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90 RLPE 302 REVUE DE PRESSE JEUNESSE «V endredi 1 er juin, le Front national a an- noncé qu’il changeait de nom. Il s’ap- pellera désormais le Rassemblement national. C’est juste un nom, on s’en fiche, non ? Eh bien pas vraiment ». En quelques mots, le ton est donné : Le P’tit Libé ambitionne d’expliquer le RN (ex FN) aux enfants, avec des concepts- clés tels que la « dédiabolisation », l’histoire du parti, les coups d’éclat médiatiques, la ville d’Hénin-Beaumont ou encore le programme politique… Des conseils de lecture de romans et de documentaires illustrent le dossier à tra- vers les thématiques de l’engagement poli- tique, des valeurs et de la démocratie. Treize pages de décryptage pour répondre à l’éter- nelle question : le FN est-il un parti comme les autres ? TOPO, n° 11 mai-juin 2018. Je Bouquine, n° 1066 15 avril 2018. Okapi, n° 1068 15 mai. F aire rêver les enfants en parlant de mai 68 ? Sans surprise, de (très) nombreux titres de presse jeunesse s’y sont essayé le printemps dernier. La prime à l’originalité revient à la revue de bande dessinée TOPO, qui propose un récit des événements sous la forme d’une BD de vingt pages toute en ligne claire (« On a reçu du lacrymo, j’ai pleuré mais je n’ai pas eu peur »), signée par la journaliste Audrey Lebel et le dessinateur Alexandre Kha. Je Bouquine impressionne en proposant à la fois une nouvelle, une enquête (être ado hier et aujourd’hui), un focus sur les slogans marquants de l’époque, un test sur « ce qui te révolte »… Enfin, Okapi se plonge dans les archives du photographe Gilles Caron, auteur de la célèbre photo de Daniel Cohn-Bendit face à un CRS. Reste à savoir si le rêve a pris ? Mai 68 Le P’tit Libé, n° 60 du 1 au 7 juin 2018. Un parti comme les autres ?

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E« V endredi 1er juin, le Front national a an-

noncé qu’il changeait de nom. Il s’ap-pellera désormais le Rassemblement national.C’est juste un nom, on s’en fiche, non? Eh bienpas vraiment». En quelques mots, le ton estdonné : Le P’tit Libé ambitionne d’expliquer leRN (ex FN) aux enfants, avec des concepts-clés tels que la « dédiabolisation », l’histoire duparti, les coups d’éclat médiatiques, la villed’Hénin-Beaumont ou encore le programmepolitique… Des conseils de lecture de romanset de documentaires illustrent le dossier à tra-vers les thématiques de l’engagement poli-tique, des valeurs et de la démocratie. Treizepages de décryptage pour répondre à l’éter-nelle question : le FN est-il un parti commeles autres ?

TOPO,n° 11 mai-juin 2018.

Je Bouquine,n° 1066 15 avril 2018.

Okapi,n° 1068 15 mai.

F aire rêver les enfants en parlant demai 68 ? Sans surprise, de (très)

nombreux titres de presse jeunesse s’ysont essayé le printemps dernier. Laprime à l’originalité revient à la revuede bande dessinée TOPO, qui proposeun récit des événements sous la formed’une BD de vingt pages toute en ligneclaire (« On a reçu du lacrymo, j’aipleuré mais je n’ai pas eu peur »), signéepar la journaliste Audrey Lebel et ledessinateur Alexandre Kha.

Je Bouquine impressionne en proposantà la fois une nouvelle, une enquête(être ado hier et aujourd’hui), un focussur les slogans marquants de l’époque,un test sur «ce qui te révolte »… Enfin, Okapi se plonge dans les archivesdu photographe Gilles Caron, auteur dela célèbre photo de Daniel Cohn-Benditface à un CRS. Reste à savoir si le rêvea pris ?

Mai 68

Le P’tit Libé,n° 60 du 1 au 7 juin 2018.

Un parti comme les autres ?

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N O U V E A U T É S R E V U E D E P R E S S E J E U N E S S E 91

Lapins

Sport, genre et stéréotypes

Les P’tites Sorcières, n° 207 mai 2018.

Images Doc, n° 354 juin 2018.

Okapi n° 1066 15 avril 2018.

