J.L.marion, La Fin de La Fin de

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    1/12

    ruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. ruditoffre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Jean-Luc MarionLaval thologique et philosophique, vol. 42, n 1, 1986, p. 23-33.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/400214ar

    DOI: 10.7202/400214ar

    Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

    Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique

    d'utilisation que vous pouvez consulter l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html

    Document tlcharg le 5 January 2013 12:01

    La fin de la fin de la mtaphysique

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    2/12

    Laval thologique et philosophique, 42, 1 (fvrier 1986)

    LA FIN DE LA FIN DE LA METAPHYSIQUEJean-Luc M A R I O N

    PLUS QU'UNE THSE, la f in de la f in de la mtaphysique s 'annonce comme unthme, sur l 'ambigut duquel s 'agglutinent les contresens, polmiques etenjeux. O u bien il est cens son ner le glas d'u n dsa stre ob sc ur , o s'abolira it lapossibilit mme d'une pense philosophique en gnral. Ou bien il rsonne commel'mancipation de la philosophie hors de ses fantasmes prtentieux et de ses questionsmal poses drisoires. Ou encore, i l promettrait l 'ouverture d' indistincts horizonspour une pense enfin meurtrire de ce qui l 'a meurtrie. Il a sembl utile et possible declarifier ce thme. Car la fin de la mtaphysique a une fin, suivant la dualit duvocable : une limite terminale d'abord, qui rpond son origine ; un but ensuite, quipourrait d'ailleurs se dmultiplier. Nous allons tenter de l 'tablir . Pour y parvenir,nous suivrons le texte de Heidegger prcisment intitul La fin de la philosophie et latche de la pense. Il convient notre propos, puisque d'emble, i l prcise que Philosophie est mtaphysique 1 , en stricte quivalence; il traite donc bien de la finde la m taphysiqu e. Il se peu t, po urta nt, que l 'on doive discuter cette quivalence ;car si Heidegger s'offre en guide incomparable pour entrer dans la question de la finde la mtaphysique, i l se pourrait aussi qu'il ne nous conduise plus aussi fermementen l'entreprise d'en finir avec cette fin mme. Quel but donne une fin la fin de lamtaphysique? S'il ouvre cette question, Heidegger la laisse libre.1. L'achvement

    Nombre des polmiques qui ragissent contre la formule d'une fin de lamtaphysique reposent sur un faux-sens p eut-tre invitable de traduction ; lafin n'quivaut pas ici une disqualification qui mettrait la mtaphysique mort, maisen dsigne l'accomplissement parfait : Nous comprenons trop aisment la f in dequelque chose en un sens pureme nt ngatif com me la simple cessation, comm e l 'arrtd'un processus, sinon mme comme dlabrement et impuissance. Tout au contraire la

    1. Repris dans le recueil Zur Sache des Denkens, Tubingen, 1969, p. 61, traduction franaise inQuestions IV, Paris, 1976, p. 113 (modifie).23

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    3/12

    J E A N - L U C M A R I O N

    locution fin de la mtaphysique signifie l 'achvement de la mtaphysique 2. La fin(Ende) n'enten d p as d'ab ord en finir avec la philosophie (zuEndesein), mais marquerson accomplissement (Vollendung) ; si la mtaph ysique devait d 'aventure disparatre,ce ne serait pas sans avoir atteint d'abord toute sa perfection, dploy toute sonenvergure et donn toute sa mesure. Car la mtaphysique ne droule pas ses figuresdominantes, de Platon Nietzsche, en une rhapsodie absurde et drgle ; i l ne s'agitde l'histoire des erreurs, comme les non-philosophes se rassurent l 'imaginer 3, maisde la succession presq ue ncessaire des possibilits para dig m atiqu es qui seules offrentune pense de l 'tant dans son tre. L'accomplissement veut donc dire que la dernirepossibilit se trouve, aujourd'hui, atteinte: Avec la mtaphysique de Nietzsches'accomplit (vollendet) la philoso phie. Ce qui veut dire : elle a fait le tour complet despossibilits qui lui taient d'avance assignes. Ou encore : Mais que signifie doncalors fin de la mtaphysique? Rponse: l ' instant historial, dans lequel lespossibilits essen tielles de la m taphysiqu e sont puises. La dernire de ces possibilitsdoit tre cette forme de la mtaphysique, dans laquelle son essence s'inverse(umgekehrt wird). Telles possibilits se succdent au long d'un lent dcompte(Verrechnung), qui ne peut se prolonger indfiniment: car si la dure d'une poquemtaphysique n'a pas de borne fixe, le nombre des figures mtaphysiques qui fontpoque reste limit. Si aujourd'hui la mtaphysique atteint . . . sans doute son stadefinal (Endstadium), c'est que, ... dans la mesure o, par Nietzsche, la mtaphysiquese prive elle-mme, en quelque sorte, de sa propre possibilit de dploiement, nousn'apercevons plus d'autres possibilits pour la mtaphysique. Car, du fait durenversement accompli (vollzogene Umkehrung) par Nietzsche, il ne reste plus lamtaphysique que le dtournement dans ce qui lui est inessentiel (Verkehrung in ihrUnwesen)4. La mtaphysique s'accomplit elle-mme en accomplissant une rvolution rvolution astrale dont la figure terminale retrouve la figure initiale uneinversion prs, celle sans doute du platonisme, telle que la revendique comme sonuvre propre Nietzsche. Et i l n'est pas certain que Heidegger erre absolument, enprtendant que rien ne s 'ajoute, en mtaphysique, depuis Nietzsche, qui ne sombredans l 'inessentiel ; autrement dit, que tout ce qui s'adjoint la mtaphysique, depuisNietzsche, ressortit encore et toujours au renversement du platonisme. Annoncer un stade terminal ne revient pas mconnatre arbitrairement de nouveaux essais enmtaphysique, mais constater que, de fait , ces essais n' innovent pas tant qu'ils nerptent en pigones telle ou telle figure de la mtaphysique antrieure, en n'yajoutant que l ' idologisation ou la technicit de la formulation. L'innovation

