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2,00 € Première édition. N o 10720 VENDREDI 6 NOVEMBRE 2015 www.liberation.fr IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA. A nos lecteurs Exceptionnellement aujourd’hui, le logo de Libération a changé de couleur. La raison en est simple : le journal s’associe à l’Institut Curie dans sa recherche de soutiens pour la recherche contre le cancer, œuvre à la fois précieuse et urgente. Crash enEgypte L’Etat islamique dansle viseur L’hypothèse d’un attentat à la bombe se confirme: Paris met en garde, Londres va rapatrier ses ressortis- sants de Charm el-Cheikh, et Moscou se venge en frappant les bases du califat en Syrie. Un débris de l’Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet, dans le Sinaï. PHOTO MAXIM GRIGORYEV. ITAR TASS. PANORAMIC Prêts toxiques : Le témoignage d’une cadre qui accable BNP Paribas-PF ENQUÊTE, PAGES 12-15 PAGES 2-5

Journal LIBE Du Vendredi 6 Novembre 2015

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2,00 € Première édition. No 10720 VENDREDI 6 NOVEMBRE 2015 www.liberation.fr

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA.

A nos lecteurs Exceptionnellement aujourd’hui, le logo de Libération a changé de couleur. La raison en est simple : le journal s’associeà l’Institut Curie dans sa recherche de soutiens pour la recherche contre le cancer, œuvre à la fois précieuse et urgente.

Crashen Egypte

L’Etatislamiquedans leviseurL’hypothèse d’un attentatà la bombe se confirme :Paris met en garde, Londresva rapatrier ses ressortis-sants de Charm el-Cheikh, etMoscou se venge en frappantles bases du califat en Syrie.

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Prêts toxiques: Le témoignage d’une cadrequi accable BNP Paribas-PF ENQUÊTE, PAGES 12-15

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2 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

Crash dans le Sinaï : un drame

Enquête Londres et Washingtonappuient la piste terroriste, Moscou

et Le Caire parlent de «spéculations».Tour d’horizon d’une tragédie

devenue un bras de fer diplomatique.

Après le crash de l’Airbus A321de la compagnie russe Me-trojet dans le désert du Sinaï,

qui a fait 224 morts samedi, la ver-sion de l’attaque terroriste –l’explo-sion d’une bombe àbord de l’appareil peuaprès le décollage –semble s’imposer. «A la lumière denouvelles informations, nous avonsdes craintes que la chute de l’avionait été provoquée par un engin explo-sif», a déclaré mercredi soir un por-

Des débris de l’Airbus A321 dimanche dans le Sinaï, le lendemain du drame qui a causé la mort de 224 personnes. La dispersion des restes de l’avion laisse supposer l’explosion

te-parole du Premier ministre bri-tannique, David Cameron. Dans lafoulée, le Royaume-Uni a suspendu«par précaution» les vols vers et de-puis Charm el-Cheikh, et Paris a dé-

conseillé de s’y rendre.Mais, malgré les décla-rations faites dans ce

sens par les renseignements améri-cains et britanniques, les autoritéségyptiennes et russes refusent tou-jours de prendre au sérieux les re-vendications de l’Etat islamique.

DÉCRYPTAGE

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 3

aérien, Rosaviatsia. Les informa-tions contenues dans les deux boîtesnoires ont été récupérées et aiderontà retracer le fil des événements.Dans le cas du crash du vol MH17, enUkraine, abattu le 17 juillet 2014 parun missile sol-air, le cockpit voice re-corder, enregistreur phonique quicapte l’environnement acoustiquedu poste de pilotage, avait détecté lebruit de l’explosion, rappelle Jean-Paul Troadec. Enfin, les analyses desdébris et les autopsies des corps, et

notamment la recherche de tracesexplosives, permettront de confir-mer l’hypothèse de l’explosion, voirecelle de la présence d’une bombe.

La thèse de l’attentatest-elle sérieuse ?D’heure en heure, ce qui n’étaitqu’une hypothèse parmi d’autressemble se renforcer. Mercredi soir,au moment de l’annonce de la sus-pension des vols britanniques verset en provenance de Charm el-Cheikh, le ministre britannique desAffaires étrangères, Philip Ham-mond, parlait d’une «possibilitésignificative» que le crash de l’avionrusse soit la conséquence d’unattentat.Jeudi, après avoir présidé un comitéCobra, une réunion d’urgence deson cabinet, le Premier ministre Da-vid Cameron a été bien plus loin.«Cela semble deplus en plus pro-bable», a-t-il dit.Le Premier mi-nistre s’appuiesur des informa-tions alarmantes«reçues par lesservices de ren-seignement». El-les pourraientêtre liées aux dé-clarations d’un offi-ciel des autorités amé-ricaines qui a affirmé àl’agence américaine AssociatedPress que l’interception de commu-nications avait permis d’«acquérirune première certitude» sur la possi-bilité qu’un membre de l’organisa-tion terroriste Etat islamique (EI)dans la péninsule du Sinaï ait pudéposer un engin explosif dansl’avion.Le gouvernement américain n’apas, pour le moment, réagi officiel-lement, mais a mis en garde ses res-sortissants contre tout déplacementvers Charm el-Cheikh. Par ailleurs,l’organisation terroriste Etat islami-que a à deux reprises affirmé êtreresponsable de l’explosion del’avion, sans en apporter la preuve.Il est en revanche certain que lesautorités britanniques ne se sontpas appuyées sur des informationsen provenance de l’enquête encours en Egypte sur le crash. Le chefde l’autorité de l’aviation civileégyptienne, Mahmoud el-Zanaty, aainsi expliqué que les investigationssur les deux boîtes noires étaient«toujours en cours». La boîte conte-nant les enregistrements desconversations du cockpit aurait ététrès endommagée et ne serait peut-être pas exploitable. Après avoirpartagé une partie des informationsqu’il détient avec des pays alliés,David Cameron a affirmé s’attendre

à ce que d’autres gouvernementsprennent des décisions similaires.

Pourquoi Londres asuspendu les vols deet vers Charm el-Cheikh?«Ma première priorité est la sécuritédes Britanniques», et les «décisionsque je prends sont liées à cette néces-sité», a expliqué David Cameron. Cesont donc 20 000 d’entre eux quisont désormais coincés à Charm el-Cheikh, en attente d’un rapatrie-ment qui «pourrait prendre quelquetemps». «Nous devons mettre enplace plus de sécurité dans cet aéro-port avant de rapatrier les person-nes», a dit le Premier ministre. Uneéquipe d’experts militaires britan-niques a été déployée à Charm el-Cheikh pour assister les autoritéségyptiennes dans les mesures decontrôle et de sécurité à l’aéroport,

ainsi que du personnelconsulaire et des ex-

perts en aviation.Les premiers ra-p a t r i e m e n t spourraient inter-venir ce ven-dredi. Le souve-nir du massacre,le 26 juin, de30 Britanni-

ques (sur 38 victi-mes) sur une plage

de Sousse, en Tunisie,par un membre de l’Etat

islamique reste vif. Londres n’avoulu prendre aucun risque et,comme il l’avait fait pour la Tunisie,a mis en garde ses ressortissantscontre tout voyage «non-essentiel»vers Charm el-Cheikh. Du coup,plusieurs tour-opérateurs, commeThomson Airways ou ThomasCook, ont d’ores et déjà annulé leursvoyages prévus jusqu’à «au moinsle 12 novembre».

Quelle est la réactiondu Caire ?Jeudi, devant le 10, Downing Street,sur le tapis rouge détrempé par lapluie, la poignée de mains entre Da-vidCameronetleprésidentégyptienAbdel Fatah al-Sissi fût on ne peutplus tiède, sans parler des souriresfranchement crispés. La premièrevisite officielle du président Al-Sissiau Royaume-Uni, déjà controverséeet assortie de manifestations impo-santes à Londres, s’est transforméeen un véritable casse-tête diplomati-que. Les autorités égyptiennes n’ontpas caché leur fureur face à une déci-sion jugée «largement prématurée».D’autant qu’elle a été prise unilatéra-lement, sans que le gouvernementégyptien soit prévenu. Le ministreégyptien des Affaires étrangères,Ahmed Abu Zeid, a ainsi déclaré à laBBC-Radio que la dé- Suite page 4

Nil

Le Caire

MerMediterranée

ÉGYPTE

SINAÏ

GAZAISRAËL

JORDANIE

Charm el-Cheikh

Lieu du crash

50 km

en six questions ParSONIA DELASALLE­STOLPER (à Londres),VERONIKA DORMAN (à Moscou)et RICHARD POIROT

Pourquoi avoir privilégiéla piste de l’explosion ?«L’explosion en vol est très probable,compte tenu de la dispersion des dé-bris au sol», assure à LibérationJean-Paul Troadec, ancien patrondu BEA, l’organisme français res-ponsable des enquêtes de sécuritédans l’aviation civile. Un avis par-tagé par plusieurs experts aéronauti-ques. «Les fragments se sont épar-pillés sur une grande surfaced’environ 20 km²», précisait en dé-

but de semaine un responsablerusse qui participe à l’enquête sur lazone du crash, aux côtés de spécia-listes français, allemands et égyp-tiens. Ce qui laisse supposer quel’avion ne s’est pas disloqué au mo-ment de l’impact avec le sol.«Toutes les indications dont nous dis-posons témoignent du fait que la dis-location de la structure de l’aviona eu lieu dans les airs, à haute alti-tude», a ajouté le directeur del’agence russe chargée du transport

d’une bombe en vol peu après le décollage de Charm el-Cheikh, en Egypte. PHOTO KHALED DESOUKI. AFP

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4 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

cision britanni-que «préjugeait des résultats de l’en-quête en cours».Outre le coup terrible porté à l’in-dustrie touristique en Egypte, déjàlargement fragilisée, le présidentAl-Sissi a dû subir l’humiliation des’entendre dire que la sécurité à l’aé-roport de Charm el-Cheikh était in-suffisante aux yeux des Britanni-ques et qu’elle devra être renforcéeavec l’aide des autorités britanni-

ques avant que la suspension desvols puisse être levée.

Pourquoi les Russespassent-ils sous silencela piste de l’attentat ?Les autorités russes appellent à nepas céder aux conclusions hâtives.«Toutes les versions sur ce qui s’estpassé et les raisons pour lesquellesc’est arrivé doivent être présentéespar les enquêteurs, et nous n’avons

entendu aucune annonce des enquê-teurs pour l’instant, a déclaré jeudimatin le porte-parole du Kremlin,Dmitri Peskov, lors d’une confé-rence de presse. Toutes les autresexplications ne sont que des spécula-tions.»Sans la passer sous silence, les chaî-nes de télévision fédérales cher-chent toujours à minimiser l’impor-tance de la version de l’attaqueterroriste. Le Kremlin semble retar-

der au maximum le moment où cel-le-ci viendra heurter frontalementl’opinion publique. C’est-à-dire lemoment où il faudra dire aux Rus-ses que les menaces proférées parles jihadistes au lendemain des pre-mières frappes russes sur la Syrien’étaient pas de veines paroles. Cer-tes, le pouvoir aurait pu décider detirer profit des allégations de l’EI,qui viendraient, à point, prouverson principal argument: c’est juste-

ment parce que l’EI représente uneréelle menace pour les Russes qu’ilfaut aller le combattre en Syrie.Mais une attaque terroriste avéréecontre des civils russes viendraitsurtout dramatiquement changerla donne d’une guerre présentéejusqu’à présent comme propre, sansvictimes, sans prisonniers, véritabledémonstration de la puissance mili-taire russe.

L’opinion publiquepourrait-elle se retournercontre Poutine ?L’attaque, si ç’en est une, est claire-ment dirigée contre Vladimir Pou-tine, relèvent les observateurs. Et cemême si le fait que le vol avait pourdestination Saint-Pétersbourg (laville du président russe) n’ait étéqu’une triste coïncidence. «Le coûtde la campagne de Syrie, des ambi-tions géopolitiques de Poutine, croît,analyse Tatiana Stanovaya, experteau Centre des technologies politi-ques, dans une chronique surSlon.ru. Mais un attentat contre descitoyens russes, c’est une déclarationde guerre à tous les Russes. La cam-pagne de Syrie devient une affaire derevanche nationale et pas seulementd’ambitions poutiniennes.»Pour l’heure, près de 40% des Rus-ses, tout en soutenant l’interven-tion, expriment de l’inquiétudeface aux possibles pertes humai-nes, y compris dans des attentatsterroristes. Les deux tiers de lapopulation continuent à s’opposerà une intervention au sol. «Cettetragédie peut aussi servir à une mo-bilisation patriotique, pour justifierl’intensification de la campagneen Syrie, confirme la politologueMasha Lipman, rédactrice en chefde la revue Kontrapunkt. Mais il esttrop tôt pour dire comment l’opi-nion réagira.» •

C’ est le cœur de l’Etat isla-mique (EI) en Syrie, l’unede ses deux capitales poli-

tiques et militaires –la seconde estMossoul, en Irak –, où l’on trouveson QG, des casernes, des campsd’entraînement, des prisons, desdépôts d’armes et des usines de mu-nitions. Pourtant, Raqqa était en gé-néral épargné par l’aviation russe:une cinquantaine de raids environet quelques tirs de missiles depuisle début de l’intervention, fin sep-tembre. Or, mardi, les Su-24 de Mos-cou se sont brusquement acharnéssur la ville, comme on peut le voirsur les vidéos mises en ligne par lesjihadistes, détruisant ses infrastruc-tures. Ce qui accrédite l’idée quel’attaque sur Raqqa est la consé-quence de la catastrophe aériennesurvenue au-dessus du Sinaï, le mi-nistère russe de la Défense sem-blant d’ores et déjà avoir pris acte

qu’il s’agissait d’un attentat perpé-tré par l’EI ou l’un de ses avatars.

Deux trêves. L’EI n’a pas seule-ment été la cible de la vengeancerusse. Les bombardements russes,mercredi, sur les faubourgs desvilles de Maarat Masrin et RamHamdan, dans la province d’Idlib(nord-ouest), ont fait voler en éclatsla trêve qui était entrée en vigueuren septembre et qui, si l’on exceptequelques incidents très isolés, étaitrespectée, ce qui en faisait une ex-ception en Syrie. Conséquence: lescombats ont repris dans cette régioncomme à Zabadani, près de la fron-tière libanaise, les deux trêves dé-pendant l’une de l’autre. Ce doublecessez-le-feu était d’ailleurs l’un destrès rares succès de la diplomatieétrangère en quatre ans et demi deguerre civile. Il avait été décidé à l’is-sue de négociations entre l’Iran, le

principal allié avec la Russie de Ba-char al-Assad, et la Turquie, qui sou-tient les rebelles. Dès lors, se pose laquestion des buts de l’interventionrusse en Syrie, laquelle s’avère laplus importante à l’étranger depuisl’effondrement de l’URSS.La tactique militaire de Moscou estassez facile à décrypter. Il s’agitpour les militaires russes de frapperceux qui s’approchent et menacentce que les experts appellent la «Sy-rie utile», soit les villes de Damas etAlep, l’axe Homs-Hama et le littoralméditerranéen où se trouve la basede Lattaquié. Concrètement, celaconsiste à appuyer les forces loya-listes sur le terrain, en particulierdans leurs contre-offensives (dansles provinces de Homs, Hama,Lattaquié, Idlib et Alep). Quel-que 4000 militaires russes sont à cejour déployés en Syrie, selon le Pen-tagone et divers experts.Jusqu’à présent, la tactique russe amontré ses limites. Elle n’a pas em-pêché la rébellion de progresser. Entémoigne la prise, mercredi, par desgroupes liés à l’Armée syrienne libre(pro-occidentale) de la ville de Mo-

rek, située sur la route stratégiquereliant Alep à Hama, en dépit d’uneintense campagne de bombarde-ments aériens russes et des combat-tants iraniens. C’est une sérieuse dé-faite pour le régime et ses alliés quimontre bien que Damas n’arrive pasà tenir ses positions malgré l’appuides frappes russes.En revanche, la stratégie de la Russieest plus ambiguë. Tout en préten-dant le contraire, ce n’est pas lamouvance jihadiste qu’elle veut voirdéfaite en priorité, sinon toute l’op-position, en particulier celle qui ap-paraît démocratique ou pro-occi-dentale. Dans ce but, Moscou,jusqu’à la chute de l’avion russe, nevoyait aucune urgence à aller affron-ter l’EI. Mieux, en laissant l’organi-sation jihadiste se développer, lesRusses pouvaient insister sur cequ’ils font prévaloir depuis le débutde la guerre civile syrienne, à savoirque la rébellion n’est constituée quede bataillons jihadistes. Selon Mos-cou, il n’y aurait plus que deux for-ces en Syrie: les loyalistes de Bacharal-Assad et les extrémistes, commel’EI ou le Front al-Nusra, lesquels ap-

paraissant comme des épouvantailspires encore que le dictateur syrien.

«Opposition». C’est pourquoi,selon The Institute for the Study ofWar, un think tank américain, 80%des frappes russes n’ont pas con-cerné les vastes territoires contrôléspar l’organisation d’Abou Bakr al-Ba-ghdadi mais d’autres groupes, cer-tains islamistes, d’autres soutenuspar Washington. «Si vous regardez lacarte [des bombardements russes],vous comprenez facilement qu’ils necombattent pas l’Etat islamique maisles autres groupes», souligne Alexan-der Golts, un expert basé à Moscou.Mercredi, Anne Patterson, diplo-mate américaine, a enfoncé le clou:«Moscou essaye de prétendre cyni-quement que ses frappes étaient cen-trées sur les terroristes, mais 85 à90% de celles-ci ont touché l’opposi-tion modérée.» On voit commentl’hypothèse d’un attentat gène laRussie. Est-ce pour cette raisonqu’elle a commencé à vouloir discu-ter avec l’Armée syrienne libre, dontelle niait l’importance?

JEAN-PIERRE PERRIN

Moscou s’en prend finalement à l’Etat islamiqueLa thèse de l’attentat gêne le Kremlin. L’aviationrusse vise désormais Raqqa, fief de l’organisationjihadiste, tout en continuant de frapper lesrebelles modérés.

Des enquêteurs russes sur le lieu du crash, dans la péninsule du Sinaï, le 1er novembre. PHOTO KAREM AHMAD. UPI. VISUAL PRESS AGENCY

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 5

L’hypothèse d’une bombe intro-duite à bord de l’avion est vrai-semblable si l’on considère les

standards de sécurité des aéroportségyptiens. Le contrôle des bagages àmain ne sont pas toujours rigoureuxd’après les témoignages de nombreuxvoyageurs. De même, malgré les machi-nes installées dans toutes les stationsde métro du Caire, et les engins explosifstrouvés régulièrement dans le métro parles forces de l’ordre (leur existence n’ajamais pu être vérifiée de façon indé-pendante), les sacs ne sont pas systéma-tiquement fouillés.Mais, que la piste de l’attentat dans lecrash de l’avion russe se vérifie ou non,la montée en puissance des groupesterroristes inquiète de plus en plus lesautorités. Notamment dans la péninsuledu Sinaï qui est le théâtre des plus dursdes affrontements entre les forces del’ordre et les groupes jihadistes. Seule laville de Charm el-Cheikh était jusqu’àprésent considérée comme un lieu devillégiature possible par les ambassadesoccidentales. D’où la crainte d’un effon-drement du secteur du tourisme qui re-présente quelque 11% du PIB égyptien.

Massacre par erreur. Malgré les ef-forts de l’armée et la répression policière,les actes terroristes ne cessent pas. Poli-ciers et soldats tombent régulièrementnotamment dans le Sinaï mais pas seule-ment. Des juges sont aussi pris pour ci-bles, comme le procureur général enjuin. La politique du tout répressif n’estvisiblement pas couronnée de succèsd’autant qu’elle se double de nombreu-ses violations des droits de l’homme:emprisonnements arbitraires ou politi-ques, détentions provisoires sans procèsqui dépassent les deux ans, disparitionspolicières de suspects ou de proches(pression psychologique), torture, mau-vais traitements en prison et, depuisquelques mois, une augmentation de lacadence des exécutions extrajudiciaires.En septembre, l’armée a massacré parerreur des touristes mexicains dans ledésert occidental, les prenant pour desterroristes. L’information n’a pu êtreétouffée, mais elle n’a pas pour autantentraîné de révision des stratégies anti-terroristes. Mais les critiques sont malvues. «Le gouvernement égyptien protègeses citoyens, tandis que les organisationsde défense des droits de l’homme protè-gent les terroristes», clame le Centreégyptien de contre-terrorisme.«Le gouvernement égyptien ne fait pas dedifférence entre ses opposants politi-ques– et parmi eux les Frères musul-mans – et les groupes jihadistes», cons-tate Issandr el-Amrani, spécialiste de lapolitique égyptienne pour l’Internatio-nal Crisis Group. «Opposants violents etpacifiques, les membres pacifiques desFrères musulmans, les manifestants pa-cifistes, tous sont victimes de la mêmepunition collective», renchérit SherifMohi-el-Din, chercheur en contre-terro-

risme pour l’ONG égyptienne EIPR.Cette violence du pouvoir alimente parréaction la radicalisation. «La fermeturede l’espace politique, combinée à la ré-pression féroce des Frères musulmans,conduit clairement une partie des jeunesvers des méthodes plus violentes, mêmes’il s’agit d’un niveau de violence encoreassez bas, différent de celui des groupesterroristes du Sinaï», estime AnthonyDworkin, analyste politique auprès duConseil européen des relations étrangè-

Au Caire, l’échec du tout sécuritaireres. Le Sinaï est en effet un cas particu-lier. La répression y est depuis des an-nées particulièrement brutale ce quivient nourrir le ressentiment plus géné-ral d’une population qui se sent depuisdes années abandonnée par le pouvoircentral et qui a déjà subi des campagnesantiterroristes musclées durant la prési-dence de Hosni Moubarak.

«Ignorance». «De nombreux gouver-nements occidentaux s’inquiètent del’étendue de la répression et la pensentcontre-productive, mais ils essaient demaintenir de bonnes relations avec leprésident Al-Sissi considéré comme unpartenaire essentiel», analyse AnthonyDworkin. Les Américains notammentessaient de convaincre Le Caire, sanssuccès, d’accepter de l’aide sur leur stra-

tégie. Si certains thuriféraires du régimeappellent régulièrement à plus de fer-meté contre les terroristes et à modifierla loi concernant la peine capitale afin depouvoir l’appliquer plus rapidement –vi-sant clairement les leaders des Frèresmusulmans notamment le président dé-chu Mohamed Morsi, d’autres analystespolitiques égyptiens, qui ont en leurtemps soutenu l’arrivée sur le devant dela scène d’Al-Sissi, appellent pourtantà des solutions politiques sur le longterme. Mostafa Hegazy, qui a été con-seiller du président, rappelle que «si l’onveut lutter sérieusement contre le terro-risme, il faut s’attaquer à ses causes,comme la pauvreté et l’ignorance, et passe contenter de tuer les terroristes».

