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N° 245 JUIN 2010 dépasser les frontières ZOOM Peintures rupestres Jean-Loïc Le Quellec, l’homme qui réinterprétait les mythes Rien n’arrête les mathématiques NEUROSCIENCES, éCOLOGIE, ASTRONOMIE… EXC L USI F Entretien avec Alain Fuchs, président du CNRS

Journal du CNRS · l’université Carnegie Mellon, favoris, prennent la seconde place, avec un temps de 54 millisecondes. Les chercheurs des instituts Femto-ST2 et Isir3 – Ioan

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N° 245 JUIN 2010

dépasser les frontières

zoomPeintures rupestres

Jean-Loïc Le Quellec, l’homme qui réinterprétait les mythes

Rien n’arrête les

mathématiques

NeUroscIeNces,écologIe,astroNomIe…

eXclUsIF Entretien avec

Alain Fuchs, président du CNRS

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SOMMAIRE 3

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

ZOOM > L’homme qui réinterprétait les mythes, p. 28

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VIE DES LABOS > Moins de CO2 pour plus d’emplois en Île-de-France, p. 9

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Le journal du CNRS 1, place Aristide-Briand92195 Meudon Cedex Téléphone : 01 45 07 53 75Télécopie : 01 45 07 56 68Mél. : [email protected] journal en ligne :www2.cnrs.fr/presse/journal/CNRS (siège)3, rue Michel-Ange75794 Paris Cedex 16

Directeurde la publication :Alain FuchsDirectricede la rédaction :Marie-Hélène BeauvaisDirecteur adjoint de la rédaction :Fabrice Impériali

Rédacteur en chef adjoint :Matthieu RavaudChefs de rubrique :Fabrice DemarthonCharline Zeitoun

Rédactrice :Anne LoutrelAssistante de la rédaction et fabrication :Laurence WinterOnt participé à ce numéro :Stéphanie ArcÉmilie BadinJulien BourdetPatricia ChairopoulosChristian DebraisneSebastián Escalón Grégory FléchetMathieu GroussonMarie LescroartXavier MüllerMarion PapanianVahé Ter MinassianGéraldine Véron

Secrétaire de rédaction :Isabelle GrandrieuxConception graphique :Céline HeinIconographe :Cecilia VignuzziCouverture :Calligraphie : Julien Chazal ; C. Hein ; O. BernezatPhotogravure :Scoop CommunicationImpression :Groupe CirclePrinters6, route de la Ferté-sous-Jouarre77440 Mary-sur-MarneISSN 0994-7647AIP 0001309Dépôt légal : à parutionPhotos CNRS disponibles à :[email protected]://phototheque.cnrs.fr/

La reproduction intégrale ou partielledes textes et des illustrations doit faire obligatoirement l’objet d’unedemande auprès de la rédaction.

VIE DES LABOS P. 6.> REPORTAGEUne fenêtre s’ouvre sur le Crétacé> ACTUALITÉS P. 8Les derniers résultats de la recherche > MISSION P. 13Une forteresse de légende dans le Gévaudan

INNOVATION P. 14 Les mille vertus des microalgues

PAROLE D’EXPERT P. 16 Chopin, un héritage très présentEntretien avec Cécile Reynaud

RENCONTRE AVEC P. 17Sondeur d’atomesPortrait de Gérald Da Costa

L’ENQUÊTE P. 18NEUROSCIENCES, ÉCOLOGIE, ASTRONOMIE…

Rien n’arrêteles mathématiquesUne disciplineà vocation universelle > 19La biodiversité en équations > 20Des formules contre les épidémies > 22La physique accro aux maths > 23Des théorèmes plein les neurones > 24Les maths à l’écoute de la Terre > 26

ZOOM P. 28.L’homme qui réinterprétait les mythesPortrait de Jean-Loïc Le Quellec

IN SITU P. 32Une nouvelle donne pour le CNRSEntretien avec Alain Fuchs,président du CNRSQuelle archéologie pour demain? P. 36

GUIDE P. 38Le point sur les livres, les expos, les manifestations, les films…

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VIE DES LABOS >De la poussière de comètes découverteen Antarctique, p. 12

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ÉCLATS4

Victoire! Il aura fallu28,1 millièmes de secondesau microrobot MagPieR,développé par l’équipe du CNRS, pour parcourir les 2 millimètres de piste et remporter haut la mainles Championnats du mondede sprint microrobotique,organisés par deux institutsaméricains1 du 3 au 8 maiderniers à Anchorage. Le microrobot pulvérise leprécédent record et laisse loin derrière sesconcurrents internationaux.Les Américains del’université Carnegie Mellon,favoris, prennent la secondeplace, avec un temps de54 millisecondes. Les chercheurs des institutsFemto-ST2 et Isir3 – IoanAlexandru Ivan4, JoëlAgnus, Stéphane Régnier etGilgueng Hwang – quicomposent l’équipefrançaise ont de quoi êtrefiers. Inscrits tard dans la compétition, ils n’ont euque quelques mois pourcréer de toutes pièces cemicrorobot, un minuscule

bloc de matériauxferromagnétiques etpiézoélectriques micro-usinés, d’à peine un tiers de millimètre de côté.« MagPieR est actionné à distance par des champsélectrique et magnétique,explique Nicolas Chaillet,directeur du départementAutomatique et systèmesmicro-mécatroniques(AS2M) de l’Institut Femto-ST. Le premier lui permet de décoller du sol et le second de se déplacerhorizontalement. »Aujourd’hui, l’équipeplanche sur les

améliorations à amener ausprinteur, en particulier dansle contrôle de sa trajectoire.Avec un objectif : réitérerl’exploit l’année prochaine à Shanghai.1. Le National Institute of Standardsand Technology et l’Institute ofElectrical and Electronics Engineers.2. Unité CNRS / Université deFranche-Comté / Université detechnologie de Belfort-Montbéliard /ENS de mécanique et desmicrotechniques de Besançon.3. Unité CNRS / Université Paris-VI. 4. Bénéficiaire d’une bourse intra-européenne Marie-Curie (projet MicroPads).

> Contact :[email protected]

Disparition d’Evry Schatzman

JEAN-FRANÇOIS COLOSIMOÀ LA TÊTE DU CENTRENATIONAL DU LIVREDirecteur général de CNRS Éditionsdepuis 2006, Jean-François Colosimoest le nouveau président du Centrenational du livre (CNL), et ce pour un mandat de cinq ans. Avec un budget d’environ 40 millionsd’euros, le CNL a pour mission de soutenir, à travers différentsdispositifs, l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre.

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Deux versions du microrobot qui a remporté lesChampionnats dumonde de sprint.

Coup d’envoi du PIMMLe laboratoire Procédés et ingénierie en mécanique et matériaux (PIMM)1

a été inauguré le 25 mai au Centre Arts et Métiers ParisTech. Issu de la fusion du Laboratoired’ingénierie des matériaux (LIM), du Laboratoire de mécanique dessystèmes et des procédés (LMSP) etdu Laboratoire pour l’application deslasers de puissance (LALP), le PIMMs’intéresse aux procédés de mise enforme et d’assemblage des matériauxet rassemble désormais un vasteensemble de spécialistes de domainesallant de la mécanique à la chimie enpassant par la simulation numérique.

1. Unité CNRS / Ensam Paris.

Ô LE SUCCÈS SCIENTIFIQUE

Un microrobot du CNRS champion du monde de sprint

Suivez en direct l’actualité du CNRS

L’astrophysicien Evry Schatzman est décédé le 25 avril dernier à l’âge de 90 ans. Directeur de recherche CNRS et médailléd’or du CNRS en 1983, il était considérécomme le père de l’astrophysique française.En introduisant les concepts de la physiquemoderne en astronomie et en s’impliquanttrès fortement dans l’enseignementsupérieur, il avait formé une nouvellegénération de chercheurs en astronomie-astrophysique et replacé la discipline au

meilleur niveau mondial. Il avait crééplusieurs DEA et fondé le Laboratoired’astrophysique de Meudon. Ses travauxportaient principalement sur la structureinterne des étoiles, les novae, les rayonscosmiques, la matière et l’antimatièrecosmologique. Récompensé par de trèsnombreux prix au cours de sa carrière, ilétait aussi chevalier de la Légion d’honneur,officier de l’ordre national du Mérite etcommandeur des Palmes académiques.

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5ÉDITO

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

éditoedito

Ce numéro du Journal du CNRS le montre : la recherche

mathématique est en profonde évolution. À côté des

grandes thématiques et problématiques traditionnelles,

toujours d’actualité, on assiste à une véritable explosion

de la demande venant d’autres disciplines et du monde

économique. Cette demande ne se limite pas à des collaborations de

type prestations de services, mais implique de plus en plus le déve-

loppement de recherches nouvelles. Des mots clés comme “modé-

lisation” et “simulation” se retrouvent un peu partout ; le secteur

biologie-santé est particulièrement concerné. Il est donc évident

qu’un enjeu majeur pour les mathématiques françaises est d’inves-

tir résolument ces nouveaux champs émergents pluridisciplinaires

et de les relier aux domaines centraux des mathématiques.

La création de l’Institut des sciences mathématiques et de leurs

interactions (Insmi) au sein du CNRS a permis de rendre visible une

structure nationale qui couvre tous les aspects des mathématiques

et la quasi-totalité du territoire. L’Insmi se donne comme objectif prin-

cipal de développer l’ensemble des recherches dans ce domaine, des

fondements aux applications et aux interactions, principalement

en animant et en coordonnant le réseau des mathématiques fran-

çaises. Car une caractéristique de cette discipline est bien son fonc-

tionnement en réseau. En France, on compte environ 4000 mathé-

maticiens occupant des emplois publics permanents, dont plus de

80 % sont enseignants-chercheurs, 10 % chercheurs au CNRS et 3 %

chercheurs à l’Institut national de recherche en informatique et

automatique (Inria). Ces chercheurs sont répartis sur tout le territoire

et, de ce fait, chacun d’entre eux doit tisser des liens nationaux et inter-

nationaux avec les autres spécialistes de son domaine. Le succès du

fonctionnement en réseau doit beaucoup à la mobilité que la com-

munauté s’impose – mobilité géographique et thématique –, mais

aussi à celle entre le CNRS et les uni-

versités. Quelques données biblio-

métriques illustrent les tendances

actuelles. Le caractère individuel ou

en petits groupes de la recherche

mathématique reste marqué, mais

il est en diminution : environ 30 % des publications des unités mix-

tes de recherche (UMR) relevant de l’Insmi ont un seul auteur et 12 %

ont plus de quatre auteurs. L’insertion internationale est très forte :

62 % des publications à plusieurs auteurs ont au moins un coauteur

dans un laboratoire étranger. L’interaction pluridisciplinaire est visi-

ble, avec entre 35 et 40 % de publications dans des revues se rapportant

à d’autres disciplines que les mathématiques, selon la classification

de l’Observatoire des sciences et des techniques.

Le partenariat entre le CNRS et les universités est fort et généralisé,

puisque les 45 UMR relevant de l’Insmi regroupent environ 80 % de

la communauté académique, avec 400 ingénieurs-techniciens, dont

un peu plus de la moitié sont des personnels du CNRS. L’Insmi sou-

tient des actions structurantes ou d’intérêt collectif à travers 8 fédé-

rations de recherche et 23 groupements de recherche, ainsi que

4 unités mixtes de service et 2 groupements de service, qui permet-

tent notamment d’épauler les centres de rencontre internationaux et

les activités en réseau liées à l’informatique et à la documentation. Le

CNRS aide aussi à la structuration et au développement des relations

internationales, par exemple avec le pilotage de 6 unités mixtes inter-

nationales, de 5 laboratoires internationaux associés et de 6 groupe-

ments de recherche internationaux. Enfin, il joue un rôle majeur

dans la formation des chercheurs. Au total, c’est bien la mobilisation

forte de toute une communauté, alliée au soutien résolu à l’excellence

et à la présence de leaders reconnus, qui explique le deuxième rang

mondial qu’occupe la recherche mathématique française.

Guy Métivier,Directeur de l’Institut des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi) du CNRS

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La bonne santédes mathématiques françaises

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VIEDESLABOS Reportage6

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

PALÉONTOLOGIE

Une fenêtre s’ouvre sur le Crétacé

Au premier abord, l’endroit semble des plusbanals : une carrière à ciel ouvert, située surla commune d’Angeac, tout près des rivesde la Charente, ponctuée ça et là de bassinsinondés. De ces derniers, l’entreprise

Audoin extrait graviers et autres alluvions calcairesdéposés par le fleuve. Difficile de s’imaginer qu’il y ades millions d’années de cela des dinosaures de plu-sieurs tonnes foulaient ce sol. L’histoire remonte à unjour d’été 2008, lorsqu’une des pelles mécaniquesdéterre un étrange bloc de pierre : « Celui-ci était bientrop massif pour un galet transporté par la Charente. Lesexploitants du site m’ont immédiatement téléphoné pour mefaire part de leur découverte », se souvient Jean-FrançoisTournepiche, conservateur chargé de l’archéologie auMusée d’Angoulême. Et, le moins que l’on puisse dire,c’est qu’ils ont eu du flair. Contacté par le musée, DidierNéraudeau, paléontologue au laboratoire GéosciencesRennes1, reconnaît une vertèbre de sauropode, un ordreregroupant les dinosaures herbivores géants qui vécu-rent entre le Jurassique moyen (– 170 millions d’années)et le Crétacé supérieur (– 65 millions d’années).L’histoire aurait pu en rester là. Mais, au début de cetteannée, les ouvriers mettent au jour une dizaine d’os-sements, dont la moitié d’un fémur de 1 mètre de long.« Une telle concentration de vestiges retrouvés dans unpérimètre aussi restreint était forcément le signe qu’ilsn’avaient pas été charriés sur une longue distance dans lesalluvions de la Charente et que d’autres ossements étaienttrès certainement encore inclus dans leur couche géologiqued’origine », explique le chercheur rennais. Afin d’enavoir le cœur net, Jean-François Tournepiche et DidierNéraudeau décident de pousser plus avant leurs inves-tigations. Avec l’aide des carriers, qui mettent à dispo-sition des scientifiques leur matériel d’excavation, ils réa-lisent deux sondages de 2 mètres de profondeur dansl’un des bassins inondés. Ils parviennent à atteindre laroche mère, un mélange d’argile et de lignite (uneroche sédimentaire composée de restes de plantes fos-siles) datant du Crétacé inférieur, période compriseentre – 130 et – 110 millions d’années.

DES OSSEMENTS INTACTS MIS AU JOUR Une fois l’eau de la nappe phréatique évacuée pardes pompes, c’est un véritable inventaire à la Prévertqui s’offre aux truelles des paléontologues : vertèbreset fémurs de sauropodes, phalanges et dents de dino-saures carnivores, fragments de carapaces de tortues,dents et vertèbres de crocodiles, morceaux de boispétrifiés, feuilles de conifères fossilisées… Les plus belles pièces retrouvées lors de ces sondages préli-minaires sont maintenant entreposées au Musée

Un nombre prodigieux de fossiles de grands dinosaures mêlés à des restes d’animaux aquatiques et devégétaux viennent d’être exhumés à quelques kilomètres d’Angoulême. Ce gisement, véritable instantanéd’une période encore méconnue, les débuts du Crétacé, est pourtant loin d’avoir livré tous ses secrets.

Ces imposantes vertèbres dedinosaure herbivore ont étédéterrées par les ouvriers de l’entreprise Audoin dans unecarrière d’Angeac-Charente (16).

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d’Angoulême en attendant de pouvoir être présen-tées au public. Disposées sur l’une des tables du labo-ratoire de Jean-François Tournepiche, les imposantesvertèbres de dinosaures herbivores découvertes audébut de l’année retiennent immédiatement l’atten-tion. D’un diamètre de 40 centimètres, elles donnenttoute la mesure de ces placides géants, hauts commeun immeuble de quatre étages. D’un point de vuescientifique, ces fossiles ne sont pourtant pas les plusintéressants, comme le souligne le conservateur :« Étant donné qu’ils ont été enfouis dans les strates géo-logiques superficielles rabotées peu à peu par les eaux dela Charente, ces vestiges se sont finalement retrouvés dansla couche alluviale, où ils ont été altérés et oxydés, commeen atteste leur couleur rouille caractéristique. »Or, pour identifier l’animal avec le plus de précisionspossible, les paléontologues doivent avoir accès à desossements restés intacts. Tel ce fémur de dinosaureprédateur que Jean-François Tournepiche extrait avecprécaution de son emballage protecteur. À la diffé-rence des vertèbres de sauropode, ce fossile de cou-leur sombre, pourtant âgé d’une centaine de millionsd’années, a conservé l’apparence d’un os frais. « C’estla couche sédimentaire d’argile non altérée par l’érosionqui, en préservant les ossements de l’oxydation, a pu assu-rer à certains d’entre eux un état de conservation remar-quable », précise Didier Néraudeau. Confiée à deuxspécialistes des dinosaures carnivores, l’analyse de cesos montre qu’ils appartiennent probablement à undinosaure de type Abélisauroïde. De morphologie assezproche du célèbre Tyrannosaurus rex, cet animal d’allureplus gracile n’en demeurait pas moins un redoutableprédateur pour les pacifiques sauropodes.

UNE FLORE ET UNE FAUNE EXCEPTIONNELLESSi les fragments de dinosaures géants fascinent, ils nesuffisent pas à déchiffrer un passé aussi lointain quele Crétacé inférieur. Pour réussir à assembler les piè-ces du puzzle qui constituaient l’écosystème charen-tais à cette époque, les scientifiques doivent analyserles couches sédimentaires dans leur globalité. L’un desprécieux avantages du gisement d’Angeac est d’as-socier dans un périmètre très restreint une granderichesse de vestiges de flore et de faune de tailles trèsvariées. Des grains de pollens et des écailles de pois-sons de quelques millimètres à peine côtoient desmorceaux entiers de bois pétrifiés et des fossiles dereptiles de dimensions diverses.Alors, à quoi ressemblait le site il y a des millions d’an-nées ? Les premières analyses microscopiques deséchantillons sédimentaires ont montré l’absence totalede micro-organismes typiques des écosystèmes marinsdu Crétacé. Un constat qui marque le caractère trèscontinental du milieu où se sont déposés les différentsrestes fossiles. Et qui conduit le paléontologue à l’ex-trapolation suivante : « Il y a 110 millions d’années decela, en lieu et place de la carrière, nous aurions sansdoute pu contempler un paisible paysage aquatique : unlac, un marais ou un bras mort de rivière. » Pour déter-miner ensuite avec exactitude l’ensemble des êtresvivant sur le site à cette époque et qui sont aujourd’hui

fossilisés (la taphocénose), l’étude des “microrestes”inclus dans les sédiments représente l’une des étapesde recherche ultérieures indispensables.

L’ACCÈS À UNE PÉRIODE ENCORE INÉDITE Selon Jean-Michel Mazin, du laboratoire Paléoenviron-nements et paléobiosphère2, de Lyon, qui a étudié cesmicrofossiles dans le gisement légèrement plus anciende Cherves, situé plus à l’ouest, « le site d’Angeac est uneaubaine, car il s’intercale entre la fin du Jurassique (site deCherves) et le Crétacé moyen des Charentes (sites de Jarnacou d’Archingeay), nous offrant ainsi l’opportunité d’accéderà une séquence inédite de l’histoire ». Grâce à l’analyse desmicrofossiles, se profile l’opportunité de retrouver desdents d’animaux de petite taille, parmi lesquelles figu-reront peut-être celles des représentants des premiersmammifères terrestres. « Parce qu’on ne retrouve souventpas plus d’une dizaine de ces dents microscopiques par tonnede sédiments, ce sont un peu les pépites d’or du paléontolo-gue », confie notre homme, un brin amusé. Pour finir dedépeindre l’écosystème dans lequel évoluait ce bestiaireantédiluvien, restait àfaire appel aux compé-tences des paléobota-nistes. Parmi eux, Ber-nard Gomez, membredu même laboratoirelyonnais et spécialistede l’identification desfeuilles fossilisées, adécouvert une espèce deconifère jamais décritedans un gisement fran-çais : « Dans le premieréchantillon qui m’a étéconfié, j’ai pu observer unegrande quantité de feuillesappartenant à l’espèce Watsoniocladus, associées à des orga-nes reproducteurs qui lui appartiennent aussi sans doute. »Pour le chercheur, c’est le signe que l’environnement enplace à cette époque devait s’apparenter à la zone inon-dable d’un cours d’eau de faible puissance, couverted’une forêt peuplée principalement, peut-être mêmeexclusivement, de cet arbre encore mal connu. Déjà riches d’enseignement, les premières découver-tes d’Angeac ne sont que les prémices d’un gisementtrès prometteur. « Les fossiles retrouvés jusqu’à présent sontissus de sondages réalisés sur une surface totale de 4 m2, orle site s’étend sur plusieurs centaines, voire milliers, demètres carrés », s’enthousiasme Jean-François Tour-nepiche. Prochaine étape de ce voyage dans le tempsdès le mois de septembre. Le niveau de la nappe phréa-tique sera alors suffisamment bas pour permettre auxpaléontologues d’explorer les strates fossilifères lespieds au sec. Débutera alors la première véritable cam-pagne de fouille, qui devrait se poursuivre sur plu-sieurs semaines. Et, avec elle, l’espoir de retrouverbien d’autres fossiles de dinosaures géants.

Grégory Fléchet

1. Unité CNRS / Université Rennes-I.2. Unité CNRS / Université Lyon-I.

VIEDESLABOS 7

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

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Dans les mains de Jean-FrançoisTournepiche, conservateur auMusée d’Angoulême, un morceaud’humérus de sauropode quilaisse rêveur quant à la taille de son propriétaire.

Une fois l’eau évacuée du sited’extraction, les paléontologuesont découvert cette dent dethéropode, un grand dinosaurecarnivore qui vécut au Crétacé.

CONTACTSÔ Didier NéraudeauLaboratoire Géosciences Rennes, [email protected]

Ô Jean-Michel MazinLaboratoire Paléoenvironnements etpaléobiosphère, [email protected]

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VIEDESLABOS Actualités8

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

BIOMÉCANIQUE

Étudier les forces pour comprendre la forme

Mesurer les propriétés phy-siques d’un tissu vivant, tel-les que son élasticité, avec

une résolution de 10 à 50 micro-mètres 1 ? C’est désormais possiblegrâce au “tonomètre à jet d’air àbalayage”. Cet appareil, mis au pointpar Vincent Fleury2, chargé derecherche au sein du Laboratoirede matière et systèmes complexes3,avec des collègues français, alle-mands, hollandais et ukrainiens,vient de faire l’objet d’une publica-tion dans la revue Physical Review :« Le principe, explique le chercheur,est d’injecter de l’air à la surface dutissu à travers une micropipette. Unfaisceau laser acheminé via une fibreoptique glissée à l’intérieur de ce tubede verre très fin permet de mesurer la “réponse” du tissu en terme de déformation. Nous en déduisons ses

propriétés physiques. » Atout nonnégligeable : l’appareil peut établirdes mesures en un seul point, maisaussi en continu en le faisant glis-ser sur le tissu.Ces mesures apportent un éclairageinédit sur la manière dont se déve-loppent les organismes vivants. « Unensemble de travaux, menés depuisune dizaine d’années, montrent que lespropriétés physiques d’un tissu vivantjouent un rôle important dans le déve-loppement des formes biologiques,explique Vincent Fleury. Mais, sides mouvements et des déformationsont pu être observés au microscope,les moyens techniques manquent pourmesurer finement, in vivo, d’éven-tuelles variations de pression d’unpoint à un autre du tissu. De fait, lesoutils existants sont souvent peu précis ou destructifs. »

Ce nouvel outil a déjà fait ses preu-ves sur des objets biologiques divers.« Par exemple, nous avons mesuré lespropriétés physiques des vaisseaux aucours de la formation du système san-guin, souligne le chercheur. On saitque les veines se développent toujoursparallèlement aux artères. Or nos mesu-res ont permis de confirmer certainsmodèles préexistants, à savoir que cephénomène peut s’expliquer par des fac-teurs purement physiques. En effet, laprésence de l’artère durcit le tissu alen-tour. Si bien que les veines suivent toutsimplement ce “manchon”. »L’équipe a également mesuré, surdes embryons de poulet, les pro-priétés des sites où l’on sait quebourgeonneront les ailes et lespattes. « Lors de travaux antérieurs,détaille Vincent Fleury, j’avais posél’hypothèse que les cellules y décrivent

des tourbillons. Nous avions réussi àfilmer ces derniers au microscope,mais le tonomètre a permis de mon-trer que le tissu est effectivement plusdur dans la région en amont du tour-billon, celle qui “pousse”, et plus moudans la région en aval. » La prise encompte du rôle joué par la méca-nique dans la genèse des formes duvivant n’en est qu’à ses débuts…

Marie Lescroart

1. Un micromètre est égal à un millionièmede mètre.2. Vincent Fleury a publié plusieursouvrages, dont La Chose humaine ou la Physique des origines (Vuibert, 2009).3. Laboratoire CNRS / Université Paris-VII.

