques années avant le décès de ce dernier, donc en

747 ou 748 du calendrier julien. De toute façon, le nombre de 33 ans n’est

historiquement confirmé d’aucune façon; Jésus serait plutôt décédé à 35 ou 36 ans.

Seul Jean, pourtant l’évangéliste le plus spirituel, laisse entendre que Jésus aurait

commencé sa mission en public à l’automne de l’année 27 de notre ère, ayant donc 33

ou 34 ans, ce qui coïnciderait avec Luc : « Jésus avait environ trente ans » (3, 23), le mot

« environ » étant le plus important. Jésus serait allé à Jérusalem lors de la pâque de

l’année 28, alors qu’il aurait rencontré Nicodème (Jean 3, 1-21). La multiplication des

pains aurait eu lieu avant la pâque de 29. À la fin de décembre 29, Jésus serait monté à

189 Jérusalem pour la fête de la Dédicace. Puis, il serait revenu pour la pâque de l’an 30.

Ainsi, Jésus a beaucoup plus circulé en Palestine que ne le laisse entendre Luc, qui ne

relate qu’un voyage principal entre la Galilée et la Judée, en mentionnant à peine un

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arrêt en Samarie, jugée hérétique et schismatique par les Juifs des deux autres

contrées.

Quant à la vie antérieure de Jésus, qui peut être certain de la connaitre? La bourgade de

Nazareth n’est jamais mentionnée dans les 46 livrets de l’Ancienne Alliance et un

chercheur récent a laissé entendre qu’elle n’existait pas encore au temps de Jésus. De

toute façon, la Galilée, région dont fait partie le présumé hameau, est alors considérée

de bas étage par les habitants de la Judée, au sud, là où se trouve Jérusalem. « De

Nazareth… peut-il sortir quelque chose de bon? » (Jn 1, 46). En Galilée, terre de passage

pour toutes sortes de commerçants, les adeptes du judaïsme sont influencés par des

pharisiens, traditionnellement fort respectueux des principales règles de la pureté

physique. Cependant, le fait d’être loin de Jérusalem leur permettait d’être distants des

grands-prêtres du temple de Jérusalem et des sadducéens, qui pensaient tout savoir,

alors que le passage d’étrangers les ouvrait à d’autres peuples et cultures. Il semble bien

que Jésus a appartenu à une famille d’artisans. Il pouvait travailler, à l’occasion, dans sa

région selon les besoins, par exemple à Sepphoris et à Tibériade. La Galilée était

relativement paisible à cette époque, car Hérode Antipas y fut souverain de l’an 4 avant

notre ère à 39 après. Jésus fréquentait sans doute la synagogue. Bien que parlant

quotidiennement l’araméen, il y entendait les lectures en langue hébraïque officielle.

Comme le grec, en son dialecte koinh, était la langue populaire de l’empire romain dont

faisait partie la Palestine, Jésus en saisissait probablement certains mots. Selon certains

livrets de la Nouvelle Alliance, Jésus aurait eu quatre frères : Jacques, Joseph, Simon et

Jude. Les noms de ses sœurs ne sont pas mentionnés. Trois interprétations subsistent :

ils seraient des cadets de Jésus et enfants de Marie et de Joseph, ce qui est

retenu en Église protestante;

ils seraient des enfants de Joseph, nés d’un mariage antérieur, ce qui est retenu

en Église orthodoxe;

ils seraient des cousins et des cousines de Jésus, ce qui est retenu en Église

catholique romaine.

Ce qui est sûr, c’est que Jésus a été éduqué dans un milieu familial élargi et non dans le

cadre d’un couple avec un enfant.

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4. Un Prédicateur remarqué L’évangéliste Jean termine ainsi son texte : « Jésus a fait encore bien d’autres choses : si

on les écrivait une à une, le monde entier ne pourrait, je pense, contenir les livres qu’on

écrirait » (Jn 21, 25). C’est beaucoup laisser entendre.

