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1 JOHN HENRY NEWMAN L’ANTICHRIST Traduit de l’anglais par Renia Catala et Grégory Solari Traductions des citations bibliques et patristiques de Pierre- Yves Fux Introduction et notes de Grégory Solari Préface de Louis Bouyer Prends garde à toi, homme : Tu entends les signes de l’Antichrist. Ne sois pas seul à les garder en mémoire, mais donne-les sans retenue en partage à tous. Cyrille de Jérusalem LES TEMPS DE L’ANTICHRIST Que nul ne vous trompe d’aucune manière : ‘rien n’arrivera’ si l’apostasie n’est pas venue d’abord, et que ne s’est pas révélé l’homme de l’iniquité, le fils de la perdition. 2 Th 2, 3. Les chrétiens de Thessalonique s’étaient figuré que le retour du Christ était imminent. Saint Paul écrit pour les garder d’une telle attente. Non pas qu’il veuille les décourager de guetter la venue du Christ, bien au contraire, mais il les prévient qu’un certain événement devra la précéder — et tant que « cela » n’aura pas eu lieu, la fin ne sera pas. Parce que ‘rien n’arrivera’, affirme-t-il, si l’apostasie n’est pas venue d’abord. Aussi longtemps que durera le monde, ce passage de l’Écriture ne cessera d’éveiller, chez les chrétiens, une curiosité mêlée de révérence. C’est leur devoir, en effet, de guetter sans relâche l’avènement de leur Seigneur, d’en chercher les présages dans tout ce qui se produit autour d’eux, et surtout de garder en mémoire le signe grave et redoutable dont fait mention notre texte. Il n’est donc pas hors de propos, en cette saison de l’année où nous tournons nos pensées vers la venue du Christ, de passer en revue les avertissements de l’Écriture qui concernent son pré- curseur. C’est ce que je me propose de faire maintenant en plusieurs sermons, et ce faisant je me mettrai sous la conduite exclusive des Pères de L’Église.

John-Henry Newman, L'Antichrist, 1835 - 01 : Les Temps de l'Antichrist

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C'est pendant l'Avent de 1835, pendant qu'il était encore Anglican, que Newman prêcha ce qu'il est convenu d'appeler : Les quatre sermons sur l'Antéchrist... Cette oeuvre, écrite d'abord pour être prêchée, fit rapidement autorité en la matière car elle reposait sur des sources sûres à savoir les écrits de la Bible concernant le règne de l'Antéchrist, l'enseignement des Pères et des Docteurs de l'Église, de même que la Tradition. Chacun des quatre sermons portait sur un thème spécifique : 1. Les Temps de l'Antéchrist ; 2. La Religion de l'Antéchrist ; 3. La Cité de l'Antéchtrist ; 4. La Persécution de l'Antéchrist.

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    JOHN HENRY NEWMAN

    LANTICHRIST Traduit de langlais par Renia Catala et Grgory Solari

    Traductions des citations bibliques et patristiques de Pierre- Yves Fux

    Introduction et notes de Grgory Solari

    Prface de Louis Bouyer

    Prends garde toi, homme : Tu entends les signes de lAntichrist.

    Ne sois pas seul les garder en mmoire, mais donne-les sans retenue en partage tous.

    Cyrille de Jrusalem

    LES TEMPS DE LANTICHRIST

    Que nul ne vous trompe daucune manire : rien narrivera si lapostasie nest pas venue dabord, et que ne sest pas rvl lhomme de liniquit, le fils de la perdition.

    2 Th 2, 3.

    Les chrtiens de Thessalonique staient figur que le retour du Christ tait imminent. Saint Paul crit pour les garder dune telle attente. Non pas quil veuille les dcourager de guetter la venue du Christ, bien au contraire, mais il les prvient quun certain vnement devra la prcder et tant que cela naura pas eu lieu, la fin ne sera pas. Parce que rien narrivera, affirme-t-il, si lapostasie nest pas venue dabord.

    Aussi longtemps que durera le monde, ce passage de lcriture ne cessera dveiller, chez les chrtiens, une curiosit mle de rvrence. Cest leur devoir, en effet, de guetter sans relche lavnement de leur Seigneur, den chercher les prsages dans tout ce qui se produit autour deux, et surtout de garder en mmoire le signe grave et redoutable dont fait mention notre texte. Il nest donc pas hors de propos, en cette saison de lanne o nous tournons nos penses vers la venue du Christ, de passer en revue les avertissements de lcriture qui concernent son pr-curseur. Cest ce que je me propose de faire maintenant en plusieurs sermons, et ce faisant je me mettrai sous la conduite exclusive des Pres de Lglise.

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    Si je choisis de suivre les anciens Pres, cest sans pour autant leur reconnatre sur ce sujet lautorit quils ont en matire de doctrines ou de rites. Quand ils parlent de doctrines, ils enten-dent des doctrines universellement professes. Ils sont tmoins du fait quelles taient reues, non pas ici ou l, mais en tous lieux. Ces doctrines, nous ne les acceptons donc pas simplement parce quils les soutiennent, mais parce quils portent le tmoignage qualors, partout, tous les chrtiens les professaient. Et quoique nous tenions les Pres pour des sources dignes de foi, lautorit que nous leur reconnaissons, si elle ntait que personnelle, nous serait insuffisante. Sils venaient soutenir exactement les mmes doctrines, mais en disant : Telles sont nos opi-nions ; nous les avons dduites de lcriture et elles sont vraies , nous pourrions hsiter les recevoir de leurs mains. Nous pourrions juste titre allguer un droit gal tirer nos propres d-ductions de lcriture dire que les interprtations de lcriture ne sont que des opinions, et que si les ntres rejoignaient les leurs, ce serait l une heureuse concidence qui fortifierait dautant notre confiance en eux ; sinon, il ny aurait rien dautre faire que de suivre notre propre lumire. En matire de foi, aucun homme na le droit dimposer un autre ses propres dductions. Il y a certes, pour les ignorants, lobligation vidente de se soumettre plus instruits queux, et il est dans lordre des choses que pour un temps les jeunes reoivent sans condition lenseignement de leurs ans ; mais, en-dehors de cela, lopinion dun homme ne vaut pas mieux que celle dun autre.