SOPHIE ANMUTHCorrespondante au Caire

Loin d’enrayer la violence, la politique répressivetrès brutale mise en place par le régime du présidentAl-Sissi semble plutôt avoir radicalisé les opposantsau pouvoir, notamment dans le Sinaï.

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6 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

ÉDITOS/

Etendre les aides directes à lapresse aux magazines «à faiblesressources publicitaires»(Society, Charlie, le Monde diplo,Politis, Causette...), comme c’estle cas pour les quotidiens. Maisconditionner ce soutien d’argentpublic à «l’absence de condamna-tion pénale pour incitation à lahaine raciale». Tel serait le projetde la ministre de la Culture (quia déjà privé des aides postales lapresse télé et people). Ce qui visede fait – et c’est l’objectif prêtéà Fleur Pellerin – les titres d’ex-trême droite comme Minute,encore condamné récemmentpour sa une raciste sur ChristianeTaubira, mais aussi la publica-tion antisémite Rivarol. A Va-leurs actuelles, Yves de Kerdrel,le patron de l’hebdo successfulde la droite extrémisée et de l’ex-

trême droite plus ou moins dé-diabolisée, condamné au prin-temps dernier pour «provocationà la discrimination, la haine ou laviolence envers les Roms», a illicodénoncé «cette nouvelle intimida-tion du pouvoir socialiste». Et riende moins qu’une attaque «fron-tale» contre la liberté de lapresse. Outre le fait que la déci-sion de Pellerin ne viendrait rienenlever à Valeurs actuelles, maissimplement priver le titre, à lasanté financière florissante,d’une extension des aides direc-tes, il n’est pas inutile de rappelerque cet argent public a vocationà soutenir la presse, qu’elle soitfavorable, hostile ou indifférenteau pouvoir en place. De l’Humaau Figaro, de Libé à l'Opinion, lespectre des quotidiens qui en bé-néficient est large. Mais l’incita-tion à la haine n’a rien à voir avecle journalisme ou avec l’opinion,elle relève d’une propagandecondamnable devant les tribu-naux. La distinction entre untract haineux et un journal n’estpas inutile à réaffirmer dans unpays où Eric Zemmour, polé-miste et auteur à succès, a été lui-même condamné pour incitationà la haine. Où le sénateur FN etmaire de Fréjus, David Rachline,juge qu’il est «moins grave d’êtrecondamné pour incitation à lahaine raciale que pour corrup-tion». A ce propos, on aimeraitque les élus condamnés pour in-citation à la haine ou pour cor-ruption soient, les uns commesles autres, privés de la possibilitéd’être candidats. •

Aides à la presse :la haine n’est pasdu journalisme

ParJONATHAN BOUCHET­PETERSENChef adjoint du service France@bouchetpetersen

Myriam El Khomri piégéesur le CDD : et alors ?

C’est sûr, une ministre du Travail qui setrompe sur le nombre de «renouvellements»possibles d’un contrat à durée déterminée,c’est désastreux. «Trois», a répondu la pauvreMyriam El Khomri, jeudi matin, au microd’un Jean-Jacques Bourdin qui lui aura pour-tant laissé plusieurs chances avant de l’enten-dre dire, comme une élève qui se gamelle lorsd’une interrogation orale devant son profes-seur : «Je ne pourrais pas vous le dire.» Unnaufrage en direct à la radio et la télévisionqui risque de poursuivre un bon moment labenjamine du gouvernement prise en défautlà où beaucoup de ses camarades le crai-gnaient : la maîtrise de son sujet et la soliditépolitique. L’erreur est difficilement défenda-

ble. On pourrait railler – «Encore une politi-que qui n’y connaît rien au quotidien des genset à ses dossiers !» –, mais la critique est tropfacile. Certes, lorsqu’ils se rendent chez Bour-din, tous les politiques savent qu’ils aurontdroit, à un moment donné, à une question dece type. Facile. Précise. El Khomri a au moinspéché par impréparation et inattention à laquestion posée. En revanche, on peut lui ac-corder le bénéfice du doute lorsqu’elle expli-que, dans une séance de rattrapage quelquesheures après son direct, au micro de BFMTVqu’elle parlait de «trois contrats» possibles(donc deux renouvellements). Il serait aussiinjuste de faire le procès en déconnexiond’une élue de terrain dont le CV, s’il est légeren connaissance du code du travail, vautbeaucoup mieux que celui de jeunes énarquesnon-élus mais rodés au media-training desagences de communication. Ou alors, il fautarrêter de demander aux responsables politi-ques de nous ressembler. •

ParLILIAN ALEMAGNAJournaliste au service France@lilianalemagna

Avec le Médicis, décerné hierà Nathalie Azoulai pour Titusn’aimait pas Bérénice (P.O.L),se confirme une tendance appré-ciable : l’attribution des prix à debons livres, de préférence, et à devrais écrivains. On peut ne pasaimer tel ou tel des auteurs primés,force est de reconnaître que le jeudes influences éditoriales, s’il agittoujours ici ou là, n’a favoriséaucun intrus. Les mentions réser-vées aux titres hors roman françaisne sont pas en reste. Comme lesdames du Femina, les jurés Médi-cis ont fait des choix rigoureux.Le jeune Turc Hakan Gündaya le prix Médicis étranger pourEncore (éditions Galaade, Libéra-tion du 24 septembre), une fictionfrappante sur les passeurs qui ré-sonne singulièrement aujourd’hui.Nicole Lapierre a le Médicis essaipour Sauve qui peut la vie (Seuil),récit familial tragique, où s’exer-cent un énergique refus du pathoset une réflexion vibrante d’actua-lité : «Je pense que les immigrésd’hier, et mon père fut l’un d’eux,sont comme ceux d’aujourd’hui lesaventureux des temps modernes.»On remarquera dans les livres ré-compensés cette année, français etétrangers, très littéraires mêmequand il ne s’agit pas de fictions,une ouverture certaine sur lemonde. Elle a été signalée par lejuré Bernard Pivot, résumant, surTwitter, le livre de Mathias Enard :«“Boussole”, prix Goncourt 2015 :une encyclopédie de la cultureorientale sous la forme d’un romand’amour.»Titus n’aimait pas Bérénice, quicommence et finit comme un ro-man d’amour contemporain, surun chagrin, est un condensé deculture occidentale à travers la viede Jean Racine. Nathalie Azoulai,dont le précédent roman, Une ar-deur insensée (Flammarion), étaitdéjà consacré à la passion théâtrale– en l’occurrence pour Phèdre –,circule avec aisance, intelligenceet clarté à travers le XVIIe siècle,un peu à la manière de PascalQuignard dans Tous les matinsdu monde.La romancière s’installe pour com-mencer à Port-Royal. Elle imagine,extrapole, met en scène par exem-ple une relation très forte entrele petit Jean, si avide d’apprendre

Prix Médicisà Nathalie Azoulai :le roi est mort,vive le lecteurParCLAIRE DEVARRIEUXChef du service Livres

et de comprendre tout, et Hamon,le médecin jardinier. Elle suit sonhéros à Paris, épouse ses angoisseset ses élans, sa découverte del’alexandrin et des plaisirs, sa rela-tion avec Corneille (le rival), Mo-lière (l’aîné), Boileau (l’ami). Maisle grand homme de Racine, c’estle roi : «Il ne voit pas un hommeagir ou se comporter, il voit une na-tion se constituer sous les regards.[…] De cette nation, il sera la lan-gue.» Arrive Bérénice, la tragédiede l’amour et du pouvoir (encoreune aventure située en Orient).

Entre le roi et son courtisan, l’en-tente est parfaite, «de ces ententesqui lèvent au fond des blessures».Le roi est mort, vive le lecteurd’aujourd’hui, attiré par ce texteélégant, assoiffé de pureté.La semaine prochaine, la saisons’achève, avec le prix Wepler, puisl’Interallié dont les finalistes sontsoit Grasset, soit Julliard. Toutle monde aura été servi. Gallimarda eu deux demi-grand prix del’Académie française et un Renau-dot essai. Actes Sud, qui avait déjàle Nobel grâce à Svetlana Alexie-vitch, emporte le Goncourt. Stocka le Femina. Philippe Rey a leFemina étranger, Flammarionle Femina essai, les petites mai-sons font presque jeu égal avec lesgrandes. •

Nathalie Azoulai, prix Médicispour «Titus n’aimait pasBérénice» (P.O.L). PHOTO AFP

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Grâce à vos dons, les chercheurs de l’Institut Curie gagnent chaque jour du terrain face au cancer. Car plus la recherche avance, plus le cancer recule. Merci de soutenir l ’Inst i tu t fondé par Marie Curie, 1er Centre f rançais de recherche en Cancérologie.

Plus la recherche avance plus

le cancer recule.

Vers un monde sans cancer

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8 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

EXPRESSO/SUR LIBÉRATION.FRDunk Is Not Dead Cette semaine, notrechronique hebdo de NBA revient sur trois géné-rations de basketteurs, à travers les figures deKarl-Anthony Towns, 19 ans, Stephen Curry,27 ans, et Kobe Bryant, 37 ans. Dans la premièresemaine de compétition, ils ont tous battu desrecords (de meilleur départ en carrière, depoints et de longévité). PHOTO REUTERS

Incroyable journée dejeudi pour le foot fran-çais, qui a vu ses deux

plus méritants serviteurs (onparle du terrain), Karim Ben-zema et Mathieu Valbuena,passer par la fenêtre de la sé-lection tricolore après que lepremier a été mis en examenpour «complicité de tentativede chantage et participationà une association de malfai-teurs en vue de la préparationd’un délit puni d’au moinscinq ans d’emprisonnement,en l’espèce le chantage» dansl’affaire de la sextape de Ma-thieu Valbuena, qui a portéplainte à ce sujet en juin.Le 5 octobre, à Clairefon-taine, dans le cadre d’un ras-semblement de l’équipe deFrance, Benzema aurait eneffet relayé auprès de Val-buena une demande d’extor-sion –tu payes ou on divul-gue le contenu de la sextape–émanant d’un ami d’enfancedu Madrilène agissant pourle compte de trois escrocsplacés depuis en détention.La superstar des Bleus et duReal Madrid, placée en gardeà vue dès mercredi, a avoué«s’être mis d’accord avec l’ami

Sextape:Benzemaet Valbuenarenvoyésau vestiaireLe premier est misen examen aprèsavoir avoué êtreintervenu dansl’affaire de chantageà la sextapeconcernant lesecond. Tous deuxont été écartésdes deux prochainsmatchs de l’équipede France.

ParGRÉGORYSCHNEIDER

d’enfance sur ce qu’il devaitdire à son coéquipier pour quecelui-ci négocie exclusivementavec lui», selon une sourcepolicière citée par l’AFP. La-quelle ajoute: «Benzema vou-lait simplement rendre ser-vice à son ami [d’enfance]»,sans penser qu’il faisait alorsdu tort à son coéquipier.La thèse du conseil adresséd’un ton bienveillant parBenzema à Valbuena (faisgaffe, il y a un truc qui cir-cule, faut que tu coupescourt, en gros) a donc duplomb dans l’aile: si la sourcepolicière dit vrai, Benzemaagit sur ordre d’un hommetravaillant pour les maîtreschanteurs, constituant dèslors le maillon d’une chaînedont l’objectif est l’extorsionde fonds. L’avocat de Ben-zema a contesté cette ver-sion, soutenant que sonclient «n’a rien dit du tout», etassuré être «vraiment de toutcœur avec [son] ami MathieuValbuena».

Porte de sortie. Vers midi,l’affaire prenait, si l’on peutdire, un tour technico-tacti-que: la juge d’instruction as-sortissait la mise en examende Benzema d’un contrôle ju-diciaire lui interdisant derencontrer les autres mis en

examen… et Mathieu Val-buena, son coéquipier chezles Bleus. Ambiance : deuxheures plus tard, le sélection-neur tricolore, Didier Des-champs, donnait au siège dela Fédération française defoot (FFF), boulevard de Gre-nelle à Paris, sa liste des23 joueurs appelés à affronterles équipes allemande (levendredi 13 à Saint-Denis) etanglaise (le 17 à Londres).Sauf à construire deux ves-tiaires, des horaires alternéspour les repas et les entraîne-ments et expédier chaquejoueur qui sur l’aile droite quisur l’aile gauche («mais Ben-zema n’aime pas jouer sur un

Karim Benzema et Mathieu Valbuena, ici à Clairefontaine en juin 2014. Les deuxcoéquipiers ont désormais interdiction de se rencontrer. PHOTO C. PLATIAU. REUTERS

L’HISTOIREDU JOUR

côté», plaisantait un journa-liste avant la conférence depresse de Deschamps), le sé-lectionneur allait forcémentmanœuvrer. Il a utilisé laseule porte de sortie à sa dis-position : ni Benzema niValbuena ne goûteront l’am-biance forcément particu-

lière du prochain stage desBleus. «Pour Karim, j’ai actéson forfait lundi [c’est-à-direavant sa garde à vue, ndlr] enconstatant qu’il était annoncéblessé par son club du RealMadrid en vue du match demardi en Ligue des cham-pions contre le Paris-SG», a

justifié Deschamps lors d’unpropos liminaire, assénéavant que ne tombe la moin-dre question. L’écart entre lelundi et la rencontre face àl’Allemagne étant de près dedeux semaines et les règle-ments commandant auxjoueurs inaptes de venir faireconstater leur blessure par lemédecin de la sélection (Ben-zema passera outre), c’estpeu dire qu’il faut se méfier.

Double peine. ConcernantValbuena ou plutôt son ab-sence, Deschamps a dit ceci:«Vous comprendrez qu’il n’estpas dans des conditions psy-chologiques optimales suite àcette affaire.» Là non. Val-buena est englué dans cettehistoire de sextape depuis aumoins cinq mois (son dépôtde plainte remonte à juin) etil joue tant et plus, disputantmême – et très correcte-ment– mercredi soir, au mo-ment même où Benzemas’apprêtait à passer la nuit àla PJ de Versailles, l’intégra-lité du match de Ligue deschampions perdu (0-2) faceau Zénith Saint-Pétersbourg.Le sélectionneur refusantdans la foulée de répondre àla moindre question portantsur l’affaire, la vérité a étélongue à émerger.Au bout d’une véritableguerre de tranchées entre lesjournalistes et Deschamps, ila fini par en dire assez, c’est-à-dire trop de son point devue: «Par rapport à Mathieu,c’est ma décision ! C’est moiqui ai décidé de ne pas le rete-nir.» C’est une première de-puis le début de la manda-ture Deschamps, en août2012 : Valbuena a toujours étédans ses listes jusqu’ici. Ma-laise. Valbuena vivra çacomme une double peine :une sextape sur les bras as-sortie d’une non-sélectioninédite. Plus le fait d’avoir,par son témoignage, coulépar le fond le meilleur joueurfrançais en activité: il va fal-loir le porter.S’il s’était expliqué, Des-champs aurait pu rétorquerqu’il a beaucoup donné pourexpliquer à ses ouailles lespièges d’une époque où toutse sait et se filme. Et qu’il agiten dernier ressort en hommede système: on règle les cho-ses «à la gueule», entre quatreyeux, sans permettre à destiers –police, médias – defaire exploser le bourrier.•

«Vous comprendrez que [MathieuValbuena] n’est pas dans desconditions psychologiquesoptimales suite à cette affaire.»DIDIER DESCHAMPS sélectionneur de l’équipede France, jeudi en conférence de presse

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 9

SEUL SURMARS

La Nasa recrute Vous avez toujours rêvé de faire destriple saltos en apesanteur ? C’est le moment. L’agence spa-tiale américaine lance un appel à candidatures pour prépa-rer la conquête de Mars. Bon, il faut être américain, titulairede préférence d’un master béton en ingénierie, biologie,physique ou en maths, et avoir au moins trois ans d’expé-rience professionnelle dans ces domaines ou au moinsmille heures de vol pour les pilotes. On sait, ça calme. Maisvous pouvez toujours revoir Gravity. PHOTO NASA

Malgré la proximité avecle Nigeria et la quinzained’attentats perpétrés de-puis 2014 par Boko Haramdans la zone, Maroua, lacapitale de l’ex-trême norddu Came-roun était,jusqu’à cetété, «encorepleine devie». Depuis,«elle est rentréedans la vieillesse»,raconte Abamé,27 ans, infirmier hospita-lier. Que s’est-il passé ?Le 25 juillet, une très jeunefemme s’est fait passer pourune blessée dans un hôpitalmilitaire. Admise dans le

chaos de la première explo-sion qui a eu lieu dans unbar de la ville, elle se fait ex-ploser. Le couvre-feu im-posé dès 20 heures auraitdepuis mis au chômage près

de 20000 motos-taxissur les 60 000 de

l ’a g g l o m é r a -tion : «Ce sontdes jeunes quine bossent pluset qui sont la

proie des recru-teurs de Boko Ha-

ram. 20 000 francs[30 euros, ndlr], trois repas

offerts, la promesse d’uneépouse, et vous avez un indi-cateur qui travaille pour lasecte», assure une source sé-curitaire camerounaise. Pa-

trick, camerounais, travaillepour la Croix-Rouge fran-çaise, qui abat ici un travailconsidérable. «Tout est pa-ralysé et l’économie est à l’ar-rêt», dit-il. Il trouve sa ville«fantomatique». En jour-née, Maroua donneraitpourtant presque l’illusionde l’agitation : carrefoursencombrés et ouvriers surles chantiers. Mais la seuleprésence d’un enfant enhaillons, marchant seul àproximité d’un bâtiment del’ONU provoque un frissonde panique: «C’est le modusoperandi de Boko Haram.Ils piègent un gosse et atta-quent ensuite», explique unofficier de la gendarmerie.Dans le cercle municipal de

Maroua, sorte de maisondes élus, une affiche :«Comment identifier un ter-roriste.» Elle détaille lescomportements suspects:yeux hagards, absence deréponse, large tour de tailleà cause de la ceinture ex-plosive… De petites affi-chettes rappellent aussil’interdiction du voile inté-gral. Le hijab oui, la burkanon. La représentante del’ONU au Cameroun, NajatRochdi, résume : «Ce n’estpas le jihad mais le déses-poir et la pauvreté qui jet-tent ces gens dans les bras deBoko Haram.»JEAN-LOUIS LE TOUZETLire l’intégralité de ce reportagesur Libération.fr

«C’est le modus operandi de Boko Haram:ils piègent un gosse et attaquent ensuite»

A Gdansk, un buste de Hitlersurgit de terreC’est en faisant des travaux au Musée national deGdansk, dans le nord de la Pologne, que le conducteurd’une pelleteuse est tombé sur un os. Un buste en mar-bre d’Adolf Hitler, signé Josef Thorak, un des «sculp-teurs officiels» du IIIe Reich. «Le buste est daté de 1942.On voit qu’il a été caché exprès», a expliqué Lech Lo-puski, un des responsables du département de sculp-ture du musée. «Le buste faisait peut-être partie de ladécoration du bureau du directeur, mais il est encoretrop tôt pour connaître son histoire.» Dans les prochainsjours, le buste sera nettoyé et inventorié. PHOTO AFP

A Berlin, le Mur emmuré

Pour en finir avec les graffitis, lamunicipalité de Berlin prévoit lapose prochaine d’une rambarde lelong de l’East Side Gallery, ce pan du

Mur couvert de fresques d’artistes qui est devenu attrac-tion touristique majeure de la capitale allemande. «Cetterambarde doit faire office de barrière psychologique»,résume Adalbert-Maria Klees, responsable des espacesverts de l’arrondissement de Friedrichshain-Kreuzberg.

BAS LES PATTES

AU RAPPORT«L’attaque deKunduz avaitpour objectif

de tuer»Il y a un mois, le 3 octobre,pendant la nuit, l’hôpital deKunduz, en Afghanistan,ouvert par Médecins sansfrontières (MSF) en 2011,était pilonné durant uneheure par l’US Air Force. Aumoins 30 personnes, dont13 employés de l’ONG et despatients, ont trouvé la mort,brûlées vives ou touchées parles tirs des avions alors qu’el-les fuyaient le bâtiment.Dans un rapport publié jeudi,MSF réaffirme que les frappesétaient totalement injusti-fiées. «Il n’y avait aucune rai-son d’attaquer l’hôpital :aucun combattant armé ne s’ytrouvait, aucun combat ne s’ydéroulait.» L’ONG y décrit lespatients «brûlant sur leurslits», le personnel médical«décapité ou amputé de sesmembres». Des opérationsmédicales étaient en courspendant l’attaque. «L’impres-sion depuis l’hôpital est quecette attaque avait pour ob-jectif de tuer et de détruire,explique le directeur généralde MSF, Christopher Stokes.Mais nous ne savons pas pour-quoi.»Spécialisé dans le traitementdes traumatismes violents,le centre hospitalier s’occu-pait d’une centaine de pa-tients, combattants talibanscompris. Deux d’entre euxsemblaient être d’un rangimportant dans la hiérarchietalibane.MSF attend toujours des ex-plications et une enquête in-dépendante. «Le droit huma-nitaire oblige à soigner lescombattants blessés et inter-dit qu’un hôpital soit prispour cible», rappelle à Libé-ration la directrice juridiquede MSF, Françoise Bouchet-Saulnier. Si ces règles ne sontplus respectées, au nom parexemple de “la guerre contrele terrorisme”, il faut le dire.Dans la presse afghane etaméricaine, des insinuationssont distillées selon lesquellesl’hôpital était une base tali-bane. Ces accusations doiventcesser.» L.D.

