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BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2003, N° 275 (1) 37 L’ADJECTIF « DURABLE » / LE POINT SUR… Jeux et enjeux de mot : cas de l’adjectif « durable » Un mot pris isolément peut avoir plusieurs sens. Si on lui ajoute un adjectif, la diversité sémantique est alors accrue. Actuellement, « durable » est un adjectif largement employé dans des contextes très variés (articles scientifiques, discours techniques, débats politiques et même messages publicitaires). Il s’agit ici d’éclairer les divers sens et usages de ce qualificatif et des expressions qui lui sont associées (notamment « développement durable ») afin de clarifier les débats scientifiques, techniques et politiques. Pollinisation de vanille. Madagascar (Mananara, côte nord-est). Vanilla pollination. Madagascar (Mananara, north-east coast). Photo B. Locatelli. Frank Pervanchon Umr Inpl(Ensaia)-Inra Agronomie et environnement 2, avenue de la Forêt de Haye BP 172 54505 Vandœuvre-lès-Nancy Cedex France André Blouet Inra-Sad Domaine du Joly BP 29 88501 Mirecourt Cedex France

Jeux et enjeux de mot : cas de l’adjectif « durable

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Page 1: Jeux et enjeux de mot : cas de l’adjectif « durable

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 3 , N ° 2 7 5 ( 1 ) 37L’ADJECTIF « DURABLE » / LE POINT SUR…

Jeux et enjeux de mot : cas de l’adjectif « durable »

Un mot pris isolément peut avoir plusieurs sens. Si on lui ajoute un adjectif, ladiversité sémantique est alors accrue. Actuellement, « durable » est un adjectif largementemployé dans des contextes très variés (articles scientifiques, discours techniques, débatspolitiques et même messages publicitaires). Il s’agit ici d’éclairer les divers sens et usages de cequalificatif et des expressions qui lui sont associées (notamment « développement durable »)afin de clarifier les débats scientifiques, techniques et politiques.

Pollinisation de vanille. Madagascar (Mananara, côte nord-est). Vanilla pollination. Madagascar (Mananara, north-east coast). Photo B. Locatelli.

Frank PervanchonUmr Inpl(Ensaia)-InraAgronomie et environnement2, avenue de la Forêt de HayeBP 17254505 Vandœuvre-lès-Nancy CedexFrance

André BlouetInra-SadDomaine du JolyBP 2988501 Mirecourt CedexFrance

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FOCUS / THE ADJECTIVE “SUSTAINABLE”

RÉSUMÉ

JEUX ET ENJEUX DE MOT : CAS DE L’ADJECTIF « DURABLE »

La qualification de mots connus dugrand public, à l’aide d’adjectifs ausens plus ou moins explicite, est deplus en plus fréquente. La consé-quence de cette qualification est queles expressions ainsi formées pren-nent un nouveau sens, parfois trèsdifférent du sens initial de chacun desmots pris séparément. Le mot « déve-loppement » fait partie de ces nom-breux noms désormais qualifiés et,parmi tous les épithètes utilisés, il enest un qui connaît une utilisation deplus en plus répandue : l’adjectif« durable ». L’expression « dévelop-pement durable » née de l’associa-tion de ces deux mots revêt un sensvariable, selon les auteurs et lescontextes d’utilisation. Le présentarticle détaille, donc, les sens connuset cachés de l’adjectif « durable »grâce à une description de l’originesémantique et de la structure linguis-tique de ce mot. Ensuite, les diverssens et usages de l’expression« développement durable » sont pré-cisés. Enfin, le mot « durabilité »,forme substantivée de l’adjectif« durable », est détaillé car il éclaireles limites d’utilisation de l’adjectif« durable ». La durabilité offre desmoyens de clarifier les débats scienti-fiques, techniques et politiques, pourdépasser les contradictions du déve-loppement et articuler les préoccupa-tions sociales et économiques avecles préoccupations environnemen-tales. Deux conclusions s’imposent,l’une sur l’attention particulière qu’ilfaut apporter aux expressions qui uti-lisent l’adjectif « durable », et l’autresur la nécessité d’inventer et de déve-lopper des outils d’évaluation de ladurabilité, notamment des indica-teurs.

MMoottss--ccllééss :: l’adjectif « durable »,,développement durable, durabilité.

ABSTRACT

WHAT’S IN A NAME ? PLAYING ONTHE MEANING OF “SUSTAINABLE”

The habit of qualifying everydaywords by means of adjectives withmore or less explicit meanings seemsto have been developing rapidly overthe last few years. One result of this isthat the expressions thus formedtake on new meanings that are some-times very different from the initialmeanings of each word taken sepa-rately. The word “development” isone example, and of all the epithetsused to qualify it, the adjective “sus-tainable” has been spreading mostrapidly. The expression “sustainabledevelopment” which is formed fromthe two words takes on differentmeanings depending on authors andcontexts. This article first describesthe familiar and hidden meanings ofthe adjective “sustainable”, througha description of its semantic originand linguistic structure. We then lookat the various meanings and uses ofthe phrase “sustainable develop-ment”. Finally, we describe the word“sustainability”, the noun formderived from the adjective “sustain-able”, because it sheds light on thelimitations of the various ways inwhich the adjective is used.Sustainability contains meanings thatare used to clarify scientific, technicaland political debates, to resolve thecontradictions of development and tolink social and economic preoccupa-tions with environmental concerns.Two conclusions need to be drawnhere: we have to be very attentive toexpressions that include the adjective“sustainable”, and we need to inventand develop tools, such as indicatorsin particular, to assess sustainability.

Keywords: the adjective “sustain-able”,, sustainable development, sus-tainability.

RESUMEN

JUEGOS E IMPORTANCIA DE LASPALABRAS: EL CASO DEL ADJETIVO“SOSTENIBLE”

La calificación de sustantivos de usocomún, mediante adjetivos con unsentido más o menos explícito, parecedesarrollarse desde hace varios años.La consecuencia de esta calificaciónes que las expresiones así formadastoman un nuevo sentido, a veces muydiferente del sentido inicial de cadauna de las palabras tomadas separa-damente. La palabra “desarrollo”forma parte de estas palabras califica-das y, entre todos los epítetos utiliza-dos, hay uno que experimenta una uti-lización creciente: el adjetivo“sostenible”. La expresión “desarrollosostenible”, nacida de la asociaciónde estas dos palabras, tiene un sen-tido variable según los autores y loscontextos de utilización. El presenteartículo enumera los sentidos conoci-dos y ocultos del adjetivo “sostenible”gracias a una descripción del origensemántico y la estructura lingüísticade esta palabra. A continuación, seprecisan los distintos sentidos y usosde la expresión “desarrollo sosteni-ble”. Por último, se analiza la palabra“sostenibilidad”, forma sustantivadadel adjetivo “sostenible”, que aclaralos límites de las formas de utilizacióndel adjetivo “sostenible”. La sostenibi-lidad proporciona los medios para cla-rificar los debates científicos, técnicosy políticos por lo que los protagonistascomienzan a utilizar la sostenibilidadpara superar las contradicciones deldesarrollo y articular las preocupacio-nes sociales y económicas con las pre-ocupaciones medioambientales. Se pueden extraer dos conclusiones:la primera, que hay que prestar unaatención especial a las expresionesque utilizan el adjetivo “sostenible”; la segunda, la necesidad de inventar ydesarrollar instrumentos de evalua-ción de la sostenibilidad y, particular-mente, de los indicadores.