    Toutefois, en ce qui concerne les premiers Pres, la question nest pas l : ils ne font pas tat de leur opinion personnelle ; ils ne disent pas : Cela est vrai parce que nous le voyons dans lcriture , au sujet de laquelle les interprtations peuvent diverger, mais ils disent : Cela est vrai parce que, de fait, cela est cru, et la toujours t, dans toutes les glises, sans aucune inter-ruption, depuis les aptres jusqu nous . (1) La question qui se pose alors est simplement celle du tmoignage, celle des moyens leur disposition pour savoir sil en avait t ainsi et sil en tait toujours ainsi ; car si telle tait bien la tradition suivie par tant dglises, dans un mme temps et indpendamment les unes des autres et, semble-t-il, depuis les aptres, il ne fait pas de doute que cette tradition ne puisse tre que vraie et apostolique.

    Voil comment les Pres sexpriment en matire de doctrine ; il en va autrement quand ils inter-prtent les prophties. Sur ce sujet, il semble ny avoir eu de traditions ni catholiques, ni univer-selles, ni ouvertement exposes ; et quand ils interprtent, les Pres, dans la plupart des cas, insistent sur le fait quils noncent soit leurs opinions personnelles soit des traditions non certi-fies. Il ny a l rien dtonnant, puisquil nest pas dans le cours habituel de la divine Providence de donner linterprtation de la prophtie avant lvnement.

    Ce que les aptres dvoilaient de lavenir ltait en gnral un petit cercle, (2) quelques indivi-dus ; ce ntait ni consign ni destin ldification du Corps du Christ, et devait bientt se perdre. Ainsi, quelques versets aprs notre texte, saint Paul crit : Ne vous rappelez-vous pas qutant encore chez vous je vous disais cela ?(a) ; et il sexprime mots couverts, par allusions, sans sexpliquer ouvertement. On voit dailleurs le peu de souci quon apportait discerner et authentifier ses paroles prophtiques dans le fait que les Thessaloniciens avaient adopt lopinion que selon lui ce quil navait jamais dit le retour du Christ tait imminent.

    Bien que les Pres ne nous transmettent pas linterprtation des prophties avec la mme certi-tude quils nous transmettent la doctrine, ils mritent nanmoins, proportion de leur consente-ment, de leur autorit personnelle et de ladhsion de leur temps, ou de lautorit des sources dont ils se rclament, dtre lus avec dfrence (3) ; car, pour dire le moins, il y a autant de pro-babilit quils soient dans le vrai que les commentateurs daujourdhui ; certains gards mme davantage, dans la mesure o, de nos jours, linterprtation des prophties est devenue matire controverse et prise de parti. La passion et les prjugs ont tel point affect la qualit du jugement quil est difficile de savoir qui se fier, et on peut se demander si un simple chrtien ne serait pas un aussi bon exgte que ceux qui en assument loffice.

    a 2 Th 2, 5.

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    1. Venons-en maintenant au texte qui nous occupe, que jexaminerai en mappuyant sur des ar-guments tirs de lcriture, sans me proccuper dtre daccord avec les commentateurs mo-dernes, ni de dire en quoi je ne le suis pas. Rien narrivera, si lapostasie nest pas venue dabord. Il nous est dit que deux vnements prcderont la venue du Christ : une apostasie ef-frayante, puis lapparition de lhomme impie, le fils de perdition celui quon appelle commun-ment lAntichrist. Notre Sauveur prcise que cela le prcdera immdiatement, ou que sa venue suivra de trs prs. Aprs avoir voqu les faux prophtes et les faux christs, produisant des signes et des prodiges,(a) et parl de labondance de liniquit et de la charit qui se refroidira,(b) il ajoute en effet : Quand vous verrez toutes ces choses, sachez que cest proche, aux portes. (4) Il insiste : Quand donc vous verrez lAbomination de la dsolation (...) se dressant dans le lieu saint (..) alors, que ceux qui sont en Jude senfuient vers les montagnes !(c) Et cest bien cette proximi-t que saint Paul laisse entendre quand il dit que lAntichrist sera ananti par lirradiance de lavnement du Christs. (5)

    Or, si lAntichrist doit prcder immdiatement le Christ et tre le signe de son avnement, il nest manifestement pas encore venu, et il est toujours venir. Le fait que sa tyrannie durera trois ans et demi est une raison supplmentaire de penser quil nest pas venu, car si tel tait le cas, tant donn la brivet de son passage, il devrait tre venu tout rcemment, et cela, rien ne nous per-met de le dire.

    De plus, il y a deux autres vnements lis son apparition qui ne se sont pas encore accomplis. En premier lieu, une priode de troubles jusquici sans exemple : Il y aura alors en effet une grande tribulation, telle quil ny en a pas eu depuis le commencement du monde jusqu mainte-nant, et quil ny en aura plus jamais. Et si ces jours-l navaient t abrgs, nulle chair naurait t sauve.(d)

    Cela nest pas arriv. En deuxime lieu, la prdication de lvangile travers le monde entier : Et lon proclamera cet vangile du Royaume dans toute la terre habite, en tmoignage pour toutes les nations, et alors viendra la fin.(e)

    On serait en droit dobjecter cette conclusion que, dans notre texte, saint Paul dit que le mys-tre de liniquit exerce dj son influence,(f) cest--dire de son temps mme, comme si lAntichrist tait de fait dj venu. Mais il est aussi possible que saint Paul ait seulement voulu dire quil distinguait des ombres et dobscurs prsages, les prmices de lactivit qui un jour se dploierait dans toute son ampleur. Car, de mme que les figures du Christ ont annonc le Christ, les ombres de lAntichrist prcdent celui-ci. Chaque vnement dans ce monde est une figure de ceux qui le suivent, lhistoire se dveloppant comme une spirale qui va toujours slargissant. (6) Les jours des aptres prfiguraient les derniers jours : il y avait eu de faux christs, des bouleversements, puis vint le vrai Christ en juge, qui mit fin lglise judaque. (7) De la mme manire, chaque poque prsente sa propre image de ces vnements futurs qui, seuls, seront le vritable accomplissement de la prophtie qui les rgit tous. Cest ce qui fait dire saint Jean : Petits enfants, cest la dernire heure, et de mme que vous avez entendu quun Antichrist venait, maintenant aussi sont apparus de nombreux Antichrists ; de l nous connaissons que cest la dernire heure.(g) Ainsi lAntichrist avait paru et navait pas paru ; ctait et ce ntait pas la der-nire heure. Dans le sens o les jours de lAptre taient le dernier temps du monde, ils taient aussi le temps de lAntichrist.