CONTACTÔ Vincent FleuryLaboratoire de matière et systèmescomplexes, [email protected]

PHYSIQUE

Nouvel obstacle franchi pour les ondes térahertz

L ’un des verrous qui entravaientle développement des applica-tions des ondes térahertz vient

de sauter. Les ondes térahertz ? Sivous avez pris récemment l’avion àl’aéroport de Roissy ou aux États-Unis, vous avez peut-être été tra-versé, lors du passage aux portiquesde sécurité, par ces ondes accuséesde voyeurisme, capables de dévoilerdes armes plus facilement que lesrayons X autant que l’intimité despassagers. Coincées entre les micro-

ondes et le rayonnement infrarouge,les ondes térahertz ont longtempsété les grandes oubliées du spectreélectromagnétique. Question d’ap-pareillage : peu de dispositifs étaientcapables d’émettre, dans cettegamme de longueurs d’onde, desrayonnements puissants, conditionsine qua non pour leurs nombreusesapplications potentielles. Or un pasimportant vient d’être franchi : desphysiciens du Laboratoire Pierre-Aigrain1 et du laboratoire Matériaux

et phénomènes quantiques2, del’université Paris-VII, ont conçu lepremier amplificateur de rayonne-ment térahertz3.L’amplificateur est en fait au départun laser à “cascade quantique”– appelé ainsi parce qu’à l’intérieurles électrons “sautent” d’une cou-che de semi-conducteur à uneautre4 – que les chercheurs ontmodifié astucieusement de façon àpouvoir l’éteindre et le rallumer rapi-dement. « Nous avons greffé au laserun commutateur qui le branche et ledébranche toutes les dizaines de pico-secondes », précisent en chœurJérôme Tignon et Sukhdeep Dhillon,qui ont dirigé les recherches. Avecce système, le laser se met à ampli-fier les ondes qui le traversent, elles-mêmes produites par une sourcede rayonnements térahertz stan-dard. Les chercheurs ont montréque leur dispositif pouvait ampli-fier la puissance des ondes d’un fac-teur 400, voire plus.Les physiciens vont à présent menerdes études de recherche fonda-mentale, jusqu’ici impossibles fautede rayonnements térahertz suffi-samment puissants, dans différentsdomaines, comme la spectroscopie

et la spintronique (la jumelle del’électronique où les 0 et les 1 nesont pas codés sur des courants élec-triques, mais sur des électrons). Enraison de plusieurs limitations (en particulier de l’amplificateur qui ne fonctionne aujourd’hui qu’àdes températures cryogéniques), ilsignorent si leur création servira auxapplications industrielles envisa-gées des ondes térahertz, commele contrôle non destructif du contenud’emballages ou la détection à dis-tance de polluants atmosphériques(et non plus par des capteurs in situ).Il n’en reste pas moins qu’avec leuramplificateur un sérieux obstacleau développement des ondes téra-hertz vient d’être… terrassé.

Xavier Müller1. Laboratoire CNRS / ENS / UniversitésParis-VI et -VII / Collège de France. 2. Unité CNRS / Université Paris-VII. 3. Travaux publiés dans la revue Nature Photonics. 4. Lire l’enquête « La révolution laser », Le journal du CNRS, n° 243, p. 18.

CONTACTSLaboratoire Pierre-Aigrain, Paris

Ô Jérôme [email protected]

Ô Sukhdeep [email protected]

L’amplificateur d’impulsionstérahertz est composé d’un laserà cascade quantique associé à un commutateur ultrarapide.

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L’amplificateur d’impulsionstérahertz est composé d’un laserà cascade quantique associé à un commutateur ultrarapide.

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

emplois pourraient ne pas être créés : « Si lesménages paient le surcoût, ils vont consommer moinset, par conséquent, l’activité de tous les autres secteursva baisser », reconnaît Philippe Quirion.Ainsi, dans l’hypothèse prudente d’une baisse des émissions de CO2 de 10 %, avec un baril depétrole à 80 euros et un endettement public nul,22000 emplois seraient créés. À l’autre extrême,avec une baisse des émissions de CO2 de 40 %,un baril de pétrole à 120 euros et un endettementà hauteur de 50 % des investissements, ce sontalors 164 000 emplois qui seraient générés.L’effet sur l’emploi de ce changement radical demodèle de développement serait donc de toutefaçon positif. Mais, comme l’explique le cher-cheur, « les décisions ne peuvent pas se prendre uni-quement sur la base de l’emploi : il faut prendre encompte aussi le coût économique et, bien sûr, l’im-pact sur l’environnement ».

Sebastián Escalón

1. Unité CNRS / EHESS / AgroParisTech / École nationaledes ponts et chaussées / Cirad / Météo France.

on s’en doute, verraient aussi leur demande enmain-d’œuvre bondir. Par contre, l’augmentationdes emplois dans les énergies renouvelables neserait pas aussi significative : l’Île-de-France nejouit pas d’un potentiel mirobolant dans l’éolien,et il est peu probable que le photovoltaïque sedéveloppe massivement d’ici 2020 du fait deson coût encore trop élevé.Le nombre d’emplois créés dépendrait évidem-ment des objectifs que la région pourrait se fixer :une baisse des émissions de CO2 de 10 %, de30 % ou de 40 % ? Le calcul incorpore ensuitedeux variables principales. Tout d’abord les prixdu gaz et du pétrole. Plus ceux-ci seront élevés,plus les surcoûts liés à une politique de réductiondes émissions de CO2 seront compensés. Deplus, tout l’argent non dépensé grâce aux éco-nomies de pétrole et de gaz pourrait être investiailleurs. « Une politique de réduction des émissionsde CO2 est aussi une bonne assurance contre unchoc pétrolier », affirme le chercheur.Le niveau d’endettement consenti par les pouvoirspublics est la seconde variable à ne pas négli-ger. Diminuer les émissions de CO2 représentebien sûr un investissement très important. Lesdécideurs devront donc choisir entre deuxoptions : faire payer les ménages “rubis sur l’ongle” ou autoriser un certain niveau d’endet-tement public. Dans le premier cas, certains

ÉCONOMIE

Des chercheurs ont calculé le nombre d’emplois créés en Île-de-France si la région réduisait sesémissions de dioxyde de carbone (CO2) : entre 22000 et 164000 selon les scénarios envisagés.

Moins de CO2 pour plus d’emplois en Île-de-France

Si l’Île-de-France décidait de réduire subs-tantiellement ses émissions de CO2, quese passerait-il sur le front de l’emploi ?C’est à cette question que répond une

étude réalisée par le Centre international derecherche sur l’environnement et le développe-ment1, à la demande d’Europe Écologie, ras-semblement politique de plusieurs acteurs dela mouvance écologiste. À l’origine de cette recher-che, un constat : « L’un des principaux obstacles àla mise en place de politiques de réduction des émis-sions de gaz à effet de serre, c’est l’idée qu’elles peu-vent être négatives pour l’emploi », affirme Phi-lippe Quirion, chercheur au CNRS et auteur decette étude publiée récemment.Or les résultats démentent cette idée reçue :selon les divers scénarios pris en compte, laconversion écologique de l’économie de l’Île-de-France pourrait créer entre 22000 et 164000emplois d’ici 2020. Ce sont bien entendu deschiffres nets : les destructions d’emplois danscertains secteurs comme l’énergie ou l’auto-mobile seraient une réalité.Le secteur du bâtiment et des travaux publicsserait le plus bénéficiaire. En effet, c’est dansl’amélioration de l’efficacité énergétique desbâtiments que se situe l’une des clés des éco-nomies d’énergie, et donc de la réduction desémissions de CO2. Les transports en commun,

CONTACTÔ Philippe QuirionCentre international de recherche sur l’environnementet le développement, [email protected]

Photomontage de la descente vers lecarrefour de la portede Vitry (75) dans lecadre de l’extensiondu tramway T3.

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Après avoir étudié des milliers de clichés pris par la sonde Cassini, des scientifiques viennent de livrer une analyse inédite des anneaux de Saturne. À la clé, de nombreuses révélations sur leurs propriétés ainsi que la découverte de nouvelles lunes.

PLANÉTOLOGIE

Les anneaux de Saturne se dévoilent

Ceci n’est pas un disque vinyle… Cette galettecolorée de gris, d’ivoire, de bleu, de rougeet de noir, ce sont les célèbres anneaux deSaturne, vus depuis l’objectif de la sonde

spatiale Cassini, toujours en orbite autour de laplanète géante. Depuis six ans, l’appareil accumuleles images. Et si, à ce jour, seule une infime par-tie des 100 000 clichés a été analysée, il est pos-sible de dresser un portrait détaillé des anneaux,ce que vient de faire, dans la revue Science1, uneéquipe internationale incluant un chercheur dulaboratoire Astrophysique, instrumentation etmodélisation 2, Sébastien Charnoz.Découverts en 1610 par Galilée, puis décrits parHuygens quarante-cinq ans plus tard, les anneauxintriguent les spécialistes qui s’interrogent sur leurorigine, leur évolution, leur masse – bien plusimportante que celle des anneaux de Jupiter,d’Uranus et de Neptune – et sur l’étonnantepureté des blocs de glace – d’une taille allant dumillimètre à la dizaine de mètres – qui les com-posent. Grâce aux observations des télescopes ausol et des sondes Voyager 1 et 2, on sait que cesanneaux sont divisés en plusieurs zones (A, B,

C…), qu’ils ont des bords abrupts et qu’ils sontextrêmement fins au regard de leur diamètre de280 000 kilomètres : 10 mètres d’épaisseur, àpeine ! « Cette finesse signifie qu’ils sont à un stadeavancé de leur évolution, explique Sébastien Char-noz. En effet, dans l’espace, l’aplatissement d’unnuage de particules débute lorsque l’essentiel de sonénergie a été dissipé au cours des multitudes de col-lisions qui se produisent entre ses constituants. »Ce qui n’empêche pas les anneaux d’être tou-jours extrêmement dynamiques, comme l’amontré la sonde Cassini. Ainsi, un petit annelésitué en bordure externe, appelé anneau F,change d’aspect en quelques heures à peine. Lesdonnées ont révélé qu’il est riche en poussièreet qu’en son cœur orbitent une myriade de peti-tes lunes kilométriques, apparemment éphé-mères : en équilibre instable, la matière subi-rait tour à tour des phénomènes d’accrétion etde destruction dus aux puissants effets demarées provoqués par Saturne.Concernant ces effets de marée, les satellitesnaturels de la planète ne sont pas en reste. Ilsentraînent dans les anneaux l’apparition d’ondes

qui leur confèrent leurs structures en microsillons.Cassini en a photographiées de tous types : ondesde densité qui compriment les morceaux de glaceà mesure qu’elles avancent, ondes de courburesverticales qui donnent aux anneaux un aspect detôle ondulée, ou encore petites ondes de Jeans quileur confèrent une texture granuleuse et coton-neuse. L’étude de la forme de ces ondes a permisnon seulement de déduire certaines propriétés desanneaux, comme leur densité – de l’ordre de400 kg/m2 pour l’anneau A – ou leur viscosité,mais également de découvrir en leur sein de nou-velles lunes telles que Daphnis, un objet de 8 kilo-mètres de diamètre environ.L’observation attentive de ces astres s’est avérée,elle aussi, riche en enseignements. En effet, deslunes comme Daphnis sont capables de creu-ser un sillon dans les anneaux. Si les plus gros-ses d’entre elles (plus de 5 kilomètres de dia-mètre) créent un chenal libre de débris sur toutle long de leur orbite autour de Saturne, celles detaille moyenne (de 500 mètres à 1 kilomètre) secontentent d’y laisser une petite trace en formed’hélice. « Ce qui est sans doute l’une des grandesdécouvertes de Cassini, estime Sébastien Charnoz.Ces ouvertures en forme d’hélice ou ces sillons videssur la trajectoire des lunes sont la réplique quasiexacte, à petite échelle, de processus qui furent à l’œu-vre dans le disque protoplanétaire au moment de laformation des planètes du système solaire et de leursmigrations, voici 4,56 milliards d’années. »Malgré ses succès, un mystère échappe encoreà Cassini : celui de l’origine des anneaux. Leurapparence suggère un âge d’environ 100 mil-lions d’années. Le hic, c’est qu’à cette époquele bombardement météoritique à l’origine desautres anneaux du système solaire avait cessédepuis longtemps. Alors d’où vient la glace desanneaux de Saturne ? Comment se sont-ils for-més ? Cassini a encore un peu de temps pourrépondre à ces questions : la mission devrait seprolonger jusqu’en 2017.

Vahé Ter Minassian

1. Science, 19 mars 2010. 2. Unité CNRS / Université Paris-VII / CEA.

CONTACTÔ Sébastien CharnozUnité Astrophysique, instrumentation et modélisation, [email protected]

Au centre de cettephoto, on distinguedes perturbationsdans les anneaux :celles-ci sont duesà la présence de la lune Daphnis.

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PALÉOÉCOLOGIE

L’unique steppe française avoue enfin son âge

Une mer de plantes herbacéesqui s’étend à perte de vue etoù des moutons paissent en

toute tranquillité : voilà à quoi res-semble la plaine de la Crau, situéeen Provence, considérée commel’unique steppe d’Europe occiden-tale. Pour la première fois, uneétude réalisée par des chercheursde l’Institut méditerranéen d’éco-logie et de paléoécologie (Imep)1

apporte des éléments qui démon-trent que celle-ci n’est pas de for-mation récente : elle serait vieilled’au moins 6 000 ans.D’une superficie d’environ 10 000hectares, la steppe de la Crau consti-tue un patrimoine naturel sanséquivalent. On y trouve jusqu’à70 espèces de plantes à fleurs parmètre carré et elle abrite un grandnombre d’espèces endémiques. Ellereprésente aussi un patrimoineculturel hors du commun car,depuis le Néolithique, les bergerstranshumants viennent y faire paî-tre leurs troupeaux.La controverse sur la formation dela steppe dure depuis les tempsd’Aristote, qui en voyait l’originedans un tremblement de terre.Avant les travaux de nos chercheurs,deux hypothèses s’opposaient :« D’un côté, celle qui soutenait que la steppe existait depuis la fin de lapériode glaciaire, survenue il y a envi-ron 10000 ans et, de l’autre, celle qui

affirmait qu’elle était le résultat dudéfrichement d’une grande forêt exis-tant à l’époque néolithique », expli-que Thierry Dutoit, chercheur àl’Imep. D’après cette seconde hypo-thèse, la steppe n’aurait que deuxou trois millénaires.Pour connaître l’âge de la steppe, ilfallait donc trouver des vestigesd’anciennes formations végétales.Pas facile sur une plaine au solextrêmement mince, constammentbattue par le mistral et piétinée parles troupeaux. Mais les chercheursont eu une idée brillante : cherchersous les fondations des bergeriesde l’époque romaine. « En dépla-çant ces fondations, nous avons récoltédes charbons de bois qui permettent

d’identifier les différentes espèces végé-tales et de les dater », indique ThierryDutoit. Environ 500 morceaux decharbon ont été récoltés.Résultat de cette étude publiée dansla revue The Holocene du mois defévrier dernier : onze taxons (famil-les ou genres) d’espèces végétalesont été identifiés, la plupart appar-tenant à des plantes herbacéescomme le thym ou la lavande, ouencore à des espèces de garrigue.Par contre, depuis la fin du Néoli-thique, aucune trace avérée de chê-nes verts, espèce caractéristique desforêts méditerranéennes. « Cetteétude prouve qu’il s’agit bien d’un éco-système très âgé. Nous sommes devantau moins 6 000 ans d’interactions

entre le climat méditerranéen, les sols,la végétation et la pratique millénairedu pâturage ovin, commente le cher-cheur. Cela explique le nombre d’es-pèces sur la steppe et leurs multiplesadaptations à des conditions extrê-mement contraignantes. »

Sebastián Escalón

1. Institut CNRS / Universités Aix-Marseille-Iet -III / Université d’Avignon / IRD. BrigitteTalon et Frédéric Henry ont égalementparticipé à cette étude.

CONTACTÔ Thierry DutoitInstitut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie, [email protected]

Pour connaître l’âge de la steppe, les

chercheurs ont récolté des vestiges sous les

fondations d’une bergerieromaine (à droite) tels

que des charbons de bois (ci-dessous,

vue en coupe).

BRÈVES

Les protéines impliquées dans les maladies neurodégénératives comme Parkinson,Alzheimer ou encore le syndrome de Huntington ont une structure commune : telle estla découverte du biochimiste Andrey Kajava, du Centre de recherche de biochimiemacromoléculaire1, et de deux chercheurs américains du National Institute of Health.Ces pathologies sont caractérisées par la présence de dépôts insolubles de protéinesdans les tissus, souvent dus à un changement de conformation d’une protéineinoffensive au départ, et qui entraînent progressivement des lésions irréversibles sur le cerveau. La découverte de ce point commun pourrait notamment permettred’améliorer le diagnostic du risque de développer une de ces maladies.1. Unité CNRS / Universités Montpellier-I et -II.

> www2.cnrs.fr/presse/communique/1869.htm

Les maladies neurodégénératives ont un point commun

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Vivant dans des milieux pauvres en nutriments en Asie du Sud-Est, la plante carnivore Nepenthes rafflesia a développé un stratagème ingénieux pour se nourrir et se développer : ellemime des odeurs de fleurs pour attirer et piéger les insectesdans ses feuilles en forme d’urne. Cette découverte, née destravaux menés par des chercheurs du laboratoire Botanique etbioinformatique de l’architecture des plantes1 et de l’universitédu Brunei sur l’île de Bornéo, qui viennent de paraître dansJournal of Ecology, pourrait inspirer les programmes de luttecontre les insectes ravageurs de cultures ou les vecteurs de maladies tels que les moustiques.1. Unité CNRS / Inra / Cirad / Université Montpellier-II / IRD.

> www2.cnrs.fr/presse/communique/1865.htm

Un piège olfactif

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ASTRONOMIE

De la poussière de comètes découverte en Antarctique

C ’est une toute nouvelle famillede micrométéorites qui a étédécouverte par des chercheurs

du Centre de spectrométrie nu-cléaire et de spectrométrie de masse(CSNSM)1 dans la neige de l’Antarc-tique, près de la station scientifiqueConcordia. Grâce à des conditionsfavorables (vent soufflant du pôlevers les côtes, altitude de 3 200 mè-tres), l’endroit est une véritable salleblanche naturelle, conservant intacttout ce qui tombe du ciel. Soutenuepar l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor, l’équipe y exhume

depuis dix ans des micrométéorites,témoins des premiers instants dusystème solaire. Cette nouvelleespèce, décrite début mai dans larevue Science, pourrait être la pre-mière provenant d’une comète.La quantité de matière trouvée estfaible : à peine six micrométéo-rites, toutes de la taille de grains depoussière domestique (0,1 mm).Les 4 mètres de profondeur où ellesont été trouvées situent leur atter-rissage au pôle Sud dans les années1960. Malgré leur petite dimension,elles ont pu être fragmentées et leurs

morceaux distribués à trois labora-toires2 à des fins d’analyses diverses.Ce qui a permis de révéler la com-position isotopique de l’hydrogènedes particules, signature de leur ori-gine extraterrestre.À l’arrivée, les résultats des analy-ses ont stupéfait les chercheurs :au milieu des assemblages desminéraux habituels des météorites(formés à base d’oxygène, de ma-gnésium, de silicium…), les parti-cules contiennent une forte pro-portion de carbone sous formeorganique. Plus de la moitié de lamasse de chaque grain est ainsiformée de matière carbonée, uneproportion encore inédite dans lepaysage des micrométéorites.D’où viennent ces grains? Plusieursindices attribuent leur paternité auxcomètes dont la Terre traverse le sil-lage. Notamment la composition desminéraux, qui est proche de celledes fragments de poussières de lacomète Wild 2, rapportés en 2004par la sonde Stardust, de la Nasa. Or« les comètes se sont formées dans les

régions froides du disque de gaz qui a donné naissance aux planètes, il y a4,5 milliards d’années », souligne JeanDuprat, qui a dirigé les recherchesau CSNSM. Les régions froidesétaient suffisamment éloignées ducentre du disque pour permettre lacondensation de glaces (d’eau, demonoxyde de carbone, etc.), consti-tuants majoritaires des comètes. Leschercheurs viennent ainsi peut-êtrede trouver les premières archivessur Terre de ces zones reculées dansle temps et l’espace.

Xavier Müller1. Unité CNRS / Université Paris-XI.2. Le service national Nanosims duLaboratoire de minéralogie et cosmochimie(Laboratoire CNRS / Muséum nationald’histoire naturelle), l’Unité matériaux ettransformations (Unité CNRS / Universitéde Lille-I / ENS Chimie Lille) et leLaboratoire de géologie de l’École normalesupérieure (Laboratoire CNRS / ENS Paris).

PALÉONTOLOGIE

Deux australopithèques bien proches de nous

En 2008, au hasard d’une pro-menade, le paléontologueaméricain Lee Berger décou-

vre dans une grotte située à 40 kilo-mètres de Johannesburg, en Afri-que du Sud, les squelettes de deuxpetits êtres d’environ 1,30 m cha-cun. Il ne le sait pas encore, mais sadécouverte va bientôt faire le tour dumonde. En effet, tous deux appar-tiennent à une espèce d’australo-pithèques jamais décrite aupara-vant. Il s’agit d’une femelle adulteet d’un enfant d’une dizaine d’an-nées, qui vécurent il y a 1,9 milliond’années, et qui seraient morts enmême temps après être tombésdans la grotte où ils ont été retrou-vés. La revue Science du 9 avril der-nier publie la découverte de cettenouvelle espèce d’hominidés, bap-tisée Australopithecus sediba, ainsi

que les résultats des premières ana-lyses des fossiles. Celles-ci ont étéréalisées par une équipe interna-tionale dont fait partie GeoffreyKing, chercheur à l’Institut de phy-sique du globe de Paris1.Ces fossiles pourraient représenterune avancée importante pour com-prendre l’évolution des hominidés.« Les squelettes ont été retrouvés dansdes conditions de conservation extra-ordinaires. Ils ont été recouverts desédiments très fins et ne présententpas les traces d’érosion que l’onretrouve dans la plupart des fossilesretrouvés dans la vallée du rift, enÉthiopie. Ils sont tellement bienconservés que l’on peut même observerles points d’insertion du muscle àl’os ! », affirme Geoffrey King.Mais ce n’est pas tout. « Ces fossi-les ont un peu moins de 2 millions

d’années, et c’est à cette époque quesont apparus les premiers hominidésdu genre Homo. Or justement,Sediba, tout en restant un australo-pithèque, présente de nombreux carac-tères proches d’espèces comme Homoerectus », ajoute le chercheur.D’après les premières analyses dessquelettes, ces australopithèquesdevaient être de bons grimpeurs,mais ils étaient aussi capables de se déplacer et même de courircomme des humains. Seraient-ilsdonc une sorte de chaînon man-quant entre les australopithèqueset le genre Homo auquel nousappartenons ? Pour certains spé-cialistes, parmi lesquels leur décou-vreur, Lee Berger, cette nouvelleespèce est effectivement un sérieuxcandidat au titre de plus procheancêtre des Homo.

