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Journée d’étude et de formation Le traitement de la victime de discrimination Actes du colloque Association Droit pour la Justice 29 mars 2011

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Journée d’étude et de

formation

Le traitement de la victime de

discrimination

Actes du colloque

Association Droit pour la Justice

29 mars 2011

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Propos introductifs ................................................................................................................... 5 Chantal Cutajar 1ère partie : INTERVENTIONS .............................................................................................. 8

Suis-je ou non victime de discrimination ? Quand la victime « passe sous silence » l’expérience de discrimination ............................................................................................... 9 David Bourguignon

 

Une analyse de sociologie politique catégorie de « victime » et la construction sociale d’une catégorie d’inaction publique : la « victimisation » ................................................... 26 Olivier Noël

 

L’identification de la victime : aspect juridique .................................................................. 40 Jérôme Lasserre Capdeville

 

Présentation de l’étude sur le traitement pénal des discriminations à partir de décisions des juridictions répressives françaises ........................................................................................ 44 Laura Mourey

2ème partie : ATELIERS ........................................................................................................ 51

Atelier n°1 : Pratiques d’accompagnement et accès aux droits des victimes de discrimination ...................................................................................................................... 52 ORIV Atelier n°2 : Preuves et traitement judiciaire ....................................................................... 61 Droit pour la Justice Atelier n°3 : La victime, du sentiment à la reconnaissance ................................................. 69 ISCRA

 

Synthèse des ateliers ............................................................................................................ 74 Eric Pelisson

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Propos introductifs

Chantal CUTAJAR

Présidente de Droit pour la Justice, Maitre de conférence à l’Université de Strasbourg

Je suis heureuse de vous accueillir à cette journée d’étude et de formation consacrée au traitement de la victime de discrimination.

La lutte contre les discriminations présente, comme nous le verrons, des enjeux importants à l’échelle européenne. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité placer cette journée de formation sous le double patronage de Monsieur Jagland, Secrétaire général du Conseil de l’Europe et de Madame Trautmann, députée européenne. Je voudrais commencer par les remercier de nous avoir accordé ce patronage.

Ensuite, cette journée est le résultat d’une démarche partenariale réelle, qui s’est concrétisée avec la constitution d’un comité de pilotage autour de Laura Mourey, Directrice de DPJ et de Dan LIAU, Vice-Président auquel ont participé :

• Michèle SCHNEIDER, Adjointe au directeur (ACSE) et Gabrielle MARIE, Chargée de mission à l’ACSE

• Zoubida NAILI, Chargée de mission Discrimination, Ville de Strasbourg • Murielle MAFESSOLI, Directrice de l’ORIV.

Je vous remercie très sincèrement du temps passé dans les nombreuses réunions que nous avons tenues pour mettre au point cette journée.

Je voudrais également remercier les financeurs sans qui, nous le savons bien, rien n’est possible.

• L’ACSE représentée par Madame Isabelle PELLÉ, Directrice du pôle Promotion de l’Egalité de l’ACSE

• La Ville de Strasbourg représentée par Monsieur Mathieu CAHN, adjoint au maire de la ville de Strasbourg

• Le Conseil Régional d’Alsace, représentée par Madame Catherine ZUBER, Présidente de la Commission Jeunesse, Economie sociale et solidaire.

Je voudrais en quelques mots, si vous me le permettez, présenter l’association Droit pour la justice.

Droit pour la Justice a été créée en 2005 pour contribuer à l’édification d’un droit, dans le respect de l’idéal de justice. L’un de ses principaux axes d’intervention est l’action pour la prévention des discriminations par la formation. C’est ainsi que DpJ a notamment initié en 2005 une action, « Droit au cœur », consistant à former des étudiants de la Faculté de droit pour les rendre capable de dispenser eux même une action de formation aux droit pénal des discriminations à destination des lycéens alsaciens. Cette action, soutenue par la Région, dans le cadre du mois de l’autre a obtenu l’agrément de l’éducation nationale et a été retenue par la Commission européenne en 2007 dans le cadre de l’année européenne de l’égalité des

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chances pour tous. C’est ainsi qu’elle a pu être conduite dans les Alpes maritimes où elle continue de se dérouler tous les ans dans le cadre d’un partenariat entre les collectivités territoriales, l’Université et le rectorat. L’action de DpJ s’est ensuite élargie aux collégiens alsaciens.

De nouvelles actions de formation à destination de professionnels ont été mises en place avec les chargés de mission ou les délégués du préfet de la ville de Strasbourg afin de décliner de nouvelles actions pour les professionnels travaillant avec des personnes discriminées ou susceptibles de l'être ainsi que des actions ponctuelles sur d'autres thématiques juridiques telles que les droits de l'enfant ou la justice pénale notamment. Nous avons aussi mis en place un atelier citoyen dans différents quartiers de la ville pour travailler sur la notion de discrimination directement avec les habitants du quartier. Enfin Droit pour la justice travaille aussi à la création d'outils qui sont proposés à différents acteurs sociaux ou institutionnels. Nous avons ainsi créé Equality qui est une mallette pédagogique de sensibilisation à la notion de discrimination. L’action des étudiants, est au cœur de DPJ. Des cafés débats sont tenus depuis cette année au cours desquels les étudiants interviennent autour d’un invité sur différentes thématiques en lien avec la discrimination. L’originalité de l’action conduite par DpJ consiste dans l’utilisation du droit pénal comme un outil de prévention. Cela peut paraître contradictoire au premier abord, étant donné le caractère répressif par essence du droit pénal.

En réalité, nous portons la conviction que le respect du droit procède de l’intégration par les citoyens de la règle obligatoire qu’il énonce comme une norme de comportement et à laquelle il accepte de se soumettre. Dès lors, ce n’est pas la peur de la sanction qui assure au droit la meilleure effectivité mais l’adhésion du citoyen à la valeur qu’il protège. Cependant, cette adhésion n’est pas de l’ordre de l’inné. Elle s’acquiert par la formation et l’information. Si le droit pénal sanctionne les discriminations au moyen de la peine la plus grave, à savoir, l’emprisonnement, c’est parce que ces dernières heurtent de front les valeurs fondamentales qui fondent le vivre ensemble, les valeurs d’égalité et de respect de la personne humaine.

La journée de formation que nous vous proposons aujourd’hui est né d’un constat : celui de la difficulté pour les différents acteurs sociaux susceptibles d’intervenir dans ce champ d’action, de traiter la demande des victimes de discriminations.

Elle procède d’une volonté : celle de tenter de construire une démarche globale de traitement des victimes de la discrimination et d’élaborer un mode opératoire à destination de celles et ceux qui sont amenés à entrer en relation avec des personnes qui se disent victimes de discrimination.

Il s’agit ainsi de travailler sur l’ensemble du processus d’accueil des victimes, de l’association qui accueille les victimes potentielles jusqu’aux acteurs de l’institution judiciaire.

Les objectifs que nous poursuivons sont donc :

1° de contribuer à une meilleure connaissance du phénomène des discriminations

-­‐ appréhender le phénomène discriminatoire dans sa globalité à travers une approche transdisciplinaire

-­‐ analyser s’il y a lieu les difficultés rencontrées par les victimes de discrimination dans l’accès au droit et à la justice

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2° de contribuer à une meilleure connaissance du droit et des pratiques en matière de traitement des discriminations

-­‐ Connaissance des dispositifs juridiques existants et des modalités de traitement des discriminations

-­‐ Permettre une réflexion des chercheurs et des praticiens sur l’efficacité, les limites et les obstacles, les voies d’amélioration du traitement des discriminations

3° de formuler des propositions pour améliorer le traitement des discriminations

-­‐ à partir d’un échange sur les pratiques de prise en charge des victimes par les différents acteurs et professionnels intervenant dans le champ des discriminations

-­‐ en favorisant l’action concertée des différents intervenants dans un souci de cohérence et de complémentarité.

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1ère partie : INTERVENTIONS

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Suis-je ou non victime de discrimination ? Quand la victime « passe sous silence » l’expérience de discrimination1

David Bourguignon Maître de conférences à l’Université Paul Verlaine de Metz, GEA - ETIC

1. Introduction

Une jeune femme se fait déshabiller du regard et siffler comme un vulgaire objet par une bande de jeunes hommes en costume cravate, un jeune homme de nationalité française mais d’origine étrangère se voit refuser la location d’un appartement, un chômeur de longue durée n’est pas retenu pour un entretien d’embauche pour un travail tant convoité : voilà autant d’écueils qui ont pour seule origine la discrimination et les différents visages qu’elle peut prendre.

Bien que longtemps acceptées, la discrimination et les inégalités entre groupes sociaux ont eu la vie dure depuis un siècle. Nous rêvions déjà d’une société où la discrimination n’existerait plus que dans les pages de dictionnaires poussiéreux. De nombreux efforts ont ainsi été consentis pour enrayer ce fléau et comprendre pourquoi et comment les individus discriminaient d’autres individus. L’idée était qu’une fois découverts les mécanismes à l’origine de la discrimination, il serait possible de trouver des méthodes pour réduire leur apparition (Yzerbyt et Demoulin, 2010). Pourtant rien n’y fait, la discrimination se perpétue et constitue le quotidien de toute une série de personnes. Ne sachant enrayer la discrimination, l’attention des chercheurs s’est dirigée vers les cibles de ces comportements. Quel impact laisserait la discrimination sur les victimes et surtout comment allaient-elles réagir? Pour beaucoup, il ne faisait aucun doute qu’elles se révolteraient et entameraient des poursuites contre leurs agresseurs. Toutefois, cette hypothèse se révèle erronée. Comprendre comment les victimes de préjugés et de discriminations reconnaissent de tels faits et portent éventuellement plainte pour discrimination est l’objet de cet article.

Pour ce faire, cet article se décline en cinq parties décrivant et utilisant les théories et les recherches réalisées en psychologie sociale2 sur ce sujet. La première partie concerne le concept de la discrimination. Ce concept sera défini par ses éléments essentiels. Une deuxième partie sera dédiée à la représentation sociale de la discrimination. Nous y décortiquerons la manière dont les gens perçoivent certains évènements comme étant discriminatoires alors que d’autres évènements, presque identiques, ne recevront pas le même label. Dans une troisième partie, nous envisagerons les raisons qui poussent les victimes de discrimination à porter ou à ne pas porter plainte lorsqu’elles sont confrontées à des situations où la discrimination ne fait aucun doute. La quatrième partie traitera des situations où l’événement discriminatoire est sujet à caution. Les individus seront-ils prompts à voir de la discrimination même là où il n’y en a pas ou vont-ils préférer la taire et minimiser leur réalité. Enfin, dans la conclusion, nous tenterons une synthèse.                                                                                                                1 Cet article reprend sous forme écrite l'exposé oral présenté le 29 mars 2011 à Strasbourg lors du colloque intitulé « Le traitement de la victime de discrimination » organisé par « Droit pour la justice ». Un tout grand merci à Georges Liénard pour son aide « imperfectible » et à Catherine Mélotte. 2 Cette discipline utilise des méthodes scientifiques dans une tentative de comprendre et d’expliquer comment les pensées, les sentiments et les comportements des individus sont influencés par les caractéristiques du contexte social (Allport, 1985).

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1. La discrimination en psychologie sociale

Le mot discrimination est un terme populaire, communément utilisé dans le quotidien par chacun d’entre nous. Toutefois, afin de mieux l’approcher et de l’étudier scientifiquement, il est utile de le distinguer d’autres concepts proches que sont les préjugés et les stéréotypes. Dans cette perspective, Dovidio et Gaertner (1986) définissent la discrimination comme un « comportement injustifié dirigé vers les membres d’un groupe cible ». A partir de cette définition, trois éléments sont à souligner.

Tout d’abord, la discrimination telle que définie en psychologie sociale renvoie à la sphère comportementale. Les préjugés sont définis par Allport (1954) comme une attitude négative ou une prédisposition à adopter un comportement négatif qui repose sur une généralisation erronée et rigide concernant un groupe ou les membres de ce groupe, Les stéréotypes quant à eux, sont « des croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais souvent aussi des comportements d’un groupe de personnes (Leyens, Yzerbyt et Schadron, 1996). Il est bon de signaler que les stéréotypes ne sont pas uniquement négatifs mais combinent souvent des traits négatifs et des traits positifs (Glick et Fiske, 2001). Ainsi, le stéréotype des noirs américains nous informe que ceux-ci sont peu compétents et peu intelligents mais en contrepartie qu’ils sont des sportifs de haut niveau et qu’ils ont le rythme dans la peau.