    2. Zur Sache des Denkens, p. 62, tr. fr., p. 114.3. Cicron : N ihil tarn absurd e dici potest, quod non dica tur ab aliquo p hilosopho ,De Divinatione, II,5 8 . En version plus moderne, R. CARNAP, Ueberw indung der M etaphysik durch logische A nalyseder Sprache, Erkenntnis, II, 1931 (traduction et excellente prsentation in A. SOLEZ, Manifeste duCercle de Vienne, Paris , 1985) ; les avatars du vrificationisme ont ironiquement prouv qu'il ne suffitpas, pour dpasser la mtaphysique, de retourner contre elle certains de ses concepts , eux-mmesinexplors ou impenss. Les concepts de vrification, de confirmation, d'exprience, etc. appartiennent

    radicalement ce qu'on croyait pou voir aisment dpasser, et que l'on a rpt la mtaphysique.4. Res pect ivement : U eberw indung der Metaphys ik, in Vortrage und Aufsatze, I, Pfullingen, 1954,p. 75 , tr. fr. in Essais et Confrences, Paris, 1958, p. 95 ; Vollendung der M etaphysik , Nietzsche, II,Pfullingen, 1961, p. 201 puis 20 2; et enfin Nietzs ches Wort "G ot t i s t to t" , Holzwege, G .A. , 5 ,Fran kfurt a/ M ., 1977, p. 209, tr. fr. Chemins q ui ne mnent nulle part, Paris, 1962, p. 173.24

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    4/12

    L A F I N D E L A F I N D E L A M E T A P H Y S I Q U E

    conceptuelle ne consiste dsormais plus que dans la rptition elle-mme, selon lemot d'ordre indfiniment rappliqu d'un retour .... Les possibili ts de lamtaph ysique ont atteint leur avance max imale, en une apoge indpa ssable o ellesse rassemblent toutes : Fin signifie, en tant q u'ach ve m ent (Vollendung), le rassemblement dans des possibilits extrmes (in die ausserten Moglichkeiten)5. Lestradu cteu rs franais n'hsitent pas parler d'un rassemb lemen t su r des positionsextrmes, comme l 'on parle, en termes militaires, d'une avance (ou d'un repli) surdes positions extrmes. La mtaphysique s 'accomplit en rassemblant tous acquis,donc en ralisant tous ses actifs, en prenant position sur son dernier rsultat, le plusextrme non seulement parce que dernier venu, mais surtout parce que l 'universelrsultat . A insi l 'achvement de la m taphysique ne dsigne pas un vnement historico-culturel d ont nous serions les spectateurs dgags, voire engags ; il s'agitd'un lieu, car, souligne Heidegg er, l 'ancienn e signification du m ot allem and Endeest la mme que celle du mot Ort (lieu) : von einem Ende zum anderen signifie : d'unlieu l'autre. La fin de la philosophie est le lieu (... Ende der Philosophie ist der Ort...)o la totalit de son histoire se rassemble dans sa possibilit la plus extrme 6. La finde la mtaphysique n'en constitue pas une phase, mme la dernire, mais en sommetoutes les phases dans un accomplissement rcapitulatif. Ce lieu advient comme unterme, donc dans un instant : ... l ' instant historial (geschichtlichen Augenblick), danslequel sont puises tes possibilits essentielles de la mtaphysique. Mais cet instantn ' intervient pas dans une succession extrieure de maintenant, que nous pourrions recenser d'un point de vue suppos neutre, comme observateur; cet instantrelve d'une histoire laquelle nous appartenons de part en part: c'est doncdans l 'histoire mme que nous pouvons discerner que la mtaphysique s 'achveet culmine sur sa position extrme ; nous ne pouvons le voir qu 'en dcidantque nous le voyons bien, de fait et incontestablement; si le terme ne semblaitpas trop faible et subjectif, il faudrait dire que nous ne voyons la fin de lamtaphysique que si nous en prenons conscience mieux que si nous acceptons lafin de voir cette fin. Heidegger le formule plus radicalement : Le mot de fin de lamtaphysique est assurment une dcision historiale (geschichtliche Entscheidung1.Une telle dcision ne signifie en aucun cas que nous consacrions la dchance de lamtaphysique ; au co ntraire , par elle nous reco nnaissons enfin la figure accom plie deson achvement ; l 'clatement de l 'difice classique de la philosophie comme sciencedominatrice en une infinit de sciences, exactes, autonomes et sans cesse en progrsatteste que la mtaphysique les a, pour ainsi dire, parfaitement lances et mises surleurs orbites respectives, mesure que, dans sa trajectoire, elle atteignait les pointsappropris ces satellites ; lorsque l 'tage ultime de la mtaphysique atteint sonapoge, i l s'est certes libr de tout contenu utile, mais c'est pour l 'avoir mis enservice, non pour l 'avoir perdu ni s'tre lui-mme gar ou perdu. La mtaphysique,s 'abolissant comme discipline spculative, s 'accomplit d'autant mieux comme savoirmthodique, absolu et sans borne de l 'tant, qu'elle clate dans toutes les figures de la