Palabras clave: el adjetivo “sosteni-ble”, desarrollo sostenible, sostenibi-lidad.

Frank PervanchonAndré Blouet

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Introduction

Aujourd’hui, des noms com-muns dont le sens est précisé claire-ment dans le dictionnaire, sont quali-fiés par de nombreux épithètes, et lesgroupes de mots ainsi formés pren-nent un nouveau sens, parfois trèsdifférent du sens initial de chacun desmots pris séparément. C’est le cas dumot « développement », utilisé trèsfréquemment dans les discours poli-tiques, scientifiques ou techniques.Plusieurs auteurs se sont ainsi pen-chés sur la définition des nouvellesexpressions nées de l’adjonctiond’épithètes à ce mot (Brodhag, 2001)et de nombreuses définitions se trou-vent sur Internet. Parmi tous les épi-thètes utilisés, l’adjectif « durable »connaît une utilisation exponentielle.Ce terme contenu dans de très nom-breuses expressions, parmi les-quelles le très connu « développe-ment durable », voit son sens varier

selon les auteurs et les contextesd’utilisation (Vaillancourt, 1998). Ilnous semble donc intéressant dedétailler les sens connus et cachés decet adjectif. Nous nous proposons dedécrire rapidement l’origine de cemot. Ensuite, les divers sens etusages de l’expression « développe-ment durable » seront précisés. Enfin,nous expliciterons le mot « durabi-lité », forme substantivée de l’adjectif« durable », pour en éclairer leslimites, et pour clarifier les débatsscientifiques, techniques et poli-tiques.

Sémantique et l inguistiquede « durable »

Le dictionnaire définit l’adjectif« durable » ainsi : « de nature à durerlongtemps ». Ses synonymes sont« constant », « permanent », « stable »pour un monument ou une situation,« viable » pour une entreprise, parexemple, ou enfin « profond », « vif »,« solide », « vivace », « persistant » ou« tenace » pour ce qui touche aux sen-timents, au souvenir, ou encore auxpréjugés (Le Petit Robert, 2001).Hormis les synonymes de « durable »qui traitent de psychologie, il est inté-ressant de détailler les autres adjectifstechniques ou politiques et les nomscommuns qui en découlent. Lestermes que nous détaillons n’ont pourle moment pas fait l’objet de défini-tions officielles en France de la part dela Commission générale de terminolo-gie et de néologie1.

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Paysage illustrant la diversité d’usage d’un même lieu : verger et élevage en premier plan, champ cultivé et ville en deuxièmeplan, montagne en dernier plan. Meurthe-et-Moselle, France. Landscape illustrating diverse uses of the same space: an orchard and livestock breeding in the foreground, a cropfield andtown in the centre and mountains in the background. Meurthe-et-Moselle, France. Photo A. Blouet.

1 http://www.culture.fr/culture/dglf/(base « Criter »).

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Adjectifs

Cette partie traite du sens et durôle de l’adjectif « durable » et de sessynonymes.

Du sensL’usage de « soutenable »,

comme synonyme de « durable », parles scientifiques, les politiques et lesacteurs du développement est lié àun anglicisme : il s’agit de traduiredirectement l’anglais « sustainable »en utilisant la même racine étymolo-gique « sustinere » qui a donné enanglais « to sustain » et en français« soutenir » (encadrés 1 et 2).Cependant, le sens courant actuel dumot « soutenable » n’a rien à voiravec « durable », puisque la défini-

tion en est : « qui peut être soutenupar des raisons plausibles ; suppor-table », avec « défendable » commesynonyme (Le Petit Robert, 2001). Lanotion de durée n’apparaît plus, maiscette utilisation permet d’éviter uneconfusion entre le sens courant dumot « durable » et son sens didac-tique.

« Viable » qualifie ce « qui estapte à vivre » ou « qui présente lesconditions nécessaires pour durer, sedévelopper » (Le Petit Robert, 2001).« Pérenne » signifie « qui dure long-temps, ou depuis longtemps » (LePetit Robert, 2001). Il s’agit denuances et, en pratique, l’ensemblede ces adjectifs est susceptible d’êtreutilisé comme synonyme de « dura-ble » (encadrés 1 et 3).

Pour qualifier Les adjectifs ne peuvent exister

sans substantif à qualifier. Analysercette qualification est important pourcomprendre la création de nouvellesexpressions ou syntagmes. L’adjectif« durable » joue typiquement le rôlede créateur de syntagme en qualifiantle substantif « développement ».L’expression « développement du-rable » possède un sens nouveau et

élargi par rapport à chacun des deuxtermes pris isolément (encadrés 1 et4). Ainsi, « développement pérenne »ne peut remplacer « développementdurable » sans perte de sens. En re-vanche, certains auteurs utilisentl’expression « développement soute-nable » (encadré 1) qui est son syno-nyme exact (Brodhag, 1999 ; Vail-lancourt, 1998).

L’expression « développementviable » ne devrait pas être utiliséecar elle signifie littéralement : « déve-loppement qui peut se développer ».Il s’agit d’une redondance liée à latraduction de l’anglais « sustaina-ble » par son sens français « viable »(Robert & Collins, 1995).

D’autres syntagmes ont émergérécemment, qui découlent du précé-dent. L’exemple le plus connu est« agriculture durable ». Or il n’est pasaisé de comprendre si l’utilisateur del’adjectif « durable » le prend dans sadimension syntagmatique, ou uni-quement descriptive. Seul le contexteou une définition claire permet de cla-rifier le sens des expressions utili-sées. Ne serait-il pas judicieux d’évi-ter l’usage des adjectifs, pourpréférer celui des substantifs, moinsambigus ?

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FOCUS / THE ADJECTIVE “SUSTAINABLE”

Érosion d’un champ cultivé sans couvert hivernal.Meurthe-et-Moselle, France. Erosion in a cropfield with no winter cover crop.Meurthe-et-Moselle, France. Photo A. Blouet.

