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John Rawls, Théorie de la justice Note : le présent résumé n’est que partiel puisqu’il ne rend compte que des chapitres importants de l’œuvre, conseillés par l’auteur lui-même. Préface Le point de départ de l’œuvre est une certaine lutte contre l’utilitarisme, c'est-à-dire contre Hume, Mill, Adam Smith et Bentham. Pour Rawls l’utilitarisme a dominé toute la philosophie morale contemporaine malgré ses défauts. En effet, pour lui, l’utilitarisme ne permet pas une morale systématique. « J’ai tenté de généraliser et de porter à un plus haut degré d’abstraction la théorie traditionnelle du contrat social telle qu’elle se trouve chez Locke, Rousseau et Kant ». Rawls se réclame ainsi comme kantien et ne prétend pas à l’originalité, cependant il a cherché à dégager l’implicite contenu dans le contrat social car il estime que c’est ce qui convient le mieux à une société démocratique. « J’ai essayé d’élaborer une théorie concrète de la justice ». Première partie : Théorie 1. La justice comme équité Ce chapitre d’introduction a pour vocation de présenter de manière informelle les grands traits de la théorie de la justice afin de préparer l’argumentation postérieure. Par conséquent Rawls va examine le rôle de la justice dans la coopération sociale, l’objet de la justice, c'est-à-dire l’organisation sociale, puis « l’idée principale de la justice comme équité » qui est une généralisation du contrat social. Ces analyses sont redoublées de considérations sur l’utilitarisme et l’intuitionnisme. 1. le rôle de la justice « La justice est la première vertu des institutions sociales » par conséquent « si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes ». La justice pose ainsi l’égalité de statut de tous, personne ne peut perdre sa liberté pour qu’un autre obtienne un plus grand bien. Ainsi, Rawls condamne l’esclavage. « Dans une société juste, l’égalité des droits civiques et des libertés pour tous est considérée comme définitive ». Ces premières lignes se fondent sur une analogie entre la vérité et la justice puisque la vérité ne souffre pas de compromis, Rawls déduit que la justice non plus. Le but de l’œuvre est ainsi de prouver ces convictions ou de les rejeter si elles ne sont pas fondées. Par conséquent il va falloir évaluer la théorie de la justice et pour cela en examiner les bases. Au titre de fondement de la société nous trouvons l’association puisqu’une « société est une association, plus ou moins autosuffisante, de personnes qui, dans leurs relations réciproques, reconnaissent certaines règles de conduites comme obligatoires, et qui, pour la plupart agissent en conformité avec elles ». Cependant cette société est prise dans un conflit d’intérêts entre l’intérêt individuel des membres et l’intérêt commun. Il faut ainsi instituer des règles de répartition des biens afin que cette répartition soit juste et instituer les droits et devoirs de chacun. Par conséquent il est nécessaire de fonder « la charte fondamentale d’une société bien ordonnée », cette charte repose sur un sens commun de la justice, sur une « conception publique de la justice » et la société est juste si ces principes de base se conforment à cette charte. L’utilité de cette charte est de limiter les exigences individuelles tout en soumettant tous les individus à la même loi. Cependant Rawls est conscient qu’aucune société ne réalise cet idéal puisque la justice est le sujet d’un débat. Mais il reste que tous les hommes ont une conception de la justice ce qui amène l’auteur à détacher le concept de justice de la pratique, selon lui tous les hommes reconnaissent la nécessité d’un ensemble de règles équitables. Dans la même ligne tous les hommes peuvent être d’accord sur la description « de ce que sont les juste institutions ». Cependant Rawls est conscient du fait que la justice n’est qu’un problème « local », en effet il faut aussi que les actions des hommes soient compatibles, efficaces, c'est-à-dire réalisent certains buts

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John Rawls, Théorie de la justice

Note : le présent résumé n’est que partiel puisqu’il ne rend compte que des chapitres importants de l’œuvre, conseillés par l’auteur lui-même.

Préface Le point de départ de l’œuvre est une certaine lutte contre l’utilitarisme, c'est-à-dire contre Hume, Mill, Adam Smith et Bentham. Pour Rawls l’utilitarisme a dominé toute la philosophie morale contemporaine malgré ses défauts. En effet, pour lui, l’utilitarisme ne permet pas une morale systématique. « J’ai tenté de généraliser et de porter à un plus haut degré d’abstraction la théorie traditionnelle du contrat social telle qu’elle se trouve chez Locke, Rousseau et Kant ». Rawls se réclame ainsi comme kantien et ne prétend pas à l’originalité, cependant il a cherché à dégager l’implicite contenu dans le contrat social car il estime que c’est ce qui convient le mieux à une société démocratique. « J’ai essayé d’élaborer une théorie concrète de la justice ».

Première partie : Théorie 1. La justice comme équité Ce chapitre d’introduction a pour vocation de présenter de manière informelle les grands traits de la théorie de la justice afin de préparer l’argumentation postérieure. Par conséquent Rawls va examine le rôle de la justice dans la coopération sociale, l’objet de la justice, c'est-à-dire l’organisation sociale, puis « l’idée principale de la justice comme équité » qui est une généralisation du contrat social. Ces analyses sont redoublées de considérations sur l’utilitarisme et l’intuitionnisme.

1. le rôle de la justice « La justice est la première vertu des institutions sociales » par conséquent « si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes ». La justice pose ainsi l’égalité de statut de tous, personne ne peut perdre sa liberté pour qu’un autre obtienne un plus grand bien. Ainsi, Rawls condamne l’esclavage. « Dans une société juste, l’égalité des droits civiques et des libertés pour tous est considérée comme définitive ». Ces premières lignes se fondent sur une analogie entre la vérité et la justice puisque la vérité ne souffre pas de compromis, Rawls déduit que la justice non plus. Le but de l’œuvre est ainsi de prouver ces convictions ou de les rejeter si elles ne sont pas fondées. Par conséquent il va falloir évaluer la théorie de la justice et pour cela en examiner les bases. Au titre de fondement de la société nous trouvons l’association puisqu’une « société est une association, plus ou moins autosuffisante, de personnes qui, dans leurs relations réciproques, reconnaissent certaines règles de conduites comme obligatoires, et qui, pour la plupart agissent en conformité avec elles ». Cependant cette société est prise dans un conflit d’intérêts entre l’intérêt individuel des membres et l’intérêt commun. Il faut ainsi instituer des règles de répartition des biens afin que cette répartition soit juste et instituer les droits et devoirs de chacun. Par conséquent il est nécessaire de fonder « la charte fondamentale d’une société bien ordonnée », cette charte repose sur un sens commun de la justice, sur une « conception publique de la justice » et la société est juste si ces principes de base se conforment à cette charte. L’utilité de cette charte est de limiter les exigences individuelles tout en soumettant tous les individus à la même loi. Cependant Rawls est conscient qu’aucune société ne réalise cet idéal puisque la justice est le sujet d’un débat. Mais il reste que tous les hommes ont une conception de la justice ce qui amène l’auteur à détacher le concept de justice de la pratique, selon lui tous les hommes reconnaissent la nécessité d’un ensemble de règles équitables. Dans la même ligne tous les hommes peuvent être d’accord sur la description « de ce que sont les juste institutions ». Cependant Rawls est conscient du fait que la justice n’est qu’un problème « local », en effet il faut aussi que les actions des hommes soient compatibles, efficaces, c'est-à-dire réalisent certains buts

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justes, et stables, c'est-à-dire qu’il faut punir les violations des lois et restaurer l’autorité de celles-ci. L’évaluation d’un système de justice doit ainsi être globale et non pas concentrée sur la seule distribution des biens. Ainsi le rôle de la justice est il d’assurer une équitable répartition des biens fondées sur l’égalité de statut de tous.

2. L’objet de la justice Rawls remarque l’extension du terme « juste » qui s’applique à des faits, des personnes, des traits de caractères, cependant il traite ici de justice sociale et à ce titre définit son objet comme « la structure de base de la société », c'est-à-dire la façon dont les institutions répartissent les biens fondamentaux et ceux tirés de la coopération sociale. Ces institutions sont la constitution et « les principales structures économiques ». Les exemples de justice sociale sont ainsi le respect des libertés, le marché concurrentiel etc. Ce choix est justifié par le fait que la « structure de base » influence la vie des citoyens et toutes les autres structures. Cette justification s’appuie sur le fait intuitif que la société favorise certaines positions sociales, ce qui affecte les chances de réussite. Rawls met ainsi au jour des inégalités qui selon lui ne peuvent pas être justifiées par le « mérite » ou la « valeur ». La justice sociale doit ainsi s’appliquer d’abord à ces inégalités. Par conséquent Rawls décide de ne traiter qu’une partie de la justice en isolant la structure de base de la société. En effet le « droit public international », par exemple, peut nécessiter d’autres principes. Cependant ce traitement est une propédeutique au traitement plus général de la justice dans son ensemble puisque l’auteur affirme que la valeur de la structure de base est évidente et que cet exemple permettra, grâce à des modifications théoriques, de statuer sur les autres cas. De plus Rawls raisonne dans le cas d’une société juste, concept sur lequel il faudra s’interroger et voir comment agir dans le cadre d’une société injuste. Voila pourquoi Rawls va opposer « obéissance stricte » (dans une société juste) et « obéissance partielle » (dans une société injuste). Rawls choisit de commencer par l’étude des conditions idéales pour comprendre les problèmes postérieurs. « Une conception de la justice pour la structure de base a une valeur intrinsèque ». « Une conception de la justice fournit donc, en premier lieu, un critère pour évaluer les aspects distributifs de la structure de base de la société », on comprend par conséquent que le choix de commencer par la situation idéale a aussi une valeur méthodologique puisque cette situation permet de servir de critère. Rawls fait ainsi la distinction entre la justice (définie comme « l’équilibre adéquat entre des revendications concurrentes ») et une conception de la justice qui contient les principes visant à assurer cet équilibre. Cependant, pour lui cette conception de la justice n’est pas en désaccord avec la tradition, avec Aristote par exemple, puisque toute considérations sur la justice entraîne une considération de ce qui appartient en propre à l’individu et ainsi une certaine conception de la justice sociale. Par conséquent l’objet de la justice est la structure de base de la société eu égard à sa place cruciale dans la vie de chacun et dans les institutions.

3. L’idée principale de la théorie de la justice Le but de l’œuvre est de généraliser le contrat social de Kant, Rousseau et Locke. Cependant le traitement est original puisque Rawls est guidé par l’idée que ce sont les principes de justice pour la structure de base qui sont l’objet de l’accord originel. Ces principes sont ceux que des personnes libres et rationnelles accepteraient, ils servent de règles pour tous les accords postérieurs. « C’est cette façon de considérer les principes de la justice que j’appellerai justice comme équité ». Par conséquent Rawls propose une expérience de pensée qui consiste à imaginer que de manière instantanée les futurs membres de l’association choisissent la charte fondatrice de leur société qui précise ce qui est juste et injuste, les critères de répartition des biens, les lois d’arbitrage de la société etc. c'est-à-dire les structures de base de la société. Voila pourquoi la position originelle correspond à l’état de nature, c’est elle aussi une « situation purement hypothétique ». Dans cette situation « les principes de la justice sont choisis derrière un voile d’ignorance » puisque ceux qui choisissent ne savent pas est qui leur est réservé dans la société future ou leurs propres tendances psychologiques au bien, il s’agit ainsi de reconstituer une situation d’égalité parfaite afin d’arriver à des négociations débouchant sur une équité parfaite elle aussi. C’est de cette situation que découle l’expression « justice comme équité ». En effet, la situation originelle est équitable car toutes les relations entre les individus sont symétriques,

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cependant cette expression ne signifie pas que la justice et l’équité soient synonymes. On remarque aussi que Rawls reprend la définition kantienne du sujet moral, c'est-à-dire un être rationnel donc libre et pouvant ainsi avoir ses propres fins, donc avoir un certains sens de la justice. La théorie de la justice comme équité considère ainsi la position originelle parce qu’elle entraîne tous événements suivants (promulgation des lois, choix d’une constitution) et qu’elle sert de référent, en effet, à chaque fois qu’une institution respectera les principes qu’elle a fixé, les participants pourront dire qu’ils auraient aussi choisis cette institution s’ils avaient été dans une situation de parfaite équité. La marque kantienne se remarque donc ici, mais aussi par le fait que Rawls insiste sur le rationalité des participants. L’intérêt de la situation originelle réside ainsi dans le fait que la société nous place, dès notre naissance, dans des situations inégales, se conformer à la situation originelle revient ainsi à dépasser cet état afin d’adopter des solutions que des volontés libres auraient adoptées. Il n’est pas ainsi important qu’une telle situation existe mais il est nécessaire de la penser pour son intérêt déjà mentionné, et par suite pour sa valeur de critère. L’établissement de la situation originelle permet ainsi à chacun de respecter les lois qui se conforment à cette situation en tant qu’il se les serait imposées à lui-même s’il avait été parfaitement libre. La situation originelle met ainsi en présence des partenaires désintéressés et rationnels, c'est-à-dire cherchant les meilleurs moyens pour atteindre leurs fins. Par conséquent l’enjeu est de déterminer les principes de justice qui seraient choisis dans la situation initiale. C’est à cette question que resurgit le principe d’utilité puisqu’il faut se demander s’il aurait été pris en compte. Ce principe est disqualifié puisque la situation originelle de Rawls se fonde sur une complète réciprocité, dès lors le principe d’utilité, qui déséquilibre les rapports en abaissant les gains de certains pour augmenter ceux des autres, n’a pas sa place. A la place de ce principe l’auteur introduit deux principes, le premier de la répartition égale des droits et des devoirs de bases et le second qui est que les inégalités sociales sont justifiées si les défavorisés en retire un intérêt. Il s’agit ainsi de favoriser la coopération de tous, même des défavorisés, en leur accordant des avantages. Rawls tente ainsi de rationaliser notre représentation de la société en évinçant l’arbitraire des mérités ou des talents naturels, il s’agit de bâtir une société qui favorise la coopération. Enfin, l’auteur délimité bien la portée de son propos, cette portée est morale, il ne s’agit pas de faire naître un gouvernement selon la théorie contractualiste mais d’adopter des principes moraux. La théorie de la justice est une partie « de la théorie du choix rationnel ». Voila pourquoi Rawls étudie le mot « contrat » afin de montrer qu’il restitue la notion de publicité du choix, d’association, et qu’il lui permet de s’inscrire dans une tradition. Enfin, la « théorie de la justice n’est pas une théorie du contrat complète » puisqu’elle n’englobe pas ses aspects éthiques ou les relations avec les animaux ou la nature par exemple.