    5 . Zur Sache des Denkens, p. 63, tr. fr., p. 115.6. Ibid., p. 63, tr. fr., p. 114.7. Nietzsche, II, 201 puis 202.25

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    5/12

    J E A N - L U C M A R I O N

    techniqu e. A utrem ent dit , La fin de la philosophie se dessine comm e le tr iom phe del 'quipement d'un monde en tant que soumis aux commandes d'une sciencetechnicise et de l 'ordre social qui rpond ce monde. Fin de la philosophie signifie :dbut de la civilisation mondiale en tant qu'elle se fonde dans la pense de l 'Occidenteuropen 8 . L'accomplissement connote certes une m ort de la mtaphysique entenduecomme discipline parmi d'autres ; mais il indique surtout son couronnement par lessciences interposes, qu'elle a prcisment rendues possibles. Mieux, ces sciencesobissent toutes, sans exception comme sans le comprendre, une logique contraignante et impriale la technique, ou plus exactement l 'essence, elle-mme nontechnicienne, de la technique. Cette essence, Heidegger tente de la comprendrecom me la volont de volont, dernier pas franchissable aprs la volon t de puissanceque Nietzsche avait dgage. L'accomplissement de la mtaphysique sur le mode et lerythm e de la techniq ue en son essence n'ay an t rien d'un chec ni d'un effondrement,mais f ixant la rationalit mm e du no uveau et dernier m ond e, ne peut que durer : La m taphy sique accom plie, qui est le fondem ent mme du mo de de penseplantaire, fournit la charpente pour l 'ordre, vraisemblablement appel durerlongtemps (vermutlich lang dauernde Ordnung) de la terre. Cet ordre n'a plus besoinde la philosophie, parce que celle-ci se trouve dj son fondement (sie schonzugrunde liegt)9. La technique offre le visage visible de l 'accomplissement de lamtaphysique, si l 'on dfinit la mtaphysique par la mise en uvre d'une universellevolont de connatre sur le mode de la certitude, et si l 'on reconnat dans la techniquela production d'un rseau universel de raisons certaines satisfaisant une volontsans frein d'effectivit. La technique produit, selon la rationalit rduite sa figurecalculatrice, non seulement des objets et des produits, mais surtout de l 'objectivit etde la dom ination ; le dploiement rel du principium reddendae rationis, dont Leibnizne pouvait encore que nommer la possibilit, se ralise effectivement dans l 'arraisonnement technique. Aujourd'hui, sous nos yeux et avec une vidence telle qu'elle nenous frappe mme plus, la mtaphysique tr iomphe dans l 'universelle manire d'tretechnique du monde, qu'on a coutume, bien tourdiment, de lui objecter. Latechnique, en son essence non technicienne, ne signifie rien de moins et rien d'autreque l 'accomplissement vainqueur de l ' interprtation mtaphysique de l 'tant.

    D'o cette premire conclusion : si la fin de la mtaphysique veut d'abord en direl 'accomplissement extrme sous la f igure de l ' interprtation technique du monde,alors la fin de la mtaphysique offre penser comme tche pour les philosophes les dimensions, paramtres et raisons de son indpassable et durable rgne. Lamtaphysique s 'accomplit par la technique. La philosophie consiste comprendrecomment e t jusqu'o.2. Destruction

    Interprter la f in de la mtaphysique comme un achvement, et un achvementdernier par puisement de toute autre possibilit, cette entreprise soulve aussitt une

    8 . Zur Sache des Denkens, p. 65 , tr. fr. 117-118.9. Vortrage und Aufsatze, I, p. 75, tr. fr., p. 95-96.26

