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Bible Sur le Terrain, Frère Jacques Fontaine OP, 3e partie : Au nom du Saint Esprit à Jérusalem Jour 16 : La route d’Emmaüs. Viens Seigneur Jésus445 Jour 16 : La route d’Emmaüs Toujours et Partout : La route d’Emmaüs MARANATHA Viens Seigneur Jésus… Plages de son 1, 2, 3,4 : p 445 : La Résurrection. Par lui, avec lui et en lui : en relation avec Dieu… vers Dieu p 453 : La liturgie de la Parole indissociable de la fraction du Pain p 462 : Yad Vashem « un mémorial, un nom » p 463 : Crises, métamorphoses, continuités et dépassements ; mort et résurrection … l’Histoire sainte Jour 16 (1) La Résurrection. Par lui, avec lui et en lui : en relation avec Dieu… vers Dieu C’est le dernier jour de cette retraite, de ce parcours. Je ne l’ai pas numéroté parce que : Tout se termine à Jérusalem ! On ne peut plus quitter Jérusalem une fois qu’on en a perçu, un peu, le mystère. Mais toutes les routes de l’existence demandent à devenir des routes d’Emmaüs… C’est ce que je voudrais vous montrer en ce dernier jour : la route d’Emmaüs ! Je vous ai menés dans une nécropole somptueuse au nord de Jérusalem. N’allez pas me faire dire que j’ai trouvé un autre Saint-Sépulcre. Non, je vous ai montré, assez soigneusement (on y a passé toute une matinée) que la tradition du Saint-Sépulcre est extrêmement solide et sérieuse, mais l’imagination, il faut bien le dire, était quelque peu frustrée. Aussi je vous ai amenés ici, car on ne peut pas mieux trouver pour imaginer ce qu’était la région au temps de Jésus ! Une région de carrières, de tombeaux et de jardins. C’est au nord de Jérusalem. Or vous avez remarqué que, généralement, les nécropoles sont à l’est pour deux raisons : à l’est, le calcaire sélonien est plus friable, plus facile à creuser et puis parce que ces nécropoles devaient dégager des odeurs nauséabondes. Les vents dominants venant d'ouest et l’est étant désertique, les mauvaises odeurs étaient chassées vers le désert. On compare dans le psaume la bouche du calomniateur à un sépulcre béant. 1 Il y a toujours des gens qui échappent aux coutumes, même quand elles ont force de loi !... Et, ici, vous avez des tombes assez somptueuses. Il y en a une encore plus belle (les avatars de l’histoire ont fait qu’elle est en territoire français et elle est tellement belle qu’on l’a appelée tombeau des rois). Ici, c’est un peu moins beau, c’est quand même assez important on l’a appelé Sanhedria, vous trouverez ça sur les cartes, à la sortie de Jérusalem, vers le nord. On va lire pour commencer… vous vous rappelez, les saintes femmes ? Lorsque Jésus est descendu de croix, 1 Ps 5,10

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  • Bible Sur le Terrain, Frère Jacques Fontaine OP, 3e partie : Au nom du Saint Esprit à Jérusalem Jour 16 : La route d’Emmaüs. Viens Seigneur Jésus…

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    Jour 16 : La route d’Emmaüs Toujours et Partout : La route d’Emmaüs

    MARANATHA Viens Seigneur Jésus…

    Plages de son 1, 2, 3,4 :

    � p 445 : La Résurrection. Par lui, avec lui et en lui : en relation avec Dieu… vers Dieu � p 453 : La liturgie de la Parole indissociable de la fraction du Pain � p 462 : Yad Vashem « un mémorial, un nom » � p 463 : Crises, métamorphoses, continuités et dépassements ; mort et résurrection … l’Histoire sainte

    Jour 16 (1) La Résurrection. Par lui, avec lui et en lui : en relation avec Dieu… vers Dieu

    C’est le dernier jour de cette retraite, de ce parcours. Je ne l’ai pas numéroté parce que : Tout se termine à Jérusalem ! On ne peut plus quitter Jérusalem une fois qu’on en a perçu, un peu, le mystère. Mais toutes les routes de l’existence demandent à devenir des routes d’Emmaüs… C’est ce que je voudrais vous montrer en ce dernier jour : la route d’Emmaüs ! Je vous ai menés dans une nécropole somptueuse au nord de Jérusalem. N’allez pas me faire dire que j’ai trouvé un autre Saint-Sépulcre. Non, je vous ai montré, assez soigneusement (on y a passé toute une matinée) que la tradition du Saint-Sépulcre est extrêmement solide et sérieuse, mais l’imagination, il faut bien le dire, était quelque peu frustrée. Aussi je vous ai amenés ici, car on ne peut pas mieux trouver pour imaginer ce qu’était la région au temps de Jésus ! Une région de carrières, de tombeaux et de jardins. C’est au nord de Jérusalem. Or vous avez remarqué que, généralement, les nécropoles sont à l’est pour deux raisons : à l’est, le calcaire sélonien est plus friable, plus facile à creuser et puis parce que ces nécropoles devaient dégager des odeurs nauséabondes. Les vents dominants venant d'ouest et l’est étant désertique, les mauvaises odeurs étaient chassées vers le désert. On compare dans le psaume la bouche du calomniateur à un sépulcre béant.1 Il y a toujours des gens qui échappent aux coutumes, même quand elles ont force de loi !... Et, ici, vous avez des tombes assez somptueuses. Il y en a une encore plus belle (les avatars de l’histoire ont fait qu’elle est en territoire français et elle est tellement belle qu’on l’a appelée tombeau des rois). Ici, c’est un peu moins beau, c’est quand même assez important on l’a appelé Sanhedria, vous trouverez ça sur les cartes, à la sortie de Jérusalem, vers le nord. On va lire pour commencer… vous vous rappelez, les saintes femmes ? Lorsque Jésus est descendu de croix,

    1 Ps 5,10

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    c’était le jour de la Préparation, le sabbat commençait à poindre 2 Epέfosken [ἐπέφωσκεν], ça fait allusion à la coutume juive d’allumer les lumières le soir du shabbat, quand le shabbat commence…erev shabbat3

    Elles regardèrent comment était le tombeau, comment son corps avait été mis. Puis elles s’en retournèrent pour préparer aromates et parfums. Et le sabbat, elles se tinrent en repos, selon le précepte. 4

    Et c’est seulement le premier jour de la semaine

    qu’elles vinrent au tombeau qu’elles trouvent vide.

    Ici, je passe de Saint Luc à Saint Jean, parce que, (comme on l’a vu en Galilée en allant « aux sources de l’intelligence chrétienne » à l’école de Saint Jean), on a vu que Saint Jean, paradoxalement, est à la fois le plus spirituel des évangélistes et aussi le plus précis au point de vue topographique et chronologique. Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit en Galilée. Alors je cherche toujours dans les groupes une volontaire qui s’appelle Madeleine ... (Il y en a de moins en moins, c’est un prénom qui se perd), pour lire le chapitre 20 de Saint Jean. Vous vous rappelez ? Marie-Madeleine qui prend Jésus pour le jardinier... Alors, cette phrase5... c’est extraordinaire ! Lorsque Jésus apparait après sa résurrection, les sens ne sont plus habilités à percevoir tout de suite la réalité de sa présence qui est plus réelle que jamais.

    � Et Marie-Madeleine le confond avec le jardinier, � les disciples d’Emmaüs pourront cheminer avec lui, pendant un certain temps, sans

    pouvoir le reconnaître. � Et aussi, au bord du lac => Voyez, c’est une des constantes : la présence est plus réelle que jamais… et on va Le reconnaître à la fraction du pain ! On verra ça sur la route d’Emmaüs.

    Mais, avant de passer à la route d’Emmaüs, selon les écritures, je voudrais qu’on recentre la conviction, la certitude de foi de la Résurrection, dans l’axe de la pensée juive dont nous sommes héritiers et qui échappe aux dissociations artificielles6. On vient d’entendre la fin de ce chapitre, ici, Jésus lui dit : « Va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et vers votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ».7 On peut dire, au fond, que toute l'expérience que nous avons faite se résume dans un seul mot d'une seule syllabe, cette proposition grecque, [πρὸς] pros, qu'on ne sait comment traduire, qui se trouve au début de l'évangile de Saint Jean : Au commencement était le Verbe et le Verbe était [πρὸς θεόν] pros Théon Les théologiens disent en relation avec Dieu, et le Verbe était Dieu8.

    2 Lc 23,54 3 Erev (soir), début du Shabbat. « Il y eu un soir, il y eut un matin… » : Pour les Juifs la fête commence la veille au soir. 4 Lc 23,55-56 5 Jn 20,14 : Elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c'était lui. Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui dit : « Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté ... » Jésus lui dit : « Marie ! » 6 Corps et âme 7Jn 20,17 8 Jn 1,1 La Parole était avec Dieu : Littéralement : “ était vers LE DIEU ”. Grec : ên pros ton Théon ; Hébreu : hayah ̓éth ha̓Èlohim.

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    Le Verbe détourne en quelque sorte cet élan éternel qu’il a vers le Père pour passer parmi nous. On a fait tous les détours, en surface et en profondeur, pour être sur la trajectoire de ce passage. Nous nous sommes rencontrés, et puis Il nous entraîne vers son Père devenu notre Père. C’est Saint Ignace qui parle de l’Esprit qui est comme une source en nous, et qui crie : Allons vers le Père ! C’est tout le voyage … L’Image de Dieu parfaite est venue nous dépanner, nous pauvres images de Dieu, qui avions un peu renoncé à l’aventure du bonheur. Il est venu nous rencontrer et Il nous entraîne dans son élan. Et maintenant : PAR LUI, AVEC LUI ET EN LUI dans l'Esprit-Saint, tout honneur et toute gloire ! Vous sentez ? Tout le voyage que nous avons fait peut se résumer dans un seul mot, monosyllabique. Ceci dit, on peut se demander, et beaucoup de chrétiens se demandent : est-ce qu’on n’est pas en train de se berner, de surcompenser, de se créer des illusions ? Il n'y a rien de plus absurde que la mort qui jette une ombre d’absurdité sur tout le déroulement de l’existence. Ne sommes-nous pas en train de projeter nos aspirations les plus profondes et d'inventer ?

    � La première réponse qui vient à l'esprit, c'est le récit qu'on vient de lire : cette richesse de détails ! Le plus jeune qui court plus vite que l'autre, mais il s'efface devant Pierre ; on aperçoit les linges qui gisent à terre ; St Pierre rentre dans le tombeau, il voit le suaire non pas avec les linges mais roulé à part ; … Qui aurait pu inventer un récit aussi détaillé et en même temps aussi sobre ?