Il est hors de tout doute que Jésus a été baptisé par Jean dans le Jourdain, à une

époque où de nombreux baptistes se manifestaient en terre juive, par exemple un dé-

nommé Bannus dont l’historien Flavius Josèphe se fit temporairement le disciple. Ils

prêchaient tous « un baptême de repentir pour le pardon des péchés » (Mc 1,4 ou Lc

3,3). Ce rite d’eau, comme signe de conversion, contestait les sacrifices de pardon au

Temple de Jérusalem, d’ailleurs de plus en plus perçu comme un lieu ritualiste aux

mains du milieu sacerdotal sadducéen. D’ailleurs, jamais Jésus n’est montré comme

offrant un sacrifice au temple; au paralysé de Capharnaüm, une fois guéri, il a ajouté

qu’il était aussi pardonné, sans qu’il ait eu à offrir le sacrifice prescrit en judaïsme. «

Jésus fut d’abord disciple de Jean » le baptiste. Puis, il prit à son tour la tête d’un petit

groupe de disciples recrutés dans l’entourage de Jean. Jésus a peut-être été baptiste à

son tour, mais l’évangéliste Jean laisse cette possibilité dans l’ombre, de peur que des

gens identifient le baptême chrétien d’après la Pentecôte avec le rite que Jésus aurait

lui-même posé. C’est pourquoi il écrit : « À vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas,

mais ses disciples » (4,2). Ce qui ressort de l’Évangile, c’est plutôt le Jésus prédicateur,

donc différent de Jean le baptiste. D’ailleurs, Jésus circulait plutôt dans les villages et les

villes qu’au désert. Il mangeait et buvait, alors que Jean était un ascète.

Des points communs existent entre les esséniens et les chrétiens : distanciation du

Temple et des sadducéens, attente apocalyptique et eschatologique prochaine,

organisation communautaire selon un style de vie un peu semblable, croyance en la

résurrection des morts, proximité géographique de Jean le baptiste et de Jésus au

désert avec Qumran, lieu de retraite des esséniens près de la Mer Morte. Mais de

nombreuses différences ressortent clairement : le groupe essénien est sectaire, ce qui

s’oppose à la morale et au style de vie promus par Jésus, la pureté rituelle des esséniens

et le laisser-aller de Jésus à ce propos. Si Jésus a fait partie de la mouvance essénienne,

il en a été vite dissident. Ce qui est possible, c’est que des esséniens, après la

destruction de leur établissement autour de 70 par des légions de l’Empire romain, se

soient intégrés à des communautés chrétiennes. En ce sens, l’évangéliste Jean aurait été

attentif à eux, en utilisant l’opposition entre lumière et ténèbres, qui leur était

coutumière.

Le Jésus prédicateur est un Jésus prophète. Premièrement, il constate ceci : « le temps

est accompli et le règne de Dieu est proche ». Puis, l’évangéliste Marc ajoute : «

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convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (1,14-15); c’est un appel. Luc rapporte qu’un «

grand prophète s’est levé parmi nous » (7,16) et Matthieu rapporte les propos de la

foule : « C’est le prophète Jésus » (21,11). Par ailleurs, Jésus était proche des maîtres

pharisiens de la Galilée, sa région d’origine, qui enseignaient « une pensée théologique

ouverte »; elle incluait une interprétation de la Thora écrite selon une tradition orale

empreinte de souplesse. On prenait en compte le contexte historique, d’écrits (même

des dix commandements) et de la vie de tous les jours. Mais quand des pharisiens,

surtout de la Judée, entretenaient un radicalisme littéral des écrits, Jésus se rebiffait à

chaque fois. Le fossé entre le dire et le faire, entre le devoir et la réalité, faisait Jésus

sortir de ses gonds. Quand Jésus envoie ses disciples en mission, il les invite à proclamer

la conversion et l’approche du règne de Dieu; cela relève plus de la prophétie que de la

sagesse. Jésus n’est d’ailleurs pas un maître de la sagesse pharisienne. Il s’intéresse

d’ailleurs aux gens laissés pour compte et il parle en paraboles, ce qui le distingue des

scribes.

Jésus est présenté évangéliquement comme un thaumaturge. L’évangéliste Jean parle

de « signes » (2,11) plutôt que de miracles. « Il serait illusoire de prétendre à

l’objectivité historienne », spécialement dans ce domaine. Premièrement, il s’agit de

différents types d’événements : guérissons, exorcismes, reviviscences (plutôt que

résurrections), contrôle des forces ou des réalités physiques, visions. Deuxièmement,

selon le contexte culturel de l’époque, des interventions divines se manifestaient

quotidiennement, de façon directe. Troisièmement, les gens de l’époque de Jésus

n’étaient tout de même pas « des naïfs crédules ». Reconnaissons cependant qu’ils ont

perçu Jésus « comme exorciste et guérisseur ».