4. La position originelle et la justification La situation originelle, situation rationnelle devient un critère qui peut justifier les institutions. La théorie de la justice se trouve ainsi reliée à la théorie du choix rationnel puisqu’il faut établir ce qu’auraient choisi des être raisonnables dans la situation contractuelle. De plus le concept de la « position originelle » est une construction philosophique puisque pour connaître un choix rationnel il faut connaître les paramètres, comme les croyances, qui déterminent ce choix. La position originelle nous permet de déterminer ainsi précisément le choix rationnel dans la situation du contrat puisque nous connaissons les paramètres qui le déterminent. Dans l’idéal la détermination des paramètres devrait ainsi permettre de choisir un « ensemble unique de principe », cependant Rawls doute que cela soit possible et espère au moins que l’on pourra par là classer les différentes conceptions de la justice. Il s’agit ainsi de paramétrer la situation originelle à l’aide de principes « naturels » ou généralement admis. C’est ainsi qu’il apparaît « raisonnable et généralement acceptable » qu’il y ait une égalité entre les citoyens et que cette égalité ne peut être conçue à travers le filtre de ses intérêts particuliers. Voila pourquoi il faut priver les gens d’informations sur leurs situations sociales, afin que leur choix ne soit pas guidé par des intérêts personnels, il faut ainsi exclure les contingences, ce qui nous mène « tout naturellement » au « voila d’ignorance », qui a par conséquent une valeur heuristique puisqu’il permet de déterminer le choix rationnel des participants étant donné que l’on en maîtrise les causes. Toutes ces causes, ou paramètres, comme l’égalité, sont ainsi justifiés par la rationalité. Cependant, Rawls offre une autre possibilité de justification, l’intuition. En effet pour lui l’évaluation d’un principe de justice peut aussi venir de sa capacité à s’accorder à notre appréhension intuitive de la justice.

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En fait l’étude accordera ces deux formes de justifications puisqu’il s’agira de déterminer des principes soutenables et qui s’accordent à notre intuition. Cependant il n’y a pas d’intuitionnisme pur puisque les principes doivent être ajustés à nos intuitions et vice versa selon les cas, il s’agit ainsi d’arriver à un « équilibre réfléchi » qui permette de déterminer la position originelle. Ainsi Rawls ne prétend pas « que les principes de la justice que je propose soient des vérités nécessaires », pour lui la justice trouve sa force dans le fait qu’une multitude de jugements s’y concentrent. Nous avons ainsi ici une torsion de l’héritage kantien qui fonde la morale sur la nécessité. Enfin, il s’agit de justifier la position originelle qui n’est qu’hypothétique. Cette justification provient du fait que cette position est un « artifice d’exposition » en une seule fois de toutes les conditions nécessaires à la justice et qu’elle permet de voir de loin l’objectif de la morale.

5. L’utilitarisme classique « Mon but est d’élaborer une théorie de la justice qui représente une solution de rechange à la pensée utilitariste en général ». Il s’agit ainsi de viser tout l’utilitarisme, mais pour l’heure Rawls se concentre sur la réfutation de l’utilitarisme « premier », c'est-à-dire l’utilitarisme classique qu’il asserte retrouver chez Sidgwick et dont « l’idée principale en est qu’une société est bien ordonnée et, par là même juste, quand ses institutions majeures sont organisées de manière à réaliser la plus grande somme totale de satisfaction pour l’ensemble des individus qui en font partie ». Rawls montre tout d’abord à quel point l’utilitarisme peut être séduisant. En effet, chaque individu peut se dire qu’il est nécessaire de s’imposer un sacrifice pour acquérir dans le futur un bien plus grand et cherche à accroître la satisfaction de son système de désir. Par conséquent, si on étend cette conception à la société, il apparaît défendable que certains se privent pour que le groupe, dans son ensemble soit plus heureux et qu’il augmente la satisfaction à son système de désir. De plus l’argument des théories téléologiques ne lasse pas d’être séduisant puisqu’il définit le « juste » comme ce qui maximise « le bien » et par là, il apparaît légitime que la société juste cherche à maximiser le bien de la société. Ainsi, les théories téléologiques définissent de manière indépendante les deux concepts fondateurs de l’éthique, le « bien » et le « juste ». Ainsi il devient dans ce référentiel intellectuel, possible de définir le bien sans recours au juste. La carté des théories classiques vient ainsi de cette définition indépendante puis de ce rattachement du juste au bien par la maximisation. Cependant ces théories trouvent leur limite dans la distribution des biens, qui nécessite le recours au juste, ce qu’elles ne permettent pas. Rawls remarque ensuite que les définitions du bien sont différentes selon les doctrines puisque le bien peut être le développement de ce qu’il y a d’excellent en l’homme, ce qui fonde le perfectionnisme, le bonheur, ce qui donne l’eudémonisme ou le plaisir comme dans le cas de l’hédonisme. Pour l’auteur, l’utilitarisme se distingue par la satisfaction du désir et par le fait qu’il ne prend pas en compte l’individu puisque ce qui compte c’est la somme algébrique de satisfaction. Les principes de justice sont dérivés de cette conception du bien ce qui explique que l’on puisse ne sacrifier certains pour le bonheur des autres. « La pluralité des personnes n’est [...] pas prise dau sérieux par l’utilitarisme » puisque l’on considère la société comme un seul homme et les individus comme des producteurs de satisfaction. Il s’agit ainsi de gérer cette production afin qu’elle soit maximale.

6. Quelques oppositions connexes « Nous pensons que chaque membre de la société possède une inviolabilité fondée sur la justice », et la justice interdit le sacrifice d’un groupe pour le bien être d’un autre. C’est pourquoi dans une société juste les droits et libertés de base sont irréversibles. Ces principes sont acceptés par l’utilitarisme mais comme des illusions utiles, voici la première opposition entre l’utilitarisme et Rawls. Ensuite, l’utilitarisme étend le choix individuel à la société alors que la théorie du contrat reconnaît la pluralité et présuppose un accord originel, ce qui ouvre la porte à une difficulté puisque les partenaires pourraient choisir le principe d’utilité, Bentham sous entend ainsi que le contractualisme justifie l’utilitarisme. Cependant la théorie du contrat cherche à rendre compte de la pluralité des individus. Ainsi une difficulté apparaît puisqu’on pense souvent que l’utilitarisme est un individualisme, ce qui est faux même si les utilitaristes sont des partisans de la liberté. Enfin, l’utilitarisme est téléologique alors que la théorie de la justice comme équité puisqu’elle est déontologique, c'est-à-dire qu’elle définit le bien en lien avec le juste. De plus, l’utilitarisme prend en compte le désir mais sans rapport à son objet, le plus important est que le

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niveau de satisfaction des individus soit élevé alors que la théorie de la justice comme équité vise la justice, il y a ainsi une prise en compte de l’objet. Dès lors le plaisir de voir les autres esclaves n’a pas cours dans la justice comme équité alors que dans l’utilitarisme oui. Les principes du juste limitent ainsi la satisfaction. Dès lors dans la théorie de la justice comme équité les tendances humaines ne sont pas données mais construites par les principes de la justice, par conséquent, dans la théorie de la justice comme équité (TJCE), le juste est défini avant le bien. Il y a ainsi un primat du juste sur le bien, la structure de base doit obéir à des critères. Rawls va ensuite nuancer son propos avec Hume, qui n’est pas vraiment utilitariste car s’il trouve que le contrat de Locke est une complication inutile car on peut venir directement à l’utilité, il semble ne désigner par « utilité » que « l’intérêt général de la société », l’utilité semble ainsi conforme à quelque bien commun, Hume ne nie ainsi pas l’égalité initiale des hommes que Locke admet. En fait, l’opposition fondamentale entre la TJCE et l’utilitarisme vient de la conception de la société, c'est-à-dire que la TJCE prend en compte la pluralité alors que l’utilitarisme adopte le point de vue d’un observateur gestionnaire impartial.

7. L’intuitionnisme Rawls définit l’intuitionnisme comme la doctrine qui reconnaît l’existence de principes premiers qu’il faut mettre en balance avec les autres pour voir quels sont les plus justes. Par conséquent les doctrines intuitionnistes se composent d’une pluralité de principes premiers, afin de recouvrir toutes les situations mais ne prescrivent aucune méthode puisqu’il faut trouver l’équilibre par intuition. A son niveau commun l’intuitionnisme ressemble au subjectivisme puisque nous évaluons la justice à l’aune de notre situation, il faut ainsi remontre à un niveau plus général. Cependant même au niveau de l’Etat l’intuitionnisme reste prisonnier des conditions socio-économiques. Quant aux doctrines philosophiques, elles raisonnent à un haut niveau de généralité même si elles doivent rendre compte des fins d’un Etat. Par exemple une doctrine peut conjuguer le principe d’utilité comme critère d’efficacité et un critère de justice dans la répartition des satisfactions. Cette doctrine resterait intuitionniste car elle ne donne pas de critère pour donner la prépondérance à l’un ou l’autre des principes. Ainsi chacun peut pondérer comme il le veut ces principes. L’intuitionnisme espère ainsi que les pondérations soient les mêmes pour tous les hommes ou qu’ils parviendront à un compromis. L’intuitionnisme reconnaît ainsi qu’il n’y a pas de principes moraux qui sous tendent la justice, il faut une pluralité de principe. Cependant il n’y a rien d’irrationnel dans l’intuitionnisme qui établit simplement notre impossibilité à établir des principes moraux constitutifs. La meilleure réfutation de l’intuitionnisme consiste ainsi à énoncer de tels principes. Enfin Rawls établit que les théories intuitionnistes sont soit déontologiques (Ross), soit téléologiques (Moore), le plus important pour lui réside dans le recours à l’intuition et dans l’affirmation qu’il n’y a pas de priorité établie d’une manière définie.

8. Le problème de la priorité Nous voyons ainsi que l’utilitarisme ne pondère pas les principes de justice concurrents, ce qui est un point d’opposition avec l’utilitarisme. Mill pensait ainsi qu’il ne fallait qu’un critère et Sidgwick veut montrer que seule l’utilité peut être un critère en soutenant que nos jugements moraux sont implicitement utilitaristes. Rawls n’élimine pas catégoriquement l’intuition cependant il cherche à en limiter le rôle parce que l’estimation des pondérations est une partie essentielle de la justice. La dépendance à l’intuition en peut être complètement évacuée mais l’intuitionnisme est incomplet car il ne donne pas de critère stable, c'est-à-dire rationnel. La TGCE limite le rôle de l’intuition car les principes sont choisis dans la position originelle et sont l’objet d’un accord sur leur pondération. En effet, dans la TGCE le principe de justice n’a de valeur qu’en tant qu’il est issu d’un choix et ce choix peut amener à une certaine pondération du principe. Une autre possibilité est que les principes soient hiérarchisés selon un ordre lexical, c'est-à-dire qu’il faut satisfaire le premier pour passer au second etc. Cependant cette solution est contre intuitive et si les principes sont trop généraux elle semble interdire que l’on passe au suivant. Cependant Rawls va utiliser cette hiérarchie car pour lui le principe de la liberté pour tous doit être satisfait avant de ne gérer les inégalités. Par conséquent l’intuition dans la TGCE est Acanalisée puisqu’on choisi une certaine position dans le système social à partir de laquelle le système sera jugé et on se demande ce que choisirait un individu représentatif en tant que structure de base. Ainsi on substitue la prudence à l’intuition. Par conséquent il y a une vraie inflexion par rapport à Kant qui, lui, refuse la prudence. La théorie de Rawls est ainsi moins dogmatique mais par conséquent ses contours sont

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aussi plus imprécis. Il reste que pour Rawls, en matière de priorité on ne peut pas éliminer l’intuition mais il faut limiter son rôle afin de réaliser le « but » de la TGCE, c'est-à-dire un « consensus » permettant une définition publique de la justice. Le point de vue de Rawls est ainsi pratique car peu importe que les hommes puissent exprimer ou pas les principes tant que leurs jugements sont identiques. Il s’agit ainsi d’arriver à une conception de la justice cohérente pour ne pas engendrer de jugements contradictoires dont l’arbitrage serait difficile étant donné que le recours, même limité, à l’intuition nous empêche de connaître tous les principes.