    � Et puis il y a une deuxième réponse. La deuxième réponse c’est que nous sommes ici dans les enracinements juifs de notre foi. Jésus disait cette prière : Béni sois-tu Seigneur, roi de l'univers qui ressuscite les morts, ֵמַחּיֵה ַהֵּמִתים mehayé hamétim9. Et cette certitude de foi est courante dans le judaïsme.

    Quand on fait de la religion comparée, on est étonné de voir que les Juifs ont mis assez longtemps à parvenir à l'idée d'une survie, quand on les compare aux civilisations environnantes :

    • à Babylone ; pensez aux pyramides des Égyptiens ; chez les Grecs… Il y a une espèce de survie. Mais c'est une survie « mystico-gazeuse » ; on ne sait pas très bien en quoi ça consiste ; c'est du « spirituel » entre guillemets.

    • Les Juifs ont mis longtemps... Pourquoi ? Parce que, pour eux, c'est très

    difficile de dissocier l'âme et le corps. Cela peut se faire peut-être provisoirement, mais qu’est-ce que c’est qu’un homme, une femme sans son corps ? Ils sont réfractaires à cette dissociation à laquelle se résignent facilement d’autres cultures. Alors ils attendent que l'histoire, dans son réalisme, les amène progressivement à la certitude que Dieu, qui a créé le monde, est capable de re créer.

    - Et ça, ils en ont fait l'expérience d’abord collectivement dans leur histoire. Je ne reviens pas sur toutes ces interventions de Dieu, d’un Dieu qui a les issues de la mort. Vous vous rappelez, le passage de la mer Rouge, la délivrance de Jérusalem, les ossements desséchés d’Ezéchiel ?

    9 Dans la Amida, se trouvent mentionnées 19 bénédictions. La 2e se nomme « bénédiction de puissance », Dieu est le maître de la nature : Il guérit les malades, Il redresse ceux qui sont courbés, Il fait souffler le vent, tomber la pluie ou la rosée. Cette bénédiction s'achève ainsi : « Béni sois-Tu Adonaï qui fait revivre les morts Baroukh ata Adonaï méhayé hamétim ».

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    - Et cette conviction passe au plan individuel… Je crois que c’est un faux problème que de se demander précisément quand… Parce que le Juif pense à la fois collectivement et individuellement. En tout cas, à l’époque des Maccabées, (on voit ça au 2e livre des Maccabées), vous vous rappelez cette femme qui a sept enfants ? Et alors on les martyrise pour les forcer à rompre avec leurs coutumes ancestrales : on leur coupe les membres, on les scalpe, on les écorche, et ils répondent tant qu’on ne leur a pas coupé la langue :

    Scélérat que tu es, tu nous exclus de cette vie présente, mais le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourrons pour ses lois. ...C'est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise, et c'est de lui que j'espère les recouvrer de nouveau.10

    Ce n’est pas une spéculation sur le caractère spirituel de l’âme et le caractère du corps composite, qui se décompose… Non ! C’est une certitude de foi qui est née dans le réalisme de l’histoire. Et alors, il y a un autre courant de pensée. Je ramasse ici tous les courants de pensée, (en ces derniers jours), que nous avons rencontrés en parcourant la Bible. Il y a une théologie bien établie, à un certain moment : le juste doit être récompensé et le méchant puni. Et voilà que la réalité dément cette vérité admise par tout le monde. On a parlé de ça à Megiddo, rappelez-vous, avec la mort injuste du plus juste de tous les rois, Josias ! Et puis on a vu comment cela déclenchait une réflexion : le juif, quand il est devant une absurdité, ne se résout pas à l’insignifiance. Il se tape la tête contre le mur pour arriver à trouver une signification. Ce qui est insignifiant n'existe pas ! Il faut une signification Il se “casse la tête” sur le problème, on l’a vu à Megiddo : d’abord on ne veut pas y penser ; ensuite on essaye d’y penser de façon tâtonnante, et puis on découvre que la mort du juste n'est pas inutile, qu’elle a une signification, qu’elle a une fécondité, qu’elle provoque une conversion nationale. On se retourne vers celui qui a été transpercé et on transperce ceux qui nous ont « menés en bateau » pendant longtemps. Et la fécondité de la mort du juste, là, est symbolisée par un fleuve. Je ne reviens pas sur tout ce qu’on a dit : ce fameux fleuve capable de ressusciter la mer Morte, dans les prophètes. Et avec Jésus, la Résurrection : c'est Dieu qui sort de son silence et qui ne laisse pas le Juste voir le Shéol. Et au matin de Pâques, Il prend en main sa cause et à la face du monde, Il Le ressuscite. Et si notre foi s’arrêtait derrière la pierre du tombeau qu’on a roulé sur le cadavre de Jésus, dans la nuit du Vendredi Saint, eh bien

    nous serions les plus malheureux des hommes11. Ce qui fait justement tout le dynamisme de l'espérance chrétienne, ce qui faisait vivre les martyrs, c’est cette certitude que si nous marchons comme Il a marché, si nous passons par où Il est passé, nous parviendrons là où Il est. Il y a une tête de pont par delà l’absurde. C’est toute la spiritualité du baptême. Nous ne sommes plus du tout dans des spéculations consolatrices : nous sommes dans le réalisme de l'histoire. Et il faut se rendre compte aussi que ce n’est pas simplement une

    10 2 M 7, 9-11 11 1 Co 15,19

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    certitude pour notre dernier moment, quand on sera sur notre lit de mort et qu’il n’y aura plus rien d’autre… C’est quelque chose qui est déjà inscrit, par le baptême, au plus profond de notre être, par le « caractère baptismal », comme disent les théologiens. Ce caractère de mort et de résurrection a été imprimé au plus profond de nous-mêmes par le baptême. C’est Saint Paul qui dit cela dans l’épître aux Romains :

    Ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi d’une vie nouvelle... Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons avec lui,… 12

    St Paul a vécu ce mystère de mort et de résurrection sur la route de Damas. Et alors, tout au long de sa vie, il a fait l’expérience que ce baptême qu’il avait reçu, se traduisait, instant par instant ! Un peu comme : à chaque moment, on inspire, on reçoit la vie… à chaque fois on expire, on rend notre souffle. Viendra un moment où nous rendrons notre dernier souffle, mais dans la certitude que Dieu à qui nous remettons ce dernier souffle, nous le rendra. Il est capable de nous recréer, lui qui nous a créés. Là, il faut écouter Saint Paul ! Tenez, prenons-le à Athènes : Paul arrive à Athènes, c’est raconté dans les Actes des Apôtres, au chapitre 17. Il attend Timothée et Silas. Et alors son esprit s’échauffe ; il se balade dans

    cette ville remplie d’idoles. Il s’entretient à la synagogue avec des Juifs, des craignants Dieu13… Il y a aussi des philosophes épicuriens et stoïciens qui l’abordent. Les uns disent : « qu’est-ce que peut bien vouloir dire ce perroquet ? » D’autres : « on dirait un prêcheur de divinités étrangères », car il annonce Jésus et la résurrection :

    On prend la résurrection, Anastasis, pour une déesse parèdre14. Alors, on lui demande de venir s’expliquer

    devant l'Aréopage : "On voudrait savoir quelle est cette nouvelle doctrine que tu enseignes ? Car ce sont d'étranges propos que tu nous fais entendre. Nous voudrions donc savoir ce que cela veut dire." Tous les Athéniens en effet et les étrangers qui résidaient parmi eux n'avaient d'autre passe-temps que de dire ou écouter les dernières nouveautés.15

    Alors, St Paul va à l'Aréopage et montre qu’il est capable de faire de beaux discours. Il commence par la captatio benevolentiæ 16 S’adressant à un frère dominicain : tu as dû subir des cours d’éloquence sacrée non ? De mon temps c’était très important ! Alors on commence par la captatio benevolentiæ :

    "Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription : AU DIEU INCONNU. Eh bien ! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer.

    12 Rm 6,3 13 Les craignants Dieu sont des non-juifs attirés par le judaïsme, mais sans aller jusqu'à la circoncision. Dans les synagogues de la diaspora, ils constituent parfois une proportion non négligeable des participants. 14 Parèdre « assis à côté de », qualifie une divinité inférieure associée dans le culte à un dieu ou une déesse plus influent. 15 Ac 17,16 16 La captatio benevolentiæ est une technique oratoire qui permet d'attirer l'attention bienveillante de son interlocuteur.

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    Alors, ensuite, il montre qu’il est capable de faire de la philosophie : Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve, lui, le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'homme.

    Bravo ! Bravo ! Bravo ! Il n'est pas non plus servi par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses. Si d'un principe unique il a fait tout le genre humain pour qu'il habite sur toute la face de la terre; s'il a fixé des temps déterminés et les limites de l'habitat des hommes, c'était afin qu'ils cherchent la divinité pour l'atteindre, si possible, comme à tâtons et la trouver; aussi bien n'est-elle pas loin de chacun de nous.17

    On l’écoute. Vraiment il est digne de figurer « in nostro docto corpore ! »18 C'est en elle en effet que nous avons la vie, le mouvement et l'être. Ainsi d'ailleurs l'ont dit certains des vôtres :

    Voyez ! Il a des lettres : il peut citer les grands auteurs ... Car nous sommes de sa race. "Que si nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons pas penser que la divinité soit semblable à de l'or, de l'argent…

    Dans la suite du discours, il en vient à parler de la résurrection. Alors, les Athéniens qui l’ont écouté poliment, et même très séduits par cette éloquence extraordinaire, commencent à se trémousser ; ils se regardent, ils rigolent ; ils sont polis et lui disent :