Préjugé, stéréotype et discrimination forment ainsi une triade intimement connectée. Toutefois, ces trois concepts entretiennent des liens complexes les uns avec les autres. Au niveau des préjugés, bien que ceux-ci sont bien souvent à l’origine de la discrimination, ils ne conduisent pas systématiquement à de la discrimination (Bourhis, Gagnon et Moise, 1994). Par exemple, des personnes exemptes de préjugés sont parfois amenées, en raison de règlement discriminatoire, à discriminer. A l’inverse, beaucoup de personnes ayant des préjugés envers certains groupes sociaux ont appris à ne pas l’exprimer bien qu’elles discriminent. En effet, dans nos sociétés, les normes sociales diffusent l’idée d’égalité entre tous les groupes sociaux. Par conséquent, il est socialement interdit de discriminer. Quant aux stéréotypes, l’exposition répétée et prolongée les fait devenir si familiers que, même pour les personnes qui n’y adhèrent pas consciemment, l’activation de ceux-ci se fait automatiquement et amène les personnes à émettre des jugements les confirmant (Devine, 1989). Ainsi, aux Etats-Unis, si un Noir bouscule accidentellement une vieille dame, cet acte sera généralement interprété non pas comme un incident mais comme le reflet de son agressivité et ce, que le témoin soit ou non raciste. En somme, même lorsqu’on n’adhère pas aux stéréotypes, ceux-ci viennent inconsciemment et automatiquement influencer nos perceptions et nos jugements (Devine, 1989).

Un deuxième élément définitoire de la discrimination est la dimension d’injustice. La discrimination est avant tout un comportement évalué comme injuste, illégitime, immérité et déplacé. La notion de justice a fait l’objet de nombreux travaux en psychologie sociale pour mieux cerner d’où vient cette perception (voir Tyler et Smith, 1999). Ces études ont mis en exergue que la perception de justice est complexe. Elle se forme sur base de différentes dimensions. Les deux dimensions les plus importantes sont la justice distributive qui renvoie à la répartition des ressources entre les personnes et la justice procédurale qui renvoie à la manière dont les individus sont traités par les instances qui réalisent la distribution. Ces dimensions suivent chacune des règles spécifiques telles que, la règle d’équité, la règle d’égalité et la règle du besoin pour la justice distributive. Les individus utilisent ces

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différentes dimensions et leurs règles pour se forger une impression de justice ou d’injustice lorsqu’ils leur arrivent quelque chose. Ils les utilisent également pour expliquer le fonctionnement de la société et les rapports entre les groupes sociaux. Or, il est vite apparu que les rapports entre groupes sociaux sont régis par des « idéologies légitimantes » qui amènent à percevoir le système comme juste et légitime (Seron, 2006 ; Sidanius et Pratto, 1999). Ces idéologies imposent la structure sociale non pas par la violence mais par des discours légitimant les inégalités et la hiérarchie sociale. Parmi celles-ci, la vision méritocratique suggère que tous, quelque soit son sexe, son origine ethnique,… peuvent arriver où ils le désirent s’ils consentent à fournir les efforts nécessaires (d’autres idéologies coexistent comme la vision du monde juste, Lerner, 1980 ; les stéréotypes ambivalents, Glick et Fiske, 2001 ; la théorie de la dominance sociale, Sidanius et Pratto, 1999 ou encore la théorie de la justification du système, Jost et Banaji, 1994). La mise en place de ces idéologies permet de convaincre les individus issus de groupes stigmatisés et de bas statut que les choses sont comme elles devraient être et cela dans le meilleur des mondes. Ces idéologies sont par ailleurs facilement intégrées par les individus dominés car elles répondent au besoin des êtres humains de croire qu’ils vivent dans un monde juste (Major, 1994) et ainsi d’éviter les fortes tensions qui surgissent à cause de la perception d’injustices (Adams 1965).

Le dernier élément définitoire de la discrimination indique qu’il s’agit d’un comportement de rejet et d’exclusion basé sur l’appartenance groupale. Cela entraîne une double implication. Premièrement, la discrimination est une forme d’exclusion sociale qui se révèle une expérience particulièrement douloureuse pour les individus qui en sont la cible (Branscombe, Schmitt et Harvey, 1999). De nombreuses études témoignent ainsi de l’impact délétère de l’exclusion sociale sur le bien-être psychologique (McDonald et Leary, 2005 ; Williams, Christopher, Cheun et Choi, 2000). Par ailleurs, étant une forme d’exclusion sociale, la discrimination menace l’un des besoins fondamentaux de l’être humain, à savoir le besoin d’appartenance (Baumeister, & Leary, 1995). En effet, l’individu est fondamentalement grégaire et cherche presque instinctivement, à tisser des liens avec d’autres, à les maintenir et à les consolider à travers le temps. Toutefois, la discrimination touche un individu non pas pour lui-même mais en raison de son appartenance à un groupe social. La discrimination est donc une expérience intrinsèquement sociale et puisque cette dimension est collective, elle peut être également source de protection (Branscombe et al. 1999 ; Tajfel et Turner, 1979). Plus précisément, le groupe permet la mise en place de stratégies collectives variées pour faire face aux injustices. Le groupe apporte également une série de ressources comme le soutien social des pairs (Chabtree, Haslam, Postmes, Haslam, 2010; Frable, Platt and Hoey, 1998), l’identification (Bat Chava, 1994 ; Bourguignon, Seron, Yzerbyt et Herman, 2006 ; Branscombe et al. 1999) et encore les comparaisons sociales au sein du groupe (Crocker and Major, 1989; Martinot, Redersdorff, Chatard, and Guimond, 2002). Autrement dit, alors que l’exclusion sociale et/ou le harcèlement moral touchent de plein fouet l’individu dans son individualité, la discrimination touche l’individu en tant que membre d’un groupe. De ce fait, ce membre peut bénéficier des bienfaits de cette appartenance.

Après ce passage en revue de ce qu’est la discrimination, il est essentiel de souligner que la discrimination, tout comme les préjugés, évolue avec le temps (Brown, 2010 ; Dovidio et Gaertner, 1986). Le racisme, le sexisme et l’homophobie ne s’expriment plus aujourd’hui comme au début du siècle. Toutefois, ce serait une erreur de croire que la discrimination et les préjugés n’existent plus. En effet, on assiste, à l’heure actuelle, à un véritable glissement dans le mode d’expression des préjugés. Ceux-ci se déguisent pour s’exprimer de plus en plus discrètement. On parle désormais de racisme moderne et des théories modernes de la discrimination. Celles-ci proposent que les préjugés n’ont pas beaucoup évolué mais que leur

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expression serait tout simplement plus subtile. Cela n’est pas sans conséquence pour les individus victimes de ces comportements car cette situation induit chez les victimes de discrimination, un doute permanent quant à l’interprétation des événements qui les frappent (Major et Crocker, 1993). Ainsi, lors d’un entretien d’embauche, si un jeune arabe essuie un refus, la cause de celui-ci peut être imputée soit à des facteurs internes (le manque de diplôme ou de compétences dans le domaine précis), soit à des facteurs externes (la mauvaise humeur de l’employeur). Toutefois, une explication alternative est envisageable à savoir que la raison de ce refus pourrait avoir pour origine la couleur de sa peau (Crocker et Major, 1989). Cette dernière explication est d’autant plus difficile que l’expression de la discrimination est déguisée ou justifiée par des éléments ne s’y rapportant pas. En somme, l’évolution de la discrimination conduit à un état chronique d’ambiguïté attributionnelle quant aux motivations ayant entraîné les comportements envers les personnes issues de groupes stigmatisés (Crocker, Major et Steele, 1998).

2. La représentation sociale de la discrimination : quelle perception les personnes « normales » ont-elles de la discrimination ? Qu’appelleraient-elles, ‘discrimination’?

La psychologie sociale a défini de manière précise ce qu’est la discrimination. Pourtant, avec l’apparition des théories modernes de la discrimination, il semble que l’expression de la discrimination évolue. Cela amène à se poser la question de savoir comment l’homme de la rue, un passant, un témoin ou même une victime d’un événement discriminatoire se représentent la discrimination. La représentation que se font les individus de ce qu’est la discrimination est un élément essentiel pour permettre son identification. L’enjeu est de ce fait crucial. Pour qu’un témoin puisse soutenir une plainte contre discrimination, il est essentiel qu’il soit capable d’accoler l’étiquette discrimination sur les événements de ce genre. De nombreuses études ont mis en évidence que différents éléments peuvent intervenir pour catégoriser un événement sous le label discrimination (Baron, Burgess & Kao, 1991; Inman & Baron, 1996). Tout d’abord, il est apparu que la représentation de la discrimination était plus accessible pour certains groupes que pour d’autres (Marti, Bobier et Baron, 2000). Ainsi, des événements relevant du racisme et du sexisme semblent plus facilement reconnaissables comme étant de la discrimination que ne le sont les mêmes événements dirigés vers de personnes âgées ou souffrantes de surcharge pondérale. En somme, la discrimination en raison du sexe et de la race constitue des formes plus prototypiques et donc plus facilement accessibles à l’esprit. Toutefois, bien que le racisme et le sexisme soient aussi identifiables l’un que l’autre, le sexisme est pris moins au sérieux que ne l’est le racisme. Ainsi, lorsqu’on surprend un individu en train d’exprimer du sexisme ou du racisme, on s’aperçoit que l’individu qui vient d’exprimer des propos sexistes est moins gêné et plus amusé que celui ayant tenu des propos racistes (Czopp & Monteith, 2003). Cette différence est en partie due au fait que les stéréotypes des femmes sont souvent vus comme vrais, légitimant de ce fait les différences et la discrimination envers les femmes (Czopp & Monteith, 2003). Enfin, bien que certains groupes soient plus facilement identifiés comme victime de discrimination, il semble également que certains groupes endossent plus facilement le rôle de bourreau. Ainsi, la présence d’hommes ou de blancs occidentaux dans une interaction litigieuse envers des femmes ou des personnes d’origine étrangère permettra de

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plus facilement percevoir de la discrimination, ces deux groupes d’individus étant connus pour leur penchant naturel à discriminer et à harceler (Baron, Burgess et Kao, 1991) ! L’identification de comportements discriminatoire envers certains groupes sociaux est également entravée en raison du processus de légitimation. C’est particulièrement le cas pour les groupes stigmatisés dont le stigmate est perçu comme contrôlable (Crocker et al., 1998). La perception de contrôlabilité du stigmate renvoie aux moyens dont disposent les individus pour mettre un terme à leur situation de stigmatisation (Weiner, Perry et Magnusson, 1988). Par exemple, les chômeurs et les obèses disposent d’un stigmate perçu comme contrôlable (Bourguignon et Herman, 2005). Ainsi, la plupart des gens estiment que si les chômeurs le veulent vraiment, ils peuvent retrouver du travail, sous-estimant le rôle prépondérant du contexte économique. De même, pour les personnes souffrant de surcharge pondérale, beaucoup pensent qu’un régime permettra de retrouver un poids normal oubliant que des facteurs anatomiques sont souvent à l’origine de ce problème. Le problème de la perception de contrôlabilité du stigmate est qu’elle légitime nos comportements discriminatoires à l’encontre des membres de ces groupes sociaux. Les remarques désobligeantes à l’encontre des chômeurs et des obèses sont légion et sont souvent perçues comme méritées. Selon Crocker et collègues (1998), plus les personnes sont considérées comme pouvant exercer un contrôle sur leur stigmate, plus elles seront rejetées et traitées durement. Une expérience de Weiner, Perry et Magnusson (1988) montre que les personnes éprouvent moins de pitié, moins de sympathie, montrent davantage de colère et fournissent moins d’aide aux personnes ayant un stigmate contrôlable par rapport à celles qui n’en ont pas le contrôle. En outre, les réactions par rapport aux traitements injustes infligés aux personnes ayant un stigmate perçu comme étant contrôlable sont vues comme plus raisonnables et moins discriminatoires par comparaison à des comportements similaires émis à l’encontre de personnes au stigmate incontrôlable (Rodin, Price, Sanchez et McElligot, 1989). Les caractéristiques des personnes et de l’interaction interviennent également dans l’identification d’un événement comme étant discriminatoire. Deux éléments semblent avoir un rôle déterminant à savoir le schéma endogroupe / exogroupe3 et l’effet d’asymétrie (Baron, Burgess, & Kao, 1991 ; Rodin, Price, Bryson et Sanchez, 1990 ; Seron, 2006). En ce qui concerne le schéma endogroupe / exogroupe, les études de Baron, Burgess, & Kao (1991) mettent en évidence que l’on reconnaît plus difficilement un événement comme étant discriminatoire lorsque le bourreau et la victime font partie du même groupe. Ainsi, on éprouve davantage de difficultés à reconnaître un comportement discriminatoire venant d’un Noir envers un autre Noir, d’une femme sexiste envers une autre femme, par rapport à un comportement discriminatoire venant d’un Noir envers un Asiatique ou d’une femme envers un homme. A cela s’ajoute l’effet d’asymétrie (Rodin, Price, Bryson et Sanchez, 1990) qui renvoie au fait qu’on identifie plus facilement un comportement comme étant discriminatoire lorsque l’exécutant appartient à un groupe traditionnellement au pouvoir et que la victime fait partie d’un groupe de plus bas statut. Ainsi, on identifie plus facilement qu’un Blanc discrimine un Noir, qu’un homme discrimine une femme, qu’un jeune discrimine une personne âgée plutôt que l’inverse (un Noir qui discrimine un Blanc, une femme qui discrimine un homme,…). Enfin, Swim, Scott, Sechrist, Campbell et Stangor (2003) ont mis en évidence que l’intention de nuire et le tort causé à la victime interviennent également dans la reconnaissance d’un événement comme étant discriminatoire. Ces deux variables interagissent pour déterminer si une situation est lue comme discriminatoire. Plus précisément, une fois l’intention de nuire avérée, peu importe le niveau de tort causé, l’observateur verra dans ce comportement, de la discrimination. Par contre, lorsque l’intention n’est pas connue, c’est le                                                                                                                3 L’endogroupe fait référence aux groupes auxquels on appartient alors que l’exogroupe fait référence aux autres groupes auxquels on n’appartient pas.