9 Quelques remarques sur la théorie morale Ce paragraphe s’ouvre sur une supposition, celle que nous acquérrons tous un sens de la justice à un certain age. Cette faculté est ainsi extrêmement complexe car nous sommes prêts à émettre un nombre immense de jugements. En premier lieu (mais cela n’est u’un point de vue provisoire) on peut penser la théorie morale comme une tentative de description de la capacité morale. Ainsi afin de comprendre le sens de la justice il faut comprendre les principes qui servent de prémisses au jugement. Selon Rawls la compréhension de la capacité morale dépasse les critères utilisés dans la vie quotidienne et nécessite des constructions théoriques très élaborées. Par comparaison la position originelle est simple et ne constitue qu’un point de départ. Les jugements où la capacité morale s’exprime sans distorsion sont les « jugements bien pesés », on peut ainsi raisonnablement exclure ceux qui sont hésitants, prononcés sous le coup d’une émotion etc. ces jugements sont prononcés dans des conditions favorables. Comme la capacité morale est une capacité mentale, le « jugement bien pesé » s’exprime dans des conditions favorables à la réflexion. Ensuite Rawls examine l’ « équilibre réfléchi ». Selon notre conception provisoire de la théorie morale nous pourrions penser que les jugements bien pesés décrivent notre sens de la justice mais cette vision serait simpliste puisque ces jugements sont soumis à une distorsion. Voila pourquoi la meilleure analyse du sens moral est celle qui s’accorde avec un équilibre réfléchi. Cet équilibre peut être interprété comme la proposition de tous les jugements que nous pourrions soutenir ou de toutes les théories philosophiques pertinentes. C’est cette dernière conception que Rawls retient, cependant, comme on ne peut pas le faire « le mieux » est de se servir des conceptions morales déjà existantes et de les évaluer. C’est ce que Rawls va faire et les principes de la TGCE sont justifiés car plus adéquats que l’utilitarisme ou l’intuitionnisme et plus ne accord avec nos jugements bien pesés. Ainsi la TGCE « nous rapproche de l’idéal philosophique sans, bien entendu, le réaliser ». Dès lors on peut se demander si un tel équilibre réfléchi existe ou s’il est unique. Pour Rawls de telles questions ne peuvent être résolues et il se contentera de supposer que l’équilibre réfléchi est en gros le même pour tous ou que les jugements se classent en catégories comme les doctrines déjà existantes par exemple. De plus à son stade initial, la TGCE est une « théorie des sentiments moraux » exposant les principes de la moralité et Rawls va quitter la voie kantienne puisqu’il s’autorise à sortir de l’a priori et à utiliser des « hypothèses contingentes ». La TGCE s’affirme ainsi comme un cadre théorique qui, à ce titre, contient des erreurs mais cherche à présenter à l’intuition des situations plus tranchées, de meilleurs appuis pour la justification de nos pratiques morales et à réduire les désaccords entre les théories. Il s’agit ainsi de trouver une troisième voie entre le perfectionnisme et l’utilitarisme.

2. Les principes de la justice. La théorie de la justice peut être divisée en deux parties, l’énonciation de la position originelle et des principes qu’elle entraîne, puis la justification de ces principes, ce que l’auteur va faire ici.

10. Les institutions et la justice formelle La TGCE s’applique aux structures de base de la société, cependant il ne faut pas confondre les principes de justice valables pour les institutions et ceux qui concernent les individus dans des situations particulières. Une institution est un système public de règles distribuant les droits et les devoirs à des positions et des fonctions, par conséquent elle peut être abstraite, c'est-à-dire décrivant des conduites simplement possibles ou réalisée et elle introduit des actions permises et interdites. Rawls prend le parti selon lequel c’est l’institution réalisée qui est juste ou injuste.

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Une institution existe quand elle est réalisée, c'est-à-dire quand des gens la mette en pratique en agissant selon les règles qu’elle fixe. Le terme « public » désigne le fait que chacun sait ce que les institutions exigent de lui et sait que les autres sont dans la même position. Par conséquent les institutions permettent de définir les attentes que l’on peut avoir envers les autres puisqu’elles limitent les actions de chacun. Ce terme montre ainsi qu’il y a un accord sur les institutions puisque chacun en sait la même chose que s’il les avait acceptées dans un accord. Pour Rawls l’accord découle naturellement du contractualisme. Ensuite, il faut distinguer les principes des institutions des maximes qui cherchent à utiliser les institutions en vue d’une fin particulière puisque ces maximes ne peuvent être élaborées qu’une fois que les institutions sont faites. Dans le meilleur des cas les maximes ne devraient porter que sur la recherche d’un bien socialement désirable. Les stratégies et les tactiques suivies par les individus, même si elles devraient être coordonnées pour atteindre un but socialement juste ne font pas parties des principes de la justice. Cependant il faut aussi distinguer les institutions et la structure de base qui, elle, forme un tout, en effet le tout peut être juste alors que les institutions ne le sont pas et vice versa. De plus certaines institutions, comme els rites, ne seront pas étudiées. Ces distinctions permettent de définir le concept de « justice formelle ». En effet la justice formelle est l’adhésion au principe, c'est-à-dire l’interprétation impartiale et conséquente des institutions, c'est-à-dire que des situations semblables sont traitées d’une manière semblable par exemple. Ainsi la justice formelle exclue certaines injustices même si elle n’est pas un critère suffisant de justice réelle puisque pour parvenir à cette dernière il faut que les principes de l’institution soient justes. Ainsi la justice formelle est un élément de l’autorité de la loi même si elle ne suffit pas à former la justice réelle. Cependant Rawls évoque la possibilité d’une jonction entre la justice réelle et la justice formelle mais cette jonction ne pourra être obtenue qu’avec le contenu des principes de la justice réelle.

11. Les deux principes de la justice Rawls va ici esquisser les deux principes sur lesquels porte l’accord dans la position originelle, ils seront précisés par la suite. Ces principes sont l’accession à la plus grande liberté de base pour tous tant que cette liberté est accessible à tous et la répartition des inégalités telles qu’elles soient à l’avantage de tous et rattachées à des positions ouvertes à tous. Par conséquent il y a une division de la structure de base en un système portant sur la liberté de base et un autre régissant les inégalités. Les libertés de bases sont les libertés de conscience, intégrité, propriété, expression etc. Le second principe ouvre les fonctions à tous et répartie les inégalités de façon à ce que chacun soit avantagé. Ces principes doivent être utilisés dans un ordre lexical, le premier doit être recherché puis le second afin que le bien être d’une minorité ne soit pas sacrifiée à celui d’une minorité. Le second principe doit être compatible avec les libertés de base et l’égalité des chances et les libertés de base ne peuvent que se limiter entre elles. Enfin, Les libertés ne peuvent être toutes déterminées sans considérations sociologiques. Par conséquent nous arrivons à une conception vague de l’injustice qui est qu’elle est constituée quand les inégalités ne profitent pas à tous. Rawls propose d’imaginer une situation d’égalité parfaite où chacun possède les biens premiers (droits et libertés, possibilités, richesse…) et où la structure de base les réparti de manière égale. Cette situation sert d’étalon et les inégalités sont acceptées si elles améliorent la situation par rapport à cet étalon. Ce sont ainsi les deux principes qui seront étudiés et non pas la théorie générale de la justice afin de trouver une rationalité dans la justice. Ces principes sont très importants puisqu’ils influent sur les attentes de chacun en matière de perspectives de vie. Surtout Rawls insiste sur le fait qu’aucun des principes ne s’applique à des personnes désignées mais à tous ou au moins à des « individus représentatifs ».Il s’agit en fait de déterminer, à partir du second principe, des inégalités sans lesquelles les perspectives de vie sont moins bonnes.

12. Interprétation du second principe. Le second principe est polysémique puisqu’il est susceptible de quatre interprétations, la liberté naturelle, l’aristocratie naturelle, l’égalité libérale et l’égalité démocratique. Il va ainsi falloir décider de l’interprétation la plus adéquate dans le cadre de la TGCE, pour Rawls, ce sera l’égalité démocratique.

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L’interprétation de la liberté naturelle surgit si on comprend que le principe repose sur une application du principe d’efficacité et sur une ouverture des fonctions au « talent ». Il s’agit ainsi d’expliquer le principe d’efficacité. Ce concept est celui d’ « optimalité » de Pareto qui pose qu’une configuration est efficace si on peut améliorer la situation d’au moins une personne sans aggraver celle d’au moins une autre personne. Ainsi c’est en fait un principe d’efficacité et la TGCE ne se situe pas au niveau de l’efficacité car elle détermine avant l’efficacité le critère du juste. Le principe d’efficacité peut être appliqué à la structure de base en faisant en sorte de trouver une situation telle que l’on ne puisse modifier les perspectives d’un individu représentatif sans affecter celle dau moins un autre de manière négative. Cependant ce principe donne lieu à plusieurs situations acceptables, comme le servage, injustes. En effet ces situations sont efficaces car on ne peut les modifier sans minimiser les perspectives de la classe qui asservit. Ansi le principe d’efficacité ne peut fonder à lui seul une justice. Dans le système d’une égalité naturelle ce principe est ainsi complété par une égalité des chances au moins formelle même si la répartition initiale des biens est influencée par des contingences sociales par exemple. Ainsi l’injustice de ce système réside dans la prépondérance des contingences « naturelles ». L’interprétation libérale essaie de corriger cet arbitraire en ajoutant à la condition d’ouverture aux talents le principe de la juste égalité des chances, l’idée est ainsi que l’égalité formelle ne suffit pas, elle doit aussi être réalisée. L’interprétation libérale cherche ainsi à minimiser la force des contingences naturelles ce qui ne peut être fait que par l’adoption d’institutions adéquates. Ainsi l’éducation devrait, pare exemple, permettre de franchir la barrière des classes. Cependant cette interprétation reste insatisfaisante puisqu’elle sanctionne « la loterie naturelle » des talents, il faut ainsi trouver quelque chose de moins arbitraire. La conception de l’aristocratie naturelle s’appuie sur le fait que si on donnait moins aux gens plus doués par nature les plus défavorisés recevraient moins eux aussi. Par conséquent tous les points de vue examinés jusqu’ici paraissent arbitraires car fondés sur une prétendue « nature ». Par conséquent la satisfaction ne peut venir que du système démocratique, qu’il faut désormais expliquer. La justification du système démocratique proviendra du fait qu’il s’agira de trouver un système qui ne désavantage personne et où la répartition n’est pas le fruit d’intérêts limités.

13. L’égalité démocratique et le principe de différence

Il s’agit de combiner la juste égalité avec la différence pour arriver à l’égalité démocratique. Il s’agit ainsi de considérer les inégalités pour une situation particulière. « L’idée intuitive » est que le système social ne doit pas avantager les plus favorisés si cela désavantage les moins favorisés. Rawls remarque cependant que le principe de différence nécessite que l’on avance un argument qui conduit à penser que certains ont de meilleures perspectives pour motiver ceux qui en ont de moins bonnes et favoriser l’innovation. Il reste que l’injustice surgit quand les perspectives supérieures sont excessives, c'est-à-dire pourraient être diminuées afin d’augmenter les perspectives inférieures. On remarque aussi que la justice est compatible avec le principe d’efficacité car un système juste est vraiment efficace. Rawls ajoute ensuite le concept de relation en chaîne en précisant qu’il est vraisemblable que si les plus défavorisés trouvent un intérêt dans la progression des perspectives des plus favorisés les positions intermédiaires en trouvent aussi un. De plus, étant donné que la structure de base concerne tous les citoyens, la relation en chaîne semble favorisée. Le principe de différence est cependant limité sous cette forme car il est probable que l’augmentation de certaines perspectives des plus favorisés ne touche pas celles des plus défavorisés. Il reste que le second principe devient que les inégalités sociales doivent être organisées pour que les plus défavorisés en tirent le plus grand profit et qu’il doit y avoir une égalité des chances justes telles que les fonctions soient ouvertes à tous.

14. La juste égalité des chances et la justice procédurale pure Il s’agit ici de montrer que « la juste égalité des chances » ne repose pas sur la reconnaissance du mérite. Ainsi les positions sont ouvertes à tous afin que personne ne se sente injustement lésé. La TGCE s’occupe de la structure de base qui définit un ensemble de règles de coopération afin d’arriver au plus grand bien possible et accorde à chacun un droit sur ce bien. Voila pourquoi la répartition est une question de justice procédurale pure. Il s’agit ainsi de faire en sorte que le système soit juste quelque soit sa forme.

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La justice procédurale parfaite met en jeu un critère indépendant de partage équitable et une méthode de partage qui donne lieu à coup sur à ce partage. La loi nous donne un exemple de justice procédurale imparfaite puisque même si la loi est rigoureusement appliquée il est possible que l’issue d’un procès soit injuste. Il y a ainsi justice procédurale imparfaite quand il n’y a pas de méthode unique pour rejoindre le critère indépendant. Enfin la justice procédurale pure est mise en œuvre quand la procédure seule, sans critère indépendant, est appliquée pour déterminer le juste ou l’injuste. Par conséquent pour mettre en œuvre la justice procédurale pure il faut un ensemble d’institutions justes administrées impartialement. Le principe d’équité des chances est mis en œuvre pour assurer la justice procédurale pure et ainsi éviter d’avoir à déterminer des principes propres à chaque circonstances. La justice est ainsi fondée sur les rapports de coopération et non plus un stock déterminé de satisfaction à répartir. Il y a ainsi une différence avec la justice distributive puisqu’il ne s’agit plus d’attribuer un stock sur lequel les hommes n’ont aucune revendication possible mais de répartir leur production. L’utilitarisme n’est pas un système de justice procédurale pure puisqu’il a un critère indépendant, le maximum de satisfaction et qu’il faut atteindre ce critère.