    Nous t'écouterons là-dessus une autre fois ! 19 Alors, Paul est complètement dégonflé, comme peut l’être un orateur qui vient d’avoir un échec ! Il est tout à fait démoralisé. Il avait une mauvaise santé, St Paul. On a son portrait par un apocryphe de Ste Thècle : les jambes torses, un nez crochu, il est chauve : c’est Ste Thècle qui le décrit comme ça…, il était malade aussi, il parle d’une écharde dans la chair. On n’a jamais su très bien ce que c’était… Alors démoralisé, il passe d’Athènes à Corinthe. Athènes, c’était la ville raffinée et Corinthe ! Prenez Marseille multipliée par cent… Un port de la méditerranée ! Korinthiazein [κορινθιάζειν], d’après le Père Festugière20, vivre à la corinthienne : c’est vivre dans la pire des turpitudes. Alors là, il fait une expérience bouleversante… D’abord, il faut qu’il trouve du travail ; ce n’était pas un intellectuel qui ne savait pas se servir de ses mains ! Il faisait des tentes pour gagner sa vie. Il trouve un ménage : Aquilas et Priscille qui avaient été expulsés de Rome par un édit de l’empereur Claude. Il se lie avec eux :

    et, comme ils étaient du même métier, il demeura chez eux et y travailla. Ils étaient de leur état fabricants de tentes. Chaque sabbat, il discourait à la synagogue et.... quand Silas et Timothée furent arrivés de Macédoine, Paul se consacra tout entier à la Parole,21

    17 Ac 17,22-27 18 Cf. Molière : « Le malade imaginaire » 3e intermède. 19 Ac 17,28-32 20André-Jean Festugière o.p. (1898-1982). Philosophe, philologue, spécialiste du néoplatonisme. « Et plus il avait du contexte païen une connaissance exacte et approfondie, plus la spécificité du fait chrétien lui apparaissait dans sa clarté » : fr. Saffrey o.p. 21 Ac 18,3

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    Il faudrait qu’on puisse être capable de se servir de ses mains, et, en même temps, se consacrer tout entier à la Parole ! Il faut se méfier des gens qui ne savent pas se servir de leurs mains ! Je parle pour moi ! Alors, à Corinthe, il fait une expérience tout à fait bouleversante ! Voilà que, dans ce milieu qui n’a rien d’un milieu raffiné, Saint Paul a affaire, quand même, à cet esprit grec ! Pour eux, la résurrection, c’est quelque chose de pas désirable du tout : le corps est une prison et tant mieux si on s’en échappe ! Ce manichéisme, dont nous avons parlé, traîne un peu dans la philosophie platonicienne. Et, dans la mesure où la doctrine chrétienne a été pensée dans les catégories platoniciennes, eh bien on est victime de ça ! Il n’y a pas de doute qu’à Corinthe, Paul a été affronté à des relents de pensée grecque qui dissocie : le corps est une prison, il faut s’en libérer ! Par là, on est tous plus ou moins platoniciens ! Mais Paul, c’est en juif, circoncis du huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d'Hébreux ; quant à la Loi, un Pharisien22. C’est en juif que, ramassant tout le réalisme de son esprit, il lutte contre ces relents de philosophie grecque.

    Si c'est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes.23

    Il n’y a pas de résurrection d’entre les morts ! Dans la 2e aux Corinthiens, il est obligé de faire son apologie contre ses détracteurs. Et il parle, là, d’une expérience extraordinaire :

    � Il fait l’expérience que le caractère baptismal, inscrit au plus profond de lui-même, agit à chaque moment de son existence : il meurt et il ressuscite ! Écoutons-le plutôt : Ce trésor

    Il parle aussi de l’Évangile comme d’un dynamisme, d’un trésor mais que l’on porte dans des cruches. On est tous des vases d’argile extrêmement fragiles mais on a en nous un trésor. Et ce dynamisme, ce trésor apparaît d’autant plus que la cruche casse (un peu comme dans l’histoire de Gédéon, qu’on a racontée : c’est quand les cruches cassent que la lumière sort et que les trompettes mettent l’ennemi en fuite…, les trompettes de la prédication !)

    pour que cet excès de puissance soit de Dieu et ne vienne pas de nous.24 Et ça, il le dit dès la 1e aux Corinthiens... (Excusez-moi, je saute d’un texte à l’autre) : Je suis venu chez vous tout tremblant…

    je n'ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. Je suis venu à vous faible, craintif et tout tremblant, et ma parole et mon message n'avaient rien des discours persuasifs de la sagesse; c'était une démonstration d'Esprit et de puissance, pour que votre foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.25

    Et, ici, dans la 2e aux Corinthiens : Nous sommes pressés de toutes parts, mais non pas écrasés; ne sachant qu'espérer, mais non désespérés; persécutés, mais non pas abandonnés; terrassés, mais non annihilés. Nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps. Quoique vivants en effet, nous sommes continuellement livrés à la mort à cause de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre chair mortelle. Ainsi donc, la mort fait son œuvre en nous, et la vie en vous. Mais, possédant ce même esprit de foi, selon ce qui est écrit: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, nous aussi, nous croyons,

    22 Ph 3,5 23 1 Co 15,19 24 2 Co 4,7 25 1 Co 2,2

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    et c'est pourquoi nous parlons, sachant que Celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus, et nous placera près de lui avec vous… Nous ne faiblissons pas. Au contraire, même si notre homme extérieur s'en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour.26

    Il parle, dans l’épître aux Éphésiens, du baptême : on revêt l’Homme Nouveau27 qui va, se renouvelant à l’image du Créateur. Et si on était vraiment chrétien, on demanderait à Dieu de vivre longtemps pour mourir jeune ! Étant donné que chaque instant de l’existence, chaque respiration, chaque acte de charité nous rajeunit à l'image de l'exemplaire, de l’éternelle jeunesse de Dieu ! Il faudrait prier pour « mourir jeune » : « vivre longtemps pour mourir jeune ». C’est la seule recette pour ne pas vieillir : pratiquer la charité et sortir de nous-mêmes vers Dieu et vers les autres. Et, dans la fin des Corinthiens, Paul devient pathétique :

    S’il faut se glorifier, j’en viendrai aux visions et révélations du Seigneur28. Ils sont Hébreux ? Moi aussi. Ils sont Israélites ? Moi aussi. Ils sont postérité d'Abraham ? Moi aussi. Ils sont ministres du Christ? (Je vais dire une folie!) Moi, plus qu'eux, par les travaux, par les emprisonnements, par les coups.29

    Vous lirez tout cela ! Il faut se glorifier ? J’en viendrai aux visions et révélations Alors il parle des visions qu’il a eues.

    Pour cet homme-là je me glorifierai; mais pour moi, je ne me glorifierai que de mes faiblesses. Si je voulais me glorifier, je ne serais pas insensé; je dirais la vérité. Mais je m'abstiens, de peur qu'on ne se fasse de moi une idée supérieure à ce qu'on voit en moi ou ce qu'on m'entend dire. Et pour que l'excellence même de ces révélations ne m'enorgueillisse pas, il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter - pour que je ne m'enorgueillisse pas! A ce sujet, par trois fois, j'ai prié le Seigneur pour qu'il s'éloigne de moi. Mais Il m'a déclaré: "Ma grâce te suffit: car ma puissance se déploie dans la faiblesse." C'est donc de grand cœur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. C'est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ; car, lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort.30

    Ce n'est pas une spiritualité réservée aux saints, c'est la spiritualité élémentaire : celle du baptême ! Celle du martyre ! Et toute « spiritualité chrétienne » qui ne s'enracinerait pas là-dedans ne serait pas chrétienne... Pour nous, c’est élémentaire, c’est un sujet de méditation ! Il faudrait que l’on médite cela. Chaque fois que l’on respire : on reçoit la vie de Dieu…, et à chaque instant, ce mystère de mort et de résurrection, (imprimé au plus profond de notre être par le caractère baptismal), se traduit ! Notre homme extérieur part en ruine, notre homme intérieur se renouvelle à l’image du Créateur. On n’y croit pas assez ! Il faudrait renouveler la foi en la résurrection. Actuellement on est perplexe, on fait des statistiques (heureusement que les statistiques ne disent pas la vérité !). Quand on interroge : 26 2 Co 4,8-16 27 Ep 4,24 28 2 Co 12,1 29 2 Co 11,22 30 2 Co 12,5-10

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    est-ce que vous croyez en la résurrection ? Alors, on entend parler de métempsychose, de tas de trucs, de spiritualités éthérées, d’ectoplasme... mais la résurrection de la chair, selon les Écritures !

    D’après Saint Paul, quand on lit ses discours : Jésus ressuscité, ouvre les Écritures ! Ce sera notre route d’Emmaüs... Et je propose qu’on aille la commencer, là-bas, un peu plus loin. Il y a un endroit, le haut lieu de Gabaon31 : c’est là que Salomon a fait ce songe au début de son règne où il a reçu la Sagesse. Et la route d’Emmaüs qu’est-ce que c’est sinon le festin de la Sagesse, au plein sens du mot ! Alors on va aller prendre le point de départ de la route d’Emmaüs là-bas. Avant de quitter ce tombeau32, on est arrivé ici, en parcourant les rues de la ville et le Père Feuillet33, (un exégète qui connait la Bible par cœur), qui a écrit des commentaires sur le livre de Jonas, sur le Cantique des cantiques, dit que Marie-Madeleine, qui va au tombeau au petit matin, (Saint Jean décrit la scène34) a certainement dans la tête le passage du chapitre 3 du Cantique des cantiques :

    Sur ma couche, la nuit, j'ai cherché celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais je ne l'ai point trouvé! Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé! Les gardes m'ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la Ville: "Avez-vous vu celui que mon cœur aime?" A peine les avais-je dépassés, j'ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l'ai saisi et ne le lâcherai point.

    Je ne le lâcherai point ! C’est le sublime et le banal ! C’est toujours la même chose ; il faut se méfier du sublime qui n’est pas banal. On cherche toujours le merveilleux ! Et on dirait que ces récits de la résurrection sont, comme intentionnellement, d’une étrange sobriété. Si on les avait inventés, on aurait fait de la mythologie, on aurait fait des tremblements de terre (c’est vrai que, dans Saint Matthieu, il y a un peu de cela). Mais enfin, dans la plupart des récits, la rencontre se fait de façon extrêmement banale… sur la route d'Emmaüs. C’est ce qu’on va voir maintenant : la route d’Emmaüs !

    Jour 16 (2) La liturgie de la Parole indissociable de la fraction du Pain

    La route d’Emmaüs ! D’abord une question que tous les chrétiens se posent : où se trouve la maison de Cléophas ? Plusieurs ont été trouvées à travers les siècles et pèlerinages chrétiens.