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tort causé à la victime qui sera le diagnostic. Dans ce cas, un dommage important conduira le comportement à être lu comme discriminatoire alors qu’un dommage léger évincera une telle explication. Cette étude s’avère particulièrement intrigante compte tenu de la réalité perçue par les acteurs de ces scènes discriminatoires. En effet, l’auteur de la discrimination est sensé connaître ses intentions alors que la victime se focalise davantage sur le tort résultant de ce comportement. Tout cela peut bien entendu conduire à des déductions erronées sur l’évènement. La personne sans intention de nuire pense n’avoir causé aucun tort tandis que la personne qui a souffert lui impute de fausses intentions (voir Seron, 2006). L’ensemble de ces résultats souligne ainsi que les être humains se forment une représentation de ce qu’est la discrimination. Il semble ainsi que des témoins extérieurs d’une altercation discriminatoire pourront plus facilement ou plus difficilement accoler l’étiquette discrimination sur certains types de discrimination. Les travaux que nous venons de présenter portent sur des situations rassemblant à la fois des victimes et des personnes qui ne sont pas elles-mêmes la cible de discrimination. Intéressons-nous maintenant à la manière dont les personnes victimes de discrimination réagissent à ce type d’événement.

3. Comment les personnes discriminées réagissent face à un événement clairement discriminatoire.

Comme nous l’avons vu, la discrimination prend des formes de plus en plus détournées et subtiles. Cela rend naturellement l’explication des événements en termes de discrimination difficile. Toutefois, il reste des situations où la discrimination ne fait aucun doute. Certaines personnes revendiquent ouvertement qu’elles sont homophobes, antisémites, sexistes ou racistes et se comportent en accord avec leurs attitudes. De même, certains partis politiques défendent haut et fort certaines de ces idées et exhortent leurs membres à se comporter de manière discriminatoire. Chaque année, des journaux relatent des événements discriminatoires où les auteurs ont signé leurs crimes d’une croix gammée. Dans ces cas de figures, les preuves sont explicites et aucune ambigüité n’existe pour les victimes de ces comportements. Par conséquent, on s’attend naturellement à ce qu’elles décident de porter plainte contre leurs bourreaux.

Pourtant, c’est loin d’être le cas ! Selon Kowalski (1996), deux ingrédients doivent être réunis pour qu’une plainte soit déposée : l’insatisfaction de la situation et l’évaluation des coûts et des bénéfices de la plainte. Le premier ingrédient réside dans l’insatisfaction de la victime quant à la situation actuelle. Celle-ci renvoie à l’idée de l’écart entre la manière dont l’individu pense qu’il aurait du être traité et celle dont il a été traité réellement. Plus l’écart sera important, plus l’insatisfaction sera grande. Toutefois bien que nécessaire, l’insatisfaction n’est pas suffisante et elle doit être complétée par l’évaluation des coûts et des bénéfices. Bien que la personne soit fortement insatisfaite de sa situation, la plainte ne verra le jour que si la personne pense que les bénéfices supplantent les coûts associés au dépôt d’une plainte. Par ailleurs, si une personne croit que la plainte produira des résultats escomptés (même en l’absence d’insatisfaction), la victime n’hésitera pas à porter plainte ! L’évaluation du coût et des bénéfices de la plainte est donc l’élément déterminant pour que la déposition ait lieu.

Mais quels peuvent-être les coûts et les bénéfices accompagnant une plainte pour discrimination. Au niveau des bénéfices, le fait de déposer une plainte pour discrimination permet d’attirer l’attention sur une situation problématique. Cela peut avoir pour conséquence soit l’arrêt des comportements discriminatoires, soit la rectification des injustices causées (Crosby, Iyer, Clayton & Downing, 2003; Kowalski, 1996). La plainte contre la

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discrimination est également un instrument collectif de changement social servant à rétablir la situation et réparer les injustices existant envers les groupes stigmatisés. Elle constitue également un message plus général de refus quant aux situations inégalitaires existant envers certains groupes stigmatisés et se révèle, de ce fait, une arme incontournable pour permettre le changement social et combattre les inégalités sociales. Pourtant, bien que dénoncer la discrimination s’accompagne d’une série d’avantages, la plupart des victimes préfèrent garder sous silence cette réalité. Une étude réalisée par Swim et Hyers (1999) montre que l’inaction est souvent de mise lorsque la discrimination a lieu. Pour le montrer, ces chercheuses ont demandé à des jeunes étudiantes d’interagir avec un groupe d’étudiants. Parmi ceux-ci se trouvaient un homme qui allait faire une série de commentaires particulièrement sexistes. Quelles réactions allaient avoir ces jeunes femmes face à cet odieux personnage? Les résultats révélèrent que la majorité d’entre elles n’ont pas répondu à ces propos sexistes et ont laissé l’homme continuer ses litanies. Pourtant, elles n’en pensaient pas moins ! En effet, 91% d’entre elles ont reconnu avoir eu des pensées et des sentiments négatifs à l’égard de cet homme et 75 % estiment qu’il était sexiste. En somme, bien qu’elles reconnaissent le sexisme de cet homme et que cela suscite un certain mécontentement de leur part, la plupart des femmes ne s’opposent pas à ce sexiste avéré.

Mais pourquoi les personnes qui pensent être victimes de discrimination seraient-elles réticentes à déposer plainte ? La perception du coût de la plainte pour discrimination semble être à l’origine de cette réticence. Premièrement, porter plainte pour discrimination, comme toute plainte, s’accompagne d’une série de tracas administratifs et amène la personne à revivre la situation problématique ce qui peut générer du stress (Kowalski, 1996). Porter plainte consiste également en une forme d’attaque envers la réputation d’une personne (Stangor, Swim, Van Allen et Sechrist, 2002). Cela n’est pas sans conséquence et les personnes qui se déclarent être victimes de discrimination, disent qu’elles ressentent de la peur d’être la cible de représailles (Kaiser and Miller, 2003). Quoi d’étonnant quand on sait que beaucoup de personnes ayant déposé plainte pour discrimination déclarent avoir été la cible de vengeance (Feagin and Sikes, 1994; Fitzgerald, Swan, and Fischer 1995; Kaiser and Miller 2001, 2003). Enfin, déposer plainte pour discrimination peut nuire à la perception des caractères de personnalité des requérants de la plainte de discrimination même s’il s’avère que la plainte est clairement raisonnable. Ces personnes sont ainsi vues comme des fauteurs de troubles (Kaiser et Miller 2001), des pleurnichards (Kowalski, 1996), des plaintifs, des émotifs, des hypersensibles par les non plaignants (Swim et Hyer, 1999; Kaiser et Miller 2001).

Une étude de Kaiser et Miller (2001) atteste de cette étonnante réalité. Des personnes (des blancs américain) étaient invitées à lire une description d’un étudiant noir américain qui venait de recevoir une cote d’échec de la part d’un évaluateur blanc américain. Les participants de cette étude ont été divisés de manière aléatoire en trois groupes expérimentaux. Un premier groupe de participants apprenait par l’intermédiaire du chercheur menant cette étude que l’évaluateur était connu pour être raciste. Le deuxième groupe, quant à lui, était confronté à une information moins affirmative mais qui laissait planer le doute quant à la possibilité que cet étudiant noir ait été victime de discrimination. Enfin, le chercheur informait le troisième groupe qu’il était improbable que cet évaluateur soit raciste. Une fois cette information distillée, la recherche reprenait son cours. Dans une deuxième phase, les participants étaient invités à lire un sondage complété par l’étudiant noir. A nouveau, les participants étaient divisés de manière aléatoire en trois groupes expérimentaux. Un tiers d’entre eux apprenaient, par ce sondage, que l’étudiant noir estimait que son grade était dû à de la discrimination. Un deuxième tiers recevait l’information selon laquelle l’étudiant reconnaissait que son échec était imputable à ses mauvaises réponses au test. Enfin, le dernier

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tiers des participants étaient informés que l’étudiant noir estimait que son échec était dû à la difficulté du test. Pour terminer, les participants étaient invités à donner leur impression sur cet étudiant noir américain. Les résultats montrent que lorsque l’étudiant noir américain reporte son échec à la discrimination, il laissait une impression plus négative que lorsqu’il reportait son échec sur ses propres réponses ou sur la difficulté du test. Qui plus est, cette impression négative persistait quelque soit la probabilité que l’évaluateur soit raciste ou non. Autrement dit, une fois que l’étudiant noir reportait son échec à la discrimination, sa réputation était remise en question (Kaiser et Miller, 2001).

La peur du regard de l’autre serait donc un élément essentiel dans le dépôt d’une plainte pour discrimination. Stangor, Swim, Van Allen et Sechrist (2002) vont prolonger ce raisonnement dans une autre étude en faisant varier le caractère public ou privé de la plainte. Ils vont ainsi demander à des femmes de réaliser un test de créativité. Une fois le test réalisé, ce test est évalué par un homme qui annoncera à la participante qu’elle a échoué. Cette annonce est également accompagnée d’un commentaire particulièrement déplacé de cet homme qui s’étonne de l’incapacité de toutes les femmes à réussir ce type de tâches. Après avoir reçu ce feed-back négatif, on demandait aux participantes d’expliquer leurs faibles scores en invoquant le sexisme de l’évaluateur ou en attribuant celui-ci à la qualité de leurs réponses au test. Pour réaliser cette tâche, les participantes ont été placées de manière aléatoire dans trois contextes différents. Alors qu’un tiers des participantes allait donner leur explication en complet anonymat, un autre tiers devait le faire en présence d’une femme. Enfin, un dernier tiers devait donner leur explication face à un homme. Les résultats mirent en évidence que les participantes étaient moins enclines à expliciter leur faible résultat en mobilisant l’explication en termes de discrimination surtout lorsqu’elles étaient en présence d’un homme en comparaison aux situations où elles étaient en situation d’anonymat ou en présence d’une autre femme.

L’ensemble de ces recherches montre ainsi que face à un événement discriminatoire dépourvu d’ambigüité, les individus évoquent la discrimination surtout s’ils y voient plus de bénéfices que de désavantages. Or, se plaindre de discrimination s’accompagne d’une série de coûts. La peur de représailles mais surtout celle d’être vu comme un geignard poussent souvent les individus à se taire. Et ce, d’autant plus si les personnes qui reçoivent la plainte, font partie du « camp » du bourreau.

4. Comment les personnes discriminées interprètent-elles un événement potentiellement discriminant ?

Les différentes situations que nous venons d’évoquer se caractérisaient par des événements discriminatoires évidents. Pourtant, ces situations sont davantage l’exception que la règle. En effet, comme nous l’avons vu, la discrimination prend des formes de plus en plus détournées. Comment les victimes de discrimination vont-elles faire face à un événement négatif (échec, licenciement, refus d’un emploi,…) potentiellement discriminatoire ? Quatre cas de figure s’offrent à elles quant à l’explication qu’elles pourront fournir pour rendre compte de cet événement. Parmi ces quatre possibilités, deux sont exactes et deux sont erronées (Allison, 1998 ; Feldman - Barrett et Swim, 1998). Parmi les décisions correctes se retrouve la situation où l’événement négatif était non discriminatoire et a été jugé par la victime comme n’étant pas de cette nature. La seconde décision correcte renvoie à la situation où la personne a bel et bien été victime d’un événement négatif en raison d’un acte

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discriminatoire et que cette personne s’est plainte à juste titre d’avoir été victime de discrimination.

A coté de ces décisions correctes, d’autres s’avèrent parfois erronées. Deux cas de figure se dégagent. Le premier se rapporte aux fausses alertes qui rendent compte des situations où une personne se plaint d’avoir été la cible de discrimination alors que le comportement négatif qu’elle a subi, ne relevait pas de ce registre. Cette situation traduit un biais dans lequel la personne tend à accentuer les explications en termes de discrimination et qu’elle montre un seuil moins élevé que d’autres pour interpréter en termes de discrimination (hypersensibilisation à la discrimination) ce qui lui arrive. Cette stratégie rend compte du fait que certains individus accentuent l’explication en termes de discrimination. Un second cas de figure est également une décision erronée. Il s’agit des échecs qui se produisent dans les situations où des victimes de discrimination ne sont pas parvenues à identifier l’événement discriminatoire comme tel. Cette erreur renvoie ainsi à la minimisation de l’explication en termes de discrimination. Cela se produit généralement lorsque le seuil d’explication de la personne concernée, en termes de discrimination est trop élevé et que cela la conduit à ne pas utiliser ce type d’explication.