«Mes grands-parents ont faitla guerre, mes parents ont faitla révolution de 1989,aujourd’hui c’est notre tour !»pouvait-on lire mardi soir surune des pancartes brandiespar des jeunes descendusdans la rue. Organisées enquelques heures sur les ré-seaux sociaux, ces manifesta-tions sont les plus grandes enRoumanie depuis 1990. Ellesn’ont pas de leaders, ce sontjuste des dizaines de milliersde personnes qui affluentdans le centre-ville et crientleur rage. Car après l’émo-tion, ce sont l’indignation etla révolte qui dominent à Bu-carest. La tragédie de ven-dredi dernier, quand plus de30 personnes sont mortes et150 ont été blessées dans l’in-cendie d’une discothèque, aété le révélateur de tensionsprofondes dans la sociétéroumaine.Le premier soir, les manifes-tants ont demandé la démis-sion du maire du IVe arron-dissement (où se trouvait leclub Colectiv qui a pris feu)et celle du gouvernement.Moins de douze heures après,le maire jetait l’éponge etle gouvernement de VictorPonta tombait. Mercredi soir,ils étaient encore plus nom-breux à exiger un change-ment en profondeur de la

classe politique. Face à l’am-pleur de la contestation,le président conservateur,Klaus Iohannis, l’un des seulsacteurs politiques encoreconsidéré comme crédible,organise des consultations.Pour la première fois lorsd’un changement de gouver-nement, il ne discutera passeulement avec les partis,mais aussi avec la société ci-vile. «Je vous ai vus, je vous aientendus, je vais tenir comptede vos exigences», a dit le Pré-sident aux manifestants.Qui sont-ils ? Des jeunespour la plupart, entre 25 et35 ans. «Ils sont l’or gris de laRoumanie, des gens intelli-gents, qui ont un emploi etqui veulent continuer leur viedans ce pays. Mais une viedécente, et non plus avoirl’impression que l’Etat se mo-que d’eux», explique le psy-chiatre Gabriel Diaconu. Desgens qui se reconnaissentdans les jeunes tués ou bles-sés dans l’incendie du club:architectes, publicitaires, in-

formaticiens, journalistes…«La façon dont les autoritésont traité la discothèque estun exemple de la façon dontfonctionne l’ensemble de l’ad-ministration», estime lejournaliste Ovidiu Nahoi. Se-lon les premiers éléments del’enquête, la boîte n’avait pasl’autorisation d’accueillirplus de 80 personnes(il y enavait six fois plus) ni d’orga-niser un feu d’artifice, etn’avait jamais été contrôlée.«Cet exemple peut-être mul-tiplié à l’infini, que ce soit lesystème d’éducation, desanté… Un système parrainépar une classe politique mar-quée par l’incompétence,ce qui explique la colèred’aujourd’hui», continue Na-hoi. Après l’appel du Prési-dent, la société civile est eneffervescence et des listes derevendications circulent surles réseaux, allant de la re-fonte de la classe politique àla nationalisation des im-meubles en piteux état. «Onne sait pas où ça mènera,mais le Président doit utilisertout son talent pour ne pas secouper de la rue, tout en gar-dant un appui de la classepolitique», affirme CristianPantazi, rédacteur en chef deHotnews.ro.

LUCA NICULESCU(à Bucarest)

Vent de révolution en Roumanie

ANALYSE

Le Mexique faittourner le jointAprès s’être vu refuser une li-cence pour cultiver du canna-bis, la Société mexicaine deconsommation personnelleresponsable et tolérante(Smart) a saisi la Cour su-prême mexicaine qui, mer-credi, lui a donné raison. Oui,on peut au Mexique créer uncannabis club dédié à la cul-ture de la plante, selon lemode des clubs espagnols:pas de but lucratif, usage per-sonnel, pas de revente. Unedécision qui ne s’appliquequ’aux quatre membres duclub. Mais si d’autres citoyenssaisissent la cour, ils pour-raient obtenir une décision si-milaire, et ainsi former unejurisprudence obligeant lepays à revoir sa législation.

CANNABIS CLUB

Yaoundé

NIGERIA

RÉP.CENTRAF.

TCHAD

CAMEROUN

Maroua

200 km

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10 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

EXPRESSO/SUR LIBÉRATION.FRPlein écran Kelly, une adolescentede 4e, est harcelée depuis des mois surInternet et à l’école. Elle et sa famille tententen vain de trouver des solutions. Libérationl’a suivie pendant plusieurs semaineset raconte son histoire. Nous lançons aussi unappel à témoignages ([email protected]).DESSIN MATTHIEU MÉRON

2 000C’est le nombre de postes que va supprimerla Société générale, qui a annoncé jeudi la fer-meture de 20% de ses 2200 agences en Franced’ici à 2020. Le groupe, qui publiait en parallèleson bénéfice net au troisième trimestre, en haussede 27,7%, à 1,1 milliard d’euros, justifie ces suppres-sions par l’évolution du comportement des clients,qui ont davantage recours aux services en ligne. Ledirecteur général, Frédéric Oudéa, a assuré vouloir«éviter les licenciements» et «jouer sur les départsnaturels» (volontaires ou à la retraite). Selon un do-cument interne obtenu par l’AFP, un tiers des sup-pressions de postes auraient lieu en Ile-de-France.

Au Canada, le nouveau Premier ministre, Justin Trudeau, 43 ans, a formé un gouvernement libéral(centre gauche) «crédible et représentatif du Canada moderne», salue le journal The Star. Mêmesi la photo de groupe n’est pas bien grosse, la différence avec les gouvernements français devrait,normalement, sauter aux yeux. Parité hommes-femmes, diversité, renouveau: une autochtoneministre de la Justice, une ministre d’origine afghane, un handicapé, un sikh ou encore un ancienchef de bus d’origine indienne… Les 31 membres de son cabinet (dont 18 novices) n’ont rien àvoir avec celui de son père Pierre-Elliott Trudeau qui, en 1968, était uniquement composé d’hom-mes. Justin Trudeau a remporté les élections le 19 octobre, mettant un terme à un règne conserva-teur de près de dix années. PHOTO BLAIR GABLE. REUTERS

Un gouvernement canadien divers et d’automne

EN IMAGE

4,1 millions d’euros: c’est lemontant du très lourd redres-sement fiscal que Bercy vientde notifier au site d’informa-tion Mediapart.L’aboutissementd’une longue ba-taille menée parEdwy Plenel pour que sa pu-blication électronique béné-ficie du même taux de TVAultra-réduit que la presse pa-pier d’opinion et d’informa-tion générale, soit 2,1 %.Même s’il va saisir la justiceadministrative pour contes-ter la légalité de ce redresse-ment, Mediapart n’a d’autresolution dans l’immédiat quede payer son ardoise, son re-cours n’étant pas suspensif.Le site a donc décidé de faireappel à la générosité de seslecteurs via une plateforme

de crowdfunding. «Nous enappelons à leur solidarité,c’est notre seule ressource»,explique le pure player qui vit

essentiellement deses abonnements(plus de 110000) et aréalisé en 2014 un

chiffre d’affaires de 9 mil-lions d’euros pour un béné-fice de 1,5 million.

«Arrêt sur image» aussiFondé et dirigé par DanielSchneidermann (par ailleurschroniqueur à Libération),Arrêt sur images se trouvedans une situation similaireet vient de perdre son recoursdevant le tribunal adminis-tratif de Paris, où il contestaitun redressement de540000 euros. En 2014, il n’aaffiché que 5500 euros de bé-

néfices déclarés, ce qui laissedeviner une trésorerie peufournie. Le site a décidé defaire appel, assortissant l’ap-pel d’une question prioritairede constitutionnalité et d’unequestion préjudicielle.Le litige entre Mediapart et lefisc porte sur la période allantde 2008 (sa création) à fé-vrier 2014. Durant ces six an-nées, le site a refusé de seplier au taux de TVA en vi-gueur pour la presse en ligne,de 19,6% puis de 20%. La si-tuation a changé depuis l’andernier, quand le gouverne-ment s’est rangé aux argu-ments des sites de presse et aconsenti à aligner leur tauxsur celui des journaux papier,alors au grand dam de Bruxel-les, qui s’est depuis engagé àréviser la directive. Seul hic,

les 28 pays de l’UE devrontapprouver ce changement.

Pénalités de retardEn attendant, le fisc appliquela loi et refuse d’avaliser rétro-activement les six annéesdurant lesquelles Mediaparts’est appliqué le taux de 2,1%.Et c’est au titre des impayésqu’il réclame 4,1 millions,dont une part importante autitre de pénalités de retard.«Loi changée est à moitié par-donnée, il faut maintenant al-ler jusqu’au bout», a expliquédans une interview sur Me-diapart Jean-Pierre Mignard,avocat du site, avant de sedire certain que, «tôt ou tard,que ce soit devant une juridic-tion française ou devant unejuridiction européenne, nousl’emporterons». C.Al.

Fisc: «Mediapart» écope d’une méga-ardoise

«Si François Hollandeveut se représenter, qu’il fasseune primaire. Et s’il y en a une,je suis prêt à réfléchirà me présenter. »

2017

DANIELCOHN-BENDIT

ex-eurodéputéet cofondateur

d’EE-LV AFP

«La présidentielle rend fou», a toujours clamé Daniel Cohn-Bendit. Prenant acte des difficultés et des divisions de la gau-che et des écologistes, le cofondateur d’Europe Ecologie-les Verts n’exclut pourtant pas de se présenter en 2017… maisseulement à une primaire, a-t-il annoncé jeudi matin surFrance Inter. Estimant que François Hollande devrait se prêterà cet exercice s’il «veut avoir une chance de remobiliser» et dese relégitimer dans son camp.Après la présidentielle 2012, Cohn-Bendit avait regretté de nepas avoir participé à la primaire socialiste, qui avait cartonnéavec 2,5 millions d’électeurs. «Cela aurait probablement modi-fié l’accord entre le PS et le parti écologiste», juge-t-il aprèscoup. «En cas de victoire, vous devrez aller à la présidentielle»,l’a relancé le journaliste Patrick Cohen. «Moi, c’est fini,j’ai 71 ans, il faut arrêter un peu… je ne suis pas Juppé!» Mais«je sais qu’à gauche je peux faire un bon score». Pas questioncependant d’aller plus loin. «S’il faut un candidat pour 2017,c’est Nicolas Hulot. S’il se mobilise, je suis prêt à me mobiliserpour lui», a répondu l’ancien coprésident du groupe Vert auParlement européen. Qui juge que «le grand clivageaujourd’hui, ce n’est plus gauche-droite mais souverainisme-ouverture au monde», et qu’une victoire de Marine Le Penen 2017 «n’est pas probable» mais «possible». M.É.

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 11

SUR LIBÉRATION.FRSilence, on joue ! Cette semaine, au pro-gramme de l’émission de jeux vidéo de Libé, le cin-quième et dernier épisode du jeu d’aventure Life isStrange de DontNod, le millésime 2015 d’Assassin’sCreed qui nous plonge dans le fog londonien de lafin du XIXe siècle, Zelda: Triforce Heroes et, pourfinir, le traditionnel monologue sur la dernièremouture de la licence NBA 2K. PHOTO DR

PODCAST

Année après année, c’est lamême chose : les centresd’hébergement pour sans-abri sont pleins à craquer.«La file des milliers de per-sonnes en attente d’un loge-ment ne cesse de croître», aalerté jeudi le Collectif desassociations unies, qui re-

groupe 34 organisations,dont la Fondation abbéPierre, l’Armée du salut etMédecins du monde. Elle aadressé une lettre ouverte àManuel Valls sur «l’extrêmesaturation» de ces centres etdu «115» à la veille de l’hiver.«Des centaines de personnes,

souvent en famille, […] solli-citent ce numéro d’urgencesans obtenir de solutions»,en particulier à Paris, en Sei-ne-Saint-Denis, dans leRhône, en Haute-Garonneet en Gironde.Le collectif réclame des so-lutions d’hébergement pour

tous et souligne que la mo-bilisation des pouvoirs pu-blics en faveur de l’accueildes réfugiés en septembre«a révélé l’existence de plu-sieurs milliers de places dis-ponibles dans des locaux etlogements vides, utilisablesrapidement».

Les centres d’hébergement de SDF déjà saturés

EpicèneC’est un mot dont la forme ne varie pas entre lemasculin et le féminin, comme une «personne»,un «être humain», «le corps professoral», «le peuple»,le «public»… A utiliser sans modération, nous engagele Haut Conseil à l’égalité, qui a publié jeudi un vade-mecum pour faire fi des stéréotypes et du vocabulairesexiste. (Lire article sur Libé.fr)

Pascal Cribier, tout un paysage

Il aimait les plantes, qu’il connaissait comme personne. Il étaitallergique au paysagisme sur écran. Il a réhabilité le jardin desTuileries (avec Louis Benech), est intervenu sur des sitescomme le «couloir de la chimie» dans le Rhône, un ranch duMontana ou un atoll de Bora-Bora. Mais aussi chez lui à Varen-geville-sur-Mer (Seine-Maritime) et sur nombre de jardins pri-vés. C’était un ancien cancre qui prétendait ne s’intéresser qu’aupilotage de bolides et est devenu l’un des meilleurs paysagistesfrançais. Pascal Cribier, 62 ans, s’est donné la mort dans la nuitde mardi à mercredi, à Paris. On avait fait son portrait dans Libéet on se souvient qu’il aimait rire. S.V. PHOTO CHRISTOPHE MAOUT

DISPARITION

iPhone piraté : qui a gagné un million ?

Le 21 septembre, la start-up Zerodium lan-çait un défi: trouver une faille dans le der-nier iOS (le système d’exploitation mobiled’Apple) avant le 31 octobre pour toucher

1 million de dollars (920000 euros). La somme ira à «trois cher-cheurs âgés de moins de 30 ans», a indiqué à Libé le fondateurde Zerodium, le Français Chaouki Bekrar, sans préciser leuridentité. Aucune faille de ce type n’avait été trouvée, ou dumoins annoncée, depuis plus d’un an dans les produits Apple.Si Zerodium débourse 1 million, ce n’est pas pour récompenserla performance, mais pour acquérir une denrée très recher-chée par les services de renseignement: les vulnérabilités(«zero-day»), qui permettent d’entrer dans un système infor-matique. Bekrar s’est longtemps limité à dire qu’il ne vendaitqu’aux Etats de l’Otan, Etats-Unis en tête. Des documents pu-bliés en 2013 ont prouvé que la NSA était bien en commerceavec lui. Alors que les forces de l’ordre se plaignent de ne pluspouvoir accéder aux iPhone depuis la généralisation de lacryptographie, les acquéreurs ne devraient pas manquer. P.A.

LA FAILLE

ET PLUS DE CINÉMA, MODE, DESIGN, ET MUSIQUE SUR NEXT.LIBERATION.FR

n° 75 Novembre 2015 next.liberation.fr

Nouvellesfrontières

Vies d’ailleurs

S

Itinéraires d’artistes transversaux, de salariés expatriés dans des pays en guerre, de prisonniers actifs sur les réseaux sociaux…

CE SAMEDI, AVEC LIBÉRATION

NEXT_OCTOBRE_2015_x 05/11/2015 15:46 Page1

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12 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

Affaire BNP Paribas

«J’ai alertétout le monde»

Un témoignage clé vient dedonner une nouvelle di-mension à l’affaire Helvet

Immo, du nom de ces prêts immo-biliers toxiques commercialisés parBNP Paribas-Personnal Finance(BNP-PF). Ancienne directrice ré-gionale de cette filiale (à 100%) dela BNP, Nathalie Chevallier a ra-conté à la juge Claire Thépaut, lorsde son audition mi-septembre, lesdébats et controverses intervenusen interne avant le lancement de ceproduit. Début 2008, plusieurs ca-dres de la banque mettent en gardela direction sur le caractère risquéde Helvet Immo, un type d’emprunt

octroyé en francs suisses mais rem-boursable en euro. Une de ses collè-gues émet de «sérieuses réserves».Un autre affirme carrément qu’il n’y«comprend rien». «J’ai alerté tout lemonde, a dit à la juge Nathalie Che-vallier. J’expliquais que c’était untrès gros risque pour l’image de laBNP.» La directrice régionale faitnotamment état de «crash tests»montrant que Helvet Immo pouvaitavoir un «impact déraisonnable»pour se souscripteurs. Réponse desdirigeants de BNP Paribas PersonalFinance: «Est-ce que tu te crois plusintelligente que ceux qui ont conçuce produit?» En dépit de ses alertes,

la commercialisation est lancée :4655 de ces prêts vont être octroyésentre mars 2008 et décembre 2009,représentant un total de l’ordrede 700 millions d’euros. Mais, trèsvite, les risques évoqués à l’inté-rieur même de la maison BNP vontse concrétiser, mettant les emprun-teurs dans une situation catastro-phique. Le montant de leur capitalà rembourser ne cesse d’augmenter,du fait de l’incessante progressiondu franc suisse face à l’euro sur lemarché des changes. Comme cecouple ayant emprunté 111196 eurospour l’achat d’un appar-tement en 2010, qui doità présent 158 609 eurosalors qu’il a déjà remboursé plusde 40000 euros (lire page 15). Dansce dossier, plus d’un millier d’em-prunteurs ont déjà porté plainte. Enavril, BNP-PF a été mise en examenpour «pratique commerciale trom-peuse». Ce nouveau témoignageest jugé tellement crucial qu’il a ététransmis par le parquet à la juridic-tion civile, noyée sous les plaintes.«Cette audition confirme l’ampleurde la fraude», estime l’avocat Char-les Constantin-Vallet, qui repré-sente plusieurs centaines de plai-gnants. Récit en trois actes d’unprêt risqué devenu épineux pourla BNP.

LA CONCEPTIONTout commence au prin-temps 2008. BNP Personal Financene parvient plus à vendre les prêtsà taux révisable, jusque-là fonds decommerce de sa branche immobi-lier. Avec la crise des subprimes sur-venue quelques mois plus tôt, ce

type de crédits est devenu très diffi-cile à écouler. «Comme il était pluscher que le taux fixe, nous ne ven-dions plus rien», a expliqué NathalieChevallier. La filiale de la BNP vaalors avoir l’idée de concevoir unnouveau prêt, baptisé Helvet Immo.Ancienne directrice régionale del’agence BNP Paris-Etoile, une desplus performantes de France, Na-thalie Chevallier est alors chargéeavec deux autres cadres de formerun groupe de travail. Objectif :établir l’argumentaire commercialde ce nouveau produit, présenté

comme un prêt immobi-lier mais comparable à«un placement boursier en

termes de risque», selon elle. Trèsvite, elle émet des «réserves», no-tamment en raison de la complexitédu produit. Elle dispose surtoutd’un outil de simulation permettantd’anticiper les évolutions possiblesdu capital à rembourser par l’em-prunteur. Celui-ci dépend de l’évo-lution du taux de change entre

Une ex-directrice régionalede BNP Paribas-PersonalFinance a livré à la justicedes détails sur la mise encirculation de prêts toxiques.«Libération» a eu accès à sontémoignage, qui montre que labanque connaissait les risques.

ParEMMANUEL FANSTENet TONINO SERAFINIPhoto MARCUS MOLLER BITSCH

«Je leur ai ditque je [ne croyaispas au produit],que je refusaisde le vendreet que c’étaitun risque pourl’image de la BNP.»NATHALIE CHEVALLIER lorsde son audition, mi-septembre

ENQUÊTE

franc suisse et euro. «J’ai pu fairetourner l’outil à la fois avant et pen-dant la commercialisation, expli-que-t-elle. Cet outil m’a permis decomprendre la dangerosité de ceproduit.» Des inquiétudes aussitôtrelayées à sa hiérarchie. «Je leur aidit que j’avais des crash tests et qu’ilsétaient très mauvais. Ils m’ont de-mandé si je croyais au produit, jeleur ai dit que non, que je refusais dele vendre et que c’était un risquepour l’image de la BNP.»Sa hiérarchie lui donne alors «quin-ze jours pour changer d’avis». «Ilsn’ont pas admis ma rébellion. Se ré-volter, ça ne se fait pas chez BNP.»Peu de temps après, Nathalie Che-vallier est écartée du groupe de tra-vail, mais pas de la banque, où elleva participer à la commercialisationde ces prêts qui vont se révéler toxi-ques. «Je n’ai pas eu le droit d’expli-quer à mes collaborateurs la vraienature de ce produit, de les mettre engarde sur sa dangerosité, déplore-t-elle. Si j’avais expliqué ce que jevoyais sur les crash tests, personnen’aurait vendu le produit.»

LA COMMERCIALISATIONMalgré ces mises en garde répétées,Helvet Immo est commercialisé àpartir de mars 2008. Entre le mo-ment où Nathalie Chevallier est sol-licitée pour préparer l’argumentaireet le lancement du nouveau pro-duit, il se passe seulement quelquessemaines. Pour vendre ses prêts, labanque va alors s’appuyer sur unréseau d’intermédiaires forméspar ses soins. Le principal argumentcommercial de la banque tienten une ligne : quel Suite page 14

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 13

«BNP Paribas-Personal Fi-nance ne commente pasune procédure judiciaire

en cours et nous ne commentons pasdans la presse la déposition d’un té-moin dans le cadre de cette mêmeprocédure judiciaire.»Sollicité jeudi par Libération,BNP Paribas-PF n’a pas souhaitéréagir au témoignage de NathalieChevallier. Cette ancienne direc-trice régionale au sein de la banquea raconté à la juge Claire Thépautcomment Helvet Immo avait étélancé sans tenir compte de ses aler-tes sur les risques liés à ce prêt,souscrit en francs suisses mais rem-boursable en euros (lire ci-contre).Toute appréciation de la monnaiehelvétique face à la devise euro-péenne se traduit par une hausse ducapital à rembourser. Entendule 10 juin, Thierry Laborde, alors di-recteur général de cette filiale dela BNP, a défendu la stratégie de labanque. Les risques de ce prêt«étaient clairement stipulés dansl’offre […] que recevait le client. Ilsuffisait de lire l’offre pour voir qu’ily avait effectivement un risque lié autaux de change».Aucun emprunteur «ne pouvaitignorer ce qu’il faisait», a-t-il pré-cisé. S’agissant des dérives inquié-tantes de ce prêt, dont le capital àrembourser ne cesse d’augmenterdepuis six ans, Thierry Laborde aestimé que «l’ampleur du décro-chage [de l’euro face au franc suisse]n’était pas prévisible». Concernantles intermédiaires d’opérationsbancaires (IOB) qui ont commercia-lisé Helvet Immo, le dirigeant a éga-lement pris ses distances. «La ban-que n’acceptera pas, au vu del’information délivrée aux IOB, legrief d’avoir volontairement trompéle client».En avril 2015, la magistrate a mis enexamen BNP Paribas-PF en tant quepersonne morale «pour pratiquecommerciale trompeuse». Suite àl’audition de Thierry Laborde, ellea décidé d’une mise en examen sup-plétive en raison des omissions dela banque. Le témoignage de Natha-lie Chevallier, livré mi-septembre,devrait entraîner de nouvelles audi-tions dans ce dossier, la juge cher-chant à démêler les responsabilitésdes uns et des autres.

E.Fn et T.S.

Ladéfensede labanqueUn cadre de laBNP estime que«l’ampleur dudécrochage n’étaitpas prévisible».