L’espérance messianique était vive chez les Juifs du premier siècle. Elle se manifestait de

façons diversifiées. Un groupe organisé se constitua au milieu de ce siècle, donc vingt

ans après la mort de Jésus, sous l’influence « du mouvement des sicaires ou zélotes ».

En ce sens, l’un des Douze n’était pas Simon « le zélote », mais Simon le zélé (un

zélateur de la foi). Jésus ne fut pas un prétendant politique, qui aurait voulu établir « un

règne messianique terrestre ». Se serait-il considéré comme le messie des Juifs, au sens

qu’il lui appartenait d’établir un règne de justice et de paix, dont l’avènement aurait été

proche? Personne ne le sait et ne peut le savoir. Que des disciples postérieurs, croyant

en sa résurrection, l’aient présenté comme tel, il n’y a pas de doute. Même durant la vie

publique de Jésus, des disciples ont cru que Jésus était le messie attendu et que le

royaume annoncé adviendrait bientôt sur terre; ils escomptaient même « y occuper une

bon place » (Mc 10, 35-40). Mais cette perception, entretenue durant la dernière année

de Jésus sur terre, fut réduite à néant par la mort abjecte de ce dernier.

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5. Mise à mort politique Les seules sources détaillées de la mise à mort de Jésus sont les quatre textes

évangéliques. Les auteurs ont eu tendance à « charger les chefs juifs et à excuser le

gouverneur romain Ponce Pilate… Cette charge exagérée contre les Juifs est le reflet

d’une situation de la fin du Ier siècle, où l’Église, enrichie de nombreux membres

d’origine païenne, polémiquait contre le judaïsme renaissant » après la destruction du

temple de Jérusalem en 70 par l’armée romaine. Or les écrits évangéliques se situent

entre 70 et 100, à une époque où les adeptes du judaïsme se regroupent, s’identifient

davantage et se délestent des adeptes du christianisme.

Jean le Baptiste « avait payé de l’emprisonnement, puis de sa tête, ses dénonciations »

contre la cour d’Hérode Antipas, tétrarque de Galilée. Jésus, qui s’était alors éloigné de

Jean le Baptiste et qui commençait à « prendre la tête d’un groupe autonome », fut lui

aussi menacé (Lc 13, 31). Après les succès populaires de la première année de la vie

publique de Jésus, son groupe d’adeptes diminua, à mesure qu’il contestait la

médiocrité, qu’il critiquait « toute autorité hautaine », qu’il promouvait le royaume de

Dieu.

Certains partisans de Jésus, dont Pierre est dit se faire le porte-parole (Mc 8,31), le

reconnaissent comme le Messie. Il devenait un personnage « à haute stature politique

et religieuse ». Il pouvait mettre « en péril la situation de tous les responsables en place

», pas tellement en Galilée où Hérode Antipas était sûr de son pouvoir autonome, mais

certes à Jérusalem. Jésus s’y était déjà fait remarquer. Mais, accompagné d’un groupe

de partisans, entrant triomphalement dans la ville quelques jours avant la Pâque de l’an

30, saccageant le matériel des vendeurs du temple, il alarma les pouvoirs publics : les

grands prêtres et le gouverneur romain Ponce Pilate. Ceux-ci furent complices et Judas,

le traître, les aida dans leur entreprise. « Les principaux responsables de la mort de

Jésus sont d’abord Pilate, qui donna l’ordre de l’exécution, et ensuite les membres de

l’aristocratie sacerdotale » du judaïsme, appartenant au parti sadducéen.

La crucifixion est le supplice le plus humiliant inventé par les êtres humains. Innové par

les Parthes d’origine iranienne, il a pu être pratiqué par des Juifs. Les Romains le

faisaient subir aux condamnés de basse classe sociale. Le cadavre d’un crucifié n’était

pas nécessairement jeté à la fosse commune. Il pouvait recevoir une sépulture

individuelle, ce qui semble avoir été le cas pour Jésus.