M ention spéciale pour l’édi-tion d’avril du magazine

Virgule : consacré au « lapin dansla littérature », ce numéro consti-tue en effet une mine insoupçon-née de fantaisie et d’érudition.Du cabaret fin de siècle « Au lapinAgile » à l’image du lapin dans lapoésie (Théodore de Banville,Abel Bonnard, Jean-Pierre Clarisde Florian…), en passant par laconstellation du lièvre et les ex-pressions de la langue françaiseillustrées par des exemples lit-téraires, Virgule offre un dossierriche, surprenant et résolumentpassionnant.

P rès de la moitié des jeunes filles arrêteraient lesport à la fin du lycée. Alors, le sport : une affaire

de garçons ? Non, affirme haut et fort Laura Flesseldans un entretien avec Les P’tites Sorcières. L’actuelleministre des Sports (et ancienne escrimeuse) y détaillel’opération « Sport féminin toujours », qui vise à aug-menter la visibilité des sportives à la télévision, dans lebut de créer de nouvelles vocations.

Confirmation faite par Images Doc qui, dans un dossier« Les Filles sur le terrain », revient sur le premier matchinternational de football féminin.

Halte aux stéréotypes également dans Okapi, quidonne la parole à six collégiens pour parler de leurpratique du sport : les filles y évoquent en effet la boxefrançaise, le rugby et le cyclisme, tandis que les garçonsassument leur passion pour le patinage artistique,l’équitation et la danse.

RESPONSABLE DE LA RUBRIQUEChristophe Patris

Virgule,n° 161 avril 2018.

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Pif et Tchô, de retour en kiosque

D e philosophie et de modèleéconomique résolumentdifférents (le personnage de Pif

reste propriété du journal L’Humanité,Tchô est une production du groupeéditorial Glénat), Pif et Tchô ont marquéla presse jeunesse, notamment par lebiais des gadgets devenus aussi célèbresque les deux marques elles-mêmes.Mais ces deux phœnix éditoriaux,portés par le modèle de la pressepapier d’hier, sont-ils encore viablesaujourd’hui ? Comment capterl’attention de cette nouvelle générationdigitale qui se détourne de la presse ?

Pif : le magazine devient legadget

«Au final, tout le monde écrit la mêmechose : “ Pif revient… sans gadget “.C’est dommage de résumer un projetà ça ! » S’il est bien sûr heureux del’engouement qu’a suscité l’annoncedu nouveau magazine Pif, sonconcepteur éditorial FrédéricGargaud mesure l’ampleur del’attente : créé en 1969, Pif Gadget s’estvendu jusqu’à un million d’exemplaires,grâce notamment aux fameux Pifiseset autres machines à faire des œufscarrés. Disparu en 1994, le magazine aressuscité dix ans plus tard pour unecinquantaine de numéros mensuels.Pif réapparaissait depuis de manièreplus épisodique, sous la forme dutrimestriel Super Pif. Pour ce nouveauPif hebdomadaire, Frédéric Gargaudveut s’adresser aux enfants

d’aujourd’hui, avec un journalaccordéon, composé en partie de réalitéaugmentée, visible à travers l’écran d’unSmartphone. Un objet éditorial nonidentifié, fidèle à l’esprit Pif.

Que signifie le slogan « Pif, lepremier journal numérique qui estune alternative à l’écran » ?Frédéric Gargaud : Notre but est deréconcilier deux usages qui sontaujourd’hui en compétition, l’écran etl’imprimé. Nous avons créé un magazine papierincluant de la réalité augmentée, àdécouvrir à travers l’écran de sonSmartphone. Aujourd’hui, le gadget

devient le magazine lui-même ! Laprésentation est très inspirée dumonde numérique et des écrans.Quand on regarde Le Journal de Mickeyou Astrapi, il y a finalement beaucoupde texte, et pour beaucoup d’enfantsce rapport à l’écrit peut êtreintimidant. On a donc essayé d’avoirbeaucoup d’espace, d’illustrations,pour que les enfants qui ne sont pasde grands lecteurs se sententautorisés à entrer dans le texte. Nouspartons de leur univers de référence,celui de YouTube et des jeux vidéo,pour tenter de conférer au papier unpeu de la « magie » qu’ils attribuent àl’écran.

Hasard du calendrier ? Deux générations de lecteurs voient re-naître le magazine de leur enfance au même moment : Pif etTchô, deux périodiques à l’identité solide et portés chacun parun personnage emblématique (Pif et Titeuf), reviennent eneffet en kiosque avec l’espoir de renouer avec une nouvellegénération de lecteurs.