Geoffrey King reste néanmoins pru-dent et pense que les très vivescontroverses sur les ancêtres dugenre Homo ne se résoudront pasgrâce à cette découverte. « Je penseque la découverte de Sediba va activerle débat plutôt que de le clore, admet-il. De plus, il y a de très nombreuxendroits en Afrique du Sud qui n’ontpas du tout été explorés et où l’on pour-rait découvrir bien des espèces inter-médiaires entre les premiers Homo etleurs ancêtres. »

Sébastian Escalón

1. Unité CNRS / IPGP / Universités Paris-VI et -VII / Université de la Réunion.

CONTACTÔ Jean DupratCentre de spectrométrie nucléaire etde spectrométrie de masse (CSNSM)[email protected]

CONTACTÔ Geoffrey KingInstitut de physique du globe de [email protected]

VIEDESLABOS Actualités

Cettemicrométéorited’un nouveaugenre, vue ici au microscopeélectronique à balayage, a été retrouvéeprès de la stationConcordia. ©

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ARCHÉOLOGIE

Au-dessus des gorges du Tarn, s’élevait au début du Moyen Âge un richissime palais fortifié. Une équipe d’archéologues lance une nouvelle campagne de fouilles sur ce site qui, déjà, remet en cause bien des théories sur cette période tourmentée.

Une forteresse de légende dans le Gévaudan

N ous voici au sommet d’un pic qui sur-plombe le village de la Malène et lesgorges du Tarn, en Lozère. Là, sur unéperon rocheux, s’élevait à l’époque

mérovingienne une luxueuse forteresse. Unevingtaine d’archéologues et d’étudiants vontfouiller le site de la fin juin à la fin juillet. Troiscents mètres de dénivelé quotidiens sur un che-min étroit et escarpé les attendent. Sur certainspassages, ils devront même s’encorder. Maisqui oserait se plaindre de cet exercice ? Fouillerce site est un vrai rêve d’archéologue! Découvertetout juste en 2008, la forteresse de la Malènedevrait en effet tordre le cou à bien des idéesreçues sur le haut Moyen Âge, période com-prise entre le Ve siècle et le Xe siècle. Elle per-mettra aussi de voir sous un jour nouveau cetteépoque mouvementée où les premiers roisfrancs, descendants de Clovis, avançaient surles territoires alors occupés par les Wisigoths.La découverte de ce site s’est faite grâce à un pro-gramme initié en 1998 par Laurent Schneider etson équipe du Laboratoire d’archéologie médié-vale méditerranéenne1. Celui-ci s’intéressait auxconstructions haut perchées du haut Moyen Âgedans le Midi de la France. Les chercheurs ontainsi voulu expertiser ce site vertigineux où desruines presque oubliées étaient attribuées tantôtà l’Antiquité et tantôt au Moyen Âge. Mais unfait particulier les a conduits spécialement vers celieu : il semblait correspondre à la forteresse men-tionnée dans un manuscrit médiéval décrivant lesmiracles de saint Hilaire, l’un des premiers évê-ques du Gévaudan, qui vécut au Ve siècle.« Ces textes exaltent le rôle joué par Hilaire deGévaudan dans le processus de christianisation de la région en retraçant ses luttes contre le démonet les pratiques païennes », explique Laurent Schei-der. Mais ils montrent aussi les relations ambi-guës qu’il entretenait avec les Francs. « Hilaire dut

se réfugier avec son peuple dans la forteresse deMelena pour se protéger de leurs armées et négocia,semble-t-il, directement avec le roi pour éviter que lelieu ne soit pillé et brûlé. Ce succès diplomatiquepassa dès lors pour un miracle. »Très vite, les archéologues se sont aperçus que lesruines surplombant le village de la Malène étaientbien contemporaines de la légende. Et, depuisque les fouilles ont commencé, les surprises s’ac-cumulent. Construite à la fin du Ve siècle ou audébut du VIe siècle, puis habitée pendant quel-que deux cents ans, la forteresse faisait ostenta-tion d’un luxe tout à fait surprenant pour l’épo-que. « Pour expliquer l’édification durant le hautMoyen Âge de villes et de forteresses haut perchées, onparlait de populations effrayées par les invasions bar-bares se réfugiant dans des abris de montagne dansdes conditions assez misérables, rappelle le cher-cheur. Or c’est tout le contraire de ce qu’on voit ici. »En effet, ce palais présentait des colonnadesd’étage, de grands bâtiments en pierre et mortiercouverts de tuiles, une tour de 5 mètres de hautet, pour couronner le tout, de véritables thermes,peut-être les derniers bains à la romaine construitsen Gaule. Pour les alimenter, une citerne pouvantcontenir 190 mètres cubes d’eau avait été bâtie !Ces thermes sont sans doute le fruit d’un capriced’un riche aristocrate qui voulait vivre commeun Romain en plein Moyen Âge. « On a souventpensé que le savoir-faire des constructeurs romainss’était perdu dans le haut Moyen Âge. Mais ces bâti-ments sont l’œuvre d’un architecte très habile et cul-tivé. Nous ne sommes pas devant une construction

créée à la hâte. L’édification de la forteresse de laMalène est plutôt liée à une nouvelle façon d’habiter,d’occuper l’espace et de mettre en scène la magnificencedu pouvoir », avance Laurent Schneider.Ce site devrait permettre aussi d’en savoir unpeu plus sur les relations mouvementées entreles Francs et les Wisigoths qui occupaient l’an-cienne Septimanie, soit l’actuel Languedoc-Roussillon. En effet, la forteresse était placée àla frontière des deux royaumes et a sans douteservi comme poste de douane. De plus, la décou-verte de six amphores à vin provenant de Gazaet de Tunisie prouve qu’un commerce floris-sant sur de longues distances s’exerçait encoreen ce début de Moyen Âge, contrairement àl’idée que l’on se faisait d’une organisationsociale refermée sur elle-même.Malgré les efforts que vont déployer les archéo-logues cet été, à la fin du chantier, ce palais for-tifié sera bien loin d’avoir livré tous ses secrets.« Pour l’instant, nous n’avons fait des fouilles pro-fondes que sur 200 ou 300 m2 sur les 10 000 m2 quecompte le site, conclut Laurent Schneider. Onpourrait fouiller pendant une décennie entière ! »

Sebastián Escalón

1. Laboratoire CNRS / Université Aix-Marseille I.

CONTACTÔ Laurent SchneiderLaboratoire d’archéologie médiévaleméditerranéenne, [email protected]

Mission VIEDESLABOS

Ce manuscrit qui raconte la vie de saint Hilaire a guidé les archéologues : un passage mentionne la forteresse.

Ces ruines sont celles d’uneforteresse très luxueuse quipossédait notamment des thermes(ci-dessus). À gauche, les vestiges du portail de l’aile résidentielle.

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Créée en 2008, AlgoSource Technologies ne vend pas un produit mais un savoir-faire. De quoi s’agit-il?Jean Jenck : Nous sommes une entreprise d’in-génierie et de conseil pour la production et lavalorisation industrielle des microalgues aquati-ques. Comme les autres végétaux chlorophyl-liens, ces algues microscopiques sont capables dephotosynthèse : elles consomment du dioxydede carbone (CO2) et rejettent de l’oxygène touten produisant de la biomasse, qui peut être uti-lisée comme source de protéines, d’huiles, d’in-grédients chimiques, etc. Bref, elles transformentle CO2, indésirable, en matières utiles grâce à lalumière. L’intérêt de ces algues, du point de vueenvironnemental, est que leur production parhectare pourrait être trente fois supérieure à celledes végétaux classiques ! Et ce, sans compétitionpour les terres arables et l’eau douce. Mais la pro-duction varie beaucoup selon les conditions de cul-ture. AlgoSource Technologies propose donc unesolution adaptée à chaque client.

Pouvez-vous nous donner un exemple?J. J. : D’abord, nous identifions les conditions detempérature, d’ensoleillement, de salinité, etc.Puis, en fonction du type de microalgues à fairepousser et, surtout, de ce que l’on veut en tirercomme produits (des lipides, des sucres, desprotéines, des pigments…), nous définissons lemeilleur réacteur : grand bassin ouvert ou sousserre, tubes fermés, etc. Par exemple, la cultureen tubes est plus sûre, car moins sujette à conta-mination, mais elle coûte plus cher. Comme lescultures absorbent aussi nitrates, phosphates,chaleur, etc., des sociétés qui en émettent peuventnous demander une solution écologique et ren-table économiquement pour les éliminer. Notrerôle clé est aussi de les mettre en contact avec desproducteurs qui souhaitent vendre des micro-algues ou des matières qui en sont extraites.

On peut donc considérer les recherchesscientifiques dans ce domaine comme un élément essentiel de votre expertise?J. J. : Oui. D’ailleurs, Jack Legrand, directeur duGepea, est l’un des quatre partenaires de lasociété. Les recherches visent en particulier àoptimiser les photobioréacteurs – où poussentles microalgues – en fonction de la lumièredisponible, du taux de CO2, de la forme du bas-sin… Il faut savoir que les photons ne pénè-trent dans l’eau qu’en surface. Et que, moins ily a d’eau à filtrer, plus la récolte est facile. L’unedes pistes d’optimisation consiste donc à n’uti-liser qu’un fin film d’eau. On le fait ruisseler surun plan incliné pour que l’eau circule sans qu’ilait sédimentation. Ce projet fait partie du pro-gramme ANR Biosolis. Quatre brevets au moinsdevraient être déposés par le Gepea et les labo-ratoires partenaires2.

Comment est née l’idée de créer AlgoSource?J. J. : Après plus de trente ans dans l’industrie chi-mique, j’ai créé une microentreprise de conseil entechnologie et je suis également devenu direc-teur de recherche associé au Gepea. Séduit parleurs travaux du fait de leur potentiel écologique,j’ai eu envie de les industrialiser. J’ai donc réflé-chi avec Jack Legrand à un transfert technologi-que. Et nous nous sommes alliés à Alpha Biotech,

créée dans la région par Bertrand Lépine dès1993. Cette société, spécialisée dans la culturedes microalgues et dans la vente d’extraits, est leplus ancien acteur industriel du secteur en France.

Où en est le développement de votre start-up?J. J. : Nous espérons un chiffre d’affaires d’en-viron 300 000 euros pour 2010. Nous avonsun premier salarié, chercheur en génie biolo-gique, qui travaille notamment sur l’apport pro-téique des microalgues chez les animaux. Un lea-der mondial de l’alimentation animal estd’ailleurs notre client. Nous avons aussi participéà l’enregistrement des microalgues dans la listerecommandée pour l’alimentation animale enEurope par l’EABA (European Algae BiomassAssociation), qui nous a élus membre direc-teur. C’est une vraie reconnaissance.

Quels sont vos projets?J. J. : Nous attendons différentes innovations,principalement sur la récolte des microalgues.J’aimerais surtout développer les recherchessur le raffinage afin de mettre à profit toutesles matières que l’on peut tirer de la biomasserécoltée. Pour ce qui est d’AlgoSource elle-même,nous allons élargir notre activité à la produc-tion de biomasse algale et au négoce.

Propos recueillis par Charline Zeitoun

BIOTECHNOLOGIE

Les mille vertus des microalgues

INNOVATION Entretien

Fondée par quatre partenaires,dont le directeur du Laboratoirede recherche en génie desprocédés-environnement-agroalimentaire (Gepea)1,AlgoSource Technologies est une start-up de conseil dans la production demicroalgues. Jean Jenck, son président, présente cette bioressource d’avenir.

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Partenariat INNOVATION 15

VOXALEAD

Les vidéos ont enfin leur moteur de recherche

R etrouver une vidéo en tapant les motsqui y sont prononcés, c’est ce que pro-pose pour la première fois aux inter-

nautes la société française Exalead avec sonnouveau moteur de recherche baptisé Voxa-lead1. Sans équivalent, ce service s’appuie surdes technologies de traitement de la paroledéveloppées entre autres par des chercheursdu CNRS. Celles-ci permettent de retranscriresous forme de texte tous les mots prononcésdans une vidéo. L’internaute peut ainsi déni-cher très rapidement l’information qui l’inté-resse en tapant simplement un mot ou uneexpression. Il est alors envoyé directement aupassage de la vidéo durant lequel le mot enquestion est prononcé. Pour l’instant, Voxa-lead indexe uniquement les vidéos provenantde chaînes d’information, et ce, en six lan-gues : le français, l’anglais, le chinois, l’arabe,l’espagnol et le russe. Dans quelques années,d’autres sources d’information et d’autres lan-gues devraient être disponibles.Si quelques tentatives ont déjà eu lieu sur laToile pour offrir ce type de service, Voxalead,soutenu par le programme de recherche etd’innovation Quaero2, est le premier moteurà atteindre une telle finesse de recherche et àproposer autant de langues aux internautes.« Cette technologie est le résultat de plus de vingtannées de recherche sur la reconnaissance de laparole », confie Jean-Luc Gauvain, chercheur auLaboratoire d’informatique pour la mécaniqueet les sciences de l’ingénieur (Limsi)3, à Orsay.C’est dans ce laboratoire qu’ont été dévelop-pées les techniques utilisées aujourd’hui parExalead. « À partir du dictionnaire complet d’unelangue, de la façon dont chaque phonème se pro-nonce suivant sa place dans un mot et dont lesmots s’organisent pour former une phrase, nous

construisons un modèle statistique qui permetd’identifier dans une phrase prononcée la séquencede mots la plus probable, commente le cher-cheur. Chaque langue a sa difficulté, par exem-ple la prononciation pour l’anglais, la syntaxepour le français. Il faut donc prendre en compteces spécificités dans nos modèles. »La méthode est particulièrement efficace quandl’élocution de la personne est claire. Le com-mentaire du présentateur d’un journal télé-visé, la voix off d’un reportage ou encore lediscours d’un homme politique 4 sont ainsiretranscrits avec très peu d’erreurs. Par contre,dès que le langage devient spontané (micros-trottoirs, débats en direct…), la technique se faitmoins précise. Les chercheurs du Limsi tra-vaillent actuellement à améliorer cet aspect-là,en affinant un peu plus encore leur modèle. À terme, Voxalead devrait ainsi être capable deretranscrire tous types de vidéos. « Après lesinformations, il sera bientôt possible de proposeraux internautes une recherche sur les podcasts etles cours en ligne », note Jean-Luc Gauvain. Etpourquoi pas, un jour, sur les millions devidéos postées sur YouTube et Dailymotion.

Julien Bourdet

1. http://voxaleadnews.labs.exalead.com/2. Lire « Quaero… et je trouve », Le journal du CNRS,n° 197, juin 2006, p. 14. 3. Laboratoire CNRS / Universités Paris-VI et -XI.4. Le site Web de l’Élysée utilise Voxalead depuis le 29 mars dernier pour indexer tous les discours du président de la République.

CONTACTÔ Jean-Luc GauvainLaboratoire d’informatique pour la mécaniqueet les sciences de l’ingénieur, [email protected]

1. Laboratoire CNRS / Université de Nantes / École des mines de Nantes / École nationale vétérinaire,agroalimentaire et de l’alimentation Nantes-Atlantique.2. Laboratoire procédés, matériaux et énergie solaire (UPR CNRS, Perpignan), Laboratoire de génie chimique etbiochimique (Clermont-Ferrand), Enki Innovation (Sainte-Foy) et cotraitant Saint-Gobain.

CONTACTÔ Jean JenckAlgoSource Technologies, [email protected]

BRÈVE

Albatros prend son envolLe 7 mai 2010, à Bordeaux, un nouveau groupement d’intérêt scientifique (GIS), nomméAlbatros (Alliance Bordeaux universities and Thales on research on avionics), a vu le jour.Il réunit des équipes du groupe Thales (Thales Systèmes aéroportés et Thales Avionics),l’université Bordeaux-I Sciences et technologies, l’université Bordeaux-II Victor-Segalen,l’Institut polytechnique de Bordeaux, le centre de Bordeaux Arts et métiers Paris Tech, le CNRS et l’Inria. Ces partenaires travailleront de concert sur plusieurs thématiquesscientifiques du domaine de l’aéronautique, comme les matériaux, les interactions hommes-système, les architectures de calcul et des logiciels embarqués ou encore la sûreté defonctionnement des systèmes embarqués.

Jean Jenck, président d’AlgoSourceTechnologies. Les longs tubes deverre sont des réacteurs où poussentles fameuses microalgues.

Grâce au site Voxalead, les internautes peuventeffectuer des recherches par mots clés dans desvidéos fournies par des chaînes d’information.

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il n’appréciait guère de se produire dans degrandes salles. Néanmoins, il fascinait ceuxqui le connaissaient : ses amis, ses pairs(Berlioz, Schumann), comme ses élèves. C’est au lendemain de sa mort que le mythe va prendre naissance. L’inscription de Chopin dans le mouvement romantique, sadisparition prématurée (à 39 ans), ses amoursavec George Sand y sont pour beaucoup.L’édition de ses œuvres et leur diffusion à travers l’Europe y contribuent aussi enfavorisant la découverte de son génie.

Pour monter l’exposition, vous avez étudié les partitions manuscrites de Chopin dont la BNF possède la deuxième collection au mondeaprès celle du Musée Chopin de Varsovie. Que révèlent-elles sur son écriture?C.R. : Que si l’inspiration venait avec unemiraculeuse facilité à cet improvisateurd’exception, l’étape de l’écriture était uneépreuve. Des descriptions de George Sand en témoignent (Histoire de ma vie), et les versions des partitions à différents stades

de leur compositionl’attestent également :entre l’esquissepremière et l’éditionfinale, Chopin necessait de raturer, de corriger. Son processus de

composition avait donc deux phases : l’une au piano, lorsque l’inspiration jaillissait sousses doigts, l’autre à la table de travail, quand il la transcrivait avec difficulté. Sur les épreuvescorrigées ou sur les manuscrits préparés pourl’édition, dont la BNF conserve de précieuxexemplaires, Chopin a aussi noté doigtés,nuances ou indications de pédale, marques de tout premier intérêt pour les musicologues

Le 21 juin aura lieu la Fête de la musique.L’occasion de parler d’un compositeur à l’honneur en 2010, Frédéric Chopin, dont on célèbre le bicentenaire de la naissance avec une multitude d’événements en France et en Pologne. Parmi ceux-ci, l’expositionChopin à Paris. L’atelier du compositeur 2,à la Cité de la musique, dont vous êtes l’une des commissaires3. Selon vous, l’influence de ce virtuose du piano est-elle toujours aussi grande aujourd’hui? Cécile Reynaud : Indéniablement, car ildemeure l’un des compositeurs de musiqueromantique les plus adulés et les plus écoutésau monde. Il est aussi l’un des plus joués,aussi bien par les apprentis pianistes qui abordent certaines de ses Valses parexemple, que par les grands instrumentistesqui livrent leur interprétation des Ballades,des Nocturnes, des Préludes, etc. S’il ainfluencé en leur temps Debussy, Ravel et Rachmaninov, il inspire toujours lescompositeurs actuels, tel Hugues Dufourt,qui lui a consacré une pièce pour piano4.

Comment le mythe Chopin est-il né?C.R. : Il ne faut pas croire que Chopin, de sonvivant, fut une vedette internationale. D’abord,il ne vécut pas assez longtemps pour connaîtreune telle notoriété. Ensuite, il a donné très peude concerts publics au cours de sa vie : moinsde vingt à Paris et seulement quelques-uns en Pologne, en Allemagne et en Angleterre.Son tempérament le portait vers l’intime :

et les interprètes. Par ailleurs, comme il aoffert nombre de ses manuscrits à ses amis et à ses élèves, cela nous permet de mieuxconnaître le cercle social qu’il fréquentait :celui de la haute société parisienne.

Quel est l’apport ducompositeur polonais à l’histoire de la musique?C.R. : Sans doute ce langage musical singulier, lié tout d’abord à son talent

pour l’improvisation. Si ses œuvres, telles les Valses ou les Études, ont une formeparfaitement maîtrisée, elles laissent place àl’inattendu dans l’enchaînement des tonalitésou dans le développement assez libre desmotifs mélodiques. Enfin, sa musique mêledes influences très disparates dont témoignela forme des compositions : inspirationpolonaise, influence du bel canto italien, maisaussi de l’esprit classique car Chopin était un fervent admirateur de Bach et de Mozart.

Encore aujourd’hui, Chopin est un sujet derecherche pour plusieurs scientifiques. Quellessont les pistes explorées actuellement?C.R. : Jean-Jacques Eigeldinger, spécialiste du compositeur, a notamment travaillé surl’histoire de l’interprétation de ses œuvres et, tout récemment, sur les rapports amicauxentre Camille Pleyel, le célèbre fabricant de piano, et Chopin, qui jouait sur sesinstruments5. Les musicologues John Rink et Christophe Grabowski viennent par ailleurs de publier le catalogue annoté de sespremières éditions, un travail fondamental,car il permet de mieux connaître encore le processus créateur chez Chopin.

Propos recueillis par Stéphanie Arc

1. Unité CNRS / Ministère de la Culture et de laCommunication / Bibliothèque nationale de France.2. Jusqu’au 6 juin. Voir Le journal du CNRS, n° 244, p. 41.3. Avec Jean-Jacques Eigeldinger et Thierry Maniguet.4. L’influence de Chopin se fait même sentir dans la pop et dans le rap : le Prélude n°4 a été repris par Gainsbourg(Jane B.) et “samplé” par NTM (That’s my People).5. Chopin et Pleyel, Fayard, 2010.

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

«C’est au lendemain de la mort du compositeur que le mythe va prendre naissance. »

Cécile Reynaud, spécialiste de la musique romantique, chercheuse à l’Institut de recherche sur le patrimoine musical en France1 et conservatrice au département de la musique de la BNF

Chopin, un héritagetrès présent

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CONTACTÔ Cécile ReynaudInstitut de recherche sur le patrimoine musical en France, Paris [email protected]

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Modeste et discret. À 35 ans, GéraldDa Costa recevait le Cristal 2009 duCNRS, équivalent pour les personnelsingénieurs, techniciens et adminis-

tratifs des médailles décernées aux chercheurs.L’ingénieur de recherche, pilier du Groupe de phy-sique des matériaux1 (GPM), est responsable dela valorisation d’une sonde qui a révolutionnél’étude des matériaux : elle permet de visualisern’importe quel échantillon atome par atome eten trois dimensions. Une machine de 1 à 2 mil-lions d’euros, commercialisée aujourd’hui dansplusieurs laboratoires, au Japon, en Allemagne,en Suède et en Belgique. Humble, il fait la mouequand on évoque l’excellence de son travail et de son parcours atypique.Enfant de la « génération informatique des pre-miers ordinateurs domestiques », il rêve très tôtd’électronique. Fuyant les voies dites royales desfilières générales, il passe un bac d’électroniqueet démarre un BTS sans tambour ni trompette.Manque d’ambition d’un élève issu d’un milieumodeste ? « Je tenais surtout à l’aspect pratique desétudes spécialisées », répond-il. Devant ses résul-tats scolaires qui frôlent la perfection, sa pro-fesseure de physique l’incite à poursuivre. Ilentre à l’université de Rouen et décroche unDESS d’informatique industrielle. Le GPM setrouve juste à l’étage au-dessus…Providentielle, une offre d’emploi d’ingénieurde valorisation en CDD au GPM « tombe un jourdu deuxième au premier étage », où il finit sonannée. « Ce fut donc mon stage de fin d’études… »,raconte-t-il. Sa mission : assurer vers Cameca, unesociété spécialisée dans la fabrication d’instru-ments de mesure, le transfert technologique dela fameuse sonde atomique, alors quasi uniqueau monde. Très vite, il faut réaliser des plans deconstruction, améliorer le logiciel qui traite lesdonnées et, surtout, adapter la fabrication pourrendre le tout commercialisable. Six mois plustard, on l’envoie au Japon pour honorer la pre-mière commande. Il n’a que 22 ans.