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    6/12

    L A F I N D E L A F I N D E L A M E T A P H Y S I Q U E

    difficult : selon quel critre l 'achvement, l 'puisement, bref le concept mme de lamtaphysique peut-il se mesurer? Ne s'agit-il pas ici, encore une fois, de la prtentionde chaque philosophe, riger en premier ou dernier juge de toute philosophieantr ieure? Primus enim sum.. ., disai t Descar tes 1 0 , Le dernier phi losophe,reprenai t Nietzsche 1 1. Mais Heidegger n'accomplit pas la mtaphysique, en s 'yintgrant ; il dcide de la mtaphy sique, en dcidant de son achvem ent partir d'unpas en retrait de cette mtaphysique. ce pas en retrait il donne, ds 1927, le titre dedestruction ; car si la mtap hysiqu e, y com pris et peut-tre su rtout dans ce qui a no montologie, a manqu la question explicite de l 'tre, pour ne privilgier que l'tude del'tant dans son tre, il faut en entreprendre la ... destruction, s'accomplissant au fildirecteur d e la question de l'tre... 12 . Il faut y insister : la destruction n'a pas pour butde ruiner la mtaphysique ou la philosophie, au sens o Duns Scot en dbat parfois Dico qu od non d estruo ph ilosop hiam , sed ponentes co ntrarium necessariodestruunt phi losophiam.. . 1 3 , mais travaille restaurer (ou instaurer pour lapremire fois) l 'tre comme question privilgie, indpendamment de l 'tant. Il s'agitde rvler la que stion de l'tre, en dga gean t les con sid rants on tique s qui l'offusquent.La destruction au contraire de toute dconstruction vise positivement l 'tre.Heidegger ne cesse de le souligner sans aucune ambigut. Dans Sein und Zeit : Ladestruction n'a pas davantage le sens ngatif d'une vacuation de la traditionontologique. Au contraire, elle doit situer celle-ci dans ses possibilits positives,autant dire toujours ses limites, telles qu'elles sont factuellement donnes avec chaqueproblmatique et avec la dlimitation du champ possible de recherche trace partird'elle. (...) M ais la des tructio n ne veut po int e nfouir le pass d ans le n ant , elle a uneintention positive: sa fonction ngative demeure implicite et indirecte 1 4 . Dansle cours d't de 1927, Grundprobleme der Metaphysik, la destruction se nommeaussi une appropriat ion posi t ive, qu' i l faut entendre comme . . . une dconstruction (Abbau) critique des concepts reus, qui sont d'abord ncessairementen usage, afin de remonter aux sources o ils ont t puiss. C'est seulement par cettedestruction que l 'ontologie peut phnomnologiquement s 'assurer pleinement del 'authenticit de ses concepts 1 5 . En 1928, mme prcision : ... la destruction de lalogique est elle-mme un fragment de la fondation de la mtaphysique.. . 1 6. Ladestruction de l 'histoire de l'ontologie n 'a pas pou r rsultat de dtruire la question del'tre, mais, exactement l 'inverse, de la rendre possible; l 'tre ne devient unequestion, qu' condition que s 'effondre ou du moins se f issure l 'cran del'vidence inquestionnable des lisses axiomes o le fige l 'ontologie. La destruction10. DESCARTES, Notae in programma..., uvres, d. Adam et Tannery, t . VIII -2, Paris , 1965, p. 348, lg. 15.11. NIETZSCHE, par exemple 103, Der letzte Philosop h , in Die Unschuld des Werdens. Der Nachlass,d. A. Baeumler, t. 1, Leipzig 1931, p. 51.12. Sein und Zeit, 7, p. 22 (tr. fr. par E. M artine au, h ors comm erce, Paris , 1985 , p. 39).13. D u n s SCOT, Lectura I, d. 3, p. 1, q. 1-2, n. 110, Opera Omnia, t . XVII, Rome, 1960, p. 265.14. Sein und Zeit, 7, p. 22 et 23 (tr. fr., p. 39).15. Die Grundprobleme der Phanomenologie, G. A ., 24, Frankfurt a/M . 1975, p. 31, tr. fr. par J.-F. Courtine,Paris , 1975 , p. 41, o p ourta nt l 'quivalence entre Abbau et d-construction, l i t tralement indiscutable,fait difficult dans le contexte.16. Metaphysische Anfangsgrunde der Logik..., G .A . , 26 , Frankfur t a /M . , 1978, p . 71 .

    27

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    7/12

    J E A N - L U C M A R I O N

    opre un dgagement : dgager de l 'encombrement ontique l ' inquitude concernantl'tre mme de l'tant. En ce sens, la destruction a directement rapport la rductionph nom nologique : de mme que la rduction phnomnologique reconduit lesperceptions leur tat de vcus de conscience, abstraction faite de tout objetcensment constitu, de mme la destruction reconduit les noncs ontiques jusqu'ce qu'ils reclent (en le celant) de l 'tre de l 'tant, selon la diffrence ontologique. Ladestruction met entre parenthses non plus, comme dans la rduction phnomnologique, l 'objet dans sa ralit, mais bien l'objet dans son tantit, pour dgager, parsoustraction, l 'tre mme-manire d'tre des tants qui ne se confond avec aucund'entre eux. La positivit de la destruction n'ap para t certes pas, aussi longtemps q uele regard reste fix sur l 'tant, mais elle perce lorsque, l 'tant reculant dans l 'arrire-fond, l 'tre s 'avance. Nous n'avons pas ici suivre l 'volution de la manire dontHeidegger labore la question de l 'tre : analytique du Dasein en vue d'une ontologiefondamentale d'abord, conqute de la diffrence ontologique ensuite, abandon elle-mme de la mtaphysique et pense de l 'tre sans gard pour l 'tant enfin. Nousne devons retenir ici qu 'une constante : la destruction de l 'ontologie ouvre la situationd'exp osition l 'tre se tenir de bo ut, ex tatiquem ent [ouvert] dans la vrit del'tre, das ekstatischen Innestehen in der Wahrheit des Seins17 . La vrit de l'tre nepeut sans doute se connatre, sur le mode de la reprsentation certaine d'un tantobjectiv ; aussi doit-on s 'y exposer extatiquement, en y demeurant, sentinelle dunant ou lieutenant de l 'tre l8 , mais jamais com me son spectateur ou son p ropritaire.Bien que ne livrant aucune chose (Ding), l 'tre, comme l'affaire en question(Sache), suscite bien le retour aux choses mmes que prnait Husserl. Heideggerentam e, avec la destruction de l 'histoire de l 'ontologie, le processus de dcouvrem entde l'tre com me tel ; ce dcouvrem ent poursuit l 'entreprise ph nom nologiqu e, m mes' i l la dplace jusqu' une phnomnologie de l ' inapparent 1 9 . La destruction del'histoire de l 'ontologie dcouvre la question de l 'tre.