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Techniquement, cela nécessite letéléchargement d’une application ? Oui. Nous avons choisi de travailleravec SnapPress, une applicationgratuite. Nous voulons nous inscriredans le cadre plus général del’éducation aux médias. C’estpourquoi nous venons de signer unecharte avec Qwant Junior1, quipermet d’accéder à des contenus trèscalibrés et avec une surveillance forte.Les données personnelles de l’enfantsont également protégées.

La possession d’un smartphone parles enfants est-elle compatible avecla philosophie de Pif ?On peut bien sûr considérer quel’écran constitue l’ennemi. C’est unequestion que nous nous sommesposée. Au final, nous avons choisid’aller chercher les lecteurs là où ilssont. Alors bien sûr, il y a des enfantsqui seront dans des foyers sanssmartphone… Mais regardez le tauxd’équipement chez les enfants, leschiffres parlent d’eux-mêmes2.

Qu’est-ce qui caractérise lespersonnages de Pif et Hercule danscette nouvelle version ?Jusqu’ici Pif et Hercule étaient desenfants sympathiques, mais ilsn’étaient pas des héros, ils n’incarnaientpas les valeurs qui étaient pourtantcelles portées par le magazine. Ce sontd’autres personnages, comme Rahanou Docteur Justice, qui combattaientcontre l’obscurantisme ou pour lasolidarité. On a donc créé un universavec de nouveaux personnages, avecune complexité, une richesse qui faitque Pif et Hercule pourront incarnerces valeurs-là, mais pas de façonmanichéenne.

Quelle diffusion visez-vous ?Notre objectif est d’atteindre 70000exemplaires. Nous ne voulions pasd’un petit tirage, qui aurait conduit àun prix de vente élevé, et qui se seraitadressé à des familles privilégiées.L’idée c’est de faire un journalpopulaire et largement diffusé.

Propos recueillis par Christophe Patris

Tchô : grandir avec seslecteurs.

V ingt ans après sa création etcinq ans après l’ultime numérode Tchô, Glénat lance

SuperTchô, un gros pavé trimestriel. Sile premier numéro est l’occasion derendre hommage au passé, enrecyclant des valeurs sûres telles queLou ou Titeuf, il propose également denouvelles plumes et des nouveautés.Nous avons posé quelques questionsà Nicolas Forsans, l’éditeur à l’originede ce retour.

Pourquoi relancer Tchô en 2018 ?Nicolas Fersans : L’aventuremagazine de Tchô s’est arrêtée en2013, sur un goût d’inachevé. Leshéros et les séries telles que Titeuf, Louou Captain Biceps ont continué àmener leur vie en librairie, grâce à lacollection d’albums «Tchô la collec’ »,mais aujourd’hui on se rend compteque sur le terrain de la jeunesse, lapresse reste un moyen pertinent pouraller chercher les enfants. On ditsouvent que la presse papier ne vapas bien, mais beaucoup de chosesrestent à faire. Il existe en France unréseau très fort. Ce qu’il faut, c’estproposer de bons magazines, adaptésà l’air du temps et au contexte.

Quelle est l’ambition de SuperTchô ?Avec Tchô, Zep avait lancé unepremière génération d’artistes, qui ena lancé une deuxième, et ainsi desuite. SuperTchô s’inscrit dans le mêmeprojet : lancer de nouveaux auteurs,avec des planches de prépublicationlabellisées «Tchô Inédit», et d’autresestampillées «Créa Tchô» qui serontcréées spécialement pour lemagazine.

Est-ce que Zep reste impliqué dansle projet ?Bien sûr, ça reste sa création. S’il nousavait dit non, nous ne l’aurions pasfait.

Pourquoi ce nouveau format depavé trimestriel ?Nous nous sommes très vite renducompte que nous ne ferions plus demensuel. D’abord parce que ladynamique de la collection «Tchô» nedispose pas d’un nombre de projetssuffisant. Ensuite, faire un mensuelest un investissement important. Leformat pavé cher à Super Picsou ou àMéga Spirou nous permet de porterdes valeurs familiales, il estsusceptible de plaire tant aux enfantsqu’aux parents, habitués à ce format.Et puis une grosse pagination imposeun autre mode de lecture : c’est unelecture qui s’étale, on le garde, on le

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reprend… Nous espérons en faire unobjet qui circule à l’intérieur de lafamille.