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14 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

L’ affaire Helvet Immo, du nom des prêtstoxiques en francs suisses commercia-lisés deux ans durant par BNP Pari-

bas-Personal Finance (BNP-PF), pourrait-ellepourrir le début de mandat du nouveau gou-verneur de la Banque de France, François Vil-leroy de Galhau? Cette question, les députésse la sont posée mezza voce en apprenant mi-septembre l’intention de François Hollandede nommer l’ancien directeur général déléguéde BNP Paribas à la tête du régulateur françaisdu système bancaire.Pour l’instant, rien ne vient pourtant étayerl’idée d’une responsabilité directe de l’inté-ressé dans la conception ou la commercialisa-tion de Helvet Immo. Depuis l’ouverture del’information judiciaire le 28 mars 2013, lenom de Villeroy de Galhau n’a même jamaisété cité. C’est au sein de l’UCB, la filiale de cré-dit immobilier de la BNP, que Helvet Immo

est élaboré avant d’être commercialisé à partirde mars 2008, par le biais d’intermédiairemais aussi de deux filiales de BNPParibas, Cetelem et UCB.

Fusion. Or, à cette époque, Ville-roy de Galhau est PDG de Cete-lem, filiale spécialisée dans le prêtà la consommation. A l’autom-ne 2007, mission lui avait été con-fiée de fusionner Cetelem et UCBdans une nouvelle entité, baptiséeBNP Paribas-Personal Finance, mais ce nesera chose faite qu’en juillet 2008. A cettedate, il prend la tête de l’ensemble… avantd’être promu en septembre responsable dupôle banque de détail en France et membredu comité exécutif de BNP Paribas. Or, selonl’ex-cadre de BNP-PF Nathalie Chevallier (lireci-dessus), sa hiérarchie directe (N+1 et N+2

jusqu’au directeur distribution de BNP-PF del’époque, Jean-Marc Romano) sous-estimed’entrée de jeu le risque que présentent lesprêts Helvet Immo pour les clients de la ban-que.Ces patrons ne sont donc pas forcément en-clins à relayer les avertissements des salariésdu réseau auprès de leur maison mère.D’autant que jusqu’en octobre 2008, il ne sepasse rien, le franc suisse restant stable face

à l’euro. Ce n’est qu’à partirde 2009 que la situation devientcritique pour les emprunteurs…Responsable du pôle banque dedétail de BNP Paribas, et doncaussi de BNP-PF, Villeroy est à cemoment-là sans nul doute in-formé. Mais depuis quand ? Hel-vet Immo est retiré du marché enjanvier 2010. Il lui appartient alors

sans doute de gérer les conséquences com-merciales et juridiques du désastre. Sollicité,François Villeroy de Galhau n’a pas souhaitérépondre à nos questions.Son avis étant requis pour la nomination dugouverneur de la Banque de France, la repré-sentation nationale pouvait difficilement pas-ser l’affaire sous silence. Le 29 septembre, lors

de l’audition de Villeroy de Galhau par la com-mission des finances de l’Assemblée, le députécommuniste Nicolas Sansu a donc abordé lesujet de façon détournée. «Les prêts HelvetImmo ont eu des effets désastreux, faisant labagatelle de 6000 victimes, et font actuelle-ment l’objet d’une enquête menée par Mme Thé-paut, juge d’instruction. Il arrive que la Courde cassation ou la chancellerie demandentl’avis de la Banque de France sur des questionstechniques, souligne-t-il. Le gouverneur Ville-roy de Galhau va-t-il être amené à apprécierle travail réalisé sous la direction du banquierVilleroy de Galhau ?»

Casquettes. Si elle écarte tout risque deconflit d’intérêt, la réponse de l’ancien hautfonctionnaire de Bercy n’est pas de nature àrassurer les députés sur le fond : «L’affaire estdevant la justice et je n’ai pas à la commenter.Je ne suis pas en cause aujourd’hui, mais si ja-mais un jour je devais l’être, je ne confondraiévidemment pas les casquettes [ancien respon-sable de la BNP et gouverneur de la Banque deFrance, ndlr].» Sans doute, mais l’affaire pour-rait prendre alors une tournure désagréablepour l’exécutif.

NATHALIE RAULIN

François Villeroy de Galhau,de la BNP à la Banque de FranceEn l’état actuel des investigations, rien ne lieaux prêts toxiques l’ex-directeur général déléguéde l’établissement et récent gouverneur de laBanque centrale, mais il était forcément au courant.

AFP

que soit lemontant de l’emprunt, le capital àrembourser ne peut varier «que dequelques centimes d’euros». Unecontre-vérité au regard des testsréalisés en interne. «On avait l’obli-gation de dire cela aux collabora-teurs et aux partenaires», a expliquéNathalie Chevallier lors de sonaudition.Pour n’inquiéter personne, la pla-quette de présentation du prêt passesous silence le risque principal, ce-lui lié au taux de change. «Le butétait de ne pas écrire des choses quipourraient inquiéter le client oumettre en évidence des éléments né-gatifs, résume-t-elle. Sinon, on nevendait pas.» La filiale de la BNPs’appuie sur l’image de sa maisonmère pour convaincre les plus scep-tiques de commercialiser le produit.A la fin de chaque réunion, racontel’ancienne cadre de banque, lemême discours est servi aux inter-médiaires: «Vous êtes nos partenai-res, nous sommes la BNP, nous nepouvons pas nous permettre de lan-cer un produit qui ne serait pas dequalité et, si ça tourne mal, nous se-rons toujours là pour nos clients.»Une caution de moralité jugée suffi-sante. «Quand vous dites ça à un in-termédiaire, vu ce que pèse BNP, il nepeut que le croire», estime NathalieChevallier. De nombreux intermé-diaires s’estimant floués ont depuistémoigné dans la procédure. «Nousavons été trompés abusivement parl’argumentaire qui avait pour but demasquer le risque de change. Nousne pouvions penser qu’une banqueaussi réputée pourrait mentir à cepoint», a expliqué l’un d’eux auxpoliciers chargés de l’enquête. «Aaucun moment on n’a senti le danger.

Nous faisions confiance à la BNP»,a déploré un autre.A l’époque, pour le département im-mobilier de BNP Paribas-PersonalFinance, vendre des crédits HelvetImmo est devenu une question desurvie. «Il ne se passait pas une se-maine sans qu’on demande à nos col-laborateurs de prendre la route pour

aller inciter nos intermédiaires à envendre beaucoup», a raconté Natha-lie Chevallier. Tous les argumentssont bons pour écouler ce produittoxique. «On disait même aux parte-naires de mettre en avant auprès duclient qu’il allait avoir un compte enSuisse. Ce qui pouvait être considérécomme un privilège.»

LA CRISEFin 2009, à mesure que l’euro sedéprécie face au franc suisse, lesclients se rendent compte à la lec-ture de leurs relevés que leur capitalrestant dû augmente au lieu debaisser. La banque doit faire faceaux appels angoissés des emprun-teurs. «On a cessé la commercialisa-

tion car trop de clients se plaignaientau niveau du service après-vente eton avait peur en termes d’image quecela soit médiatisé», a indiquéNathalie Chevallier. Dès le moisd’avril 2010, le service marketing dela banque lui demande un argu-mentaire afin de répondre auxclients inquiets. «On ne pourra pasdire que tu n’avais pas prévenu surles limites du produit», s’excuse eninterne son interlocuteur par mail.Quelques mois plus tard, elle seraelle-même dépêchée au siège de labanque pour gérer la crise. «Je suisarrivée dans une salle. Il y avaitplein de cartons et de dossiers et onm’a demandé de regarder le score dechaque dossier.» En clair: de déter-miner le niveau d’endettement desdifférents clients ayant souscrit unprêt Helvet Immo. «On m’a alors de-mandé de faire deux piles, poursuitla témoin. Ceux qu’on sauvait parceque leur profil était dangereux dansl’éventualité d’une action judiciairecontre BNP et les autres.»Certains des emprunteurs que labanque choisit de «sauver» ne saventmême pas encore que leur crédit aexplosé. La banque leur propose depasser en taux fixe et en euros en lesexonérant de frais de change, maisils devront assumer une partie ducapital à rembourser. Pour l’ancien-ne cadre, si la commercialisation desprêts n’a pas été «clean», la gestionde la crise a été encore plus catastro-phique. «Le traitement post-crise estpour moi pire car il y a eu discrimi-nation de la clientèle», s’est émue latémoin, qui a quitté la filiale en fé-vrier 2011. Et s’étonne aujourd’huique toutes les personnes en chargede la conception de ce produit ontété «promues». •

Suite de la page 12

A Genève, en 2014. PHOTO DENIS BALIBOUSE. REUTERS

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 15

Benjamin Gomis s’en veut. Il y a septans, c’est lui qui a insisté pour contrac-ter un prêt Helvet Immo. «Ma femme

n’était pas trop d’accord», se souvient l’infir-mier libéral qui, à l’époque, y voit un moyend’investir dans la pierre, de faire «un em-prunt de bon père de famille». Résultat: il leurreste plus de 200000 euros à rembourser,alors qu’ils ont emprunté moins de 140000en 2008. A deux, les Gomis gagnent chaquemois 5500 euros. Aurélie Gomis est infir-mière à l’hôpital à Marseille.Au départ, c’est l’«ami d’un ami», conseilleren gestion de patrimoine, qui démarche lecouple et leur propose d’acquérir un appar-tement du côté de La Ciotat. Bien immobi-lier, prêt, paperasse «indigeste» à gérer :«il s’occupait de tout. […] On a juste regardéle taux proposé et la durée de l’emprunt». Unpeu plus de 1000 euros par mois sur vingt-trois ans et demi. A l’époque, l’argumentchoc de la banque repose sur la stabilité dufranc suisse, et Benjamin Gomis –commedes milliers d’autres victimes– ne se doutepas que ce prêt à un volet toxique. «J’ai signéen confiance, ça avait l’air très clair.»En 2008, il faut 1,54 franc suisse pour obte-nir 1 euro. Un taux de change «attractif»pour les emprunteurs du produit Helvet

Immo, qui sont des ménages souhaitant bé-néficier de la défiscalisation prévue par lesdispositifs d’investissement locatif commecelui de la loi Scellier ou Robien.Les Gomis, qui ne commencent à rembour-ser leur prêt de 140000 euros qu’un an aprèsla souscription, comprennent qu’ils ont étélésés quand, en 2009, ils cherchent à em-prunter pour changer de résidence princi-pale à l’arrivée d’un deuxième enfant. Leurbanquière est «très alarmée» en découvrantles conditions de Helvet Immo: «Qu’est-ceque c’est que ce truc que vous avez signé? Cen’est pas normal, votre capital ne fait qu’aug-menter. C’est une bombe», leur dit la profes-sionnelle. «Ma femme est rentrée en pleurs».«On a eu des sueurs froides», dit BenjaminGomis, aujourd’hui 36 ans. Sidéré, il appellealors la BNP, «pour stopper l’hémorragie».«On n’a eu affaire qu’à une plateforme imper-sonnelle. On s’est énervés, on a insulté. Il n’yavait rien à faire.»L’UFC-Que choisir, qu’il contacte, conseilleà la famille de solliciter un avocat. Celui-ciles invite à saisir une porte de sortie prévuedans le contrat. Au bout de cinq ans, il estpossible de faire réévaluer le prêt et de lefaire passer en euros, avec un taux fixe. Acause du taux de change, en 2013, «on auraiteu 200000 à rembourser. C’est 60000 eurossur lesquels on s’asseyait, mais on l’auraitfait». Un pépin financier les en empêche.Désormais, ils attendent de voir commentla procédure judiciaire évolue, sans trop d’es-poir. «On essaie d’oublier cette histoire, sinonon tombe dans la dépression au quotidien.»

Recueilli par ÉLISE GODEAU

«On s’est énervé,on a insulté, rien à faire»Benjamin Gomis doitplus de 200000 euros.Il en avait emprunté140000 en 2008.

BNP, Volkswagen : même combat,selon Jérôme Touzé. De la même ma-nière que l’entreprise automobile a

trompé le consommateur, «la BNP a sciem-ment mis sur le marché un produit explosif»,estime le quadragénaire, employé chez Car-refour et malheureux détenteur d’un prêtHelvet Immo. «On envoie des gens à la mort,c’est comme vendre une voiture sans lesfreins, c’est d’une gravité extrême. Jamais dela vie je n’aurais signé si j’avais su de quoi ils’agissait.»Avec sa femme, chef de rayon chez Mono-prix, Jérôme Touzé s’engage en 2009 à rem-bourser 112000 euros à la BNP-PF, à coupsde 660 euros par mois pendant vingt-cinqans. Avec la toxicité du prêt, dont le mon-tant augmente à mesure que le franc suisseprend de la valeur, la durée de leur empruntpourrait s’allonger in fine de cinq ans. Et cen’est pas fini. A l’époque, la somme leur sertà acheter un studio universitaire à Lyon. Ilsveulent «capitaliser sur l’immobilier» pourlaisser quelque chose à leur fille. Par le biaisd’un dispositif d’investissement dans le lo-catif, la défiscalisation rembourse une par-tie de l’investissement. «On ne voulait pasquelque chose de risqué.» «En pleine crise dessubprimes», les Touzé ne veulent surtout

pas spéculer. Après quelques rendez-vousavec le commercial d’une société de gestionde patrimoine, l’affaire est dans le sac.Peu attentifs aux premiers relevés trimes-triels, le ménage ne s’aperçoit du piègequ’en 2011. Jérôme Touzé se voit répondreque les fluctuations des cours sont «norma-les». Il comprend néanmoins qu’il s’est faitavoir. Le couple n’aura que très peu de con-tacts avec la banque, malgré leurs sollicita-tions. «C’est la douche froide, j’ai pris un groscoup. Je me suis dit qu’on n’était peut-être pasfaits pour être propriétaires, nous qui som-mes toujours locataires de notre résidenceprincipale d’Issy-les-Moulineaux.» Depuis,il y a eu plusieurs coups durs, comme l’an-nonce, en janvier dernier, de la suppressiondu plafond de 1,20 franc suisse pour 1 euro,seuil sous lequel la devise helvète était cen-sée ne jamais pouvoir descendre. «Notre em-prunt a pris plus de 30 %. Ça fait cinq ansqu’on rembourse un capital qui ne cessed’augmenter, on jette l’argent par les fenê-tres», déplore le quadragénaire.La famille a connu une période «moralementdifficile», les yeux rivés sur la variation dutaux «plusieurs fois pas jour, ça devenait ob-sessionnel». Mais depuis le début de l’infor-mation judiciaire, ouverte en 2013, JérômeTouzé se veut plus optimiste. Il est «intime-ment persuadé que la procédure aura une is-sue favorable», vu les «choses très à chargepour la BNP». En attendant, ils doivent tou-jours rembourser près de 160 000 euros.Presque 50000 de plus que le montant ini-tial de leur prêt.

Recueilli par É.Go.

«C’est la douche froide,j’ai pris un gros coup»Jérôme Touzé avaitemprunté 112000 euros.Il doit en rembourser50000 de plus.

Benjamin Gomis, chez lui, à Aubagne, jeudi. PHOTO BENJAMIN BÉCHET. PICTURE TANK Jérôme Touzé, chez lui, à Issy-les-Moulineaux, jeudi. PHOTO ALBERT FACELLY

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16 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

EmeutesTaxé delaxismepar la droiteet l’extrêmedroite,Manuel Vallsse déplaceà Moiransce vendredi.

M anuel Valls est attendu ce ven-dredi à Moirans, dans la ban-lieue nord de Grenoble, où une

gare avait été mise à sac et plusieurs voi-tures incendiées le 20 octobre par deshommes issus de la communauté desgens du voyage. Depuis quinze jours, «lesaccage de Moirans» est abondammentcommenté et surexploité par la droite etl’extrême droite dans la campagne pourles élections régionales. En se rendantsur place, le Premier ministre honore unengagement pris dès le lendemain desincidents mais reporté en raison du tra-gique accident de car de Puisseguin, le23 octobre en Gironde. Ce déplacementde Valls a évidemment peu de chancesde calmer les ardeurs de ses adversaires

politiques, qui ne se las-sent pas de dénoncer unegauche structurellement

inapte à l’exercice de l’autorité, à Moi-rans comme dans la Somme, le 29 août,quand quelques dizaines de gens duvoyage avait bloqué dans les deux sensl’autoroute A1.

AFFAISSEMENTDans l’entourage du ministre de l’Inté-rieur, Bernard Cazeneuve, on assume lesdécisions prises, le 29 août comme le23 octobre. On rappelle qu’à Moirans,«l’ordre a été rétabli en deux heures». Etcompte tenu du «contexte très tendu»dans lequel s’est déroulé le blocage del’A1, le risque de dénouement sanglantétait bien réel. S’il y avait eu mortd’homme, les dommages auraient étéautrement plus graves, fait-on remar-quer place Beauvau. Humainement biensûr, mais aussi politiquement.Pas de quoi désarmer la droite. A lon-gueur de meetings, les adversaires desexécutifs régionaux sortants (tous degauche à l’exception de l’Alsace) se déso-lent de «l’impunité» réservée aux gensdu voyage comme aux «zadistes» quiprospèrent sur ces «zones de non-droit»que seraient devenus les sites retenuspour le Center Parc de Roybon (Isère) oupour l’aéroport Notre-Dame-des-Landes(Loire-Atlantique). Décidément trèssoucieux de s’extraire du procès enlaxisme qui est fait à la gauche, Vallsvient d’ailleurs d’annoncer, devant l’As-semblée nationale, que les travaux pou-vaient commencer à Notre-Dame-des-Landes. Qu’importe que cette annoncetrès personnelle ait peu de chancesd’être suivie d’effet: tout est dans l’affi-

ParALAIN AUFFRAY

RÉCIT Isère

Matraquageautourd’un saccage

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 17

chage d’une autorité dont la droite, der-rière Nicolas Sarkozy, revendique le mo-nopole.

«IMPUNITÉ»Yannick Neuder, cardiologue réputé duCHU de Grenoble, conduit dans l’Isèrela liste du candidat Les Républicains(LR) à la présidence de la région, Lau-rent Wauquiez. Il est formel: le laxismede la gauche aurait fait monter «l’exas-pération» au-delà du supportable. Lesélecteurs de son département n’auraienttoujours pas digéré l’absence de pour-suites contre les responsables des vio-lences spectaculaires du 20 octobre àMoirans. Se qualifiant lui-même de«modéré issu de la société civile», le doc-teur Neuder assure qu’il n’invente rien:«pas plus tard qu’hier», tous les patientsqu’il a reçus à l’hôpital lui en ont parlé,confiait-il jeudi à Libération. «Ce sontsurtout les personnes âgées qui sont trèschoquées. Elles me disent: “Pour baissernos aides et imposer de nouveaux impôtsils sont là, mais quand il s’agit d’arrêterles casseurs, il n’y a plus personne.”» Se-lon Neuder, la colère n’est pas moinsvive envers ceux qui luttent contre leCenter Park, «bloquent 700 emplois etcassent des pelles mécaniques en touteimpunité». A chacun ses zadistes: dansla région des Pays-de-la-Loire, le candi-dat LR Bruno Retailleau affirme que «les

exactions» des opposants à l’aéroportont contribué à installer chez les élec-teurs l’idée d’un affaissement de l’auto-rité de l’Etat. Partout, les candidats LRaux régionales constatent, dans leursdiscours, que le couplet sur le laxisme,est, de très loin, le plus efficace poursoulever l’enthousiasme des sympathi-sants. Au hit-parade de la droite, il amême détrôné, dans cette campagneélectorale, les inusables diatribes contreles ravages du communautarisme mu-sulman. «C’est un fait, les gens sont ex-trêmement sensibles à tout ce qui toucheau laxisme», confirme un proche de Va-lérie Pécresse, candidate à la présidencede l’Ile-de-France. Dans cette région, ladroite insiste particulièrement sur uneautre «impunité», celle au bénéfice desimmigrés clandestins touchés par desarrêtés de reconduite à la frontière. Pé-cresse, qui affronte le socialiste ClaudeBartolone, proclame que l’autorité est«la première de ses valeurs».A la faveur de cette offensive générali-sée, les élus LR affichent une sollicitudetoute particulière à l’égard des automo-bilistes. N’ont-ils pas bien raison de nepas supporter qu’on les sanctionnequand ils roulent à 56 km/h tandis qu’onfiche une paix royale aux responsablesdu blocage de l’A1 pendant plusieursheures en plein week-end de retour devacances? A l’Assemblée nationale, l’op-

position a déjà interpellé le gouverne-ment à trois reprises sur l’inépuisabledossier des gens du voyage. Dans l’heb-domadaire Valeurs actuelles, le députéLR de l’Yonne Guillaume Larrivé se dé-chaîne contre le gouvernement, accuséde «se coucher» devant des «hordes» qui«méprisent nos lois et défient la police»:«Quand le pouvoir n’exerce pas le pou-voir, l’espace public est envahi par descrapules, en toute impunité», «pendantce temps, la garde des Sceaux récite despoèmes et le Premier ministre fait sem-blant de gouverner».

«CHIENLIT»Nicolas Sarkozy n’a pas manqué d’en-fourcher le même cheval. S’inquiétantde la «chienlit» qui se serait installée, ilexige, dans un communiqué publié aulendemain des violences de Moirans,que la loi s’applique «dans toute sa sévé-rité» contre «les casseurs». Pour lui, avecl’épisode Moirans, «le gouvernement aadressé un dangereux message delaxisme qui a été reçu et compris par lesfauteurs de trouble». Dans un entretiendonné lundi au Parisien, l’ancien chefde l’Etat met en vedette les incidents des29 août et 20 octobre dans la liste despreuves de «l’affaiblissement de l’Etat etde son autorité». Pas insensible à cepilonnage, Valls se fait un devoir de luirépondre. •

L e 20 octobre, suite au refus par lajustice d’accorder une autorisa-tion de sortie à un détenu qui

souhaitait assister aux obsèques de sonjeune frère, gitan sédentarisé de Moi-rans, des dizaines d’individus souventcagoulés et gantés avaient violemmentmanifesté dans cette petite communeiséroise. Ils avaient barré durant plu-sieurs heures une route départemen-tale et la voie SNCF Lyon-Grenoble àl’aide de 35 voitures en feu, mêlant épa-ves volées dans une casse voisine et vé-hicules en état de marche stationnéssur les lieux, dégradant la gare SNCF etun restaurant. Les gendarmes mobilesavaient essuyé des jets de pierres lors deleur prise de contrôle des lieux, troisheures après le début des incendies. Iln’y a eu aucune interpellation, ni alors,ni depuis.