    D'o une seconde conclusion: si la destruction de l 'histoire de l 'ontologiquedcouvre la question de l 'tre, deux acquis se dgagent, (a) La mtaphysique peutbien se voir dsigner une fin et marquer des figures jusqu' une position extrmed'accomplissement : un critre en juge, l 'tre dans son irrductibilit l 'tant., selonles diverses figures o se dcline et mconnat la fois la diffrence ontologique.L'annonce d'une fin de la mtaphysique par Heidegger ne reproduisait donc pasl 'acte, polmique et vaniteux, de chaque mtaphysicien instituant sa philosophiecomme la dernire parce que la seule vraie ; Heidegger n' institue aucune nouvellefigure de la mtaphysique, puisqu'il met en cause toute mtaphysique en rendantproblmatique l'impens en elle de l 'tre de l 'tant. Heidegger ne critique pas plus lamtaphysique qu'il ne prtend en dire la vrit : il stigmatise l'tre qu'elle ne pense pascomme tel, tente de s'en dgager pour accder l 'tre au lieu de s'enfouir dans l 'tantet remonte le cours des f igures de la mtaphysique comme autant de couchesoublieuse d'une question que mme les Grecs ont chme. Faire signe vers ce qui,17. Brief iiber den Hum anismus, in Wegmarken, G.A ., 9, Frankfurt a/ M ., 1976, p. 325.18 . Ibid., p. 118 et 342. Voir Holzwege, op. cit., p. 348, tr. fr., p. 284 et note p. 311.19. Questions IV, op. cit., p. 339.

    28

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    8/12

    L A F I N D E L A F I N D E L A M E T A P H Y S I Q U E

    dans la philosophie, demeure impens, ce n'est pas une critique de la philosophie 20 .Qu'est-ce donc? (b) Ici s'inscrit le second acquis : la destruction ne rend possible lafin de la mtaphysique, qu'en tant que celle-ci laisse l 'tre impens ; donc, rciproquement, la destruction ouvre la pense de l 'tre comme tel : La tchede la pense serait ds lors l 'abandon de la pense en vigueur jusqu'ici pouren venir dterminer la chose mme de la pense (an die Bestimmung der Sache desDenkens). Cette chose mme se nomme un nouveau commencement : ... la finde la philosophie n'est pas la fin de la pense, mais son passage un autrec omme nc e me nt 2 1 . Du nouveau commencement, bien peu ne saurait se dire; dumoins faut-il reconnatre qu'il permet dj de voir, partir de lui, la mtaphysiquerassemble en soi et porte sa fin ; si nous voyons l 'achvement de la mtaphysique,nous n'y sommes dj plus totalement compris ; si nous ne voyons pas le nouveaucommencement, peut-tre est-ce parce qu'il soutient peut-tre dj nos pas. Ladestruction de l 'histoire de l 'ontologie nous instruit de l 'tre comme une question.3. Histoire du nihilisme