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6. Le Seigneur Jésus Christ Durant les jours et les semaines, qui ont suivi la mort de Jésus, ses disciples, à peine

quelques centaines à cette époque, témoignèrent « l’avoir vu vivant ». La foi en Jésus

ressuscité de la part de ces personnes fonde l’Église qui se réclame de lui, le discours

tenu sur lui, le comportement qui s’inspire de ses actes et de ses paroles, la religion qui

l’intègre à son culte et à sa prière. La résurrection de Jésus, différente de la reviviscence

de la fille de Jaïre, du fils de la femme de Naïn et de Lazare (car eux, ils sont morts par la

suite) n’est pas un fait historique établi selon des méthodes scientifiques de spécialistes

en histoire, mais est un fait événementiel : des personnes « ont affirmé l’avoir vu vivant

après sa mort ». Il s’agit d’une forme de vie autre que celle qu’il avait connue avant sa

crucifixion, d’une vie glorieuse et éternelle ». Les récits d’apparition expriment qu’il

s’agit d’une manifestation surprenante. « De telles expériences sont de l’ordre de

l’indicible ». Les récits « du tombeau ouvert » et non « du tombeau vide » gagnent à

être compris selon la dimension symbolique du langage employé.

En judaïsme, depuis quelques siècles avant Jésus, par respect pour le mot Yahveh, on

attribuait à Dieu le mot hébreu Adonaï (mon Seigneur), traduit en grec ho Kyrios (le

Seigneur). Dans le psaume 110,1; Dieu invite le roi « à s’asseoir à ses côtés », en le

dénommant Seigneur. Cette imagerie seigneuriale est attribuée « par les premiers

chrétiens » à Jésus ressuscité, assis à la droite du Père.

La foi en la résurrection de Jésus les a amenés aussi à le dénommer Fils de Dieu, ce qu’a

écrit saint Paul à la communauté chrétienne de Rome dès 57 : « établi, selon l’Esprit

Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d’entre les morts, Jésus Christ

notre Seigneur » (1, 2-4). Le mot Christ, mot venant du grec Christos, traduction du mot

hébreu mashiah (oint, messie), donc le Messie, lui est aussi attribué. Il s’agit du Messie

d’Israël, celui qui était attendu en judaïsme, perçu grâce à sa résurrection, non plus

comme un messie terrestre et politique, mais comme un messie spirituellement sauveur

et de son peuple et de toute l’humanité. L’expression Fils de l’homme est plus

complexe, puisqu’elle comporte une double connotation : un Jésus vulnérable et un

juge universel, celui qui est mort et ressuscité.

L’emploi de ces divers noms attribués à Jésus ressuscité laisse poindre à travers les 27

livrets de la Nouvelle Alliance, écrits entre 51 et 120 environ, une christologie, c’est-à-

dire une réflexion théologique sur Jésus le Christ. En 56, saint Paul le met ainsi en

relation avec Dieu : « La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la

communion du Saint-Esprit soient avec vous » (II Co 13, 13). L’évangéliste Matthieu vers

80 termine son texte en mettant dans la bouche de Jésus une invitation de baptiser « au

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nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (28,19). Pour sa part, l’évangéliste Jean vers

95-100 lui fait dire : « Moi et le Père, nous sommes un » (10,30).

De fait, la christologie va se préciser lors des premiers conciles généraux du IVe au VIIe

siècle, alors que beaucoup de distinctions seront apportées pour ce qui a trait aux

natures humaine et divine de l’unique personne qu’est Jésus. Malgré les divergences

entre les Églises chrétiennes actuelles, toutes

s’entendent sur le Je crois en Dieu, dit le symbole des conciles Nicée-

Constantinople, daté de 381,

emploient les mots Trinité, Incarnation, Rédemption (salut), - trouvent

nécessaire de poursuivre la recherche théologique sur Jésus le Christ,

spécialement sur ce qui concerne la Rédemption et la place du Christ dans la

pluralité des religions. Ces deux champs de recherche font ressortir d’une part

l’importance de la croix, en laquelle se conjuguent abaissement et exaltation, et

d’autre part la médiation de Jésus le Christ entre Dieu et l’ensemble de

l’humanité, dans le respect du pluralisme religieux et sans tendance à la

récupération.

