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Joe Dassin inconnu · Joe ne croyait ni en Dieu, ni au diable. C'était un matérialiste forcené et on le voyait mal jouer les fantômes. Parce que ça l'aurait vexé de montrer

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J O E DASSIN INCONNU

BETTY TRUCK

J O E DASSIN INCONNU

103, boulevard Murat - 75016 Paris

D u m ê m e a u t e u r

La presse et l'information (En collaboration avec Henry Allainmat)

Filipacchi.

La Nuit des parias (En collaboration avec Henry Allainmat)

Presses de la Cité.

Médecins de la honte (En collaboration avec Robert-Paul Truck)

Presses de la Cité, Presses-Pocket Éditions Prace (Prague).

Mengele, l'ange de la mort (En collaboration avec Robert-Paul Truck)

Presses de la Cité.

Le Guide du bébé snob Guy Authier. Salut, Gabin !

(En collaboration avec Michel Borget et Jean Poggi) Trévise-Ramsay.

La Filière (En collaboration avec Gilles Perrault et Jean Cosmos)

Mengès.

Claude François, le bien-aimé (En collaboration avec Michel Borget et Denis Goise)

« Génériques », Mengès.

Sous le pseudonyme de Kobra, collection «Permis de tuer», aux Presses de la Cité :

La Prêtresse du Vaudou, La Tigresse de Tripoli, La Sorcière du Kremlin, La Perle noire de Miami,

La Vierge de Dubrovnik.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays

© Éditions Michel Lafon, 1996

À Christine, ce livre qui ne remplacera jamais

celui que nous devions écrire ensemble.

À Jonathan et Julien.

A V A N T - P R O P O S

Chris t ine Dass in n 'avai t pa s changé. Toujours le même petit minois, la même admirable minceur juvénile, les mêmes into- nations gouailleuses. Elle se disait fatiguée, très fatiguée... « Sans savoir pourquoi », pré- cisait-elle. Et personne ne la croyait.

Nous nous étions retrouvées, au cours d'un dîner à la bonne franquette, dans la cuis ine de mon ami Denis Taranto , le patron de l'agence de presse Je t Set, ave- nue George-V à Paris.

À table, nous n'étions que quatre. Le maître de maison, Philippe de Poliakoff - le petit-neveu du commandant Cousteau - Christine et moi. On parlait de tout, de rien...

Mais Christine ramenait invariablement la conversa t ion s u r ses fils, J o n a t h a n et Julien, ou sur Joe, le seul homme de sa vie qui, quinze ans après sa disparition, était toujours l'épicentre de ses pensées.

« Tu vas me prendre pour une folle, me dit-elle, mais j'ai l'impression qu'il est tou- jours là. C'est comme s'il n'était jamais sorti de ma vie, comme s'il était vivant...

« Chaque fois que j'ai une décision impor- tante à prendre, je lui demande ce qu'il en pense et, peu de temps après, un déclic se produit dans ma tête, m'apportant la solu- tion que j'attendais.

« Franchement, je suis convaicue que, de là où il est, Joe veille toujours su r sa famille. Sur ses fils et sur moi... »

Chacun de nous a souri, sceptique sans l'être tout à fait. Nous lui avons rappelé que Joe ne croyait ni en Dieu, ni au diable. C'était u n matérialiste forcené et on le voyait mal jouer les fantômes. Parce que ça l'aurait vexé de montrer qu'il s'était trompé. Mais Christine ne nous écoutait déjà plus.

« On a dit beaucoup de vilaines choses, sur Joe et sur moi, enchaîna-t-elle. On a dit plein d'horreurs et je voudrais écrire un livre pour rétablir la vérité. J 'en ai assez d'entendre qualifier mon mari de "cow-boy à paillettes". Joe, ce n'était pas seulement un crooner... C'était quelqu'un ! J e voudrais que t o u t le m o n d e le s a c h e et le comprenne. »

En fin de soirée, alors que nous nous a p p r ê t i o n s à p r e n d r e congé, elle me demanda, tout de go :

« Le b o u q u i n don t j ' a i par lé , t o u t à l'heure, est-ce que tu serais d'accord pour l'écrire avec moi ? Joe t 'aimait bien, et quand vous commenciez à discuter ça pou- vait du re r des heures . J e me rappel le qu 'une fois, à Hydra, je me suis même e n d o r m i e p e n d a n t que v o u s pa r l i ez . D'ailleurs, ça ne vous a pas gênés, vous avez continué comme si je n'existais pas... »

Nous avons éclaté de rire et je lui ai dit « oui ». Cela se passait dans le courant du mois de novembre 1995. Le 5 décembre sui- vant, Christine décédait subitement, des suites d'une violente crise d'asthme, dans le salon de la grande maison blanche de Feu- cherolles. Celle qui aurait dû être la « mai- son du bonheur »...