Les opérations de maintiende l’ordre ont-elles traînéle jour des violences ?Le préfet de l’Isère, Jean-Paul Bonne-tain, était présent en première ligne, auxcotés des forces de l’ordre et des sa-peurs-pompiers. Il assure avoir agi«aussi vite que possible». Dans une inter-view au Dauphiné libéré du 29 octobre,il est revenu sur le déroulement des opé-rations: «Dès que les gendarmes départe-mentaux ont été prévenus, ils sont inter-venus. C’était avant 16 heures.» Ils ont

même tenté de «reprendre la gare», sanssuccès, «le rapport de force leur était dé-favorable» et «le maintien de l’ordre nefait pas partie de leurs missions. Ils nesont ni équipés ni formés pour ça». Lepréfet leur ordonne donc de «filmer etrecueillir des éléments»pour les investigationsfutures. «En l’absenced’une force de maintiende l’ordre disponible im-médiatement sur place»,il a fallu attendre quesuffisamment de gen-darmes soient mobilisésen Isère et dans les dépar-tements voisins, et achemi-nés à Moirans, pour reprendresans faire de blessé le contrôle de la bar-ricade sur la départementale à 18h30, etde la gare à 19h30.

Pourquoi n’y a-t-il pas eud’arrestations le jour même?Le préfet assure avoir reçu dans l’après-midi «plusieurs» coups de fil du Premierministre et du ministre de l’Intérieur:«Ils insistaient pour que l’on procède àdes interpellations», a-t-il précisé auDauphiné libéré. Et le lendemain surFrance 3-Alpes: «Ma première préoccu-pation, c’était de rétablir l’ordre.J’aurais pu arrêter 20, 30 personnes hiersoir, c’est facile, vous savez. Ellesauraient été relâchées au bout de deux

heures. On ne peut pas faire n’importequoi, arrêter n’importe qui. Nous noussommes attachés à la qualité des preuvesà apporter. Nous les avons emmagasinés,l’enquête va se poursuivre, sous l’autoritédu parquet de Grenoble».

L’enquête est-elle en panne?Le procureur de Grenoble, Jean-YvesCoquillat, connu pour sa fermeté, sonpragmatisme et son esprit d’indépen-dance, avait affiché la couleur au lende-

main des violences: malgré lesélements recueillis par les

gendarmes, l’enquête al-lait être «extrêmementdifficile» et l’identifica-tion des «émeutiers»prendrait «des semai-nes». Il avait ajouté: «Les

interpellations ne sontpas décidées en fonction

d’une volonté politique.Toute précipitation et toute

pression excessive peuvent nuire au ré-sultat d’une enquête. Je veillerai à ce queles enquêteurs ne subissent pas de pres-sions effectives. Ils ne rendront de comp-tes qu’à moi. » Depuis les incidents, legroupement de gendarmerie de l’Isèreet la section de recherche de Grenobleont beaucoup travaillé: analyse des pho-tos et des vidéos, relevés ADN, géolocali-sation… L’enquête se poursuit à ce jour,avec le souci de ne procéder à une séried’arrestations qu’une fois des preuvesclaires réunies contre les personnes in-terpellées afin de pouvoir les présenterimmédiatement devant un juge.

FRANCOIS CARRELCorrespondant à Grenoble (Isère)

Incendies de Moirans,le temps des preuvesPour le préfet de l’Isère comme pourle procureur de Grenoble, l’enquête doitse dérouler sans pression ni précipitation.

SAVOIE

AIN

RHÔNE

DRÔME

HTE-LOIRE

ARDÈC

HE

ISÈRE

Grenoble

Moirans

25 km

A Moirans,le 21 octobre,

après lesincidents.

PHOTO LAURENTCIPRIANI. AP

Retrouvez Laurent Joffrin chaque samedi à 8h40, dans Le Journal de la semaine politique en partenariat avec

du week-endle 7/9

patricia martin

Page 18: Journal LIBE Du Vendredi 6 Novembre 2015

18 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

Collard et Maréchal-Le Pen,

élus dépitésExtrême droiteMarginalisés à l’Assembléenationale, éclipsés par legroupe FN au Parlementeuropéen, les deux députésfont aveu d’impuissance.

L e premier promettait de «faire entendre la voixd’un peuple qui en a assez», d’exercer à l’As-semblée nationale «une mission de casse-

couilles démocratique». La seconde se voyait en «por-te-parole» d’une certaine «jeunesse française». C’étaitle 17 juin 2012, pour la première fois depuis 1997, leFront national faisait élire deux députés: MarionMaréchal-Le Pen et Gilbert Collard (soutenu par leFN, ce dernier n’est membre que du Rassemblementbleu Marine). Charge à eux de représenter les 3,5 mil-lions d’électeurs FN du premier tour.Trois ans et demi plus tard, favorite de l’élection ré-gionale en Paca, Marion Maréchal-Le Pen a annoncéqu’elle quitterait l’Assemblée nationale en cas de vic-toire. Une astreinte au non-cumul d’autant moinsdouloureuse que l’élue du Vaucluse a,comme son collègue du Gard, constaté leslimites de son mandat. Privés de moyensd’action en tant que non-inscrits, les députés FN-RBM restent tenus à l’écart. Et ne sont guère mis enlumière par un parti surtout concentré sur songroupe parlementaire européen. «Je tourne un peuen rond», avoue Marion Maréchal-Le Pen, «condam-née de fait à un rôle d’opposition et de communica-tion». «La joute parlementaire, ça peut être amusantavec 15 collègues qui applaudissent. Parler seule con-tre tous dans un silence de mort, ça ne fait pas lemême effet.»Elus à la proportionnelle en 1986, les 35 premiers dé-putés FN avaient pu former un groupe; en 2015, leduo «bleu Marine» siège parmi les 11 non-inscrits.Ce qui revient à tomber dans un trou noir, avec untemps de parole réduit à quelques minutes dansl’hémicycle, une question orale au gouvernementpar an, un ordre du jour élaboré par d’autres. Diffi-cile, dès lors, de comparer les performances des non-inscrits à celles des membres d’un groupe. «C’est unhandicap. Je ne peux pas me faire relayer pour défen-dre un amendement ni cosigner ceux d’un groupe»,

ParDOMINIQUE ALBERTINIet LAURE EQUY

explique Maréchal-Le Pen. «On mène un combat dé-sespéré», renchérit Collard.La benjamine de l’Assemblée et l’habitué des prétoi-res ont opté pour des stratégies différentes. «Onphosphore séparément», confirme Collard. Peu as-sidu à la commission des lois, l’avocat privilégie larédaction de propositions de lois, pas moins de qua-torze depuis 2012, dont six cette année. Une frénésiequi, sur ce critère, le classe parmi les 150 premiersdéputés (sur 577) sur la dernière année. Celui-cibrasse large: régime social des indépendants, légi-time défense des policiers, recours au référendum–un de ses mantras. «Je prends date, j’offre un corpuslégislatif, se targue-t-il. Un jour, mes propositions se-ront reprises car ce sont des avancées démocratiquesau-delà des partis dont je me tape.» Un jour mais paslors de cette législature, ses textes n’ayant aucunechance d’être inscrits à l’ordre du jour.Marion Maréchal-Le Pen n’a, elle, déposé qu’une pro-position de loi, fin 2012, sur la désignation des mem-bres du Conseil constitutionnel. Pragmatique, ellepréfère les interventions à la tribune, «plus faciles àdiffuser sur Internet»: «Puisque ce que je propose seraretoqué par principe, je m’adresse plus à l’extérieurqu’à l’intérieur», explique-t-elle. Comme ce jour demars 2015 où elle interpelle Manuel Valls, fustigeantson «mépris crétin». La vidéo a été visionnée plusde 500000 fois sur YouTube. Cet épisode est l’un desrares où la députée a joué la provocation. Revendi-quant de «ne pas faire du buzz un mode de fonction-nement», elle dit ne pas chercher à compenser sonisolement par des coups de com. Question de tempé-rament et de stratégie. «Le FN a tout à gagner à s’ins-titutionnaliser, théorise-t-elle. Pour ne pas se margi-naliser, il ne faut pas être que dans le coup d’éclat.»

Une modération affichée que ne partagepas vraiment Gilbert Collard, qui avaitprodigué à sa collègue des conseils d’ora-

teur: «Comme tous les jeunes, elle ne les écoute pastout en les entendant.» Lui qui juge que «l’histoiren’avance que par les provocateurs» y recourt volon-tiers, trouvant même ne «pas en faire assez» en lamatière. Il se vante d’avoir donné du «facho» au Pre-mier ministre et traité de «faux-culs» les socialis-tes.«Il y a deux Collard, décrypte le président de lacommission des lois, Jean-Jacques Urvoas (PS).L’avocat qui a une connaissance technique des sujetspénaux, et, sur les autres dossiers, un parlementairequi, quand il est là, cultive son côté iconoclaste etcherche l’esclandre.»

«C’EST ÇA QUI ME TUE»Une stratégie qui a ses limites: «Maintenant, ils sesont donné le mot, déplore Collard à propos de sescollègues. Je vais à l’extrême limite de la provoc, maisils étouffent le truc pour que ça ne fasse pas de vague.»Et, au fond, l’homme va-t-il aussi loin qu’il l’assure?«Il voulait être le “casse-couilles” de l’Assemblée, rap-pelle Jean-Frédéric Poisson (LR). Il s’est rendu

ENQUÊTE

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 19

Gilbert Collard et Marion-Maréchal Le Pen à l’Assembléeen 2014. PHOTO SÉBASTIEN CALVET

Paca : l’identité au cœurdu programme du FNElle avait déjà dévoilé ses principales promesseséconomiques: «préférence régionale» pour lesmarchés publics, soutien à la réindustrialisation,appui prioritaire aux PME. Marion Maréchal-Le Pena présenté jeudi à Antibes le reste de sonprogramme. Y figurent le non-remplacement desfonctionnaires territoriaux retraités, la créationd’une police des transports, la suppression dessubventions aux «associations communautaristes»ou encore la création d’une «vice-présidence àl’identité». C’est jeudi également qu’ont été déposéesles listes de Jacques Bompard, rival de la frontisteà l’extrême droite. Parmi ses candidats, plusieursélus régionaux FN sortants entrés en dissidence.Jacques Bompard oppose son «enracinement»vauclusien au «jacobinisme» frontiste.

compte que cette maison a des règles et qu’on ne peutpas tout se permettre.»Au-delà de ces approches différentes, leur visibilitémédiatique console les deux députés de leur faibleforce de frappe législative. Pas fan des Quatre Colon-nes, lieu de rencontre entre journalistes et députés,Maréchal-Le Pen sait trouver les caméras: si elle sè-che souvent les réunions de la commission des affai-res étrangères, elle loupe rarement les questions augouvernement, diffusées à la télé. «Sans ce mandat,je ne serais pas invitée dans les médias nationaux»,ajoute-t-elle. Collard, lui, se félicite d’avoir été «qua-tre fois invité par la télévision israélienne, ce quin’avait rien d’évident pour un député apparenté auFN et participe à la dédiabolisation».Dédiabolisation ou pas, aucune de leurs initiativesn’est soutenue par la droite. «La notion d’intérêt gé-néral n’existe pas ici, fulmine le député du Gard. Surle fond, ils sont d’accord avec moi. C’est ça qui metue!» Inversement, seule une poignée de textes issusde la droite ont été ouverts à la signature des dépu-tés FN-RBM. Un collaborateur LR reconnaît que songroupe dispose d’un fichier pour les partages de tra-vaux parlementaires ouvert aux «non-inscrits fré-quentables», comme le souverainiste Nicolas Du-pont-Aignan, la villiériste Véronique Besse ou lecentriste Jean Lassalle. Sans surprise, Collard et Ma-réchal-Le Pen n’y figurent pas. Cette dernière s’étaitassociée à la proposition de loi de Lionnel Luca surla reconnaissance du génocide vendéen début 2013.Bien que la députée ait juré qu’il s’agissait d’un ren-fort exceptionnel, deux députés (Les Républicains)avaient retiré leur paraphe.

«ILS NE MANGENT PAS LES ENFANTS»Déjà en vigueur en 1986-1988, un solide «cordon sa-nitaire» sépare toujours la droite de l’extrême droitemalgré une porosité idéologique sur certains sujets.«Certains se sont fait engueuler pour avoir été tropsympas avec moi, croit savoir Maréchal-Le Pen. Onpeut tenter de construire des fronts avec les élus lo-caux, pas avec les grands pontes, ils n’auront jamaisle courage.» Et encore, la plupart des communes desa circonscription n’ont pas voulu des fonds tirés desa réserve parlementaire avec laquelle elle peut fi-nancer des projets locaux.Cette étanchéité n’interdit pas des liens ponctuels,voire cordiaux: «Ils sont polis et bien élevés, ne man-gent pas les petits enfants», sourit un assistant parle-mentaire. Jean-Frédéric Poisson (LR), leur voisindans l’hémicycle, évoque des «relations courtoiseset sans gêne». Mais rares sont ceux qui ont en têteune anecdote, ayant rarement partagé plus qu’unascenseur dans les étages du Palais Bourbon. Chezcertains, transparaît une fascination mêlée de con-descendance pour cette «gamine de 25 ans». «Mêmedes députés de gauche vous diront qu’elle a une matu-rité exceptionnelle pour son âge», assure JacquesMyard (LR). «Pour beaucoup de ces vieux mâleshétéropatriarcaux, elle n’a pas vraiment le visage dela bête immonde !» plaisante le collaborateur d’undéputé LR. Pour Gilbert Collard, les contacts person-nels sont d’autant plus faciles qu’il a été, s’amuse-t-il, «l’avocat de pas mal de monde». Mais hors desdiscussions de couloirs, le malaise refait surface:«Quand Collard intervient, il y a un silence en atten-dant que ça passe. Chacun marche sur des œufs, onira plus facilement saluer [le communiste] AndréChassaigne», concède un député LR.Etonnamment, le duo semble aussi dans l’anglemort de son parti, dont la présidente évoque rare-ment le travail. «On est un peu les mal-aimés», plai-sante Collard. La situation aurait été différente siMarine Le Pen avait été élue députée en 2012. C’estau Parlement européen qu’elle siège, attirant la lu-mière à Strasbourg. D’autant que la plupart des diri-geants frontistes sont aussi eurodéputés. S’alliantà d’autres mouvements populistes européens, le FNy a constitué un groupe, obtenant une visibilité etdes moyens. Quant aux relations entre les députéset leur maison mère, elles ne sont guère formalisées.

«On est très autonomes», positive Marion Maré-chal-Le Pen, qui sollicite tout de même l’avis de satante lorsqu’elle interpelle le gouvernement, parexemple. Mais l’autonomie a un goût d’isolement:«Nous sommes éloignés du siège et cela peut se ressen-tir sur la diffusion des directives et des positions duFront, confie-t-on dans l’entourage de l’un des dépu-tés. On reçoit quelques notes, mais avec parcimonie.»Un cadre confirme «un petit mécontentement en ma-tière de concertation. Ils étaient parfois demandeursde plus de matière sur des sujets techniques». Pourun autre, «le vrai sujet est qu’aucun des deux n’a defonction dans l’appareil central».Chacun à sa manière, les députés FN-RBM sont biendes outsiders : l’une se construit sans tapage enmarge du parti; l’autre n’en est toujours pas mem-bre, et aspire à s’y faire plus entendre. Aucun, pourl’heure, n’a décidé s’il se représenterait en 2017.«Etre députée pour être députée, cela ne m’intéressepas», glisse Marion Maréchal-Le Pen, les yeux rivéssur les régionales. Quant à Collard, il se verrait,pourquoi pas, consacrer son temps au théâtre «ouà la poésie». •

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20 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

IDÉES/

A vec inquiétude, DelphineHorvilleur, l’une des trèsrares rabbins femmes en

France, voit la montée du repliidentitaire et le renforcement desfondamentalismes, qu’ils soientreligieux ou politiques. Dans sondernier essai, Comment les rab-bins font les enfants. Sexe, trans-mission, identité dans le ju-daïsme, cette quadragénaire quifut d’abord journaliste explore lamanière dont se fabriquent lesidentités. En toile de fond, elleinterroge le mal être des sociétéscontemporaines qui n’arriventpas à s’appuyer sur ce qui les ras-semble mais sécrètent des com-munautarismes, un monoli-thisme identitaire où chacun estassigné à résidence. En relisant laBible, elle trace, à l’inverse, desperspectives ouvertes, celles d’unhéritage vécu comme un ancragemais toujours à interroger. Infine, elle plaide pour une «reli-gion matricielle» qui laisse laplace à l’autre, à l’étranger et àl’altérité, à des identités toujoursen devenir. Elle réserverait aussiune vraie place aux femmes.Pourquoi la question de l’iden-tité est-elle aussi prégnanteaujourd’hui ?A cause peut-être de la fin desidéologies collectives, à cause del’individualisme tout-puissant,parce qu’on ne sait plus ce quel’on partage… Dans notre société,nous assistons –et c’est ce qui metrouble– à un double mouve-ment. D’un côté, il y a une décon-nexion du passé. L’individu re-fuse d’être aliéné par ses origineset ne veut rien imposer à la géné-ration suivante pour la «laisserchoisir», comme si l’apparte-nance n’était qu’une aliénation.Comme si on pouvait s’inventer àpartir de rien… En contrechamp,il y a une autre tendance quinourrit les fondamentalismes.Pour elle, la fidélité à une tradi-tion, c’est de ne rien changer parrapport à la génération précé-dente. Il faudrait même retrouver

l’âge d’or de nos arrières-grands-parents, comme si la seule fidé-lité a un héritage consistait à lereproduire à l’identique. Cesdeux modèles semblent n’avoirrien à se dire. En fait, ils sont lesrevers d’une même médaille. Lasociété hyperindiviudaliste oùchacun est renvoyé à ses choixquasi illimités connaît la tenta-tion confortable du repli des fon-damentalismes où il faudrait vi-vre comme avant nous, accepteret se soumettre au règne de l’in-changé.Le fondamentalisme est-il seule-ment un phénomène religieux?Absolument pas. C’est une idolâ-trie –au sens premier– de l’héri-tage. Cet héritage devient uneidole qui ne peut être question-née. Pour moi, au cœur du ju-daïsme, il y a cette lutte contrel’idolâtrie, contre ce qui devientfigé et morbide dans nos existen-ces. Il nous faut accepter une cer-

taine porosité, une certaine va-riabilité, le mouvement dumonde qui nous entoure. Si lesreligions et les fondamentalis-mes ont des problèmes avec lesfemmes, c’est précisément parcequ’ils ont un problème avec cettenotion de porosité, de variabilité,de mouvement, que représente leféminin dans la pensée reli-gieuse. Toute idéologie peut, mesemble-t-il, tourner au fonda-mentalisme. Cela dérape à partirdu moment où elle dit le tout demon être, à partir du moment oùun composant de mon identitédevient le tout de mon être. C’estce à quoi nous assistons avec lerepli identitaire à l’œuvre dansnos sociétés. Ces dernières an-nées, je l’ai beaucoup ressentidans la «communauté» juive(je mets des guillemets). On étaitpoussé à n’être plus que juif. C’estsûrement aussi le cas pour beau-coup de musulmans ou de chré-tiens. Personnellement, je suisjuive. Mais plein d’autres élé-ments constituent ma personna-lité. Je suis une femme, pari-sienne, née dans les années 70,mère d’enfants qui vont à l’écolepublique, etc.Qu’est-ce qui est mortifère dansle repli identitaire ?L’individu est poussé en perma-nence à ne s’exprimer qu’au nomde cette appartenance. Non seu-lement cette partie de l’iden-tité prend toute la place mais celainduit aussi qu’il n’y aurait plusqu’une façon d’être juif, qu’unefaçon d’être musulman. En réa-lité, nous savons tous qu’il y a desmanières plurielles d’incarnerson identité.Comment voyez-vous, dans laBible, cette identité qui est, se-lon vous, toujours en devenir ?C’est absolument partout! Acommencer par le personnagequi crée la lignée des Hébreux,Abraham. Que fait-il? Son pre-mier geste est de partir de chezlui. Il est né à Ur en Chaldée et ilse met en route vers la Terre pro-

mise. Les commentaires rabbini-ques vont même plus loin que laBible et expliquent qu’Abrahamse met en route parce qu’il a dé-truit les idoles de son père. Litté-ralement, il est le premier icono-claste. La première figurepatriarcale, celle qu’on a choisiecomme figure emblématique dupère, est quelqu’un qui a envoyébouler son propre père, qui a eule culot de s’éloigner du sien.Sommes-nous les héritiersd’Abraham en suivant mot pourmot ses enseignements? Ou som-mes-nous ses héritiers car noussommes capables de reproduireson geste? Cette mise en route estpermanente dans le judaïsme. LaTorah s’arrête quand les Hébreuxsont encore dans le désert. Parceque le chemin est le récit.Le fondamentalisme, c’est aussiun rapport erroné au texte ?Le fondamentalisme n’autorisequ’une seule lecture du texte. Aun moment donné, quelqu’undit : il faut lire comme cela parcequ’il a toujours été lu ainsi. Maisen affirmant que le texte a dit sondernier mot, on le tue. On trans-forme une tradition de lecture enidole, en icône, en quelque chosede figé, de mortifère. Toute pen-sée se doit d’être vivante. Et pourcela, il faut accepter qu’un texten’a pas fini de parler tant que sondernier lecteur n’est pas arrivé.«Qui est juif?» est une questionimportante dans le judaïsme ?C’est LA question puisqu’elle ditla frontière du groupe et pourtantle judaïsme, je crois, a une inca-pacité à le définir et donc à le fi-nir. Dans le monde traditionnel,on vous dira que vous êtes juifparce que vous avez une mèrejuive ou parce que vous vous êtesconverti. Mais être juif, c’est évi-dent, transcende cela.Et des grandes figures bibliquesont épousé des femmes étrangè-res ?Tous les grands héros, Moïse leplus célèbre d’entre eux, Josephou encore les rois David et Salo-mon, rencontrent une étrangère.Par cette rencontre, l’histoire vaadvenir. Elle continue parce quesurgit l’altérité. Je ne suis pas entrain de prôner le bénéfice de lamixité. On le sait dans nos socié-tés; c’est compliqué la mixité.Mais il faut avoir l’honnêteté dereconnaître que nos textes ontété capables de l’envisager. Etd’elle dépend la continuation del’histoire. S’il n’y a pas de rencon-tres, il n’y a pas de nouvelles gé-nérations, au sens large duterme, c’est-à-dire de nouvellesidées, de nouvelles lectures. Toutl’enjeu, selon moi, est là: avancervers des identités non identi-ques. Les femmes ont un rôleparticulier à jouer. Dans toutesles traditions religieuses, elles re-présentent les voix de la périphé-rie, celles qui ont été étoufféespendant des centaines et descentaines d’années, des voix quis’inscrivent dans une consciencede la complexité et de la porosité.