Depuis, l’ingénieur a rendu la machine beau-coup plus performante. Devant le savant assem-blage de tubes et de hublots où règne l’ultravide,il revient sur son fonctionnement et son intérêt.« La matière est un empilement d’atomes », explique-t-il. Si on la regarde au microscope, l’image pré-sente deux inconvénients : primo, elle est en deuxdimensions, secundo, elle ne donne pas la naturechimique de chaque atome. Cuivre ? Fer ? Zinc ?L’information est pourtant capitale au regard ducomportement d’un matériau. « Avec notre sonde,l’échantillon est soumis à un champ électrique intense,ses atomes sont arrachés un par un et projetés sur undétecteur », poursuit-il. La trajectoire des atomeset leur position sur le détecteur permettent deretrouver les coordonnées d’origine de chacun.Tandis que leur masse est calculée à partir de lavitesse d’arrivée sur le détecteur, selon une loiclassique de conservation de l’énergie. Comme unélément chimique se caractérise justement par la masse de ses atomes, il n’y a plus qu’à tous les identifier. Enfin, grâce à un logiciel graphique,on reconstruit une image 3D indiquant la positionet la nature de chaque atome.Après quatre ans de bons et loyaux services enCDD, et fort de ses réussites, Gérald Da Costapasse et réussit le concours d’entrée du CNRS en2000. Mais, loin de se reposer sur ses lauriers,il améliore encore la sonde grâce à un laserfemtoseconde2. Contrairement à un simplechamp électrique, ce laser peut arracher n’importequel atome, pas seulement ceux qui conduisent

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l’électricité. Du coup, la sonde peut scruter tousles matériaux, conducteurs ou non. Rails dechemin de fer, semi-conducteurs, matériaux uti-lisés en aéronautique, etc., elle traque tous lesdéfauts et l’usure coupable. « Les transistors sontde plus en plus petits, souligne-t-il, mais il fautbien continuer à vérifier leur processus de fabrica-tion… » Il cite ensuite les vis des cœurs de réac-teurs nucléaires, dont il faut surveiller la bonnetenue face aux radiations : « Une concentrationd’atomes de cuivre à certains endroits pourrait chan-ger le comportement du matériau », commentel’ingénieur, qui collabore avec EDF à ce sujet.En définitive, l’aventure est une très belle réus-site pour Gérald Da Costa. Un brevet internationalsur la sonde a été déposé par Cameca en 2007.Et deux ou trois autres, dont l’ingénieur est coti-tulaire, sont « dans les tuyaux »… De quoi rêve-t-il à présent ? Tout simplement que la sondeatomique devienne, à l’image du microscope,un véritable “classique des labos”.

Charline Zeitoun1. Unité CNRS / Université de Rouen / Insa Rouen.2. Une femtoseconde = 10–15 seconde, durée de chaqueimpulsion du laser.

Ô Retrouvez les Talents du CNRS surwww.cnrs.fr/fr/recherche/prix.htm

Je suis un enfant de la génération informatiquedes premiers ordinateurs domestiques.

Gérald Da Costa

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Ingénieur de recherche

CONTACTÔ Gérald Da CostaGroupe de physique des matériaux, Saint-Étienne du [email protected]

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NEUROSCIENCES, ÉCOLOGIE, ASTRONOMIE, …

C’est l’effervescence chez les mathématiciens ! Les 8 et 9 juin,l’important congrès annuel de l’Institut de mathématiques Clay se tient à Paris. Et, quelques semaines plus tard, du 19 au 27 août, en Inde, le Congrès international des mathématiciens distinguera,comme tous les quatre ans, les lauréats de la médaille Fields, plusimportante récompense en la matière. Deux événements et deuxoccasions de redécouvrir l’immense influence des maths. Car, si ellespermettent depuis longtemps de résoudre les énigmes de la physique,elles sont aussi précieuses pour étudier la biodiversité, modéliser les épidémies, mieux comprendre le cerveau ou encore dévoiler lesarcanes de notre planète. Ce mois-ci, Le journal du CNRS mène l’enquête sur une discipline qui a vraiment le vent en poupe.

NEUROSCIENCES, ÉCOLOGIE, ASTRONOMIE, …

Rien n’arrête

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Comment vont les maths ? « Ellesne se sont jamais aussi bien por-tées », répond sans ciller CédricVillani, directeur de l’InstitutHenri-Poincaré1, à Paris, qui

vient tout juste de se voir remettre le prestigieuxprix Fermat2. C’est bien simple, à l’ère du touttechnologique, il n’est plus une activité humainequi n’ait besoin de compter, structurer, pré-voir ou optimiser des données de plus en plusnombreuses et de plus en plus complexes. Aupoint que, pour Amy Dahan, historienne dessciences au Centre Alexandre-Koyré3, à Paris,« aujourd’hui, le terrain de jeu des mathématiquesest devenu le monde dans sa totalité ».Cette santé insolente, les mathématiques la doi-vent d’abord à elles-mêmes et à ceux qui lespratiquent. Le nombre de mathématiciens estainsi passé de quelques centaines à plusieursdizaines de milliers en moins d’un siècle. Etcette communauté, habituée depuis toujours àcollaborer en petits groupes flexibles et déloca-lisés, est parfaitement à son aise dans un mondeglobalisé où l’information circule en un clic.Sur le fond, la période est faste. Elle se carac-térise par « l’émergence, avec une intensité et unerapidité inégalées, de liens nouveaux entre domai-nes mathématiques différents », précise Jean-Pierre Bourguignon, directeur de l’Institut deshautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette,et président du Comité d’éthique du CNRS(Comets). Non pas que le découpage tradi-tionnel de la discipline (géométrie, topologie,algèbre, analyse, probabilités…) soit d’un coupdevenu obsolète, mais « comme en musique,l’apprentissage des formes classiques permet

désormais de les dépasser », explique CédricVillani. C’est ainsi, grâce à l’apport inattendude la géométrie, qu’a été résolu, en 2003, parle russe Grigoriy Perelman, un pur problèmede topologie : la démonstration de la conjecturede Poincaré, énoncée un siècle plus tôt. Celle-ci faisait partie des sept problèmes dits du mil-lénaire, pour la résolution desquels 1 millionde dollars est offert par l’Institut de mathé-matiques Clay, aux États-Unis. Les 8 et 9 juin,le colloque de cet institut, organisé cette annéepar l’Institut Henri-Poincaré, à Paris, sera d’ail-leurs l’occasion de célébrer cette réussite.

DES INTERACTIONS CONTINUESÀ cette porosité interne aux mathématiquesfont écho les interactions de cette disciplineavec les autres sciences. En premier lieu la

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

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Une discipline à vocationuniverselle

Chaque année, le Salon de la culture et des jeuxmathématiques, auquel participele CNRS, prouve l’intérêt dupublic pour la discipline.

UNE DISCIPLINE À VOCATION UNIVERSELLE > 19 LA BIODIVERSITÉ EN ÉQUATIONS > 20

DES FORMULES CONTRE LES ÉPIDÉMIES > 22LA PHYSIQUE ACCRO AUX MATHS > 23

DES THÉORÈMES PLEIN LES NEURONES > 24LES MATHS À L’ÉCOUTE DE LA TERRE > 26

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pas assez attractives en général. On observe uneérosion des effectifs des étudiants en mathémati-ques. Si cette tendance persiste une dizaine d’an-nées, cela peut devenir dramatique pour l’avenirde la discipline. » De son côté, Cédric Villanijoue, lui, la carte de l’optimisme : « Les problè-mes sont identifiés. Je reste persuadé que noustrouverons les solutions. Il faut transmettre l’idéeque les mathématiques n’ont rien d’une vieillescience carrée et poussiéreuse. Au contraire, ellessont aujourd’hui en pleine effervescence et deman-dent avant tout… de l’imagination. »

Mathieu Grousson

1. Unité CNRS / Université Paris-VI.2. D’un montant de 20 000 euros attribués par la régionMidi-Pyrénées, ce prix est décerné tous les deux ans parl’Institut de mathématiques de Toulouse.3. Unité CNRS / EHESS Paris / MNHN / Cité des sciences et de l’industrie.4. Unité CNRS / ENS Paris / Inserm.5. CNRS / Universités Paris-VI et -VII.

Àl’heure où la biodiversité s’érodedangereusement, les écologuesdisposent aujourd’hui d’un alliéde poids : les mathématiques.Théorie des probabilités et des

processus aléatoires en tête, elles sont en effetparvenues à intégrer dans des modèles la plu-part des processus aux fondements de l’évolu-tion. De quoi aider à quantifier la richesse bio-logique de notre planète et son évolution et, quisait, à trouver des solutions pour la protéger.En commençant par s’interroger sur la notionmême de biodiversité. De fait, intuitivement,plus le nombre des espèces augmente, plus elle est importante. Mais Vincent Bansaye, duCentre de mathématiques appliquées de l’Écolepolytechnique (CMAP)1, nuance : « Quelle estla contribution à la diversité biologique d’une partde deux espèces de fourmis, d’autre part d’uneespèce de fourmis et d’une autre de hérissons? »Cette question n’a l’air de rien, mais elle est enréalité redoutable. Comme de savoir si la bio-diversité est plus mise à mal par la disparitionde deux espèces de mammifères emblémati-ques, ou bien par celle d’un coléoptère inconnu,mais jouant un rôle important dans un éco-système. Autant d’interrogations auxquellesdes mathématiques complexes peuvent aiderà apporter des réponses en introduisant desoutils précis dans une science tradition-nellement empirique.

L’ENQUÊTE20

physique, qui les stimule depuis plusieurssiècles en même temps qu’elle en recueille lesfruits. Encore aujourd’hui, pour Cédric Villani,« les attentes les plus vives concernent des secteursoù les mathématiques se frottent aux autres dis-ciplines ». Le scientifique en veut pour preuvele domaine des équations aux dérivées par-tielles, dans lequel des avancées importan-tes pourraient avoir des répercussions aussibien en mécanique des fluides que pour lessciences du climat.De là à envisager que l’apport des mathéma-tiques puisse devenir un recours universel, iln’y a qu’un pas. D’autant que de nombreusesdisciplines scientifiques (biologie, économie,sociologie, théorie de la décision…) font deplus en plus couramment usage de techni-ques et de concepts mathématiques sophisti-qués. Pour Jean-Pierre Bourguignon, « du faitde leur caractère abstrait, les mathématiques ontune vocation universelle. Attention, pour autant,rien de ce qui est extérieur aux mathématiques nepeut se réduire à elles ». Michel Morange, duCentre Cavaillès de l’École normale supérieure4,à Paris, abonde dans le même sens : « Je meméfie des simplifications du genre ‘‘les maths sontl’avenir de la biologie’’. Je suis convaincu que,dans plusieurs domaines, elles vont apporter beau-coup. Mais l’idée d’une mainmise des mathéma-tiques sur les autres sciences est naïve. »

UNE MATIÈRE REINE EN FRANCECe qui ne les empêche pas d’avoir véritable-ment le vent en poupe. Au point de faire desadeptes au-delà des cercles de spécialistes. C’esten tout cas le sentiment de Séverine Leidwan-ger, de l’Institut de mathématiques de Jussieu5,à Paris, et coorganisatrice d’événements dansle cadre de la Fête de la science : « Il y a deuxans, le temps était exécrable. Pourtant, nous avonscompté de nombreux participants à notre rallye demathématiques. De même, nous organisons desconférences de vulgarisation qui attirent un publiclarge. Y compris des personnes qui gardaient unmauvais souvenir des maths au lycée et qui décou-vrent tout à coup qu’elles peuvent y comprendre quel-que chose! » De quoi susciter des vocations chezles plus jeunes ? S’appuyant sur une traditionqui place les maths au centre de la formationde ses élites, la France reste encore aujourd’huiune terre de prédilection pour la discipline. Unchiffre en atteste : sur les 48 lauréats de l’his-toire de la médaille Fields – la plus prestigieuserécompense de la discipline, remise tous lesquatre ans –, douze sont issus de laboratoiresfrançais. La prochaine attribution lors duCongrès international des mathématiciens, quiaura lieu en Inde à la fin du mois d’août, vien-dra peut-être confirmer cette tendance.Jean-Pierre Bourguignon s’inquiète néanmoinspour l’avenir : « Les carrières de chercheurs ne sont

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La biodiversité en équations

CONTACTSÔ Jean-Pierre Bourguignon, [email protected]

Ô Amy Dahan, [email protected]

Ô Séverine [email protected]

Ô Michel Morange, [email protected]

Ô Cédric Villani, [email protected]

Les maths peuventaider les écologues à calculer combien de faons il y a dansune forêt.

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Ainsi, Sylvie Méléard, elle aussi du CMAP, arécemment développé un modèle capable dedécrire des processus qui conduisent à l’appari-tion de nouvelles espèces2. « Pour ce faire, nousavons intégré des phénomènes très divers, allant desmutations génétiques survenant au niveau de lareproduction d’un individu jusqu’à l’influence del’environnement sur une population, détaille lamathématicienne. Et, grâce à la démonstrationrigoureuse de théorèmes, nous sommes parvenus àexpliciter les conditions conduisant à des paliers évo-lutifs ou bien à l’apparition d’espèces nouvelles. »

MIEUX RECENSER LES ESPÈCESPlus concrète encore, la question confiée récem-ment par Sylvie Méléard, également porteusede la chaire Modélisation mathématique et bio-diversité (Muséum national d’histoire natu-relle, Veolia Environnement et École poly-technique), à l’un de ses étudiants en thèse : àpartir de quel seuil une espèce est-elle condam-née à disparaître ? Comme l’indique la scien-tifique, « les modèles classiques échouent à répon-dre à cette question, car ils ne sont pas adaptés auxpopulations de faible effectif. Mais, en tenantcompte de la variabilité génétique des individusdans un petit groupe, nous sommes en train decomprendre comment l’apparition de mutations quin’auraient pas eu d’effets dans un groupe impor-tant peuvent à l’inverse accélérer la disparitiond’une population réduite ».

Autre cas pratique, la mise au point d’instru-ments mathématiques pour connaître l’effectifd’une population à partir d’informations incom-plètes. Une problématique que Vincent Bansayerésume de la manière suivante : « Lors d’une pro-menade en forêt, je peux voir un premier chevreuil,puis un second une vingtaine de minutes plus tardà 1 kilomètre de distance. Quelle information perti-nente puis-je déduire de ces données sur la popula-tion totale? » Les travaux en cours pourraientavoir, on le comprend, un impact sur le recen-sement d’espèces difficiles à observer. De même,des travaux menés par le chercheur et son collègueAmaury Lambert3, au département de biologie del’École normale supérieure, à Paris, sur l’in-fluence de la fragmentation de l’habitat sur l’évo-lution des populations permettront peut-être demettre en œuvre de mesures de sauvegarde dansun contexte où les territoires disponibles pour lesespèces sauvages se réduisent.

Comme le précisait récemmentDenis Couvet, directeur de l’unitéConservation des espèces, res-tauration et suivi des popula-tions4, à la rédaction des Échos 5,« on ne peut pas réduire la biodi-

versité à de simples équations. Mais les modèlesmathématiques permettent une approche dépas-sionnée et objective des écosystèmes ». Et SylvieMéléard de conclure : « Il serait présomptueuxd’affirmer que les mathématiques vont révolution-ner l’étude de la biodiversité. Mais elles offrent assu-rément un nouvel angle d’étude. »

Mathieu Grousson

1. CNRS / École polytechnique.2. Collaboration avec Régis Ferrière, au laboratoire Écologieet évolution de l’École normale supérieure, à Paris, et Nicolas Champagnat, à l’Inria, à Sophia-Antipolis.3. Du Laboratoire de probabilités et modèles aléatoires(CNRS / Universités Paris-VI et -VII).4. Unité CNRS / MNHN.5. Les Échos, 2 février 2010.

L’ENQUÊTE 21

CONTACTSÔ Vincent Bansaye [email protected]

Ô Denis Couvet, [email protected]

Ô Amaury Lambert, [email protected]

Ô Sylvie Mélé[email protected]

Les maths pourraient avoir un rôle clé dans la compréhension des maladies génétiquesneuromusculaires. Directrice de l’unitéGénomique des micro-organismes1, à Paris,impliquée depuis 2006 dans le programmeinternational de Lutte contre la dystrophiemusculaire, Alessandra Carbone mène uneenquête sur les protéines associées à cespathologies. Comme l’explique la récentelauréate du prix Irène-Joliot-Curie de lafemme scientifique de l’année, « on connaîten partie les gènes impliqués dans cesaffections, mais pas le rôle précis desprotéines pour lesquelles ils codent, àl’origine des dysfonctionnements ». Pourélucider ce problème, elle s’est lancée dansun programme titanesque : préciser, grâce àdes modélisations sur ordinateur, la manièredont interagissent entre elles environ 2 000 protéines présentes chez l’homme. Or deux protéines prises au hasard peuventse positionner l’une par rapport à l’autre de100 000 à 500 000 manières différentes. Mêmeen bénéficiant du réseau des centaines demilliers d’ordinateurs de la World CommunityGrid, vérifier ces combinaisons prendrait des siècles! Ainsi, pas d’autre solution quede “deviner” à l’avance quels sont les sitesactifs (ceux ayant une fonction biologique)sur chaque protéine, afin de limiter le nombre de configurations à tester. Comment?Les biologistes savent que si les protéinessont différentes chez chaque espèce, ellespossèdent des sites actifs semblables

correspondant à des résidusd’ADN communs à toutes

les espèces. En passantà la moulinette

de la théorie del’information et

des probabilitésplusieurs centaines de

milliards de séquencesADN référencées dans

toutes les banquesgénétiques du monde,il est théoriquement

possible d’identifier,avec une probabilité

raisonnable, ces fragments codant pour unmorceau “intéressant” de protéine. « Grâce à ce travail préparatoire, nous devrions avoirterminé nos calculs d’ici mai 2011 », prévoitAlessandra Carbone.

Mathieu Grousson

1. Unité CNRS / Université Paris-VI.

Contact : Alessandra [email protected]

Les mathématiques du hasard sont utilisées pour modéliser lesprocessus évolutionnaires, commel’apparition d’espèces de pinsonsdifférant par la taille de leur bec.

L’étude statistique degénomes permet de prévoirles sites chimiquement actifsd’une protéine. De quoi faireavancer la recherche sur lesmaladies génétiques.

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

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LES MATHS S’INVITENTDANS LA GÉNÉTIQUE

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Pourquoi la diphtérie et la polio-myélite ne sont-elles plus que desmauvais souvenirs en France ?Qu’est-ce qui permet d’espérer qu’àun niveau mondial le paludisme et

la tuberculose peuvent être éradiqués ? Les poli-tiques de santé publique et les actions menéespar les organismes d’aide sanitaire, bien sûr.Mais pas seulement : aussi large soit-elle, unecampagne de vaccination n’empêchera jamaisquelques malades de passer entre les maillesdu filet. En fait, l’allié invisible des campagnesde vaccination est un résultat mathématiquequi apparaît dans tous les modèles de propaga-tion d’infections contagieuses : pour se diffuser,toute épidémie a besoin localement d’un nom-bre minimal de malades ; en dessous de ce seuil,la maladie finit par s’éteindre d’elle-même,comme un feu qui s’étouffe, privé d’air.En épidémiologie – cet exemple l’illustre –, lesmathématiques cernent les mécanismes de conta-gion. Pourquoi certaines épidémies sont-ellescycliques ? Pourquoi la grippe A s’est-elle trans-formée en pandémie en se propageant dans lemonde comme un feu de paille? Sans les mathé-matiques, nous n’aurions pas de réponses à cesquestions. En 2008, une équipe internationaleimpliquant le Laboratoire de physique théori-que d’Orsay 1 avait montré, modèle mathémati-que à l’appui, que le réseau international destransports aériens expliquait, dans ses grandeslignes, les cartes des épidémies mondiales.Sans les mathématiques nous échapperait éga-lement l’origine d’épidémies dues à des maladiesnon transmissibles comme le cancer. Les sta-tistiques sont reines dans ce domaine. « Le can-cer du poumon est l’exemple type de cancer qui a été

détecté de façon statistique », décrit Jacques Istas,professeur au Laboratoire Jean-Kuntzmann2, àGrenoble, et auteur d’un livre sur la modélisa-tion mathématique dans les sciences du vivant.« Dans les années 1930, des médecins allemands ont observé un lien entre le cancer des poumons etla consommation de tabac, même s’ils ne compre-naient pas pourquoi », ajoute ce spécialiste dumouvement brownien, un modèle mathémati-que façon couteau suisse, capable de décrirel’ostéoporose comme le trafic Internet et lapropagation d’une épidémie. La maladie deCreutzfeld-Jacob et le diabète appartiennent àl’immense groupe d’infections non contagieu-ses qui ont été décelées via des études statistiquesavant que les causes profondes n’émergent deséprouvettes des biologistes.

DES STATISTIQUES DE HAUT VOLL’usage routinier des statistiques ne signifie pastoutefois que celles-ci se sont émancipées deleur tutelle mathématique. Et heureusement,car « les statistiques sont une source inépuisable depièges », met en garde Bernard Prum, du labo-ratoire Statistique et génome3, expert en géné-tique des maladies épidémiques. Imaginonsque vous soupçonniez être atteint d’une mala-die mortelle qui touche une personne sur 10000.Vous passez un test qui, comme n’importe queltest, possède une marge d’erreur et n’est précisqu’à 99 %. Le test se révèle positif. Quelle chanceavez-vous de posséder la maladie? Votre réponseprobable : 99 %. Tout faux. En fait, la réponse(contrintuitive) est moins de 1 % (se reporter à unmanuel de statistique pour le détail des calculs).L’analyse de données épidémiologiques est pavéede chausse-trapes de ce genre…

Pis, la complexité des analyses statistiques estdémultipliée depuis qu’on est capable d’allerchercher à l’intérieur du génome les facteursaggravants des maladies. Il faut en effet savoirque les maladies monogéniques (dont les symp-tômes ne sont dus qu’à la mutation d’un seulgène) sont l’exception. La plupart des maladies,les cancers en particulier, sont l’expression dedizaines de gènes qu’il faut rechercher parmi les30 000 du génome des patients.

DÉMÊLER LE VRAI DU FAUX« Quand on tient compte de l’expression génétique,on arrive facilement à plusieurs dizaines de milliersde paramètres à considérer, souligne Philippe Besse,de l’Institut de mathématiques de Toulouse4 et spé-cialiste de statistique appliquée à la biologie. La dif-ficulté dans ces cas-là est qu’on arrive toujours à trou-ver des liens statistiques entre les symptômes et des gènesprétendument responsables de la maladie, sans tou-jours savoir si ces liens sont pertinents ou non. »D’où le développement ces dernières années d’al-gorithmes issus du domaine de l’intelligence arti-ficielle capables de distinguer les liaisons signifi-catives des liens trompeurs. Nommés boostingou bagging, ces algorithmes « permettent d’obtenirdes modèles avec de meilleures qualités prédictives »,continue le chercheur, qui développe quant à luides outils mathématiques pour aider les biolo-gistes à comprendre le rôle dans les cellules degènes et de protéines spécifiques. Les outilsmathématiques développés par Philippe Besse etses collègues ont, par exemple, permis d’étudierl’influence sur l’organisme du bisphénol A, cecomposé chimique qui entre dans la compositionnotamment des biberons et qui est soupçonné detoxicité. Ces recherches ont ainsi montré que lebisphénol A perturbait le système hormonal desouris soumises à de faibles doses de ce composé.Dans l’ensemble, les mathématiciens travaillanten biologie s’accordent pour dire que les scien-ces de la vie vont jouer au XXIe siècle le rôle demuse pour les mathématiques, comme la phy-sique l’a été au siècle dernier.

Xavier Müller

1. Laboratoire CNRS / Université Paris-XI.2. Laboratoire CNRS / Universités Grenoble-I et -II /Institut polytechnique de Grenoble.3. Unité CNRS / Université d’Évry.4. Unité CNRS / Universités Toulouse-I et -III / Insa Toulouse.

Des formulescontre les épidémies

CONTACTSÔ Philippe [email protected]

Ô Jacques Istas, [email protected]

Ô Bernard Prum, [email protected]

Le modèle mis au point à Orsays’appuie sur le trafic aérienpour prévoir la propagationd’une épidémie,ici celle du Srasen 2002-2003.L’épaisseur d’untrait indique laprobabilité duchemin associé.