    � Le premier lieu vénéré par les chrétiens, à l'époque byzantine, se trouve du côté de la Trappe de Latroun, mais c’est un peu loin : cela fait 160 stades. Alors que le texte original parle, semble-t-il, de 60 stades. Il semble que ce soit Origène qui soit à l’origine de cette tradition. Il travaillait à Césarée, à la grande bibliothèque; il faisait

    31 Nebi Samwil, (qui domine le plateau central de Benjamin), serait le haut lieu de Gabaon où était situé le Tabernacle, où Salomon offrit des sacrifices et où Dieu lui apparut la nuit en songe 1 R 3,5 32 Le cimetière Sanhedria se trouve dans un quartier au nord de Jérusalem 33 André Feuillet p.s.s. (1909-1999). Exégète, membre de l’Académie pontificale romaine de Théologie 34 Jn 20

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    des Hexaples 35 : il mettait en colonnes les différentes versions dont il disposait, il connaissait bien la Bible. Il dit : La bataille d’Emmaüs qui est racontée dans le livre des Maccabées : c’est là-bas ! Je sais bien où est Emmaüs, donc ce n’est pas 60 stades, c’est 160. Il y a toute une série de manuscrits qui ont une correction. La tradition s’est enracinée là-bas, à l’époque byzantine. Et il y en a encore maintenant qui veulent prouver que c’est bien là-bas… ils font l’aller retour une fois par an, au pas de course, c’est un véritable marathon. Je ne sais pas si cela favorise beaucoup la réflexion, l’exégèse et l’herméneutique.

    � Il y a un deuxième Emmaüs qui est arrivé après, c’est l’Emmaüs d’Abu Gosh. Nous

    terminons en général l’expérience de la BST par l’Eucharistie, la fraction du pain là-bas. Ça a déménagé au Moyen-âge, on ne sait pas pourquoi. Il y a un fait : c’est qu’au Moyen Age, (il y a une source sur la route que faisaient les pèlerins qui débarquaient à Jaffa vers Jérusalem), les pèlerins avaient l’habitude de faire escale et vénéraient, là, Emmaüs. Mais voilà qu’un bandit, un certain Abu Gosh s’y est installé et rançonnait les pèlerins. Mais ceux-ci n’avaient pas envie de payer plus qu’il ne faut, alors ils ont cherché une autre route. Et les lieux saints se déplacent en fonction des routes de pèlerinages...

    � Alors on a cherché et on a trouvé une autre maison de Cléophas. Et actuellement on

    emmène les pèlerins plutôt à un petit patelin que l’on voit à l’horizon, Qubeibeh, qui domine les escarpements de la vallée d’Ayalon. De fait, il y a une route romaine qui arrive par là.

    � Et à l’époque moderne, on continue à chercher… le Père Benoît, lui, voyait plutôt

    Emmaüs du côté de la grande route à un endroit qu’on appelle Motza.

    Autrement dit, il y a des « Emmaüs » pour tous les goûts ! Pour les archéologues, il y a des ruines très intéressantes à Latroun. Pour ceux qui aiment la belle liturgie, la belle architecture, il y a Abu Gosh, repris par les moines du Bec-Hellouin. Ça console de bien des médiocrités architecturales et liturgiques de la Cité Sainte. On va là-bas pour reprendre goût aux lieux saints. Qubeibeh, c’est merveilleux pour ceux qui aiment les beaux paysages. Ça domine la descente de Beit-Horon qui est un des sites les plus riches en souvenirs. On en parlera tout à l’heure. Supposons un guide qui, après un itinéraire un peu pressé, doit quitter Jérusalem pour conduire ses clients à l’aéroport à 4 heures du matin. Il se rappelle tout à coup qu’il n’a pas eu le temps de parler d’Emmaüs ! Et bien il peut en parler sur la grand-route puisqu’on passe à côté, il n’y a rien à voir, ce n’est pas la peine de s’arrêter : il peut faire une belle conclusion. Mais ce qui est important, ce n’est pas la maison de Cléophas. Ce qu’on nous invite à chercher c’est une extraordinaire catéchèse eucharistique, montrant le caractère indissociable de la liturgie de la Parole et de la fraction du Pain : pour nous faire comprendre que toutes les routes de l’existence sont des routes d’Emmaüs ! Lisons plutôt ce texte merveilleux… D’abord remarquons une constante dans les livres du Nouveau Testament : le Christ ressuscité ouvre l'intelligence à la compréhension des Écritures. On trouve cela partout ! Et

    35 Hexaples, du grec ancien « sextuple ». Origène apprend l’hébreu, il voyage partout, étudie sans relâche. Il collecte les grandes traductions de la Bible et les compare pour en découvrir le sens le plus exacte. Dans les Hexaples, il dispose côte à côte les six grandes traductions de la Bible connues (avant 245). C’est grâce à ce travail aujourd’hui perdu que Saint Jérôme pourra réaliser la version latine de la Bible : la Vulgate.

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    dans l’Apocalypse, il y a un livre scellé de sept sceaux devant lequel tout le monde pleure. Et alors :

    « Qui est digne d'ouvrir le livre et d'en briser les sceaux ?» Mais nul n'était capable, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, d'ouvrir le livre et de le lire. Et je pleurais fort de ce que nul ne s'était trouvé digne d'ouvrir le livre et de le lire. L'un des anciens me dit alors: "Ne pleure pas : voici il a remporté la victoire, le Lion de la tribu de Juda, le Rejeton de David ; il ouvrira donc le livre aux sept sceaux."36

    Et dans Saint Luc, ça se termine aussi comme ça : Il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures37...

    Le premier jour de la semaine, à la pointe de l'aurore, elles allèrent au tombeau,… la pierre roulée… elles ne trouvèrent pas le corps… elles étaient perplexes… "Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts? Il n'est pas ici; mais il est ressuscité. Rappelez-vous, comment il vous a parlé, quand il était encore en Galilée. Il faut, disait-il, que le Fils de l'homme soit livré aux mains des pécheurs, qu'il soit crucifié, et qu'il ressuscite le troisième jour… elles rapportent tout cela aux Onze…

    qui pensent que c’est du radotage Pierre cependant partit et courut au tombeau. Mais, se penchant, il ne voit que les linges… Et voici que ce même jour, deux d'entre eux faisaient route vers un village du nom d'Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades, et ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé. Et il advint, comme ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus en personne s'approcha et il faisait route avec eux ; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : "Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant ?" Et ils s'arrêtèrent, le visage sombre. Prenant la parole, l'un d'eux, nommé Cléophas, lui dit: "Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci !" - "Quoi donc ?" leur dit-il. Ils lui dirent : "Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s'est montré un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. Nous espérions, nous, que c'était lui qui allait délivrer Israël ; mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées ! Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S'étant rendues de grand matin au tombeau, et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire qu'elles ont même eu la vision d'anges qui le disent vivant. Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les femmes avaient dit; mais lui, ils ne l'ont pas vu !" Alors il leur dit: "O cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu'ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?" Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait.

    Diermèneusen, [διερµήνευσεν] : il leur fit l’herméneutique…38 Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d'aller plus loin. Mais ils le pressèrent en disant : "Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme." Il entra donc pour rester avec eux. Et il advint, comme il était à table avec eux, qu'il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna.

    36 Ap 5,2-5 37 Lc 24,1 38 Cf. Jour 2(1)

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    Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant eux. Et ils se dirent l'un à l'autre: "Notre cœur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures ?" A cette heure même, ils partirent et s'en retournèrent à Jérusalem. Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui dirent: "C'est bien vrai! Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon!" Et eux de raconter ce qui s'était passé en chemin, et comment ils l'avaient connu à la fraction du pain.

    Ce signe vers lequel converge toute la découverte du Christ. Rappelez-vous les discours…, les gestes…, le geste. C’est à « ce geste » qu’on Le reconnaît après sa résurrection, lorsque les sens ne sont plus habilités à comprendre la réalité de cette présence nouvelle. Il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures. Et, à mon avis, c’est le sommet de la littérature de Sagesse. Ici39, nous sommes à l’endroit où Salomon [reçoit la sagesse] : on parle du tombeau de Samuel, en fait, c’est une erreur ! On a transporté ici Rama (où Samuel est mort), qui est une colline là-bas, de l’autre côté de la route… On a cru que c’était ici, donc c’est ici qu’est le tombeau de Samuel (il y en a deux : un pour les Musulmans et un pour les Juifs). C’est une église, vous voyez, de l’époque des croisades. Elle appartenait à des Prémontrés. Et alors, à l’époque musulmane, on a ajouté un minaret et c’est devenu une mosquée. C’est vénéré actuellement par les Juifs et par les Musulmans. Les chrétiens y viennent assez rarement. C’est ici que Salomon se rendait avant que le Temple ne soit construit.

    Salomon parla à tout Israël au début de son règne… il se rendit au haut lieu de Gabaon.40 Il semble bien que ce soit ici que Salomon se rendait. Et c’est ici que se passe l’épisode que le livre des Chroniques passe pudiquement sous silence. Dieu lui apparaît et lui dit : « Demande-moi ce que tu veux ; je te le donnerai ». Et Salomon, au lieu de demander la puissance, la gloire, la vengeance sur ses ennemis…, il demande la Sagesse. Et le Seigneur est si content qu'Il lui donne la Sagesse (dont on a parlé à Eilat vous vous rappelez ?) et par-dessus le marché, il lui donne tout le reste ! Alors, Salomon a l’occasion, tout de suite, d’exercer sa sagesse… Vous avez peut-être feuilleté un peu les livres de Sagesse. Il y a des passages extrêmement banals… C’est un peu long… Mais si on prenait, plus au sérieux, certaines de ces règles de politesse, de courtoisie, peut-être que des communautés, aux inspirations mystiques les plus hautes, s’en porteraient mieux. Comme l’échelle de Jacob, quand elle bien plantée, elle s’élève très haut. Et la Sagesse, déjà dans l’Ancien Testament est hypostasiée. C'est une créature, mais elle est créée avant la création du monde et elle joue devant Dieu. Nous avons déjà lu ces textes au bord du lac, je ne les relis pas maintenant ! Mais il y a un chapitre qu’il faudrait lire ici : c’est le chapitre 24 d’un livre qu’on appelle le Siracide. Si vous le lisez, vous retrouverez tout ce que vous avez vu dans le pays. Et puis, la Sagesse qui cherche une demeure vient habiter en Israël, à Jérusalem. La Sagesse, ici aussi, est hypostasiée. C’est un des textes qui frôle déjà le Nouveau Testament lorsqu’on dit : Au commencement était le Verbe, le Verbe était en relation avec Dieu et le Verbe était Dieu