Pas d'agonie. Pas de souffrances inutiles. La mort l'avait frappée brutalement, par surprise, presque lâchement... En pleine fleur de l'âge. Exactement comme elle avait fauché Joe, quinze ans plus tôt.

Alors, j'ai voulu tenir ma promesse. J 'ai écrit ce livre et je le lui dédie...

Betty TRUCK

L'ÎLE AUX PIRATES

« À la vie, à l'amour, à nos nuits, à nos jours.

À l'éternel retour de la chanson... »

À Paris, dans les années soixante, il exis- tait deux catégories d'étudiants. Ceux qui affirmaient que La Méthode était en face de l'École polytechnique et ceux qui préten- daient que Polytechnique était en face de La Méthode. Tout dépendait des valeurs res- pectives que l'on attachait à chacune de ces deux institutions.

En ce qui me concerne, ayant toujours éprouvé un profond et douloureux mépris pour tout ce qui touche, de près ou de loin, aux mathématiques, j'avais définitivement choisi la seconde définition.

Juchée en haut de la rue Descartes, à deux encablures de la place de la Contres- carpe, La Méthode était un sombre bistrot, à la façade défraîchie et à l'allure interlope, qui possédait toutes les vertus susceptibles d'en éloigner les jeunes gens « comme il faut ».

C'était pourtant un endroit que j'adorais. J ' y pas sa i s la p lupa r t de mes n u i t s -

blanches, bien évidemment ! -, ce qui me permettait de somnoler tout à mon aise, pendant la journée, dans les confortables sièges des amphithéâtres de la fac de droit ou de la Sorbonne.

À l'époque, La Méthode était un peu, à la rive gauche et au Quartier latin, ce que le Golf Drouot était aux grands boulevards et à la rive droite. Dans deux styles différents, voire totalement opposés.

Alors que les fanas du Golf se laissaient sub- merger par la vague yé-yé et les succès anglo-saxons, les habitués de La Méthode dégustaient, avec gourmandise et sans tinta- marre, les poèmes, les mélodies et les chan- sons tristes ou gaies qui parlaient au cœur, à l'âme et voulaient encore « dire quelque chose ».

C'est là que j'ai rencontré Joe Dassin, dans les années soixante, pour la première fois. Il a empoigné sa guitare sèche, soi- gneusement ajusté son capodastre, puis il est allé se jucher sur la petite estrade au plancher mal raboté qui garnissait l'un des angles de l'arrière-salle.

Robert Nyel qui ne venait plus qu'en pas- sant et en fin de soirée, parce qu'il logeait toujours dans l'une des chambres du pre- mier étage - La Méthode faisait aussi hôtel et, côté « mauvais genre », ça n'arrangeait pas les choses - avait chanté cette Magali qui lui avait donné ses galons de vedette,

en le propulsant sur la scène de l'Olympia, en première partie du récital de Jacques Brel.

Les deux Maurice - Dulac et Fanon - venaient de pousser leurs trémolos, le pre- mier sur ses Drôles de filles et le second, sur sa Petite Juive.

J e venais de récite El desdichado et c'est à moi qu'incomba l 'honneur de céder la scène au jeune Américain que Frank Tho- mas et Jean-Michel Rivat, deux paroliers qui commençaient à percer sérieusement et à écrire pour les plus grands, tenaient à nous présenter.

« Bravo, me dit Joe, de sa voix chaude et veloutée, en m 'embrassan t chaleureuse- ment sur les deux joues. Gérard de Nerval est l 'un de mes poètes préférés... »

Il avait une coquetterie dans l'œil, ce qui ajoutait à son charme. Il parlait avec une pointe d'accent, ce qui le rendait plus sédui- sant encore.

J e ne lui en fis pas la remarque, mais j'étais passablement étonnée qu'un Améri- cain connaisse l 'un des f leurons de la littérature française que beaucoup de Fran- çais ignorent.

Parce que Joe refusait de s'imposer grâce à une simple carte de visite, surtout si elle n'était pas la sienne, Jean-Michel et Frank avaient oublié de nous préciser que ce

délicieux cow-boy à l'allure nonchalante était aussi le fils de Jules Dassin. D'ailleurs, s'ils nous l'avaient dit, nous aurions eu un mal fou à établir le rapprochement.