    Cela admis, on pourrait avancer une seconde objection, fonde sur la dclaration de saint Paul : Vous savez maintenant ce qui le retient, pour quil se rvle son moment.(h) Saint Paul nous dit que quelque chose empche la manifestation de lennemi de la vrit, et il poursuit : Il y a seule-

    a Mt 24, 24 b Mt 24, 12. c ibid. 24, 15-16. d Ibid. 24, 21.22. e Mt 24, 14. f 2 Th 2, 7. g 1 Jn 2, 18. h 2 Th 2, 6.

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    ment celui qui le retient, en ce moment mme, jusqu ce quil soit cart.(a) Or, il est gnrale-ment admis que cette puissance qui fait obstacle est lEmpire romain, et puisque celui-ci, daprs ce que lon soutient, a t depuis longtemps cart, il faudrait conclure que lAntichrist est venu depuis longtemps.

    Jadmets que ce qui retient , ou celui qui retient , reprsente la puissance de Rome, puisque tous les anciens auteurs en parlent ainsi. (8) Et de mme que Rome, selon la vision du prophte Daniel, a succd la Grce, jadmets que lAntichrist succde Rome, et que le Christ, notre Sauveur, succde lAntichrist.

    Mais il ne sensuit pas pour autant que lAntichrist soit venu, car je nadmets pas que lEmpire romain ait disparu. Loin de l : lEmpire romain subsiste aujourdhui encore. Son sort fut trs dif-frent de celui des trois autres monstres mentionns par le prophte, comme on peut sen con-vaincre par sa description : Voici, une quatrime bte, terrible, effroyable, dune force extraordi-naire : elle avait de grandes dents de fer, elle mangeait, broyait et foulait aux pieds ce qui restait. Elle tait diffrente de toutes les btes qui taient avant elle et elle avait dix cornes.(b) Ces dix cornes, lui dvoila un ange, sont dix rois qui se lveront de ce royaume,c de Rome. De mme que les dix cornes appartiennent la bte et nen sont pas spares, de mme les royaumes dans lesquels lEmpire romain sest morcel font partie de cet Empire mme dans la perspective de la prophtie, ils en sont la continuation, quelle que soit notre apprciation des modalits de lhistoire. Et comme ces cornes, ou royaumes, de fait existent toujours, il sensuit que nous navons pas encore vu la fin de lEmpire romain. Bien que ce soit sous la forme de ces dix cornes, ce qui retient existe toujours et, aussi longtemps que cet obstacle ne sera pas cart, lAntichrist ne viendra pas. Cest dau milieu delles quil surgira, comme le mme prophte nous le rvle : Je considrais les cornes, et voici, une autre corne, petite, sortit dentre elles (..) et voi-ci, cette corne, il y avait comme des yeux dhommes, et une bouche qui disait de grandes choses. (d)

    2. Maintenant, que nous disent sur lAntichrist les auteurs sacrs ? En tout premier lieu, conne on la vu, quil incarne un certain esprit qui existait du temps mme des aptres : Le mystre de liniquit exerce dj son influence(e) ; maintenant aussi sont apparus de nombreux Antichrists.(f) Ce quest cet esprit, saint Jean le rvle dans un chapitre suivant : Tout esprit qui ne confesse pas Jsus venu dans la chair nest pas issu de Dieu (9) ; cest l celui de lAntichrist, dont vous avez entendu quil venait, et qui maintenant est dj dans le monde. Par l nous percevons ce que sera sa doctrine, mais ce nest pas le point que je veux dvelopper pour linstant. Je veux parler de son activit, qui a commenc au temps des aptres, et qui sans aucun doute sest poursuivie depuis. Il nest pas douteux que ce principe malfique a t actif depuis lors, se mani-festant de temps en temps, tout en tant matris par celui qui retient . Bien plus : une lutte froce se droule en ce moment mme sous nos yeux entre lesprit de lAntichrist, cherchant se dresser, et le pouvoir politique dans les pays romains , au sens de la prophtie, qui le rpri-ment avec fermet et dtermination. Tenter dtablir en quoi consiste cet esprit sortirait de mon prsent propos, autant que de mtendre sur sa doctrine ; il reste quen ce moment mme, tout comme aux jours de nos pres, un principe acharn et anarchique est partout luvre un esprit de rbellion contre Dieu et contre lhomme, que malgr leurs plus grands efforts les puis-sances gouvernantes dans chaque pays parviennent peine contenir. Si ce phnomne dont nous sommes tmoins est lesprit de lAntichrist qui un jour sera lch, lesprit dambition, pre de toute hrsie, de tout schisme, de toute sdition, de toute rvolution et de toute guerre quil le soit ou non, il reste que le cadre actuel de la socit et du gouvernement, pour autant quil

    a Ibid. 2, 7. b Dan 7, 7. c Ibid 7, 24. d Dan 7, 8. e 2 Th 2, 7. f 1 Jn 2, 18.

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    symbolise la puissance romaine, semble tre ce qui retient , et lAntichrist, ce qui se dressera lorsque cet obstacle aura cd.