15. Les biens sociaux premiers comme bases des attentes Il faut analyser les attentes et savoir comment les évaluer. Ainsi, par comparaison avec l’utilitarisme la TGCE se fonde sur une analyse centrée sur l’étude de la position du plus désavantagé, il y a ainsi une étude de l’inter personnalité mais elle est simplifiée. De plus ces comparaisons interpersonnelles sont simplifiées car elles concernent les attentes en matières de biens premiers (droits et libertés). Ces biens sont en fait ceux qui peuvent être choisis par des êtres rationnels. « Le bien est la satisfaction du désir rationnel ». Il faut ainsi supposer que chaque individu a un projet rationnel qui est celui qui « ne peut être amélioré ». Le principe de différence réduit ainsi la question à l’augmentation de l’indice des biens premiers des plus défavorisés. De plus la TGCE ne pose pas la question de la perfection ou de la valeur du bien car il suppose que chacun adapte son projet aux conditions dans lesquelles il vit, il ne s’agit ainsi pas de maximiser la satisfaction. En fait on ne compare les situations des personnes qu’en fonction de ce que l’on suppose nécessaire à leur réussite. Il n’y a ainsi pas d’accord sur un bonheur défini. On voit ainsi ici la filiation kantienne car l’accent est mis sur les attentes d’êtres raisonnables, que Kant lie dans le « règne des fins », plus que sur le « bonheur » qui est relatif car fruit de l’empirisme. Par conséquent l’égalité démocratique consacre la pluralité des bonheurs fondée sur la juste égalité des chances.

16. Les positions sociales pertinentes Lorsque l’on applique à la société les deux principes de justice, on en juge la valeur à partir de la vision qu’en ont des gens qui occupent des « positions sociales pertinente », cependant, les positions sociales étant multiples, quelles positions choisir ? Etant donné que les principes s’appliquent à la structure de base puisqu’elle favorise certains points de départ, les positions pertinentes se situent à ces points de départ afin de limiter les contingences naturelles. « La structure de base devrait être jugée, dans la mesure du possible, à partir du point de vue de l’égalité des droits civiques ». En effet les citoyens sont égaux sous ce rapport si les principes de la juste égalité des chances et de l’égalité de répartition des libertés sont réunis. Ensuite Rawls fait intervenir le principe de l’intérêt commun qui permet de hiérarchiser les institutions selon qu’elles permettent plus ou moins de réaliser les buts rationnels de chacun. De plus il pose l’hypothèse que plus la place sociale d’un homme est élevée et plus il a de biens premiers. Cependant il reste difficile de définir le groupe le plus défavorisé. Afin de définir ce groupe, Rawls se concentre sur les individus « normaux », c’est-à-dire aptes à prendre part à la coopération sociale. Parmi ces individus, les plus défavorisés sont ceux qui ont eu le moins de chance dans la vie, qui sont nés dans une famille désavantagée et dont les capacités, même développées, sont insuffisantes. Cependant la définition d’un tel groupe reste prise dans un certain arbitraire car on peut le définir par rapport à une position sociale – comme celle de l’ouvrier non qualifié – ou un niveau de revenu, mais il est impossible, arrivé à un certain moment, de faire une distinction plus fine. Rawls pose comme hypothèse que les gens dans la situation originelle comprennent cet état de fait.

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Par conséquent la TGCE juge la société à partir de la répartition de l’égalité des droits civiques même si d’autres points de vue peuvent être nécessaires car naturellement nous sommes différents au niveau du sexe, de la culture etc. et toutes ces inégalités fournissent des points de départ pertinents. Ainsi si les hommes sont avantagés cet avantage n’est justifié que s’il profite aux femmes. En fait « les deux principes expriment un accord sur la hiérarchie de nos intérêts » car ils nous mènent à considérer des positions pertinentes et non pas des positions particulières. On ne peut en effet pas garantir la satisfaction de tous les intérêts particuliers. « Les positions sociales pertinentes déterminent donc le point de vue général à partir duquel on doit appliquer les deux principes de la justice à la structure sociale de la base ». En choisissant des points de départ, on essaye d’atténuer la force des contingences naturelles.

17. La tendance à l’égalité Il s’agit de montrer que les deux principes de la justice mènent à une conception égalitaire de la justice. Rawls remarque tout d’abord que le principe de différence comprend celui de réparation, ce qui signifie qu’il faut obérer le pouvoir des contingences naturelles en les corrigeant. Par exemple, on pourrait consacrer plus d’attention à l’éducation des moins intelligents pendant les premières années scolaires. Cependant ce principe n’est pas le critère unique de la justice et n’est pas synonyme du principe de différence. Il soit cependant être pris en compte car il est s’agit en fait de rendre chacun capable de prendre part à la vie de la société. Par conséquent le principe de différence réalise, au moins en partie, le principe de réparation car il sanctionne une inégalité uniquement si elle améliore la situation des autres. Ainsi ceux qui sont plus doués naturellement peuvent avoir une meilleure position sociale à condition qu’elle profite aux autres, en tant qu’elle va apporter un financement à l’éducation par exemple. On remarquera que l’éducation est un des sujets favoris de Rawls. Dès lors les institutions suppriment le poids des inégalités naturelles. Rawls affirme que ce ne sont pas les inégalités naturelles qui sont justes ou injustes mais les institutions par conséquent la nature ne peut pas justifier l’inégalité. « Le système social n’est pas un ordre intangible, échappant au contrôle des hommes, mais un mode d’action humaine ». De plus le principe de différence vise la réciprocité. Cependant on pourrait objecter que la TGCE ne fait qu’institutionnaliser un préjugé favorable envers les plus défavorisés. Pourtant ce n’est pas le cas car si elle améliore les perspectives des moins favorisés, elle accorde aussi un droit de possession aux plus favorisés et ils ne possédaient pas ce droit de manière a priori. Les plus favorisés « méritent » leur position en tant qu’elle est légitime car autorisée par les institutions alors que nous ne méritons pas nos dons naturels. Le mérite est ainsi une construction sociale et si le principe de différence est égalitaire c’est parce qu’il avantage chacun. Le principe de différence est démocratique car il sanctionne la liberté et l’égalité, mais aussi la fraternité dont le contenu est toujours vague. En effet la fraternité est représentée dans le principe de différence par le fait que l’on refuse qu’un avantage désavantage une partie de la société. Le principe de différence fait ainsi de la fraternité un principe réalisable. Par conséquent l’interprétation démocratique des deux principes ne mène pas à une méritocratie. En, effet la méritocratie fonde une disparité dans les positions sociales, appauvrit la culture des plus défavorisés alors que l’interprétation démocratique ne sanctionne pas un tel état de faits. Enfin, Rawls développe une idée originale, celle d’un contrôle de l’héritage génétique, en effet les dons naturels sont répartis par le patrimoine génétique et l’auteur estime qu’il est du devoir des générations précédentes de garantir un « bon » patrimoine génétique aux futures générations en limitant la propagation des « défauts graves ».

18. Les principes individuels : le principe d’équité L’analyse s’est pour l’instant restreinte aux institutions, mais il fau désormais l’étendre aux individus. Avant d’y venir Rawls précise que les principes de la justice doivent être adoptés dans un ordre précis, en effet les devoirs d’un individu présupposent une « conception morale des institutions », voila pourquoi il faut adopter les principes de la société avant ceux des individus. De plus, il faut choisir, en sus des principes de la justice, des principes de bienfaisance, d’équité etc. tels qu’ils soient l’objet d’un accord. En fait Rawls pose cet accord comme nécessaire afin que le concept de juste puisse être remplacé par les concepts –d’équité, de bienfaisance etc. – s’appliquant à la situation.

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La TGCE a aussi un but linguistique puisqu’elle entend remplacer l’usage traditionnel des termes « juste » et « justice ». Le principe d’équité pose qu’une personne est obligée d’obéir aux règles de l’institution si cette institution est juste et si la personne a profité des avantages offerts par l’institution qu’elle a librement accepté. Il s’agit ainsi de raisonner sur une coopération équitable, c'est-à-dire par laquelle on obtient quelque chose tout en offrant aux autres une contrepartie – la limitation de sa liberté pour permettre la coopération. Les exigences définies par le principe d’équité sont des obligations. Ainsi, pour être soumis à une obligation, il faut être lié à un gouvernement juste c'est-à-dire que ce gouvernement ne doit pas être autocratique ou arbitraire par exemple. De plus lorsque l’on gagne quelque chose, comme une position sociale, ce gain est accompagné d’une contrepartie pou les autres – il faut assumer les devoirs liés à cette position.

19. Les principes individuels : les devoirs naturels Les devoirs naturels sont par exemple le fait de ne pas faire de tort à autrui, d’aider l’autre si cela ne nous met pas en danger, etc. Ces devoirs sont positifs, ils prescrivent quelque chose, ou négatifs car ils empêchent de faire le mal. Les devoirs naturels s’imposent aux personnes sans considération de leurs relations institutionnelles. Du point de vue de la TGCE un devoir naturel fondamental est le devoir de justice qui prescrit la sauvegarde des institutions justes et la promotion des institutions justes qui n’existent pas encore. Ces devoirs naturels ne proviennent pas d’un accord contractuel mais s’appliquent inconditionnellement et proviennent de la position originelle. Les principes peuvent être inconditionnels s’il résulterait d’un accord dans la position originelle. 3. La position originelle La position originelle est l’interprétation philosophique préférable de la situation de départ.

20. La nature de l’argumentation en faveurs des conceptions de la justice

L’idée de la TGCE est que les principes de la justice sont l’objet d’un accord entre des personnes rationnelles dans la situation originelle. Il s’agit ainsi de montrer que le choix des partenaires porterait sur les deux principes de justice déjà traités. Les deux principes paraissent raisonnables car il est impossible d’instituer une situation où un individu peut faire ce qu’il veut puisque les autres limitent son action. Cependant Rawls veut montrer que ces principes sont les meilleures réponses aux attentes de chacun des individus. L’évaluation des principes va suivre deux axes. Tout d’abord on va voir s’ils seront choisis dans la position originelle, ce qui se fera en déduisant les choix rationnels des hommes à partir de leurs croyances et évoluer leur moralité « ce qui a déjà été fait en fait). Il faut en fait caractériser la situation pour que les principes choisis soient moraux. La TGCE peut instituer dés le début une justice procédurale pure puisque dans la position originelle les hommes sont égaux, toutes les décisions sont ainsi équitables. Il reste que cette situation n’est qu’hypothétique et ne sert qu’à expliquer notre sens de la justice. Enfin, l’argumentation vise à être déductive, c'est-à-dire que ce sont les deux principes qui ont été étudiés qui seraient choisis dans la position originelle et pas d’autres. De plus, de multiples interprétations de la position originelle sont possibles, mais il s’agit de trouver celle qui réalise le mieux les exigences rationnelles devant peser sur les principes de la justice et qui se trouve en adéquation avec nos jugements bien pesés, même s’il est possible de fonder l’utilitarisme à partir d’une position originelle.

21. La présentation des diverses possibilités Tout d’abord il est difficile de penser que les partenaires aient à choisir entre tous les principes possibles car il faudrait élaborer ces principes et aussi car il n’est pas impossible qu’aucun principe ne soit le meilleur. Rawls va ainsi élaborer une liste de possibilité qui va être présentée aux partenaires et qu’ils vont comparer afin de choisir la meilleure d’entre elles. Au sein de cette liste on retrouve les deux principes et les principes d’utilités, les théories téléologiques et égoïste qui peuvent venir remplacer le second principe. Il reste que cette liste est très simplifiée puisque le nombre de conceptions y est limité mais aussi parce que les principes y sont détachés de tout contexte.

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22. Le contexte d’application de la justice « Le contexte d’application de la justice peut être défini comme l’ensemble des conditions normales qui rendent à la fois possible et nécessaire la coopération humaine ». Il faut un principe de justice pour régler le conflit d’intérêts entre les intérêts des hommes car si la coopération est profitable à tous les hommes préfèrent néanmoins gagner plus que moins. Il y a ainsi une contexte objectif rendant la coopération possible, c'est-à-dire la présence de plusieurs hommes sur un territoire, la relative rareté des ressources, leur vulnérabilité. Mais aussi un contexte subjectif qui concerne les qualités des sujets qui coopèrent, les sujets ont leur propre projet et leur propre conception du bien, ceci les mène à avoir des revendications en conflit avec celles des autres. De plus il existe une divergence de croyances (religieuses…). Ainsi la justice est nécessaire là où il existe des revendications contradictoires. Dans le cadre de la position originelle, les conditions nécessaires à la justice sont réunies et les partenaires défendent leur propre conception du bien, ils ne sont pas liés par des relations morales. De plus il s’agit de voir les relations entre les partenaires et les générations futures et de prendre en compte la chaîne des générations, en faisant d’eux des chefs de famille par exemple. Par conséquent la position originelle ne fait que prendre des hypothèses faibles pour ne pas que la situation soit trop particulière. Dés lors les différentes conceptions du bien ne sont pas limitées si ce n’est qu’elles doivent être rationnelles. « Les partenaires, dans la situation originelle sont mutuellement désintéressés », ils ne veulent pas que leurs intérêts soient sacrifiés à d’autres.