    39 Le « Haut lieu de Gabaon », Nebi Samwil 40 2 Ch 1,2

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    Alors là, il y a un dépassement considérable, bien sûr ! C’est parce que la Sagesse est bien plantée en terre qu’elle s’élève très, très haut. C’est toujours l’échelle de Jacob partout plantée … Tenez, il y a une magnifique prière qu’on nous fait lire dans l’office liturgique41, à Laudes, où Salomon invoque la Sagesse :

    « Dieu des Pères et Seigneur de miséricorde,… toi qui, par ta Sagesse, as formé l'homme pour dominer sur les créatures que tu as faites,… donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse, et ne me rejette pas du nombre de tes enfants… Quelqu'un, en effet, serait-il parfait parmi les fils des hommes, s'il lui manque la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien… Avec toi est la Sagesse, qui connaît tes œuvres et qui était présente, quand tu faisais le monde ; elle sait ce qui est agréable à tes yeux, et ce qui est conforme à tes commandements. Mande-la des cieux saints, de ton trône de gloire envoie-la, pour qu'elle me seconde et peine avec moi, et que je sache ce qui te plaît, car elle sait et comprend tout. Elle me guidera prudemment dans mes actions et me protégera par sa gloire… Quel homme en effet peut connaître le dessein de Dieu ? Et qui peut concevoir ce que veut le Seigneur? Car les pensées des mortels sont timides, et instables nos réflexions ; un corps corruptible, en effet, appesantit l'âme, et cette tente d'argile alourdit l'esprit aux multiples soucis. Nous avons peine à conjecturer ce qui est sur la terre, et ce qui est à notre portée nous ne le trouvons qu'avec effort, mais ce qui est dans les cieux, qui l'a découvert ? Et ta volonté, qui l'a connue, sans que tu aies donné la Sagesse et envoyé d'en haut ton Esprit Saint ?... Ainsi les hommes ont été instruits de ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés.42 C'est elle que j'ai chérie et recherchée dès ma jeunesse; j'ai cherché à la prendre pour épouse et je suis devenu amoureux de sa beauté… Je décidai donc de la prendre pour compagne de ma vie, sachant qu'elle me serait une conseillère pour le bien, et un encouragement dans les soucis et la tristesse… mais, comprenant que je ne pourrais devenir possesseur de la Sagesse que si Dieu me la donnait, - et c'était déjà de l'intelligence que de savoir de qui vient cette faveur - je m'adressai au Seigneur et le priai, et je dis de tout mon cœur :

    cette prière 43 qu’on vient de réciter ici ; on la trouve, une fois par mois, dans la liturgie des Heures, je ne sais plus quel jour. La route d'Emmaüs, c'est ça ! Tous les jours, nous sommes appelés à ce festin de la Sagesse, la Parole de Dieu et la Présence eucharistique… déchiffrer notre existence, comme ça, au long des jours.

    Tenez, ici, (je vais mettre, exprès, les pieds dans le plat), nous sommes parvenus à un sommet et le paysage nous invite à lire de célèbres récits qui se déroulent dans le livre de Josué. Et je m’inspire des expériences que nous fait faire l’Eglise. On dirait qu’elle prend un malin plaisir, après nous avoir menés sur les sommets, par exemple après l’Epiphanie, « pof » on retombe dans le temps ordinaire ; après la Pentecôte, « pof » on retombe dans le livre des Juges, dans le livre de Josué… et je mets exprès les pieds dans le plat pour exorciser, profiter de ces

    41Dans « La Liturgie des heures » tome 2, troisième samedi de Carême, pages 1089, (Le Cerf, Desclée de Brouwer, Mame). 42 Sg 9 43 Sg 8

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    derniers jours pour exorciser une bonne fois cette tentation de marcionisme que nous avons tous ! Ici, si vous regardez une carte géologique, c’est extrêmement parlant. Ce n’est pas la peine de déployer la carte : regardez là-bas à gauche, vers le sud, et puis regardez là-bas à droite :

    � Vers la gauche, au sud, les ravins du Nahal Sorek (on appelle d’un même nom tous les ravins qui convergent vers un point donné de la côte), rongent le terrain jusqu'à la ligne de partage des eaux où ça commence à dégringoler vers la mer Morte. Il y a juste la place pour une route. Et on a vu du côté de la gare : il y a quelques mètres ! Les encombrements montrent que la circulation ne se fait aisément que là. C’est la fameuse route des patriarches, la route d’Ephrata

    � Alors regardez à droite maintenant vers le nord. Là-bas, vous apercevez ce qu’on appelle une doline (le terrain est calcaire, il y a une sorte de cirque où la pluie s’accumule. L’eau dissout tout ce qui est soluble en-dessous, cela forme des grottes. Les voutes s’effondrent et on a une espèce de cuvette : on parle toujours de l’étang de Gabaon). Là, vous avez la ville de Gabaon qui est dans une doline extrêmement fertile au centre de la confédération gabaonite44, dont nous allons parler.

    Alors par l’échancrure, si vous regardez la carte géologique, entre la montagne au nord et la plaine côtière, vous avez une région de collines : la Sheféla (on l’a traversée le 1er jour). Ici, il n’y a plus de Sheféla, on passe directement de la plaine côtière, (prolongée par la plaine d’Ayalon) par une montée : la montée de Beit-Horon. C’est la grande route des invasions ! C’est la route qu’on fait quand on va, à l’aéroport45, vers la plaine côtière. Elle très facile en temps de paix mais en temps de guerre, elle est extrêmement difficile, car elle se faufile dans des défilés où toutes les embuscades sont possibles. C’est plein de ferrailles des convois juifs qui, en 1948, essayaient de ravitailler Jérusalem assiégée et ont été anéantis par les Arabes).

    Tandis que de ce côté-ci, les grandes armées (les éléphants au temps des Maccabées, c’étaient les chars d’assaut de l’époque) et la fameuse bataille de Josué ! C’est là qu’il arrête le soleil … tout le monde connaît cela : la baleine de Jonas et le soleil de Josué : ça fait partie de la culture chrétienne élémentaire. � La plaine côtière se prolonge par la plaine d’Ayalon, � il y a la montée de Beit-Horon : c’est un peu difficile au point de vue stratégique. � Et quand les armées arrivent dans cette plaine de Gabaon, elles se reforment. � Et alors Jérusalem est « cuite », parce que Jérusalem vient contrebuter contre des ravins escarpés, le Cédron à l’est, la Géhenne au sud et à l’ouest, tandis qu’au nord, il n’y a pas d’escarpements.

    => C’est la grande route des invasions, ici, pleine de souvenirs historiques … Je n’en évoquerai qu’un : c’est l’histoire de Josué : ֶשֶמש ְּבגְִבעֹון ּדֹום ְויֵָרַח ְּבֵעֶמק ַאּיָלֹון Shemesh be Guiv’on dom veyareak be’emek Ayalon46 Une chanson de marche. On va lire le texte ici.

    44 La tétrapole gabaonite : villes de Gabaôn, Kephira, Béérôt et Qiryat-Yearîm 45 De Jérusalem à Tel Aviv : maintenant autoroute A1 46 « Soleil, arrête-toi sur Gabaon ! Et toi, lune, sur la vallée d'Ayalon ! » Josué 10, 12

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    Je fais exprès, je mets les pieds dans le plat : à partir des sublimités où nous sommes parvenus dans le Nouveau Testament, je fais comme l’Église, je vous plonge dans la sauvagerie des récits du temps de Josué. On a lu presque tout le livre de Josué : on a lu Jéricho, on a lu la prise de Aï, la lapidation d’Akan dans la vallée d’Akor, on a lu la bataille des eaux de Mérom, là-bas, tout à fait au nord, qui donne tout le nord du pays. Ici alors les Cananéens du coin apprennent que les Hébreux ont traversé le Jourdain, qu’ils ont anéanti Jéricho et Aï, ils s’inquiètent.

    Et les habitants de Gabaon apprirent la manière dont Josué avait traité les habitants de Jéricho et Aï. Ils eurent recours à la ruse… Ils allèrent se munir de provisions…

    Ils font semblant de venir de très loin, pour ne pas être considérés comme des habitants du pays que les Hébreux (comme ils sont Cananéens idolâtres), par peur de contamination idolâtrique cananéenne, suppriment bel et bien… On n’est pas encore à l’époque de l’Évangile ! Encore une fois, Dieu prend les hommes tels qu’ils sont et là où ils en sont ! Alors ils ont des ânes fatigués, de vieux sacs, des vieilles outres à vin crevées, recousues…

    Ils avaient à leurs pieds de vieilles sandales rapiécées, et sur eux de vieux habits. Tout le pain qu'ils emportaient pour leur nourriture était durci et réduit en miettes. Ils arrivèrent au camp de Gilgal, auprès de Josué, et lui dirent ainsi qu'aux hommes d'Israël: "Nous venons d'un pays lointain, faites donc alliance avec nous !" Les hommes d'Israël répondirent à ces Hivvites : "Qui sait si vous n'habitez pas au milieu de nous ? Alors comment pourrions-nous faire alliance avec vous ?" Ils répondirent à Josué : "Nous sommes tes serviteurs" - "Mais qui êtes-vous, leur demanda Josué, et d'où est-ce que vous sortez ?" Ils répondirent : "C'est d'un pays très éloigné que viennent tes serviteurs, on a entendu parler du Seigneur votre Dieu, nous avons entendu parler de tout ce qu'il a fait en Egypte… Nos anciens nous ont dit : « Prenez avec vous des provisions pour le voyage ; allez au-devant d'eux et dites-leur : Nous sommes vos serviteurs, faites donc alliance avec nous ! » Regarde notre pain: il était tout chaud quand nous en avons fait provision dans nos maisons, le jour où nous sommes partis pour aller chez vous, et maintenant le voilà durci et réduit en miettes ; ces outres à vin que nous avions remplies toutes neuves, les voilà crevées ; nos sandales et nos vêtements, les voilà usés par une très longue marche."

    C’est comme à la fin de la BST ! Les notables acceptèrent de leurs provisions et ne consultèrent pas l'oracle de Dieu. Josué leur accorda la paix… Or, il arriva que trois jours après qu'ils aient fait alliance, on apprit qu'ils étaient un peuple voisin, vivant au plein milieu d'Israël. Les Israélites partirent du camp et arrivèrent dans leurs villes, le troisième jour. C’étaient Gabaon,

    Que nous avons là-bas en contre bas Kephira,

    On les voit toutes là dans le paysage ! Béérot

    C’est Biret du côté de Ramallah et Qiryat-Yéarim.