    3. Les remarques qui prcdent ont pu laisser entendre que lAntichrist est une personne, un in-dividu, et non une puissance ou un royaume. Cest assurment limpression que laissent lesprit les passages de lcriture qui le concernent, quand on a pleinement pris en compte le caractre mtaphorique du langage prophtique ; et telle tait bien luniverselle croyance de lglise primi-tive. Considrons dans leur ensemble les passages qui le dcrivent, et voyez sil ne nous faut pas conclure de mme. Tout dabord notre texte et les versets qui suivent : Parce que rien narrivera si lapostasie nest pas venue dabord, et que ne sest pas rvl lhomme de liniquit, le fils de la perdition, celui qui sest oppos et sest port au-dessus de tout ce qui est appel Dieu ou objet de vnration , au point de sasseoir dans le temple de Dieu, se montrant lui-mme comme tant Dieu. (..) Et alors se rvlera linique, que le Seigneur dtruira par le souffle de sa bouche et anantira par Iirradiance de son avnement ; or lavnement de celui-l, sous linfluence de Satan, est marqu par toute sorte de puissances, des signes, des prodiges men-songers.(a) Ensuite, des versets tirs du prophte Daniel : Un autre se lvera aprs eux, il sera dif-frent des prcdents et abaissera trois rois. Il profrera des paroles contre le Trs-Haut, il prou-vera les saints du Trs-Haut ; il mditera de changer les temps et la loi, et les saints seront livrs entre ses mains pour un temps, des temps et un demi-temps.(b) Et encore : sa place se lvera un misrable, qui lhonneur de la royaut ne sera pas donn ; il viendra sans bruit et prendra possession du royaume par des intrigues (...). Il sduira par des paroles captieuses ceux qui transgressent lAlliance, mais le peuple de ceux qui connaissent leur Dieu se fortifiera et agira (). Le roi fera ce qui lui plaira ; il senorgueillira et slvera au-dessus de tout dieu, et contre le Dieu des dieux il dira des choses inoues ; il prosprera jusqu ce que la colre soit consomme (...). Pour les dieux de ses pres, il naura pas dgards : pour celui qui est le dsir des femmes, pour aucun dieu, il naura dgards, car au-dessus de tous, il sexaltera. Mais en son lieu, il honorera le dieu des forteresses ; et pour un dieu que nont pas connu ses pres, il rendra des honneurs avec de lor, de largent, des joyaux et des objets de prix.(c) Notons quailleurs Daniel dcrit des rois que lhistoire a manifests en tant quindividus, ce quon reconnat couramment. Les paroles de saint Jean vont dans le mme sens : II lui fut donn une bouche disant des paroles considrables et des blasphmes, et il lui fut donn la puissance doprer durant quarante-deux mois. Elle ouvrit sa bouche pour dire des blasphmes lgard de Dieu, pour blasphmer son Nom et son Taber-nacle, ainsi que ceux qui ont leur tabernacle dans le ciel. Il lui fut donn de mener la guerre contre les saints et de les vaincre, et il lui fut donn une puissance sur toute tribu, peuple, langue et na-tion. Tous ceux qui habitent sur la terre ladoreront, ceux dont le nom nest pas crit dans le Livre de Vie de lAgneau immol depuis la fondation du monde. (d)

    Quon puisse entendre, par Antichrist, une personne singulire est de plus rendu vraisemblable par le fait que plusieurs individus sont dj apparus au cours de lhistoire, rpondant largement aux descriptions qui prcdent ; cette circonstance fonde la probabilit que laccomplissement venir, dans toute sa plnitude, se fera lui aussi dans un individu.

    De ces figures obscures du mal venir, la plus remarquable sest manifeste avant le temps des aptres, entre leur poque et celle de Daniel. Il sagit du roi paen Antiochus, dont nous parlent les livres des Maccabes. Cet exemple convient dautant mieux quAntiochus est effectivement dcrit par Daniel, dans une autre partie de sa prophtie, en des termes (cest en tout cas ce que nous supposons) qui semblent dsigner aussi bien lAntichrist, et qui, le dsignant, permettent dinfrer quAntiochus fut ce quil parait tre : une figure de celui qui sera le plus redoutable en-nemi de lglise. Cet Antiochus fut limplacable perscuteur des juifs, dans leurs derniers jours, comme lAntichrist le sera des chrtiens. Quelques passages des Maccabes suffiront vous montrer qui il tait. Dans notre texte, saint Paul parle dune apostasie suivie de prs par

    a 2 Th 2, 3-4.8-9. b Dan 7, 24-25. c Dan 11, 21.3136.37-38, d Ap 13, 5-8.

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    lAntichrist : lavenir est ainsi prfigur dans lhistoire juive. En ces jours-l sortirent dIsral des fils impies et ils convainquirent un grand nombre, disant : Mettons-nous en route et concluons une alliance avec les nations qui nous entourent, parce qu partir de celle par laquelle nous avons t spars delles, nous avons trouv de nombreux maux. Ce discours sembla bon leurs yeux, et certains du peuple furent pleins dardeur et se mirent en route auprs du roi, et il leur donna licence de pratiquer les usages prescrits chez les nations. Et ils construisirent un gym-nase Jrusalem, selon les usages des nations, et ils se firent des prpuces, dsertrent lAlliance sainte, se mirent au joug des nations et se vendirent pour faire le mal.(a) Aprs cette in-troduction, lEnnemi de la vrit apparat : Antiochus revint sur ses pas, aprs avoir battu lgypte (...) et monta contre Isral, monta sur Jrusalem avec une arme puissante. Il entra dans le Sanc-tuaire avec arrogance et prit lautel dor, le candlabre du luminaire et tous ses accessoires, la table de proposition, les vases libation, les coupes, les cassolettes dor, le voile, les couronnes et la dcoration en or sur la faade du Temple, et il enleva tout (). Ayant tout pris, il sen alla dans son pays. Il fit un massacre et parla avec une grande arrogance.(b) Ensuite, il mit le feu J-rusalem, il abattit ses maisons et les murailles tout autour (). Ils construisirent la cit de David avec une muraille grande et forte (). Ils mirent l une nation pcheresse, des hommes impies, et ils se fortifirent en elle.(c) Puis le roi Antiochos crivit tout son royaume que tous devaient for-mer un seul peuple, et que chacun devait abandonner ses usages. Toutes les nations se confor-mrent fa parole du roi. DIsral, beaucoup consentirent son cuite, sacrifirent aux idoles et profanrent le sabbat.(d) Aprs cela il fora les Isralites commettre ces sacrilges, faisant mettre mort tous ceux qui refusaient de profaner les sabbats et les ftes, de souiller Sanctuaire et saints, de construire autels, enceintes sacres et idoles, de sacrifier porcs et btail et de laisser leurs fils incirconcis.(e) Pour finir il dressa une idole ou, selon les mots mmes du rcit, lAbomination de la dsolation sur lautel ; dans les cits de Juda, alentour, ils construisirent des autels (..). Les livres de la Loi quils trouvrent, ils les brlrent dans un feu, en les lacrant.(f) Il est dit aussi que beaucoup en Isral saffermirent et se fortifirent en eux-mmes pour ne pas manger daliments impurs ; ils sexposrent la mort (...) et une immense colre plana sur Isral.(g) On nous donne ici quelques linaments de lAntichrist qui sera tel, et mme pire quAntiochus.