7. Dans la tradition

7.1 En liturgie

« La principale originalité du christianisme est celle-ci : le Christ est à la fois vrai Dieu et

vrai homme ». En judaïsme du temps de Jésus, « on est prêtre de naissance », c’est-à-

dire en étant de la descendance de Lévi, un fils de Jacob. Jésus ne l’était pas, puisqu’il

était né dans la tribu de Juda, un autre fils de Jacob. « Les célébrations chrétiennes ne

sont pas un culte au sens biblique du terme », comme cela se faisait au temple de

Jérusalem, le seul lieu de culte en judaïsme. En christianisme, Jésus Christ est considéré,

comme le seul prêtre en tant que médiateur entre Dieu et l’humanité. Lors des

célébrations liturgiques, les adeptes du christianisme « s’associent au culte unique que

Jésus a rendu à Dieu par sa vie et sa mort ». Il est intéressant de noter que les

célébrations eucharistiques du début de l’Avent jusqu’à l’Ascension se rythment à la vie

de Jésus sur terre. Puis, le reste de l’année liturgique est celui de l’Église, originant de la

Pentecôte, qui poursuit l’œuvre de Jésus sur terre, en s’y ressourçant et en continuant

de « prier le Christ », mais surtout « avec le Christ ».

À ce propos, le repas rituel, dénommé l’eucharistie ou la cène selon les Églises, est « la

reprise, à la lumière de la Résurrection, d’un geste accompli par Jésus la veille de sa

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mort ». « Jésus ressuscité se donne comme nourriture ». Dans la Bible, il ne s’agit nulle

part d’un sacrifice. Dans les Églises orthodoxes et l’Église catholique romaine, l’on a

retenu cette interprétation sacrificielle à partir d’un livret dénommé la Διδαχη δώδεκα

αποςτολων, la Didaché (Doctrine des douze apôtres). Écrit vers 150 par un auteur

inconnu, ce texte, d’origine syrienne, est une sorte de manuel de religion chrétienne. Ce

qui est théologiquement certain, c’est que l’officiant de toute célébration liturgique

n’est pas le prêtre; il peut cependant être considéré comme le signe sensible du prêtre

unique qu’est Jésus le Christ, se tournant vers le Père au nom de l’humanité. En histoire

du christianisme, la représentation imagée de Dieu, incluant Jésus, a fait problème,

particulièrement pour ce qui a trait aux icônes en Église orientale lors des VIIIe et IXe

siècles et aux statues lors de la réforme dite protestante en Europe occidentale du XVIe

siècle. Il est vrai que pendant des siècles la représentation réaliste de l’être humain

Jésus n’était pas de mise, encore moins celle de Dieu, même en Orient. Leurs figures

étaient plutôt sous forme symbolique, par exemple celle du bon pasteur, ou nimbées de

gloire. En ce sens, les icônes sont fort acceptables. Mais en Europe occidentale, à partir

du courant franciscain du XIIIe siècle, le corps de Jésus pendu à la croix et tout le reste

ont exacerbé les réformateurs du XVIe siècle. En catholicisme l’art baroque a accentué

l’imagerie religieuse, jusqu’à représenter Dieu « sous les traits d’un vieillard barbu

souvent couronné d’une tiare ».

7.2 En spiritualité

Jésus fut un homme de prière, donc un homme en relation avec Dieu. Le Notre Père,

selon l’évangéliste Luc est probablement la plus proche des termes mêmes de Jésus »,

même si l’on a retenu en Église la formule plus longue de Matthieu. Le christianisme «

n’est pas d’abord une morale, mais l’union à une personne, Jésus Christ : union

spirituelle, nourrie par la prière et nourrissant l’existence dans ses différentes

dimensions ». Saint Paul a bien exprimé cette spiritualité, centrée sur le Christ, le Dieu

fait homme, dans l’épître aux Philippiens (2,6-11) : « Lui, de condition divine… devenant

semblable aux êtres humains… devenu Seigneur » ou, dans l’épître aux Colossiens (1,15-

20) : « Premier né de toute créature…Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Église ». Ces deux

hymnes font référence à la mort et à la résurrection de Jésus.

En histoire de la spiritualité chrétienne, des textes d’Ignace d’Antioche (IIe siècle),

d’Augustin (Ve siècle), de Luther et de Calvin (XVIe siècle), de jansénistes (XVIIe siècle)

insistent sur le sacrifice de sa vie, sur l’aspect pécheur et tragique de la condition

chrétienne, ce qui a entraîné une propension à l’ascèse et à l’austérité. D’autres adeptes

du christianisme, tels Thomas More (1478-1535) et Philippe Neri (1515-1595), font

ressortir la joie chrétienne. Plus récemment, la spiritualité se nourrit davantage de

l’Évangile. Ainsi, Jésus demande de l’eau à la Samaritaine et engage la conversation; il

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écoute la femme qui le touche et la guérit; il laisse venir à lui les enfants; il s’invite à la

table de Zachée; il s’émerveille de la foi du centurion; il rassure le bon larron sur la croix;

il demande à Pierre : m’aimes-tu; il dit : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce

qu’ils font. Il s’agit d’une spiritualité, selon laquelle Dieu est présent dans la personne

côtoyée.