    Où nous serons tout à l’heure. Les Israélites ne les attaquèrent pas,…

    Et alors on fait un statut aux Gabaonites ; une alliance, c’est une alliance : on la respecte ! On leur fait un statut de minorité et ils deviennent :

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    Fendeurs de bois et porteurs d'eau au service de la communauté et de l'autel de Dieu, jusqu'aujourd'hui, au lieu qu'Il choisirait.

    Alors, les rois cananéens (du pays que nous avons parcouru les premiers jours) s’inquiètent : le roi de Lakish, Piréam le roi de Yarmut, le roi d’Eglon47 etc. apprenant que les Gabaonites ont fait alliance avec ces conquérants, montent une coalition pour les anéantir. Josué monta de Gilgal au bord du Jourdain : la tête de pont qu’ils ont faite au bord du Jourdain après l’avoir traversé !

    lui, tous les gens de guerre et toute l'élite de l'armée. Dieu dit à Josué: "Ne les crains pas : je les ai livrés entre tes mains, nul d'entre eux ne te résistera." Josué arriva sur eux à l'improviste après avoir marché toute la nuit et Dieu les mit en déroute en présence d'Israël et leur infligea à Gabaon une rude défaite : il les poursuivit même sur le chemin de la pente de Beit-Horon

    Que de batailles sur les chemins de la pente de Beit-Horon ! et les battit jusqu'à Azéqa

    Tiens, on y était le premier jour ! (et jusqu'à Maqqéda). Or, tandis qu'ils fuyaient devant Israël à la descente de Beit-Horon, Dieu lança du ciel sur eux jusqu'à Azéqa d'énormes grêlons, et ils moururent. Il en mourut plus sous les grêlons que sous le tranchant de l'épée des Israélites…

    Et alors, c’est à ce moment là, que Josué, (c’est entre guillemets mais on sent que c’est rythmé, c’est une espèce de chanson de marche) : ֶשֶמש ְּבגְִבעֹון ּדֹום ְויֵָרַח ְּבֵעֶמק ַאּיָלֹון Shemesh beGiv’on dom veyareak be’emek Ayalon

    "Soleil, arrête-toi sur Gabaon ! Et toi, lune, sur la vallée d'Ayalon !" Et le soleil s'arrêta et la lune se tint immobile jusqu'à ce que le peuple se fût vengé de ses ennemis. Cela n'est-il pas écrit dans le livre du Juste ? Le soleil se tint immobile au milieu du ciel et près d'un jour entier retarda son coucher...

    Ce n’est pas la peine de faire des calculs astronomiques ! C’est comme dans le fameux film, qu’on a fait après la dernière guerre, « Le jour le plus long » : tous les éléments se mettent de la partie pour favoriser le dessein de Dieu !

    Alors cette bataille de Gabaon est tellement décisive que tout le sud du pays, par le fait même, est conquis. Comme la bataille de Mérom est décisive pour toute la partie nord du pays ! Alors ces Gabaonites ! Tenez, il y a une famine…48 Au temps de Saül, on dit que Saül avait cherché à abattre les Gabaonites dans son zèle pour les Israélites et pour Juda. Toujours, il y a des gens qui veulent supprimer les minorités gênantes par des solutions simplistes. Ce problème n’a pas cessé d’être actuel. On montre ici, dans la Bible, que c'est grave de faire ça : quand il y a une minorité, on doit la respecter. … Alors David se charge de réparer la situation, (et ici, à l’endroit où nous sommes, il y a des descendants de Saül) : sept sont mis à mort aux premiers jours de la moisson des orges, aux fêtes de la Pentecôte.

    Et Ritspa, fille d'Ayya, prit le sac et l'étendit pour elle sur le rocher, depuis le début de la moisson des orges jusqu'à ce que l'eau tombât du ciel sur eux, et elle ne laissa pas s'abattre sur eux les oiseaux du ciel pendant le jour ni les bêtes sauvages pendant la nuit.

    47 Jos 10,1-13. Cinq rois amorites font la guerre à Gabaon et Josué se porte au secours de Gabaon. 48 2 S 21,1

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    Vous connaissez ce récit ? Autrefois, on le lisait lors de la fête de la Sainte Vierge des douleurs49. Je fais exprès de faire comme l’Église nous apprend à le faire : de ne pas négliger ces textes de l’Ancien Testament. Vous sentez comme ils sont actuels ? Il y a un tas de problèmes… Il ne faut pas les résoudre à coups d’idéologies, il faut les résoudre en interrogeant la mémoire. Et je crois qu’actuellement les Juifs, avec tous les problèmes qui se posent dans le pays, toutes ces routes nouvelles qu’on emprunte, toutes ces questions de justice à respecter… vous ne les impressionnez pas du tout en invoquant les idéologies mais, si vous partez du passé, de leur histoire passée, alors à ce moment-là on peut tirer des leçons. Et puis, avant de tirer des leçons, il faut se demander si nous-mêmes, nous n’avons pas à en prendre. Dans les journaux, ici, on voit certaines tendances politiques, quand il y a telle ou telle injustice qui est commise : ils invoquent la vigne de Nabot, ils invoquent des récits comme on voit ici, de violation du statut des Gabaonites et ils montrent que c'est grave ! Et ça, à des époques reculées… pour des problèmes qui se posent maintenant. Et chez nous c’est la même chose, ne nous faisons pas d’illusions : il y a des injustices partout, des problèmes de morale, de politique de l’autruche… Alors Saint Paul, dans les épîtres à Timothée, montre l'importance de tout cela…. L’avantage de la BST, c’est qu’on lit les textes parce que simplement les paysages nous les proposent. Des textes que bien souvent on n'aurait jamais lus autrement… Par exemple on a lu du côté de Dan, l’histoire de Mika50 et du « Bon Dieu » que s’est fait Monsieur Mikayehu, et l’histoire du sanctuaire de Dan, on ne l’aurait jamais lu autrement, et c’est plein d’enseignements… Rappelez-vous tout ce qu’on a dit là-bas !

    ...Et alors, Saint Paul dit que Timothée… (Timothée c’est un garçon qui est devenu son disciple préféré), … il dit que sa grand-mère51 lui a raconté la Bible dès son enfance. C’est curieux, dans le texte liturgique, on a supprimé la grand-mère. Alors qu’au contraire, je crois que la grand-mère a un rôle considérable. Il y en a beaucoup dans la BST et je leur fais prendre conscience du rôle très important qu’elles peuvent avoir … Il y a un historien, Pierre Chaunu, qui dit que, dans une société normalement constituée, la transmission du patrimoine culturel se fait de grands-parents à petits-enfants. Au fond, ceux qui sont engagés dans l’existence ils font des « briques », en fin de compte, fatalement… et n’ont plus le temps de penser aux choses vraiment importantes. Alors ceux qui prennent leur retraite, encore jeunes, ont le temps de faire des études, d’étudier la Bible. Et ils peuvent la raconter aux gosses alors qu’ils sont encore à l’âge de l’émerveillement ! Et Timothée a eu la chance d’avoir une grand’mère qui lui a raconté la Bible dès son enfance. Et St Paul lui dit :

    Pour toi, tiens-toi à ce que tu as appris et dont tu as acquis la certitude. Tu sais de quels maîtres tu le tiens; et c'est depuis ton plus jeune âge que tu connais les saintes Écritures. Elles sont à même de te procurer la sagesse qui conduit au salut par la foi dans le Christ Jésus. Toute Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour former à la justice : ainsi l'homme de Dieu se trouve-t-il accompli, équipé pour toute œuvre bonne.52

    49 Fête de « Notre Dame des sept douleurs » : le 15 septembre 50 Jg 18 - Cf. jour 9(9) : De la terre où coulent le lait et le miel vers celle où rien ne manque de ce que l’homme peut désirer 51 La grand’mère de Timothée était juive 52 2 Tm 3,14

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    Et il ne faut pas simplement répondre aux questions et prendre des textes pour répondre aux questions ! Il faut avoir tous les textes dans la mémoire lorsqu’on aborde l'existence. Et si l’on veut rendre les gens capables d’aborder l’existence, il faut que leur mémoire personnelle soit enrichie de cette expérience, cette «mémoire d'éternité53 » (c’est encore un mot emprunté à Chaunu), cette « mémoire d'éternité » irremplaçable qu'est la Bible. Elle ne nous enseigne pas des principes de morale, mais nous montre des hommes de chair et de sang devant des situations données. Alors, on s'oriente un peu comme on navigue : on fait le point. Et puis, on est appelé à faire son chemin, à partir de cette expérience multiforme qui nous est donnée dans la Bible. Alors on déchiffre l'existence avec tout ce qu’on a assimilé dès sa plus tendre enfance. C’est important. Saint Paul met en garde Timothée contre toutes les parlottes inutiles. Il lui dit

    de se consacrer à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement, à ne pas négliger le don spirituel qui est en lui, d’y être tout entier.54

    Et la lecture de l’Écriture prend une grande place dans tout cela. Et, dans cette même épître, il dit

    de cesser d'enseigner des doctrines étrangères et de ne pas s'attacher à des fables plus propres à soulever de vains problèmes qu’à servir le dessein de Dieu fondé sur la foi55.

    Jour 16 (3) Yad Vashem « un mémorial, un nom »

    Maintenant, on va descendre vers Latroun. On va prendre une petite route qui passe par Ein Kerem et qui se tortille dans les montagnes du Nahal Sorek. Et on passe à proximité du YAD VASHEM, du mémorial du Yad Vashem. Et je tiens beaucoup à ce que les chrétiens qui passent ici, voient, méditent longuement dans ce mémorial que j’ai intégré dans cette journée consacrée à la Résurrection. Ça se situe avant de descendre dans ce village d’Ein Kerem où les chrétiens viennent méditer sur la Visitation de la Sainte Vierge et où nous serons tout à l’heure. Yad Vashem est l’expression qui signifie littéralement : une main et un nom יָד ָוֵשם. On trouve l’expression pour Absalom par exemple. Selon une tradition, il n’a pas d’enfant, alors, il se fait un mémorial dans la vallée du roi. Mais peut-être que le texte le plus explicite se trouve dans le prophète Isaïe. On le rencontre dans la liturgie, mais tellement transformé qu’on n’en voit plus tellement le sens. Pour Isaïe, à son époque, il y a deux sortes de gens qui n’ont pas part au peuple de Dieu vraiment. Il y a d’abord les étrangers parce qu'ils n'ont pas de racine dans le peuple élu et aussi les eunuques, car ils n'ont pas d'avenir. Alors, Dieu les console : « s'ils obéissent au Shabbat, à la Loi, s’ils restent fermement attachés à l’alliance, eh bien, je leur donnerai, dans sa maison et dans ses remparts, un monument et un nom « Yad Vashem ».56

    53 La mémoire de l'éternité (Laffont 1975). 54 1 Tm 4,13 55 1 Tim 1,3 56 Is 56,5

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    Je leur donnerai, dans ma maison et dans mes remparts, un monument et un nom meilleur que des fils et des filles, je leur donnerai un nom éternel qui jamais ne sera effacé.