Recueilli parBERNADETTE SAUVAGET

Delphine Horvilleur«Un texte sacré n’a pas finide parler tant que son dernierlecteur n’est pas arrivé»

Contre le repliidentitaire et lesfondamentalismes,Delphine Horvilleur,rabbin, proposeune lecture toujoursrenouvelée et plurielledes textes sacrés.Ainsi, Abrahampeut apparaître commele premier iconoclaste,et, dans la Bible,ce sont l’altéritéet les rencontresqui font avancerl’histoire.

DR

Toute idéologiepeut tourner aufondamentalisme.Cela dérape à partirdu moment où uncomposant de monidentité devientle tout de mon être.Je ne suis passeulement juive,mais aussi femme,mère d’enfantsallant à l’écolepublique,Parisiennenée dansles années 70...

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PHILOSOPHIQUES

ParFRÉDÉRIC WORMSProfesseur de philosophie à l’Ecole normale supérieure

«I l faut imaginer Sisyphe heu-reux.» Ce n’est pas seulementdans le domaine de la politique

que l’on peut avoir le sentiment trou-blant, et parfois désespérant, que l’his-toire se répète, nous ramenant au Ca-mus de 1942 et à son Mythe de Sisyphe,qui se terminait sur cette phrase célè-bre! C’est aussi dans le domaine de la lit-térature, aujourd’hui, un domaine quicependant n’est pas isolé des autres.Bien au contraire : qui éclaire par ses

étranges scènes derépétition – avecun singulier senti-ment de déjà-vu–le sentiment quel’on éprouve aussidans tous les au-tres domaines dela culture (parexemple sur «lesintellectuels») etde la politique.Comment ne pasen être frappé ?Que signifient cesreprises et parfoisces nostalgies ?Après le Meur-sault, contre-en-quête, de Kamel

Daoud, voici le 2084, de Boualem San-sal. Pourquoi ces retours au Camus del’Etranger (1942, encore et toujours :c’est avec le Mythe de Sisyphe et Caligulaau théâtre le premier «triptyque» de Ca-mus), et au 1984 d’Orwell ?Une première explication, qui a sa partde vérité, confirmera le mythe de Sisy-phe! L’histoire se répète et nos repèresy restent les mêmes, auxquels nous nousraccrochons pour ne pas nous perdre,dans des labyrinthes qui ont l’air nou-veaux, mais sont toujours ceux des mê-mes enfers. Big Brother n’a plus le visagefroid des totalitarismes bureaucrati-ques, comme en 1984, mais d’un fana-tisme religieux devant lequel cependantnous sommes toujours aussi incrédules.Et même pour critiquer avec force la fi-gure muette de «l’Arabe» dans l’Etran-ger, et pour lui redonner parole et vie,Daoud renvoie encore à la haute écrituresidérante et résistante qui avait trouégrâce à Camus le paysage littéraire etphilosophique de la guerre à Paris. Ilfaut cela lorsque tout le monde sembles’égarer de nouveau. Mais cela peut dé-sespérer, en effet. Est-ce toujours lemême rocher guerrier et raciste qui re-tombera sur nous et ne trouverons-nousnotre bonheur qu’à persister dans lemême refus et la même remontée? C’estdéjà ça. Mais cela ne nous suffira pas.

Pour comprendre l’enjeu de ces répéti-tions, il faut s’en donner tout le spectre.Regardons bien. Nous avons notre Cé-line, qui fait lui aussi dans la religion-fiction, et nous enferme avec lui dans lajouissance de la «soumission», tout envoulant soumettre autour de lui les jour-nalistes, la critique, la littérature et lemonde entier. Répétition de posturessarcastiques et cyniques, qui ont biendes échos aussi du côté des «intellec-tuels». On se souvient de «Sartre-et-Ca-mus». Mais a-t-on oublié à qui et à quoiils faisaient face? Ces sarcasmes hideuxet ces lettres anonymes qui les assail-laient partout ? Ils sont de retour, eux

aussi. Sur un mode plus comique, le po-lar de littérature-fiction de Laurent Bi-net n’est pas moins révélateur à d’autreségards. Il ne garde des auteurs structura-listes que l’ironie suscitée par leur style.Mais le rire qu’il suscite encore grâce àeux révèle aussi sa part de nostalgie ac-tive, pour ce style et ce qu’il recelait. LaSeptième fonction du langage se veutune satire du passé. Mais c’est un symp-tôme du présent. On y entend aussi ceci:«Barthes, reviens !» N’oublions pas nonplus les grandes figures littéraires dissi-dentes et créatrices que fait revenir leprix Nobel attribué à Svetlana Alexie-vitch.Ce n’est donc pas ici une simple confu-sion des époques ni perte des repères. Ilfaut aller plus loin. Il faut distinguer lesrépétitions inconscientes ou hypocrites,celles des éructations antidémocrati-ques; les imitations de divertissement;les recréations créatrices qui passent parde nouveaux engagements politiques ettoujours aussi par de nouvelles inven-tions littéraires. Ainsi le Meursault deDaoud ou le 2084 de Sansal, qui dépla-cent la langue elle-même des œuvresconsciemment renouvelées. Le signe enétant peut-être aussi le barrage communqui leur a été successivement opposé de-vant tel grand prix littéraire.C’est ce qui doit nous orienter. Nous nesommes pas entièrement perdus dansle labyrinthe. Nous n’avons pas pournous guider seulement la répétition des

anciens combats et des anciennes lu-mières. Camus contre Céline, Orwellcontre Poutine. Oui. Mais aussi de nou-velles inventions face à de nouveaux en-jeux. Comment Camus n’avait-il pas vuque son traitement de «l’Arabe» contre-disait toute sa pensée ? Commentoublier que l’œuvre d’Orwell venait deson travail de journaliste, sur le terrain,y compris pour aboutir à la Ferme desanimaux qu’il faut aussi relire, dans sonsens littéral et vital (comme la Peste)?Chez les «intellectuels» aussi, il ne s’agitpas seulement d’un jeu gratuit avec devieilles postures, mais à travers ces dé-placements parfois redoutables des en-jeux redoutables d’aujourd’hui. A quoiil faudra résister.Mais quel sera notre mythe à nous? En-core Sisyphe? Nous n’avons plus enviede «mythes». Trop de mythes ont été dé-noncés qui désignaient en fait les réali-tés terribles du présent. S’il fallait ce-pendant donner une image de l’hommeaujourd’hui, car on en a besoin, nous lademanderions à la littérature. Don-nez-la nous. Et en attendant, nous vou-drions un instant malgré tout ce qu’ilsredoutent et que nous redoutons aveceux en donner un signe. Nous voudrionsimaginer Kamel Daoud et Boualem San-sal heureux. Et y travailler avec eux. •

Cette chronique est assurée en alternance parSandra Laugier, Michaël Fœssel, Anne Dufour-mantel et Frédéric Worms.

Un singulier sentiment de déjà-vuEn littérature, comme dans tous les autres domaines de la cultureet de la politique, on assiste à d’étranges scènes de répétition,où les retours du passé deviennent des symptômes du présent.

Big Brother n’a plusle visage froiddes totalitarismesbureaucratiques,comme en 1984,mais d’unfanatisme religieuxdevant lequelcependant noussommes toujoursaussi incrédules.

L'ŒIL DE WILLEM

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22 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

IDÉES/

Les microbes,pilotes de nosconflits intérieurs?De la coopérationà la compétition, lesformes de relationsentre les organismesbiologiquessont multiples dansla nature. «Egoïsme»,«mutualisme»,«malveillance» :les scientifiquesdéfinissent cesinteractionsà partir de métaphorestrès humaines…mais trompeuses.

C’ est bien connu: «L’homme est unloup pour l’homme.» Constam-ment, nous sommes amenés à

nous confronter, à nous mesurer auxautres. Mais nous pouvons aussi nous en-traider, nous associer pour surmonter desdéfis communs. Notre succès passe alorspar la coopération. Dans la nature, les rela-tions entre les organismes vivants ne sontpas moins compliquées.Les scientifiques y ont notamment distin-gué quatre types d’interactions, décritesd’après certains comportements «hu-mains». Tout comportement qui améliorela survie ou la reproduction d’un individuau détriment d’un autre est ainsi qualifiéd’égoïste; par exemple quand des guêpesparasitoïdes pondent leurs œufs dans deslarves de pucerons, qui seront dévorées vi-vantes de l’intérieur. On parle aussi de mal-veillance quand un organisme saborde sespropres chances tout en nuisant à un autre:c’est le cas de certaines bactéries se trans-formant en véritables «bombes» de toxines,capables d’exploser et de décimer les autresbactéries avoisinantes.A l’opposé, un individu peut bénéficier desactions d’un autre. Quand le bénéfice estréciproque, il s’agit de mutualisme. C’est lecas quand deux microbes consomment etrecyclent leurs déchets respectifs, et for-ment des duos de producteurs et de con-sommateurs réciproques. Plus admirableencore, dans ce champ de métaphores «hu-maines, oui trop humaines», puisque cescomportements se sont mis en place sousl’action de la sélection naturelle et ne sup-posent aucune volonté à l’œuvre dans lemonde vivant: toute action qui diminue lasurvie ou la reproduction d’un individu enfaveur de celles d’autrui est considéréecomme de l’altruisme. C’est ainsi que lesabeilles ouvrières ne se reproduisent pas,au contraire de la reine dont elles prennent

soin. Les évolutionnistes cherchent à expli-quer l’origine et la dynamique de toutes cesinteractions. L’analyse des relations de pa-renté joue là un rôle important. Elle permetde comprendre des actions aussi contre-in-tuitives que la malveillance, qui ne bénéfi-cie a priori à personne, et l’altruisme quiressemble à un sacrifice. En effet, commentse fait-il que la sélection naturelle, prompteà éliminer les moins performants d’une po-pulation, n’ait pas en premier lieu dézinguéles individus enclins à se tirer une balledans le pied? La théorie de la sélection deparentèle aide à y voir plus clair : selon cel-le-ci, ce genre de sacrifice permettrait enfait d’aider un proche à se reproduire… cequi reviendrait à aider ses propres gènes àse reproduire, puisqu’en général deux pro-ches parents possèdent un certain nombrede gènes en commun. Reprenons le cas denotre bactérie «bombe» de toxine: grâce àdes gènes communs, les parents proches dela cellule kamikaze sont immunisés contreson poison… contrairement aux autres bac-téries de son environnement, avec lesquel-les ils sont en compétition. Ce type de com-portement permet demaximiser la survie desvraies cibles de la sélectionnaturelle: les gènes. Selon lemot du généticien britanni-que John Burdon SandersonHaldane, «il est logique demourir pour sauver deux frè-res ou huit cousins».La portée explicative de cesthéories puissantes mérite ré-flexion. D’une part, pour quela parenté joue un rôle dansles interactions biologiques,encore faut-il généralementque les organismes en ques-tion puissent identifier leurs parents. Maiscomment une bactérie ou un oiseaucomme le mérion superbe, espèce à lasexualité notoirement volage, reconnais-sent-ils un proche?D’autre part, la parenté ne suffit pas à expli-quer les innombrables cas de coopérationentre lignées distinctes, puisque celles-cisont génétiquement divergentes. Des asso-ciations d’organismes différents peuventpourtant permettre des adaptations con-jointes, voire conduire à de véritables tran-sitions évolutives, à l’émergence de nouvel-

les formes de vie, tels que les premierseucaryotes dont nous sommes tous issus. Ilfaudrait aussi expliquer, entre autres ques-tions en suspens, comment ces associationssont régulées, et déterminer ce qui permetle maintien de ces collectifs au cours dutemps.Surtout, des défis conceptuels majusculessurgissent désormais du monde minuscule,bousculant les métaphores établies. Bienqu’encore trop méconnus, les microbes re-présentent, et depuis toujours, l’immensemajorité du vivant. Le nombre des bactérieset d’archées est estimé à plus de 5x1030.Quant aux virus, ils seraient dix à cent foisplus nombreux. Or, on commence toutjuste à réaliser l’impact de ce monde de mi-crobes sur le développement, l’évolution, etles comportements animaux et humains.Par exemple, dans notre intestin, nous hé-bergeons des milliers d’espèces de bactérieset leurs gènes, qui forment un organe sup-plémentaire, extrahumain, indispensable ànotre survie. Ce microbiome intestinal pro-duit un grand nombre de composés chimi-ques et d’informations, qui se retrouvent

dans notre sang. Dansquelle mesure ces associa-tions hôtes-microbiomesconditionnent-elles les in-teractions dans le mondemacroscopique? Les débatsne font que commencer.Ils s’annoncent compliquéspuisque l’évolution va trèsvite chez les micro-organis-mes. Les interactions n’im-pliquent pas seulementdeux individus mais descommunautés entières. Lesrelations de compétition etde coopération y chan-

gent en fonction des conditions extérieu-res, des interactions entre espèces, et desvariations physico-chimiques environne-mentales. Ainsi, chez les humains immu-nodéprimés, de vieux amis deviennent denouveaux ennemis: telle bactérie intesti-nale favorisant la digestion se met à provo-quer des coliques… On ne peut pas considé-rer que certains sont toujours tout blancs etd’autres toujours tout noirs: délicieux coo-pérateurs ou affreux compétiteurs.Faudra-t-il décrire cette dynamique com-plexe entre des individus et leurs microbespour comprendre la compétition et la coo-pération sur la planète? Il s’agirait d’untournant: les interactions entre êtres vi-vants seraient appréhendées en termes destabilité de réseaux plutôt qu’en évoquantdes comportements humains, fortementconnotés. Ce ne serait pas anodin puisquele poids de mots comme malveillance, al-truisme, égoïsme, peut donner lieu à d’infi-nis débats sémantiques sur la meilleuremanière de décrire une même relation bio-logique. Le dicton «Grattez un altruiste etregardez saigner un hypocrite!» en témoi-gne. La caractérisation des interactionsdans le vivant demeure encore à certainségards une question de point de vue, dephilosophie. •

Auteur du roman Conflits intérieurs (Fable scientifi-que), publié en août aux Editions Matériologiques.268pp. 15€.

DR

ParÉRIC BAPTESTE

Chez les humainsimmunodéprimés, devieux amis deviennentde nouveaux ennemis :telle bactérie intestinalefavorisant la digestion semet à provoquer descoliques… On ne peutpas considérer quecertains sont toujourstout blancs et d’autrestoujours tout noirs.

Directeur de recherche CNRS àl’Institut de Biologie Paris Seine (IBPS).

LES INÉDITS DU CNRSUne fois par mois,«Libération» publie,en partenariat avecle magazine en lignede l’organisme(lejournal.cnrs.fr),une analyse scientifiqueoriginale.

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 23

Une voiture autonome doit-elle se suicider?pratique. On parle de princi-pes sacrés, moraux, religieux,utilitaristes même, mais infine, le vrai principe sacré,c’est notre vie à nous, sujets,qui jugeons de la sacralité desprincipes. Autrement dit:seuls les héros sont prêts àmourir pour des principes,aussi sacrés soient-ils en théo-rie. Et de fait, on peut blâmer(individuellement) quelqu’unqui n’agit pas en héros, maison ne peut pas le punir (collec-tivement), ainsi par exempledes employés du Thalys quiont d’abord pensé à leur survieavant celle des passagers, lorsde l’attaque terroriste du moisd’août 2015. Et cette différenceentre morale «normale» (agirconformément au devoir sicela ne coûte pas «trop») et lamorale «héroïque» (agir con-formément au devoir quoiqu’il

en coûte) court-circuite l’effec-tivité d’une morale qui, ducoup, n’est jamais appliquéecollectivement de façon effi-cace (si chacun donnait untiers de son revenu, il n’yaurait plus de problème depauvreté, si chacun tendaitl’autre joue, il n’y aurait plusde problème de violence, etc.).Les programmateurs des futu-res voitures ont donc un dou-ble problème moral à résou-dre, d’abord définir unprincipe moral applicable àtous les cas (est-ce souhaita-ble?), ensuite le faire appli-quer par tous les gens (est-cepossible?). •

(1) Autonomous Vehicles NeedExperimental Ethics : Are We Readyfor Utilitarian Cars ? de J.-F. Bonne-fon, Toulouse School of Economics,en partenariat avec le MIT.

Une voiture intelligente devra-t-elle foncer dans le muret tuer son passager, ou faucher un groupe de cinq piétonssur la voie ? Les progrès technologiques, en rendant lesmachines de plus en plus indépendantes vis-à-vis del’intelligence humaine, vont nous contraindre à inscrire desprincipes moraux dans leurs programmes. Mais lesquels?

se comparer, pour un médecinqui, en cas de manque d’orga-nes à transplanter, sauvera unenfant plutôt qu’un vieillard.Or si la morale kantienne sem-ble adaptée au comportementindividuel, elle pose problèmeà l’autorité collective qui, dis-posant de ressources limitées,doit arbitrer en faveur des unsou des autres, et n’a pasd’autres critères de choixqu’un calcul utilitariste, qu’onpeut résumer à la formule «lafin justifie les moyens». C’estun principe qui semble à lafois logiquement évident etmoralement acceptable. Leproblème, c’est qu’il ne fonc-tionne que pour des alternati-ves comparables. La célèbreexpérience mentale du tram-way l’illustre parfaitement: s’ilparaît justifiable de dévier untramway incontrôlable versune voie où se tient un seulouvrier, pour éviter de tuercinq personnes sur la voieprincipale, s’il peut même pa-raître justifié à certains, enl’absence de déviation, depousser un badaud sur la voiesi cela permettait d’arrêter letramway et d’éviter cinqmorts, il paraît plus discuta-ble, pour un médecin con-fronté à cinq patients ayant unbesoin urgent de transplanta-tion, qui d’un foie, qui d’uncœur, d’un rein, d’un pancréaset d’un poumon, de penserutiliser le jeune patient en-dormi dans la salle d’attente,qui est venu pour son bilan an-nuel. Le principe serait pour-tant exactement le même:tuer un pour sauver cinq. Il estimpossible donc d’éviter lamise en forme d’un principemoral adaptée aux différentscas de figures qui se présen-tent. Aussi sophistiquée soit-elle, une machine ne pourrajamais délibérer: elle peut ga-gner aux échecs (Deep Blue),pas à la morale (Terminator).Le deuxième problème est ce-lui de la différence entre mo-rale «normale» et morale «hé-roïque». Que je validel’utilitarisme en théorie n’im-plique pas que je veuille mel’appliquer à moi-même en

En Californie, les voituresvont conduire toutesseules. Et le dernier obs-

tacle à franchir pour les cons-tructeurs semble moins tech-nique qu’éthique: quel GPSpermettra à une voiture dechoisir, en cas d’accident iné-vitable, entre la route où elletuerait cinq personnes, et letrottoir qui lui permettraitd’éviter le groupe, mais où elletuerait un passant? De même,quel capteur lui fournirait lecritère pour départager entretuer cinq personnes et foncerdans un mur, entraînant lamort de son passager? La réso-lution de ces dilemmes condi-tionne la viabilité de toute «in-telligence artificielle». Car latechnologie, en atteignant leseuil de l’indépendance vis-à-vis de l’intelligence humaine,nous contraint à inscrire enelle les principes moraux dontjusque-là nous ne recueillionsle témoignage qu’à travers leur

application au caspar cas, une foispassé le filtre de ladélibération.Le problème, c’estque si les sonda-ges entrepris parles constructeursautomobilesmontrent que lesgens sont à peuprès tous d’accordsur la validité dela morale utili-taire qui enjoint,entre deux maux,

de choisir le moindre (tuerune personne plutôt quecinq), personne n’achèteraitune voiture qui, dans certainscas, suiciderait son passager,même pour le plus grand biende tous (1).Deux problèmes sont ici mê-lés. Le premier, classique, estcelui de l’évaluation quantita-tive, et donc relative, de la viehumaine, qui contredit la va-leur absolue que lui confèrenotre morale kantienne tradi-tionnelle. Cette évaluationquantitative peut se chiffrer,par exemple pour une compa-gnie aérienne qui dédommageles familles en cas de crash, ou

ParGUILLAUMEVON DERWEID

DR

Aussi sophistiquéesoit-elle, une

machine ne pourrajamais délibérer:elle peut gagner

aux échecs(Deep Blue),

pas à la morale(Terminator).

Professeurde philosophieet maîtrede conférencesà Sciences-Po

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Page 24: Journal LIBE Du Vendredi 6 Novembre 2015

24 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 25

SCREENSHOTS

Dans la veine des show à jurés, TF1 vient de lancer unenouvelle saison de son Danse avec les stars. Le principe:une personnalité ayant surtout pratiqué le slow dans desboums est associée à un danseur professionnel pourprésenter au fil des semaines des chorégraphies toujoursplus compliquées. A chaque épisode, un des participantsest éliminé et à la fin, comme Highlander, il n’en resteraplus qu’un. Ce genre de shows repose sur deuxingrédients principaux : d’abord, le casting, qui doitmêler stars sur le retour, artistes patauds de ses pieds etjeunes talents (respectivement incarnés cette année parla chanteuse Priscilla, l’acteur Thierry Samitier et@EnjoyPhoenix) ; ensuite, le jury, dont l’importance estau moins égale à son potentiel de méchanceté. La miseen scène repose, elle, sur deux espaces distincts, la pistede danses d’un côté et les coulisses de l’autre, où lesdanseurs viennent «débriefer» leur prestation. Cettesalle s’appelle la «Redroom» mais, sûrement à cause denotre amour immodéré de Shining, on a entendu la«redrum». Du coup, on a longtemps cru que cette pièceservirait à d’autres supplices. On attend toujours.

DAVID CARZONDANSE AVEC LES STARSCe vendredi sur TF1, à 20 h 55.

Danse avec des tareswww.liberation.fr11, rue Béranger

75154 Paris cedex 03tél.: 01 42 76 17 89

Edité par la SARLLibération

SARL au capitalde 15 560 250 €.11, rue Béranger,

75003 ParisRCS Paris: 382.028.199

Durée: 50 ans à compterdu 3 juin 1991.

Associés: SAinvestissements Presse

au capital de 18 098 355 €et Presse MediaParticipations

SAS au capital de 2 532 €.

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6 TER20h55. Norbert commis d’office. Magazine. Brian etson risotto / Anahid et le chocolat. 22h05. Norbertcommis d’office. Magazine.