Conclusion

Ainsi, « le christianisme considère que le culte véritable n’est pas la célébration

liturgique, mais la vie dans ses aspects les plus quotidiens, lorsque l’amour de Dieu et

l’amour du prochain l’habitent ».

8. Vivre de Jésus Christ au XXIe siècle Une personne chrétienne est « d’abord et avant tout une personne croyante » en Dieu.

Reconnaître être sous le regard de Dieu implique une attitude de vérité vis-à-vis de soi-

même et des autres. Les êtres humains sont dès lors perçus comme des personnes, non

des personnages. Quelqu’un de croyant a aussi l’humilité d’entrer en relation avec Dieu

par la prière, « dans ta chambre la plus retirée… à ton Père qui est là dans le secret »

(Mt. 6,6). « La vérité de la prière et la vérité de la personne sont complémentaires chez

la personne croyante ».

La personne croyante, en christianisme, reconnaît Jésus le Christ, comme étant la «

parole de Dieu et « l'image du Dieu invisible », en langage biblique. Ces deux termes,

utilisés de façon métaphorique (où l'on passe du concret à l'abstrait), ont ceci en

commun : « en Jésus Christ, le Père se révèle tel qu'il est ». Ainsi, est-il « le chemin, la

vérité, la vie » Jn 1 4,6).

La Bible, à l'encontre du Coran en islam, n'est pas la Parole de Dieu; elle n'est que l'un

des moyens d'accès à sa Parole incarnée, qui est Jésus Christ. Le christianisme n'est pas

« une religion du livre », car la Bible ne peut être lue que selon une interprétation

adéquate. Par exemple, comment ne pas laisser place à celle-ci, lorsqu'on lit l'Évangile,

rapporté de quatre façons, entre 40 et 80 ans après la mort de Jésus, écrit en araméen

palestinien, langage sémitique diversifié selon l'époque et le milieu? Et que dire des

traductions subséquentes souvent entachées d'anachronismes? La critique biblique des

dernières décennies, grâce à des exégètes scientifiques, permet heureusement une

approche désormais plus sûre des textes originaux, mais la Parole de Dieu ne demeure

pas moins quelqu'un qui a agi et non seulement parlé.

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Il est le chemin de Dieu vers l'être humain et le chemin de ce dernier vers Dieu. Dans

aucune religion en histoire de l'humanité, si ce n'est en christianisme, Dieu se fragilise

autant et se compromet autant « avec le monde qu'il a créé ». « Nous prêchons un

Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens » (I Co 1, 23), comme l’a

écrit saint Paul.

En christianisme, nous le disons sauveur. De quoi sauve-t-il? Du péché? Qu'est-ce que

cela veut dire à notre époque? Ne vaudrait-il pas mieux dire « du non-sens apparent du

monde »? «Vanité des vanités, tout est vanité », n'est-ce pas ce qui est ressenti à l'heure

actuelle, comme par l’Ecclésiaste (1,1) en Ancienne Alliance? En situation de détresse («

no future ») l'annonce d'un salut peut avoir de la portée. Certes, cela peut être utilisé

de façon fanatique, souvent financièrement bien appuyé, ce qui fait vivre de nombreux

gourous d’Églises chrétiennes éparpillées. Mais le vrai salut, apporté au monde par Jésus

Christ, « résulte de sa mort et de sa résurrection ».

Or la résurrection elle-même pose question à notre époque, ce qui est compréhensible,

compte tenu de tout ce qui a été historiquement colporté sur le paradis à la fin de nos

jours. Les représentations oratoires et artistiques de la fin des temps ont marqué

l’imaginaire des gens et ont ouvert la voie à toutes sortes d'issues autres que

chrétiennes, entre autres la réincarnation, déjà envisagée avant le christianisme comme

voie d'avenir après la mort. Selon saint Paul, la résurrection de Jésus est le signe de la

résurrection de tous les êtres humains. Bien plus, il s'agit d'une résurrection salutaire de

toute la collectivité humaine, dans le respect de la liberté de chaque personne. Aucun

pessimisme n'est compatible avec la foi en Jésus Christ ».