En somme, face à un événement dont l’explication en termes de discrimination est ambiguë, quelles solutions vont être privilégiées par les victimes ? Vont-elles être enclines à accentuer l’explication en termes de discrimination ou préféreront-elles minimiser l’existence de cette réalité ? La littérature sur la discrimination nous renseigne sur ces deux stratégies en soulignant les avantages mais également les coûts associés à ces deux réactions.

4.1. L’attribution à la discrimination

Pour beaucoup d’individus, les situations d’échecs sont empruntes d’un doute. Ont-elles échoué leur examen de conduite parce qu’elles étaient une femme ou en raison d’une erreur de conduite ? Ont-ils été l’objet d’un Xème contrôle de police en raison de leur couleur de peau ou en raison d’une infraction qu’ils auraient commise ? Voilà autant de situations où l’incertitude quant aux causes des mauvais résultats existe. Selon certains auteurs (Crocker et Major, 1989 ; Dion, 1975), l’ambigüité dans laquelle se retrouvent ces personnes potentiellement victimes de discrimination, pourrait se révéler particulièrement utile pour les personnes issues de groupes stigmatisés. En effet, confrontés à des situations difficiles, les membres de ces groupes utiliseraient la discrimination comme excuse pour rendre compte de leurs échecs. Plus précisément, ces travaux partent des théories sur l’attribution causale (Weiner, 1985). Ces théories soulignent qu’il est particulièrement menaçant pour les individus de reporter un échec sur des composantes internes à leur personne (remettre en question ses propres compétences). Face à cette menace, les individus auraient tendance à vouloir se protéger et faire bonne figure en utilisant des excuses pour rendre compte des échecs qu’ils ont vécus (Snyders, Higgins et Stucky, 1983). Dans cette perspective, les excuses constituent des processus qui amènent à déplacer les attributions causales d’un échec, des sources qui sont internes à la personne vers d’autres sources moins centrales ou externes à la personne (le contexte, la mauvaise humeur de l’évaluateur). Or, la discrimination se révèle une excuse de choix pour les membres des groupes stigmatisés. En effet, elle leur offre la possibilité d’attribuer les évènements négatifs qui leur arrivent à des facteurs externes, à savoir les préjugés des autres personnes. Dans ce cadre, la discrimination pourrait être bénéfique pour les membres de groupes stigmatisés dans la mesure où elle se révèle une explication efficace pour rendre compte des échecs (Crocker & Major, 1989). Comme le soulignent Major, McCoy, Kaiser, & Quinton, (2003), « percevoir de la discrimination sur base de son identité sociale peut servir de protection pour l’estime de soi personnelle dans la mesure où cela

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reporte le blâme d’un aspect stable et unique de l’estime de soi personnelle vers les préjugés des autres » (p. 90). En somme, en cas de doute quant à la possibilité de discrimination, les individus qui sont souvent la cible de discriminations se « jetteraient » littéralement sur cette explication pour se dédouaner et reporter leurs difficultés sur des instances extérieures.

Pour soutenir cette hypothèse, Crocker, Voelk, Testa et Major (1991) ont mené une étude dans laquelle des étudiants noirs américains ont accepté de participer à une étude sur la formation de liens d’amitié entre personnes de races différentes. Cette étude allait requérir d’entrer en contact avec d’autres personnes de la même origine ethnique ou d’une origine ethnique différente. Dans cette étude, les auteurs vont manipuler la visibilité de l’origine ethnique des participants. Alors que la moitié de ces participants noirs américains se trouvait devant une vitre sans tain dévoilant leur origine ethnique à leur futur partenaire, pour l’autre moitié, cette vitre sans tain était obstruée par un store empêchant de ce fait le futur partenaire de les voir. Bien entendu, aucun partenaire ne se trouvait de l’autre coté de la vitre sans tain. Pourtant les auteurs faisaient croire à la moitié des participants que cette personne avait envie de les rencontrer (feed-back positif) et à l’autre moitié qu’elle n’avait pas envie de rentrer en contact avec eux (feed-back négatif). De nouveau, les préoccupations des chercheurs consistaient à savoir comment les participants allaient interpréter ce refus et quel impact cette interprétation allait avoir sur leur bien-être psychologique. Les résultats révélèrent que la visibilité de leur origine ethnique (par le miroir sans tain) augmentait l’utilisation de l’explication en termes de discrimination par rapport à la condition d’invisibilité (store abaissé). Par ailleurs, les feedbacks négatifs s’accompagnaient davantage de l’utilisation de cette explication que les feedbacks positifs. Sur l’indicateur de bien-être psychologique (l’estime de soi), en situation d’invisibilité de l’origine ethnique (lorsque le store est abaissé), on voit que le feed-back négatif vient détériorer l’estime de soi des participants alors que le feed-back positif accroît l’estime de soi de ceux-ci. Par contre, en situation de visibilité de l’origine ethnique des participants, des résultats quelque peu différents sont apparus. Ainsi, les auteurs observent que le feed-back positif s’accompagne d’une altération de l’estime de soi des noirs américains tandis que le feed-back négatif n’altère en rien leur estime de soi.

Selon Crocker et collègues (1991), deux conclusions peuvent être tirées de ces résultats. Premièrement, la visibilité de l’origine ethnique a permis aux étudiants noirs d’expliquer leur échec par la discrimination et de maintenir un niveau stable d’estime de soi. Dans cette perspective, l’attribution de l’échec à la discrimination est bel et bien une stratégie efficace pour protéger son estime de soi de l’échec. Elle permet aux personnes de ne pas se sentir responsables de l’échec et sert ainsi à reporter sur des causes extérieures à la personne l’origine de l’échec. Toutefois, une deuxième conclusion vient compléter la première et porte sur les effets négatifs du feed-back positif en cas de visibilité de l’origine ethnique. Bien qu’étonnant à première vue, ce résultat traduit les inquiétudes que peuvent avoir ces étudiants noirs américains par rapport à des comportements perçus comme relevant de l’hypocrisie voire pire de la pitié. En effet, ces comportements positifs pourraient être vus comme le reflet non pas des véritables attitudes des participants mais bien la volonté de ne pas paraître discriminatoire.

4.2. La minimisation de la discrimination

Bien que l’hypothèse d’attribution à la discrimination ait séduit un certain nombre de chercheurs (probablement aussi car elle reflétait des cas de figure rencontrés par beaucoup), d’autres auteurs ont montré un certain scepticisme quant au fait que la discrimination puisse être une stratégie de défense pouvant être favorable aux individus. Selon eux, la perception de discrimination ne peut être que néfaste pour le bien-être psychologique des individus car elle

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constitue une forme d’exclusion sociale dont on connaît les effets dévastateurs (Branscombe, et al. , 1999). C’est particulièrement le cas pour les membres de groupes stigmatisés (ou de bas statut) qui sont confrontés à la discrimination de manière fréquente et dans de nombreux domaines de vie (Bourguignon et Herman, 2007 ; Branscombe, et al. , 1999). Ainsi, se plaindre de discrimination peut s’avérer utile pour les membres d’un groupe de haut statut puisque la discrimination les concernant étant rare et spécifique, elle ne menace pas leur santé mentale (Bourguignon, Van Claempout, Collange et Herman, à paraître ; Schmitt, Branscombe, Kobrynowics, & Owen, 2002). Mais, tel n’est pas le cas pour les individus stigmatisés. En effet, pour ces derniers, le coût d’évoquer la discrimination étant à ce point important, les victimes de discrimination issus de groupes stigmatisés taisent plutôt l’existence d’une telle réalité (Bourguignon et Herman, 2005)4.

Parmi les opposants à la thèse de l’attribution à la discrimination, Ruggiero et Taylor (1995, 1997) ont défendu l’idée que les membres de groupes stigmatisés privilégient une autre stratégie qui consiste à ne pas évoquer la discrimination pour rendre compte de leur échec. Cela leur permet ainsi de minimiser la discrimination existant à leur encontre. Pour le prouver, ces auteurs mirent sur pied une étude dans laquelle ils invitèrent des jeunes femmes à participer à un test. Ces participantes étaient averties que ce test serait évalué par un jury constitué de 8 évaluateurs. Avant de commencer le test, une série de questions d’ordre sociodémographique étaient posées. Parmi celles-ci, des questions portaient sur le genre de la personne et servaient à rendre saillant l’identité sexuelle de la participante. Une fois le test terminé et dans l’attente des résultats, la participante est mise dans une pièce à part et est rejointe par l’expérimentateur qui lui confie discrètement quelques informations sur les évaluateurs. Bien entendu, ces informations vont être l’objet de la manipulation expérimentale. Celle-ci consiste à faire varier la probabilité de sexisme du jury. Ainsi, à certaines participantes, les 8 évaluateurs sont décrits comme des sexistes (100% du jury). D’autres sont averties que 6 évaluateurs (75% du jury), que 4 évaluateurs (50% du jury), que 2 évaluateurs (25% du jury), qu’aucun des évaluateurs (0% du jury) sur les 8 personnes composant le jury n’est sexiste. Quelques instants après, l’expérimentateur revient à nouveau avec le score au test. Celui-ci indique que l’étudiante a reçu un F, à savoir un échec cuisant. Le but poursuivi par les chercheurs était bien entendu de savoir quelle explication allait être utilisée par les participantes pour rendre compte de cet échec. Autrement dit, les participantes allaient-elle utiliser l’explication en termes de discrimination ou plutôt reporter cet échec sur leur faible capacité ? Les résultats furent quelque peu déconcertants. Lorsqu’aucun doute n’était permis, à savoir lorsque tout le jury était décrit comme sexiste, les participantes invoquaient la discrimination pour expliquer leur échec. Mais, dès que l’ambigüité s’insinuait (les conditions 75, 50, 25 % du jury), les personnes évitaient d’attribuer leur échec à la discrimination reportant la cause sur des facteurs internes. Autrement dit, la discrimination ne serait soulevée que lorsque les autres alternatives peuvent être écartées. Mais une fois la cause de l’échec incertaine, l’ambiguïté qui en résulte conduit les personnes à minimiser la discrimination à leur encontre et à préférer s’attribuer l’échec.

Jusqu’à présent, le terme de discrimination a été abordé comme s’il n’avait qu’un visage, qu’il n’était constitué que d’une dimension. Pourtant, la réalité est plus complexe et de nombreuses études soulignent que la discrimination se compose de deux dimensions : une dimension dite personnelle (par exemple, en tant que femme, j’ai personnellement été la cible de discrimination) et une dimension dite groupale (par exemple, le groupe des femmes est la                                                                                                                4 Notons également que certains auteurs soulignent que certains individus ou certains groupes sociaux en raison de leur histoire ou de leur conscience de la stigmatisation ont appris à utiliser des stratégies visant à accentuer la discrimination ou sont davantage préparés à détecter toute discrimination à leur encontre (McDevitt, Balboni, Garcia & Gu, 2001 ; Mendoza-Denton, Downey, Purdie, Davis, & Pietrzak, 2002 ; Pinel, 2002).

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cible de discrimination). Cette distinction est importante car on peut avoir conscience que son groupe d’appartenance est victime de discrimination sans pour autant avoir l’impression d’être soi-même victime de comportements de ce type. Or, de nombreuses recherches montrent que les membres de groupes stigmatisés perçoivent moins de discrimination personnelle que de discrimination groupale (Bourguignon, Seron, Yzerbyt et Herman, 2006 ; Crosby, 1982; Taylor, Wright & Porter, 1994). Outre ce phénomène de minimisation de la discrimination personnelle par rapport à la discrimination groupale, Bourguignon, Seron, Yzerbyt et Herman (2006) ont montré que les deux dimensions de la discrimination ont des effets distincts sur l’estime de soi personnelle. Dans une série d’études réalisées auprès d’individus membres de groupes stigmatisés (les femmes, les immigrés africains et les personnes sans emploi), ces auteurs ont observé que la perception de discrimination personnelle est négativement associée à l’estime de soi personnelle, alors que la dimension groupale de la discrimination est positivement liée à l’estime de soi personnelle. Ces derniers résultats soulignent à quel point lorsqu’on est personnellement victime de discrimination, cela détruit l’estime de soi psychologique. Dans ce cadre, il n’est pas étonnant que les victimes de discrimination taisent la discrimination dont elles sont personnellement la cible. Ces résultats soulignent également que la dimension collective de la discrimination peut être salutaire. En effet, l’écart entre discrimination personnelle et groupale pourrait amener les membres de groupes stigmatisés à avoir l’impression d’être particulièrement préservés en comparaison au reste de leur groupe. Bien entendu, cet écart dépend en partie de la perception de discrimination groupale. Plus les individus stigmatisés perçoivent un niveau élevé de discrimination groupale, plus l’écart entre discrimination personnelle et discrimination groupale sera important et plus les individus se sentiront préservés en comparaison au reste de leur groupe. Cette écart favorise donc une comparaison intragroupe qui serait particulièrement bénéfique pour les membres de groupes stigmatisés afin de faire face à la menace issue des expériences diffuses et répétées de discrimination (Martinot et collègues, 2001).