    Avec l'achvement et la destruction, la fin de la mtaphysique offre un troisimeacquis positif l 'exercice philosophique: restaurer les conditions d'une pratiqueconceptuelle (et non seulement rudite ou antiquaire) de l 'histoire de la philosophie. Co mm un m ent, cette discipline s 'expose marginalisation po ur deux motifs :ou bien il s'agit de juger des philosophies passes comme aussi dpasses par unephilosophie dfinitive, ou bien d'tablir des quivalences entre doctrines galementdouteuses ; bref, ou bien toutes les philosophies sauf une se disqualifient devant unevrit suppose, ou bien, toutes se rtablissent en une gale insignifiance, sans vrit.Il reste une troisime voie, paradoxalement ouverte par ce qui, habituellement,app arat un dni de toute histoire de la philosoph ie : Mais nulle part nous ne trouvonsune telle exprience de l'tre mme. Nulle part ne vient notre encontre une pense,qui pense la vrit de l 'tre mme et, ainsi, la vrit mme en tant qu'tre. (...)L'histoire de l 'tre commence, et certes ncessairement, avec Y oubli de l'tre22 . Q uel'oubli de l 'tre dtermine, ds l 'origine et jusqu' son terme, l 'histoire de laphilosophie ne met pas celle-ci en pril, mais, au contraire, en rtablit la dignitindiscutablement philosophique. L'oubli de l 'tre signifie d'abord que nulle f igure dela mtaphysique ne disqualifie les autres, au risque de rduire l 'histoire de laphilosophie une recension d'erreurs ou d'anticipations approximatives (modlesuivi par A ristote, H egel, Schelling ou N ietzsche) ; la premire pense grecque ne faitpas exception, puisqu'il ne s'agit jamais de revenir aux Grecs que pour penser par-del et travers les Grecs 2 3 ce qu'eux-mmes avaient manqu: le retrait de l 'tre20. Zur Sache des Denkens, op. cit., p. 76, tr. fr., p. 133.21 . Ibid., p. 80, p. 139.22. Nietzs ches Wort "G ot t i s t to t" , In Holzwege, op. cit., p. 263, tr. fr., p. 216.23 . ... dass wir die 'A.r|08ia griechisch als Unverborgenheit erfahren und sie dann, uber das Griechischehinaus, als Lichtung des Sichverbergens denken?, Zur Sache des Denkens, p. 79, tr. fr., p . 137. Ds1927, Sein undZeit prcisait bien que l'absence de sol de la question (m taphy sique) de l'tant ... ases racines dans l'ontologie antique elle-mme ( 1, p. 2, tr. fr., p. 27).

    29

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    9/12

    J E A N - L U C M A R I O N

    dans l 'avance mme de l 'tant que lui seul, pourtant, mnage. Chacune des figuresde la mtaphysique marque un manquement la diffrence ontologique, qui masquele retrait mme de l'tre selon l'tant. Donc toute figure de la mtaphysique peutgalement se comprendre et reconduire vers la diffrence ontologique puisquechacune s'en carte galement. Deuximement, l 'oubli de l 'tre fixe prcisment ununique enjeu toutes ces figures de la mtaphysique : la diffrence ontologiqueelle-mme, qui, parce qu'elle ne se trouve nulle part pense comme telle dans unemtaphysique privilgie, hante toutes les figures de la mtaphysique qui la laisseimpense. Mieux, l 'histoire de la mtaphysique obit, sous l 'apparence des doctrinesdbrides et dlirantes, au mme enjeu, que Heidegger nom me simplement le M me :L'histoire n'est (...) pas la succession des ges, mais une unique proximit duM me , . .. une simple app artenan ce au M me 24 . En cette errance, l 'historien de laphilosophie ne se borne plus un travail de doxographe, d'diteur, d'historien desides, etc. ; il exerce l 'hermneutique d'un corps de doctrine d'abord en vue d'en fixerle statut mtaphysique (ce qui revient en rechercher l 'ventuelle constitution onto-tho-logique), ensuite en vue d'en mesurer l ' impens (ce qui revient comprendrecomment la diffrence ontologique n'y joue que masque). Ainsi l 'oubli de l 'trepermet de saturer de sens toutes les figures de la mtaphysique car leurmanquement de et l 'tre comme diffrent de l 'tant rvle encore l 'tre puisqu'ilrelve de son retrait irrmdiable. D'o, troisimement, l 'identification par l 'oubli del'tre de tou te l 'histo ire de la philo sop hie et en fait de l 'histoire to ut cou rt comme nihilisme : Le nih ilisme, p ens dan s so n essence, est bien plu tt lemouvement fondamental Grundbewegunz de l'histoire de l 'occident ; plus radicalement encore : Le nihilisme n'est ni seu lement une histoire, ni aussi le traitfondamental (Grundzug) de l'histoire occidentale, il est la loi laquelle obit sonvnement {die Gesetzlichkeit diedieses Geschehen s), sa " logique " 2 5 . Nihilisme nesignifie pas seulement ni d'abord la tendance vers le nant, ou, en une acceptionnietzschenne, la dvaluation des plus hautes valeurs, mais l 'impuissance penser lenant lui-mme dans son essence savoir dans son quivalence avec l'tre en tantque tel. Le nihilisme organise la succession des figures de la mtaphysique comme ledploiement de toutes les mconnaissances possibles de l 'tre en tant que tel. Par quoil 'histoire de la philosophie recouvre une logique, d'autant plus libre qu'elle restecache et d'autant plus contraignante qu'elle obit ce que le mtaphysicien, chaque fois, ignore. L'historien de la philosophie ne comprend pas le philosophemieux que celui-ci ne s'est compris, mais il pense, travers ce que le mtaphysicien aeffectivement pens, ce qu'il a laiss impens : d'abord la const i tut ion onto- tho-logique qui authentifie sa doctrine comme mtaphysique, ensuite la diffrenceontologique qu'il masque, comme mtaphysicien, ncessairement.