    Il faut méditer là dessus. On ne peut méditer valablement sur la destinée, à nulle autre pareille, de ce peuple qu’à la lumière d’une logique biblique de l’histoire. Et ça rentre très bien dans notre méditation d’aujourd’hui et l’Église nous invite à méditer le Mystère d'Israël dans la théologie de l’Église… On va visiter ce Yad Vashem. Regardez comme le paysage aussi est parlant. Il y a une grosse dalle de béton qui repose sur des rochers de basalte. Simplement, en dessous, on évoque les noms des plus sinistres des camps de concentration de la « solution finale ». Et puis on dirait que cette dalle de béton provoque une pression qui fait jaillir une multitude d’arbres ! On a fait des efforts d’afforestation considérable dès le début de la fondation de l’Etat d’Israël et on appelle cela la « forêt des martyrs ». Autant de millions d’arbres qu’il y a eu de millions de gens exterminés dans les fours crématoires pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il y a aussi un mémorial très impressionnant sur tous les enfants qui sont morts ; on entre dans un bâtiment sombre ; il y a une bougie réfractée des millions de fois par un jeu de miroirs… et puis simplement des noms… des noms de tous ceux qui sont morts de façon absurde. Mais qui dira la fécondité de tout cela dans le plan de Dieu ? Ce mystère de mort et de résurrection… Encore une fois, pour nous chrétiens, cette destinée n’accomplit pas les Écritures, puisque nous pensons qu’elles sont accomplies par le Christ dans sa Mort et sa Résurrection. Je pense que l’on ne peut méditer valablement sur la destinée de ce peuple que dans une logique biblique de l’histoire : c'est dans cette même logique que nous méditons le mystère du Christ mort et ressuscité…

    Jour 16 (4) Crises, métamorphoses, continuités et dépassements ; mort et résurrection … l’Histoire sainte

    Abu Gosh, (là où sont les Pères et les Sœurs du Bec-Hellouin57), c’est là qu’on a l’habitude de terminer par la célébration eucharistique. Et puis avant, on s’arrête sur une colline voisine qui s’appelle Kiryat Yearim qui était à la frontière de Juda, Benjamin et Dan. Et Dan, vous vous rappelez ? N’ayant pas pu conquérir son territoire à cause des Philistins, Dan est allé au nord du pays s’installer du côté des sources du Jourdain. Alors Kiryat Yearim est surtout célèbre à cause de l’arche d’alliance… de retour du pays des Philistins. Elle avait été conquise par les Philistins à Silo. Et on va rattraper cette histoire de Silo qu’on a laissé tomber ! On va parler de cette grande crise de l’Histoire sainte qu’a été la prise de l’arche d’alliance par les Philistins Et on va remonter une dernière fois à Jérusalem

    � avec les disciples d’Emmaüs qui ont reconnu le Christ à la fraction du pain

    57 Communauté des moines bénédictins de l'Abbaye Notre-Dame du Bec (Normandie - France)

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    � et puis aussi en compagnie de l’arche d’alliance… parce que c’est là que David a été la chercher pour la faire « monter à Jérusalem » qui est devenu par le fait même et de plus en plus :

    Le Lieu que Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom 58 ו ָׁשם֒ ֹ֣ ן ְׁשמ ַהָּמקֹום ֲאֶׁשר יְִבַח֮ר ֱא6ִהים ְלַׁשֵּכ֣ Hammaqôm asher yibehar, Elohim, leshaken shmô sham Alors on est maintenant à Kiryat Yearim et on s’apprête à aller célébrer l’Eucharistie terminale à Abu Gosh, dans l’église des Croisés. Nous sommes à Kiryat Yearim, l’endroit où David va chercher l’arche d’alliance, vous vous rappelez ? Il y a un grand trou, pour nous, dans l’histoire de l’arche d’alliance, (un trou que j’avais l’habitude de boucher autrefois à Silo, mais Silo est difficile d’accès maintenant) et je suis très content de le faire le dernier jour. A l’expérience, c’est beaucoup plus intéressant ! C’est l’occasion, en complétant notre histoire de l’arche d’alliance, d’assister à une grande crise de l’Histoire sainte et de dégager une des plus grandes lois du développement du dessein de Dieu. Vous vous rappelez ? Cette retraite où l’on découvre les grandes lois de la pédagogie divine qui préside à notre dialogue actuel avec Dieu. Ce qu’on pourrait appeler la « dialectique d’accomplissement ».

    � L’Histoire sainte est faite de crises, � ces crises sont de véritables métamorphoses, comme dans l’Histoire de l’Eglise,

    comme dans notre vie personnelle. Des métamorphoses avec tout ce que cela comporte à la fois de continuités et de dépassements.

    � Et, chose paradoxale, plus on avance dans le temps, plus les dépassements sont considérables :

    � Quand on passe de l’ancienne à la nouvelle alliance, on parle de « nouvelle création » et pourtant, plus on affirme les continuités…

    � Et dans le Nouveau Testament, plus que jamais, on annonce qu’on est en continuité.

    Et la Sainte Vierge, dans son Magnificat…. (La Sainte Vierge dont la statue domine tout le paysage, là, à Kiryat Yearim)… la Sainte Vierge, chante dans son Magnificat, l’accomplissement des promesses faites à Abraham et à sa descendance pour toujours. Continuité et dépassement ! Et deux corollaires, chaque fois qu’il y a une crise, il se passe le même phénomène :

    � c’est que, d’une part, il y en a qui restent désespérément accrochés au passé dans une attitude qu’on va examiner ici (la Bible nous montre impitoyablement tous ces pièges),

    � et puis il y en a qui partent « dans le bleu », ou bien qui partent en avant… Autrement dit les intégristes et les progressistes ! Et le Père Gourbillon, à l’école de qui j’étais autrefois, disait : « il ne s’agit pas d’être intégriste, il ne s’agit pas d’être progressiste, il s’agit d’être progressant ! ». Alors ça c’est important ! Si on n’est pas des progressants, alors on est des morts !

    58 Ne 1,9 ; Dt 12 à 16 ; 1 R 11,36 etc.

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    En étudiant cela, (et je crois que c’est très bon le dernier jour de dégager cette grande loi qui est présente tout au long de la Bible), on va prendre « une crise » qui se passe à Silo : Vous vous rappelez l’importance de l’arche d’alliance ? Sené, le buisson ardent, (Je répète toujours la même chose, ça a structuré notre périple), Sinaï la montagne ardente et puis la Demeure transporte l’expérience de la rencontre « au Lieu que Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom » : Sion.

    � C’est ici, à Kiryat Yearim, que David est venu chercher l’arche pour la conduire à Jérusalem ! Dans l’exubérance ! Il dansait de toutes ses forces en tournoyant, ceint d’un pagne de lin ! Et c’est comme cela que Jérusalem a trouvé cette signification, qui se projette en éternité… On a déjà vu ça suffisamment ! Alors qu’est-ce qui s’est passé avant Kiryat Yearim ?

    � Auparavant l’arche était à Silo. Et c’est très intéressant, très curieux de voir que la littérature juive a beaucoup mis l’accent là-dessus : Silo, c’est, avant Jérusalem, « le Lieu que Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom ».

    A Silo : qu’est-ce qui s’est passé ? Eh bien, les Philistins ont fait une offensive, là-bas, du côté d’Apheq ; ça allait très mal et alors on a pensé que si on amenait l’arche d’alliance sur le terrain, cela allait retourner la situation et que les Philistins seraient battus. En ce qui concerne Silo, je suppose connus les premiers chapitres du 1er livre de Samuel, (qui sont indispensables pour comprendre les évangiles de l’enfance : la présentation au Temple, le petit Samuel qui grandit en âge et en sagesse… je vous laisse lire tout cela), je me borne ici à cette crise59 : mon sujet principal c’est ça. Alors les Philistins sont un peu démoralisés par l’arche qui arrive, mais ils reprennent vigueur,

    les Israélites furent battus et chacun s'enfuit à ses tentes; ce fut un très grand massacre et trente mille hommes de pied tombèrent du côté d'Israël. L'arche de Dieu fut prise et les deux fils d'Eli moururent, Hophni et Pinhas…

    Alors un homme de Benjamin s’enfuit des lignes, il arrive à Silo… le vieux prêtre Éli (à ne pas confondre avec le prophète Élie) est assis près du sanctuaire de Dieu qui est, à cette époque là, à Silo ; il est aveugle, il entend du bruit. Qu’est-ce qui se passe ?

    J’arrive du camp, je me suis enfui des lignes dit l’homme qui arrive là… Que s'est-il passé, mon fils ?...

    Israël a fui devant les Philistins, ce fut même une grande défaite pour l'armée, et encore tes deux fils sont morts, et l'arche de Dieu a été prise! A cette mention de l'arche de Dieu, Eli tomba de son siège à la renverse, en travers de la porte, sa nuque se brisa et il mourut…

    Vous voyez il encaisse toutes les mauvaises nouvelles … mais quand il apprend que l’arche est prise… Alors on voit le même drame : il y a la femme de Pinhas qui apprend la mauvaise nouvelle de la prise de l’arche d’alliance,

    De la mort de son beau-père et de son mari, elle s'accroupit et elle accoucha, car ses douleurs l'avaient assaillie. Comme elle était à la mort, celles qui l'assistaient lui dirent : " Aie confiance, c'est un garçon que tu as enfanté! " mais elle ne répondit pas et n'y fit pas attention.

    59 1 S 4,1-22

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    Elle appela l'enfant Ikabod 60 ָּכבֹודיִא, disant : " La gloire a été bannie d'Israël ", par allusion à la prise de l'arche de Dieu, et à son beau-père et son mari. Elle dit : « La gloire a été bannie d'Israël, parce que l'arche de Dieu a été prise ».