Ce phénomène de minimisation de la discrimination se vérifie également dans le contexte du harcèlement. Ainsi, une recherche réalisée dans le domaine du harcèlement sexuel par Magley, Hulkin, Fitzgerald et DeNardo (1999) met en évidence la réticence des femmes à utiliser le label discrimination pour rendre compte de leurs difficultés. Ces auteurs ont ainsi demandé à des femmes d’une part de répondre à une série de questions reprenant des situations très précises d’harcèlement sexuel (on les appellerait les indicateurs objectifs d’harcèlement) et d’autre part de reconnaître si elles ont été victimes d’harcèlement sexuel (indicateurs subjectifs d’harcèlement). Les résultats soulignent une certaine inconsistance entre les deux types de réponses. Alors que beaucoup de ces femmes sont victimes d’harcèlement sexuel sur les indicateurs objectifs, ces dernières ne s’en plaignent que rarement (indicateur subjectif). Il est ainsi probable qu’un nombre important de personnes victimes de ce type de comportements ne les identifient pas comme tels (par exemple, elles estiment qu’il s’agit de blagues de mauvais goût,…) et ne portent pas plainte contre leurs agresseurs. Pourtant, les conséquences du harcèlement sexuel ne sont pas anodines pour le bien-être des victimes. Ainsi, bien qu’elles ne le nomment pas comme tel, les répercussions de l’occurrence du harcèlement sexuel sur le bien-être sont importantes. Il apparaît que ce sont surtout les indicateurs objectifs et non les indicateurs subjectifs qui sont associés à une détérioration du bien-être mesurée par des indicateurs physiques et mentaux. Pour rendre compte de ces résultats, Magley et collègues (1999) insistent sur le danger associé au terme « harcèlement sexuel ». Comme pour la discrimination, ce terme est connoté négativement et s’accompagne de lourdes conséquences légales amenant les victimes à ne pas les utiliser.

Mais pourquoi les victimes de discrimination minimisent-elles cette réalité ? Différentes explications ont été avancées. Premièrement, bien que renvoyer l’échec à la

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discrimination puisse se révéler efficace dans certaines situations précises, l’utilisation répétée de cette stratégie est menaçante. Reconnaître qu’on est victime de discrimination implique que l’on accepte une piteuse image de son groupe. C’est en quelque sorte proclamer qu’on appartient au groupe des « ratés, des exclus, des mal aimés ». Or, de nombreux chercheurs ont souligné que les groupes auxquels on appartient, déterminent en partie la manière dont on va s’auto-évaluer (l’estime de soi personnelle) (Tajfel et Turner, 1979). Il est de ce fait peu étonnant qu’on insiste sur l’aspect dévalorisé de notre groupe d’appartenance puisque cela risque de nuire à notre propre image. Deuxièmement, en attribuant leur échec à la discrimination, les victimes de discrimination le reportent sur des facteurs extérieurs sur lesquels ils n’ont aucun contrôle. Cela s’avère dangereux dans les cas où la discrimination est récurrente car les personnes pourraient avoir l’impression de ne plus maîtriser le monde qui les entoure. Or, ce sentiment est particulièrement important pour la santé mentale des individus (Taylor et Brown, 1988). De la même manière, la perception de discrimination menace une autre croyance chère à tout individu, à savoir que nous vivons dans un monde juste (Lerner, 1980). En effet, chacun d’entre nous aime à penser que nous obtenons ce que nous méritons. Reconnaître qu’on est victime de discrimination menacerait dès lors une telle croyance (Dupont et Leyens, 2003). Afin de préserver à la fois le sentiment de contrôle, la croyance en un monde juste, mais également l’estime de soi groupale, les membres de groupes stigmatisés privilégieraient la stratégie de déni ou de minimisation de la discrimination. Enfin, comme nous l’avons montré préalablement, les nombreux coûts associés au fait de porter plainte de discrimination font que beaucoup de personnes préfèrent s’abstenir de la dénoncer de peur d’être vues comme un pleurnichard et afin d’éviter les actes de vengeance (Kaiser et Miller, 2001 ; 2003).

5. Conclusions

Arrivé au bout de cet article, on se doit de retourner à notre question de départ : les victimes de discrimination vont-elles ou non se plaindre de l’existence de ce type de comportement ? A travers les nombreuses recherches réalisées en psychologie sociale, il est apparu que la réponse à cette question est loin d’être évidente. Tout d’abord, en ce qui concerne la discrimination proprement dite, ces recherches ont mis en évidence que la discrimination prenait des formes de plus en plus subtiles et détournées. Cela n’est pas sans conséquences pour les victimes de discrimination qui éprouvent de plus en plus de difficultés à expliquer les raisons des échecs et des difficultés qu’elles rencontrent. Après cet état des lieux, nous avons voulu savoir comment les individus interprètent un événement comme étant discriminatoire ou pas. De nouveau, les recherches dans ce domaine ont montré la complexité de ce processus d’identification. Il est ainsi apparu que les personnes se forment une représentation mentale de ce qu’est la discrimination, ce qui joue un rôle déterminant dans la reconnaissance de la discrimination. Ainsi, nous nous formons des images des victimes de discrimination, des bourreaux et encore des situations dans lesquelles la discrimination a lieu. Par conséquence, un comportement discriminatoire à l’égard d’immigrés ou de femmes sera plus facilement reconnu comme tel qu’un comportement de même nature à l’égard de chômeurs ou de personnes obèses. De même, l’homme occidental sera plus facilement vu comme un bourreau alors qu’une femme d’origine étrangère le sera plus difficilement. Enfin, on s’attend à ce qu’un homme discrimine une femme, qu’un occidental discrimine une personne d’origine étrangère mais pas qu’une femme discrimine une autre femme ou qu’une personne d’origine étrangère discrimine un occidental.

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L’ensemble de ces recherches montre donc qu’un certain nombre de comportements discriminatoires ne sont pas reconnus comme étant discriminatoires car ils n’entrent pas dans nos attentes ou nos prototypes de ce qu’est la discrimination. Mais que se passe-t-il au niveau de la victime lorsque la situation de discrimination ne laisse place à aucun doute ? Les résultats des recherches montrent que bien que reconnue par la victime, le comportement discriminatoire ne va pas forcément faire l’objet d’une plainte. En effet, le fait de porter plainte ou non dépendra des bénéfices et des coûts associés à la plainte. Or, dans beaucoup de cas, les coûts dépassent les bénéfices associés à la plainte. Ainsi, outre le risque de représailles liées à la plainte, la détérioration de l’image de la personne qui porte plainte est considérable. Ces victimes sont ainsi vues comme des fauteurs de troubles, des geignards et des râleurs, tous des traits péjoratifs que les personnes préfèrent éviter. Vus les coûts, il n’y a rien d’étonnant que les personnes s’abstiennent de porter plainte ! Il semble toutefois que les plaintes faites de manière anonyme ou auprès de personnes issues du même groupe social diminuent cet effet. Enfin, la discrimination prend des formes de plus en plus déguisées et de ce fait est de plus en plus difficile à reconnaître. Face à cette ambiguïté, les victimes d’événements potentiellement interprétables en termes de discrimination peuvent soit accentuer l’explication en termes de discrimination, soit minimiser l’utilisation d’une telle explication. Certains travaux montrent que les individus sont prompts à utiliser la discrimination pour rendre compte de leur échec et de leur difficulté. Cette stratégie aurait pour objet de rejeter la responsabilité de l’échec non pas sur des composantes internes à la personne mais sur les préjugés des autres permettant ainsi de protéger le bien-être psychologique. Toutefois, il apparaît que l’utilisation de cette stratégie soit limitée à des contextes spécifiques (lorsque le stigmate est visible ou que la discrimination ne fait aucun doute). Par ailleurs, pour les individus issus de groupes stigmatisés, l’évocation de la discrimination a un coût tel qu’ils préfèrent la minimiser, surtout lorsqu’ils en sont personnellement les victimes. En somme, l’ensemble de ces études souligne la difficulté des individus victimes de discrimination ou d’harcèlement de reconnaître premièrement que leur groupe est victime de discrimination, deuxièmement de reconnaître qu’eux-mêmes ont été victimes de ce genre de discrimination et troisièmement d’accepter de porter plainte pour discrimination. Bien qu’il existe certains groupes pouvant, dans certaines situations, utiliser l’explication en termes de discrimination pour se protéger, la réaction majoritaire des membres de groupes stigmatisés serait de minimiser cette réalité car elle serait particulièrement menaçante. L’utilisation de la minimisation de la discrimination nous rappelle la difficulté d’approcher la perception de la discrimination. Les membres de groupes stigmatisés n’aiment ni percevoir ni dire qu’ils sont victimes de discrimination. En effet, être victime de discrimination n’est pas très glorieux pour l’image que l’on se fait de son groupe et de soi. Par conséquent, les personnes qui sont les plus sévèrement touchées par la discrimination ont souvent tendance à aménager la réalité sociale en la rendant plus avantageuse. Bien que ces stratégies aient une certaine utilité pour les membres de groupes stigmatisés, elles posent toutefois la question de la reconnaissance de la discrimination. En effet, en ne dénonçant pas les actes discriminatoires, les membres de ces groupes risquent de laisser se perpétuer les inégalités et de ne pas mettre en place les actions collectives susceptibles d’induire un changement social.

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Une analyse de sociologie politique catégorie de « victime » et la

construction sociale d’une catégorie d’inaction publique : la

« victimisation »

Olivier NOËL ISCRA-INED,

MCF associé Université Montpellier 3

29 mars 2011

Partant du constat que « les discriminations remettent en cause non seulement la logique égalitaire du projet républicain mais également la logique économique libérale et c’est sans doute dans ce double aveuglement qu’il faut comprendre la nature des résistances à l’œuvre dans la difficile reconnaissance des discriminations »5, nous interrogeons les usages politiques de la notion de « victimisation ».

L’apparition récente de la notion de victimisation

Nous assistons selon l’expression de Didier Fassin et Richard Rechtman à une « reconfiguration de l’économie morale contemporaine » où le qualificatif de « victime » peut désormais avoir la force d’un statut (Sandrine Lefranc, Lilian Mathieu, 2009). Avec cette nouvelle configuration, la notion de victimisation est apparue récemment dans le champ intellectuel et surtout médiatique où sa définition diffère de l’usage qui peut en être fait dans le champ de la psychiatrie ou de la psychologie où elle désigne les traumatismes psychiques subis par les victimes ou encore en sciences sociales où les enquêtes de victimisation visent l’indentification de victimes et donc de préjudices. L’usage qui nous intéresse ici est celui qui consiste à la convoquer pour être brocardée et des essayistes tels Pascal Bruckner, Elisabeth Badinter ou encore Eric Zemmour en usent et en abusent.

A chaque fois, elle désigne une tendance coupable des minoritaires (au sens que lui donne les sociologues de l’école de Chicago), engagés dans une lutte pour l’obtention de droits, à s’enfermer dans une identité de victime. Le plus souvent, les discours de ces essayistes ne contestent pas frontalement la légitimité de la cause (mémoire de l’abolition de l’esclavage, féminisme...), ils se contentent de souligner l’outrance, l’exagération de ses portes-parole, jugée excessive, indécente, scandaleuse ou risquée pour la cohésion de la société.

Or de plus en plus cette notion est utilisée dans le champ de la lutte contre les discriminations et nous proposons d’en étudier les modalités d’inscription sur l’agenda public et les différentes facettes, considérant qu’elle contribue à prolonger l’usage politique des paradigmes tels que l’insertion ou l’intégration, qui ont favorisé l’occultation, durant de nombreuses années, du problème public des discriminations.

                                                                                                               5 NOËL Olivier, Sociologie politique de et dans la lutte contre les discriminations : au cœur de l’action publique en France, Editions Universitaires Européennes, 2010, p. 159.

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La consécration officielle d’un statut de victimes de discrimination avec la transposition des directives de 2000 induit – du fait de l’usage fréquent de la notion de victimisation - une situation ambiguë dans laquelle, celui qui a été officiellement reconnu comme victime potentielle, protégé par le droit, se voit en permanence renvoyé à celui de suspect, sinon de coupable potentiel… comme le confirme les processus de racialisation du sexisme6, d’ethnicisation de l’homophobie etc… Catégorie normative, sans contenu propre, fuyante, le statut de victime peut être durci par les politiques publiques lorsque celles-ci font de la victime un bénéficiaire… ici un bénéficiaire ambigu alternativement renvoyé à ses incapacités (insertion, intégration) ou à ses accusations jugées outrancières (je suis discriminé, vous êtes raciste).

Le discours victimaire porté par des représentants des institutions publiques : le rôle du HCI

Cette notion est fortement présente dans les discours du Haut Conseil à l’Intégration qui avait pourtant reconnu – même tardivement – le problème public des discriminations en 1998. Le HCI dans son rapport de 2003 considère ainsi qu’une politique publique fondée sur la seule lutte contre les discriminations empêcherait une « approche positive de l’intégration », encouragerait la victimisation de certains groupes et, par là-même, l’ethnicisation des relations sociales.