    Lhistoire de lempereur apostat julien, qui vcut entre 300 et 400 aprs Jsus-Christ, fournit une autre approximation du futur Antichrist, et une raison supplmentaire de penser que celui-ci sera, non pas un royaume ou quelque puissance du mme ordre, mais bien une personne.

    Tel est aussi le cas du faux prophte Mahomet, qui propagea son imposture environ six cents ans aprs que le Christ fut venu.

    Enfin il y eut, dans la gnration qui nous a prcds, et dans notre enfance mme, des vne-ments qui semblent donner plus de probabilit encore lhypothse que lAntichrist sera une personne singulire, et non pas plusieurs individus agissant ensemble.

    Tout ce que je viens de dire sur ce sujet pourrait se rsumer ainsi : nous savons que la venue du Christ sera immdiatement prcde dun dchanement du mal tout fait terrifiant, sans quiva-lent, que notre texte nomme apostasie : dfection du milieu de laquelle surgira un individu ef-frayant, homme de pch et fils de la perdition, lennemi spcifique et singulier du Christ lAntichrist ; nous savons que ceci aura lieu lorsque le cadre actuel de la socit se sera effondr sous le coup des rvolutions ; nous savons aussi que lesprit quil incarnera se trouve pour linstant contenu par les pouvoirs en place , mais qu leur clatement il sortira de leur sein et, selon les rgles de son art pervers, les ranimera et, sous son empire, les reconstituera en un seul corps,(h) tous, lexclusion de lglise.

    a 1 Mac 1, 11-15. b Ibid. 1, 20-24. c Ibid. 1, 31.33.35. d I Mac 1, 41-43. e Ibid. 1, 45-48. f Ibid. 1, 54. 56. g Ibid, 1, 62-64, h Cf. Eph. 4, 16 et Col 2, 19. Voir note 19, p. 137.

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    4. Il serait hors de mon propos den dire davantage pour linstant. Je conclurai en attirant votre attention sur un dtail particulier du texte, que jai dj en partie comment.

    Il nous est dit que lapostasie viendra et que se rvlera lhomme de liniquit. En dautres termes, cela signifie que lhomme de pch natra dune apostasie, du moins arrivera au pouvoir par le moyen dune apostasie, ou bien sera prcd dune apostasie, ou simplement ne pourra tre sans une apostasie. Cest ainsi que sexprime le texte inspir. Observez maintenant de quelle faon admirable le cours de la Providence, tel quil transparat dans lhistoire, a donn linterprtation de cette prdiction.

    Le premier commentaire nous est donn par le cas dAntiochus, antrieur la prophtie, comme je lai dj fait remarquer. Les Isralites, du moins un grand nombre dentre eux, abandonnrent leur religion dans ce quelle avait de plus sacr et, alors seulement, il fut accord lennemi de faire irruption.

    Lexemple suivant nous est fourni par lempereur apostat Julien qui, par la ruse, tenta de renver-ser lglise et de rinstaurer le paganisme. (10) Il fut prcd, bien plus, nourri, par la premire grande hrsie qui troubla la paix et la puret de lglise. Environ quarante ans avant son acces-sion au trne, se leva cette contagieuse hrsie arienne (11) qui niait la divinit du Christ. Comme une gangrne, elle fit son chemin parmi les hirarques de lglise, si bien quun matin, la tratrise des uns et les erreurs des autres aidant, elle domina sur presque tout lunivers chrtien. Devant cette apostasie, les quelques saints hommes qui, rests fidles, tmoignaient de la Vrit scrirent, pleins deffroi, que lAntichrist tait sur le point darriver. Ils appelrent lapostasie : le prcurseur de lAntichrist .(a) Et, en effet, lOmbre de celui-ci apparut. Julien fut duqu dans le sein de larianisme par ses principaux dfenseurs, son prcepteur tant cet Eusbe (12) dont les partisans tirrent leur nom. Comme il tait prvoir, il dvia vers le paganisme, devint le per-scuteur acharn de lglise et fut emport avant que son rgne ait pu couvrir le bref espace de temps qui sera celui du vritable Antichrist.

    La grande hrsie suivante, aux consquences bien plus durables et de plus grande envergure, eut un caractre double, ayant, si je puis dire, deux ttes : le nestorianisme et leutychianisme, (13) en apparence opposs lun lautre mais unis dans leur fin : niant, dune faon ou dune autre, la ralit de la misricordieuse incarnation du Christ et dtruisant la foi des chrtiens plus insidieusement, mais non moins srement, que lhrsie dArius. Elle se rpandit en Orient et en gypte, altrant et empoisonnant ces glises qui, hlas pour un temps seulement, avaient t les plus florissantes premires demeures et forteresses de la vrit rvle. Cest de cette hrsie, ou du moins grce elle, que limposteur Mahomet sortit et forma sa foi. (14) Cest, l encore, une Ombre remarquable de lAntichrist.