Encadré 1

VOCABULAIRE SYNONYME DES MOTS « DURABILITÉ » ET « DURABLE » EN ANGLAIS, EN FRANÇAIS ET EN ALLEMAND

Pour l’adjectif « durable », on trouvera comme synonyme « soutenable » enfrançais (Harribey, 1997), en anglais « sustainable » ou « stainable » (parexemple : « stainable farming systems » in Tellarini, Caporali, 2000). Quelques termes peuvent être pris comme synonyme de « durabilité » aprèstraduction de l’anglais : « soutenabilité », néologisme régulièrement utilisé,issu de l’anglais « sustainability », « soutenance » issu de l’anglais « suste-nance » (Olowolafe, Dung, 2000), ou « concentricité » issu de « concentricity »(Mitchell, 2000), mais ces mots ne sont pour le moment pas utilisés en fran-çais. Notons que le terme allemand est « Nachhaltigkeit » (Bosshard, 2000). Dans le Harraps Weis Mattutat (1995), « Nachhaltigkeit » se traduit par « per-sistance, constance, efficacité ». Ce mot ne se trouve cependant pas dans ledictionnaire allemand/français Harraps Universal (1999). En anglais courant,« sustainable development » signifie « taux de croissance envisageable » ;cette expression est empruntée seulement au champ économique. Il y a doncun décalage entre l’usage courant de cette expression et sa traduction poli-tique. En français, « développement durable » a pour synonyme « développe-ment viable », « développement soutenable » et « écodéveloppement » quiest un concept français initialement traduit par « environmentally sounddevelopment » puis par « sustainable development » (Vaillancourt, 1998).

Exemple d’articulation entre deux fonctions pourun même espace – production et tourisme – etentre modernité et tradition : atterrissage d’unparapente au milieu d’un élevage de vaches de race vosgienne. Vosges, France. Example of the links between two functionsoccupying the same area – production andtourism – and between modernity and tradition:landing a paraglider near a herd of Vosges cattleon a livestock farm. Vosges, France. Photo A. Blouet.

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Substantifs

« Durabilité » a un sens didac-tique, « caractère de ce qui est dura-ble », et un sens courant emprunté auchamp juridique : « temps d’utilisa-tion (d’un bien) ou de validité (d’undroit) » (Le Petit Robert, 2001).« Durabilité », s’il est connu intuitive-ment, a donc un champ d’applicationrestreint dans le langage courant.« Soutenabilité » est un néologismeutilisé comme synonyme de « durabi-lité », dans son sens didactique. C’estla traduction littérale du néologismeanglais « sustainability », absent desdictionnaires Robert & Collins (1998)ou Harraps Standard (1996).

Un mot nouveau apparaît dansle langage pour identifier un nouveauconcept. Un frein sémantique tend àempêcher cette création si la formenouvelle n’apporte pas un contenudifférent, ou une précision inexis-tante dans le concept initial.« Vivabilité », néologisme parfois ren-contré, ne devrait pas être utilisé et ilfaudrait lui préférer « viabilité » pouréviter les mésusages. « Pérennité » et« viabilité » sont d’usage courantpour caractériser ce qui peut durer ouse développer et peuvent être confon-dus par des locuteurs francophonesavec « durabilité » car ils recouvrentapproximativement un mêmeconcept. Cependant, ils sont rare-ment utilisés dans les textes tech-niques, scientifiques ou politiques,où les mots « soutenabilité » et« durabilité » sont préférés. C’estdonc que ceux-ci recouvrent unconcept nouveau, inaccessible avec« pérennité » ou « viabilité ». Fautede définition, « soutenabilité » et« durabilité » peuvent être utilisés defaçon très différente. Le risque deconfusion sémantique est donc bienréel.

Dans la suite du texte, nous nousattacherons à préciser les usages dumot « durable », à travers l’expression« développement durable » et lanotion de « durabilité ».

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Encadré 2

LA FORESTERIE FRANÇAISE À L’ORIGINE DU MOT « SOUTENABLE » ?

L’expression « développement soutenable » est issue de l’anglais « sustainable deve-lopment » et elle est considérée comme synonyme de « développement durable »(Brodhag, 1999). Cependant, le mot anglais « sustainable » proviendrait du verbe français « soutenir »et donc l’expression « développement soutenable » serait tout à fait justifiée en fran-çais. Il s’agirait même d’un retour aux sources. En effet, d’après la lecture de l’ordon-nance de Brunoy, décidée en 1346 par Philippe vi de Valois : « Les Maîtres des Forêtsenquerreront et visiteront toutes les forêts et bois qui y sont et feront les ventes quiy sont à faire eu regard à ce que les dites forêts se puissent perpétuellement souteniren bon état. » (sur http://www.boisforet.info/bfi2/02_doc/1_boisfo_22.asp). Uneanalyse historique sur le site de La Documentation forestière (http://www.sylvi-cul-ture.com/documents/histoire.php3) souligne « la force de l’adverbe “perpétuelle-ment”, bien supérieure à celle de l’adjectif “durable”, si souvent employé aujour-d’hui, et aussi l’utilisation, pour la première fois peut-être en matière forestière, duverbe “soutenir”, d’où découle la notion de rendement soutenu ». Cette notion derendement soutenu (« sustainable yield » en anglais) traduit la nécessité d’entretenirdes potentialités du milieu pour les futures productions et de maintenir des res-sources en eau (Andersson et al., 2000) afin d’assurer une utilisation du bois quipermette, selon sa vitesse de croissance, de satisfaire la demande en source d’éner-gie et en bois d’œuvre.L’ordonnance est citée en partie par Jean Glavany, ancien ministre français del’Agriculture, dans son intervention à l’Assemblée nationale sur la Loi d’orientationsur la forêt, le 7 juin 2000.

Plaine cultivée. Espagne (Andalousie). Agricultural lowlands. Spain (Andalusia). Photo B. Locatelli.

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« Durable » et« développement »

L’adjectif « durable » qualifie denombreux substantifs créant des syn-tagmes aussi variés que « agriculturedurable », « tourisme durable », « villedurable », etc. Nous retenons ici l’ex-pression « développement durable »car elle concerne une multitude d’ac-teurs. L’origine et le sens de cetteexpression sont rappelés rapidement(encadré 4), et il semble intéressantde détailler davantage les utilisationsdu concept et ses appropriations parles acteurs sociaux.