    D'o une troisime conclusion : la fin de la mtaphysique ne peut ne ft-ce ques'esquisser sans une apprhension d'ensemble de l 'unique enjeu qu'elle marque et24 . Res pect ivement Nietzs ches Wort "G ot t i s t to t" , in Holzwege, p. 212, tr. fr., p. 175, et Brief iiberd en " H u m a n i s m u s " , in Wegmarken, op. cit., p. 336. Sur cette doctrine de l'histoire de la philosophie,voir notre essai de synthse , Du pareil au M me. O u : comment Heidegger permet de refaire del '"histoire de la philosophie", in Martin Heidegger. L'Herne, Paris, 1983, p. 177-191.25 . Nietzsches Wort "Gott is t tot" , in Holzwege, op. cit., p. 218 et Nietzsche II, op. cit., p. 278.

    30

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    10/12

    L A F I N D E L A F I N D E L A M T A P H Y S I Q U E

    ma squ e la fois ; ainsi s'identifie u n cen tre, la diffrence on tolo giq ue , toujo ursgalement mis en cause par chaque mtaphysique prcisment parce que toujourslaiss impens comme tel ; par quoi aucune philosophie ne se prtend plus dominante,tandis que toute figure de la mtaphysique redevient digne de considration et dequestion, moins sur ce qu'elle nonce, que sur ce que dnoncent ses esquives.L'histoire de la philosophie trouve son objectif et surtout son statut irrductiblementphi losophique : reconstituer chaque fois la constitution ontologique laisse impense. Cette double tche exige une rflexion authentiquement philosophique, sans serdu ire la redite idolo gique ou l 'rud ition indiffrente. M ieux, l'histoire de laphilosophie po urra it , ainsi comprise, non plus rester le refuge des esprits co nceptuel-lement moins dous, mais s'riger en dmarche privilgie : la mditation srieuse etpatiente de la fin de la mtaphysique comme un accomplissement durable, quoiqu'enattente de son nouvea u com menc eme nt . En tou s les cas, la fin de la m taphy siquerend la philosophie la matrise et le sens de son histoire.4. Donation

    La fin de la mtaphysique du moins avons-nou s tent de le montrer n'implique aucune interdiction de la philosophie, mais en dgage, au contraire, lesrieux et les tches : il s'agit d'un accomplissement de la raison sous la figurercapitulatrice de l 'essence triomphante de la technique, du dgagement de laquestion de l 'tre en tant que tel comme l'impens radical et fidle de toute lam taphysique en l 'attente d 'un nouvea u c om me nce me nt, et enfin de la lgitimitde l 'histoire de la philosophie com me pense de cet impens. Q ue faut-il en c onclu re?L'on peut s 'en tenir et ce serait dj be auco up une restau ration de l 'entreprisem taphysiq ue, en ob jectant tous les essais positivistes de dpasser la m taphysique qu ' ils n 'abou t i ront jamais qu ' de lamentables checs tant qu ' i ls n 'aur ontpas admis, suivant la formule de Blondel, qu' on ne peut exclure la mtaphysiqueque par une cri t ique mtaphysique 2 6. Mais une telle restauration s 'exposeratoujours un reproche : elle surestime no us diron s : idoltre la mtaph ysique encroyant pouvoir la soustraire aux limites de l 'histoire, ou, plus exactement, au destintemporel de l 'humain. Que laphilosophia se prten deperennis revient l 'excepter etde quel droit ? de la finitude et lui attribuer de quelle autorit rvle? lespromesses de l 'ternit. Pou r ceux qui ne reconna issent aucu n conten u laphilosophie, stigmatisait J. Beaufret, en faisant d'elle seulement une manifestation del'esprit d'examen en gnral, il n'y a pas de raison qu'elle ne soit pas comme le ditparfois Husserl , perennis, disons intarissable, sauf acciden t. M ais si son affaire pro preest la question de l 'tre, elle a un dbut, apparaissant brutalement en Grce au virageentre le VI e et le V e, avec la parole d'Heraclite et celle de Parmnide. Ayant eu undbut, il peut tout aussi bien lui arriver d'avoir une fin. Heidegger pense mme que lafin est la ranon indispensable du dbut 2 7 . Si la philosophie a reu une affairepropre, en un dbut, elle doit sans aucun doute, une fois dployes toutes les figures26. M . BLONDEL, L'Action (1893), Paris, 1950, p. 389.27. J. BEAUFRET, Entretiens, Paris, 1983, p. 102.