« Au HCI, on voudrait que la représentation de l’intégration change, que les réussites et les talents soient valorisés, on souhaiterait que l’intégration se fasse davantage par la valorisation que par la victimisation » (Interview de Blandine Kriegel, présidente du Haut Conseil à l’Intégration, VEI-Enjeux, n°135, 2003, p. 176-186). Ce discours est aujourd’hui prolongé par un membre du HCI, Malika Sorel, auteur en 2007 d’un essai, le puzzle de l’intégration, qui fustige « l’idéologie de la victimisation », la « pente victimaire », le « victimisme » omni-présents, selon elle, dans la société française.

Il est intéressant tout d’abord d’interroger l’usage de cette notion dans le champ scientifique ou plutôt par des scientifiques. Ainsi des auteurs, comme Jacqueline Costa-Lascoux, l’invoquent de façon récurrente dans leurs entretiens, en défense d’un modèle idéalisé d’intégration, liant ainsi la question de la victimisation avec celle de l’ethnicisation (qui passerait par « la reconnaissance des discriminations ethniques ») et d’une supposée montée du communautarisme.

« Cette passion de l’égalité rejette le communautarisme, qui fige les catégories de population dans des identités prescrites et les emprisonne dans une logique de victimisation » (Jacqueline Costa-Lascoux, « les échecs de l’intégration : un accroc au contrat social, Pouvoirs, n°111, 2004, p. 19-27)

Ce discours victimaire est également relayé par des porte-voix des décideurs économiques :

« Le dispositif actuel tend à conforter les individus potentiellement discriminés dans un statut de victimes. Il souligne en effet l’existence de la discrimination sans proposer de moyens efficaces de lutte, ni d’outil satisfaisant de mesure des progrès accomplis par la                                                                                                                6 Ce processus est finement analysé dans ses travaux par Christel Hamel, chercheuse à l’INED.

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société. Qui, dans ce contexte, ne serait pas tenté de faire de la discrimination la cause des difficultés personnelles qu’il rencontre inévitablement ? Quels arguments factuels les pouvoirs publics ou l’entreprise peuvent-ils raisonnablement opposer à celui qui se prétend victime ? En continuant à souligner l’existence de la discrimination sans pouvoir faire la preuve incontestable de l’efficacité de la lutte, on s’expose à une montée des frustrations et des revendications » (Laurent BLIVET, Ni quota, ni indifférence, l’égalité positive, p.36, Note de l’Institut Montaigne, 2004).

Ces discours sur la victimisation sont paradoxalement appuyés par les tenants d’une science sociale critique.

Toute personne qui s’est penché sur la problématique des discriminations sait qu’il est tout aussi infondé d’invoquer que telle situation relève a priori d’une discrimination ou qu’elle n’en relève au sens juridique du terme pas avant d’avoir vérifié les faits eux-mêmes (même si le droit permet un aménagement de la charge de la preuve). Pourtant des chercheurs, tels Stéphane Beaud ou Gérard Noiriel, avancent des hypothèses convergentes à celles d’une institution publique comme le HCI ou privée comme l’Institut Montaigne , non sur la base de travaux spécifiques, mais sur des intuitions ou des réflexions personnelles pour invalider un cadre d’analyse (celui des discriminations). L’argument oscille alors la concurrence entre les cadres d’analyse – celui des discriminations viendrait supplanter celui de la lutte contre les inégalités structurelles ou plus surprenant l’invocation du parcours personnel du chercheur tient lieu d’argument rationnel :

« Si Stéphane Beaud reconnaît que la réalité des discriminations selon l’origine a été longtemps « occultée » et « tabou » en France, y compris dans ses propres relevés, il note que les premiers à avoir prononcé le mot de « discrimination » en sa présence sont les jeunes d’origine maghrébine rencontrés sur place, qui tendaient à imputer leur échec scolaire à la volonté délibérée des enseignants et leurs difficultés d’insertion à celle des employeurs. Le sociologue n’accorde guère de crédit à ces récits : pour bien connaître le dossier des jeunes en question, il voit là une « croyance » dont il faut étudier « les conditions sociales de production ». Cette croyance pousse les jeunes à s’enfermer dans un discours d’échec, qui les décourage même de passer leurs examens. Convaincus que le jeu est faussé, les enfants d’immigrés renoncent à jouer, et leur frustration n’en est que plus intense » (Rapport du COMMED, p. 185).

« Je pense que l’une des fonctions civiques des sciences sociales est de donner une visibilité publique à ces souffrances sociales. En même temps, il faut faire attention à ne pas « en rajouter », car cela peut contribuer à la stigmatisation des personnes au nom desquelles on croit parler. Nous devons essayer de forger des outils pour permettre aux vaincus de l’histoire de se défendre eux-mêmes contre les exclusions qu’ils subissent. Je déplore vivement la tendance actuelle à la victimisation. On n’aide pas les gens en les enfermant dans un statut de victime. C’est justement parce que je ne me suis jamais considéré comme une victime que j’ai pu trouver l’énergie et la confiance nécessaires pour vaincre les obstacles que la République met constamment sur votre route pour vous empêcher de sortir de votre condition sociale » (entretien de Gérard Noiriel, La vie des idées, 8 janvier 2008)

Nous pouvons souligner ici que les différentes prises de position rapidement énoncées tant le monde public que privé voire académique, sont définies avant tout par une situation de

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surplomb (une conception attributive du pouvoir et/ou du savoir pour reprendre la typologie de Michel Foucault) sont plus déterminées par des convictions subjectives, des croyances sinon idéologiques, que par des vérifications empiriques, factuelles. Ce qui fonde le discours des détracteurs de la victimisation devient alors une question essentielle.

Un effet de déplacement des préoccupations publiques

Avec l’invocation publique d’un risque de victimisation (articles de presse, prises de positions dans l’espace public), la question même des discriminations cesse d’être l’objet central des préoccupations car il importe désormais surtout de se centrer sur le problème de la dite victimisation. Problème auquel chacun est sommé de répondre dès lors qu’il entreprend de produire des connaissances ou des actions en faveur de la lutte contre les discriminations. Je prendrai ici un seul exemple, celui d’un tribune de François Héran, alors directeur de l’INED au moment de la mise en place du COMEDD, publiée le 25 mars 2009 dans le quotidien le Monde : « Statistiques ethniques non ! Mesure de la diversité, oui !, il y écrit ceci :

« Loin de nous l'idée de voir des discriminations partout. Encore moins de postuler que la République discrimine à tout bout de champ et qu'il faut conforter la victimisation ».

Et l’écran de fumée est d’autant plus troublant que les « victimes de discrimination » sont cruellement absentes de l’espace public et médiatique pour se définir précisément comme « victimes ». Nous avons alors affaire à un problème « sans victimes » prévenues qu’elles ne devront pas invoquer à tort une discrimination sous peine d’être accusées de victimisation.

Il est ainsi tout à fait instructif d’observer les réactions qu’entraînent celles et ceux – rares - qui osent avancer l’hypothèse qu’ils ont pu être confrontés à des expériences discriminatoires et/ou raciste à l’instar du journaliste, Mustapha Kessous dans sa tribune au Monde paru le 23 septembre 2009 : « Moi, Mustapha Kessous, journaliste au « Monde » et victime du racisme ». (Références aux films documentaires : « Les gueules de l’emploi » ; « Discrimination : où est la solution ? » ; « Discrimination : faire face », etc…). Les réactions des internautes à ce type d’énonciation publique oscillent entre quelques encouragements au fait de reconnaissance des discriminations et l’invocation parfois brutale d’une stratégie de manipulation et de … victimisation.

Un effet concret sur les politiques publiques et les pratiques professionnelles

Les discours sur la victimisation n’ont pas seulement des effets cognitifs sur la perception problème. Ils impactent également la décision publique, la politique publique, les pratiques professionnelles de celles et ceux qui vont invoquer : l’auto-victimisation

Entre non-reconnaissance du statut de victime et assignation au statut de victime passive : une double impasse

A l’autre bout du raisonnement, on trouve un questionnement récurrent sur l’absence d’implication des victimes, leur responsabilité dans l’absence de mobilisation du droit. Trop victime ? Pas assez victime ?

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Les notions de « victime » ou de « plaignant » polysémiques procèdent d’une logique d’imputation et donnent lieu à des interprétations controversées et l’on ne peut pas écarter de la réflexion le double paradoxe « qui résulte de ce que la garantie du droit à l’indifférence passe par la désignation de l’Autre [et que] pour pouvoir invoquer ces dispositions protectrices, les intéressés doivent faire la preuve qu’ils ont été victimes en tant que femme, noir, juif, homosexuel, etc… ce qui les obligent à faire état de leur différence » [Lochak 1996 ; Scott 1998] et n’est pas sans effet sur les constructions identitaires collectives et individuelles.

Nous postulons donc que le problème des victimes doit être reformulé autour d’un questionnement relatif à la confrontation à une expérience individuelle et collective à la discrimination pour prendre en considération la communauté des expériences minoritaires comme communauté politique. La politisation par le haut de puis la fin des années 90 de la question des discriminations (L’Europe, L’Etat…) a pour autre effet de gommer le fait que les individus, ou les groupes d’individus, confrontés à l’expérience de la discrimination, ne sont ni seulement des victimes, ni forcément des personnes en difficulté d’intégration, mais sont avant tout des citoyen(ne)s qui potentiellement luttent et revendiquent pour l’égalité de leurs droits en même temps que pour un idéal démocratique.

Prenons pour exemple, les réactions aux différentes sessions de diffusion du film documentaire « Discrimination où est la solution ? »7 organisées par un centre ressources8 : un responsable associatif souligne la « violence réelle dont elles souffrent. La discrimination est un acte d’invalidation de l’individu » ; la psychologue d’une association d’aide aux victimes relève quant à elle « la violence qui émane du film, une violence subie à cause du silence lié au rejet, à l’exclusion et surtout à la négation du sujet et une violence plus personnelle, plus interne liée au paradoxe entre le désir de vie, de vitalité de ces jeunes qui ont des envies, des projets et une réalité complètement morbide où on leur renvoie qu’ils ne sont rien » alors que le responsable d’une PAIO9 insiste sur le fait « qu’aucun des protagonistes du film n’évoque la possibilité d’entreprendre une démarche en justice » et qu’une avocate au barreau analyse le fait que « les gens qui franchissent le pas de recourir à la loi mettent souvent du temps par méconnaissance mais aussi parce qu’il faut aborder les choses sous l’optique de la loi ». Les intervenants sollicités abordent tous la question sous l’angle de la souffrance sociale et psychologique ou sous l’angle de la réparation juridique, mais aucun d’entre eux ne souligne la contribution collective et politique du groupe de jeunes femmes, qui ont accepté de témoigner moins pour trouver une solution à leur propre situation que pour rendre public un problème occulté. Elles n’y sont perçues que sous un angle compassionnel ou juridique et à aucun moment comme les actrices d’une citoyenneté qui ont une commune expérience de la discrimination même si les critères de discrimination invoqués diffèrent (sexe, religion, origine ethnique, apparence physique, handicap, âge, etc.). Pourtant, et c’est là un paradoxe, dans l’histoire nationale, ce sont bien les revendications à l’égalité citoyenne des femmes, les luttes armées des colonisés pour la liberté et l’égalité et plus récemment, au début des années 80, les marches pour l’égalité des héritiers de l’émigration-immigration, qui ont contribué sans cesse à redéfinir l’espace politique, à repenser le contrat social.

                                                                                                               7 Mission Locale de La Ciotat, « Discrimination, où est la solution ? », documentaire en trois parties pour une prise de conscience, 120 minutes, 2006. Ce film présente les témoignages de jeunes femmes qui évoquent les situations de discrimination auxquelles elles ont été confrontées dans leur recherche d’emploi ou dans le travail. 8 ARIFOR, Journées de sensibilisation « Du ressenti au vécu des discriminations par les victimes » à Chaumont, Charleville-Mézières, Troyes, Reims, Octobre-novembre 2007. 9 Permanence d’accueil d’information et d’orientation qui accueille les jeunes de 16 à 25 ans.

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Dans la période la plus récente, la constitution de mouvements tels que les Indigènes de la République ou encore une organisation comme le Collectif Représentatif des Associations Noires (CRAN), au milieu des années 2000, renouvellent la configuration politique. De tels mouvements, souvent stigmatisés pour leur radicalité (le mouvement des indigènes de la république) ou accusés de dérives communautaristes (le CRAN), présentent l'intérêt d'interroger les modes de fonctionnement de notre société, ses mutations et ses dysfonctionnements en même temps que les modalités de résolution du problème car celles et « ceux qui agissent ainsi n’ont pas choisi d’être désignés en tant que catégorie racialisée et qu’ils ont l’obligation de lutter en tant que catégorie pour cesser d’exister en tant que catégorie » [Madec & Murard 2005].