Une préoccupationcantonnée à

l’environnement

Ignacy Sachs, promoteur del’écodéveloppement, donne uncontenu large au développementdurable mais, pour la plupart de sesutilisateurs, sa signification se limite àdes conditions écologiques à respecter(Vaillancourt, 1998). Pour JacquesWeber, économiste au Cirad, « ilsemble que le développement durablesoit compris comme la nécessité soitde préserver des équilibres écolo-giques, soit de les restaurer » (Weber,1994). L’aggravation de la crise envi-ronnementale et la sensibilité crois-sante des opinions publiques ontcontraint les décideurs à placer lesquestions écologiques dans leurs poli-tiques économiques. C’est ainsi quepour Francis Mer, président de l’Asso-ciation française des entreprises pourl’environnement (Epe)2, « l’environne-ment doit faire partie des priorités àtraiter par les instances politiques aumême titre que les questions écono-miques et sociales »3. Si, dans lemonde économique, l’approche la pluscourante du développement durablese résume à l’intégration de l’environ-nement dans le management desentreprises, qu’en est-il dans le

domaine politique ? Lors des assises nationales du

développement durable, Yves Cochet,alors ministre français de l’Environ-nement et de l’Aménagement duTerritoire, définissait ainsi « les priori-tés de la contribution française ausommet de Johannesburg :

▪ un accès à l’eau et à l’énergierenouvelable avec une gestion à longterme ;

▪ les conditions de consomma-tion des ressources minérales etnaturelles ;

▪ la conservation de la diversité ; ▪ le problème de la gouvernance

environnementale mondiale »4.En créant un ministère de l’Éco-

logie et du Développement durable,ainsi qu’un secrétariat d’État auDéveloppement durable, le nouveaugouvernement français entend mon-trer qu’il veut intégrer la dimensionenvironnementale dans sa politique.S’agit-il de limiter la question de l’en-vironnement à sa plus simple expres-sion ou est-ce l’occasion d’établir desliens avec les sphères économique,sociale ou encore culturelle ?5

Un concept pourconcil ier morale et

rentabil ité

Pour les gestionnaires d’actionset de fonds de pension, la rentabilités’apprécie sur le long terme. Leconcept de développement durablese prête donc idéalement au cadre dela gestion de portefeuille. Mais lanotion voisine d’investissementsocialement responsable retient éga-lement leur attention. Aux États-Unis,berceau de la gestion éthique, ils’agissait d’abord d’observer unimpératif de nature religieuse enexcluant les « valeurs du péché »(alcool, tabac, armement…).

En France, l’agence Arese6, cabi-net spécialisé dans la sélection d’ac-

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FOCUS / THE ADJECTIVE “SUSTAINABLE”

2 Devenu depuis l’actuel ministre de l’Économie et des Finances.3 MER F., 1997. Pour le développement durable des entreprises. Le Monde, 17 juin 1997. 4 COCHET Y., 2002. Développement durable : la France attend du concret. Les Échos, 12 mars 2002. 5 http//www.mediasol.org6 Analyses et recherches sociales et environnementales sur les entreprises, filiale commune dela Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse d’épargne créée en 1997, est devenue laprincipale référence des fonds « éthiques » investis en valeurs socialement responsables. Voiren particulier Le Monde Argent du 22 avril 2001 et Les Échos du 30 juin 2001.

Encadré 3

OCCURRENCE DE L’EXPRESSION« DÉVELOPPEMENT DURABLE » ET DE SES SYNONYMES

On trouve sur Internet (moteur de recherche« Google », visité en juillet 2002) 357 occur-rences de l’expression « développementpérenne », 2 480 pour « développementconstant », 1 330 pour « développementviable », 3 860 pour « développement soute-nable » et 158 000 pour « développementdurable ». Dans l’Encyclopædia Universalis,le mot « durable » a 219 occurrences, dansdes articles traitant principalement de déve-loppement, d’agriculture, d’aide écono-mique, de pauvreté et d’exclusion, de pollu-tion, de principe de précaution et debiodiversité. De nombreux articles lecontiennent dans un sens courant. Le mot« soutenable » a 26 occurrences se ratta-chant à des articles très divers en raison desdifférents sens que ce mot peut recouvrir etdes noms qu’il qualifie. La diffusion de l’ex-pression « développement pérenne » devraitaugmenter dans les mois à venir, suite aulancement par le gouvernement françaisd’un plan d’action « pour un développementpérenne de l’agriculture et de l’agroalimen-taire et pour la reconquête de la qualité del’eau en Bretagne », en janvier 2002.

Fermeture du paysage : la forêtgagne sur les prés. Vosges, France. Landscape closure : woodlandencroaching on pasture. Vosges,France. Photo A. Blouet.

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tions d’entreprises respectueuses deleurs salariés et de leur environne-ment (placements éthiques), proposedes indices boursiers sur le dévelop-pement durable. Il s’agit d’informerles décideurs financiers de la qualitédes relations des entreprises avecl’environnement, avec leurs salariéset avec la collectivité en général. Eneffet, depuis la promulgation de la loisur les Nouvelles régulations écono-miques (décret d’application n° 2002-221 du 20 février 2002), obligationest faite aux sociétés cotées de préci-ser dans leur rapport annuel lamanière dont elles prennent encompte les conséquences sociales etenvironnementales de leurs activités.

Pour que « le développementdurable sorte de son ghetto mili-tant », la société Be Citizen (Soyezcitoyen) a choisi Internet pour inter-peller « le monde des nantis » etdéclare : « Nous visons les 50 % degens qui n’ont jamais rien donné àune association ou à une Ong, nitemps ni argent. »7

Un concept pour unnouveau marché

Selon Romano Prodi, présidentde la Commission européenne, « ledéveloppement durable ne s’opposeni à la croissance ni au marché, […]une stratégie de développementdurable ambitieuse pourrait mêmerenforcer la croissance économiqueen stimulant notre rythme d’innova-tion et en permettant éventuellementla production de biens moins chers etplus propres »8.