23. Les contraintes formelles du concept du juste Les personnes, dans la position originelle, sont soumises à des contraintes qui sont celles du critère du juste puisqu’ils statuent sur ce critère. Rawls impose ainsi des conditions formelles aux situations qui peuvent prétendre être justes. Ces contraintes proviennent du fait que le juste doive arbitrer les rapports entre les institutions et les personnes et entre les personnes elles mêmes. Ces contraintes ne sont pas déduites du concept de juste mais justifiées par leur rationalité. Les principes doivent tout d’abord être généraux, c'est-à-dire ne pas faire appel à des noms propres ou des descriptions définies, de façon à ce que chacun, à chaque génération puisse s’en informer, mais aussi parce qu’ils doivent servir de charte publique. L’application des principes doit être universelle, c'est-à-dire qu’elle doit s’appliquer à tous en tant que personne morale. La complexité des principes doit ainsi être limitée de façon à ce qu’ils puissent être compris et utilisés par tous. L’universalité sont ainsi deux conditions auxquelles il faut satisfaire, une dictature est ainsi universelle mais pas générale puisqu’elle ne s’applique qu’à un seul homme. La troisième condition formelle est la publicité puisque les partenaires posent qu’ils choisissent une conception publique de la justice, que chacun connaît les principes comme s’ils les avaient choisi. De plus, les principes doivent introduire une relation d’ordre, c'est-à-dire pouvoir hiérarchiser les différentes conceptions. La loi du plus fort n’est pas un bon principe de hiérarchisation car il ne prend pas en concept la dimension raisonnable des êtres. Enfin, Les principes doivent être irrévocables. Ceci signifie que le résultat pratique déduit de ces principes tranche toutes les questions et on ne peut pas le remplacer par les revendications de la prudence ou d’un groupe défini de personnes. « Une conception du juste est un ensemble de principes, généraux quant à leur forme et universels dans leur application, qui doit être publiquement reconnu comme l’instance finale pour hiérarchiser les revendications conflictuelles des personnes morales ». Ces contraintes n’excluent aucunes conception, sauf l’égoïsme qu’il soit personnel ou généralisé puisque s’il est personnel il refuse la contrainte de généralité et s’il est généralisé il refuse la relation d’ordre car s’il place au dessus de toutes les revendications celles du moi il ne hiérarchise pas les revendications des autres.

24. Le voile d’ignorance Il s’agit de construire une situation équitable et de fonder les principes sur la justice procédurale pure, par conséquent les partenaires doivent être mis derrière un « voile d’ignorance » afin qu’ils ne connaissent pas les conséquences des principes choisis sur leur propre situation. L’information dont disposent les partenaires est très limitée puisqu’ils ne connaissent pas le niveau de développement de leur société, leur place au sein de celle-ci, leurs caractéristiques biologiques etc.

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En fait « on suppose que les partenaires connaissent tous les faits généraux qui affectent le choix des principes de la justice », c'est-à-dire qu’ils maîtrisent les bases de la théorie économique, de la psychologie humaine etc. « Un trait important d’une théorie de la justice est qu’elle devrait engendrer son propre soutien », il faut ainsi que les principes soient tels que les hommes tendent à les mettre en œuvre. Le « voile d’ignorance » peut sembler difficile à imaginer, cependant il signifie simplement qu’on évalue une conception de la justice selon sa rationalité et dans le cas de son application universelle et de sa mise en œuvre par tous. « Le moment et la personne ne doivent faire aucune différence », il ne faut pas se représenter la position originelle comme une assemblée générale à laquelle participeraient tous les êtres possibles ou réels mais comme une position que chacun doit pouvoir atteindre à tout moment, le voile d’ignorance permet simplement que l’information soit tout le temps identique. Cette situation est justifiée par le fait qu’il faille arriver à un accord et que le seul moyen d’y arriver est que la réflexion des partenaires soit semblable. « Chacun est forcé de choisir pour tous » dans le sens où il ne peut pas choisir dans son propre intérêt car il n’en a pas les moyens, le voile d’ignorance assure ainsi un accord et empêche la formation de coalitions. « Le voile d’ignorance rend possible un choix unanime d’une conception particulière de la justice ». Le voile d’ignorance tend à corriger « l’arbitraire du monde » en plaçant tous les partenaires dans une situation égale puisque tous les faits généraux leur sont accessibles. Enfin, Rawls ajoute qu’une conception est préférable quand elle est simple, c'est-à-dire qu’elle ne nécessite pas un grand développement théorique, afin que chacun la comprenne.

25. La rationalité des partenaires Les partenaires sont, dans la position originelle, privés de connaissances sur leur propre conception du bien, comment peuvent ils, à partir de là, arriver à en élaborer une conception commune ? Rawls supposent que même s’ils ne maîtrisent pas leur conception propre du bien, ils préfèrent avoir plus de bien sociaux que moins, voila pourquoi ils peuvent hiérarchiser les différentes conceptions de la justice. Un individu rationnel est un individu « ayant un ensemble cohérent de préférences face aux options disponibles », il suit le projet qui réalise le plus de ses désirs. Surtout, les individus ne possèdent pas d’envie, c’est à dire qu’ils ne souhaitent pas que tous les autres perdent si eux même perdent des biens. L’envie est, pour Rawls, « un sentiment destructeur » et la supprimer dans la position originelle permet de créer des sociétés où elle est absente. Ainsi l’hypothèse de la position originelle est que les partenaires sont mutuellement désintéressés, c’est à dire qu’ils cherchent à réaliser leur système de fin propre sans envier les autres ou vouloir les dépasser. Rawls ajoute une autre condition, celle selon laquelle les partenaires doivent posséder un sens de la justice, cette possession doit être connue de tous et permet de conserver l’intégrité de l’accord car cela signifie que les partenaires savent que chacun comprendra les principes qui seront adoptés. « Les partenaires sont capables de justice en un sens purement formel ». Cependant les partenaires « sont des individus définis d’une manière théorique », et dire quels principes sont adoptés, c’est dire ce que les partenaires choisiraient en fonction des paramètres établis. De plus, la TGCE n’est pas égoïste parce que les partenaires sont « mutuellement désintéressés », en effet la TGCE ne pose pas que les individus soient, dans la vie quotidienne, mutuellement désintéressés, ils ne le sont que théoriquement. Le but de la position originelle est simplement de garantir l’obtention de principes généraux et de rendre certaines doctrines – comme les doctrines racistes – caduques car irrationnelles.

26. Le raisonnement conduisant aux deux principes de la justice Il s’agit d’examiner le choix départageant les deux principes du principe d’utilité moyenne ce qui est justifié par le fait que Rawls cherche à produire une conception remplaçant le principe d’utilité. Dans la position originelle chacun ne peut que vouloir recevoir la plus grande part possible des biens, sans toutefois léser les autres, par conséquent chacun ne peut souhaiter qu’une répartition parfaitement égale des biens premiers. Les inégalités sont acceptées tant qu’elles améliorent la situation de tous. Ainsi l’égalité est la base de la comparaison et ceux qui gagnent le plus ne peuvent le faire qu’en le justifiant. Ainsi on parvient par ce raisonnement aux deux principes dans l’ordre lexical, cet ordre est justifié intuitivement par le fait que les hommes s’estiment égaux et possédant des intérêts comme la religion qu’ils doivent sauvegarder, ce qui les conduit à poser le premier principe, puis le second. L’adhésion aux deux principes plus qu’au principe d’utilité provient du fait que les deux principes

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sauvegardent les libertés dont se réclament les hommes, et ce d’une manière plus satisfaisante que ne le fait le principe d’autorité. Il s’agit en fait, pour les institutions de réaliser à long terme les deux principes dans l’ordre lexical, c'est-à-dire de tendre vers une situation où les libertés de base appartiennent à tous. Rawls va ensuite dépasser cette argumentation intuitive et passer à une justification plus systématique des principes. Il s’agit de montrer que ces deux principes sont ceux que choisirait une personne vivant dans une société où c’est son ennemi qui lui assignerait sa place. Cependant cette solution, si elle est utile sur un plan heuristique, n’est pas la situation de la position originelle. Rawls refuse une interprétation probabiliste car le modèle intellectuel qu’il bâtit ne l’autorise pas à y recourir. En effet, le voile d’ignorance exclut toute connaissance des probabilités, de plus les partenaires ne peuvent rien conjecturer sur la société et sont liés à leur descendance. L’auteur pose ensuite que le bien le plus important est la liberté, voila pourquoi les partenaires ne feraient rien qui pourrait les conduire à la perdre. Le principe d’utilité est ainsi inacceptable parce qu’il fait perdre la liberté, mais aussi parce qu’il condamne les descendants. En fait il s’agit se représenter que Rawls traite ici d’un problème de choix et que le choix du principe de différence par exemple pose des problèmes. En effet, peut on justifier une augmentation immense de la situation des plus favorisés si elle améliore la situation des défavorisés d’un saut de puce ? En fait cette situation résulte de l’étude d’un modèle mathématique et Rawls affirme que ce modèle est inadéquat car il décrit des situations trop abstraites. Rien ne garantit que les inégalités ne seront pas grandes mais le but est, à long terme, de les aplanir. De plus, le principe de différence suppose une certaine vision des institutions sociales et parmi elles le fait que dans un marché concurrentiel les fortes inégalités ne seront pas la règle. Cette affirmation montre que l’on ne peut faire un choix qu’à partir de prémisses, par conséquent il faut bien faire des suppositions sur les prémisses acceptées dans la position originelle, ces prémisses ne doivent cependant pas être arbitraires, voila pourquoi elles sont incarnée sous la forme d’informations générales. De plus, il faut, parallèlement à ces informations des principes moraux, qui, dans la TGCE, sont nos idéaux de la justice.

27. Le raisonnement menant au principe d’utilité moyenne L’utilité est la satisfaction du désir. Le principe d’utilité moyenne conduit à maximiser l’utilité moyenne et non pas l’utilité totale. Ainsi, si la population double mais que les espérance d’utilité restent les mêmes l’utilité aussi reste la même, alors que dans le principe d’utilité, si la population double, alors l’utilité double aussi. Ainsi, dans la position originelle le principe d’utilité classique ne peut être choisi car le but des partenaires n’est pas de maximiser la somme total de bien être mais le bien être de chacun. La théorie du contrat peut mener au principe d’utilité moyenne car si on suppose que quelqu’un, dans la position originelle, ait à choisir entre plusieurs sociétés et qu’il utilise pour cela les probabilités, il ne peut que comparer les utilités moyennes des différentes sociétés puisqu’il ne sait rien de la société ni de lui-même et donc de la position qui lui serait attribuée dans cette société. Cependant les incertitudes sont telles que l’individu ne peut que craindre les risques et ainsi être amené à adopter la position du plus défavorisé, Rawls montre ne fait que tout calcul probabiliste montre l’incertitude dans laquelle est située l’homme dans la position originelle et le pousse ainsi à adopter le point de vue du plus défavorisé Par conséquent il y a une réduction des effets du principe d’utilité

e à ceux du principe de différence. moyenn 28. Quelques difficultés en relation avec le principe d’utilité moyenne Tout d’abord Rawls souligne que ce principe semble ne pas s’accorder avec les cas où l’ignorance est complète, tel que dans la position originelle puisqu’il condamne nos descendants. De plus, on ne peut étayer le principe d’utilité moyenne en disant qu’à la longue il maximise l’utilité de chacun car cela présuppose un système de régulation progressif des utilités et l’indépendance des effets des choix politiques, ce qui est faux puisque des choix en matière d’éducation, par exemple, ont des effets sur l’utilité de chacun. Rawls remarque le lien entre la TGCE et les calculs de probabilités, ce lien est justifié par le fait que la théorie de la justice est une partie du choix rationnel. La position originelle exclut la connaissance de son attitude face au risque afin de ne pas influer sur le calcul. Il y a ainsi une incertitude fondamentale dans la position originelle qui va justifier les deux principes de la justice. De plus, le principe d’utilité moyenne se fonde sur le principe de raison insuffisante qui mène à assigner les mêmes probabilités aux évènements sur lesquels il n’y a pas de connaissance objective. Cependant, dans la position originelle, les résultantes du choix sont si importantes que fonder un

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calcul de probabilité sur le principe de raison insuffisante est déraisonnable. Par conséquent le principe d’utilité moyenne ne peut être adopté. Enfin, le choix du principe d’utilité moyen semble présupposer que l’individu qui choisit n’a pas d’utilité propre puisqu’il imagine pouvoir s’incarner dans n’importe quelle personne, ce qui est difficilement soutenable. La valeur d’utilité qui apparaît grâce au principe d’utilité moyenne n’est ainsi pas fondée car la situation originelle nous encourage à considérer les autres à partir de notre propre point de vue étant donné que, même si nous ne connaissons pas les systèmes de fins des autres, nous savons que les systèmes de fins des individus sont sûrement, au moins pour certains, opposés. En fait, le choix du principe d’utilité pose simplement que les individus n’ont pas de volonté déterminée. Ce sont des « personnes minimales » alors que la position originelle définit des personnes avec une volonté et une personnalité.