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

La nature est un livre écrit en langagemathématique. » La phrase est deGalilée. Et, depuis le XVIIe siècle, nom-bres et abstractions sont devenusinséparables de la physique. La raison

de ce goût immodéré des physiciens pour lesmathématiques? Leur « déraisonnable efficacité »,répondait Eugene Wigner, Prix Nobel de physi-que en 1963. Celle de faire émerger unité et loisfondamentales, là où l’observation brute ne ren-voie qu’au désordre et à l’irrégularité des phé-nomènes. Pour le comprendre, rien de tel qu’unexemple concret que des chercheurs du CNRSremettent actuellement à la une de l’actualité. Aumilieu des années 1970, le célèbre physicienanglais Stephen Hawking montre que les trousnoirs, des objets du cosmos censés avalerjusqu’au moindre grain de lumière entrant dansleur sphère d’attraction, émettent en réalité une

faible radiation. Joie des théoriciens, cette pré-diction est l’une des seules à marier sur le papierrelativité générale (la théorie einsteinienne de lagravitation) et mécanique quantique (reine de l’in-finiment petit). Désespoir des expérimentateurs :l’intensité de la radiation Hawking est si faiblequ’aucun appareil de mesure ne pourra jamaisla mettre en évidence.

DÉTECTER LA RADIATION HAWKINGC’était sans compter sur les mathématiques. Eneffet, en 1981, Bill Unruh, à l’université de Colom-bie britannique, prouve que les “ingrédients” dela radiation Hawking ne sont pas propres à la phy-sique des trous noirs. Plus précisément, en rem-plaçant sur le papier la gravitation par l’écoule-ment d’un liquide, et les ondes lumineuses, pardes vaguelettes à la surface de l’eau, on obtientla même physique. « Ici, les mathématiques ont

permis de montrer quantitativement l’équivalence de deux phénomènes d’apparence très différents, en ce sens qu’ils sont régis exactement par les mêmeséquations », explique Germain Rousseaux, duLaboratoire Jean-Alexandre-Dieudonné1, à Nice.Au point que ce physicien a entrepris récem-ment de détecter la radiation Hawking dans le bas-sin à houle de l’entreprise Acri, à Nice, spéciali-sée en génie côtier ! Une expérience dans laquellela radiation Hawking devrait prendre la forme devaguelettes émises en une zone du bassin oùune vague voit sa propagation arrêtée net par uncourant de sens contraire.

UNE LUNETTE DE GROSSISSEMENTMais les mathématiques auront ici un autre rôle :celui d’aider à démêler les données des expé-riences en cours. « Pour ce faire, nous avons intro-duit dans notre description les outils mathémati-ques des systèmes dynamiques, traditionnellementutilisés pour étudier l’évolution temporelle de systè-mes comme les planètes du système solaire, indiqueGermain Rousseaux. Cet emploi dérivé illustre sim-plement que plus on introduit de mathématiquescomplexes pour étudier un phénomène, plus on révèlede détails. Les maths sont comme une lunette degrossissement pour la physique. »Dans certains cas, elles sont même le seul etunique moyen d’accéder à un phénomène.Comme ceux qui se produiront dans le futurréacteur expérimental thermonucléaire inter-national (Iter), actuellement en construction àCadarache. Un prototype destiné à vérifier la fai-sabilité de la fusion nucléaire comme nouvellesource d’énergie. De fait, dans pareil réacteur,un gaz ionisé contenu par un puissant champmagnétique est porté à une température dequelque 100 millions de degrés ! Soit une four-naise à laquelle aucun capteur ne serait enmesure de résister.Seule solution, récolter des mesures indirecteseffectuées sur la surface du plasma avant de lesincorporer dans un modèle mathématique per-mettant de calculer numériquement ce qui sepasse à l’intérieur. Comme l’explique JacquesBlum, lui aussi du Laboratoire Jean-Alexandre-Dieudonné, « pour cela, il était nécessaire de

La physique accro aux maths

Les trous noirs astronomiquessont un phénomène invisible,mais qui possède un analoguehydrodynamique. Desmathématiciens du CNRS tententici de reproduire ce phénomènedans un bassin à houle.

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Représentation d’un trou noir, un astre si dense que toutce qui tombe à l’intérieur, même la lumière, y resteprisonnier à jamais.

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développer une approximation de l’équation àrésoudre. Le rôle du mathématicien est ici de véri-fier dans quelle mesure celle-ci reste valable pourétudier le problème initial. Par ailleurs, avec Iter,on veut connaître les paramètres internes duplasma en temps réel pour un contrôle en continude l’expérience. Ce qui passe par le développementde nouveaux algorithmes rapides et fiables ».

INVENTER EN PERMANENCECertes, les équations qui régissent le phéno-mène à étudier sont connues depuis long-temps grâce à l’hydrodynamique. Mais de nou-velles techniques mathématiques sont àinventer perpétuellement, afin de résoudreces équations complexes dans des conditionspratiques. « Cela demande le développement

d’une véritable ingénierie mathématique, confirmePierre Degond, de l’Institut de mathématiquesde Toulouse2, lui aussi impliqué dans le pro-gramme Iter, afin notamment de gérer d’épineuxproblèmes d’interaction entre différentes échellesspatiales, depuis celle de quelques atomes jusqu’auplasma tout entier. » Aujourd’hui, les philoso-phes des sciences sont loin de s’être mis d’ac-cord sur la portée définitive de la phrase pro-noncée par Galilée. Une chose est néanmoinscertaine, sans mathématiques, la physiquen’existerait tout simplement pas !

Mathieu Grousson

1. Laboratoire CNRS / Université Nice-Sophia Antipolis.2. Unité CNRS / Universités Toulouse-I et -III / Insa Toulouse.

L’ENQUÊTE24

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Les biologistes le savent : pour per-cer un jour tous les arcanes dufonctionnement du cerveau, l’ap-port des mathématiques est indis-pensable. Car cet organe est un

parangon de complexité. « Outre le fait que lecerveau possède environ 100 milliards de neuro-nes de différents types, décrit Pascal Chossat,mathématicien au Laboratoire Jean-Alexandre-Dieudonné1, à l’université Nice-Sophia Anti-polis, ceux-ci sont très connectés les uns auxautres : un neurone est branché en moyenne à10 000 autres neurones. Ils forment des circuitsdont la structure est très variable et dont lesconnexions elles-mêmes évoluent au cours dutemps. Enfin, les aspects dynamiques sont essen-tiels : par exemple, les signaux électriques quipermettent aux neurones de communiquer entreeux peuvent se renforcer ou interférer. »Les biologistes, aidés des mathématiciens, tra-vaillent d’arrache-pied pour décrypter cettecomplexité. « L’activité de recherche en mathé-matiques pour le cerveau est en plein boom »,confirme Pascal Chossat, qui appartient à ungroupe de chercheurs placés sous la houletted’Olivier Faugeras, du Laboratoire d’informa-tique de l’École normale supérieure2, qui tentede décrypter le circuit de la vision par uneapproche mathématique. Il faut dire que celui-ci reflète à merveille la structure en étages ducerveau : les influx nerveux issus des yeux sontdispatchés en fonction de leur provenance surla rétine en diverses régions du cortex visuel,elles-mêmes subdivisées en zones spécialiséesdans une tâche donnée, comme détecter unecouleur ou une forme.

CONTACTSÔ Jacques Blum, [email protected]

Ô Pierre Degond [email protected]

Ô Germain Rousseaux, [email protected]

Les équations utilisées pour lelancement d’une fusée sontconnues… depuis le XVIIe siècle. Ce qui n’empêche pas l’industriespatiale d’être consommatrice de mathématiques de pointe. En témoigne la collaboration entre le Laboratoire de mathématiques,applications et physiquemathématique1 à Orléans,l’université d’Orléans et EADSAstrium aux Mureaux. « Le logicielutilisé pour calculer la trajectoire

optimale d’une fusée Arianenécessite de calculer des centainesde trajectoires avant de sélectionnerla meilleure. Il est de ce faitextrêmement gourmand en temps de calcul », explique EmmanuelTrélat, qui collabore sur ce problèmeavec Thomas Haberkorn. Ce qui peut être la cause du report d’unlancement de plusieurs jours lorsqueles conditions du tir, par exempleatmosphériques, changent audernier moment. Afin de s’adapter en temps réel aux aléas d’un vol, le mathématicien développe unnouveau logiciel capable d’effectuer

un pré-tri des trajectoires possibles,avant de calculer intégralement lesparamètres de la solution retenue.« Le principe de la méthode date desannées 1950, indique le scientifique.Mais il demande beaucoup desavoir-faire pour une mise enœuvredans des situations précises. »Mise sur orbite prévue de ce super-logiciel : fin 2011.

Mathieu Grousson

1. CNRS / Université d’Orléans.

Contacts : Thomas [email protected] Trélat [email protected]

LA BONNE TRAJECTOIRE POUR LA FUSÉE ARIANE

Prédécesseur d’Iter, le réacteur JET, à Culham, en Grande-Bretagne, permetd’étudier la fusion thermonucléaire (à gauche). Dans la chambre de combustion,circule un plasma (en rose) dont lescaractéristiques complètes sont calculéesgrâce au logiciel Equinox (à droite) à partir de mesures expérimentales.

Des théorèmes plein les neurones

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La trajectoire d’une fusée (ici Ariane 5) est déterminée par des logiciels sophistiqués.

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L’ENQUÊTE 25

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Spécialiste de la théorie des bifurcations, dis-cipline qui vise à décrire les changements sou-dains de comportement d’un système, PascalChossat tente d’appliquer ses connaissancesaux hallucinations visuelles dont sont victimesles sujets sous l’emprise de certaines drogues(LSD…) ainsi que certains schizophrènes.« L’idée est de comprendre comment une imageapparaît spontanément dans le cortex visuel »,commente le chercheur. En travaillant sur lesujet, il a découvert que certains aspects dufonctionnement du cortex visuel pouvaient êtrereprésentés par des fonctions définies dansun espace hyperbolique, un type d’espaceétrange où deux lignes parallèles à une troi-sième peuvent se couper. « C’est la premièrefois que ce type d’objet apparaît en biologie », seréjouit le mathématicien.

UNE AIDE À L’IMAGERIE MÉDICALE Si les liens avec la neurobiologie se renforcentaujourd’hui, c’est en partie grâce aux techniquesd’imagerie qui permettent de voir les neurones“penser”. Des techniques qui sont sous per-fusion des mathématiques appliquées. Et ce, dèsque le patient a placé son crâne dans l’appareild’imagerie : pour pouvoir déduire à partir destrajectoires des particules émises par son cer-veau (des photons pour l’électroencéphalo-gramme ou pour l’imagerie par résonance

magnétique [IRM], des protons pour la tomo-graphie par émission de positons…) les zonesd’émission de ces particules, une opérationmathématique d’inversion est nécessaire. Lessismologues localisent la source d’un séismeà partir des ondes sismiques avec le mêmegenre d’outils mathématiques.L’analyse des images exige elle aussi des mathé-matiques. Car, aussi nettes soient-elles, lesimages obtenues par les IRM et les magnéto-encéphalographies sont muettes. La tache blan-che apparue sur l’IRM est-elle une tumeurbénigne ou maligne ? Impossible à dire à par-tir des seules images. « Le problème, c’est quel’IRM ne donne aucune indication sur des para-mètres physiques tels que la dureté ou la conduc-tion électrique, deux paramètres qui peuvent révé-ler des tumeurs », analyse Habib Ammari, duDépartement de mathématiques et applica-tions de l’École normale supérieure3, qui déve-loppe des modélisations mathématiques etnumériques de nouveaux systèmes d’imageriemédicale. Le même problème concerne en faitun grand ensemble de méthodes d’imagerie.Pour épauler les médecins dans leur diagnostic,

des modèles mathématiques de la réponse des tis-sus cérébraux aux méthodes d’imagerie ont doncété développés. Ils les aident à prédire l’aspectque prennent sur les images les zones patholo-giques. Une autre solution se profile pour amé-liorer les diagnostics : le mariage de techniquesd’imagerie. Avec les équipes de Mathias Fink etde Claude Boccara, physiciens à l’Institut Lange-vin4, à Paris, Habib Ammari et son groupe ontainsi élaboré de nouvelles méthodes d’imageriemêlant l’emploi d’ondes sonores (comme en écho-graphie) et électromagnétiques. Appliquées aucancer du sein, elles possèdent une excellentespécificité. Autrement dit, elles ne donnent pres-que jamais de faux positifs, tout en fournissant desimages d’une netteté incomparable. Dans le futur,des combinaisons similaires de techniques multi-ondes pourraient révolutionner l’imagerie médi-cale. La reconstruction des images étant d’uneprofonde complexité, les mathématiciens serontpartie prenante de cette révolution.

Xavier Müller

1. Laboratoire CNRS / Université Nice-Sophia Antipolis.2. Laboratoire CNRS / ENS Paris / Inria.3. Unité CNRS / ENS Paris.4. Unité CNRS / ESPCI ParisTech / Universités Paris-VI et -VII.

CONTACTSÔ Habib Ammari, [email protected]

Ô Claude Boccara, [email protected]

Ô Pascal Chossat, [email protected]

Ô Olivier Faugeras, [email protected]

Ô Mathias Fink, [email protected]

Le temps de lire cette phrase, votre moelle osseuse aura produit plusieurs millions de cellulessanguines. C’est le phénomène d’hématopoïèse, une machinerie stakhanoviste doublée d’unecomplexité inouïe, qui met en jeu des milliers d’acteurs : gènes, protéines, hormones… D’où ladifficulté pour les biologistes de comprendre les dérèglements de l’hématopoïèse, qui donnent lieunotamment à des leucémies ou à des anémies chroniques (insuffisance de globules rouges). Pour les aider à y voir plus clair, Vitaly Volpert, mathématicien à l’Institut Camille-Jordan1, à Villeurbanne,et ses collègues développent des modèles combinant deux approches mathématiques : les cellulesde la moelle osseuse sont représentées comme de petites sphères au milieu de la matrice extra-cellulaire, considérée, elle, comme un milieu continu où les molécules peuvent diffuser et influencerles cellules. Ainsi, ils ont déjà montré que de multiples dysfonctionnements, qui peuvent en outre êtretrès différents d’un individu à un autre, naissaient d’un même déséquilibre de ce système complexe,ce qui expliquerait la difficulté rencontrée parfois par les médecins pour poser un diagnostic précis. « Nous sommes dans la phase de compréhension de ce qu’il se passe, souligne Vitaly Volpert.À long terme, nous espérons que le modèle aidera à soigner les maladies et à élaborer un traitementpersonnalisé pour chaque patient. »

Xavier Müller

1. Unité CNRS / Université Lyon-I / École centrale de Lyon / Insa Lyon.

Contact : Vitaly Volpert, [email protected]

DE LA COMPLEXITÉ DANS NOS VEINES

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>Ci-dessus, représentationmathématique d’un typed’activité cérébrale pouvantapparaître spontanément et provoquer une hallucination.

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grâce à la simulation).

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Les séismes ne sont pas les seules catastrophesnaturelles à générer des tsunamis. L’équipe aétudié le cas des glissements de terrain sous-marins qui se produisent dans le fleuve Saint-Laurent, au Québec. Ces glissements soulèventdes hautes vagues qui déferlent ensuite sur lesrivages, inondant les maisons. Avec leur savoir-faire, les chercheurs sont parvenus à produire descartes d’inondation des zones concernées.

Trois recherches, trois exemples où lesmathématiques nous aident à mieuxcomprendre notre planète. La pre-mière est une question de surviepour les populations du Pacifique

et de l’océan Indien, régulièrement endeuillées parles tsunamis. Comment les vagues mortelles nais-sent-elles et se propagent-elles dans l’océan? Peut-on anticiper les inondations qu’elles causent ?Plusieurs groupes de prévention des vagues géan-tes dans le monde disposent de modèles numé-riques d’hydrodynamique pour y répondre. Pro-blème : ces modèles se perdent dans les calculset deviennent muets face à des situations atypiques,comme des lignes de côtes trop déchiquetées ouun fond sous-marin trop accidenté. Le modèlenumérique Volna, développé depuis 2008 parDenys Dutykh et ses collaborateurs du Laboratoirede mathématiques 1 de l’université de Savoie, nesouffre pas de ce défaut. Son secret ? « Notremodèle utilise les dernières avancées du calcul numé-rique qui restaient inutilisées dans ce domaine »,explique le chercheur. Autre avantage, ce modèlereproduit correctement les tsunamis qui se pro-pagent alors que le fond sous-marin est toujoursactif, comme celui de Sumatra en 2004, causé parun séisme qui avait duré 10 minutes.

L’ENQUÊTE26

Quelle est l’importance des mathématiques dans lesentreprises françaises?Maria J. Esteban : Les mathématiques

jouent un rôle fondamentaldans de très nombreux

processusindustriels, même si leur présence est souventinvisible. Dans lepassé, les grandesentreprises avaientdes groupes

importants demathématiciens

identifiéscomme tels

dans leurséquipes

R&D.

Ce n’est plus le cas ces dernièresannées : il y a toujours desmathématiciens, mais en plus petitnombre, et ils jouent trop souvent unrôle d’ingénieurs ou de managers. On a aperçu récemment un changement,car certaines grandes entreprises ont compris que, si elles veulent créerde l’innovation, elles ont besoin demodélisation, d’algorithmes robustes et efficaces et de calculs rapides,c’est-à-dire de mathématiques et demathématiciens.

Pouvez-vous donner des exemples du travail d’un mathématicien dans l’industrie?M. J. E. : D’une manière générale, unmathématicien peut aider à modéliserun problème industriel que l’on veutrésoudre. Il peut également adapterdes algorithmes existants à dessituations nouvelles pour l’entreprise

et garantir que les résultats obtenusseront de vraies solutions, et non desrésultats qui n’auront que peu à voiravec le problème étudié. En outre, un mathématicien s’assurera que lessimulations numériques sontperformantes.

Quelles actions mène la SMAI pour développer les mathématiquesdans l’industrie?M. J. E. : La SMAI organiserégulièrement des journées maths-industrie autour d’un thème précis, par exemple sur l’agroalimentaire, l’acoustique,l’industrie pharmaceutique, la sécurité informatique, le risque, les géosciences… Des industriels y présentent leurs problèmes et leurs besoins. Nous avons ainsi accueilli des représentantsd’Areva, d’EADS, d’EDF, de Sagem,

de France Télécom, etc. La SMAIorganise aussi chaque été le Cemracs,une sorte d’école d’été originale qui fait interagir pendant six semainesdes chercheurs et des industriels.Nous sommes par ailleurs en train de finir la préparation d’un livre blanc sur la valorisation du doctorat de mathématiques appliquées dans l’industrie française. Il y a eneffet un grand besoin de docteursdans les entreprises, mais celles-ci paient mal ces derniers, qui ont pourtant un bac + 8, et pensent prioritairement à engager des ingénieurs.

Propos recueillis par Xavier Müller

1. Centre de recherches en mathématiquesde la décision (Unité CNRS / UniversitéParis-Dauphine).

Contact : Maria J. [email protected]://smai.emath.fr/

Avec ses 1300 adhérents, la Société de mathématiques appliquées et industrielles (SMAI) cherche à encourager le développement des maths appliquées. Sa présidente, Maria J. Esteban, directrice de recherche au CNRS1, nous en dit plus sur les enjeux et les actions menées avec les entreprises.

ENTRETIEN AVEC MARIA. J. ESTEBAN, PRÉSIDENTE DE LA SMAI

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Bathymétrie

Carte du lit de la rivière Saint-Laurent, au Canada, utilisée parDenys Dutykh lors de l’étude desrisques d’inondations liées à desglissements de terrain fluviaux.

Les maths à l’écoute de la Terre>

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L’ENQUÊTE 27

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

L’eau peut aussi dévaster l’intérieur des conti-nents. Même si les conséquences sont moins dra-matiques, le ruissellement de l’eau de pluie surles champs est un fléau pour les cultivateurs etles populations : il peut transporter vers l’avaljusqu’à plusieurs dizaines de tonnes de terrepar an et par hectare, entraînant une baisse nota-ble des rendements agricoles ou générant desinondations et des coulées boueuses. Les mesu-res antiérosion prises depuis plusieurs annéesen France (plantation d’un couvert végétal lesmois sans cultures afin que le sol ne se retrouveà nu, reconstitution du bocage…) sont-elles opti-males ? Le projet Méthode, composé d’hydro-logues, de mathématiciens et de chercheurs enagronomie et en informatique, tente d’y répon-dre en développant des modèles numériquesinédits de ruissellement.

DE PRÉCIEUX ALGORITHMES « La difficulté de simuler l’écoulement d’eau sur uneparcelle provient du fait que la lame d’eau est d’épais-seur comparable (quelques centimètres) avec celledes aspérités du sol », indique Cédric Legout, duLaboratoire d’étude des transferts en hydrologieet environnement2, à Grenoble. La présence de tur-bulences à petite échelle, la division de l’écoule-ment en flaques et la submersion des sillons dusol rendent difficile la prédiction des débits en sor-tie de parcelle. D’où le rôle de simplification

dévolu aux physiciens du groupe, chargés d’iden-tifier les phénomènes prépondérants à une échelledonnée. « Le rôle des mathématiciens est ensuite derendre les algorithmes compatibles avec les simplifi-cations opérées par les physiciens », poursuit le cher-cheur. Afin peut-être, un jour, de corriger les poli-tiques d’aménagement dans un souci de préserverles cultures et les populations des ravages de l’eau.

DES SIMPLIFICATIONS DÉLICATESIl n’est pas toujours possible de dénuder un sys-tème physique jusqu’à l’extrême. C’est le caspour les mouvements de convection au cœur dela Terre, qui produisent, par effet dynamo, lechamp magnétique terrestre. L’origine de cechamp et certaines de ses propriétés – il seretourne en moyenne tous les 100 000 ans –sont encore inexpliquées. « Nous avons une sériede théorèmes mathématiques qui montrent qu’ensimplifiant trop les modèles de dynamo terrestre onne pourra pas apporter de réponses à ces énigmes»,assène Emmanuel Dormy 3, du département dephysique de l’École normale supérieure .Commun à plusieurs laboratoires, le groupe derecherche auquel il appartient étudie des phé-nomènes (la circulation océanique ou atmos-phérique, la dynamo terrestre…) qui mettent enscène des déplacements de matière à différen-tes échelles, mais qui s’influencent mutuellement(les courants marins, les vents…). Les chercheurstentent d’identifier au milieu de tous les pro-cessus en jeu ceux qui peuvent être simplifiéssans pour autant perdre leur richesse.À défaut de pouvoir s’attaquer au problème dela dynamo dans sa globalité, cette équipe s’estainsi focalisée sur le frottement subi par lesmouvements de convection au contact de laparoi externe du noyau terrestre, 3 000 kilomè-tres sous nos pieds. Ce faisant, ils ont établi lerésultat contre-intuitif que le frottement étaitmoindre sur cette surface rugueuse que si lamême surface avait été lisse. C’est en accumu-lant ce genre de résultats que l’on décryptera ladynamo. « Celui qui se perd dans les détails netrouve pas la vérité », a dit un jour un écrivain.Celui-là n’était pas mathématicien.

Xavier Müller1. Laboratoire CNRS / Université de Savoie.2. Laboratoire CNRS / Université Grenoble-I / Institut polytechnique de Grenoble / IRD.3. Directeur de recherche CNRS dans le groupe MAG (ENS / Institut de physique du globe de Paris).

CONTACTSÔ Emmanuel [email protected]

Ô Denys [email protected]

Ô Cédric [email protected]

EN LIGNELe site Images des mathématiqueshttp://images.math.cnrs.fr/

À LIRE> Mathématiques pour le plaisir : un inventaire de curiosités, Jean-PaulDelahaye, Belin, coll. «Bibliothèquescientifique», 2010.

> De grands défis mathématiques :d’Euclide à Condorcet, sous ladirection d’Evelyne Barbin, Vuibert,2010.

> La Géométrie ou le Monde des formes, Benoît Rittaud, Éditions Le Pommier, 2009.

À VOIR> Les vidéos des conférences et tablesrondes du colloque Maths à venir, qui s’est tenu les 1er et 2 décembre2009, à Paris, sont en ligne sur www.maths-a-venir.org/2009/

> Un dossier consacré auxmathématiques et regroupant plusd’une trentaine de films est accessiblesur le catalogue de la vidéothèque du CNRS : http://videotheque.cnrs.fr/

Huit de ces films peuvent êtrevisionnés en ligne gratuitement. Parmi eux :> Mathématiques et physiquequantique (2007, 27 min), réalisé par Didier Deleskiewicz, produit par CNRS Images.> Si Dieu ne joue pas aux dés… saute-t-il à la corde? (2005, 15 min),réalisé par Gilles Sevastos, produit par CNRS Images et CSI.> Alain Connes (2004, 15 min), réalisépar Jean-François Dars et AnnePapillault, produit par CNRS Images.> L’Empire des nombres (2001, 53 min),réalisé par Philippe Truffault, produit par CNRS Images, Arte France, Trans Europe Film etGallimard.> Henri Cartan et le séminaireBourbaki de mars 1989 (2004, 6 min),réalisé par Jean-François Dars et Anne Papillault, produit par CNRS Images.