Même si nous étions tous beaucoup trop jeunes pour avoir suivi les affres du mac- carthysme et les « purges » d'Hollywood, nous allions tous au cinéma et nous avions tous vu Du rififi chez les hommes. Mais nous étions fermement convaincus que Ju les Dassin était u n metteur en scène français.

Cette nuit-là, Joe a chanté jusqu'à l'aube. Du Bobby Lapointe et du Georges Brassens entremêlés de « folk-songs ». Un récital improvisé, mais splendide.

De temps en temps, quand il s'exprimait en français, sa langue fourchait et il lui arri- vait d'écorcher u n mot. Il s 'interrompait aussitôt pour s'en excuser, mais la ferveur de nos applaudissements l'obligeait à pour- suivre sur sa lancée... À enchaîner avec une autre chanson.

« Tu sais que cette île a une histoire extra- ordinaire. Il n'y a pas si longtemps encore, Hydra était un repaire de pirates, de cor- saires et de flibustiers qui venaient s'y

réfugier, fortune faite, quand ils en avaient par-dessus la tête de courir les mers.

« Ils avaient accumulé tellement d'or qu'ils ne savaient vraiment plus quoi en faire. Alors, ils l'utilisaient comme carrelage et en pavaient généreusement les sols de leurs demeures...

« On affirme qu'un jour, Napoléon I ren- dant une visite de courtoisie à l 'un de ces florissants corsaires, s'indigna d'être obligé de piétiner sa propre effigie.

« - Qu'à cela ne tienne, sire, lui rétorqua le maître des mers. Je possède encore assez de pièces pour qu'on puisse les placer su r les tranches ! »

Joe Dassin adorait ce genre d'anecdotes. Il éclata de rire et tira une bouffée de son petit cigare. Il fumait rarement des havanes. Il leur préférait des brésiliens qui étaient ornés d'une bague à son nom et qu'il commandait tout spécialement chez Davidoff, à Genève.

Nous étions en mai 1978. J e ne l'avais pas revu depuis une bonne quinzaine d'an- nées. Traduit en quatre langues, son Été indien avait fait le tour du monde et s'était vendu à plus d'un million et demi d'exem- plaires. Il cumulait les disques d'or et cha- cun de ses quarante-cinq tours dépassait habituellement le million...

Il était au sommet de sa gloire et, pour- t an t , il é ta i t t ou jou r s le même. Il me

semblait qu'il n'avait pas changé d'un iota. Il se montrait aussi simple et naturel que si nous nous étions quittés la veille, que si nous venions de passer la nuit à refaire le monde, calés sur des banquettes de velours élimé, dans les effluves embrumées de La Méthode...

En ce qui me concernait, j'avais aban- donné depuis longtemps le désir de devenir professeur de lettres ou avocate. Mes ambi- tions de comédienne s'étaient évanouies, elles aussi. J'avais publié quelques livres et j 'étais devenue journaliste. C'est ce qui m'avait permis de retrouver Joe.

Europe 1 avait choisi le cadre enchan- teur du Kappa Club d'Hydra, en Grèce, pour organiser ses « Olympiades de l'an- née ». Plus de trois cents invités ! Une gigantesque opération promotionnelle qui avait pour but de réunir, par l'intermédiaire de la station, les professionnels des médias et les stars du showbiz. J e venais d'inté- grer l'équipe d'Ici Paris et je figurais sur la liste des invités. Joe Dassin était de la fête, lui aussi.

Nous sirotions un ouzo au bar, en évo- quant les fantômes de notre passé, lorsque Christine vint nous surprendre. J e ne la connaissais pas et ne savais pratiquement rien d'elle, si ce n'est que leur mariage avait été célébré quelques mois auparavant.

« Alors Nounours , on flirte, dit-elle, de son inimitable voix gouail leuse, en s ' a s s eyan t s u r ses genoux.

- Mais non, Titi, lui répondit-il en cares- s a n t son petit ventre rebondi. On se raconte notre enfance... »

Elle avait b e a u être enceinte de p lus ieurs mois, on devinait ses formes graciles, sous la djellaba de voile t r anspa ren t . Son peti t visage é ta i t adorab le et m u t i n , avec des yeux pleins de malice. Malgré ses cheveux blonds, j e lui t rouvais des a l lures de Chi- noise. J e le lui dis.

« Mais c 'est vrai, je n 'y avais p a s pensé , s 'exclama Joe. À par t i r de ma in tenan t , j e ne t 'appellerai p lus Titi. Tu se ras m a Chinoise blonde. Ce serai t u n b e a u ti tre p o u r u n e chanson», ajouta-t-il, sérieux.