Ainsi, il est bibliquement fondé, selon une perspective chrétienne, que tous les êtres

humains peuvent être dits frères et sœurs, Jésus étant « le premier-né d'une multitude

de frères et de sœurs » (Rm 8,29). Cette fraternité, plus fondamentale que la parenté

charnelle, « s'enracine dans la paternité de Dieu et dans l'humanité partagée avec le

Christ ». «Vous êtes tous frères et sœurs... vous n'avez qu'un seul Père », a dit Jésus (Mt

23, 8-9). Ainsi, une fois baptisé, un enfant a ses parents comme frère ou sœur, plus que

père ou mère, et l'enfant devient leur frère ou sœur.

Cette primauté de la fraternité, tout imprégnée d'une dimension relationnelle, «

entraîne le primat de l'amour »; « quiconque qui dit aimer Dieu et qui n'aime pas son

frère est un menteur » (I Jn 4, 20). Cet amour dépasse les sentiments; il est très radical.

Conséquemment, « le pardon fait partie de l’être chrétien », même si c'est exigeant.

S'engager à aimer quelqu'un jusqu'au pardon ou encore pour toute la vie sur terre, telle

que c'est proposé en mariage chrétien, est à la fois un des plus beaux défis qui soit et un

témoignage d'une grandeur spirituelle la plus élevée qui soit, mais « rien n'est

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impossible à Dieu » (Lc 1, 37). Cette fraternité fondamentale est signifiée en une Église,

dont Jésus le Christ est comparé à une tête et les fidèles à l'ensemble des membres d'un

corps. Malgré les faiblesses et les erreurs de l'institution ecclésiale, elle ne peut être

considérée comme totalement distincte du Christ. Que serait une tête sans corps?

9. Liberté évangélique et paraboles « L’époque dans laquelle nous vivons raffole des témoignages. L’inconvénient de ce type

d’écriture ou d’intervention, c’est qu’il met le lecteur ou l’auditeur à trop grande

distance des sujets abordés, autrement dit qu’il n’est pas suffisamment objectivant ». «

Le christianisme est la religion de la vraie liberté ». Et cela est mis en valeur par la forme

verbale ou littéraire de la parabole. Jésus, selon l’Évangile quadriforme, « a porté ce

procédé pédagogique à son plus haut niveau ». Une cinquantaine de paraboles (dans

certains cas on peut dire des comparaisons) parsèment l’Évangile. D’origine grecque, le

mot παραβαλλείν veut dire « lancer à côté ou jeter le long de ». C’est une forme de

discours selon laquelle on utilise un biais, une voie latérale. La personne intervenante

s’adresse à la personne auditrice ou lectrice « au second degré ». Celle-ci est amenée,

sans d’abord s’en rendre compte, « à déplacer son propre point de vue ». Comme elle

n’est pas mise en cause directement, elle « n’a pas les mêmes réserves de principe ». «

La parabole est une forme de discours qui respecte pleinement la liberté des

destinataires ». « Les paraboles rapportent des histoires fictives ». Déjà, il s’en trouvait

dans l’Ancienne Alliance. Cette histoire est aussi vraie que celle de Jésus dans l’Évangile.

Ces événements sont bien réels. L’approche par le biais des paraboles ne consiste

aucunement en « un regroupement d’injonctions dictant aux êtres humains ce qu’ils

doivent faire ». Ils restent « libres de s’identifier » à tel ou tel personnage des paraboles.

Il est d’ailleurs heureux que l’on ait conservé en Église entre la fin du IIe siècle et le IVe

siècle, non pas un, mais quatre textes évangéliques ce qui donne en quelque sorte un

choix aux destinataires.

La remarque a été faite que, selon ces textes, Jésus « ne rit jamais », ce qui n’exclut pas

l’humour de Dieu. « Il s’est incarné en un homme dépourvu de moyens de puissance,

vulnérable au point de se laisser mettre à mort et considérant inutile de rédiger son

testament spirituel ». Bien plus, ce qu’il a dit et fait en la personne de Jésus a été

rapporté de façon telle que les exégètes ne cessent d’en faire toutes sortes

d’interprétations. Est-ce que cela ne veut pas dire qu’il ne faut jamais prendre « les

formulations de la foi chrétienne trop au sérieux »? Les dogmes ne proviennent pas de

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l’Évangile, mais de théologiens ultérieurs. « Les moindre geste ou la plus simple parole »

de l’humble prophète de Galilée dit davantage sur Dieu que de savants discours ».