29. Quelques arguments principaux en faveur des deux principes de la justice Les deux concepts sont une réponse à la règle du « maximin » parce qu’ils sont une conception minimale de la justice dans une situation de grande incertitude. De plus Rawls s’appuie sur le fait qu’ils doivent être irrévocables et publics, ce qui ne peut qu’appuyer la force des deux principes car eux seuls peuvent être appliqués en toutes circonstances étant donné qu’ils sont déterminés dans une situation « minimale ». L’accord originel est perpétuel et il est impossible pour les partenaires d’adhérer à des principes auxquels ils ne pourraient pas se conformer ou auxquels ils ne pourraient se conformer qu’au prix de grandes difficultés. Dès lors les partenaires doivent voir s’ils pourront respecter cet engagement selon les situations. Dans ce contexte les deux principes de justice ont l’avantage de ne pas contraindre les hommes à un engagement caduc. En effet, les hommes sauvent leur liberté sans risquer de la perdre au profit des autres, ce qui les pousse à tenir leur engagement car ce dernier point est inacceptable dans la vie réelle. La condition de publicité permet de fonder la stabilité du système de base. En effet les deux principes fondent une institution stable car elle sauve le bien de chacun alors que le principe d’utilité nécessite une identification aux autres. Dès lors les deux principes de justice sont préférables au principe d’utilité. L’utilitarisme impose ainsi le sacrifice de ses perspectives de vie au profit des autres, ce qui explique le recours à la bienveillance par exemple. De plus, les deux principes favorisent le respect de soi même qui est la croyance dans le fait qu’il vaut la peine de poursuivre ses fins, ce que ne fait pas le principe d’utilité. L’intérêt de ce respect est qu’il favorise la coopération sociale. Grâce aux deux principes les biens de chacun sont valorisés. Il s’agit ainsi de traiter les hommes comme des fins et non pas des moyens, c'est-à-dire comme s’ils appartenaient à la position originelle. Le principe de différence permet de traiter les hommes comme des fins puisqu’il ne sacrifie personne au bien être d’un autre. Rawls insiste sur la composante psychologique de la morale en expliquant que notre respect de nous même provient des autres, ce qui disqualifie le principe d’utilité car les autres ne reconnaissent plus notre bien et donc nous ne nous respectons plus. L’acceptation publique du respect de soi même fait baisser le respect de soi même. Par conséquent l’utilité moyenne baisse et même en voulant augmenter l’utilité il faut choisir les deux principes, ce qui ne signifie pas qu’ils soient utilitaristes.

30. L’utilitarisme classique, l’impartialité et la bienveillance Le principe d’utilité est disqualifié par rapport aux deux principes de justice parce qu’il nécessite le sacrifice, que la position originelle interdit. Le principe d’utilité se fonde sur un observateur impartial et doué de sympathie. Une société juste est, pour l’utilitarisme, celle qui obtient l’approbation d’un tel observateur rationnel et maîtrisant toutes les conditions de la situation. Cependant il n’y a pas, ici, d’opposition avec la TGCE puisque, eu égard à sa définition, rien n’empêche l’observateur de choisir les deux principes. Ainsi la différence entre l’utilitarisme et la TGCE est que la TGCE donne des prémisses pour déduire le choix des partenaires. Si nous supposons une sympathie parfaite à l’observateur, alors son sentiment de sympathie augmente avec l’utilité. Voici un exemple de déduction naturelle du principe d’utilité classique. En effet le spectateur, par sympathie, va prendre la place de chacun et évaluer ainsi la somme d’utilité. Il y a ainsi une opposition avec la position originelle où les hommes sont mutuellement désintéressés et doivent parvenir à un accord. Par conséquent, dans un cas on reconnaît l’individu et dans l’autre tous les jugements moraux sont confondus dans un seul, exprimé par un individu impartial. L’utilitarisme ne fait qu’étendre le choix individuel à la société. On comprend ainsi que l’utilitarisme décrit un contexte d’altruisme parfait. Cependant ceci est une utopie car si chacun veut faire ce que les autres veulent faire, rien n‘est

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décidé. Par conséquent, pour que la justice s’applique il faut un conflit d’intérêts que seule la TGCE rend possible avec l’idée du désintéressement mutuel. En fait les utilitaristes pensaient que seul le spectateur impartial pouvait rendre compte de l’impartialité, ce qui est faux, un jugement peut aussi être impartial si il peut être exprimé dans la position originelle. L’impartialité n’est pas l’interpersonnalité. Enfin, Rawls conclut en expliquant que les classiques mettent tous les désirs sur le même plan alors que cela est impossible. En effet il y a des désirs de second ordre, comme l’altruisme car ils s’appliquent à d’autres désirs, par conséquent il ne sert à rien de définir les hommes comme altruistes uniquement et leur donner des désirs personnels n’empêche pas l’éclosion de ces désirs de second ordre.

Deuxième partie : Institutions 4. La liberté égale pour tous Il s’agit dans ce chapitre, et dans les suivants, de montrer que les deux principes de la justice sont susceptibles d’une interprétation pratique, par conséquent Rawls va montrer les institutions qui les réalisent, ces institutions étant pour la plupart celles d’une démocratie constitutionnelle.

31. La séquence des quatre étapes La théorie de la justice doit déterminer la justice des institutions et des lois, mais aussi la justice de la constitution qui règle le mécanisme instituant les lois, et enfin délimiter l’extension du devoir et des obligations politiques. Par conséquent, une fois que les partenaires de la position originelle ont choisi les principes de la justice, ils doivent déterminer une constitution qui les met œuvre. A ce stade le voila d’ignorance est levé, mais uniquement sur le contexte socio économique de la société à gouverner afin de choisir la constitution la plus efficace. Il reste que la constitution, afin de fonder des institutions justes, doit protéger les libertés et inclure une égalité entre les hommes. Cependant une difficulté est soulevée par le fait qu’il soit impossible d’adopter une constitution qui garantisse qu’absolument toutes les lois adoptées seront justes. Dès lors on ne peut, au maximum, qu’arriver à une justice procédurale imparfaite. Cependant certaines seront moins « imparfaites » que d’autres voila pourquoi le choix est possible. Ce choix doit se fonder sur une connaissance des stratégies politiques développées par les hommes, le voile d’ignorance est ainsi encore une fois de plus relevé même si les partenaires n’ont pas de connaissances de leur propre situation. La « meilleure constitution » doit être choisie eu égard aux principes de justice, mais aussi eu égard aux lois qu’elle peut engendrer, ces lois doivent satisfaire aux principes de la justice et à toutes les conséquences engendrées par la constitution. Cependant il y a une « division du travail », c’est la constitution qui réalise le premier principe et assure l’égalité entre les hommes et c’est la loi qui met en œuvre le second principe. L’ordre lexical est ainsi de nouveau mis en œuvre car c’est la loi qui, sur le socle de l’égalité, va distribuer les inégalités avec comme objectif la maximisation de l’indice des biens premiers des défavorisés. Dans la seconde étape, celle de la loi, il faut ainsi posséder des information supplémentaires comme les théories économiques, sociales etc. La dernière étape est celle de l’application de la loi par les citoyens. A cette étape il n’y a plus de limite de l’information. Ainsi, au cours des quatre étapes (détermination des principes, adoption de la constitution, adoption des lois, application aux citoyens), il y a une augmentation de l’information et, à la fin, le voile d’ignorance est complètement soulevé. Cependant Rawls remarque une incertitude puisqu’il est possible que plusieurs formes juridiques survivent à ces quatre étapes et ne cherche pas à résoudre ce problème puisque cela est impossible. Le but de la TGCE devient ainsi, non pas d’arriver à la perfection, mais de tendre vers des institutions meilleures que celles que nous possédons et de montrer les erreurs à ne pas commettre.

32. Le concept de liberté Rawls ne va pas ici proposer de définition de la liberté mais étudier cette dernière selon les agents libres, les restrictions dont ils sont libérés et les choses qu’ils sont libres de faire ou de ne pas faire. Il s’agit ainsi « d’expliquer le concept de liberté ». Il s’agit ainsi de décrire les situation

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sous la forme : « cette personne est libre à l’égard de X de faire ceci ou cela ». Les contraintes sont sociales, elles viennent des autres ou des institution, « la liberté est une certaine structure des institutions » et l’analyse va se limiter aux rapports entre la liberté et ces institutions. En fait chaque forme de liberté est caractérisée par un ensemble de droits et de devoirs. Par exemple, en ce qui concerne la liberté de conscience, elle est effective quand un homme peut poursuivre ses buts religieux sans que la loi ne le force à en suivre d’autres et que les autres ont le devoir de respecter ces buts. Il y a par conséquent une confrontation des droits et des devoirs. Les libertés de base « doivent être évaluées comme un tout, comme un système », la valeur d’une liberté dépend ainsi des autres libertés. Ensuite Rawls admet que l’on peut garantir les libertés à tous, et enfin il faut noter la différence « entre organiser et restreindre ». « La meilleure organisation des diverses libertés dépend de la totalité des limitations auxquelles elles sont soumises ». Il reste que l’on peut limiter une liberté si cela permet d’accroître la liberté de tous, c'est-à-dire la liberté en général. Il reste que la liberté n’a pas la même valeur pour tous puisque tout le monde ne peut pas réaliser ses projets, cependant pour Rawls cet argument ne tient pas parce que la TGCE réconcilie la liberté et l’égalité en maximisant la valeur de la liberté pour les plus défavorisés. La définition du but de la justice sociale est ainsi de « maximiser, pour les plus désavantagés, la valeur du système complet des libertés égales pour tous.

33. La liberté de conscience égale pour tous Même si les partenaires n’ont pas de connaissances sur leur situation propre, ils savent qu’ils ont des intérêts moraux et religieux qu’ils doivent rester libre de conserver et qu’ils ont des liens avec leurs descendants, voila pourquoi la liberté de conscience doit exister pour tous. Si Rawls étudie la liberté de conscience pour tous, c’est parce qu’il estime que c’est un « point fixe » dans nos conceptions de la justice. Cependant les partenaires doivent trancher pour savoir comment agencer la liberté de conscience de chacun. Etant donné que les partenaires ont très peu d’informations ils ne peuvent souscrire au principe d’utilité et ils doivent choisir la liberté de conscience pour tous afin de préserver les intérêts de chacun, on ne peut en effet justifier la limitation de cette liberté par une compensation quelconque. De plus, comme les partenaires se soucient des générations postérieures, ils ne peuvent que vouloir qu’elles aient les mêmes libertés qu’eux et ce n’est possible qu’avec le principe de liberté égale pour tous. Enfin, Rawls conclut en expliquant que même si l’utilitarisme soutient la liberté, rien dans cette doctrine n’assure la liberté pour tous.

34. La tolérance et l’intérêt commun L’Etat de Rawls est « l’agent des citoyens », c'est-à-dire qu’il doit garantir les libertés en les réglementant pour qu’elles ne troublent pas l’ordre public mais il ne doit pas s’investir plus que nécessaire dans la vie des citoyen. Voila pourquoi Rawls refuse un Etat qui soutiendrait les religions. Maintenir l’ordre public est une décision qui serait prise dans la position originelle car l’ordre public est nécessaire pour réaliser ses fins. L’Etat a ainsi le devoir de maintenir l’ordre public ce qui lui donne des pouvoirs. Cependant ces pouvoirs ne peuvent être mis en œuvre que si des fondements objectifs le permettent. Rawls fonde l’évaluation de ces fondements sur un sens commun, même si cela ne suppose aucune théorie de la connaissance car Rawls ne signifie pas par là qu’il est intuitionniste. Il reste que la tolérance et la liberté égale pour tous proviennent de la déduction à partir des deux principes de justice eux-mêmes et que la liberté ne peut être limitée que pour sauver la liberté elle-même. Rawls rompt ainsi avec les Etats confessionnels parce qu’ils ne peuvent permettre une liberté égale pour tous ou une tolérance, cependant il s’inscrit dans la tradition de Locke et Rousseau, même s’ils ne conçoivent qu’une tolérance limitée car il estime étendre la portée de leur pensée.

35. La tolérance à l’égard des intolérants Cette question va être traitée en lien avec celle de la tolérance religieuse. Il apparaît qu’une secte intolérante peut être privée de liberté si et seulement si elle menace la liberté des autres, en effet cette limitation est justifiée puisque la secte elle-même l’aurait choisie dans la position originelle. Ainsi une limitation de la liberté ne peut avoir lieu qu’au nom de la liberté de tous. Cependant une secte intolérante ne peut pas se plaindre de la limitation de sa liberté dans ces circonstances puisqu’elle l’aurait elle-même choisie dans la position originelle.