    Pour ce qui est du quatrime et dernier exemple, que je pourrais relever dans la gnration qui a immdiatement prcd la ntre, je me bornerai observer que cest pareillement dune aposta-sie que lOmbre de lAntichrist a surgi, dun abandon de la foi en faveur de doctrines infidles, et sans doute lapostasie la plus inique et la plus blasphmatoire que le monde ait jamais connue.(b)

    Ces exemples nous donnent un mme avertissement. Sil est vrai que lennemi du Christ et de Son glise doive surgir de quelque extraordinaire loignement de Dieu, ny a-t-il pas lieu de craindre quen ces jours mmes une telle apostasie ne soit en train de se prparer, de prendre forme, de sacclrer ? Nest-il pas vrai quen ce temps mme se manifeste un formidable effort, pratiquement dans le monde entier de faon intermittente, plus ou moins, manifestement ou secrtement, en telle place ou en telle autre, mais de la manire la plus visible, ou la plus ef-frayante, dans ses parties les plus civilises et les plus puissantes un effort pour se passer de la religion ? Nest-il pas vrai quexiste la conviction, avoue et croissante, quune nation na rien voir avec la religion et que celle-ci relve de la conscience personnelle de chacun ce qui re-vient dire quil serait possible de laisser la vrit steindre de la terre sans chercher la prser-ver ? Nest-il pas vrai que, dans tous les pays, se dveloppe un mouvement puissant et concert

    a CYRILL. HIEROS. catech, 15, 9 : C'est maintenant l'apostasie : en effet, les hommes se sont carts de la vraie foi (...). C'est donc maintenant l'apostasie, et l'on va attendre la venue de l'ennemi. ( Apostasie et s'carter de ont en grec la mme tymologie N.d.T.) b C'est la Rvolution Franaise et l'avnement de Napolon que Newman fait allusion ici. (N. d. T.)

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    pour renverser lglise du Christ de son pouvoir et de sa position ? Nest-il pas vrai que lon as-siste des tentatives fbriles et incessantes pour se dbarrasser de la ncessit de la religion dans les affaires publiques ? par exemple, la volont de se passer des serments, sous prtexte quils sont trop sacrs pour les affaires de la vie courante, au lieu de faire en sorte quon en use avec plus de rvrence et de considration ? la volont dorganiser lducation sans religion cest--dire, ce qui revient au mme, en mettant sur le mme plan toutes les formes de religion ? la volont de faire observer la temprance et les vertus qui en dcoulent, sans laide de la reli-gion, par le moyen de socits fondes sur le seul principe de lutilitarisme (15) ? la volont de faire de lutilit, et non de la vrit, la finalit et le critre des dcisions de ltat et de la constitu-tion des lois ? la volont de fonder sur la quantit et non sur la vrit le motif de garder ou de re-jeter tel article de foi, comme si lcriture nous donnait une raison quelconque de croire que la masse soit dans le vrai et le petit nombre dans le faux ? la volont de vider la Bible de son sens principal, en conservant tous les autres, pour nous amener croire quelle peut avoir cent signifi-cations diffrentes, toutes galement valables, ou, en dautres termes, ne pas en avoir du tout, ntre que lettre morte, bonne mettre lcart ? la volont deffacer de la religion les formes extrieures et objectives, tout ce qui se manifeste dans les rites ou peut sexprimer dans des crits, la volont de la confiner au domaine de notre sensibilit intrieure, et par l considrant quel point nos sentiments sont phmres, inconstants, vanescents la volont, en fait, de dtruire la religion ?

    En ces jours mmes, indniablement, une confdration du mal se constitue, prend la mesure de ses forces, dispose ses troupes aux quatre coins du monde et encercle lglise du Christ comme dans un filet, ouvrant la voie un universel abandon de la foi. Que cette apostasie soit prcis-ment celle qui va donner naissance lAntichrist, ou que celui-ci soit encore retard, nous ne pouvons le savoir ; quoi quil en soit, cette apostasie, ses signes et ses agents sont tous du Mau-vais et portent un got de mort. Quil nous soit pargn dtre lun de ces nafs pris dans ce lacet qui nous enserre ! Quil nous soit pargn dtre sduits par ces promesses flatteuses o Satan sait assurment cacher son poison. Pensez-vous quil soit assez malhabile dans son art pour vous proposer ouvertement et explicitement de le rejoindre dans son combat contre la Vrit ? Non, il vous prsente des appts pour vous attirer. Il vous promet la libert civile ; il vous promet lgalit ; il vous promet le commerce et la prosprit ; il vous promet lexemption des impts ; il vous promet des rformes. Telle est sa faon de masquer la vritable entreprise laquelle il vous attelle. Il vous invite linsubordination envers vos dirigeants, envers vos suprieurs ; le faisant lui-mme, il vous incite limiter il vous promet lillumination vous offrant le savoir, la science, la philosophie, le dveloppement de vos facults. Il se raille des gnrations passes, il se raille de toute institution qui les respecte. Il vous souffle quoi dire, puis vous coute, vous compli-mente, vous encourage. Il vous pousse monter toujours plus haut. Il vous montre comment de-venir des dieux. Puis il rit et plaisante avec vous, gagne votre intimit ; il prend votre main, glisse ses doigts entre les vtres, les referme, et l vous lui appartenez.

    Nous qui sommes chrtiens, nous fils de Dieu, frres du Christ et hritiers de la gloire, allons-nous consentir avoir part ou hritage dans cette entreprise ?(a) Allons-nous, mme du petit doigt, aider au Mystre de liniquit qui est prs denfanter et dont les douleurs convulsent la terre ? Que dans leur conseil nentre pas mon me, que dans leur assemble nait pas de part mon esprit.(b) Quelle association entre la justice et limpit ? Quelle communion entre la lumire et les tnbres ? Quelle concorde entre le Christ et Bliar ? Quelle part entre le croyant et lincrdule ? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ? Car nous sommes, nous, le temple du Dieu vivant. Cest pourquoi sortez du milieu deux et sparez-vous (...) et ne touchez pas ce qui est impur, (c) de crainte dtre participants de luvre des ennemis de Dieu et de prparer la voie lhomme de limpit, au fils de la perdition.

    a Cf. Ac 8, 21. b Gn 49, 6. c 2 Co 6, 14-17.