Des auteurs deviendront-ils rédac’chef, comme à l’époque de Tchô ?Bien sûr. Julien Neel, l’auteur de lasérie Lou, partage déjà avec moi larédaction en chef du premier numéro,et il en fera d’autres.

Dans l’édito du n° 1, Julien Neelrevient sur la première époque deTchô avec trois mots : jeunesse,liberté et transmission. Quelle seral’identité de SuperTchô ?Les valeurs de la collection sonttoujours les mêmes, notamment cellede rester sur le terrain de la jeunesseet du tout public. Dans la presse

jeunesse, la priorité est d’abord deplaire aux parents. La particularité deTchô est d’être une collection qui a pluaux enfants parce que nous nousadressions à eux en tant quepersonnes, et non pas juste comme àdes enfants. Avec SuperTchô, nousavons ainsi volontairement banni letutoiement, que l’on pratiquait dansTchô. C’est un code qu’on nesouhaitait pas garder. Il n’y a pas tantd’aventures éditoriales qui portent enelles cette valeur. C’est pourtant trèsimportant, car c’est le meilleur moyenpour reconnecter aujourd’hui auteurset enfants.

Pourquoi avoir choisi de ne plusinclure de gadgets ?Pour Tchô, le gadget correspondplutôt au passé. Ça faisait bien sûrpartie de l’identité du magazine,parce que l’humour passait beaucouppar le gadget. Mais l’humour n’estplus vraiment le genre prédominantdans la collection, aujourd’hui. AvecSuperTchô, nous visons la cible des10-14 ans, alors qu’avec Tchô, nousétions positionnés sur les moins de10 ans. Une des valeurs essentielles deTchô est de faire grandir l’enfant enconfiance. Forcément, il y a différentsstades de la croissance et du passagevers l’âge adulte. Nous avons voulu enfranchir un.

Propos recueillis par Christophe Patris

1. Créé en 2015 et approuvé parl’Éducation nationale, Qwant Junior seprésente comme une alternativefrançaise à Google, garantissant laprotection des données de sesutilisateurs. Il propose un accès àl’ensemble du Web, à l’exception descontenus considérés commeinappropriés aux enfants et en excluantla publicité.

2. Selon l’enquête Junior Connectmenée en France par Ipsos fin 2016,22 % des enfants de 7 à 12 ans possèdentun Smartphone. Ce chiffre passe à 81 %pour les 13-19 ans. Le baromètre dunumérique 2017 évalue la part de lapopulation totale française possédantun smartphone à 73 %.

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U n doux air de «Do It Yourself »semble envahir aujourd’hui lapresse jeunesse. À l’image des

premiers YouTubeurs, de jeunespassionnés défient la morosité dusecteur en proposant des journaux« faits maison ». Fini les grosseséquipes et les plans financierscompliqués. Ces nouveauxjournalistes se lancent aujourd’huidepuis leur chambre, conscients deleurs moyens modestes, mais avecune vraie réflexion et une volonté deporter et transmettre des valeurs.Enfants des licences libres et de lacirculation des idées sur Internet,

ils proposent moins une créationoriginale d’information qu’un regard,volontairement plus explicatif quedescriptif, sur le monde qui lesentoure. Nous nous sommesintéressés à deux projets récents, trèsdifférents l’un de l’autre : Albert et Tusavais pas ? Chacun propose à samanière une aventure journalistiqueen format papier, loin des circuitstraditionnels de vente ou dedistribution.

ALBERT, un journal pour lutter contre la désinformation

N é du besoin criant d’éducationà l’information à destinationdu jeune public, après les

attentats de 2015, le journal Albertdécortique et explique deux fois parmois l’actualité aux 8-12 ans à traversle regard d’un dessinateur à chaquefois différent. Quatre pages d’articlesde fond décryptent l’actualité, sousune couverture entièrement illustrée,au format poster et sans publicité.

Albert et Tu savais pas ?LE MONDE, MODE D’EMPLOI

Des nouveaux venus pour poser un regard neuf sur le monde ? À l’ombre des mastodontes dela presse jeunesse, de nouveaux acteurs prennent des risques et bousculent les habitudes.Zoom sur deux d’entre eux : Albert et Tu savais pas ?

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À la tête du journal on trouve JulieLardon, une ancienne rédactrice del’AFP, et un éditeur jeunessehyperactif de Clermont-Ferrand,Valentin Mathé, à qui nous avonsposé quelques questions.