Elle se lova davantage contre son mari . À leurs pieds, Médor, le peti t yorkshire que tou t le monde s u r n o m m a i t Mémé, j a p p a i t d'aise en frétillant.

Christ ine commença à me raconter, d a n s les moindres détails, s a rencont re avec l'im- pératrice F a r a h Diba qu'elle t rouvai t « telle- m e n t ravissante, tel lement simple et si dis- t inguée ! »

À l 'occasion d 'un récital donné en l 'hon- n e u r d u s h a h d ' I ran, le s o u v e r a i n ava i t invité J o e et s a compagne à p a s s e r que lques j o u r s s u r les rivages de l'île de Kish, le

paradis pour milliardaires qu'il s'était fait aménager, dans le golfe Persique.

Je l'écoutais d'une oreille distraite, fasci- née par ce merveilleux bonheur qui sem- blait étreindre le couple. Je savais déjà que, dès que je les quitterais, ils iraient se pro- mener main dans la main sur les chemins bordés d'oliviers, respirant l'odeur de l'ori- gan et savourant la musique envoûtante et lancinante des bouzoukis...

Qui aurait pu imaginer qu'un destin tra- gique allait bientôt briser leur amour, qu'ils connaîtraient tous deux une mort presque identique ?

ENTRE HARLEM ET LE BRONX

« L'Amérique, l'Amérique... J e veux l'avoir et j e l' aurai ! L'Amérique,

s i c 'es t un rêve, j e le saurai . .»

Il n 'y a p a s de place p o u r les faibles et l e s s a n s - d é f e n s e à E l l i s I s l a n d , c e t t e immense gare de triage d a n s laquelle débar- quent , sales et haga rds mais le c œ u r rugis- s a n t d'espoir, t ous les cand ida t s a u rêve américain.

D a n s u n e c o h u e i n d e s c r i p t i b l e , l e s i m m i g r a n t s a t t e n d e n t l e u r t ou r , t a s s é s comme d u bétai l d a n s des c a m p e m e n t s de for tune, s u r des pa i l lasses groui l l an tes de vermine .

Harassés p a r u n voyage en b a t e a u qui a duré quinze jours , s inon plus, le p lus sou- vent à fond de cale, ils doivent encore résis- ter a u sommeil qui les lamine, s'ils ne veu- l e n t p a s c o u r i r le r i s q u e d e s e f a i r e dépouiller de leurs pauvres hardes .

Prises de douleurs , des femmes accou- chen t s u r place, d a n s la foule et à m ê m e le sol de terre bat tue . Des vieillards meu- r en t d 'épuisement. . .

Tous n 'ont qu 'une seule vraie te r reur qui leur noue les tripes, celle d'être refoulés, d'avoir fait tou t ce long chemin pour rien.

Les contrôles sont très stricts mais, si on a des papiers en règle, tou t se passe géné- ra lement bien. On ne demande à personne de parler anglais. Ce qu'il faut, c'est faire bonne figure, donner l ' impression qu 'on est solide et r ayonnan t de santé.

L'Amérique a besoin de bras . Elle ne s'em- ba r ra s se ni de pitié, ni d 'états d'âme. Les m a l a d e s s o n t i m p i t o y a b l e m e n t renvoyés vers leur pays d'origine.

F u y a n t les pogromes orches t rés p a r le t s a r Alexandre III, p lus d ' un million et demi de juifs rus ses débarquèren t ainsi à Ellis Island, entre 1881 et 1910.

La p lupar t d 'entre eux s 'établirent à New York, dans les s l u m s du Lower Eas t side. Sans argent, s ans travail, ils s ' en tassen t à p lus ieurs familles dans des logements insa- lubres, dépourvus de chauffage et d'électri- cité. Les plus fragiles n'y rés is tent pas.

On affirme que, dans le quartier, le t aux de m o r t a l i t é e s t d e u x fois p l u s é levé qu'ailleurs. On le s u r n o m m e lungs-blocks, le quar t ier de la tuberculose.

Struggle for l i f e Le rêve américain prend des allures de cauchemar. Ceux qui veulent

1. Taudis. 2. La lutte pour la vie !

survivre doivent s'accrocher, se défoncer... Sans trêve, ni répit.

Pour qu'ils puissent tout de même se dis- traire, et dépenser les quelques dollars qu'ils gagnent, on leur a ouvert u n tas de petits tripots dans Bowery, l'une des artères les plus sordides et les plus misérables de la ville.