Pour Éric Duvaud, associé ducabinet Andersen, « le développe-ment durable est celui qui réconcilieécologie et économie dans la pers-pective d’un moindre coût pour l’en-vironnement. La réglementation, lesnormes, les taxes, les subventions,les systèmes de permis sont autantd’instruments économiques par les-quels les coûts externes environne-mentaux sont progressivement inté-grés dans les prix de marchés.L’internalisation des coûts conduitalors les entreprises à concevoir des

Encadré 4

ORIGINE ET DEVENIR DE L’EXPRESSION « DÉVELOPPEMENT DURABLE »

Nathalie Holec rappelle que « le terme de “sustainable development”, traduit successi-vement par développement soutenable puis développement durable ou développe-ment viable, est cité pour la première fois par l’Union internationale de la conservationde la nature dans son ouvrage Stratégie mondiale de la conservation, en 1980. Il seraensuite mis à l’honneur dans le rapport commandé par les Nations unies à une com-mission présidée par Mme Gro Harlem Brundtland, Premier ministre norvégien, et enfinconsacré par la conférence de Rio sur l’environnement et le développement en 1992.C’est le rapport Brundtland qui va contribuer à faire connaître la notion de développe-ment durable. Il affirme en substance la nécessité d’un développement, notamment auSud, compatible avec la préservation écologique de la planète et de ses ressources etprenant en compte les générations futures et les populations les plus pauvres, davan-tage pénalisées par les dégradations écologiques. Le développement durable est ainsidéfini comme “un développement qui répond aux besoins du présent sans compro-mettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs” » (Holec, 1998). Ledéveloppement durable vise donc à réconcilier la croissance économique avec la pro-tection de l’environnement et la cohésion sociale. Il s’agit d’une règle du jeu fondée surde nouveaux modes de production et de consommation, qui remplace la croyance enune croissance illimitée et une abondance infinie. Son principe est d’accroître le bien-être sans détruire l’environnement naturel. Pour J.-P. Deléage, directeur de la revue Éco-logie et Politique, le développement durable conduit « à un réexamen en profondeur durapport des sociétés à la nature, à l’économie et au travail et finalement à la démocra-tie » (Deléage J.-P., 1997. Pour un écosocialisme. Le Monde, 6 juin 1997). Pour d’autres,ces tentatives d’humaniser et d’écologiser le développement sont vaines car elles neremettent pas en cause le développement en lui-même (Latouche S., 2001. Les miragesde l’occidentalisation du monde. En finir, une fois pour toutes, avec le développement.Le Monde Diplomatique, mai 2001. Sachs W., 2000. Le développement est un conceptdu passé (interview par Hervé Kempf ). Le Monde, 27 juin 2000). C. Brodhag, ancienprésident de la Commission française du développement durable (Cfdd), dénonce lesdérives du vocabulaire : « Le développement durable ne semble progresser dans cer-tains milieux qu’au prix de sa mutilation, avec le refus de traiter sur le même plan lestrois aspects de l’équité sociale, de la pérennisation des équilibres naturels et de l’effi-cacité économique qui devraient être considérés en même temps de façon intégrée. »(Brodhag C., 2001. Le développement durable dans la tourmente… électorale. LeMonde, 28 juin 2001).

Dynamique du paysage, au travers des restes d’un verger coupé récemment pourdevenir champ labouré. Meurthe-et-Moselle, France. An illustration of landscape dynamics: the remains of a recently felled orchardnow ploughed up for crops. Meurthe-et-Moselle, France. Photo A. Blouet.

7 http://www.becitizen.com/qui/8 PRODI R., 2001. Exploitons le potentiel dudéveloppement durable. Les Échos, 15 et 16 juin 2001.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 3 , N ° 2 7 5 ( 1 ) 43L’ADJECTIF « DURABLE » / LE POINT SUR…

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produits éco-efficients nécessitantmoins de matière, d’énergie et moinsde transport tout au long de leurcycle de vie »9. Comme les consom-mateurs réclament de plus en plus deproduits qui répondent à des critèreséthiques et écologiques, le dévelop-pement durable fait l’objet d’uneforte exploitation marketing10.

Une problématiquecommune aux pays

r iches et aux pays endéveloppement

Le concept de développementdurable exprime une rupture avecl’idéologie du développement et de lamodernisation qui a prévalu depuis laSeconde Guerre mondiale. La priseen compte de l’environnement bio-physique, de critères éthiques et dela participation politique dans laconception du développement cor-respond à un élargissement de sonsens. Ainsi, le modèle de développe-ment des sociétés occidentales n’estplus considéré comme la voie uni-que : à la variété des situations doitcorrespondre une diversité desformes de développement.

Dans les pays riches, la problé-matique du développement durablese concentre davantage sur le mana-gement environnemental alors que,

dans les pays en développement, elleconcerne la satisfaction des besoinsde base. Ainsi, à propos de l’énergie,il ne s’agit pas seulement, pour lespays du Sud, de savoir comment pro-duire une énergie moins polluante, cequi est la problématique des pays del’Ocde, mais aussi de se demandercomment augmenter la consomma-tion d’énergie sans porter atteinte àl’environnement.

Un terme heur istique

Même si, au lendemain de laconférence de Rio, des centaines descientifiques dans l’appel deHeidelberg « s’inquiétaient d’assisterà l’aube du xxie siècle à l’émergenced’une idéologie irrationnelle qui s’op-pose au progrès scientifique et indus-triel et nuit au développement écono-mique et social »11, le développementdurable est à l’origine de nouveauxconcepts.

9 DUVAUD E., 2001. Comment réconcilier écologie etéconomie ? Les Échos, 12 juin 2001.

10 Citons, à ce propos, la publicité d’Edf, première dugenre en France à utiliser le concept de développementdurable pour le marketing, et plus récemment le groupeMonoprix et ses affiches publicitaires prônant ledéveloppement durable.

11 http://netmc.9online.fr/NetMC/NetMC001.html

Encadré 5

LES DIFFÉRENTS REGARDS PORTÉS SUR LA DURABILITÉ

Pour le philosophe, la durabilité traite de la place de l’homme dans la nature,et des relations entre cultures concernant l’usage des ressources naturelles(Cairns, 1998). Pour le sociologue, il s’agit, par durabilité, d’entendre le main-tien du bien-être social alors que pour l’écologue la disparition des res-sources naturelles est la première préoccupation. Pour le technicien, la dura-bilité se décline d’abord par la synthèse des connaissances des différentsdomaines impliqués, comme la technologie, la biologie, l’économie, etc. Cettesynthèse est une étape nécessaire vers la durabilité qui permet d’intégrer lesinnovations techniques. Pour le politique, les voies et les applications de ladurabilité sont in(dé)finies. Les documents sont multiples aussi bien au seinde la Fao, de l’Onu, de l’Ocde, de l’Union européenne que des gouvernementsnationaux. Des travaux, notamment en France (Gouvernement français, 2002),sont en cours en vue de la préparation du Sommet mondial sur le développe-ment durable qui s’est tenu, du 26 août au 4 septembre 2002, à Johan-nesburg. Pour l’économiste, enfin, deux écoles de pensée s’opposent suivantla place accordée aux ressources naturelles : l’école de durabilité faible etl’école de durabilité forte (Karavezyris, Papanikolaou, 2000). La premièreécole considère que le développement est durable lorsque le capital total ouagrégé reste constant au cours du temps. Cela implique que le capital naturelpeut être remplacé par le capital produit par l’homme. La seconde école cri-tique cette approche en considérant que le capital naturel est sous-estimé eten soulignant la nécessaire intégration du volet environnemental à l’approcheéconomique pour assurer une durabilité forte. Cela implique qu’il faut sauve-garder non seulement le capital économique mais aussi le capital naturel(Karavezyris, Papanikolaou, 2000).