Contact : Véronique Goret (Ventes), CNRS Images – Vidéothèque Tél. : 01 45 07 59 69 –[email protected]

POUR EN SAVOIR PLUS

Représentation schématique des mouvements de convectionthermique qui siègent à l’intérieurdu noyau fluide terrestre.

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ART RUPESTRE

L’homme qui réinterprétaitles mythesJean-Loïc

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De tous les spécialistes d’art rupestre enFrance, c’est sans doute l’un des plus ori-ginaux. Jean-Loïc Le Quellec, 59 ans, yeuxbleus doux, barbe grise fournie et chapeau

d’explorateur, est Monsieur Art rupestre en Afri-que. Il y a découvert un nombre incalculable desites. Aujourd’hui directeur de recherche au CNRSau Centre d’études des mondes africains1, il n’oc-cupe pourtant son poste que depuis cinq ans.Jusqu’alors, c’est en amateur qu’il menait ses tra-vaux. Toute sa vie durant, il a multiplié les emplois– de soudeur, d’éducateur ou d’expert privé enpréhistoire – dans un seul but : financer ses cam-pagnes de prospection de sites en Afrique.Cette année, cet autodidacte signe deux ouvragesdans lesquels il propose de jeter un œil neuf sur

deux célèbres peintures sud-africaines. Des fresquesqui, interprétées par des Européens à l’époque des colonies, ont largement servi à justifier la présence des Blancs sur le territoire des Noirs.La première s’intituleVol de vaches. Probablementréalisée vers 1820, elle fut découverte quelquesannées plus tard dans la grotte sud-africaine Chris-tol Cave. C’est une scène de combat : à gauche, despetits hommes rouges accompagnés de vaches, àdroite, des hommes noirs de grande stature, armésde lances et de boucliers. Depuis plus d’un siècleet demi, la plupart des commentateurs n’y voientqu’une seule chose : la vengeance des agriculteursbantous (en noir) envers les Bushmen chasseurs-cueilleurs (en rouge) qui viennent de leur volerdu bétail. « À l’époque, les Bushmen sont considérés

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1 Jean-Loïc Le Quellec vient du milieu amateur. Toute sa vie, il a arpenté les déserts d’Afrique à la recherche de peinturesrupestres. Aujourd’hui, il estdirecteur de recherche au CNRS.

2 Reconstitution de la célèbrepeinture Vol de vaches. Lestravaux du chercheur mettent à mal la version officielle : ce ne sont pas les Bushmen (enrouge) qui ont pillé les Bantous(en gris), mais l’inverse!

3 Située dans une grotte sud-africaine, la peinture a étédétériorée par son découvreur, qui en a prélevé des pans entiers.

4 Extrait d’un carnet de voyagede Jean-Loïc Le Quellec. Au fil deses pérégrinations, ce dernier adécouvert des centaines de siteset des milliers de peintures.

5 Quoique spécialiste d’artrupestre, l’homme se passionneaussi pour l’ethnologie et la mythologie. Il considère qu’unbon scientifique ne doit pas secantonner à sa discipline.

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Il a commencé par mener ses recherches en amateur, avant de devenir unspécialiste incontournable de l’art rupestre africain. Désormais directeur derecherche au CNRS, Jean-Loïc Le Quellec s’est penché sur deux peinturesmythiques, dont il a fait une interprétation beaucoup moins ethnocentristeque certains de ses pairs. Rencontre avec un électron libre de la préhistoire.

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comme des sauvageons incapables d’évoluer, dessortes de fossiles vivants de la préhistoire, pour qui lesbêtes des agriculteurs ne sont que des proies comme les autres, raconte Jean-Loïc Le Quellec. Cette répu-tation, qui leur a valu d’être massacrés par les Afri-kaners, est renforcée par la peinture de Christol Cave. »Tout comme la démonstration qui pointe en fili-grane : puisque ce sont les Bushmen, ces moinsque rien, ces pillards, qui occupaient le territoiresud-africain à l’origine et puisque les Noirs bantousne sont arrivés d’Afrique subsaharienne que bienplus tard, les Blancs ont toute légitimité à investirces terres australes. « Pourtant, quand on porte à cettepeinture le regard frais du profane, en dehors de toutcontexte politique et social, poursuit le chercheur, ons’aperçoit que les rôles sont inversés : ce sont les Noirsbantous qui fondent sur les Bushmen pour leur volerdu bétail, pas l’inverse ! Ce qui n’est pas étonnant :contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, les Bush-men ont été tantôt chasseurs, tantôt éleveurs au coursde leur histoire. » Sa thèse novatrice, Jean-LoïcLe Quellec l’a étayée grâce à la photographie. Avecdes capteurs de 32 millions de pixels et des logicielsperformants, il a relevé des détails inédits, notam-ment des bâtons de berger dans les mains desBushmen. « C’est quand même étrange que les vilainspilleurs portent des bâtons de berger et les pauvres vic-times, des lances et des boucliers, vous ne trouvezpas ? », remarque-t-il avec malice.

AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA LIBYEAutre grotte, autre peinture, autre révision. Dansson livre La Dame blanche et l’Atlantide, Jean-LoïcLe Quellec décortique le mythe de la Dame blan-che. En 1918, dans la région du Brandberg, enNamibie, l’explorateur Maak découvre par hasardun panneau représentant un grand personnageblanchâtre. À la fin des années 1940, l’abbé Breuil,alors considéré comme le pape de la préhistoire,se prend de passion pour cette figure dans laquelleil voit une femme au nez aquilin d’origine égyp-tienne ou crétoise. Pendant plusieurs décennies,cette Dame blanche va nourrir le fantasme del’existence d’une ancienne civilisation blanche

antérieure à celle des Noirs sur le continent afri-cain. Plusieurs voix se sont élevées pour réfuter,voire condamner, la thèse de Breuil. Et aujourd’hui,la plupart des préhistoriens s’accordent pour direque cette prétendue Dame blanche n’est pas unedame – le personnage possède un pénis ! – et quele blanc de sa silhouette, probablement symboli-que, n’a rien à voir avec la couleur de sa peau.Mais Jean-Loïc Le Quellec va plus loin : « Selon moi,l’interprétation de Breuil, supposée scientifique, esten fait un roman qui s’inscrit dans la droite lignée desrécits de races perdues, très en vogue au XIXe siècle, telsLes Mines du roi Salomon ou L’Atlantide. Ils étaientfondés sur l’idée d’une civilisation blanche très avan-cée perdue au cœur de l’Afrique et redécouverte par desexplorateurs. Une idée que les promoteurs de l’apar-theid ont évidemment utilisée à l’envi. »Pour réviser de tels mythes, construits par lesgrandes figures de l’art rupestre comme l’abbéBreuil, il fallait un brin d’insolence. Et une grandeérudition. Le savoir, Jean-Loïc Le Quellec l’a acquismalgré quelques obstacles. « Quand j’étais enfant,tous les livres de la maison étaient mis sous clé. Alorsje lisais en cachette, ce qui inquiétait beaucoup mamère », se souvient-il avec amusement. À force delectures interdites, il passe son bac et devient ins-tituteur. Puis c’est le service militaire ; il choisit lacoopération ; on lui impose la Libye. C’est là-basque l’Afrique, la préhistoire et l’art rupestre vontentrer dans sa peau. Pendant quatre ans, de 1976à 1980, il habite dans une oasis perdue en pleindésert. Comme il est curieux, il sillonne la régionet visite de nombreux sites de peintures. À l’épo-que, il n’y connaît rien. Très vite, il comprend queses observations sont précieuses tant la zone qu’ilarpente est difficile d’accès. À Paris, les grands pon-tes de la préhistoire, Henri-Jean Hugot et le géné-ral Huard en tête, lui conseillent de faire un inven-taire méthodique des peintures. Pris de passionpour son sujet, il s’exécute. Pendant plusieursannées, il quadrille le désert, étudie minutieuse-ment chaque peinture qu’il croise. Puis, sous la pression de ses pairs, il se décide à utiliser letrésor récolté et passe une thèse. Avec comme

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6 Bushman en train d’observerl’une des peintures rupestres sud-africaines qui ont été étudiées parle célèbre abbé Breuil, surnomméle Pape de la préhistoire.

7 Vue actuelle de la grotte deNamibie dans laquelle se trouve la Dame blanche (personnagecentral de la peinture dont lesjambes sont blanchâtres). Elle futdécouverte par hasard en 1918.

8 Peinture mythique de La Dame blanche. L’abbé Breuil y a vu un indice de l’existenced’une antique civilisation blanche en Afrique australe. Pour Jean-Loïc Le Quellec, cetteinterprétation s’inscrit dans ladroite lignée des récits de racesperdues, tels ceux de L’Atlantideou des Mines du roi Salomon.

À LIRE> La Dame blanche et l’Atlantide. Enquête sur un mythe archéologique, Jean-Loïc Le Quellec, Éditions Errance, coll. « Pierres tatouées », 2010, 288 p.

> Vols de vaches à Christol Cave. Histoire critique d’une image rupestred’Afrique du Sud,Jean-Loïc Le Quellec, François-Xavier Fauvelle-Aymar et François Bon, Publications de la Sorbonne, coll. « Locus Solus », 2009, 175 p.

> Des Martiens au Sahara. Chroniques d’archéologie romantique,Jean-Loïc Le Quellec, Actes Sud / Errance, 2009, 320 p.

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président du jury Théodore Monod lui-même.« J’avoue que j’en suis assez fier », dit-il avec toutel’humilité qui le caractérise.

TRENTE-CINQ ANS DE PÉRÉGRINATIONS Nous sommes alors en 1992. Il n’y a pas de posteimmédiatement disponible au CNRS. Jean-LoïcLe Quellec continue donc sa route en solitaire. Dèsque ses vacances et ses finances le lui permettent,il retourne au Sahara auprès des nomades et despeintures. En trente-cinq ans de pérégrinations, à« bricoler dans [son] coin », il va mettre au jour tantde nouveaux sites qu’il a cessé de les compter.Quand on lui demande quelle est sa trouvaille la plusmarquante, il choisit sans hésiter : « C’était aumilieu des années 1980. Avec un petit groupe d’ama-teurs, nous arpentions le plateau du Messak, dans le Sudlibyen, une région qui n’avait encore jamais été car-tographiée. Dans les oueds, nous avons découvert descentaines de sites regroupant plusieurs dizaines demilliers de peintures, c’était incroyable ! »Au fil de ses explorations, il publie dans des revuesscientifiques de référence. Toujours sans atta-ches. De cette vie d’affranchi, il garde un souve-nir doux-amer : « Je me suis senti assez seul, surtoutquand les pros me faisaient sentir que je n’étais qu’unamateur. Mais c’est une école extraordinaire. Sansmoyens, on apprend à se débrouiller et à tout faire

soi-même : les photos, les cartes, le moindre petit bri-colage. » Cette indépendance lui permet aussi de« papillonner » d’une discipline à l’autre, au gré de ses envies, de l’art rupestre à la préhistoire enpassant par la mythologie et l’ethnologie. « Je croisque ce pluralisme est essentiel si l’on veut prendre durecul et replacer des découvertes dans leur contexte »,confie-t-il. À la fois humble, érudit, indépendantet pluridisciplinaire, Jean-Loïc Le Quellec a sansconteste l’étoffe d’un grand chercheur. Même si,dans la profession, il débute encore…

Émilie Badin

1. Unité CNRS / Université Paris-I / EPHE Paris / Université Aix-Marseille-I.

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9 Relevé très approximatif de de La Dame blanche par l’abbéBreuil. Désormais, la plupart desspécialistes s’accordent pourpenser qu’il s’agit d’un personnagemasculin, puisqu’il apparaît quecelui-ci possède un pénis. Quant à sa couleur blanche, elle estsymbolique et ne représenteaucunement une couleur de peau.

10 Chercheur indépendantpendant trente-cinq ans, Jean-Loïc Le Quellec a dû apprendre à faire tout lui-même : prendre des photos, établir un relevé des peintures ou encore dresserune cartographie des lieux.

CONTACTCentre d’études des mondes africains, Paris

Ô Jean-Loïc Le [email protected]

Ô http://aars.fr

Ô http://rupestre.on-rev.com

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STRATÉGIE

Une nouvelle donne pour le CNRS

Alain Fuchs, vous avez été nommé président du CNRS fin janvier. Comment avez-vous vécuvos premiers mois à la tête de l’organisme?À cent à l’heure et avec beaucoup de passion! J’aiété accueilli de façon très sympathique et très pro-fessionnelle par les personnes qui travaillentau quotidien auprès de moi. J’ai également ététrès satisfait de remarquer la grande qualité desdirections administratives du siège.

Peu de temps après votre nomination, vous avez déclaré devoir inventer, dans le cadre de la réforme du CNRS, un nouveau mode de fonctionnement. Aujourd’hui, alors que lesdeux directeurs généraux ont été nommés,comment allez-vous piloter le CNRS?Je tiens à préciser que ce nouveau mode defonctionnement concerne uniquement la direc-tion centrale. Il faut être modeste et réaliste : l’es-sentiel du fonctionnement du CNRS se passedans les laboratoires et ceux-ci n’ont pas attendula nouvelle direction pour continuer à faire dela bonne recherche. S’agissant du siège, le nou-veau mode de fonctionnement était induit parle décret organique1 qui actait d’un présidentexécutif et de directeurs généraux déléguéspour diriger notre organisme. J’ai choisi deuxdirecteurs délégués, Joël Bertrand à la scienceet Xavier Inglebert aux ressources. Ils sont mesadjoints avec des compétences différentes etbien ciblées. Ils ont chacun des délégationspropres dans la direction du siège. Le direc-teur général délégué à la science (DGD-S) esten charge de la coordination des dix instituts,de l’interdisciplinarité et des partenariats ter-ritoriaux, nationaux et internationaux avec lesuniversités, les grandes écoles et les entreprises.

INSITU Entretien

Quelques mois après avoir été nommé à la présidence de l’organisme, Alain Fuchscommente ses premièresdécisions dans l’entretien qu’il a accordé au Journal du CNRS. Il dessine les contoursde sa politique scientifique et propose une nouvelle alliance avec les universités.

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donne pour le CNRSLe directeur général délégué aux ressources(DGD-R) prolonge l’action dirigeante dans sesdomaines de compétences, et assure les mis-sions de soutien et d’appui au service de larecherche. Le nouveau mode de fonctionne-ment est très simple : il consiste à rapprocherles dix instituts et leurs directeurs2 du directoire.Nous réorganisons un peu les directions et ser-vices rattachés respectivement à la DGD-S et àla DGD-R, mais ce sont bien le directoire et lesdirecteurs d’institut qui sont au cœur du nou-veau fonctionnement : c’est là que les décisionspolitiques se prennent.

Les dix directeurs d’institut sont-ilsdéfinitivement choisis à ce jour?Oui, l’équipe est stabilisée et les directeurs d’ins-titut qui l’étaient par intérim sont confirmés, àl’exception du prochain directeur de l’Institutnational des sciences de l’univers (Insu), dont lerecrutement est en cours. Ils vont désormais tra-vailler étroitement avec nous et surtout ensem-ble. Il n’y a en effet qu’un seul CNRS et pas dix !

Vous venez d’annoncer la suppression de la direction des partenariats. Pourquoi?C’est l’évolution du contexte actuel du mondede l’enseignement supérieur et de la recher-che qui veut cela. Désormais, l’enjeu impor-tant est la montée en puissance de l’autono-mie des universités. Le CNRS doit prendre encompte cette évolution et travailler de façonplus étroite et plus stratégique, aujourd’huiavec les universités et demain avec les grandspôles universitaires qui seront créés. Pour cefaire, il est nécessaire de revoir notre mode derelations avec le tissu universitaire. Il s’agit deremettre la science au cœur des discussions, desnégociations et des conventions et de faire ensorte que les universités aient comme interlo-cuteurs nos directeurs d’institut plutôt qu’unedirection qui s’interpose entre les instituts et lesuniversités. Les compétences de l’anciennedirection des partenariats seront redéployéesdans des services d’appui à la contractualisation,à la négociation et à la mise en place des conven-tions avec les universités d’une part et avec lescollectivités territoriales d’autre part.

Dans ce nouveau cadre, quelle politique des partenariats allez-vous mettre en place?Pour ce qui concerne les partenariats avec les uni-versités et les relations industrielles, la réflexionest la même : on constate que le contexte del’enseignement supérieur est en train d’évoluer,et je place ma réflexion dans le cadre de l’anti-cipation de la construction de nouveaux grands

sites universitaires en France. Travailler avecdes universités isolément, nous savons le faire.Nous allons désormais apprendre à travailleravec de grands sites universitaires, où plusieursuniversités seront alliées à une ou plusieursécoles d’ingénieurs pour créer ce qui sera l’uni-versité française du XXIe siècle. Cette dernièresera pluri ou omni-disciplinaire, visible inter-nationalement, de taille raisonnable, suscepti-ble d’attirer les meilleurs étudiants, capable defaire de la bonne recherche et disposant demoyens de valorisation de la recherche. LeGrand emprunt 3 va favoriser la création de cesgrands sites. C’est une nouvelle donne.

Cette nouvelle donne va-t-elle se traduire pardes changements dans la politique industrielle?Nous lançons une réflexion qui conduira à unrepositionnement de la structure en charge desrelations avec l’industrie. Nous devons trouverle bon équilibre entre la valorisation qui doitcontinuer à se faire au niveau national et cellequi peut se faire au niveau local. Mais il n’est pasquestion pour le CNRS de se désengager de lavalorisation de la recherche. Le CNRS estaujourd’hui l’un des premiers dépositaires debrevets en Europe. Il y a eu ces dernières annéesun travail considérable accompli pour dynami-ser les relations industrielles et pour accompa-gner le changement de mentalités des cher-cheurs dans ce domaine. Nous poursuivons lesefforts dans ce secteur, par exemple en nousrapprochant des pôles de compétitivité.

Les universités sont à présent bien engagéesdans la voie de l’autonomie. Parallèlement, elles sont en train de s’allier pour créer de futursgrands pôles universitaires? Y avait-il urgence à une telle réforme?C’est un fait que personne ne conteste, la Francea aujourd’hui besoin de sites pluridisciplinairesd’enseignement supérieur de très haut niveau.Ils doivent s’adosser à une recherche de trèsgrande qualité et à des dispositifs de valorisation.

Ce n’est pas un modèle idéologique, c’est unmodèle reconnu partout dans le monde et quifonctionne bien. On ne fait pas de la recherchesans attirer les meilleurs étudiants qui devien-dront nos futurs chercheurs ! Et la mondialisa-tion de l’enseignement supérieur est une réalité :les étudiants choisiront les meilleures universitéspour y étudier. L’attractivité de la France estpotentiellement très bonne : elle est considé-rée comme un grand pays scientifique et tech-nologique dans le monde entier. Le problème estqu’aujourd’hui notre offre de formation n’estpas compréhensible : 90 universités et 120 éco-les chez nous, quand on a en face Cambridge,Harvard ou les deux écoles polytechniques suis-ses, par exemple. Il faut proposer une offre deformation universitaire beaucoup plus visible etlisible. L’Allemagne ne fait pas autrement avecson programme Initiative d’excellence.

Quel sera le rôle du CNRS dans l’émergence des grands pôles universitaire autonomes?Il faut replacer cette question dans l’histoire desrelations du CNRS avec les universités. Noussommes leur allié depuis longtemps, depuisl’existence même des unités mixtes, qui repré-sentent aujourd’hui 94 % de nos laboratoires.Cette alliance se traduit par un travail en com-mun effectué par nos personnels respectifs,chercheurs, enseignants-chercheurs, Biatoss etITA4. Elle est une réalité. Mais, avec l’évolutiondes universités, nous devons réfléchir à unenouvelle alliance. Il faut en renouveler les termeset repréciser le rôle de chacun. Cela étant dit, iln’y a pas d’hésitation à avoir : les grands sites uni-versitaires sont une nécessité et ils ne se ferontpas sans nous. Le CNRS, qui est un grand orga-nisme de recherche, très connu dans le mondeentier, avec une réputation d’excellence, a uneresponsabilité dans ce mouvement. L’immobi-lisme et le repli sur soi ne sont pas une option.Il ne s’agira pas de diluer le CNRS dans les uni-versités, mais de contribuer à créer les sitesdans lesquels on sera présent.

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« L’essentiel du fonctionnement du CNRS se passe dans les laboratoires et ceux-ci n’ont pas attendu la nouvelle direction pour continuer à faire de la bonne recherche. »

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Par quoi va se traduire cette nouvelle alliance entre la recherche et l’enseignement supérieur?Par un partenariat renforcé dans lequel le CNRSet les universités vont être de véritables copilo-tes scientifiques des UMR. Le vice-présidentrecherche de la Conférence des présidents d’uni-versité (CPU) l’a dit : il faut inventer une nouvellemixité entre le CNRS et les universités. Le rôledu CNRS sera de contribuer à la mise en placede politiques scientifiques pour de futurs grandssites universitaires. C’est la grande nouveauté. Aulieu d’avoir une politique nationale imposée deParis, nous allons mettre en place des politiquesscientifiques de site partagées, conçues dans lerespect de chaque partenaire, en tenant comptedu potentiel scientifique et du tissu industriellocal. Par-delà, le CNRS reste un organismenational et, de fait, il continuera à assurer lacohérence scientifique nationale sur un certainnombre de thématiques avec des outils qui luisont propres, comme les réseaux de plateformestechnologiques et les réseaux d’observatoires.

Comment allez-vous mettre en place cette politique scientifique partagée?Comme je l’ai dit, c’est la science qui doit seplacer au cœur de la nouvelle alliance entre leCNRS et les universités. Voilà pourquoi nousmettons en place des directeurs scientifiquesréférents (DSR), qui vont aller porter la parolescientifique de l’organisme au cœur des négo-ciations. Ce sont les directeurs des dix institutsdu CNRS qui endosseront ce rôle. Leur objectifsera de représenter l’ensemble des disciplines duCNRS au moment où se mettra en place la négo-ciation finale entre l’organisme et les universi-tés sur la politique scientifique des grands sitesuniversitaires sélectionnés. Le DSR ne sera paslocalisé sur place et sera secondé sur le planlocal par un délégué régional. Le CNRS auradonc deux représentants qui travailleront enbinôme pour chaque site universitaire. Le travail se fera en trois étapes : chaque direc-teur d’institut du CNRS travaillera d’abord surchaque site universitaire dans sa discipline (ileffectuera sur le terrain un état des lieux de sadiscipline afin de préparer le travail de négo-

ciation). Cet inventaire sera transmis au DSR, quiaura le panorama complet des recherchesconduites par le CNRS sur le site. Parlant au nomdu CNRS et de ses dix instituts, il sera en situa-tion de négocier avec ses partenaires (universi-tés, grandes écoles…) la politique scientifique àconduire sur le site. Ce travail de négociationconsistera à identifier les forces du CNRS sur lesite et les faire converger avec celles de ses par-tenaires. Au final, une politique scientifiquepartagée du site sera proposée par le CNRS et sespartenaires. La position et la vision nationales duCNRS seront très utiles pour structurer cettepolitique sur le plan local.

Comment les DSR vont-ils être désignés?Nous examinons tour à tour chacune des vaguessuccessives de contractualisation et désignonsles DSR en fonction des intérêts et des compé-tences de chacun. Une première liste a été établie (lire encadré page 35). Elle pourra êtreréajustée en fonction des résultats des appelsd’offres du Grand emprunt.