    Tous ces détails… Il faut prendre conscience que l’arche c’était tout ! C’était elle qui menait ! Tout le peuple était structuré autour de l’arche. Vous vous rappelez comment ils marchaient, étape par étape avec les indications de la nuée sur la Demeure ! Si l’arche est prise, c’est un anéantissement, les ténèbres couvrent la terre, c’est l’absurdité qui remplit l’Histoire sainte… Intervention : Alors on a envie de poser la question : comment se fait-il que cette arche ait pu être prise par les Philistins ? Alors là ! Moi, je constate, c’est un fait. Mais ce qu’il y a de plus amusant après, c’est qu’on voit que les Philistins, ils ne savent plus quoi en faire, de l’arche. Alors vous avez ici des récits :

    � je ne sais pas ce que c’est comme genre littéraire, mais on pourrait l’appeler « le genre littéraire à se taper le derrière par terre » ! Ça existe aussi dans la Bible.

    On veut montrer que les Philistins ne savent pas quoi faire de l’arche. Alors il suffit d’écouter le récit pour éviter bien des faux problèmes : écoutez le nombre de fois que le mot Dagôn (c’est le dieu des Philistins) est mentionné.

    Lorsque les Philistins se furent emparés de l'arche de Dieu, ils la conduisirent à Ashdod. Les Philistins prirent l'arche de Dieu, l'introduisirent dans le temple de Dagôn et la déposèrent à côté de Dagôn. Quand les Ashdodites se levèrent le lendemain matin et vinrent au temple de Dagôn, voilà que Dagôn était tombé sur sa figure, par terre, devant l'arche de Dieu. Ils relevèrent Dagôn et le remirent à sa place. Mais, quand ils se levèrent le lendemain de bon matin, voilà que Dagôn était tombé sur sa figure, par terre, devant l'arche de Dieu, et la tête de Dagôn et ses deux mains gisaient coupées sur le seuil : il ne restait à sa place que le tronc de Dagôn. C'est pourquoi les prêtres de Dagôn et tous ceux qui entrent dans le temple de Dagôn ne foulent pas du pied le seuil de Dagôn encore aujourd'hui.61

    Vous sentez ? Il faut écouter la Bible ! Manifestement, on veut montrer que l’arche d’alliance, ce n’est pas bon : ils ne savent pas quoi en faire… alors les Philistins, (vous lirez le récit, tout le suspens !), décident de ramener l’arche d’alliance. Ils la font évoluer dans toute la Pentapole philistine et puis ils décident de la mettre sur un chariot, tiré par des vaches qui viennent de vêler et dont les petits sont retenus à l’étable. Et ils disent : si l’arche prend la direction d’Israël, ce sera vraiment un miracle et alors on saura que c’est ce qu’il fallait faire. Et alors ils font, pour réparer… (Ils attrapent des ulcères, des chancres, des maux tellement grossiers que pour les rendre publics on les met entre parenthèses dans la Bible, et je pense que, quand le bon La Fontaine parle des « animaux malades de la peste », et dit : « ils ne mouraient pas tous mais tous étaient atteints », il fait allusion à ce récit ici). … ils font des images de leurs tumeurs (vous allez rigoler encore plus fort !) pour mettre à côté de l’arche, qui prend tout droit le chemin et franchit la frontière entre les Philistins et Israël, du côté de Bet-Shémesh62.

    (veut dire : gloire ( I S 4, 21 ָּכבֹוד ,est une négation ִאי 6061 1 S 5,1-5 62 1 S 5,6-12 ; 1 S 6,1-12

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    Alors ici l’auteur manifestement veut montrer… (on avait un peu perdu le sens du sacré) et il a besoin de redonner aux Israélites qui retrouvent l’arche, le sens du sacré !

    � Alors, il y a « un récit terrible » ici : un autre genre littéraire qu’on trouve dans la Bible et que j’ai connu à l’époque moderne. (J’ai reçu une éducation dans des collèges traditionnels et en fin d’études on faisait venir des prédicateurs spécialisés et alors ils avaient des « récits terribles » ; ils nous faisaient trembler et ils nous montraient qu’on pouvait attraper ceci ou cela, ils parlaient de l’enfer comme s’ils avaient voulu qu’on y aille, on les appelait les « rédempterroristes »).

    Et alors les gens de Bet-Shémesh voient l’arche venir, ils ne se réjouissent pas suffisamment, du moins certains, et Dieu les frappe d’une grande plaie63. Alors les gens de Bet-Shémesh qu’est-ce qu’ils disent : « Qui pourrait tenir en face de Dieu le Saint ?... »

    Ils envoyèrent des messagers aux habitants de Qiryat-Yéarim, Nous y sommes

    avec ces mots : « Les Philistins ont rendu l'arche de Dieu. Descendez et faites-la monter chez vous64 »

    A vous l’honneur ! � Et alors c’est ici que l’arche va rester une vingtaine d’années � Entre temps, David, ayant conquis Jérusalem, aura le génie d’aller chercher l’arche qui

    était ici « en panne » à Kiryat-Yéarim � Et puis Jérusalem devient… ce qu’était Silo mais beaucoup plus. Vous trouvez ça dans

    la littérature rabbinique : « Jérusalem, c’est Silo beaucoup plus ! » => Cela, au terme d’une crise qui est une véritable métamorphose. Il y a des dépassements, mais on voit très bien que c’est le même langage qu’à Silo. Vous sentez ? Alors, si vous parcourez l’Histoire sainte, qu’est-ce qui se passe ? Jérusalem grandit, elle est détruite par Nabuchodonosor, roi de Babylone en - 586. Qu’est-ce qui se passe à ce moment là ? C’est un anéantissement, et le peuple subit une crise terrible, une véritable mort. Et, après l’édit de Cyrus, c’est une véritable résurrection. La « vision des ossements desséchés65 » n’est pas qu’une vision, elle exprime une réalité : un mystère de mort et de résurrection. Alors, après le retour de l’exil, le deuxième Temple qui est construit est beaucoup plus important que le premier. Il sera au maximum de son importance lorsqu’il sera détruit en 70 après Jésus-Christ. Le deuxième Temple était le centre, non seulement religieux mais aussi national de toute une entité juive qui n’était plus limitée à la Terre Sainte mais qui était répandue partout dans tout le monde civilisé d’alors.

    Vous avez encore une mutation avec un dépassement et une continuité … En 70, qu’est-ce qui se passe ? Eh bien le Temple est détruit. Il faut voir le traumatisme que ça a été dans la tradition juive ! - Pour nous chrétiens, le voile s’est déchiré (je l’ai déjà dit plusieurs fois) : ce qui s’est passé une fois pour toutes est rendu présent, à tous les points de l’espace et du temps, jusqu’à ce qu’Il revienne. - Mais, dans la tradition juive, cette ruine du Temple reste comme un grand vide. Si vous connaissez un tout petit peu la prière juive, elle est pleine de nostalgie pour le Temple qui a été détruit et d’espérance pour le Temple qui sera reconstruit. Et il ne peut pas y avoir

    63 1 S 6,19 64 1 S 6,20-21 65 Ez 37,1-14

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    actuellement de joie parfaite parce que le Temple n’est pas là ! Je médite souvent là-dessus devant le mur des Lamentations. Aux mariages par exemple, on casse un verre en signe de la ruine du Temple ; quand on construit une belle maison, un Juif religieux laisse toujours une pierre non taillée, non teinte, non travaillée, en signe du Temple. Et il faut avoir assisté au mois de Juillet par là, (à Tich’a bé’Av ִּתְשָעה ְּבַאב au 9 du mois de Av), et aller se mêler aux foules de Juifs religieux qui, au mur occidental, font crier les Lamentations de Jérémie certains parfois toute la nuit. Et quand on connait les écrits contemporains de cette ruine du Temple, tout est absurde ! Ce n’est plus la peine de planter, de semer puisqu’on ne pourra plus offrir les prémices au Temple. Ce n’est plus la peine de faire des enfants puisque les premiers nés ne pourront plus être offerts au Temple. C’est comme si le monde était mis en cul de sac : il perd cette possibilité d’élan vertical, d’eucharistie ! Pour nous chrétiens, encore une fois, il y a une mutation : on passe de l’Ancienne Alliance à la Nouvelle et on parle de palingenesia 66, de nouvelle création, de [καινὴ κτίσις] kainē ktisis67 et puis en même temps, on affirme comme la Sainte Vierge dans son Magnificat, que les promesses faites à Abraham sont pleinement accomplies. Toutes les promesses qu’Il a faites à Abraham et à sa descendance pour toujours68. Vous sentez ? Eh bien toute l’Histoire sainte et, je crois, toute l’Histoire de l’Église, c’est comme ça ! Nous avons vécu (je crois qu’on en sort maintenant) une crise ! J’ai connu ça avant, je connais ça maintenant, j’ai vu des gens qui l’ont traversée. Et c’est intéressant ! Et notre vie personnelle est faite comme ça… J’ai eu des psychologues dans mes groupes quelquefois et qui me disent : c’est formidable ce qu’on apprend, pour l’évolution personnelle aussi, de ces crises ! Alors qu’est-ce qui se passe chaque fois qu’il y a une crise dans l’histoire du peuple de Dieu ? Et bien, à chaque fois qu’il y a une crise, c’est la même histoire : il y en a qui restent désespérément accrochés au passé et puis il y en a qui partent en avant (ce sont des intégristes et des progressistes si vous voulez).

    � Alors des intégristes ? La Bible est impitoyable là-dessus : on peut-être intégriste pour des motifs radicalement différents. On peut-être intégriste par insouciance ou manque de culture : on répète des comportements anachroniques, parce qu’on néglige les leçons du passé ou parce que la pesanteur nous amène à une insouciance. C’est comme pour Jérémie (Jérémie, il faut le savoir, habite Anatoth et, à Anatoth habite une dynastie de prêtres69 : Abiatar qui, après avoir pris le parti d’Absalom est exilé à Anatoth et certainement que Jérémie, prêtre lui-même, descendant de ces prêtres évincés, avait quelques ressentiments contre le clergé de Jérusalem). Mais alors qu’à Jérusalem, la situation est critique, que les Babyloniens s’approchent, qu’on peut s’attendre au pire, il y en a qui répètent des comportements anachroniques : ils disent : « le Temple de Dieu, le Temple de Dieu, on n’a rien à craindre, on a une assurance tout risque, le Temple de Dieu est là parmi nous ! »

    66 Tt 3,5 67 2 Co 5,17 68 Lc 1,55 69 1 R 2,26

  • Bible Sur le Terrain, Frère Jacques Fontaine OP, 3e partie : Au nom du Saint Esprit à Jérusalem Jour 16 : La route d’Emmaüs. V