Forêt côtière. Madagascar(Mananara, côte nord-est). Coastal forest. Madagascar(Mananara, north-east coast). Photo B. Locatelli.

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FOCUS / THE ADJECTIVE “SUSTAINABLE”

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Face au réductionnisme pratiquésur le terme lui-même, certainsauteurs adoptent une vision pluridis-ciplinaire en prônant une intégrationde l’économie dans la biosphère(Passet, 1979 et Georgescu-Roegen,1979, cités par Harribey, 1997). Selonles académiciens français, la mise enavant de la notion de développementdurable devrait avoir pour effet « unretournement conceptuel » mettantfin au traditionnel antagonisme entreéconomie et environnement12.

En matière de politique écono-mique, l’Ocde propose dorénavantplusieurs concepts : le « découplage »désigne la situation dans laquelle lePib continue à croître alors que laconsommation d’énergie et la produc-tion de déchets restent stables ou

diminuent, la « dématérialisation »définit le processus par lequel uneéconomie se développe en utilisantmoins de matières premières, et la« décarbonisation » concerne uneéconomie ou le Pib croîtrait sans aug-menter les émissions de gaz carbo-nique13.

Dans le domaine agricole, l’ob-jectif de développement durable a ététranscrit dans l’agriculture plurifonc-tionnelle (Landais, 1999), ou multi-fonctionnelle14. L’activité agricolepeut ainsi « avoir des productionsmultiples et par là même contribuer àsatisfaire plusieurs objectifs sociauxà la fois » (Vermersch, 2001).

En s’interrogeant sur les condi-tions du développement durable, leConseil de la Terre (Onu) propose de

considérer la terre comme « une » et,pour remédier à la crise globale subiepar la planète et ses hôtes, d’engloberdans un esprit syncrétique toutes lestraditions y compris spiritualistes15.L’idée judéo-chrétienne selon laquellela nature a été créée pour servirl’homme fait place à une nouvelleconception selon laquelle l’hommeest au service de la nature autant quecelle-ci est au service de l’homme.

Pour Marcel Jollivet, « le déve-loppement durable conduit à unchangement de perspective dans lesrecherches en sciences sociales surl’environnement […]. Il s’agit d’appro-fondir la compréhension des implica-tions sociales d’une orientation poli-tique vers la durabilité » (Jollivet,1998).

Un concept pour unenouvelle gouvernance

Le développement durablerepose sur le trépied économique,social et environnemental auquel doi-vent s’adjoindre de nouveaux méca-nismes de « bonne gouvernance »16.Pour l’Association pour la démocratieet l’éducation locale et sociale(Adels), « le développement durablene saurait être imposé car sa logiqueprofonde suppose l’adhésion delarges secteurs de la société civile. Enposant la question des interdépen-dances et du développement, le déve-loppement durable change les termesde la réflexion collective et devientstructurant de la démocratie délibéra-tive. Pour que les populations puis-sent agir sur l’avenir de la société, ilfaut créer des espaces publics dedélibération et définir la place descitoyens dans la prise de décisionpolitique » (Adels, 2002). Quant ausecrétaire général pour les affaires

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12 LE HIR P., 2000. Aller vers un développement durablealliant économie et environnement. Les chantiers duxxie siècle selon l’Académie des Sciences. Le Monde, 26 janvier 2000.

13 ANONYME, 2001. Environnement, questions-réponses.Le Monde Économie, 12 juin 2001.

14 http://www.agriculture.gouv.fr/euro/euro/pac/Fao/FAO_fra.htm15 ANONYME, 1997. Le retour de la déesse Gaia. Les Échos

(rubrique Opinion), 4 et 5 juillet 1997. 16 http://www.agora21.org/entreprisecb/cb1.htm

Forêt humide. Nicaragua (Rio San Juan). Tropical rain forest. Nicaragua (Rio San Juan). Photo B. Locatelli.

Forêt insulaire. Madagascar (Mananara, côte nord-est). Island forest. Madagascar (Mananara, north-east coast). Photo B. Locatelli.

L’ADJECTIF « DURABLE » / LE POINT SUR…

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économiques et sociales aux Nationsunies, il déclare qu’« il s’agit de l’im-plication et de la participation activedes populations, de la nécessité deles convaincre qu’elles sont respon-sables des conséquences de leursactes »17.

Pour Lionel Brard, ex-présidentde France Nature Environnement, « iln’y aura pas de développement socialdurable et équitablement partagé tantque n’aura pas été inventé un rapportpertinent entre l’État et le marché […],l’incarnation du développementdurable dans la politique passe parl’expérimentation de nouvellesméthodes d’analyse et l’invention denouveaux types d’arbitrage »18. Cetteconcertation qu’implique le dévelop-pement durable, on la retrouve parexemple dans les organismes consul-tatifs prévus en France par la Loaddt(Loi d’orientation pour l’aménage-ment et le développement durable duterritoire, dite « loi Voynet »), à traversle Comité national d’aménagement duterritoire, les conférences régionalesd’aménagement du territoire et lesconseils de développement des pays.

L’adjectif « durable » a permis deredéfinir le concept de « développe-ment ». Mais, en l’absence de défini-tions précises, une multiplicité d’ap-proches est apparue, complémen-taires ou parfois contradictoires.Autour du concept de développementdurable se sont ainsi développées despositions et des opinions diverses. Demultiples acteurs sur le plan nationalet international y ont trouvé la sourced’objectifs politiques et de stratégies.Est-ce à dire que, face à la variété desprocessus techniques, sociaux, éco-nomiques et politiques qui sont en jeudans le développement durable, lemot « durable » a perdu toute signifi-cation ? Dans les paragraphes qui sui-vent, nous montrons que l’adjectif« durable » doit être utilisé avec pré-caution et qu’il vaut mieux lui préférerla notion de « durabilité ».

« Durable » ou« durabil ité » ?

Pour dépasser les contradic-tions du développement et articulerles préoccupations sociales et écono-miques avec les préoccupations envi-ronnementales, les acteurs retien-nent la durabilité comme nouveauparadigme.