Parallèlement à votre politique de partenariat,vous mettez en place la Délégation globale degestion financière (DGGF) pour les laboratoires.Pouvez-vous nous en dire plus?Soyons clair : la DGGF n’est qu’un outil accordéà l’hébergeur d’une unité mixte de recherchepour en faciliter sa gestion. Il n’y a pas de perted’influence scientifique ni de désengagement dela part du CNRS lorsqu’une DGGF est accordéeà l’université en tant qu’hébergeur. La règle est sim-ple : qui héberge, gère. Elle est raisonnable àcondition que l’on se soit bien mis d’accord enamont avec les partenaires sur les services que l’onsouhaite apporter aux laboratoires. Le tout doit per-mettre d’aller dans le sens d’une simplification degestion et d’une amélioration de la qualité des ser-vices que l’on donne collectivement aux labora-toires en conservant le meilleur de chacun des par-tenaires. La DGGF est actuellement en phased’expérimentation avec les universités, notam-ment dans onze laboratoires avec l’universitéPierre-et-Marie-Curie (Paris-VI). Je prendrai letemps qu’il faudra pour déployer la DGGF sanscréer de bouleversement ni de dysfonctionne-

ment et surtout sans brusquer les personnels. Ily a, sur ce point, un accord complet avec la CPU.

Comment voyez-vous le rôle du CNRS dans lesAlliances pour la recherche (Aviesan, Allenvi,Ancre, Allistene) créées récemment?À l’origine des Alliances pour la recherche, il ya la stratégie nationale de la recherche et de l’in-novation (SNRI). On y traite de problèmes desociété : les questions d’énergie, d’environne-ment, de santé, du numérique. Il est normalque les organismes et les établissements d’en-seignement supérieur se mobilisent et se concer-tent sur ces questions. Les citoyens ne com-prendraient pas que le CNRS ne se préoccupepas des ressources énergétiques du XXIe siècle oude la question du climat, par exemple.En abordant ces sujets, qui sont des thémati-ques complexes et pluridisciplinaires, on peutidentifier des recouvrements entre organismesou opérateurs. Par exemple, les questions quitouchent aux ressources énergétiques sont abor-dées chez nous, mais aussi au CEA, à l’IFP et ail-leurs. Cela ne veut pas dire que l’on fait la mêmechose, cela veut dire que l’on fait des chosescomplémentaires. C’est pourquoi, sur ces ques-tions-là, qui sont des enjeux de société, il estnormal d’utiliser les ressources de tous les acteursde la recherche. Ce constat fait, nous avons signédes conventions de partenariat entre opérateurs,sans créer de structures supplémentaires. Lesalliances sont fonctionnelles : l’essentiel du tra-vail consiste à organiser des groupes de réflexion.Ils conduisent à proposer des programmes derecherche souvent très appliqués, susceptiblesd’être menés par les équipes des différents orga-nismes. Ce travail est soumis à l’Agence natio-nale de la recherche (ANR), qui les prend encompte dans ses programmes thématiques (paropposition aux programmes blancs). Bien évi-demment, les alliances ne concernent pas toutela recherche, par exemple celle faite en amontpar bon nombre d’équipes du CNRS, notam-ment dans les sciences de la vie.Les alliances sont positives pour le CNRS : il fauty aller sans arrière-pensées. Les chercheursseront contents de constater que le travail faitpar les opérateurs de recherche au sein desalliances se traduit par des programmes thé-matiques de l’ANR qui leur sont bien adaptés.Enfin, je tiens à dire que nous travaillons touspour le même objectif qui est de faire avancerle pays. Il faut arrêter de jouer au Championnatde France du meilleur opérateur de recherche ettous s’unir pour jouer la Coupe du monde.

Quelle politique scientifique envisagez-vouspour le CNRS?Avoir une politique scientifique de site partagéeavec les universités n’empêche nullement demener une réflexion pour l’établissement et

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« Nous allons mettre en place des politiquesscientifiques de site partagées, en tenantcompte du potentiel scientifique local. »

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d’avoir des priorités. Le CNRS n’ayant plus pourvocation de décider pour tout le monde, il peutcontinuer à décider pour lui-même, évaluer sespoints forts et ses points faibles, repérer les thé-matiques de pointe sur lesquelles il peut miseret démultiplier ses efforts sur certains aspects.Cela dit, il n’appartient pas à ladirection du CNRS de dicterles thèmes de recherche auxchercheurs. C’est élémentaire,mais il faut toujours le rappe-ler. En revanche, on s’attacheà ce que les chercheurs fas-sent la meilleure recherchepossible. Mon rôle est de lesplacer dans des conditions detravail qui vont leur permet-tre de s’épanouir et de fairejouer à fond leur imagination,de prendre des risques et dedévelopper de nouvelles thé-matiques interdisciplinaires.Toute bonne recherche estutile. Décider de faire plus derecherche appliquée ou plusde recherche fondamentale n’aaucun sens. Nous devons faire de la bonnerecherche, qui bénéficiera des financementstant des programmes blancs de l’ANR que desprogrammes thématiques très ciblés. Une fois que l’on dit cela, la politique scientifi-que que nous pouvons avoir rue Michel-Ange seplace à un niveau un peu “macroscopique”.Ainsi, nous sommes tous très attachés au fait quele CNRS couvre un très large spectre discipli-naire. Cela doit se traduire par un soutien par-ticulier à des instituts nés récemment, commel’Institut des sciences informatiques et de leursinteractions (INS2I), mais aussi par une vraieconsidération des sciences humaines et socia-les qui ont trop souvent servi de « variabled’ajustement ». Le maintien et le renforcementde la continuité disciplinaire impliquent éga-lement de mettre en place des dispositifs réel-lement efficaces pour favoriser l’interdiscipli-narité sur le terrain. Nous y travaillons.

Il reste encore beaucoup de sujets sur lesquelsvous ne vous êtes pas exprimé : l’international,l’éthique, la science et la société, la parité…Nous y reviendrons. Pour conclure, quels messages souhaitez-vous apporter aux personnels du CNRS?Ce sont les personnels du CNRS qui font sarichesse. Les chercheurs sont de très haut niveauet les personnels d’accompagnement très quali-fiés et très bien formés. Je l’ai constaté au coursde ma carrière scientifique : les personnels duCNRS jouissent d’un grand prestige au niveauinternational et d’une forte reconnaissance de lapart du grand public. À chaque enquête de noto-riété, le CNRS est toujours très bien perçu. Évi-demment, tout cela ne doit pas occulter uneréflexion importante que nous devons menersur l’attractivité des carrières scientifiques pourmaintenir la qualité de nos personnels. Celareste pour moi un souci permanent, mais rien ne

doit empêcher dès aujourd’hui les personnelsdu CNRS de s’engager avec confiance dans lesnouveaux défis que le pays doit relever afin demieux promouvoir la qualité de sa recherche etde son enseignement supérieur. Le CNRS sedoit d’être un acteur majeur du nouveau sys-tème qui se met en place, et il a besoin pour celade la mobilisation de tous ses agents.

Propos recueillis par Fabrice Impériali

1. Le nouveau décret organique du CNRS a été publié au Journal officiel le 1er novembre 2009 pour rendreopérationnel le contrat d’objectifs 2009-2013 du CNRSsigné avec l’État.

2. Institut de chimie (INC) : Gilberte Chambaud.Institut écologie et environnement (INEE) : Françoise Gaill.Institut de physique (INP) : Bertrand Girard.Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) : Jacques Martino.Institut des sciences biologiques (INSB) : Patrick Netter.Institut des sciences humaines et sociales (INSHS) : Patrice Bourdelais.Institut des sciences informatiques et de leurs interactions (INS2I) : Philippe Baptiste.Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (INSIS) : Pierre Guillon.Institut des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI) : Guy Métivier.Institut national des sciences de l’Univers (INSU) :Dominique Le Quéau.

3. Le comité interministériel du Grand emprunt a validé les dix premières conventions avec les opérateurs pour un montant de 6,85 milliards d’euros. Quatre concernent la recherche.

4. Biatoss : bibliothécaires, ingénieurs, administratifs,techniciens, ouvriers, de service et de santé. ITA :ingénieurs, techniciens et personnels administratifs.

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« Les Alliances pour la recherche sont positives pour le CNRS : il faut y aller sans arrière-pensées. »

On connaît déjà les directeurs scientifiques référents (DSR) du CNRS pour certains grands sitesuniversitaires. À ce jour, Alain Fuchs a ainsi proposé à Bertrand Girard, directeur de l’Institut de physique, d’être DSR pour le site Paris-Saclay, à Pierre Guillon, directeur de l’Institut des sciencesde l’ingénierie et des systèmes, d’être DSR pour le site Bordeaux, à Françoise Gaill, directrice de l’Institut écologie et environnement, d’être DSR pour Montpellier, à Gilberte Chambaud, directricede l’Institut de chimie, d’être DSR pour Lyon, à Patrick Netter, directeur de l’Institut des sciencesbiologiques, d’être DSR pour Strasbourg, à Guy Métivier, directeur de l’Institut des sciencesmathématiques et de leurs interactions, d’être DSR pour Toulouse, et à Michel Spiro, président du comité des Très grands équipements, d’être DSR pour Grenoble.

LES PREMIERS DIRECTEURS SCIENTIFIQUES RÉFÉRENTS

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recherche et l’élargissement des champs d’inté-rêt imposent des compétences particulières. Pourne citer qu’un exemple, l’archéozoologie chercheà reconstituer l’histoire des relations naturelleset culturelles entre l’homme et l’animal. Mais ledanger serait d’aboutir à une vision parcellaire dela réalité du passé, car personne n’est en mesurede dominer toutes ces disciplines en mêmetemps. Aussi, les archéologues travaillent-ilsdavantage en équipe et développent-ils des pro-grammes de recherche pluridisciplinaires.

Selon vous, quelles sont les principales lacunesà combler dans les prochaines années?S. A. B. : Quels que soient l’époque et le lieu étu-dié, on s’aperçoit que notre connaissance restefragmentaire en raison soit du manque de ves-tiges, soit d’intérêt, comme pour l’archéologiemédiévale qui a longtemps privilégié l’étude del’architecture urbaine au détriment du domainerural. Autre cas : l’occupation de certains terri-toires est bien établie à certaines époques et trèspeu à d’autres. On connaît bien les périodesclassiques de l’histoire de l’Égypte ou de la Grèce,assez mal leur préhistoire. De même, les vesti-ges concernant les premiers hominidés sonttrès parsemés dans le temps, et de grandesséquences chronologiques restent encore incon-nues. Dans de nombreuses régions du monde,les données archéologiques commencent seu-lement à être assez abondantes pour permettre

Ces dernières décennies, le métierd’archéologue s’est profondément modifié.Toujours plus technique, plus pointu, plusprécis… On est loin de l’image du chercheur de trésors du début du XXe siècle.Sophie Archambault de Beaune : L’archéologiecherche et cherchera toujours non pas des trésors,mais à reconstituer le passé de l’homme, à com-prendre ses modes de vie, comment il s’estaccommodé de son environnement, comment lessociétés ont évolué… Comme le disait AndréLeroi-Gourhan, médaille d’or du CNRS en 1973 :« L’homme du futur est incompréhensible si l’on n’a pas compris l’homme du passé 1. » Aujourd’hui,cette discipline a évolué et s’est dotée de nouvellesméthodes d’investigation. De nouvelles techno-logies permettent de répondre à des questionsqu’un archéologue de la première moitié duXXe siècle n’aurait jamais espéré résoudre. C’estle cas pour l’étude d’Ötzi. Cet individu retrouvédans les Alpes italo-suisses et vieux d’environ5 300 ans a fait l’objet d’analyses poussées qui ontpermis de déterminer son âge, les maux dont ilsouffrait, la composition de son dernier repas…

Des profondeurs marines jusqu’à des désertshostiles, des lieux de plus en plus reculés font désormais l’objet de recherches. Quelleszones reste-t-il encore à explorer?S. A. B. : Tout d’abord, les terrains qui ne sontaccessibles aux archéologues qu’après plusieurs

heures de piste. Par exemple, le cône sud del’Amérique latine est encore peu exploré. Bordé,côté Pacifique, d’archipels peuplés par des popu-lations nomades se déplaçant en canot, il est trèsdifficile d’accès. Autre problématique, celle desterritoires immenses. Ainsi, la Patagonie argen-tine, grande comme six ou sept fois la France, afait l’objet de très peu de recherches propor-tionnellement à son étendue. Il reste égalementbeaucoup à faire dans le domaine sous-marin, àcause du manque d’archéologues formés à cettediscipline, mais aussi en raison du très grandnombre d’épaves et de vestiges littoraux immer-gés. Autant de lieux et de peuples qui méritentd’être étudiés. Précisons toutefois qu’il existe denombreux sites dans lesquels on préserve unepartie des couches afin de les laisser aux géné-rations futures, qui disposeront de moyens tech-niques insoupçonnés pour les étudier.

Abondance de sites, de vestiges, de données…Quels sont les risques pour la discipline?S. A. B. : La diversité culturelle, aujourd’hui commehier, est infinie, et il est donc vraisemblable que,malgré l’accroissement de la quantité de vestigesdécouverts, il y aura toujours des zones d’ombredans le passé de l’humanité. Le risque majeur estsurtout qu’il n’y ait plus assez d’archéologuespour les analyser ! De plus, nous assistons à uneexplosion du nombre de spécialités. Ce phéno-mène est nécessaire : la diversification de la

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COLLOQUE

Acteur central de l’archéologie française avec plus de300 chercheurs, le CNRS organise à Paris, du 23 au 25 juin, un grand colloque sur les mutations de la discipline. Décryptage avec Sophie Archambault de Beaune, directrice adjointe scientifique à l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS).

Quelle archéologiepour demain?

INSITU Entretien

De nombreuses fouilles sont effectuées à l’étranger, comme ici sur un îlot rocheuxdu détroit de Magellan, au Chili, en janvier 2010.

Crânes d’un homme de Florès (àgauche) et d’un homme moderne(à droite, image de synthèse).L’histoire des hominidés est undes plus grands chantiers del’archéologie.

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de comprendre les relations entreles différents peuples ainsi queleurs déplacements. Une choseest sûre, cela passe par un largerecours aux analyses physico-chi-miques des matériaux. Le Centrede recherche et de restaurationdes musées de France2, par exem-ple, a analysé la composition debijoux mérovingiens découvertsdans le sous-sol de la basilique deSaint-Denis. Les résultats ontprouvé que les grenats provenaientd’Inde et de Ceylan (Sri Lanka).

Les champs d’investigation sont donc encore très nombreux…S. A. B. : En effet, des thèmes peu étudiés nedemandent qu’à être développés. Ainsi, l’étudedes rites funéraires est en pleine expansion.Depuis peu, l’archéologie touche aussi au passétrès récent, avec la fouille de charniers vieux dequelques années, de ruines industrielles oud’épaves de navires. Par ailleurs, beaucoup desujets sont encore débattus : le peuplement del’Ancien Monde par les premiers hommesmodernes, la disparition de l’homme de Nean-dertal, la ou les dates d’arrivée des hommessur le continent américain… pour ne citer qu’uneinfime partie de tous les problèmes du passé quirestent encore à élucider.

Quels sont les enjeux majeurs pour lesprochaines années, voire les prochainesdécennies?S. A. B. : Il s’agit tout d’abord de rééquilibrer lenombre d’archéologues spécialistes et généra-listes : la discipline manque cruellement d’ar-chéologues généralistes, avec une vaste culturehistorique, capables de faire la synthèse des don-nées. Ensuite, il est essentiel que les fouilles enFrance ne se limitent pas à des motivations scien-tifiques dictées par les hasards des aménage-ments du territoire. Rappelons que, depuis lalégitimation de l’archéologie préventive en 2001,les archéologues sont susceptibles d’interveniravant le début de chantiers pour sauver de ladestruction des vestiges contenus dans le sous-

sol3. Enfin, la présence de nombreux archéolo-gues français à l’étranger joue un rôle diploma-tique indéniable. Ce qui est plutôt positif, carl’archéologie apparaît ainsi comme une disci-pline “utile”. Toutefois, il est impératif de pré-server des niches scientifiques qui ne seraient pasforcément rentables ou utiles, mais qui per-mettent tout simplement de repousser les fron-tières de la connaissance de notre passé. L’en-gagement du CNRS dans le domaine del’archéologie n’en est que plus important.

Propos recueillis par Géraldine Véron

1. Les Racines du monde. Entretiens avec Claude-HenriRocquet, André Leroi-Gourhan, Belfond, 1982.2. Unité CNRS / Ministère de la Culture et de la Communication.3. Lire « Sous les chantiers, l’histoire », Le journal du CNRS, n° 242, pp. 32-33.

Ô En savoir plus : Les informations sur le colloque L’Archéologie en mouvement :hommes, objets et temporalités sont disponibles sur le sitewww.cnrs.fr/inshs/recherche/archeo-en-mouvement.htm À noter : le colloque sera retransmis en direct sur le sitehttp://webcast.in2p3.fr/2010/archeomouv

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Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

CONTACTÔ Sophie Archambault de Beaune Institut des sciences humaines et sociales, [email protected]

INSITU

ANNIVERSAIRE

Anciens et amis du CNRS : vingt ans de rayonnement

L e 2 juin, au siège du CNRS, àParis, l’ambiance était à la fête.L’Association des anciens et

des amis du CNRS y a célébré ses20 ans, sous l’égide du présidentdu CNRS, Alain Fuchs. L’occasionde rappeler les origines et les acti-vités de l’association. C’est le 23 avril1990 que François Kourilsky, à latête du CNRS de 1988 à 1994, etCharles Gabriel, directeur du per-sonnel et véritable mémoire vivantede l’établissement, signent l’acte denaissance de l’Association desanciens et des amis du CNRS, bap-tisée Rayonnement du CNRS. Sesobjectifs ? Maintenir le contact« entre toutes les personnes, chercheurs,ingénieurs, techniciens et administra-tifs à la retraite ou encore actifs, qui ontmené tout ou partie de leur carrièreau CNRS, et de fait contribuer à la

visibilité de la recherche scientifiqueen France et à l’étranger », expliqueson président, Edmond Lisle.En deux décennies d’existence, l’asso-ciation, forte de près de 2000 adhé-rents, a évolué sur plusieurs fronts.Pêle-mêle, on peut citer sa revuequi, au fil des ans, s’est étoffée pourdevenir un outil d’information scien-tifique auprès d’un très large publicfrançais et étranger1, la création d’unsite Internet2, avec l’amorce d’uneversion anglophone ou encore l’im-plantation de réseaux à l’étranger,Chine et Brésil en tête.À quoi s’ajoutent les actions sur leterrain. « Le CNRS a une vraie perti-nence pour répondre aux questionne-ments du grand public sur les nano-technologies, les cellules souches ou legénie génétique », estime EdmondLisle. Forts de leurs compétences et

de leur disponibilité, les bénévoles,issus de tous les domaines de recher-che, proposent des conférencespubliques ainsi que des visites etdes ateliers scolaires, dans le cadrede l’Action pédagogique d’éveil à lascience. Leur point fort est d’appor-ter aux côtés des enseignants leurpropre expérience de chercheurs.Reste une grande mission : élargir lerayonnement du CNRS au-delà denos frontières. Encore faut-il mobi-liser les chercheurs étrangers qui,durant ces vingt-cinq dernièresannées, sont venus en France, puissont repartis chez eux. Plusieurscentaines d’entre eux ont déjà étécontactés via les bureaux du CNRS à l’étranger et, surtout, les voyagesque l’association organise. Les résul-tats les plus encourageants viennentde Chine, où le dynamisme de la

recherche promet de belles collabo-rations. « Nous avons pu reprendrecontact avec une centaine de chercheurs,dont une partie occupent aujourd’huides postes clés dans leur pays », indiqueEdmond Lisle. D’ailleurs, certainsd’entre eux pourraient prochaine-ment intégrer un programme franco-chinois lancé avec un laboratoire dessciences de l’environnement. Aprèsvingt ans d’existence, le dynamismede l’association n’a pas faibli.

Patricia Chairopoulos

1. Précisons que l’adhésion à l’associationpermet de recevoir Le journal du CNRS.2. www.rayonnementducnrs.com,www.anciens-amis-cnrs.com

CONTACTÔ Claudius MartrayAssociation des anciens et des amis du CNRS, Paris [email protected]

Les sites industriels commencent à être étudiés par les archéologues,telle cette soierie construite vers 1860 en Isère.

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Entre 1781 (année où Kant publie sa Critique de la raison pure et Haydncompose ses Six quatuors, op. 33) et 1972 (année de la démolition dudernier immeuble américain construit par le Bauhaus), s’écoulent deuxsiècles de transformations. Lauréat du Coup de cœur de l’AcadémieCharles-Cros pour son livre La Musique, architecture du temps, l’auteur

confronte la grande trajectoire historique de Haydn à Schönberg (relayée par Liszt, Wag-ner et Mahler) à une modernité décentrée où s’affirment des individualités fortes, au-delàde toute causalité historique directe (Schubert, Berlioz, Debussy, Stravinsky, Boulez, Stock-hausen). La méthode privilégiée ici reste la constante référence à différentes œuvres pré-cises de ces créateurs et leur mise en regard avec les commentaires qu’elles ont susci-tés (Adorno, Deleuze, Hegel, Nietzsche, Schopenhauer…). Un ouvrage de référence.

François Decarsin, L’Harmattan, coll. « Arts et sciences de l’art »,avril 2010 – 18 €.

GUIDE Livres38

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Les plantes à caféine – café, thé,cola, guarana, maté – font, sousdiverses formes, l’objet d’une impor-tante consommation : il se boit cha-que année en France 30 milliardsde tasses de café, beaucoup de théet de colas divers. Cet engouementest-il dû à la caféine?Oui, indiscutablement, mais pasexclusivement. La caféine est abon-dante dans le café, dans le thé oùelle est parfois appelée théine, dansles colas (Coca-Cola, Pepsi…), dansle Red Bull, etc. Mais le végétal fabrique aussi, aux côtés de lacaféine, deux autres substances trèsapparentées : la théophylline (dans le thé) et la théobromine (dans lecacao), étymologiquement “nourri-

ture des dieux”. Il est une troisièmesubstance très voisine, la paraxan-thine, que le végétal ne sait pas pro-duire, mais que le foie des mammifè-res, dont celui de l’homme, élabore àpartir de la caféine. C’est un phéno-mène heureux chez ceux d’entrenous qui fabriquent cette substanceà haute dose, car elle est anxiolytique,alors que la caféine, elle, est anxio-gène. Ceux qui ne “supportent pas”le café sont en fait des individus quiont une faible aptitude à fabriquercette paraxanthine à partir de lacaféine. Ils se rabattent alors volon-tiers sur le thé, pourtant non dépourvude caféine, mais dont les effetsanxiogènes se trouvent réduits parla présence d’une autre substance,

la théanine. Toutes ces substances(hormis la théanine), réunies sous levocable de méthylxanthines, s’oppo-sent à des degrés divers aux effetssédatifs et hypnotiques de l’adéno-sine, une autre substance présentedans l’organisme.

Les effets de nos boissons favoritesse résument-ils à ceux de leursméthylxanthines?Non, parce que d’autres substancesaccompagnent ces méthylxanthineset développent des effets variés, par-fois même contradictoires. La résul-tante dépend de leurs proportionsrelatives, en relation avec les varié-tés végétales, le climat, le terrain, lemoment de la récolte, le traitementultérieur (séchage, torréfaction…).J’aime dire : « Végétal varie, bienfou qui s’y fie! » Parmi les compar-ses des méthylxanthines, citons les polyphénols, qui protègent des“espèces réactives de l’oxygène”,cet oxygène indispensable à la vie,mais qui la consume, nous oxyde et nous fait “rouiller”. Évoquonsaussi les diterpènes présents dansl’”huile” de café, qui irisent la sur-face du café préparé à la turque ouà la scandinave et qui ont pour effetmalencontreux d’accroître la teneurdu sang en cholestérol.

Outre les aspects historiques etbotaniques, ainsi que les aspectsbiologiques et pharmacologiques,vous traitez des relations de cesboissons avec les pathologieshumaines. Est-ce pour le meilleurou pour le pire?Ces boissons développent une addic-tion manifeste, mais sans graveinconvénient, avec souvent beau-coup d’avantages. Ce qui nous a inci-tés à commettre l’oxymore “bonnesdrogues“, car, dans nombre depathologies, leurs effets bénéfiquesl’emportent de très loin sur leurseffets délétères. Il en est ainsi notam-ment pour l’asthme, la maladie deParkinson et la maladie d’Alzheimer.Leur rapport bénéfice/risque, para-mètre cher aux pharmacologues,s’avère fréquemment très favorable.M’inspirant d’Alphonse Allais, per-mettez-moi de conclure que le caférespecte le sommeil de ceux quis’abstiennent d’en boire… Pourtant,réduire avec lui la durée du sommeil,n’est-ce pas prolonger le temps devivre pleinement, intensément?