CHÉRIE 2520h50. Ange de feu. Téléfilm.Parties 1 & 2/2. Avec : FrédéricDiefenthal, Louise Monot.0h40. C’est mon choix.Magazine.

NUMÉRO 2320h45. Face Off. Divertisse-ment. Créatures de destruc-tion massive. 21h40. Face Off.Divertissement.

LCP20h30. Droit de suite : Allersimple pour le nouveau monde.Documentaire. 21h30. Débat.

a la tele ce soir

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Soleil

Agitée Peu agitée Calme Fort Modéré Faible

Éclaircies OrageNuageux Pluie/neigePluie NeigeCouvert

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Une perturbation apporte quelques faiblespluies près de la Manche. Le temps est secpartout ailleurs avec un soleil bien présentsur les deux tiers du pays. L’APRÈS-MIDI La perturbation se maintientprincipalement de la Bretagne auxfrontières du nord. Les pluies y sont faiblesà modérées. À l'avant de cette dégradation,le ciel devient très nuageux à couvert.

VENDREDI 6Une perturbation britannique apporte despluies entre la Bretagne et le Cotentin. Deplus, le ciel est voilé de l'Atlantique auxrégions du nord-est. L’APRÈS-MIDI Le ciel est très voilé dans lenord-ouest, en marge de la perturbationqui donne encore quelques gouttes sur leCotentin. Le ciel est plus dégagé dans lesud, sauf dans le golfe du Lion.

SAMEDI 7

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◗ SUDOKU 2884 MOYEN ◗ SUDOKU 2884 DIFFICILE

SUDOKU 2883 MOYEN7 4 5 1 8 2 6 3 9

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SUDOKU 2883 DIFFICILE 3 5 1 4 6 7 8 2 9

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6 2 5 9 4 8 3 7 1

1 4 9 7 3 2 6 8 5

Solutions desgrilles d’hier

ON S’EN GRILLE UNE? Par GAËTAN GORON

HORIZONTALEMENT

Solutions de la grille d’hierHorizontalement I. KILOMÈTRE. II. ITALIEN III. NAMIBIENS. IV. GROS. NO. V. CRU. EIDER. VI. HOSANNA. VII. AGIS. ÉNÉE. VIII. RENOIR. CL. IX. LAS. RAIRA. X. EN. CAÏMAN. XI. STRESSANT.Verticalement 1. KING-CHARLES. 2. ARROGEANT. 3. LIMOUSINS. 4. OTIS. ASO. CE. 5. MAB. EN. IRAS. 6. ÉLIMINERAIS. 7. TIE. DAN. IMA. 8. RENNE. ÉCRAN. 9. ENSORCELANT.

Grille n°137

1 2 3 4 5 6 7 8 9

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

VERTICALEMENT

I. Plus II. Lieu de palindrome ; Tache dans un monochrome jaune III. Ils revenaient tous les dix jours autour de l’an 1800 ; Deux flèches qui s’imbriquent l’une dans l’autre IV. Moscou pour Damas ; Il n’est pas prêtre V. Ville de l’Orne et autre palindrome ; Les profs y eurent cours VI. + LXXXXV = … ; Un cent-millième de bar ; Il va se faire frapper VII. Elles ont vu leur saveur pompée VIII. Appuyant les premières notes IX. Faite par le nouveau venu X. Utiles pour être entendu XI. Il n’est pas le dernier choisi quand il s’agit de remettre le couvert ; À couvert, elle connaît bien

1. Écrites, lues, mais surtout pas parlées 2. Très pointu 3. Elle est d’amour avec des cordes sympathiques ; Animal de librairie 4. Fila 5. Met la tête sous l’eau ; Changea par nécessité 6. Cour pour ceux qui courent ; Ce fut l’équipe du Special One 7. Une petite dose de poison ; Lu en cours de chimie 8. Au moins deux fois dix demis ; Petite couronne 9. Bonne appréciation ; Petite baie

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26 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

PhilosophieRévélé parses conceptsde «désirmimétique»et de «boucémissaire»,à reboursdes théoriesdominantes,l’auteur de«la Violenceet le sacré» estmort mercredien Californie,à l’âge de 91 ans.

M embre de l’Académie française,René Girard n’a pourtant pastrouvé place dans l’université fran-

çaise: dans l’immédiat après-guerre, il émi-gre aux Etats-Unis, obtient son doctorat enhistoire à l’université d’Indiana, puis ensei-gne la littérature comparée à la Johns Hop-

kins University deBaltimore (il or-ganise là un célè-

bre colloque sur «Le langage de la critiqueet les sciences de l’homme» auquel partici-pent Roland Barthes, Jacques Lacan et Jac-ques Derrida, qui fait découvrir le structura-lisme aux Américains) et, jusqu’à sa retraiteen 1995, à Stanford (en Californie) –où, pro-fesseur de langue, littérature et civilisationfrançaises, il côtoie Michel Serres et Jean-Pierre Depuy.

Critiques et rejetsNé le jour de Noël 1923 à Avignon, élève del’Ecole des chartes, il est mort mercredi àStanford, à l’âge de 91 ans. C’était une fortepersonnalité, tenace, parfois bourrue, qui acreusé son sillon avec l’énergie des solitaires,et entre mille difficultés. Car le retentisse-ment international de ses théories –dont cer-tains des concepts, notamment celui de«bouc émissaire», sont quasiment tombésdans la grammaire commune des scienceshumaines et même le langage commun– n’ajamais fait disparaître les violentes critiques,les incompréhensions, les rejets, encore ac-crus par le fait que Girard, traditionaliste, atoujours refusé les credos post-modernes,marxistes, déconstructivistes, structuralistes,psychanalytiques…Porté par une profonde foi religieuse, fin in-terprète du mystère de la Passion du Christ,il a bâti une œuvre considérable, qui se dé-ploie de la littérature à l’anthropologie, de

ParROBERT MAGGIORI

DISPARITION

René Girard,penséesdernières

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 27

LIVRES/

René Girarden avril 2008.

PHOTO JEAN-LUCBERTINI. PASCO

l’ethnologie à la théologie, à la psychologie,la sociologie, la philosophie de la religion etla philosophie tout court.

Un être désirantLes linéaments de toute sa pensée sont déjàcontenus dans son premier ouvrage, Men-songe romantique et vérité romanesque (1961)dans lequel, à partir de l’étude très novatricedes grands romans occidentaux (Stendhal,Cervantès, Flaubert, Proust, Dostoïevski…),il forge la théorie du «désir mimétique»(l’homme ne désire que selon le désir del’autre) qui aura un écho considérable à me-sure qu’il l’appliquera à des domaines exté-rieurs à la littérature. La nature humaine a enson fond la mimesis, au sens où les actions deshommes sont toujours entreprises parcequ’ils les voient réalisées par un «modèle».L’homme est par excellence un être désirant,qui nourrit son désir du désir de l’autre etadopte ainsi coutumes, modes, façons d’être,pensées, actions en adaptant les coutumes,les modes, les façons d’être de ceux qui sont«autour» de lui. La différence entre l’animalet l’homme n’est pas dans l’intelligence ouquoi que ce soit d’autre, mais dans le fait quele premier a des appétits, qui le clouent àl’instinct, alors que le second a des désirs, quil’incitent d’abord à observer puis à imiter.C’est ce principe mimétique qui guide les«mouvements» des individus dans la société.De là la violence généralisée, car le conflit ap-paraît dès qu’il y a «triangle», c’est-à-dire dèsque le désir porte sur un «objet» qui est déjàl’objet du désir d’un autre. Naissent ainsi l’en-vie, la jalousie, la haine, la vengeance. La ven-geance ne cesse de s’alimenter de la haine des«rivaux», et implique toute la communauté,menaçant ainsi les fondements de l’ordre so-cial. Seul le sacrifice d’une victime innocente,qu’une «différence» (réelle ou créée) distinguede tous les autres, pourra apaiser les haineset guérir la communauté.C’est la théorie du «bouc émissaire», qui arendu René Girard célèbre. En focalisant son

attention sur l’aspect leplus énigmatique du sacré,l’auteur de la Violence et lesacré (1972) montre en effet– on peut en avoir une il-lustration dans le film dePeter Fleischmann, Scènesde chasse en Bavière, où unjeune homme, soupçonnéd’être homosexuel, devientla cible d’une véritablechasse à l’homme de lapart de tous les habitantsdu village– que l’immola-tion d’une victime sacrifi-cielle, attestée dans pres-que toutes les traditionsreligieuses et la littérature

mythologique, sert à apaiser la «guerre de touscontre tous» dont Thomas Hobbes avait faitle centre de sa philosophie.Lorsqu’une communauté est sur le point des’autodétruire par des affrontements intes-tins, des «guerres civiles», elle trouve moyende se «sauver» si elle trouve un bouc émissaire(on peut penser à la «chasse aux sorcières»,à n’importe quelle époque, sous toutes latitu-des, et quelle que soit la «sorcière»), sur lequeldécharger la violence: bouc émissaire à quiest ensuite attribuée une valeur sacrée, préci-sément parce qu’il ramène la paix et permetde recoudre le lien social. Souvent, les mytheset les rites ont occulté l’innocence de la vic-time, mais, selon Girard, la révélation bibli-que, culminant avec les récits évangéliquesde la Passion du Christ, l’a au contraire révé-lée, de sorte que le christianisme ne peut êtreconsidéré comme une simple «variante» des

mythes païens (d’où la violente critique queGirard fait de la Généalogie de la morale deNietzsche, de la conception «dionysiaque» cé-lébrée par le philosophe allemand, et de l’assi-milation entre le Christ et les diverses incar-nations païennes du dieu-victime).

Anthropologie du réelDans l’optique girardienne, il s’agissait assuré-ment de proposer un «autre discours» anthro-pologique, qui se démarquât (et montrât lafausseté) de ceux qui étaient devenus domi-nants, grâce, évidemment, à l’œuvre de Lévi-Strauss (et de Freud). Ne pensant pas du toutqu’on puisse rendre raison de la «pensée sau-vage» en s’attachant aux mythes, entenduscomme «création poétique» ou «narration»coupée du réel, René Girard enracine son an-thropologie dans des faits et des événementsréellement arrivés, comme des épisodes delynchage ou de sacrifices rituels dont la vic-time est ensuite sacralisée mais qui se fondenttoujours, d’abord, sur des accusations absur-des, comme celles de diffuser la peste, de ren-dre impure la nourriture ou d’empoisonner leseaux. La théorie mimétique et l’anthropologiefondée sur l’exclusion-sacralisation du bouc

émissaire, sont les deux paradigmes que Gi-rard applique à de nombreux champs du sa-voir, et qui lui permettent de définir unschéma herméneutique capable d’expliquerune foule de phénomènes, sociaux, politiques,littéraires, religieux. Son travail, autrementdit, visait à la constitution d’une anthropolo-gie générale, rationnelle, visant à une explica-tion globale des comportements humains.C’est sans doute pourquoi il a suscité tantd’enthousiasmes et attiré tant de critiques. Onne saurait ici pas même citer toutes les théma-tiques qu’il a traitées, ni les auteurs avec les-quels il a critiquement dialogué.Ce qui est sûr, c’est que René Girard a toujoursmaintenu droite la barre de son navire, malgréles vents contraires, et qu’à l’époque de l’hy-per-spécialisation contemporaine, il a eul’audace de formuler une «pensée unitaire»qui a fait l’objet de mille commentaires dansle monde entier, parce que vraiment sugges-tive, et dont l’ambition était de mettre à nu lesracines de la culture humaine. «La vérité estextrêmement rare sur cette Terre. Il y a mêmeraison de penser qu’elle soit tout à fait absente.»Ce qui n’a pas été suffisant pour dissuaderRené Girard de la chercher toute sa vie. •

La différence entrel’animal et l’homme n’est

pas dans l’intelligence,mais dans le fait que lepremier a des appétits,

qui le clouent à l’instinct,alors que le second a

des désirs, qui l’incitentd’abord à observer

puis à imiter.

FORUMLIBERTÉSCHÉRIESSURVEILLANCECITOYENNETÉRÉPRESSIONRESPONSABILITÉUNE JOURNÉEDEDÉBATSALAGAÎTÉ LYRIQUESAMEDI 7NOVEMBRE

Entrée gratuite sur inscription.Informations sur

www.liberation.fr/evenements

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28 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

«NOBODY»LES VICESDE BUREAU

Théâtre Cyril Teste dépeintla perversité et la violence dumanagement contemporain,sous la forme d’uneperformance filmique minutéeet anxiogène réussie.

N obody ne se présente pas commeune pièce classique. Entre le pu-blic et la scène se dresse une pa-

roi de verre. Derrière, un univers de bu-reaux, avec des employés et leursordinateurs portables, une salle de réu-nion, une photocopieuse. Au-dessus dela baie vitrée, un écran. Dès les premiè-res minutes, Nobody annoncela couleur. Sur l’écran défileune sorte de manifeste, unecharte en réalité: «Avec la performancefilmique, nous projetons sur le plateaul’écriture d’un cinéma éphémère, quin’existe que dans le présent du théâtre.»

ParFRÉDÉRIQUE ROUSSELPhoto FRED KIHN

Dans Nobody, les acteurssont filmés derrière leur

baie vitrée. Le résultat estprojeté au-dessus de la

scène. PHOTO SIMONGOSSELINCULTURE/

Après ce préalable un peu réglemen-taire, le spectacle commence derrière lavitre, tout en se prolongeant à l’écran.Les acteurs jouent à la fois devant le pu-blic et sous l’œil de caméras.

TAILLEURS ET CHEMISESNous sommes plongés dans l’open spaced’une entreprise de restructurations. Lepersonnage principal, Jean Personne,est un consultant apparemment brillantet sûr de lui, dont le public suit le cours

des pensées par une voix off.L’univers apparaît policé,glacé, peuplé de tailleurs et de

chemises bien repassées, de relationsprofessionnelles feutrées. Les interprè-tes évoluent dans différentes situations:«case meeting», entretiens en binôme,

CRITIQUE

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 29

arts de la scène / arts plastiques

NEW SETTINGS #5Un programme de la

Fondation d’entreprise Hermès

6 > 27 novembre 2015

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LÉONE & MICHEL FRANÇOIS

GIUSEPPE CHICO & BARBARA MATIJEVIĆ / IVAN MARUŠIĆ KLIF

ARTHUR H / LÉONORE MERCIER

NATURE THEATER OF OKLAHOMA

ALESSANDRO SCIARRONI / COSIMO TERLIZZI

Théâtre de la Cité internationale — de 12 à 30 ans 13 € Réservations 01 43 13 50 50 — www.theatredelacite.com

Si mettre des acteurs derrière une glacen’est pas nouveau (le désopilant Openspace de Mathilda May il y a deux ans,ou encore l’étonnant Before Your VeryEyes du collectif Gob Squad), ni évidem-ment l’utilisation de la vidéo sur un pla-teau, cette performance filmique s’avèreune redoutable mécanique de précision,loin de l’effet de mode. Le procédétrouve sa justification à la fois par la vi-sion in vitro qu’il donne du monde del’entreprise (qui ne s’arrête jamais mêmesi elle broie) et par l’intervention chirur-gicale de la caméra, forme de sur-veillance rapprochée. Règle numéro2(sur 7) de la charte: «La performance fil-mique doit être tournée, montée et réali-sée en temps réel sous les yeux du public.»Les principes de ce nouveau territoire decréation qui repousse l’artifice pour lavérité de l’instant présent, même avecdes images. •

NOBODY m.s. CYRILTESTE/COLLECTIF MXM d’après lestextes de FALK RICHTER. MontfortThéâtre, 106 rue Brancion, 75 015,jusqu’au 21 novembre ; Théatre duNord, 4 Place Charles de Gaulle, Lille,du 27 novembre au 5 décembre ;Festival Temps d’images#1,le Centquatre, Paris, les 8, 9et 10 décembre à 21 h, le 12 décembreà 17 h et le 13 décembre à 15 h.

qu’anime Cyril Teste depuis neuf ans,qui consiste à associer des écoles avecun lieu. C’est dans le bureau du Prin-temps des comédiens à Montpellier queNobody est né avec le collectif La Carteblanche de l’Ensad (Ecole nationale su-périeure d’art dramatique).

REDOUTABLE MÉCANIQUELe principe est de monter une pièce enmode intensif dans un décor naturel– un vrai lycée, une vraie entreprise –pour s’immerger au maximum dans lequotidien des gens. A Montpellier,l’équipe investissait les bureaux déser-tés, agençait le mobilier à sa façon puisrépétait jusqu’à cinq heures du matin,avant de tout remettre en ordre avant leretour des employés. Générée in situ,Nobody tourne depuis 2015 sur un modede salle exigeant, vu le dispositif, de per-mettre au public d’embrasser du regardl’ensemble de la baie vitrée.

Cyril Teste à Paris le 27 octobre. PHOTO FRED KIHN

Cyril Teste, la voie intérieure

C yril Teste vient de voir la Loidu marché. Le film l’a se-coué. Comme Stéphane

Brizé, le metteur en scène montredans Nobody la cruauté du mondedu travail. Même si le milieu socialde Thierry à l’écran a peu à voir avecl’univers tertiaire et policé de Jeansur le plateau. Cyril Teste revendi-que un art aux prises avec des ques-tions sociétales et politiques. Enmode immersif, qui prend le sujetde l’intérieur. «J’ai du mal avec unthéâtre qui se voudrait en dehors dusystème, qui regarderait le monde dehaut: “Regardez le capitalisme, re-gardez la guerre…”»Cet engagement suppose, selon lui,de pouvoir traiter de tous les sujets,même des moins esthétiques apriori. «Approprions nous les nom-bres, emparons nous du big data etdonnons-leur du sens autrement»,poursuit-il, se référant aux sociolo-gues Luc Boltanski et IsabelleBruno. On le craint, mais non: CyrilTeste n’a pas le visage d’un intelloarrogant. Si théorie il y a bien,elle se pratique en groupe.En préparation d’un spectacle, ilspeuvent se retrouver à une ving-taine dans une salle pour mettre encommun leurs lectures, fictions, ar-ticles, essais, BD… Et échanger, dé-

Le metteur en scènede «Nobody» explorede nouvelles formesgrâce à la technologie.Objectif: rendre comptedes réalités socialespar l’immersion.

battre des différentes approches etexpériences «entre le Japon, avecKurosawa et Tokyo Sonata qui tiresur le manga de Jiro Taniguchi, et lebenchmark chez Isabelle Bruno»…Avec une tête qu’on imagineraitbien dans un costume de D’Arta-gnan, Cyril Teste revendique d’êtrede son époque, de sortir des sentiersbattus et même d’aller de l’avant. A40 ans, il a derrière lui dix annéesd’acteur avec Olivier Py, ClaudeStratz ou Robert Can-tarella, avant son pas-sage à la mise en scène.Pourtant il a débuté dans les artsplastiques, rêvant des beaux-arts,avant de virer vers le théâtre àl’Ecole régionale d’acteur de Can-nes. Quand il entre ensuite au Con-servatoire de Paris, il défend sonchoix d’être metteur en scène car cemétier rassemble à la fois les artsplastiques et le théâtre. «Au fond, lethéâtre serait ma toile.» Ce sont da-vantage les ouvrages de plasticiensqui lui ont appris quel regard portersur une œuvre.

Jeu vidéo. Encore au Conserva-toire, en 2000, il fonde le collectifMxM avec le créateur lumières Ju-lien Boizard et le compositeur NihilBordures : le projet initial est decréer une méthode qui permetteaux acteurs de recourir aux nouvel-les technologies. «On s’était renducompte qu’au théâtre, à part faireun petit stage de temps à autre, per-sonne ne savait ce qu’était qu’un mi-cro-HF, une caméra au poing voireun travelling», souligne-t-il. Le col-lectif MxM, dont la composition va-

rie au gré des spectacles et qui fonc-tionne avec une «gouvernance»horizontale, réalisera sa premièrepièce l’année de sa création: Aliceunderground, d’après celle de LewisCarroll, s’interroge sur le processusde fabrication des images.Cyril Teste passe son temps à poserdes problématiques sur la table et àtenter d’y répondre. Ainsi commentaborder le récit aujourd’hui, dansune société où des millions de gens

s’adonnent au jeu vi-déo, celui-ci bouscu-lant la manière de le

concevoir? «Le jeu vidéo, qui fait durécit aléatoire, est arrivé très vitedans mon univers. C’est une formed’écriture postdramatiqueaujourd’hui : pas de début, pas demilieu pas de fin.» A l’appui, Nobodyqui, pris dans n’importe quel sens,n’apporte pas de résolution. «On ar-rivait du livre dont vous êtes le hé-ros, avec une mission à remplir etune vision verticale de la société; lesgamins aujourd’hui sont des archi-tectes de monde avec un mode de ré-cit horizontal…»C’est avec Electronic City, en 2007,qu’a lieu la première rencontre avecFalk Richter. Le texte de Nobody aété écrit au fur et à mesure, avec unmixte de textes de l’auteur alle-mand. «Il a une écriture cinémato-graphique et une vision immersivedu monde. Il donne souvent envie deréinterroger son regard sur la so-ciété.» Pour le metteur en scène, quine travaille qu’avec des auteurs vi-vants, toute une génération partagesa vision de la création, comme Pa-trick Bouvet (dont il a monté trois

textes dont Direct/Shot jouéen 2004 à Avignon, sur les modesde communication du 11 Septem-bre), Falk Richter ou Mike Bartlett.

Consécration. Pour la deuxièmeannée, Cyril Teste intervient àl’école du Fresnoy, à Tourcoing, uneforme de consécration. Enthou-siaste, il évoque l’enseignement etson projet avec le designer RamyFischler pour la rentrée 2016. «On sepose la question de savoir commentvoir le monde du travail dans vingt

ans!» Après Nobody? Il prévoit d’ex-plorer un autre de ses thèmes favo-ris, le secret. Chut! La pièce se dé-roulera dans l’upper class, milieusocial qu’il a déjà investi avec unspectacle où des jeunes d’un lycéeprivé «pétaient les plombs». «L’up-per class a un vrai impact sur la so-ciété», ajoute Cyril Teste, issu lui dela strate des humbles de la Loi dumarché. Mais la force de ce mous-quetaire d’avant-garde, c’est de pra-tiquer une forme de cheval de Troie.

F.Rl.