Les enjeux de reconnaissance : permanence de l’expérience discriminatoire, déni du droit à l’existence

L’expérience de la discrimination constitue une double épreuve pour celles et ceux qui y sont confrontés : la première épreuve est celle d’un vécu en soi douloureux qui se double souvent d’une absence de reconnaissance comme le traduisent, de manière symptomatique, les propos de cette administratrice d’une collectivité locale, interrogée dans le cadre de l’étude :

« Est-ce que l’on ne crée pas le problème en le nommant ? Ne suscite-t-on pas la victimisation ? Il s’avère que les personnes qui se saisissent du protocole ne sont pas forcément les plus discriminées. La lutte contre les discriminations est perçue comme militante et cela représente un handicap, mais en France lorsqu’on applique une loi, on est toujours un peu militant ».

Cette difficulté à reconnaître le problème alimente une logique d’imputation paranoïaque [Streiff-Fenart 2006] qui elle-même alimente une logique de disqualification a priori de la discrimination. Cela conduit une grande partie des acteurs, interrogés dans l’étude, à mettre en cause un « sentiment de victimisation », des « attitudes de victimisation » des demandeurs d’emploi. Or ces orientations politiques sont alimentées par des cabinets de consultants qui conseillent et accompagnent les décideurs publics, au niveau national, comme l’illustre de façon significative l’extrait suivant d’un rapport sur l’accompagnement des victimes de discrimination10supposé capitaliser les expériences du programme Equal en France :

« Les demandeurs d’emploi contribuent à la discrimination à leur égard à différents titres : certaines personnes (des femmes notamment) ont une approche de leur rôle dans la société qui les éloigne du monde du travail français ; certains choix peuvent handicaper l’accès à l’emploi (voile) ; des socialisations inachevées (de jeunes notamment) ne permettent pas d’affronter le monde du travail : l’échec scolaire, les rapports négatifs à l’autorité, font partie de ces décalages qui aboutissent à des discriminations ; les immigrés récents, par leur mauvaise maîtrise du langage et/ou de la culture professionnelle sont en mauvaise posture par rapport à beaucoup de situations professionnelles. »

                                                                                                               10 François Beaujolin, Véronique Dessen, Julien Viteau, « Accompagner les victimes de discrimination », capitalisation des projets Equal financés par le Fasild/Acsé, Geste, Acsé, juin 2007, 21 p.

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De telles analyses imputent clairement la responsabilité des discriminations aux personnes qui les subissent. Nous considérons au contraire que l’enjeu de déconstruction des systèmes discriminatoires, que de tels rapports ne viennent que conforter, devrait plutôt conduire à interroger les mécanismes nombreux et croisés d’occultation du problème [Noël 2006 ; Fassin 2006 ; Doytcheva 2009] et ce d’autant plus que ces préconisations sont ensuite présentées, par certains centres-ressources « égalité des chances et intégration » et « politique de la ville », sous la forme de fiches de conseils pratiques11 à l’attention des acteurs professionnels, dont voici un exemple ci-après :

FICHE 1

Discrimination et accompagnement des demandeurs d’emploi : de quoi parle-t-on ?

Les situations, liées à la discrimination dans la relation avec les demandeurs d’emploi, existantes et recensées sont les suivantes :

* Le demandeur d’emploi qui affiche un signe distinctif (qui marque une appartenance communautaire, qui est lié à des choix, notamment vestimentaires, décalés par rapport à certains environnements de travail)

* Le demandeur d’emploi qui se dit victime de discrimination alors que ses difficultés ou son comportement laissent supposer que la discrimination ne peut pas être la seule cause de ses échecs sur le marché de l’emploi (la « victimisation »)

* Le demandeur d’emploi qui est probablement victime de discrimination, sans que celui-ci en parle ou en ait conscience.

Les questionnements et dilemmes des intermédiaires de l’emploi sur l’action

* Comment ne pas stigmatiser les publics à qui des actions d’accompagnement « discrimination » sont proposées ?

* Est-ce le renforcement des techniques classiques de préparation à l’emploi auprès des publics potentiellement discriminés qui leur permettra de franchir les barrières de l’accès à l’emploi (techniques de recherche d’emploi, préparation à l’entretien…) ?

* Est-ce encore la mise en relation directe demandeurs d’emploi/entreprise qui permet de lutter contre les discriminations (sans forcément le dire) ?

* Faut-il envisager des actions sur le registre psycho-sociologique qui préparent les personnes potentiellement discriminées à affronter (sans se disqualifier) le regard des employeurs sur leurs « différences » ?

* Quelles méthodes et outils d’accompagnement utiliser face à la victimisation ?

                                                                                                               11 Les fiches de conseils pratiques sont consultables téléchargeables sur le site d’un centre ressources de la politique de la ville à l’adresse suivante : http://www.crpve91.fr/T3_lutte_discriminations/fiches_actions_LCD_GDT/index.php

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Ces préconisations pratiques sont significatives d’une approche qui vise, sous couvert de « lutte contre la discrimination », non pas à lutter contre les pratiques discriminatoires des employeurs mais à donner des habits neufs aux pratiques d’insertion pour conformer les individus à des discriminations encore banalisées, tolérées et admises dans notre société, en écartant a priori tout traitement juridique du problème. La confrontation à l’expérience de la discrimination y est analysée comme une expérience ponctuelle, banale or sa permanence, sa quotidienneté insécurise les personnes, potentiellement ou probablement exposées à de telles pratiques. Et elle entraîne, selon l’ancien directeur du GELD, deux types d’attitude : « la première est une défiance grandissante à l’égard de l’Etat et de ses institutions censées oeuvrer à la promotion de tous. […] Cela s’accompagne, chez certains, (en nombre grandissant) d’un repli sur soi ou « entre soi », favorisant des comportements d’agressivité envers la société. Tout rapport conflictuel est dès lors apprécié sous le seul prisme du racisme, négligeant toute autre cause possible. La seconde consiste à intérioriser une honte de soi et à tenter, par tout moyen d’échapper à son origine, dans l’espoir d’évacuer tout motif de discrimination » [Marie 2003]. Il importe par conséquent de ne pas minimiser les effets de la confrontation à l’expérience discriminatoire, en la rabattant sur une possible victimisation, car pour l’individu c’est la rencontre avec la possibilité de son propre anéantissement, qui peut entraîner tour à tour perte de confiance en soi, perte d’estime de soi, rupture de lien social, honte, culpabilité, confusion et se manifeste par des troubles nombreux (stress, dépression, repli sur soi, tentative de suicide) mais aussi des troubles pathologiques (schizophrénie, paranoïa, psychose). Selon le psychanalyste Fethi Benslama, les discriminations représentent même une forme d’extermination sociale, elles relèvent « de la cruauté à l’égard de l’autre, perçu comme un intrus […] À défaut de pouvoir l’exterminer physiquement, on choisit de l’éliminer socialement. Car un être humain qui est empêché d’accéder à des fonctions, des services et des droits dans la communauté où il vit est un homme qui périt aux yeux de la communauté humaine» [Benslama 2001]. Cette perspective d’analyse - visiblement ignorée sinon écartée par nombre de cabinets de consultants désormais spécialisés en promotion de la diversité - permet pourtant de prendre la mesure de la profondeur des effets socialement dévastateurs de la discrimination. L’imputation ethnique et raciale, qui accompagne l’acte discriminatoire, nie les regards que les personnes elles-mêmes portent sur « les cultures plurielles auxquelles elles appartiennent et, en articulation avec lesquelles elles se définissent et négocient leur représentation d’elles-mêmes [et] la façon dont elles négocient l’intégration des impératifs de deux cultures » [Franchi 2002]. La discrimination, en ce qu’elle s’attaque à l’identité des individus, se distingue d’autres formes de rapport social ou de violence sociale, comme la domination qui maintient un rapport d’assujettissement et de soumission alors que la discrimination écarte a priori toute forme possible de rapport social : elle est un « déni du droit à l’existence »12.

Notons ici que cette perspective d’analyse s’oppose radicalement à une des lectures économiques du problème [Parent 2005] où, selon une logique de victimisation, omniprésente dans les actions étudiées par les centres ressources « égalité des chance et intégration » et « politique de la ville », l’invocation de la discrimination constituerait une opportunité sociale, une ressource économique pour les groupes dominés. Au contraire, les approches psychologique et psychanalytique pointent le risque d’une intériorisation selon laquelle la personne confrontée à l’expérience de la discrimination peut finir par considérer, comme le discriminant cherche à le lui imposer, qu’elle est la cause même de la discrimination dont elle

                                                                                                               12 Benslama Fethi, « Construction de l’identité et discrimination » in Noël Olivier (Coord.) Actes du séminaire national Lutte contre les discriminations sur le marché du travail, : de la volonté politique à la mobilisation des acteurs locaux, du 12 au 14 décembre 2001, ISCRA-Méditerranée, p.64 disponibles sur le site www.iscra.org

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est victime. En conséquence, la déconstruction des systèmes discriminatoires ne peut faire l’économie d’intégrer, dans son analyse, comme dans l’évaluation des actions conduites [Noël 2008-2], l’impact des signes de discrimination et des vécus discriminatoires sur les stratégies des individus dans leur orientation scolaire, leur recherche d’emploi, de logement, ou d’autres biens et services si tant est que le socle de réception des plaintes se fonde sur le droit commun, l’égalité des droits et ne soit pas détournée sur une quelconque approche interculturelle, laissant supposer non seulement une différence culturelle, mais surtout une nécessaire conformation à une norme socio-culturelle dominante, majoritaire.

Enjeux de réparation juridique et déplacement sur le problème de l’insertion

Les effets psychologiques de la discrimination trouvent un écho dans les réponses envisagées par une approche juridique en matière pénale, sans cesse réaffirmée par le législateur, qui stipule que « le droit pénal a uniquement vocation à protéger les individus contre une forme spécifique d’agression : l’atteinte à la dignité de leur personne » [Calvès 2008]. Le droit vise alors à persuader, à dissuader et à sanctionner les discriminateurs afin de réguler un rapport social inégalitaire fondé sur l’usage de critères prohibés, en cherchant à garantir l’application des droits et la préservation de l’ordre public. Or s’il ressort des initiatives étudiées par les centres ressources « égalité des chances et intégration » et « politique de la ville » que la légitimité de la victime à ester en justice est généralement acquise, en revanche les conditions d’un accès effectif au droit (notamment le rôle des intermédiaires des politiques publiques) sont peu réfléchies. Le plus souvent, les permanences juridiques mises en oeuvre sont déconnectées d’une nécessaire reconnaissance publique et d’un indispensable travail d’écoute des personnes qui sont confrontées à son expérience. Les personnes qui veulent faire valoir leurs droits sont, comme l’indique dans l’étude le membre d’une COPEC, « renvoyées aux instances compétentes ou aux associations locales qui traitent ces affaires » ou le cas échéant à la HALDE13 perçue comme la solution ultime, comme semblent l’indiquer les propos de cette responsable associative :

« Maintenant, il y a la HALDE, ouf, j’ai envie de dire, on a enfin un support, un support concret et une base qui vous dit : voilà c’est vrai, on n’essaie pas de vous bercer d’illusions sur des choses qu’on vous promet et qu’on fera pas derrière. »

Or à l’évidence si la HALDE peut jouer un rôle important dans la médiatisation du problème public et l’institutionnalisation du traitement juridique, il n’en est pas de même dans l’aide et l’assistance directes aux personnes qui la saisissent d’une réclamation car elle est, à ce jour, « dotée d’une structure légère et d’un budget modeste (50 fois inférieur à celui de l’Acsé, 45 fois inférieur aux ressources annuelles de l’AGEFIPH14) et n’a pas vocation à concevoir, coordonner ou financer les politiques publiques de lutte contre les discriminations » [Calvès 2008]. La HALDE est d’ores et déjà saturée de signalements et, en l’absence de réponses immédiates et de suivi dans la durée, la complexité et la longueur des procédures ne manqueront pas de décourager les personnes qui souhaitent ester en justice, et de cautionner paradoxalement in fine l’idée selon laquelle le non-recours au droit est lié seulement à des « raisons individuelles relevant principalement d’une analyse comportementale » [Warin 2003]. Dans le meilleur des cas, les dispositifs locaux étudiés incluent à la fois une procédure d’information, de repérage et de signalement des discriminations et la mise en place d’une permanence d’avocat au sein de la Maison de justice et du droit, initiatives qui ont l’intérêt de                                                                                                                13 HALDE : Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité 14 AGEFIPH : Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées

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donner plus de chance dans un égal accès au droit même si de l’aveu de cette chef de projet, cela ne représente « pas grand chose en terme de budget » au regard des financements alloués aux actions positives. En l’absence d’une réflexion plus avancée sur les conditions d’accès au droit, il est apparemment logique de conclure avec cette coordonnatrice emploi-formation, interrogée dans l’étude, que :

« Il est difficile de savoir pourquoi, mais il semble que les victimes refusent d’aller plus loin ».