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    Notes

    1) Cest en substance la Rgle de foi de saint Vincent de Lrins : quod ubique, quod semper, quod ab omnibus credituni est (ce qui a t cru partout, toujours et par tous). Lenseignement de ce thologien du Ve sicle affleure dans ce passage relatif lusage et lautorit des Pres. 2) Newman peut fonder son affirmation sur Clment dAlexandrie qui, au IIe sicle, atteste lexistence dune tradition secrte des aptres, sagesse, science et comprhension de ce qui est, de ce qui sera, de ce qui a t, transmise et rvle par le Fils de Dieu quelques-uns, par succession depuis les aptres, par une tradition non crite, jusqu nos jours (Stromates VI, 61, 1-2). Clment semble tre le dernier tmoin de cet enseignement particulier, dont on trouve le fondement scripturaire dans lvangile de Marc (13, 3-5) : Pierre, Jacques, Jean et Andr interrogeaient Jsus, part : Dis-nous quand tout cela va sachever. Jsus commence leur dire (...) . 3) Face aux prtentions du rationalisme moderne, Newman, dans son article Prospects of the Anglican Church , a remarquablement justifi lexgse et la thologie des Pres : Nous vivons dans un sicle pratique, lge des Pres tait plus contemplatif. Leur thologie est trop profonde, trop mystique, trop subtile pour que, avec nos prsentes habitudes desprit, nous puissions la faire ntre. () Il se pourrait quun certain degr dlvation morale, que seuls les temps de perscution peuvent produire, ft ncessaire au plein exercice de linterprtation mystique. Se livrer ce travail, quand on nest pas comme entran par son propre cur, serait une profanation. Mieux vaut ne pas sen mler du tout. (Essays Critical and Historical, vol. I, Longmans, Londres 1871.) 4) Mt 24, 33. Sachez que cest proche , know that it is near : Newman suit lAuthorized Version, la Bible angli-cane de 1611, qui traduit par it is le grec . De fait, en grec (comme en latin), lexpression est elliptique et, par-tant, ambigu. On peut lgitimement hsiter ici sur le sujet donner au verbe tre : le Christ (cf. le texte qui pr-cde) ? les vnements (cf. le texte qui suit) ? Nonobstant sa reprise de lAuthorized Version, Newman tend ici impli-citement faire de lAntichrist mme le sujet de la proposition. Quoi quil en soit, dans les faits, ces divers sens pos-sibles se rejoignent, voire ne font quun. 5) Littralement, par lpiphanie de son avnement ; est traduit par brightness dans la Bible angli-cane, ce qui rend fidlement lide du dchanement de lumire qui anantira lennemi du Christ, comme le soleil met en fuite les tnbres (saint Jean Chrysostome). Les versions franaises traduisent le plus souvent par lclat de sa venue ; irradiance est certes audacieux, mais plus suggestif.

    6) En anglais, a circle ever enlarging . Limage voque des cercles concentriques en expansion mais, nous lavons vu dans lintroduction, elle ne rend pas compte de la continuit de lhistoire, telle que la prsente Newman, puisque les cercles se suivent mais restent dos sur eux-mmes. Bien que ce soit dans une perspective diffrente, mais non antinomique, on remarquera que cest galement par un mouvement circulaire que saint Thomas dAquin dcrit le retour de toutes choses, et donc de lhistoire, vers son origine divine : La totalit de luvre divine trouve son achvement en ceci que lhomme, dernire crature cre, revient sa source par une espce de cercle (circulo quodam), lorsque par luvre de lincarnation il se trouve uni la source des choses elle-mme (Compendium Thedogiae, 201). Et dans son commentaire du Livre des Sentences : (III d.2 q.1 a.1a, resp.) : (...) lhomme est la der-nire crature, pour ainsi dire lultime cre, dont la nature assume est la dernire rejoindre, par mode circulaire (per modum circuli), le premier principe . 7) (...) mit fin lglise judaque , mais dune fin qui, est un accomplissement : Je ne suis pas venu dtruire mais accomplir , dit Jsus. La substance du judasme authentique se perptue dans lglise, cest la thse que Newman dveloppera en novembre 1842, dans ses sermons XIV et XV, On Subjects af the Day. 8) lexception de saint Augustin, qui ne se prononce pas, cest en effet lopinion de la majorit des Pres de lglise, grecs et latins, dont, parmi les plus importants, saint Cyrille de Jrusalem (catech. 15, 12) : lAntichrist viendra lors-que le temps de lEmpire romain sera rvolu ; saint Jrme (epist. 121 ad Algasiam) : Le Christ ne viendra pas avant que lAntichrist ne lait prcd et que lEmpire romain ait t dvast : saint Jean Chrysostome (in ep. II ad Thess. 2, hom. 4) ; Les uns disent que cest la grce du Saint-Esprit qui retient lAntichrist, les autres lEmpire ro-main. Cest ces derniers que je donne mon plein assentiment. ces citations, on peut ajouter celle de Tertullien, le plus imptueux des Pres de lglise dAfrique, le matre de saint Cyprien, qui lglise latine doit lessentiel de son vocabulaire thologique. En 197, dans son Apologeticum adress lempereur Septime-Svre, alors que la religion du Christ est frappe dun interdit imprial et que fait rage la perscution contre les chrtiens dAfrique, Tertullien