Naissance du paradigme

Apparu très tôt chez les fores-tiers (encadré 2), le concept de dura-bilité s’est échappé du seul domainede la foresterie pour souligner, audébut des années 1970, en Amériquedu Nord, les dangers environnemen-taux et humains de « la croissanceéconomique productiviste » (Este-vez, Domon, 1999). Il décrivait l’équi-libre nécessaire entre l’économie etl’écosystème pour préserver l’envi-ronnement et le bien-être de l’hom-me. Le concept de durabilité est doncbien différent historiquement de celuide développement durable. Le terme« durabilité » revêt aujourd’hui dessignifications variées et les défini-tions en sont donc nombreuses. Cetteincertitude pourrait constituer unprérequis à une identification cultu-relle et à la large diffusion de la dura-bilité, mais elle est aussi dangereusecar elle entraîne des mésusages etune dérive sémantique (Bosshard,2000). La diversité des approches etla richesse des idées générées par ladurabilité sont telles aujourd’hui(encadré 5) qu’elles conduisent às’interroger sur l’avenir même de ceterme. Soit il s’annihile dans la confu-sion des usages multiples et contra-dictoires, soit il devient un paradigmesocioculturel capable de révolution-ner les rapports de la société à sonenvironnement naturel et humain(Bosshard, 2000). D’ailleurs, l’incer-titude caractérise généralement lanaissance de nouveaux paradigmes(Kühn, 1962).

Durabil ité : définition et portée

Dès les premières synthèsesscientifiques sur la durabilité, troisvoies de conceptualisation ont étéidentifiées : la durabilité économiquedes ressources, la durabilité écolo-gique des milieux, la durabilitésociale des communautés. Cetteapproche en trois axes, économique,écologique et social, est celle qui estla plus répandue aujourd’hui dans lesmilieux spécialisés (Pervanchon,Blouet, 2002).

Au-delà de ces axes, la durabi-lité revêt, cependant, une portée pluslarge touchant aussi : à la transmis-sion des biens et des connaissances,qui sous-entend la possibilité tech-nique et économique de reprise d’uneactivité économique, l’accessibilité etla diffusion des connaissances an-

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FOCUS / THE ADJECTIVE “SUSTAINABLE”

17 DESAI N., 2001. Les comportements doivent évoluer… y compris dans les pays pauvres. Le Monde Économie, 12 juin 2001.

18 BRARD L., 1997. Développement durable et écologie. Le Monde, 9 février 1997.

Orchidée à Madagascar(Mananara, côte nord-est). Orchid in Madagascar (Mananara,north-east coast). Photo B. Locatelli.

Page 11: Jeux et enjeux de mot : cas de l’adjectif « durable

ciennes et des avancées techniqueset scientifiques ; à l’esthétique, quisous-entend par exemple la beautédes paysages ou de l’architecture ; àla philosophie, qui sous-entend la re-lation de l’homme à la nature. Chacunde ces champs peut être considérépour lui-même et par rapport auxautres dans une approche systé-mique. La durabilité se réfère donc àune continuité qualitative et quantita-tive dans l’utilisation des ressources.Elle est dynamique puisqu’elle est as-sociée à l’évolution des activités hu-maines et des besoins sociaux. Elleimplique un échange permanententre activités, connaissances ettechnologies d’un côté, productionde biens et de nourriture de l’autre. Sile caractère multidimensionnel de ladurabilité est en lui-même très diffi-cile à concrétiser, il constitue cepen-dant un cadre dans lequel peuvents’harmoniser des questionsconcrètes interpellant des disciplinesfondamentales et suscitant des tra-vaux de terrain.

Le projet de fédérer dans ceparadigme de durabilité des champsdisciplinaires variés est, cependant,confronté à des difficultés d’applica-tion. En effet, n’est-il pas utopique detraiter une question comme parexemple la disparition d’espècesvégétales dans une prairie en prenanten compte tous les aspects qui s’yrapportent ? Ainsi, l’impact des pra-tiques agricoles, l’utilisation du lieupar le public, le rôle des associations,celui des instituts régionaux, natio-naux ou internationaux, devraientêtre abordés chacun de façon pluri-disciplinaire avec, par exemple, lesmathématiques, la physique, la géo-logie, la physiologie, l’écologie,l’agronomie, la géographie, la socio-logie, la philosophie, et de façon sys-témique par la relation de la prairieavec l’espace environnant, l’histoiredes pratiques agricoles dans uncontexte de polyculture-élevage,etc. ! Des choix doivent être réaliséssur les objectifs. Il devient alorsnécessaire de dégrader le paradigme

et d’en considérer une forme simpli-fiée abordable concrètement.S’agissant des espèces végétales deprairie, on pourra par exemple traiterde la durabilité agricole et de la dura-bilité environnementale, avec unusage simultané pris aux disciplinesde l’agronomie et de l’écologie.L’inconvénient d’un tel choix est deplacer tout travail d’application endeçà de la durabilité au sens du para-digme et de conduire à « réduire » laproblématique de la durabilité.

Dans ces conditions, plutôt qued’« agriculture durable », ne devrait-on pas parler de contribution de l’agri-culture à la durabilité en spécifiant leséléments de celle-ci qui sont analy-sés ? De même, pour le développe-ment, à la place de « développementdurable », ne faudrait-il pas parler dela contribution du développement à ladurabilité, en fonction du regardqu’on porte sur celui-ci ? Les expres-sions « développement durable » et« agriculture durable » ne devraient-elles pas être abandonnées ?

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Forêt sèche. Mali (falaise de Bandiagara). Dry forest. Mali (Bandiagara). Photo B. Locatelli.

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Conclusion

Il est important pour tout acteur– politique, ingénieur, chercheur,industriel, citoyen – de définir lestermes et les expressions qu’ilemploie dans ses écrits ou ses dis-cours. Il est tout aussi important pourun auditeur ou un lecteur d’être vigi-lant sur ces expressions nouvelles,car à l’évidence, l’adjectif « durable »peut avoir des usages multiples etcontradictoires.

L’adjectif « durable » permet dequalifier de nombreux mots sans quele syntagme qui en résulte soit néces-sairement précis. Deux sens sont sou-vent concurrents : soit il s’agit de qua-lifier de « durable » ce qui est simple-ment « pérenne » au sens usuel dudictionnaire, soit il s’agit d’un raccour-ci sémantique où « durable » signifie« qui contribue à la durabilité », celle-ci correspondant à un équilibre entretous les champs de la durabilité.L’absence d’une définition claire dessyntagmes issus de l’adjonction dumot « durable » conduit à cette confu-sion sémantique, parfois entretenuevolontairement, qui laisse croire qu’ontraite de « durabilité » alors qu’il s’agiten fait que de traiter de « pérennité ».