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36. La justice politique et la constitution

La justice politique est la justice de la constitution, il s’agit ainsi de voir comment est mis en œuvre le principe de liberté égale pour tous dans cette partie des institutions de base. Etant donné que la constitution est un cas de justice procédurale imparfaite, il faut qu’elle soit conforme au principe de liberté égale pour tous et la plus juste parmi tous les choix possibles. Au niveau de la constitution, le principe de liberté égale pour tous est retranscrit par le principe de participation qui transfère l’égalité de la position originelle à la constitution. Rawls définit ensuite le constitutionnel qui se compose d’un exécutif responsable devant le peuple, d’un législatif et de partis politiques qui doivent, pour venir au pouvoir, proposer une conception du bien public. Rawls remarque « le manque d’unanimité » nécessaire au jeu des institutions, il est normal qu’il y ait des désaccords sur ce bien et la liberté de conscience doit être reconnue par la constitution. Enfin des élections libres et où tous les citoyens majeurs sains d’esprits ont une voix doivent être tenus régulièrement. Il s’agit d’étudier la signification, l’étendue et les indicateurs qui donnent la valeur de la liberté égale pour tous. L’égalité entre un vote te une voix influe sur la valeur du vote mais aussi sur la façon dont il est recueilli, puisqu’il faut procéder à des découpages électoraux tels qu’ils ne soient pas le simple fruit du bon vouloir des partis politiques. Voila pourquoi ces dispositions doivent être réglées par la constitution même si elles sont empruntes d’une certaine contingence. De plus il faut que chacun ait la liberté d’accéder à un poste d’autorité en adhérant à un parti politique, en ayant la possibilité de se faire élire etc. « Dans quelles limites doit on définir [les] libertés [politiques] ? » En effet la constitution peut ne pas limiter le pouvoir de la majorité ou exiger une majorité plus élevée et laisser place à l’expression d’une minorité. Cette question sera traitée plus tard. Il faut assurer la valeur de la liberté, c'est-à-dire qu’un groupe de personnes ayant plus ou moins les mêmes caractéristiques doit avoir les mêmes chances de réussites. Pour cela il ne faut pas que les plus défavorisés soient privés d’information ou de moyens d’action. Voila pourquoi il faut répartir la richesse et faire en sorte que les partis politiques s’autofinancent afin qu’ils ne soient pas dépendants des intérêts privés. Il s’agit d’établir, par une juste constitution « une forme de concurrence équitable pour les positions et l’autorité publique ».

37. Les limitations du principe de participation

Le principe de participation peut être limité de trois façon, la constitution peut définir une liberté de participation plus ou moins étendue, autoriser des inégalités dans les libertés politiques et influer sur les ressources sociales. L’extension des libertés politiques est définie par les limitations constitutionnelles, au pouvoir de la majorité au profit du gouvernement notamment ou vice versa. En fait ces limitations de la liberté ne peuvent être justifiées que si on obtient un plus haut niveau de liberté que dans le cas où elles n’existeraient pas. Il reste qu’il peut exister des conflits à l’intérieur du système de liberté, par exemple le libéralisme classique fait primer les libertés de conscience et de la personne sur les libertés politiques. Rawls ne va pas aussi loin et préconise simplement un ajustement entre les différentes libertés afin de les garantir toutes de façon maximale. Il n’y a ainsi pas de politique du tout ou rien malgré les priorités de certaines libertés. « La pierre de touche de l’organisation constitutionnelle est toujours la justice », « la force de l’opposition n’a rien à voir avec la question du droit ». Ainsi la législation ne doit pas être promulguée eu égard à un « désir », mais toujours en vue d’une plus grande justice des lois, voila pourquoi même si l’opinion est un bon indicateur, elle ne doit pas gouverner en tant que telle. Rawls passe ensuite à la liberté politique inégale en remarquant tout d’abord qu’entre les whigs et les tories par exemple, plutôt qu’une confrontation de personnes il règne une confrontation d’intérêts, ceux de la classe aisée ou ceux des plus pauvres, voila pourquoi l’équation une voix = un homme n’est pas forcément respectée. Il remarque cependant que des arguments pour une liberté différenciée peuvent être convaincants. Ainsi, par analogie avec un navire où les passagers confient les responsabilités au capitaine, on peut imaginer un système où les plus compétents gouvernent. Cependant pour lui il s’agit de définir une éthique de la vie politique, car il ne s’agit pas de satisfaire les désirs de pouvoirs de certains par l’égalité de liberté politique, cela signifie simplement que chacun à une part égale dans la mise en oeuvre des institutions de base. Rawls estime aussi que cet égalité

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permet de conserver le respect de soi-même et la coopération entre les hommes afin qu’ils ne se voient pas comme des concurrents.

38. L’autorité de la loi Rawls va ici étudier les droits des personnes en tant qu’ils sont protégés par l’autorité de la loi. L’autorité de la loi provient de l’application impartiale des principes de la loi, une forme d’injuste consiste dans l’application partiale des lois. L’autorité de la loi est liée à la liberté. Le système de loi est en effet un ensemble de coercitions qui, s’il est juste, fonde des attentes légitimes alors que s’il est injuste ou flou il influe sur la liberté en la déformant. Le système de loi est public et possède, en général, les formes extrêmes de coercition. On attend d’un système de loi, en tant qu’il s’adresse à des êtres rationnels, qu’il se rapproche d’un idéal, cet idéal servant de critère puisque le système est d’autant plus juste qu’il s’en rapproche puisqu’il permet un fondement plus sûr de la liberté. Rawls se livre à l’examen du précepte « tu dois donc tu peux ». Pour lui ce précepte exprime la condition suivante : « un système de lois devrait reconnaître comme justification ou du moins comme une circonstance atténuante l’impossibilité d’exécuter l’action ». De plus les lois doivent s’appliquer à tous et de la même façon, ce qui disqualifie l’arbitraire puisqu’un juge devra justifier les différences qu’il fait entre les personnes par exemple. « Nulla crimen sine lege ». Les lois doivent ainsi être claires et promulguées, générales et n’attaquant pas ceux auxquels elles s’appliquent. En effet si la loi n’est pas claire, alors le citoyen ne sait pas ce qu’il doit faire ou ne pas faire et le légal se définit par sa justice ce qui disqualifie les lois injustes. Le système de loi doit prescrire des lois pour le déroulement des procès afin qu’ils soient équitables et qu’ils « préservent l’intégrité du système judiciaire ». Il y a ainsi des « préceptes de justice naturelle » qui dictent l’équité des procès (règles sur les témoignages, impossibilité d’être à la fois juge et partie etc.). Rawls fixe ainsi comme but au procès de découvrir la vérité et pour ce faire il faut une méthode. Par conséquent, eu égard aux liens entre la liberté et le système de lois, il apparaît qu’un système de lois peut être bien fondé quand il résulte du choix groupe préoccupé par son envie d’accorder la plus grande liberté à tous. De plus le rôle des lois est de combler le manque de volontarisme, il est ainsi peu évident de se représenter un pays où chacun paierait ses impôts avec le sourire ! La peine vient ainsi soutenir la liberté car elle stabilise la situation. Par conséquent la limitation de la liberté ne peut provenir que de la liberté elle-même.

39. La définition de la priorité de la liberté Rawls définit ici plus précisément son projet, il ne s’agit pas de révolutionner le monde mais d’entrer en adéquation avec nos jugements bien pesés et d’argumenter en faveur de la liberté afin de lui donner des fondements stables, ce qui est ici possible puisque les présupposés de sa doctrine sont « faibles » selon lui. Il s’agit de préciser le sens de la priorité de la liberté, en fait la liberté prime parce qu’elle est présente dans le premier principe et que le second principe ne peut être mis en œuvre qu’après que la liberté ait été elle-même avérée. De plus « la liberté ne peut être limitée qu’au nom de la liberté elle-même ». Evidement la liberté est aussi limitée par des contingences comme le fait d’être un enfant par exemple. Cependant de nombreuses difficultés sont soulevées par la conduite à tenir face à l’injustice. En effet, les principes définissent une situation parfaitement juste et l’échec n’est pas envisagé puisqu’ils sont choisis dans le cadre d’une situation qui permet de les mettre ne œuvre. Ainsi l’injustice pose un problème car comment les principes, qui ont été choisis dans une situation favorable, peuvent ils encore être adéquats dans une situation qui ne l’est plus ? Il reste que Rawls se concentre sur la théorie idéale, en effet il souhaite instituer un critère, la justice idéal, qui serve à évaluer nos institutions et dont il nous faut nous rapprocher. A ce titre il faut gommer les injustices au maximum et ce même dans une situation moins favorable que ne l’est la position originelle. Rawls affirme que les lois sont là pour protéger les individus de leur « tendances irrationnelles ». Ceci mène au paternalisme qui, dans ce cas, signifie que les partenaires stipulent les cas où quelqu’un d’autre peut agir en leur nom. Une attitude paternaliste consiste à agir pour l’autre comme s’il était rationnel. Moins nous connaissons la personne, plus nous agissons comme nous le ferions dans le cadre de la position originelle puisque les informations dont nous disposons sont alors limitées. De plus, cette intervention doit être justifiée par l’absence de rationalité de la

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personne qui subit le paternalisme et agir dans le sens de cet individu. L’éducation est une forme de paternalisme.

40. Interprétation kantienne de la justice comme équité Ici, Rawls va se fonder sur le concept kantien d’autonomie. Pour lui la position originelle est à lier au « règne des fins » kantien car les choix sont opérés sur un socle d’égalité dans les deux cas. Le voile d’ignorance devient alors la condition de possibilité de l’autonomie car il empêche toute hétéronomie, c'est-à-dire tout choix selon une position particulière. « Les principes de la justice sont analogues à des impératifs catégoriques au sens kantien ». Cependant il faut limiter la portée de cette affirmation parce que si Rawls ne raisonne qu’au niveau de l’homme et du général, Kant raisonne lui au niveau universel de tout homme raisonnable. Rawls reproche à Kant de na pas avoir théorisé le fait que nous exprimions notre moi par la rationalité uniquement en adoptant des principes rationnels qui ne lèsent pas les autres. Outre le fait que le Fondement pour la métaphysique des mœurs montre le contraire, il est un peu facile de reprocher à Kant de n’avoir pas été Rawls ! Cependant Rawls pense qu’en précisant les principes de la justice, il a « combler » le manque kantien. Il reste que le fait d’être juste exprime, pour Rawls, notre moi en choisissant des principes rationnels car nous exprimons alors le fait que nous sommes libres et égaux. Les partenaires manifestent leur liberté en « agissant d’après des principes qu’ils reconnaîtraient dans la position originelle ». Pour Kant, agir de manière immorale est honteux car nous n’exprimons pas alors ce que nous sommes réellement, nous abaissons notre respect de nous même. « La position originelle comme interprétation procédurale de la conception kantienne de l’autonomie [...], dans le cadre d’une théorie empirique ». En fait la position initiale montre que le moi nouménal est collectif. Rawls prend le parti d’effacer les dualismes kantiens afin de donner sa vraie portée à la morale kantienne.

66. La définition du bien pour les personnes Le « bien d’une personne » est « la réalisation couronnée de succès d’un projet de vie rationnel ». Les biens premiers sont les biens qu’il est rationnel de désirer quels que soient nos autres désirs. Le respect de soi même est le premier des biens. La liste des biens premiers ne peut être établie par un recours à la justice puisqu’elle doit servir à définir la justice, elle doit ainsi pouvoir découler de la rationalité et « aller de soi ». Rawls se propose d’établir une théorie complète du bien afin de pouvoir expliquer l’utilisation du terme « bien » dans toutes les théories morales. Il s’agit ainsi de créer une théorie rendant compte d’une bonne société autant que d’une personne bonne. Une personne bonne peut être une personne « mieux que la moyenne », ou remplissant bien certains rôles, ou possédant des qualités de base à un niveau supérieur à la moyenne. Cependant même si cette dernière solution est séduisante, il apparaît difficile de dire quelles sont les vertus de base, même si on peut penser qu’elles contiennent, dans la société juste qui nous occupe, le sens de la justice. La fin rationnelle de l’individu, dans cette société, respectera les principes du juste. Mais Rawls va distinguer ces vertus morales des atouts naturels qui sont, dans un sens au moins, nécessaires eux aussi, mais seules les vertus peuvent nous permettre de mettre en œuvre les principes du juste. Ainsi les vertus morales peuvent être étudiées selon la justice, ce qui n’est pas le cas des atouts naturels. Une personne bonne possède ainsi à un haut degré les caractères moraux que les partenaires peuvent désirer avoir dans la position originelle. Il y a ainsi une extension possible de la TGCE à toute la théorie morale. On peut distinguer l’homme injuste, méchant ou mauvais. L’injuste recherche son bien selon des buts comme la richesse, le méchant parce qu’il aime le sentiment que lui procure la réalisation de son bien et la reconnaissance qu’il peut en retirer, le mauvais désire l’injustice parce qu’il sait qu’elle viole ce qui est juste, c'est-à-dire ce qui serait choisi dans la position originelle.

67. Le respect de soi même, l’excellence et la honte « Le bien premier peut être le plus important est le respect de soi même ». Il s’agit d’expliquer cet état de fait eu égard à la conception du bien comme rationalité. Le respect de soi même est fondé sur le fait qu’un individu ait conscience de la valeur de sa conception du bien. Le respect de soi même repose aussi sur la conscience de sa capacité à réaliser ses fins et est un

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bien premier parce qu’il permet, par définition l’action, on ne peut pas agir si on est convaincu de son échec. C’est ainsi le fait que nous ayons un bien rationnel qui nous donne notre valeur car il s’agit de se réaliser en mettant en avant ses points forts et de gagner l’estime des autres. Il s’agit ainsi que les activités, les projets rationnels, soient complémentaires afin de favoriser l’initiative de chacun, son développement et le respect puisque les autres ont plus tendance à valoriser ce dont ils retirent quelque chose. Il s’agit de rejeter le critère de perfection qui conduit à penser qu’il n’y a qu’un seul bien commun. Les principes de la justice fondent l’estime de soi car ils posent que l’on peut s’accomplir chacun dans un domaine de son choix et être valorisé par les autres. La honte est ressentie quand notre respect de nous même est atteint ou quand notre estime est blessée, elle implique une relation avec ceux dont nous attendons une consolidation de notre valeur. Mais la honte est aussi parfois un sentiment moral puisque nous faisons appel au concept du juste pour la comprendre. Nous possédons tous des « excellences » (imagination…) qu’il est rationnel de désirer puisqu’elles permettent la réalisation de nos projets. Ces excellences ont aussi une valeur sociale et sont, par leur possible utilisation, des biens premiers. Ce sont nos projets de vie qui activent nos excellences et font apparaître des manques, ces manques causant la honte puisqu’ils blessent notre estime et apportent aussi moins de soutien collectif. Ceci fonde la honte naturelle. La honte morale est à relier à l’idée de personne bonne. Le fait de faire ce qui est correct est le meilleur moyen d’exprimer son moi, les vertus sont de plus des excellences, elles sont bonnes de notre point de vue comme de celui des autres. Voila pourquoi leur manque cause la honte. La honte morale est différente de la culpabilité car la honte repose sur le manque de vertu alors que la culpabilité repose sur le fait de contrevenir au bien de l’autre. La honte et la culpabilité montre ainsi deux points de vue car la honte exprime le fait que nous sentons que notre moi est diminué alors que la culpabilité met en jeu notre relation aux autres.