Là, on leur sert u n alcool encore plus fre- laté que celui qui se vendait sous le man- teau, du temps d'Al Capone, d'Eliot Ness et de la Prohibition.

Pas besoin de verres, ni de chopes. On boit à l'aide de tuyaux de caoutchouc direc- tement reliés à des tonneaux remplis de l'in- fâme breuvage. Moyennant trois cents, on a le droit de s'enfoncer le tuyau dans la bouche et d'avaler autant d'alcool qu'on le peut, sans reprendre son souffle.

T rè s in t imidé , le j e u n e c h a r p e n t i e r d'Odessa s'approche de l'officier d'immigra- tion. D'une main tremblante, il lui tend ses papiers dont le fonctionnaire s 'empare, avant de les parcourir d 'un œil négligent et distrait. Trop de gribouillis en cyrillique, ça le fatigue !

« Quel âge as-tu ?

- Douze ans. - Comment t'appelles-tu ? » Le gamin bredouille un nom russe, très

long, très compliqué et parfaitement in- compréhensible pour une oreille américaine non aguerrie.

« Comment tu dis ? Tu veux bien me répé- ter ça plus lentement, s'il te plaît ? »

De plus en plus intimidé, mort de trouille à l'idée d'être refoulé, le petit charpentier répète, en bafouillant davantage encore.

« C'est beaucoup trop dur à prononcer, mon gars, tranche le fonctionnaire. Avec un nom comme celui-là, tu n'arriveras jamais à te faire ta place au soleil. À partir d'au- jourd'hui, tu t'appelles Dassin ! »

« Je crois que mon grand-père avait fini par oublier son vrai nom, disait Joe, qui adorait raconter cette histoire. En tout cas, il ne l'a révélé à personne et il est mort en emportant son secret dans sa tombe. Vous vous rendez compte que je ne connais pas mon véritable nom ! C'est inouï, je ne sais même pas comment je m'appelle ! »

Il prenait u n air navré et s'empressait d'ajouter, enthousiaste : « Rassurez-vous ! Je suis trop fier du nom dont hérita mon père pour renier le nom de Dassin et c'est à moi de prouver qu'il peut y avoir deux célébrités dans des genres différents, dans la même famille. »

Le jeune charpentier se marie, quitte l'en- fer glauque du Lower East side et gagne le Connecticut, où il a trouvé du travail. C'est là que Jules Dassin naît, à Middletown, le 18 décembre 1911.

Ses origines exactes, il ne les connaît pas davantage que son fils ne les connaîtra. Il sait simplement que ses parents sont russes et que l'un de ses arrière-grands-pères, gro- gnard de Napoléon I était né à Paris.

Déçue par le Connecticut, la famille Das- sin rentre à New York et se fixe à Harlem, à deux pas de la 125 rue qui ne s'appelle pas encore Martin Luther King boulevard, mais que tout le monde surnomme déjà le Two five.

Le petit Jules fréquente la communale de la 1 1 1 rue et la synagogue de la 1 1 4 Quand il a de bonnes notes en classe, sa mère l'emmène applaudir les acrobates, au Regent Theatre, qui fait l'angle de la 1 1 6 et de Lennox avenue.

Aller au théâtre, c'est la plus belle ré- compense qui soit, pour le petit garçon. Fasciné par la mise en scène, les décors et le jeu des acteurs, il sent déjà naître en lui les prémices d'une irrésistible vocation.

Joe Dassin inconnu Qui était vra iment

Joe Dassin ?

Qui se cachait sous

le masque du cow-boy nonchalant à la voix de velours, au

sourire mélancolique et aux innombrables disques d 'or ? Qui était l 'homme, derrière les paillettes de la gloire ? « Je ne suis que le specta- teur de moi-même », répondait-il, dans une boutade.

Fils du réalisateur Jules Dassin, chassé de

Hollywood par le maccarthysme, Joe a suivi son père dans les chaos de l'exil. Brillant

universitaire et docteur en ethnologie, il s'était converti à la chanson

populaire mais l'intellectuel qui bouillonnait en lui n 'en finissait plus

de se remettre en question et d'envisager d 'autres formes d'existence. Bourré de témoignages et d'anecdotes,

ce livre lève le voile sur la person- nalité inconnue, riche et multi-

ple, du chanteur disparu.

Journaliste et écrivain, Betty Truck a rencontré Joe Dassin alors qu 'il n 'était encore qu un jeune Américain fraîchement débarqué à Par is . Quelques années plus tard, elle devait le retrouver, au faîte de sa carrière. Ses longues conversations avec Joe et Christine, sa femme, lui ont inspiré cet ouvrage.

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