La forme substantivée de ce qua-lificatif, « durabilité », est à l’origined’une vision intégratrice, nouveauparadigme en puissance. Ce substantifexistait déjà dans le langage courant. Ilprend actuellement un sens qui sedétache à la fois de celui de dévelop-pement et/ou de croissance écono-mique : il s’agit de souligner l’impor-tance d’une prise en compte équilibréede l’environnement dans sa préser-vation et sa restauration, de l’écono-mie dans sa croissance et sa producti-vité, de la société dans sa culture etson éthique, de la transmission desconnaissances dans ses aspects inter-et intragénérationnels. Cette prise encompte se définit dans une approchesystémique qui intègre chacun de cesaxes pour eux-mêmes et entre eux, à lafois dans une dimension spatiale etdans une dimension temporelle. Pouréviter la confusion sémantique entrel’acception classique de durabilité

comme pérennité et sa nouvelle accep-tion paradigmatique comme visionintégratrice, ne faudrait-il pas retenircomme synonyme de la secondeacception le néologisme de soutena-bilité ? Cela se justifie d’autant plusque ce terme dérivé de l’adjectif« soutenable » est utilisé dans la tra-duction française du rapport Brundt-land « Notre avenir à tous » (Commis-sion mondiale sur l’environnement etle développement, 1989).

Enfin, peut-on parler de durabi-lité sans disposer d’outils pour en éva-luer les objectifs ? Aujourd’hui, larecherche est surtout centrée sur lamise au point d’indicateurs de durabi-lité pour évaluer dans quelle mesureles objectifs de durabilité sontatteints. La méthodologie de construc-tion des indicateurs est empruntée àl’économie (le Pib est, par exemple, unindicateur). On trouve ainsi des indica-teurs de durabilité « environnemen-

tale », « sociale », « culturelle », « éco-nomique » de secteurs, de territoires,ou de pratiques, de l’échelle locale àl’échelle globale, agrégés ensuite pardes moyens arithmétiques ou géomé-triques (Girardin et al., 2000 ; Harri-bey, 1997 ; Institut français de l’envi-ronnement, 2001 ; Lenz et al., 2000).La production et l’utilisation d’indica-teurs sont certes nécessaires, mais lamise au point d’outils supplémen-taires s’avère essentielle pour saisirdans une approche systémique lesdimensions spatiale et temporelle dela durabilité.

RemerciementsNous remercions vivement Paul Robin(UMR System Inra-Ensam-Cirad) pourses commentaires et ses conseilsainsi que Bruno Locatelli pour ses cli-chés.

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FOCUS / THE ADJECTIVE “SUSTAINABLE”

Végétation zone aride. Jordanie (Wadi Rum). Arid zone vegetation. Jordan (Wadi Rum). Photo B. Locatelli.

Tarsius syrichta, petit primate des Philippines. Tarsius syrichta, a small primate native to the Philippines. Photo B. Locatelli.

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FOCUS / THE ADJECTIVE “SUSTAINABLE”

Synopsis

WHAT’S IN A NAME?PLAYING ON THEMEANING OF“SUSTAINABLE”

Frank PERVANCHONAndré BLOUET

To qualify something isto describe its qualities.This is particularly important whenwe are dealing with words used in atechnical, political or scientific con-text. Since the 1980s, use of theadjective “sustainable”, for example,has been growing exponentially. Acase in point is the well-knownexpression “sustainable develop-ment”, which has meanings that varywith authors and contexts. We haveorganised this article into three partsto provide a clear understanding ofthe issues raised by using the epithet“sustainable” to qualify terms suchas “development”.

A semantic detourWe first make a short detour into thesemantics and linguistics of theadjective “sustainable”. We look atsynonyms and the common nounsderived from the word, including theFrench word “soutenable”. This is aliteral translation of “sustainable” inthe sense of “bearable”, which, likethe common meaning of the Frenchword “durable” (as in English), haslittle to do with the meaning impliedby development specialists (scien-tists, engineers, development work-ers, etc.).

Our study of meanings and originsshows that these terms are in factshades of meaning of the same wordsand that in practice, a whole set ofadjectives could be used as a syn-onym for “sustainable”. However,sometimes a syntagm is created byassociating an adjective with a noun.This is the case with “sustainabledevelopment”, and non specialistscannot readily understand the hid-den meaning of the phrase by merelyreading a text. Finally, the word “sus-tainability” is a neologism with a veryspecific meaning that requires defini-tion.

Implications of the phrase“sustainable development”In the second part of the article, welook at what the word “sustainable”has added to the term “develop-ment”. We have chosen to analysethe phrase “sustainable develop-ment” because of its widespread useand numerous interpretations, whichneed to be clarified. For someauthors, the word “sustainable”evokes the idea of developmentreaching completion, while for otherauthors and users, the phrase “sus-tainable development” has many dif-ferent facets and applications. Forsome, the expression covers a rangeof (especially economic) activities rel-evant to the environment. Others, likethose who manage shares and pen-sion funds, use it to reconcile moral-ity and profit, through “ethical invest-ments” for example. Adoption of thenew concept is so widespread thatthe phrase is even commerciallyexploited, by associating it with theconquest of new markets. On a different register, sustainabledevelopment emphasises issues thatare common to both rich and devel-oping nations. In this case, the con-cept of sustainable developmentexpresses a break with the ideologyof development and modernisation

that has prevailed since the Second World War. The phrase “sustainabledevelopment” has even given rise tonew concepts altogether, by promot-ing integration of the economy andthe biosphere and an end to theantagonism between economy andenvironment. Finally, sustainabledevelopment is a concept that sup-ports a new form of governance, inthat it rests on the three pillarsformed by the economy, society andthe environment, to which the newmechanisms of “good governance”have to be added.

What is sustainability?In addressing the lack of exact defini-tions as well as the many differentapproaches that are sometimes com-plementary and sometimes antago-nistic, the third part of the articleshows that the adjective “sustain-able” has to be used with care, andthat it would be preferable to use thenotion of “sustainability”. The newconcept of sustainability has comeinto very widespread use and is fastbecoming a socio-cultural paradigmthat is likely to effect a change insociety’s relationships with the natu-ral and human environment. In ouressay, we put forward a definition ofsustainability, analysing its impact asa paradigm. This brings us to ques-tion the phrase “sustainable develop-ment”: would it not be preferable touse the phrase “contribution of devel-opment to sustainability”, with thedifferent contributions analysedaccording to different disciplinaryfields?

Two conclusions need to be drawnhere: we have to be very attentive toexpressions that contain the adjec-tive “sustainable”, and we need toinvent and develop tools, such asindicators in particular, to assess sus-tainability.