RENCONTRE

accueil d’un stagiaire et même pot. Lacaméra se focalise sur un visage, une si-tuation, un échange. Mais quand le vi-seur n’est pas sur eux, les acteurs conti-nuent à jouer dans le hors-champ,conférant une intensité encore plusgrande à l’ensemble.Rapidement, l’atmosphère s’avère étouf-fante. Les collègues s’observent, se jau-gent, se tirent dans les pattes. «Il avaittoujours quelqu’un employé à voir si jetravaillais efficacement», constate JeanPersonne, qui pourtant se soumet à tou-tes les exigences du système et sacrifiesans états d’âme à l’injustice de la con-currence effrénée. «Je voulais tout fairetout bien pour éviter une restructura-tion.» Le pire de la phraséologie mana-gériale prend le dessus avec des expres-sions telles «chiffres de productivité»,«poids mort pour l’entreprise». Le narra-teur se crispe, semble perdre pied, revitdes instants de sa vie privée, tente de serebeller. Mais l’absurdité de ce théâtresocial, c’est que la restructuration sejoue aussi entre collègues, sans pitié.Nobody saisit les effets de la violence dusystème sur l’individu et le vide inté-rieur qui en résulte, sujets de prédilec-tion du dramaturge allemand Falk Rich-ter. «Je veux me barrer. Il y a quelquechose en moi qui hurle», dit Jean.Nobody a été créée dans le cadre du La-boratoire nomade des arts scéniques

Rapidement,l’atmosphère s’avèreétouffante. Lescollègues s’observent,se jaugent, se tirentdans les pattes.

Page 30: Journal LIBE Du Vendredi 6 Novembre 2015

30 u Libération Vendredi 6 Novembre 2015

CULTURE/SUR LIBÉRATION.FRChronique Cette semaine, «Du genreclassique» était à New York, où le Metropoli-tan Opera (Met) alignait trois anciennesproductions en vingt-quatre heures,Tannhaüser, Turandot et Rigoletto. Pendantce temps à Paris avait lieu l’inauguration del’orgue de la Philharmonie, «énorme mur deson d’une puissance démente». SCÈNES

Imaginez que vous ne sa-vez rien. Vous avez oubliécomment se termine ce

qu’on nomme la Révolutionfrançaise, vous ignorez que laBastille fut autre chosequ’une place dont il est dan-gereux de faire le tour à vélo,et les Etats généraux vousévoquent un bulletin de santécompliqué. Dans ce cas,est-ce que la nouvelle créa-tion de Joël Pommerat, inti-tulée Ça ira (1), fin de Louis,est intelligible, alors mêmeque le nom des lieux, des évé-nements, des gens sont, àl’exception du couple royal,omis, et que les événementsfondateurs sont hors champ?Oui, nous semble-t-il.Le spectacle a un aspect pé-dagogique, en dépit des voixqui se chevauchent, de la vio-lence des enjeux, de la confu-sion du réel recréé, et sur-tout, de l’absence d’imagerierévolutionnaire. La ligne durécit suit les grandes étapesqui mènent du premier dis-cours de Louis XVI sur le dé-ficit budgétaire astronomi-que de la France et lanécessité d’une réforme fis-cale, jusqu’à sa claustrationau palais du Louvre, avecMarie-Antoinette, avant lafuite à Varennes. Louis, avecun brin de fatalisme, dira :«Ça ira.» Il n’entendra pasla Carmagnole et nous nonplus. Etes-vous ce premierspectateur, entré par hasardau théâtre des Amandiers, unpeu comme on pénètre dansune AG, en s’asseyant discrè-tement sur un gradin ?Peut-être.

Forces vives. C’est étrangede voir Louis XVI, joué encomplet-veston par l’excel-lent Yvain Juillard, en réfor-mateur, convaincu qu’unecertaine égalité sociale estnécessaire et que les nobleset le clergé, eux-aussi, doi-vent payer des impôts. Nepas se méprendre cependant.Le spectacle n’est pas une ré-habilitation du monarque.

Mais il en propose un aspectqui nous oblige, par curiosité,d’aller ensuite vérifier sur In-ternet que ces discours, àpeine modernisés, existentbien. Fondu au noir. Noussommes dans une réunionde quartier où il s’agit de dé-battre et d’élire des représen-tants qui iront aux Etatsgénéraux. Par quelle revendi-cation commencer? La plusabstraite: la liberté? Ou par

des préoccupations de viequotidienne: l’air irrespira-ble de Paris, car les rues sontdes boyaux (l’archive quidonne lieu au texte existeégalement) ? A moins qu’ilfaille écouter cette confi-seuse, furieuse de la concur-rence des religieuses. Latroupe est quatre heures du-rant sur scène et dans lajauge, dans l’écoute et la prisede parole. Un corps tel qu’on

hésite à individualiser les ac-teurs, qui excellent tous, enles citant. Revenons à ce pre-mier spectateur, assis dansl’hémicycle du théâtre desAmandiers. La lumière estsouvent sur lui. A ses côtés,des gens, forces vives, donton ne sait d’où ils viennent,maugréent et réagissent plusou moins expressément. Ras-surons ce spectateur, il nesera pas pris à parti, per-

sonne ne lui demandera dequel bord il est, et ne l’invec-tivera. Il peut tranquillementcomprendre, ne pas com-prendre, se tromper dans cequ’il voit, rectifier sa vision.Et forcément, il fait des al-lers-retours entre aujour-d’hui et hier, hier lui étantprésenté au présent, commen’ayant pas encore eu lieu.Furtivement peut apparaîtrele fantôme d’une Ségolène

Royal. On a à peine le tempsde s’en faire la réflexion,qu’elle disparaît. Lorsqu’onse demande d’où viennentles coups de canons, en écho,une actrice s’inquiète de leurproximité. On les entend sibien. On est à Versailles,Paris est tout de même àvingt kilomètres.L’un des défis du spectacleest de faire palpiter desidées. Montrer que danstoute révolution, la vien’existe plus, l’être est entiè-rement tendu dans l’espé-rance du changement possi-ble. Peu de personnagesexposent donc leur vie. Il y ala reine, en deuil, son petitgarçon est mort, et Anne Ro-tger qui l’incarne, iconiqueet ironique, réussit à vider lascène par sa présence.«N’oubliez pas de vous faireapplaudir, vous aussi», dit-elle à l’émissaire du roi quivient donner des nouvelles.Et aussi, d’une voix lasse :«C’est facile de plaire à tout lemonde, quand on dit ce quetout le monde veut entendre.»Ce qui est beau est que cha-cun tente fiévreusement derendre audible sa parole. Lesacteurs jouent tous plusieursrôles, qui ont des convictionsopposées. Une intimité so-nore se crée néanmoins,car si les physiques multi-plient les personnages, lesaccents personnels restent.

Mur aveugle. Le peuple, lapopulation, le tiers état: peuimporte comment on lenomme, il n’est pas d’em-blée plus digne ou moinscrapule que l’élite. Le spec-tacle ne montre pas fronta-lement la misère et la faim.La langue contemporainepermet d’entendre com-ment les clichés de la rhéto-rique naissent, se rigidifientet perdurent. Déconstruirele langage et le mur aveugledes expressions toutes faitesest l’une des réussites de Çaira. Mais on laissera le débatsur les anachronismes con-trôlés à d’autres. A ce se-cond spectateur, qui saitdéjà tout, et devra accepterde se laisser emporter parcette révolution au présent,sans certitude. •

ÇA IRA créationet m.s. JOËL POMMERATJusqu’au 29 novembre.Théâtre des Amandiers,Nanterre.

ParANNE DIATKINE

Joël Pommeratprésente auxAmandiersla Révolutionfrançaise sousun anglecontemporain.

«Ça ira»,les nouveauxcanons de 1789

Dans Ça ira (1) Fin de Louis, les acteurs jouent plusieurs rôles. PHOTO CHRISTIAN BELLAVIA. DIVERGENCE

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 31

À VOIR Cycle Elle est de retour. Primera Carta de SanPablo a Los Corintios (l’épître de saint Paul auxCorinthiens), deuxième des trois volets du Cycledes résurrections de la flamboyante AngélicaLiddell, se joue du 10 au 15 novembre au Théâ-tre de l’Odéon (Paris, VIe). On avait beaucoupaimé l’épisode précédent, You Are My Destiny(le Viol de Lucrèce). PHOTO SAMUEL RUBIORens.: www.theatre-odeon.eu

Puzzle Autre favori maison, autre spectacle àréserver: le metteur en scène Aurélien Bory (lireLibération du 9 octobre) présente au CentQuatre(Paris Xe) ses Sept Planches de la ruse. Cet amateurde danse et de cirque (et plus récemment d’opéra)s’est intéressé à un jeu chinois de puzzle en bois, leTangram, qu’il a reproduit sur scène en versionagrandie, et où évoluent ses artistes. PHOTO A.BORYRens.: www.104.fr

SCÈNES DU GESTE SPECTACLES, FILMS, INSTALLATIONS, PERFORMANCES ET RENCONTRESDU 6 AU 8 NOVEMBRE 2015RÉSERVATION 01 41 83 98 98 CND.FR AVEC LE FESTIVAL D’AUTOMNE À PARISPierre Leguillon, La Grande Évasion (détail) – coll. Musée de la danse / Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne © Pierre Leguillon

«MacBeth (The Notes)»,prémices en scène aux Bouffes du NordL’acteur DavidAyala faitvivre, seul,aux spectateurs,les instantsqui suivent lesrépétitionsgénérales d’unepièce, faussementmise en scène.

FACE CACHÉE

A u théâtre, après lesrépétitions générales,il y a le rituel des no-

tes. Le metteur en scènereprend le déroulé de la pièceet fait des remarques, scènepar scène : une manière dese tenir, une respiration,un blanc entre deux mots.Est-ce que ces notes aident lecomédien ? Et que com-prend-t-on lorsqu’on est ex-térieur au spectacle? Pour ré-pondre à ces questions ou seles poser, on peut aller voirMacbeth (The Notes), qui, àtravers la performance d’unacteur, David Ayala, présentela face cachée d’une mise enscène, à quelques jours de lapremière.

Confusion. Le spectacle seconfond avec l’acteur, seul enscène, qui dévore l’espace. Ils’empare des émotions dumetteur en scène, paraît s’en-voler, même si sa ressem-blance avec une ballerine estpeu flagrante, et fait exploserde rire très régulièrement.Mais son vrai bouc émissaire,c’est lui : son impétuosité etsa confusion, son angoisse etsa mégalomanie, ou sa ma-nière de ménager la jeunepremière et d’assassiner untechnicien. De temps entemps, changement de regis-

tre: une douche de lumièredescend sur l’acteur, la voixchange, le noir se fait, et c’estle texte de Shakespeare quel’on entend.David Ayala nous reçoit sur lascène des Bouffes du Nord,on s’installe sur les gradins.De là, il peut imaginer assis-ter à son propre spectacle– qu’il n’a jamais vu – toutcomme le spectateur doitimaginer ce Macbeth qu’il neverra jamais. «Le plus saisis-sant, dit David Ayala, c’estd’entrer sur scène en ne sa-chant pas comment le specta-cle va commencer. J’ai plu-sieurs possibilités. Il faut queje parte d’une sensation vraie,que je sois complètement an-cré, tout le texte joue sur uneffet de réel. Il y a des jours oùje prends à partie Claire, monassistante, en choisissant viteune spectatrice dans le pu-blic. D’autres où je m’adresse

à un comédien. Et une foisque j’ai choisi, il faut que çane s’arrête pas.» Ayala use desmêmes onomatopées que lemetteur en scène. Et re-prend: «Mais ce qui est bien,c’est que ce ne soit pas aussibien réglé que ça. Je peuxaussi ne pas trouver mes ac-teurs.» Les chapitres ne sontpas les mêmes chaque soir.Le texte est peu fixé. «J’ai desnotes que j’ai reçues le 7 jan-vier, le jour des attentats. Cafaisait un an que le spectacletournait.»

Miracle. C’est lui qui a optépour Macbeth. Le metteur enscène, Dan Jemmett, pen-chait plutôt du côté deHamlet, et monte d’ailleursHamlet (The Notes) outre-At-lantique. Macbeth, parce quela pièce est «maudite». «Lapremière fois que je l’ai jouée,on s’était même fait voler no-

tre décor dans le camion!» Çafait vingt-cinq ans que DavidAyala est comédien. Il sedestinait à faire du sport, estné dans une cité «pourrie»près d’Arles, était plutôt dansla «voyouterie». Il s’est passéun «miracle». Au collège, unéducateur le fait lire. «Puis ona eu un prof qui nous emme-nait au festival d’Avignon. Lepremier spectacle que j’ai vuest le Soulier de Satin, mis enscène par Vitez. Une versionde douze heures. Je ne savaispas quoi en penser, mais jesuis entré dans ce monde.» Lemiracle, finalement, s’appa-rente à un service public quifonctionne.

ANNE DIATKINE

MACBETH (THE NOTES)m.s. DAN JEMMETT, avecDavid Ayala. Jusqu’au14 novembre aux Bouffesdu Nord, 75 010.

David Ayala dans MacBeth (The Notes). PHOTO PATRICK BERGER. ARTCOMART

David Wahl,la danse défendue

F aisons bon usage duluxe qui nousest offert à nous,

citoyens de 2015, depouvoir nous ridiculiseren dansant le GangnamStyle ou le Whip Nae Nae(dernière danse viralerecensée par les moteursde recherche)… Carl’Occident, en particulierpendant la chrétienté, a,durant des siècles, tenu ladanse pour une pratiquetransgressive et maléfi-que, au point de chercherà la réprimer. Il n’y a passi longtemps, en 1835, unjeune prêtre avait fait exé-cuter à la baïonnette unedizaine de villageois, les-quels avaient bravé soninterdiction de danser.Pourquoi tant de vio-lence? La clé de l’énigmefigure dans Histoire spiri-tuelle de la danse, impro-bable causerie (qui a en-traîné une publication) enforme de veillée nocturneque l’acteur David Wahl aimaginée, sous l’impul-sion du Quartz de Brestet qu’il a présentée cettesemaine à la Maison de lapoésie, à Paris.Dans une ambiance cabi-net de curiosité et un look100% Auguste Comte, ceconteur savant, compa-gnon de jeu de la choré-graphe Julie Bérès,propose ainsi une coupe

Entre anecdotesscientifiques etdéliresherméneutiques,l’acteur narre larépression passéede la chorégraphieen Occident.

CAUSERIE

transversale dans l’his-toire du corps (et son lienavec les religions) enréussissant un double ex-ploit : donner le goût pourles histoires extraordinai-res sans s’en tenir auxanecdotes type YahooInsolite, et assumer lephrasé grand siècle sanssombrer dans une affec-tation burlesque à la Ra-phaël Enthoven. Histoirespirituelle de la danse estdonc un séduisant bijou,à mi-chemin du traité dela Renaissance et d’unsketch de Catherine et Li-liane. Puisse-t-il (toutcomme les autres cause-ries de Wahl, Traité de laboule de cristal et la Visitecurieuse et secrète) sortirde la confidentialité.

EVE BEAUVALLET

HISTOIRESPIRITUELLEDE LA DANSEde DAVID WAHL(Riveneuve Editions,novembre 2015)Causeries : du 3 au 5 marsau Théâtre Anne deBretagne, à Vannes ;du 2 au 6 avril au FestivalA corps, TAP, Poitiers ;le 21 avril 2016 auGrand R, à La Roche-sur-Yon ; le 21 mai à L’Onde,Vélizy-Villacoublay.

David Wahl. PHOTOMELINA JAOUEN

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Libération Vendredi 6 Novembre 2015 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe

Libre de la junteZin Mar Aung Cette militante birmane pourla démocratie, emprisonnée plus de dix ans parles militaires, espère être élue députée ce week-end.

Un éclat de rire au milieu du chaos. Malgré le bruit desvoitures et des popotes de rue dans ce quartier affairéd’un Rangoun embouteillé, il a jailli derrière la porte.

Quand on l’ouvre, une femme est assise sur le plancher, lesjambes sous une table basse encombrée de dossiers et de tas-ses. Zin Mar Aung achève, en blaguant, un petit déjeuner à basede cake et maïs grillé. Entourée de son équipe de campagnepour les élections du 8 novembre, elle peaufine le programmedense de la journée. Candidate de la Ligue nationale pour ladémocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, la jeune femme s’estlancée dans un marathon électoral avec l’énergie des affamésde justice et la frénésie des acharnés du changement.Un tel empressement pourrait surprendre si la Birmanie ne fi-gurait pas aux abonnés très absents de la démocratie. Le paysn’a pas voté librement depuis mai 1990. Et encore, cette an-née-là, les généraux s’étaient assis sur les résultats, après avoirpris une belle claque électorale. Son engagement prêterait pres-que à sourire si la candidate en lice n’était pas passée par lesgeôles de la junte. Onze années d’humiliations dans des cellulescrasseuses auraient pu casser cette étudiante en botanique auvisage rond et rieur, aux fines mains bavardes. Mais le désespoir

Par ARNAUD VAULERINPhoto LAUREN DECICCA

est parfois mobilisateur. Chez elle, il a été aussi fondateur. «Jesuis sortie de prison pour faire de la politique. Il y avait tant àfaire, notamment pour les jeunes.» Au vu des yeux écarquillés,la démarche ne semble pas devoir se questionner.A-t-on jamais sondé une évidence? Zin Mar Aung a 11 ansquand la politique pénètre avec fracas dans sa viede petite fille curieuse d’une famille bouddhiste dela classe moyenne de Rangoun. Un jour au square,elle entend les slogans d’une manifestation. C’estl’été 1988. La Birmanie exige liberté et dignité, vit en ébullitionun printemps démocratique qui s’éternise contre la vie chèreet les militaires. Zin Mar Aung déserte le jardin d’enfants pourla rue. Le 9 août, le cortège se scinde en deux pour mieux seretrouver à la fin de la journée. Elle ne reverra pas ses amispartis dans l’autre défilé. L’armée barre la route et ouvre le feu.Des centaines de vies sont fauchées, des centaines d’autresarrêtées et torturées. A son retour, le père, professeur d’anglaiset instigateur de discussions politiques avec ses étudiants,l’attend avec des mots inouïs qui en disent long sur l’état d’es-prit sacrificiel de cette génération. «Nous sommes fiers de toi,dit-il à son aînée, et nous l’aurions été même si tu t’étais fait

tuer aujourd’hui.» L’enfant se sent «encouragée». Elle devientun petit moine soldat, «inspirée par tous les membres de laLND qui se sont sacrifiés». Elle participe aux happenings quisont autant de défis à la police secrète qui grouille à Rangoun.En 1998, elle est arrêtée après avoir distribué des tracts et ludes poèmes dans un cinéma. A 22 ans, elle écope de vingt-huit ans de prison. Elle accueille la sentence en applaudissantet rejoint sa cellule en chantant.Passé la dépression des «six premiers mois terribles», vient letemps de la reconstruction et de l’analyse. Elle se plonge dansdes livres d’histoire et sur le bouddhisme que son père lui ap-porte au pénitencier de Mandalay. Et cette activité intellec-tuelle, faite de solitude et d’études, ne la quitte plus. Elle ex-plore la non-violence de Gandhi. Découvre Alice Paul et leféminisme activiste des suffragettes américaines du débutXXe siècle. Creuse sa relation à la lady Aung San Suu Kyi. «Jevoulais comprendre l’énorme influence qu’elle a sur le peupleet pas me contenter de la suivre comme tout le monde.» Les deuxfemmes étaient côte à côte sur l’estrade d’un forum économi-que mondial en 2013. Elle se vit en respectueuse de la dame,pas en béate. Sans esquisser de critique sur la madone de l’op-position. Zin Mar Aung est plus loquace sur une «LND trop hié-rarchisée, en manque de leadership et de renouvellement». Elleen a tiré des enseignements en pragmatique chef de meute sou-cieuse d’efficacité. Elle s’estentourée de vieux combat-tants, de jeunes militants, defemmes et d’anciens prison-niers. Elle les a formés auxprincipes de l’Etat de droit, aucode électoral, à «cette idéeque la démocratie est compa-tible avec la culture asiati-que». Des enseignements déjàdélivrés aux étudiants del’école de sciences politiquesde Rangoun, qu’elle a crééeen 2011 pour éduquer les fu-tures générations. Féministede passion et de raison, elle segarde bien de se revendiquercomme telle dans un pays en-core traditionaliste. Citée enexemple par des ONG de dé-fense des droits de la femme, la pétroleuse-rieuse se méfie desassociations qui ne parlent que «de niveau de vie et de vie defamille» quand elle convoque «l’idéologie et une égalité des gen-res».Elle n’est plus dans la pose de l’opposante, et ne se vit pas enmilitante de la critique permanente qui a trop souvent servide bréviaire à une LND sans vision. «Avant, c’était une acti-viste qui intervenait sur tout et tout le temps», se souvientZayar Thaw, improbable député de la Ligue à Naypyidaw, lacapitale bunker des généraux. Le trentenaire parle en connais-sance de cause. Ex-rappeur, il a rangé sa casquette et son jeantaille basse pour endosser la chemise blanche et repassée dedéputé. «Zin Mar a changé de point de vue. Elle est très ambi-tieuse, a travaillé dur. Elle est devenue une politique, profes-sionnelle et équilibrée, en quête de solution.»Elle se serait fondue dans le moule d’une respectabilité raison-nable? Ça reste à voir. Jeune, célibataire, féministe dans uneclasse politique patriarcale et galonnée, âgée et conservatrice,la candidate détonne. Dans son immuable hta-mein, le sarongdes femmes, et son lâche tee-shirt tunique, elle arpente la so-ciété en démineuse audacieuse. Face au silence gêné d’unetrop grande partie des bouddhistes, elle vilipende «l’ultrana-tionalisme» des bonzes prêcheurs de haine antimusulmane.

Elle a écrit au président Thein Sein pour critiquerla raciste et machiste loi sur les mariages interreli-gieux, et fait le voyage à Naypyidaw pour lui porterla missive. Elle est aussitôt menacée de mort. «Les

autorités n’ont jamais trouvé d’où venaient les appels», raille-t-elle. Rieuse à la vie sérieuse, elle se campe en «bourreau detravail et grande lectrice» à l’heure des loisirs. Comprenez des«livres politiques ou juridiques sur la manière dont les lois sontvotées dans les Parlements». On se moque de ce hobby. Elleacquiesce en éclatant de rire, et consent à donner le nom deJu, une romancière contemporaine proche des idées existen-tialistes, qui raconte le destin de femmes indépendantes dansla société birmane. Retour à la case boulot. •

n 14 septembre 1976Naissance à Rangoun.n Septembre 1998Arrêtée à son domicileet condamnée à vingt-huit ans de prison.n 2009 Libération.n Novembre 2011Fonde l’Ecole desciences politiquesde Rangoun et l’ONGRainfall contreles discriminations.n 8 novembre 2015Candidate de la LNDd’Aung San Suu Kyià Rangoun.