Comment est né le journal Albert ?Valentin Mathé : L’origine du projetAlbert est double. Il y avait d’un côté lamaison d’édition La Poule qui Pond,que j’ai créée en 2014 et qui estconsacrée exclusivement à lapublication d’albums de fiction. D’unautre côté la journaliste Julie Lardonavait le projet de monter un journalatypique. J’aimais l’idée d’explorerd’autres directions que celle del’imaginaire et de raconter, d’uneautre manière, la réalité. Nous avonsdonc décidé de lancer un média quiexpliquerait le monde de manièrejournalistique, mais qui seraitintégralement illustré.

Les Unes font cohabiter en unmême dessin l’ensemble des sujetstraités dans le numéro, à la manièred’un sommaire. Comment lesélaborez-vous ?Nous avons d’emblée fait le choix dene pas travailler avec des illustrateursde presse « classiques ». Nousbénéficions du fait que La Poule quiPond est une maison d’édition

orientée vers la jeunesse, et pouvonsainsi faire appel à des illustrateurs«maison ». Nous préférons travailleravec des illustrateurs jeunesse parcequ’ils ont l’habitude de travailler surl’imaginaire. L’objectif est de proposerune illustration onirique, narrative,pas un dessin explicatif.

Comment travaillez-vous lecontenu des articles ?Nous reprenons principalement dessources existantes, comme le flux dedépêches de l’Agence France Presse. Ily a un vrai travail de réécriture,puisque l’AFP n’est pas du toutorientée jeunesse. Notre souci est desans cesse revenir à la base del’information et de reprendre le sujetau début. Si l’on décide par exemplede parler du conflit israélo-palestinien,il faut partir d’un point de vuehistorique, narratif, pour expliquercomment on en est arrivé là etpourquoi. Nous n’abordons pas lessujets du point de vue de ce qui sepasse aujourd’hui. Le ton des articlesest également très important. Nousrefusons de nous adresser aux enfantsen les tutoyant ou en simplifiantexagérément le vocabulaire.

Comment est constitué le comitéde rédaction ?Julie Lardon est la journalisteprincipale. Elle est parfois aidée d’unepigiste, Clarisse Martin. En plus de cesdeux rédactrices, nous travaillons enconcertation avec des enseignants,des professeurs référents, desbibliothécaires qui nous permettentde valider nos sujets. Nouscommuniquons le plus souvent entrenous par le biais de notre pageFacebook. Le journal papier est accompagnéd’une application numériquegratuite. Quelle est la synergieentre ces deux supports ? Pour nous, Albert est avant tout unjournal papier. L’application apportedes éléments d’éducation aux médias,tels que des vidéos d’explication de laUne du journal et une revue depresse. Nous discutons actuellementavec la Fondation Varenne pour la

promotion des métiers dujournalisme afin de faire évoluer cetteapplication en véritable outild’éducation aux médias.

Il est intéressant de noter que larevue de presse proposée dansl’application numérique ne renvoiepas que vers des médias destinés àun public d’enfants.Oui, nous faisons le choix de renvoyerà la fois vers des contenus de1 jour 1actu ou du JDE, mais aussi duMonde ou de France Info, s’ils nousparaissent pertinents. Nous vivons àune époque où l’information circulebeaucoup via Facebook. Cetteplateforme permet la création depetites pastilles vidéo trèsinformatives et bien faites. Celacorrespond à ce que nous voulonspour Albert. Ces informationsproposées sur l’application viennentcompléter les articles du journalpapier, et peuvent par exemple servird’outils pédagogiques pour lesenseignants.

Quelle est la part de médiation dansvotre initiative ?Nous montons des ateliers dans descollèges, parfois également dans desbibliothèques : comment créer unjournal, discerner le vrai du faux,comme avec les fake news… Lamédiation nous permet d’approfondirnotre travail d’éducation aux médias.

Quel est le modèle économiqued’Albert ?Le travail à l’économie ! Nous n’avonsqu’une seule page d’impression, pliéeen deux pour avoir quatre pages delecture. Quand on voit les tentativesrécentes des magazines Ebdo ouVraiment, qui se sont lancés sur desprojets avec des énormes équipes,avec des ambitions de diffusion à40000 exemplaires et quidisparaissent au bout d’à peinequelques numéros, ça fait réfléchir.Avec Albert, nous nous sommes lancésavec une ambition de diffusion à 500exemplaires. En atteignant ce cap, leprojet devenait viable pour engagerun salarié et payer les illustrateurs.