Propos recueillis par A. L.

Jean Costentin et Pierre Delaveau sont membres de l’Académie de médecineet de l’Académie de pharmacie. Jean Costentin est, par ailleurs, professeurde pharmacologie à la faculté de médecine et de pharmacie de Rouen et directeur de l’unité de neurobiologie clinique du CHU Charles-Nicolle.

3 questions à…Jean CostentinCafé, thé, chocolatLes bienfaits pour le cerveau et pour le corpsPr Jean Costentin et Pr Pierre Delaveau, Odile Jacob,mai 2010, 270 p. – 23,90 €.

Les Monuments sont habités

Se fondant sur une quinzaine d’études de cas (Glacière duPalais des papes d’Avignon, bibliothèque François-Mitterrand,habitations troglodytes de Matera…), ce livre étudie les rela-tions « étranges » existant entre le monument et les popula-tions qui vivent autour de lui ou le visitent. L’apparition d’unnouveau champ d’investigation, celui des « émotions patri-moniales », où se développe, davantage que l’histoire dumonument, celle de son existence sociale. Un ouvrage ori-ginal, illustré de dessins réalisés à partir de photographies,de plans, de cartes postales et de gravures.

Daniel Fabre et Anna Iuso (dir.), illustrationsd’Élisabeth Mazauric, Éditions de la Maison dessciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France »,cahier 24, avril 2010, 335 p. – 23 €.

La Modernité en question Deux siècles d’invention musicale 1781-1972

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GUIDE 39

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

Franz Kafka Éléments pour une théorie de la création littéraire

Revendiquant le franchissement des frontières disciplinaires que privilégientcertains historiens de l’art, le sociologue Bernard Lahire tente de dégager les« structures d’expérience » de Kafka (reconstruction de ses différentes socia-lisations : familiale, scolaire, professionnelle, religieuse, sentimentale…) tel-les qu’elles sont transposées dans son œuvre. Cette biographie “sociologi-que” n’a rien de commun avec une biographie anecdotisante, car il s’agit icide mettre en relation les structures biographiques avec les structures tex-tuelles, ce qui permet d’esquisser une théorie de la création littéraire transférable à d’autres écrivains.

Bernard Lahire, Éditions La Découverte, coll. « Textes à l’appui /Laboratoire des sciences sociales », avril 2010, 633 p. – 27 €.

Vers 1785 furent publiés, sous le titre Cabi-net des fées et en une forme encyclopédi-que, tous les contes féeriques. Après Per-rault, Crébillon, Fénelon…, les éditionsHonoré Champion proposent ici, sous l’inti-tulé Bibliothèque des génies et des fées,l’intégralité des contes de Thomas-SimonGueullette (Paris 1683-Charenton 1766), per-sonnalité singulière du monde des lettresdu XVIIIe siècle, dramaturge, juriste, biblio-phile et grand orientaliste. La plupart de cescontes étaient restés inédits depuis le Cabi-net des fées. Très attendue par les spécia-listes et les amateurs du conte oriental à lafrançaise, cette édition met en évidencel’originalité de Gueullette, dont on a pu direqu’il y avait, dans la littérature romantique,un “moment Gueullette”. Une rareté.

Contes Thomas-Simon GueulletteVol. I : Les Soirées bretonnes. Les Milleet Un Quarts d’heure, contes tartares.Vol. II : Les Aventures merveilleuses dumandarin Fum-Hoam, contes chinois.Les Sultanes de Guzarate, ou les Songesdes hommes éveillés, contes mogols.Vol. III : Les Mille et Une Heures, contespéruviens. Édition critique établie sousla direction de Jean-François Perrin,Honoré Champion, coll. « Sourcesclassiques », n° 94, 2010, 2 389 p. – 370 €.

Historiens, botanistes, anthropologues signent ici un sérieux avertissement contrela mise en péril des « forêts sacrées » des savanes d’Afrique de l’Ouest. Ces îlots

de végétation naturelle ont été jusqu’ici préservéspour des raisons religieuses et identitaires, car ilss’inscrivent dans l‘histoire des sociétés concernéesdont ils participent à la vie de chaque jour. Cet ouvrageremarquable apporte des éléments de réponses àdeux grandes questions : que représentent ces forêtssacrées pour leurs habitants et leurs systèmessociaux? Ces territoires peuvent-ils être encore consi-dérés comme des conservatoires de la biodiversité?

Forêts sacrées et sanctuaires boisésDes créations culturelles et biologiques (Burkina Faso, Togo, Bénin)Dominique Juhé-Beaulaton (dir.), Karthala, coll. « Hommes et sociétés »,avril 2010, 380 p. – 25 €.

Présenté par un des plus grands spécialistes actuels de la mémoire,Endel Tulving, cet ouvrage propose la première synthèse des connais-sances actuelles, dans le champ de la neuropsychologie et desneurosciences cognitives, sur la mémoire humaine et ses troubles(syndrome amnésique, amnésie psychogène et maladies neurodé-génératives, dont l’Alzheimer). L’objectif est de faire connaître cesmaladies, mais aussi de permettre de comprendre la structure et lefonctionnement de la mémoire tout au long de la vie, chez l’enfantcomme chez la personne âgée. S’appuyant sur les apports de l’ima-gerie cérébrale – qui permettent par exemple aujourd’hui de visua-

liser in vivo les différentes étapes de la formation d’un souvenir –, cet ouvrage fondamental met en évidence une nouvelle théorie, mnêsis, qui met en synergie les différentes composantes de la mémoire. L’ouvrage est complété par un cahier couleurs d’œuvres de patients et d’artistes.

Francis Eustache et Béatrice Desgranges, préface d’EndelTulving, Éditions Le Pommier, coll. « Essais et documents »,juin 2010, 528 p. – 29 €.

L’Océan planétaire

Sans équivalent en français, particulière-ment fouillé et agrémenté de nombreusesillustrations en couleurs, ce livre répond à denombreuses questions en constituant à lafois un document d’initiation aux propriétés

physiques de l’océan et un ouvrage d’océanographie régionale deréférence. À travers une approche tout aussi précise que globale etaprès un bref historique, il explique la spécificité de chaque bassinocéanique ainsi que son interaction et son rôle dans le fonctionne-ment de l’océan planétaire. L’auteur parvient également à insuffler à son objet d’étude – l’océan et ses mers marginales – la grâce poé-tique qui atteint tout homme qui contemple les flots.

Michèle Fieux, illustrations de ChantalAndrié, préface de Jean-FrançoisMinster, Les Presses de l’Ensta, coll.« Les cours », avril 2010, 421 p. – 70 €.

Les Chemins de la mémoire

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GUIDE Livres40

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

AUTRES PARUTIONS

Dirigée par Serge Paugam,cette nouvelle revue, dont voicile premier numéro, est résolu-ment « une revue de sociologieouverte, qui ne se revendiqued’aucune école théorique ouméthodologique ». Diffusée enversion papier, elle est aussi dis-ponible en ligne via des portailsde revues (www.revues.org etwww.cairn.info/).

PUF, avril 2010, 175 p. – 20 €.

SOCIÉTÉ, DROIT ET RELIGION, N° 1Thierry Rambaud (dir.), CNRS Éditions,avril 2010, 220 p. – 25 €.

TÉLÉVISION, N° 1. Télévision et réalitéFrançois Jost (dir.), CNRS Éditions,mars 2010, 208 p. – 25 €.

Cette revue est la première revue fran-cophone consacrée à la télévision. Le sujet du dossier de ce numéro : leconcept de réalité, tel qu’employéaujourd’hui dans la téléréalité par cer-taines chaînes qui, loin de se contenterd’être une fenêtre sur le monde, préten-dent modifier celui-ci « pour le rendreplus perceptible » au téléspectateur.

LES 100 MOTS DE LA SOCIOLOGIESerge Paugam (dir.), PUF, coll. « Quesais-je? », avril 2010, 128 p. – 9 €.

LES MAINS DANS LES ÉTOILES.Dictionnaire encyclopédiqued’astronomie pour la langue des signes française (LSF)Dominique Proust (dir.), Daniel Abbou,Nasro Chab, Yves Delaporte, CaroleMarion et Blandine Proust, Burillier,avril 2010, 360 p. + atlas – 29,95 €.

LA VALEUR DE LA VIEMarie Gaille, Les Belles Lettres, coll.« Médecine et sciences humaines »,avril 2010, 184 p. – 21 €.

FRAGMENTS D’IDENTITÉ FRANÇAISEJean Viard, avec des interventions de Jacques Le Goff et de Marc Pottier,L’Aube, coll. « Monde en cours-Essais »,avril 2010, 240 p. – 21 €.

HISTOIRE DE L’IDENTIFICATION DES PERSONNESIlsen About et Vincent Denis, La Découverte, coll. « Repères », n° 553, avril 2010, 128 p. – 9,50 €.

MATIÈRE ET MATÉRIAUX.De quoi est fait le monde?Étienne Guyon (dir.), Alice Pedregosa et Béatrice Salviat, Belin, coll. « Pour la science », avril 2010, 336 p. – 27,50 €.

OBJETS D’AFFECTION.Une ethnologie de l’intimeVéronique Dassié, Éditions de CTHS, coll. « Le regard de l’ethnologue », n° 22, avril 2010, 368 p. – 28 €.

LES NOUVELLES ADOLESCENTESMichel Fize, Armand Colin, coll. « 25 Questions décisives », avril 2010, 160 p. – 12,90 €.

LA FIN DU COURAGE.La reconquête d’une vertudémocratiqueCynthia Fleury, Fayard, coll. « Essais »,mars 2010, 208 p. – 14 €.

NAISSANCE DES DIVINITÉS,NAISSANCE DE L’AGRICULTUREJacques Cauvin, CNRS Éditions,mars 2010, 310 p. – 10 €.

L’ASSASSIN DES ÉCHECS ET AUTRESFICTIONS MATHÉMATIQUESBenoît Rittaut, Éditions Le Pommier, coll. « Poche », juin 2010, 256 p. – 8 €.

Retrouvez les publications de CNRS Éditionssur le site : www.cnrseditions.fr

D’origine allemande, protestant et négociant en grains et en cognac, Jacob Lam-bertz (1733-1813) fait partie des personnalités de la ville de La Rochelle et, en par-fait honnête homme des Lumières, il a une passion : la météorologie. Prenant appuisur son Journal dans lequel sont consignées sur un ton plaisant les variations du tempset celles du prix du cognac, quinze historiens font revivre La Rochelle à une périodemarquée par de multiples changements – dont la Révolution – et inscrivent dans une

perspective historique les mutations actuelles de notre société, particulièrement celles liées au changementclimatique. Un angle atypique pour aborder un thème récurrent.

Emmanuel Garnier et Frédéric Surville (dir.), préface d’Emmanuel Le RoyLadurie, Le Croît vif, avril 2010, 576 p. – 35 €.

À rebours de l’abondante littératureconsacrée à l’adolescence, cet ou-vrage propose un regard optimiste enconsidérant cette dernière pour ce

qu’elle est d’abord : une période d’expérimentation de l’auto-nomie et de découvertes. Il s’adresse aux décideurs publicset aux acteurs locaux, car « mieux appréhender l’adoles-cence peut permettre, à coup sûr, de mieux comprendre lesnouvelles modalités de l’“être ensemble” et, ainsi, de repen-ser nos villes ». S’appuyant sur les résultats d’une démarcheprospective auprès d’adolescents du Val-de-Marne, il analyseleurs pratiques culturelles, leurs relations amicales et fami-liales, leur gestion du temps, leur apprentissage de la mobi-lité et dresse une cartographie urbaine où l’on devine l’esquissepossible d’une ville de demain.

Guillaume Macher, préface deFrançois de Singly, Les Carnets de l’info, coll. « Modes de ville »,mars 2010, 264 p. – 17 €.

Trois marins pour un pôle

En 1900, on ignorait encore si les pôlesétaient sur terre ou en pleine mer… En 1959,un traité international faisait de l’Antarctiquele « continent de la paix et de la science »sans appartenance à aucun pays. Un océa-nographe revisite ici trois expéditions devéritables marins, Roald Amundsen, RobertFalcon Scott et Nobu Shirase. De cesfameuses expéditions, certains ne revin-rent jamais. Le récit, toujours passionnant,de ces trois odyssées est un hommage àl’immensité des exploits de ces hommes euégard aux moyens rudimentaires dont ilsdisposaient pour affronter tempêtes, ice-bergs et glaces antarctiques. Des dessinsoriginaux et de nouveaux documents pho-tographiques viennent appuyer le propos.

Paul Tréguer, Éditions Quæ, avril 2010,145 p. – 26 €.

Sociologie2010, n° 1, vol. I

L’Adolescence, une chance pour la ville

Climat et révolutions. Autour du Journaldu négociant rochelais Jacob Lambertz (1733-1813)

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GUIDE 41

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

EXPOSITIONS

Qumrân. Le secret desmanuscrits de la mer MorteJusqu’au 11 juillet 2010, Bibliothèque nationale de France, Paris (XIIIe).Tél. : 01 53 79 49 49 – www.bnf.fr

Jusqu’au 1er août 2010, Muséum d’histoirenaturelle de Grenoble (38).Tél. : 04 76 44 05 35– www.museum-grenoble.fr

MYTHIQUE PRÉHISTOIREJusqu’au 31 janvier 2011, Musée départemental de préhistoire de Solutré (71). Tél. : 03 85 35 85 24 –www.musees-bourgogne.orgJe suis à moitié nu, très poilu, avec de longscheveux et j’ai une massue comme arme… Qui suis-je? Un cliché de l’homme préhistoriqueauquel s’attaque cette exposition. Maquettes,tableaux, objets archéologiques, affiches,sculptures et films permettent de démonter les idées reçues sur l’homme préhistorique et de comprendre l’apparition de ce mythe.

Rubrique réalisée par Marion Papanian

ET AUSSI

Il y a un peu plus de soixante ans, sept rouleaux de cuirrédigés en hébreu étaient découverts par deux Bédouinsdans une grotte de Qumrân, en Cisjordanie. Le site futalors rapidement envahi par des Bédouins, archéologues,déchiffreurs de textes et explorateurs à la recherche d’au-tres trésors historiques. Ainsi, entre 1947 et 1956, plus de900 manuscrits rédigés en hébreu, en araméen et en grec,vieux de 2 000 ans, furent retrouvés dans les onze grottesbordant la mer Morte. Il s’agit des plus anciens témoinsde textes ayant donné naissance à la Bible. Mais quelleest l’origine de ces manuscrits? Pourquoi étaient-ils pré-sents dans ces grottes? À qui appartenaient-ils? L’expo-sition qui présente plus de 130 pièces (fragments demanuscrits et objets archéologiques), issues des collec-tions de la BNF, du Musée d’Israël de Jérusalem, du Lou-vre et du musée Bible et Terre sainte, restitue les contex-tes historique, géopolitique et scientifique de la découverteet revient sur les enjeux scientifiques actuels d’un demi-siècle de recherches auxquelles ont participé des cher-cheurs du CNRS. À noter la participation de deux d’entreeux, Katell Berthelot et Émile Puech, à l’ouvrage éditépour l’occasion par la BNF.

En Amérique du Sud, le bassin amazonien, vaste de 7 millions de km2, est un lieu où coha-bitent hommes, animaux et végétaux. Cette exposition s’intéresse en particulier à troispeuples – les Karajas, les Kayapos et les Zo’es –, à leurs pratiques culturelles, socia-les et éducatives et à leurs relations avec leur environnement. Sur 300 m2, découvrezleur univers, ainsi que, plus généralement, l’art du corps (peintures, tatouages, perfo-rations…) et de la plume des Indiens d’Amazonie. Films, conférences et ateliers accom-pagnent l’exposition, qui s’inscrit dans le cadre de l’Année internationale de la biodi-versité. Une occasion de rappeler les dangers pesant sur celle de la forêt amazonienne.

Une nécropole caucasienne de l’âge de fer, un vase représentant le dieu égyptienDouamoutef ou encore un bouddha de Thaïlande… Les objets présentés dans cette expo-sition illustrent les rituels funéraires et les croyances associées à la mort de différentspeuples (Égyptiens, Chinois, Aborigènes, Kanaks, etc.) depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.Comment chaque civilisation compose-t-elle avec la mort? Comment notre rapport àla mort évolue-t-il aujourd’hui? Des questions auxquelles tente de répondre cette expo-sition hors les murs mise en place par le Musée des confluences.

Jusqu’au 14 novembre 2010, Musée gallo-romain, Saint-Romain-en-Gal (69).Tél. : 04 74 53 74 01 – www.museedesconfluences.fr

Désirs d’éternité, rituels pour l’au-delà

Le 1er avril dernier, une soucoupe volante était décou-verte dans le parc de la Cité de l’espace. Dans un décorinspiré de la bande dessinée, le scénario invite levisiteur à se préparer à la rencontre avec les extrater-restres. Du centre de la Terre au vaisseau spatial enpassant par une base secrète, partez à la découvertede la vie dans les milieux extrêmes, des exoplanètes et des nouvelles formes de vie intelligente. Ces troisnouvelles zones d’expo-sition sont égalementaccompagnées de laprojection sur un écrangéant de Hubble 3D, ainsique du film de planéta-rium Sommes-nous seulsdans l’univers? et d’évé-nements ponctuels toutau long de l’année.

Exposition permanente, Cité de l’espace,Toulouse(31).Tél. : 0 820 377 223 – www.cite-espace.com

Extraterrestres. Êtes-vous prêt à la rencontre?

Fac-similé durouleau d’Isaïe.Composé de17 feuilles de parchemin, le Livre d’Isaïemesure environ7 mètres de long.

BIODIVERSITÉ :HOMMAGE À UNE LIMACE DISPARUEJusqu’au 2 janvier 2011, Muséum-Aquariumde Nancy (54). Tél. : 03 83 32 99 97 –www.man2.uhp-nancy.frC’est une réalité, la limaceArion simrothi a récemmentdisparu! Et ce, dans l’indifférence générale.Cette exposition lui rend hommage, ainsi qu’àtoutes les espèces en danger qui ne figurent pas parmi les stars de la biodiversité tels l’oursblanc, le panda, l’éléphant, le thon rouge… À visionner sur le parcours, un extrait du film Des chercheurs, des insectes et des plantes,de Marcel Dalaise, produit par CNRS Images.

Guetteurs d’avenir,peuples d’Amazonie

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Les San, peuple d’Afrique du Sudaujourd’hui disparu, ont laissé derrièreeux des milliers de peintures et de gra-vures qui témoignent de la richesse dupatrimoine d’art rupestre africain. Desscientifiques français et sud-africains ontanalysé, in situ, les pigments de ces pein-tures à l’aide d’un spectromètre Raman.

Cette technique d’analyse, qui ne détériore pas l’œuvre, devrait permettre derecueillir des informations sur la création et la symbolique des sujets peints.

Film de Luc Ronat, produit par CNRS Images (2010, 32 min).Conseillers scientifiques du CNRS : Philippe Colomban,Cécile Paris et Jean-Loïc Le Quellec. Prix : 20 € pour un usage privé,45 € pour un usage institutionnel.Tél. : 01 45 07 59 69 –[email protected]

FILM

Peintures San en lumière

Quelle est l’histoire des espèces humaines qui ont peuplé le continent euro-péen? Comment ont-elles façonné les différentes sociétés européennes d’au-jourd’hui ? Voyagez à travers les grandes étapes culturelles, économiques,politiques, religieuses, artistiques et techniques qui ont fondé l’identité despeuples européens en Grèce, en Finlande, au Portugal, en Espagne, enEurope centrale, en Pologne et dans les îles Britanniques. Grâce aux der-nières recherches scientifiques et à un scénario original, plongez dans ledestin de l’homme de Neandertal et de l’Homo sapiens, entre – 1,8 milliond’années à – 20 000 ans. Puis, de – 20 000à – 2 500 ans, découvrez comment lesévolutions et les mutations ont transforméun monde de chasseurs-cueilleurs en unmonde de sédentaires.

Diffusion le samedi 5 juin à 16h45 et à 17h30 sur Arte (2 x 43 min).À visionner pendant une semaine sur http://plus7.arte.tv Un documentaire en deux parties, réalisé par Alex Clévenot.Produit par Arte GEIE, INA, CNRS Images, Inrap et Images Plus.

TÉLÉVISION

Les Premiers EuropéensConférence d’Amina-Aïcha Malek, chercheuse CNRS au laboratoire d’Archéologies d’Orient et d’Occident et textes anciens (Aoroc).

Lundi 7 juin 2010 à 12h30, Auditorium du musée du Louvre,Paris (Ier).Tél. : 01 40 20 55 55 – www.louvre.fr

CONFÉRENCE

Récentes découvertes dans la capitalede la Numidie, Lambèse (Algérie)

Festival Agora

Le prototype est à l’honneur pour cette treizième édition du festivalAgora mise en place par l’Ircam. Spécialisé dans les domaines acous-tiques et musicaux, cet institut possède un laboratoire de recherche

commun avec le CNRS, orga-nisme partenaire du festival. À travers la programmation deconcerts, de films et de specta-cles, le public assistera à la ren-contre entre l’invention artisti-que et l’imaginaire scientifique.Le système Wave Field Synthe-sis (WFS ou synthèse de frontd’ondes), qui équipe l’espace deprojection de l’Ircam et permetla synthèse d’hologrammessonores, témoigne bien de ceconcept. L’Ombre double, la der-nière création de la chorégra-phe Odile Duboc, une artistereconnue dans le milieu de ladanse française et décédée trèsrécemment, sera égalementprésentée lors du festival.

Du 7 au 19 juin 2010, Paris (75).Tél. : 01 44 78 48 16 – http://agora.ircam.fr/

L’ÉVÉNEMENT

Un monde vivant. Histoires de biodiversité

PODCASTS

Réalisation de Sophie Bensadoun. Direction scientifique de FranckCourchamp, du laboratoire Écologie, systématique et évolution(Unité CNRS/ Université Paris-XI). Produit par CNRS Images.www.cnrs.fr/biodiversite2010/

Six chercheurs issus de différentes disciplines – paléontologie, économie,écologie, biologie de la conservation, philosophie et ethnologie – se relaie-ront à partir du mois de juin dans une collection de podcasts vidéo (19 x 3 minenviron) pour nous parler de la biodiversité, de sa valeur ou encore de l’ex-tinction et de la conservation des espèces. Ces films courts tournés enpleine nature et illustrés d’archives seront mis en ligne sur le site du CNRS.

EN LIGNE

www.criminocorpus.cnrs.fr/bertillon/entree.html

Figure emblématique de la police scientifique, AlphonseBertillon (1853-1914) est considéré comme le fondateur del’anthropométrie criminelle, de la photographie signalétiqueet de la criminalistique, des méthodes policières d’identification. Le siteInternet Criminocorpus, du CNRS, un portail sur l’histoire de la justice, descrimes et des peines, met en ligne une exposition virtuelle, richement illus-trée et documentée, consacrée à l’histoire de la police d’identification à travers l’œuvre de ce personnage.

Le journal du CNRS n° 245 juin 2010

42 GUIDE

Bertillon et la police d’identification

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Trompe-l’œilHorreur! Un monstrueux serpent bedonnant à cause du copieux repas qu’il n’a pas encore digéré! Mais non… Il s’agit simplement d’un morceau de l’aile d’un papillon Epiphora albida croisé par les chercheurs du laboratoireÉvolution, génomes et spéciation, du CNRS, en mission en Ouganda. La remarquable parure de cet insecte d’une dizaine de centimètres évoque en effet la silhouette d’un serpent, de la tache noire faisant croire à un œil jusqu’aux détails suggérant des écailles ventrales. Ces signaux visuels de mimétisme sont souvent utilisés par les animaux, ainsi que par les plantes, afin d’effrayer ou de troubler un éventuel prédateur. Celui-ci se trouve alors complètement déconcerté lorsqu’il fait face, comme ici, à des yeux disposés de façon très offensive, et à une proie qui semble renverser les rôles… et devenir prédateur. C. Z.

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