    31

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    11/12

    J E A N - L U C M A R I O N

    (mtaphysiques) de cette donne initiale, parvenir un accomplissement, qui, commeachvement, implique une mort. Acheve, la philosophie, telle qu'elle s'est dployecomm e m taphysiqu e, atteint, en un seul instant, son accomplissement et sa mort. Lapeintu re figurative et la mu sique tonale ont subi le mme destin en vertu peut-tredu destin plus dcisif de la mtaphysique. Rien d'humain n'chappe au destin de latemporalit. Heidegger en infre plusieurs dcisions : la philosophie s'identifiantabsolum ent avec la mtaphysiqu e, elle en partage la mort ; ensuite la mditation de laquestion de l 'tre peut se poursuivre, mais pour ce qu'i l nomme la pense et dont,par dfinition, il ne pouvait formuler selon la logique (c'est--dire encore lamtaphysique) une dfinition ; une telle pense ne se proccupe d'ailleurs plus del'tre, pris dfinitivement dans l 'empire de l 'tant, mais de l 'vnement que quelquechose simplement soit , vnement que nous nommons avec lui Ereignis ; YEreignistente de concevoir le fait qu'/7^ a, e s gibt. Heidegger envisage cet es gibt comme unedonation, mais rcuse par avance qu'on l ' identifie proprement, puisqu'ainsi le primatde l 'tant es, quelque chose voire quelqu'un ! se rtablirait. La question de ladonation se trouve ds lors la fois gnialement mise au centre de la pense et paravance referme. Car Heidegger dcide, si du moins nous pouvons interprterstrictement ses derniers textes, que la donation doit se penser partir de YEreigniset donc, finalement, encore partir de l 'tre. Sans pouvoir ici reprendre et justifierdes analyses faites ailleurs 2 8 , nous proposons des thses audacieusement contraires,(a) La donation ne doit pas se penser partir de l 'tre, mais bien l 'tre partir de ladon ation ; ce qui veut dire que le don dploie une rigueur antrieure et ind pen dante,suivant les exigences de la charit; l 'ordre de la charit passe infiniment celui del'tre, et gouverne l 'tre comme tous les tants au titre d'un don parmi lesautres. Recevoir l 'tre comme un don ne s'apprend certes pas de YEreignis, mais de lacharit, (b) Ici se dcouvre un second impens de la mtaphysique : en sus de ladiffrence ontologique que la mtaphysique laisse impense, il faut stigmatiser sonoubli , voire son refus, de penser la charit et l 'am ou r comm e tels ; il reste possible et s 'ouvre ainsi une carrire immense pour l 'histoire de la philosophie commediscipline de stigmatiser la constante et implacable rduction que les mtaphysiciens ont impose la pense de l 'amour: Platon, Aristote, Descartes,M alebran che, K ant, Hegel et Nietzsche ont tous, chacun sa manire, censurl'amour pour le rduire au rle subalterne d'un adjuvant, obstacle ou effet duconcept. Il n'est pas sr que Heidegger n'ait pas port cette censure son acm dansSein und Zeit. La fin de la mtaphysique pourrait avoir aussi pour finalit profondede laisser remonter la surface, dans le naufrage de l 'tre impens, l ' impens de lacharit. Si tel tait le cas, la fin de la mtaphysique deviendrait une libration, quirelancerait la philosophie vers une parole proprement inoue, (c) Ds lors l 'identification de la philosophie la mtaphysique ne paratra plus une quation simplementdiscutable, mais le symptme d'un refus. Car si la mtaphysique achve, dans laphilosophie, la prtention la seule sophia de l 'tant, il ne faut pas pour autant enconclure la disqualification de la philosophie entire ; la ruine de la philosophie28 . En particulier, L'idole et la distance, Paris, 1977, et Dieu sans l'tre, Paris, 1982. Un aperu global dansDe la "mort de Dieu" aux noms divins: l ' i t inraire thologique de la mtaphysique, Lavalthologique et philosophique, 41/1 , 1985 .

    32

  • 7/22/2019 J.L.marion, La Fin de La Fin de...

    12/12

    L A F I N D E L A F I N D E L A M E T A P H Y S I Q U E

    dgage au contraire l 'nigme en elle de la philosophie. Nul jeu de mot ici, mais uneinterrogation inluctable : que signifie q ue, po ur con natre la sagesse, il faille l 'aim er?Pourquoi la phi losophie, jusque et y compris dans la pense que Heidegger luisubstitue la fin de la mtaphysique, passe-t-elle si obstinment sous silence lephilein, qui pourtant l ' inaugure? Bien que rarement pose, cette question a pourtanttrouv un cho auprs de Pascal : .. . en parlant des choses hum aines on dit qu'il fautles connatre avant que de les aimer, ce qui a pass en proverbe, les saints au contrairedisent en parlant des choses divines qu'il faut les aimer pour les connatre, et qu'onn'entre dans la vrit que par la charit, dont ils ont fait une de leurs plus utilessentences 2 9 . La philosophie demeure ouverte sa propre possibilit, pour autantque la fin de la mtaphysique et l 'indtermination de la pense la rendent au phileinen elle. Clturant son texte sur La fin de la philosophie et la tche de la pense, quenous avo ns suivi et dm arqu la fois, Heidegger dem andait : Quoi donc parle dansle il y a, a donne (es git)1?30 . Il n'est pas sr que l'on puisse carter, en guise derponse, cette autre question : que signifie parler en vue de donner? Que fait le don etcomment lui rpondre en recevant? Donner, recevoir, aimer pour connatre laphilosophie a pour tche, dans la f in de la mtaphysique, non seulement de penserl 'tre jusqu'ici impens, mais aussi d'aimer assez la sagesse, pour parvenir enrecevoir (et ensuite en penser et peser) tous les dons. La question de la charitredevient la tche de la pense.

    29 . B. PASCAL, De l'art de persuader, in uvres compltes, d. L. Lafuma, Paris, 1963, p. 355 a.30. Zur Sache des Denkens, p. 80, tr. fr., p. 139.33