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Aujourd’hui, après bientôt deux ans,nous tirons à 1000 exemplaires, pour800 abonnés. Nous avons démarré àl’époque avec un projet definancement participatif et avonsobtenu une subvention initiale de lapart du ministère de la Culture. Maisdepuis, Albert vit de ses ventes.

Ces 800 abonnés, qui sont-ils ?Des bibliothèques, des écoles, maiségalement beaucoup de particuliers.Nous avons un taux deréabonnement important. Unecinquantaine d’abonnés vivent àl’étranger : en Angleterre, auxÉtats-Unis, en Espagne, enAllemagne… Mais également enScandinavie et en Afghanistan. Ils’agit généralement d’expatriés quisouhaitent que leur enfant garde uncontact avec la France. Comment vous faites-vousconnaître du public ?Nous sommes présents sur denombreux salons de littératurejeunesse. J’ai également monté unepetite boutique consacrée àl’illustration, à Clermont-Ferrand, quipermet de donner un peu de visibilitéau journal. Un article dans Télérama,en janvier dernier, a donné un énormecoup de projecteur sur notre projet.Tout s’est précipité, et nous sommesdepuis devenus viablesfinancièrement.

TU SAVAIS PAS ? Journal d’informationéthologiste

J eune auteur de bande dessinée(Sentience, éditions YIL), DavidVolpi a quitté son emploi chez

Tf1 Vidéo en se lançant le défi de créerun journal d’information éthologiste,consacré à la connaissance et à laprotection des animaux, dans unedémarche éco-responsable.

Pourquoi un journal éthologiste ?David Volpi : À l’origine, je suis auteurd’une bande dessinée qui défend lacause animale. J’ai eu envie d’allerplus loin. On peut penser que lejournal est un objet conçu pour lesadultes, mais souvent les enfants, parmimétisme, aiment imiter leursparents. En octobre 2017, j’ai doncdécidé de créer un journal papier pourenfants, dédié aux animaux. Ils’agissait d’abord d’un bimestriel de8 pages. Je travaille entièrement seul,et la cadence est rapidement devenueintense. Je suis alors passé à unformat mensuel de 20 pages. Chaquenuméro est consacré à un animal,traité dans différentes rubriques. Jerédige les articles, assure la mise enpages, je crée des jeux, des ficheslecture, des fiches métier, duvocabulaire en anglais… J’ai uneformation de Web-design, je suisdonc à l’aise avec les outilsgraphiques.

Comment concevez-vous vosnuméros ?Concevoir un numéro me prend enmoyenne trois semaines. 60% demon temps consiste à lire des articlesscientifiques. Ils constituent le pointde départ pour concevoir monjournal. Pour la partie visuelle, jetravaille ponctuellement avec unillustrateur. Je puise également dansdes banques d’images en ligne, par lebiais d’un abonnement. La mise envente se fait ensuite uniquement parabonnement, sur mon site Internet.J’imprime à la demande en passant

par un prestataire, PayPerNews. Il n’ya donc pas de tirage fixe. Pas destock, pas de gâchis. Le journal enlui-même est écologique, fait depapier recyclé, avec de l’encre végane,sans produits animaux ou chimiques.Il est envoyé dans une démarche zéroplastique.

Combien d’abonnés avez-vous ? J’ai aujourd’hui 400 abonnés.L’objectif, pour que cela deviennerentable, est d’atteindre le stade des1000 abonnés. Passé ce cap, jepourrai engager un collaborateur. Larecette des abonnements est l’uniquesource de financement du journal.

Comment faites-vous pour êtrevisible auprès du public ?Je suis très présent sur les réseauxsociaux, comme Facebook. C’estprimordial d’être disponible et àl’écoute de ses abonnés. Ça faittravailler le bouche à oreille, ça créeune bonne image… Ensuite, je tentede multiplier les partenariats avec desassociations écologistes. Pour chaquenuméro je négocie des échanges devisibilité : en échange d’un logo sur lacouverture et d’un petit article surl’association dans le journal,l’association relaie mon travail sur lesréseaux, dans sa newsletter, etc. J’aiainsi noué un partenariat à longterme avec L214. Je travaille aussi avecl’association « Ensemble pour lesanimaux », du philosophe FrédéricLenoir. Enfin, je suis présent sur denombreux salons vegans ou portéssur l’éthologie. Je ne suis par contrepas du tout dans les réseauxclassiques de salons du livre ou de lapresse.

Propos recueillis par Christophe Patris

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