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    crit : Nous avons un autre motif, plus pressant encore, de prier pour les empereurs, mme pour la prosprit de lEmpire tout entier et pour la puissance romaine : nous savons, en effet, que la terrible catastrophe suspendue au-dessus de la terre entire, et la clture du temps elle-mme (ipsarnque clausularn saecul) qui nous menace dhorribles calamits, ne sont retardes que par le rpit accord lEmpire romain. Nous ne tenons pas en faire lexprience et, en priant pour quelles soient diffres, nous contribuons la longue dure de lEmpire romain (apol. 32, 1). Tmoignage dautant plus impressionnant que ni les circonstances ni la personnalit de lauteur Ter-tullien ntait pas homme de compromis ne le conduisaient porter lEmpire romain une admiration mme modre. 9) 1 Jn 4, 3. Qui ne confesse pas Jsus , ou, selon la Vulgate et trois versions patristiques anciennes, indiques parfois en marge dans les manuscrits grecs, qui dissout Jsus ; le pch contre Jsus-Christ est de sparer ses deux natures, lhumaine et la divine. La division est luvre propre du diable, le, diviseur en grec. 10) Dans sa tentative phmre de restauration du paganisme, lempereur Julien, qui rgna de 361 363, ne dclen-cha pas de perscution gnrale contre les chrtiens mais employa deux moyens, indirects et complmentaires, pour miner lglise. Parodiant celle-ci, il commena par doter le paganisme dune organisation de type piscopal et imposa ses grands prtres des devoirs de charit, ce qui valut ses manuvres dtre taxes de grimaces de singe par saint Grgoire de Nazianze, son ancien compagnon dtudes Athnes, qui avait dj peru la duplicit du futur empereur. (orat. 4, 112.) En outre, sous prtexte de tolrance religieuse, Julien dcrta la neutralit de ltat dans les conflits entre chrtiens. Il fit rappeler les vques fidles aux dcrets du concile de Nice, exils par Constance, et leur restitua leurs biens, tout en ne prenant aucune mesure contre les ariens. En consquence de quoi certains siges, dont celui dAntioche, se virent disputs entre plusieurs prlats. Affaiblir lglise en exacerbant ses divisions, ce fut l toute la politique de Julien. (Cf. Sozomne 5, 16.) 11) Arius, prtre de lglise dAlexandrie au IVe sicle, niait la divinit du Fils et rservait celle-ci au Pre seul, faisant de Jsus la premire et la plus parfaite crature. Lhrsie arienne trouva en saint Athanase, en Orient, et saint Hi-laire en Occident, ses irrductibles adversaires. Plus encore que le concile de Nice qui dfinit le Fils consubstantiel au Pre, cest celui dphse, en proclamant Marie Deipara, Mre de Dieu, qui mit terre toutes les formes darianisme. Dans lun de ses premiers sermons catholiques, Newman crira : La confession que Marie est Mre de Dieu est le sceau par lequel nous protgeons la doctrine des aptres de toute dviation ; elle est le critre qui nous permet de dtecter toutes les prtentions de lAntichrist. Elle affirme que le Christ est Dieu ; elle implique quil est homme ; elle nous suggre quil reste Dieu bien quil se soit fait homme, et quil est rellement homme bien quil soit Dieu. (...) Cest pourquoi lorsque, au XVIe sicle, les esprits trompeurs et les faux prophtes revinrent lassaut, ils savaient parfaitement que sils pouvaient seulement amener le monde refuser la vnration due la Mre, le Fils cesserait bientt dtre ador. Lexprience de trois sicles la confirm (...) : les catholiques, qui nont pas cess de vnrer la Mre, adorent toujours le Fils, tandis que les protestants qui ont maintenant cess de confesser le Fils, commencrent par faire de la Mre un objet de rise. (Discourses to Mixed Congregations, n 17, Burns, Oates & Co, Londres 1849.) En 1829, Newman avait consacr son premier livre aux Ariens du quatrime sicle. Lorsque, dix ans plus tard, il prit conscience de la position semi-arienne de langlicanisme, il perdit toute confiance en lglise dont il dfendait les titres apostoliques face Rome. Cest l que se trouve la raison dcisive de sa conversion. 12) Lors des dbats du concile de Nice, on vit rapidement se former un tiers-parti, dont le but tait de sauver larianisme en adoucissant ses formules et dviter ainsi des dclarations dogmatiques trop catgoriques et trop nettes. Cest au chef de ce parti, Eusbe de Nicomdie, que fait allusion Newman. Aprs la condamnation dArius, une nouvelle forme darianisme fut propage par les eusbiens, dont Newman, dans les Ariens du quatrime sicle, dit navoir trouv dans leur pense fluctuante pas dautre constance que celle de leur haine du Mystre sacr du Christ . 13) Pour Nestorius, patriarche de Constantinople au Ve sicle, lhumanit du Christ nest unie la divinit que par une forme suprieure de grce, chaque nature conservant sa personnalit : cest nier lunion des deux natures dans lunique Personne divine du Christ. Lhrsie dEutychs, archimandrite dun couvent de Constantinople, est plus difficile caractriser, Elle revient exagrer lunit des natures dans le Christ jusqu dissoudre lhumanit dans sa divinit : cest nier la distinction des natures dans lunique Personne du Christ. Ces deux hrsies se brisrent contre la dfinition du pape saint Lon le Grand : Nous enseignons un seul et mme Fils, notre Seigneur Jsus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, consubstantiel au Pre par sa divinit, consubstantiel aux hommes par son humanit (...) que nous reconnaissons tre en deux natures, sans confusion, ni transformation, ni division, ni sparation entre elles,

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    subsistant en une seule Personne . Grande hrsie ayant deux ttes , crit Newman ; deux ttes comme deux natures : lune tourne vers la division, lautre vers la confusion, avers et revers de la personnalit de Satan. 14) Cest effectivement ce que soutiennent les Pres grecs contemporains de lapparition de lIslam, et notamment lun de leurs plus grands Docteurs : saint Jean Damascne, qui eut probablement connaissance du Coran, puisque son pre, tout en tant profondment chrtien, fut responsable des finances du nouvel Empire musulman et ami intime du Calife Yezid ler, deuxime successeur lgitime du Prophte La christologie du Coran trahit des in-fluences nestoriennes et, plus loin, ariennes, hrsies qui, en Arabie et en Afrique du Nord, ont fait le lit de lIslam don lexpansion sest arrte aux portes de lOccident rest catholique. On peut certes trouver excessif le terme dimposteur, mais cest oublier que le Coran nie explicitement la Trinit, la divinit de Jsus-Christ et la ralit de sa Passion dans la chair ; cest oublier que Newman a rapport laffirmation de saint Jean : celui qui ne confesse pas Jsus venu dans la chair, celui-l est lAntichrist, sentence qui, nonobstant le mystre de lapparition de lIslam, et les grandes figures spirituelles qui lont illustr, est dautorit divine pour un chrtien. 15) Selon les mots mmes de son concepteur, le philosophe anglais John Stuart Mill, lutilitarisme est la doctrine qui prend pour fondement de la morale lutilit ou le principe du plus grand bonheur, et qui soutient que les actions sont bonnes dans la mesure o elles tendent augmenter le bonheur, mauvaises en tant quelles tendent en pro-duire le contraire. Par bonheur, on entend le plaisir et labsence de douleur ; par son contraire, la douleur et labsence de plaisir. (Utilitarianism, 1863.)