77. Le fondement de l’égalité L’égalité est le fait d’être un « principe de la justice ». Pour Rawls, nous faisons reposer la différence entre les animaux et les hommes sur l’application de la justice. L’auteur distingue trois niveaux d’égalité, le premier se situe dans l’application des institutions à tous de la même façon, le second au niveau est celui où les hommes possèdent tous les mêmes droits fondamentaux, et le troisième institue que pour être sujet de la justice il suffit d’être sujet moral, c'est-à-dire de pouvoir participer à la position originelle. Ainsi tout être humain possède un sens de la justice et c’est cela qui le rend objet de justice. Pour Rawls, grâce au principe de différence, il suffit d’avoir un minimum de sens de la justice pour bénéficier de la liberté. Par conséquent, il faut disposer d’une base naturelle pour définir l’égalité qui est assurée par les principes mêmes de la justice. L’égalité se fonde sur la possession d’une qualité par tous les humains et cette propriété est le fait de pouvoir appartenir à la position originelle. Pour la TGCE, il suffit d’atteindre un minimum, il ne s’agit pas de maximiser des biens. Le sujet moral est défini par sa capacité à être juste plus que par la réalisation de cette capacité. Ceci explique que les bébés ou les enfants aient des droits fondamentaux. De plus cette potentialité s’accorde avec le caractère hypothétique de la position originelle. L’égalité métaphysique est contenue dans le premier principe et l’égalité des biens dans le second. La priorité du premier principe sur le second permet d’articuler les deux conceptions de l’égalité. Le but de Rawls n’est pas de transformer le monde mais d’aider à son acceptation puisque la TGCE ne cherche pas à supprimer l’inégalité.

78. L’autonomie et l’objectivité Rawls va ici se concentrer sur le rapprochement entre la TGCE et la théorie du bien comme rationalité pour une société bien ordonnée. Il s’agit ainsi d’accorder le bien et le juste. Rawls soulève tout d’abord un premier problème, pourquoi ne pas dire que note sens moral est simplement une névrose ? En fait Rawls, eu égard à la théorie du contrat peut affirmer que ce n’est pas le cas puisque les principes de la justice ne dépendent pas des conditions particulières à l’individu, ce dernier les aurait choisi dans le cadre de la position originelle. Il faut, dans une société bien ordonnée, une éducation morale qui est « éducation à l’autonomie », au sens kantien puisque nous aurions choisi dans la position originelle ce que nous

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apprenons, par conséquent le sens de la justice ne provient pas d’un endoctrinement. Autonomie et objectivité sont compatibles. La position originelle, par le voile d’ignorance, construit un point de vue objectif, c'est-à-dire un point de vue rationnel, digne des êtres rationnels que nous sommes et permettant à chacun, à tous moment de déterminer les principes choisis dans la position originelle. Il s’agit de rendre possible un accord fondé sur des principes objectifs. Même si cet accord est partiel, il est mieux assuré par la TGCE et surtout cet accord est presque tout le temps assuré sur les « points essentiels ». Il s’agit ainsi de fonder une « perspective commune » qui réduise les dissensions et permette d’argumenter sur un socle rationnel. Il n’est ainsi pas vrai que les individus puissent former leur propre morale ou qu’il faille respecter à tout prix leur jugement de conscience dans le cadre de la TGCE. « Nous ne devons pas respecter à la lettre la conscience d’un individu ». il faut le respecter en tant que personne, c'est-à-dire comme partenaire possible et à ce titre limiter sa liberté d’action quand il enfreint les principes de la justice. L’autonomie fonde la responsabilité, nous sommes responsables de ne pas être autonomes et de ne pas agir justement. Une société bien ordonnée « affirme l’autonomie des personnes » et les pousse à l’objectivité. De plus, lorsqu’il surgit des doutes sur le bien fondé des sentiments moraux de leurs citoyens, elle les pousse à se tourner vers les principes de la justice pour évaluer ces sentiments.

79. L’idée de la communauté sociale Rawls veut maintenant montrer que la TGCE s’applique à la société, c'est-à-dire peut rendre compte des valeurs communautaires, pour lui un des moyens d’évaluation est de voir si la théorie peut permettre de réaliser le bien commun. L’auteur oppose à la TGCE, qui part de prémisses faibles la « société privée ». Dans la TGCE les partenaires sont l’objet d’un conflit d’intérêts mais aussi d’un intérêt commun alors que dans le cas de la société privée les hommes ne se préoccupent pas du bien des autres et ne cherchent qu’à atteindre leur bien propre. Ainsi pour Rawls la société n’est pas uniquement justifiée par sa nécessité dans le développement humain (parole…) mais dans sa différence avec la société privée. Il s’agit de « comprendre la nature sociale humaine ». Rawls soutient que les biens des hommes sont complémentaires. Les potentialités des hommes sont plus grandes que ce qu’il ne fait réellement, l’homme doit sélectionner des talents à l’intérieur de ses potentialités, ce qui fonde la complémentarité. La communauté sociale est ainsi fondée sur les besoins et les potentialité de ses membres, ce qui offre à chacun le droit de bénéficier des atouts naturels une fois réalisés. « L’espèce humaine forme une communauté dont chaque membre bénéficie des qualités et de la personnalité de tous les autres ». Le bien de chacun n’est ainsi qu’une partie du système qui mène au bien commun. L’homme est historique car les actions d’une génération rejaillissent sur les autres. L’opposition avec un animal réside dans le fait que l’animal, lui, réalise toutes ses potentialités. Il s’agit de voir que la vie commune a une valeur intrinsèque. Cette valeur réside dans le fait de pouvoir réaliser des aspirations communes, même s’il est possible que les désirs pour un même objet de personnes différentes soient conflictuels. Il faut un système de conduite où chacun soit complémentaire, chacun peut alors prendre plaisir aux œuvres des autres. De plus Rawls introduit une subdivision, à l’intérieur d’une société bien formée, il y aura de nombreuses communautés (groupes d’amis…). Une société bien ordonnée est elle-même une forme de communauté, c’est une communauté de communautés. Le bien de cette communauté est de coopérer afin que chacun puisse se réaliser dans les conditions prévues par les principes de justice. Les institutions justes de cette communauté sont des biens en elles mêmes car elles matérialisent les principes qui auraient été choisis dans la position initiale. Dans la société bien ordonnée les biens des hommes s’harmonisent grâce à des principes reconnus par tous. La vie privée est ainsi un bien enchâssé dans le bien architectonique qu’est le bien de la société, ce bien étant la conformité des institutions aux principes de la justice. Ce bien permet la liberté et ne subordonne pas les biens privés à son vouloir. « Nous ne pouvons surmonter [...] nos dépendance à l’égard des autres ». L’être humain est incomplet, ce qui le pousse à réaliser un bien particulier et à être dépendant des biens particuliers des autres. « Nous devons compter sur les autres pour réaliser les excellences que nous devons nous-mêmes laisser de côté ou qui nous font défaut ».

82. Les raisons de la priorité de la liberté

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Il s’agit de préciser les raisons de la priorité de la liberté dans une société bien ordonnée car même si dans la réalité la liberté n’est pas la même pour tous, c’est la tendance, à terme, de toute société consciente des principes de justice. La liberté est prioritaire car elle est incluse dans le premier principe et découle de la position originelle où chacun est libre et égal aux autres afin de pouvoir avoir des projets personnels sur lesquels fonder des revendications légitimes. Afin de protéger leurs activités futures, les partenaires doivent garantir la liberté à tous. La liberté est prioritaire car elle est une forme, une condition de possibilité de nos activités futures, voila pourquoi les partenaires doivent la garantir. Rawls refuse l’argument selon lequel les hommes ne seraient préoccupés que par leur statut est tendraient à l’envie et à la chrématistique. Le statut de chacun est reconnu, dans une société juste, par tous. De plus, en acceptant d’être inférieur l’homme perdait son respect de lui-même et l’estime des autres étant donné que l’égalité est garantie par la constitution. Il s’agit de protéger le bien premier qu’est l’estime de soi-même afin de favoriser la coopération sociale. Enfin Rawls remarque que sa théorie s’appuie sur une visée historique, c'est-à-dire sur la vision du fait que les institutions changent, sans cela il aurait pu adopter une position moyenâgeuse posant que les castes sont issues d’un système divin.

86. L’unité du moi Le problème est d’identifier un projet rationnel de vie étant donné qu’il n’y a pas de fin unique vers laquelle tendre. La réponse est qu’un projet rationnel « serait choisi pas une délibération rationnelle selon la théorie complète du bien ». Il faut ainsi voir si cette affirmation ne soulève pas de difficultés. La personne morale est caractérisée par sa capacité à vouloir le bien et à développer un sens de la justice. L’unité de la personne se trouve dans le fait de faire des projets pour atteindre un bien dans le cadre des principes de la justice, ce même si ce projet ne se forme qu’avec le temps. L’utilitarisme fait reposer cette unité sur l’hédonisme puisqu’il s’agit de maximiser les expériences plaisantes. C’est l’hédonisme qui justifie le principe d’utilité. La TGCE introduit un bouleversement puisqu’elle instaure la priorité du juste. « L’aspect fondamental du moi » est la personnalité morale, la fin ultime est rejetée. L’unité du moi est fournie par la conception du juste, le projet personnel est un « sous-projet » du projet global. En arrivant au monde nous avons une possibilité de choix infini. Par conséquent peu importe l’indétermination du bien même si les biens possibles sont limités par les principes de justice. Il n’y a pas besoin de fin ultime comme dans l’hédonisme. L’accord collectif préalable impose une certaine structure au projet particulier. Chacun possède un moi commun, le moi moral qui s’exprime par une structure commune des projets. La TGCE instaure ainsi une fusion des hommes à travers leur complémentarité qui ne peut que les mener à un accord.

86. Le bien du sens de la justice Il s’agit de compléter la congruence entre le bien et le juste, c'est-à-dire de voir si les principes des deux concepts sont compatibles. En fait ces eux concepts sont deux points de vue sur les institutions, et il s’agit de voir si le fait que la justice soit placer au dessus de tous les biens s’accorde avec le bien. Il s’agit en fait de voir si le désir de justice est rationnel, c'est-à-dire permet une stabilité de la société. Cette justification va passer par la monstration du fait qu’un individu qui a le sens de la justice est qui sait que les autres individus ont le même sens de la justice que lui choisit de manière rationnelle de respecter sens de la justice. Il s’agit ainsi d’évaluer le bien qu’il y a à choisir de respecter son sens de la justice. Rawls prend en compte un certain appareil psychologique car pour lui nous agissons eu égard à des désirs, dans un système de fins. Voila pourquoi si on choisit de se conformer à la justice ce choix a un poids. De plus, une fois que nous avons acquis un sens de la justice, qui est irrévocable, nous sommes confortés dans notre conformation aux principes de la justice. Rawls évince l’argument qui consisterait à dire que celui qui simulerait une attitude juste et enfreindrait la loi quand il pourrait en tirer avantage y trouverait son compte. En effet, dans une société bien ordonnée, l’amitié s’étend aux structures sociales et à tous les citoyens. Or, en étant injustes, nous atteignons tous ceux que nous aimons, ce qui est inimaginables.

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De plus, participer à une société bien ordonnée est en soi un bien puisque nous pouvons ainsi réaliser nos potentialités latentes, la réussite n’est ainsi plus seulement individuelle mais profite à chacun. En fin, en tant qu’êtres rationnels, libres et égaux nous voulons agir justement. Rawls montre que nos affections, comme l’amour ou l’amitié, nous mettent en danger puisque nous sommes alors « vulnérables » aux attaques des autres. Nous sommes dans la même position lorsque nous désirons la justice mais dans une société bien ordonnée ce danger est restreint car ce ne sont pas les autres qui nous menacent mais uniquement les contingences. Le seul moyen de réaliser notre nature est d’être juste. Il faut être juste pour réaliser sa liberté et ne pas être dominé par les contingences, de plus le désir du juste n’est pas un désir parmi d’autres, il est propriétaire. Chacun agit dans l’intérêt des autres quand il agit justement. Voila pourquoi le respect général du sens de la justice est souhaitable. Voila pourquoi il faut des sanctions pour faire en sorte que les individus respectent ce sens de la justice. Rawls admet que ceux qui, par nature, ne considèrent pas la justice comme un bien seront malheureux. Ainsi, étant donné que nous agissons dans un système de désirs, il est possible que nous ne désirions pas la justice mais cela ne remet pas ne cause le fait que les principes de la justice ont un intérêt individuel.