Ce type de constat conduit alors les décideurs publics locaux à ne pas reconduire les permanences juridiques, jugées coûteuses et peu efficientes, faute de fréquentation. Des solutions alternatives à l’approche juridique sont alors privilégiées parce que jugées plus efficaces comme les « job academy », les « job dating », les « job direct »15. Mis en œuvre par un « coaching individualisé » ou encore des « instituts de coaching »16, et loin de se confronter aux processus systémiques de la discrimination, ces techniques d’intervention recherchent des solutions dans l’adaptabilité des publics potentiellement exposés à la discrimination, et leur conformation aux normes sociales dominantes, pour trouver un emploi comme l’illustre la fiche de conseil pratique ci-après17 :

FICHE 4 (extrait)

Accompagner individuellement le demandeur d’emploi en situation de discrimination réelle ou potentielle

* Exemple 1 :

Une personne qui porte le voile arrive à l’accueil et indique qu’elle recherche un poste de vendeuse

Préconisation :

* Diagnostic : questionnement sur la vision du métier pour faire parler la personne de son voile

1. Comment vous voyez le métier (tâches, relations clientèle, contraintes vestimentaires) ?

2. Comment vous vous voyez dans le métier ?

Et… si la personne n’a pas encore évoqué le voile, lui demander directement (principe de réalité)

3. Vous pensez pouvoir trouver un emploi de vendeuse avec votre voile ?

                                                                                                               15 C’est une pratique inspirée du « speed-dating » (au départ pour les rencontres amoureuses) qui vise à mettre en relation des demandeurs d’emploi et des entreprises dans la perspective de favoriser un recrutement. 16 Le coaching est une méthode d’accompagnement des personnes qui vise à développer leur potentiel et leur savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels. 17Les s fiches de conseils pratiques sont consultables à l’adresse suivante sur le site d’un centre-ressources : http://www.crpve91.fr/T3_lutte_discriminations/fiches_actions_LCD_GDT/index.php

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* Dynamique

échange sur la réalité du marché du travail :

1. les vendeuses portant le voile sont rares ; les employeurs acceptant le port du voile sont peu nombreux

analyse sur l’évolution possible quant au port du voile

1. Il y a des exemples de femmes qui portent le voile uniquement hors de leur travail

Organisation de l’accompagnement en fonction des choix opérés

1. Si le choix est d’enlever progressivement le voile : mises en situation, éventuellement accompagnement par une association…

Nous observons, à travers cette fiche technique, que la situation pour laquelle la personne déciderait de continuer à porter le voile n’est même pas envisagée. L’obtention d’un emploi devient alors un objectif clairement prioritaire par rapport à celui de la réparation psychologique et juridique de la personne confrontée à l’expérience discriminatoire. Cette orientation politique qui privilégie l’accès à l’emploi par la promotion de la diversité et l’égalité des chances, à la prévention et à la lutte juridique contre les discriminations, est confirmée dans les propositions du rapport que le commissaire à la diversité et à l’égalité des chances a remis au président de la République en mai 2009 [Sabeg 2009] où l’approche juridique ne représente qu’une seule (l’action 55) des 75 actions proposées dans le rapport. Ainsi, l’extrait d’entretien de cette intermédiaire de l’emploi illustre le positionnement professionnel, induit par cette orientation politique, positionnement qui s’il a l’intérêt d’éviter la coproduction des discriminations [Noël 1999] ne participe aucunement, en l’absence d’appuis politique et institutionnel, à la déconstruction de systèmes discriminatoires durablement installés :

« En cas de discrimination, moi, personnellement, j’essaie de faire un signalement par rapport à cette entreprise, je signale au demandeur d’emploi ses droits et les démarches qu’il peut entamer s’il veut. Et moi, ce que je vais faire, je vais continuer à prospecter les entreprises puisque je dois le placer rapidement. Donc je ne vais pas essayer de perdre du temps avec cette entreprise qui a un problème de discrimination à l’embauche, je vais essayer de trouver une autre boîte. C’est un peu ça le réflexe en définitive ».

La place des personnes confrontées à l’expérience de la discrimination dans la mise en œuvre de l’action publique

Les expérimentations étudiées montrent que les trois niveaux de reconnaissance politique, socio- psychologique et juridique sont pensés de façon isolée, segmentée quand l’enjeu d’une action publique effective consisterait au contraire à les articuler plus fortement. La dimension psychologique et sociologique favorisant la reconnaissance individuelle et collective de celles et ceux qui font l’expérience de la discrimination ; la dimension juridique favorisant la reconnaissance institutionnelle du problème et la dimension politique soulignant une nécessaire mobilisation afin de prendre en considération le problème d’égalité de

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traitement à la hauteur des enjeux qu’il soulève. Il s’agirait, pour parvenir à ce triple niveau de reconnaissance, de concevoir des dispositifs de droit de proximité articulant sans les confondre [Eberhard 2006]18 les approches psychologiques et juridiques pour mieux qualifier les « plaintes » et accompagner les plaignants tant dans la reconnaissance de leur statut victime que dans la sortie de ce même statut de victime par une logique de réparation. Dans cette perspective, les actions du type théâtre forum19 ou auto-médiatisation20, articulant la mise en visibilité des mécanismes de production de la discrimination et les modalités de contestation des situations de discrimination vécues, ouvrent des pistes intéressantes. La construction de chaînes d’accès au droit, articulant le niveau de réception de la plainte (dispositifs d’insertion, d’accès au logement, etc), le niveau d’accompagnement des personnes (écoute, soutien dans les démarches, engagement dans la lutte) et le niveau de traitement proprement juridique, permettraient de redonner aux personnes directement concernées toute leur place dans la conduite de l’action publique pour les amener vers la réparation, vers le droit au droit. Enfin la constitution récente de collectifs citoyens, d’associations dédiées à la lutte juridique et politique contre les discriminations21 favorise l’intéressement politique local et permet de traduire les revendications latentes, souvent implicites, qui traversent les diverses émeutes et révoltes urbaines (nous pensons ici en particulier à celles de l’automne 2005) en parole publique plus clairement audible [Anselme, 2000].

Un autre regard : celui d’expériences où la parole est autorisée

Une expérience de travail avec des personnes confrontées à une expérience vécue comme discriminatoire, initiée en 2004 en PACA poursuivie en Rhône-Alpes (à partir d’ateliers qui alternent temps de parole et temps de formation pour décrypter les mécanismes de production des discriminations et les modalités de traitement juridique) et en Ile de France entre 2007 et 2010 et nous permet d’affirmer le fait que la logique de victimisation si souvent invoquée, tant redoutée n’est jamais présente, ce qui prévaut dans la parole des jeunes c’est de la pudeur, de la nuance, de la lucidité, un discernement (développer des exemples), discernement qui semble largement faire défaut à celles et ceux qui invoquent la logique de victimisation a priori.

                                                                                                               18 Dans sa thèse, elle montre le paradoxe qui consiste à demander à des militants anti-racistes dans le même temps d’écouter les plaintes et de qualifier juridiquement les faits en s’appuyant sur l’expérience de la caravane de l’égalité lancée par le MRAP en 2000. 19 La pratique du théatre-forum, expérimentées par les centres sociaux en Ile-de-France, est un puissant outil dans les pratiques de communication pour penser et agir dans les situations de conflits, de domination, d’oppression et proposer des alternatives aux situations subies au quotidien. 20 L’automédiatisation est une notion promue par Bertrand Schwartz pour favoriser la prise en considération de la parole des personnes en situation de domination, d’oppression et de discrimination. Deux initiatives conduites, respectivement dans les missions locales de La Ciotat et de Villeurbanne, selon la méthode « moderniser sans exclure » , offrent des résultats probants. 21 Nous faisons référence ici entre autres et de façon non exhaustive aux associations ARCAD (Agir en Région pour Construire un avenir sans discrimination) créée en 2003 en Rhône-Alpes ; à ALDA (Association de Lutte contre les Discriminations Alsace) créée en 2005 en Alsace ; au dispositif ACCESS créé par la Cimade à Montpellier en 2005, au CILDA (Collectif d’Information et de Lutte Discrimin’action) créé en 2007 au Blanc-Mesnil, le collectif « Vivre Ensemble l’égalité » réunissant des jeunes de Lormont ou encore à des expériences plus anciennes comme le Tactikollectif de Toulouse créé en 1996.

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Ce que vient mettre au jour cette logique quasi-obsessionnelle de la victimisation c’est l’impensé politique d’une lutte qui opposera toujours « minoritaires » et « majoritaires » ; un système qui ne dit pas ses règles concrètes mais invoque seulement ses règles formelles (Etat, Marché) et qui traduit de fait une bonne dose d’arrogance, de mépris et de conservatisme social des majoritaires qui ont peu intérêt à ce que les minoritaires revendiquent une société plus égalitaire. L’invocation de la victimisation constitue de fait une politisation par le haut (c’est-à-dire par les majoritaires) de la question des discriminations. Une politisation par le bas de la question des discriminations impliquerait de se départir du seul statut de « victime » qui fonctionne comme un véritable marqueur moral polémique et négatif pour lui conférer un statut de « héros ordinaires des lutte pour l’égalité et contre les discriminations ». La perspective qu’ouvre une sociologie publique - au sens que lui donne le sociologue Michaël Burawoy – en prise avec celles et ceux qui sont confrontées à des expériences discriminatoires peut ouvrir des pistes intéressantes.

Je vous invite à méditer cette réflexion d’une coordonnatrice emploi-formation engagée dans une action de lutte contre les discriminations :

« Il est difficile de savoir pourquoi, mais il semble que les victimes refusent d’aller plus loin ».

Bibliographie indicative

Anselme M. [2000], Du bruit à la parole. La scène politique des cités, Editions de l'Aube, La Tour d'Aigues, 277 p.

Benslama F. [2001], « La discrimination : mode d’extermination sociale » in Blier Jean-Michel et De Royer Solenn (Coord.), Discriminations raciales, pour en finir, Jacob-Duvernet, p. 21-22.

Eberhard [2006], L’idée républicaine de la discrimination raciste en France, Université Paris VII-Denis Diderot, sous la direction de Catherine QUIMINAL, 438 p.

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L’identification de la victime : aspect juridique

Jérôme LASSERRE CAPDEVILLE

Maître de conférences à l’université de Strasbourg

Vice-doyen de la faculté de droit

I. Présentation de la victime de discrimination

1. - Définition. - Qu’est-ce qu’une victime d’un point de vue juridique ? On qualifie traditionnellement, de la sorte, « celui qui subit personnellement un préjudice ». Mais du coup, à partir de quel moment peut-on dire qu’une personne est victime de discrimination ? Regardons le Code pénal. En effet, une telle situation implique la caractérisation des éléments constitutifs du délit de discrimination.

2. Multiplicité d’infractions. – Nous évoquerons ici le cas du délit général de discrimination figurant aux articles 225-1 et suivants du Code pénal. Il convient de noter en effet, que ce dernier n’est pas la seule incrimination prévue en matière de discrimination. D’une part, le Code pénal réprime spécifiquement, par son article 432-7, les discriminations commises par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. D’autre part, le Code du travail prohibe, quant à lui, les mesures discriminatoires fondées sur l’appartenance syndicale ou l’activité syndicale (C. trav., L. 2141-5) de même que les discriminations fondées sur le sexe (C. trav., L. 1142-1).

3. - Eléments constitutifs du délit. - Quels en sont dès lors les éléments constitutifs du délit figurant aux articles 225-1 et suivants du Code pénal ? Il y en a plusieurs, et ils doivent être cumulativement appréhendés. Tout d’abord, selon l'article 225-1, le délit sera retenu en cas de « distinction opérée entre les personnes physiques ou morales à raison : de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, ou une religion déterminée ».Néanmoins, cette condition nécessaire n'est pas suffisante : la discrimination ainsi définie n'est punissable que lorsqu'elle est commise à l'occasion de l'un des six comportements visés par l'article 225-2 du Code pénal et à condition qu'elle ne soit pas justifiée en application de l'article 225-3.

Les comportements en question sont, pour mémoire : le refus ou l’offre conditionnelle de fourniture d'un bien ou d'un service ; l’entrave à l'exercice d'une activité économique ; le refus d’embauche, la sanction ou le licenciement d’une personne ; le fait de subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés 225-1 du Code pénal ; le fait de subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition discriminatoire ; ou encore le fait de

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refuser d’accepter une personne à un stage visé par le Code la sécurité sociale.

Mais, et cela a été dit précédemment, l’infraction ne peut plus être retenue lorsque nous sommes dans l’un des cas justifiés à l’article 225-3 du Code pénal. Il en va de la sorte, par exemple, en cas de discriminations fondées, en matière d’embauche, sur le sexe, l’âge, ou l’apparence physique, lorsqu’un tel motif constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée. Ce n’est ainsi qu’en jonglant avec ces trois articles (225-1 à 225-3) qu’une personne pourra savoir si elle peut être vue, juridiquement, comme une victime d’un acte de discrimination.

4. – Qualité de la victime de l’infraction. - Les agissements discriminatoires sont répréhensibles qu'ils aient été commis au détriment d'une personne physique (C. pén., art. 225-1, al. 1er) ou d'une personne morale (C. pén., art. 225-1, al. 2). Cependant, notons que la personne morale ne peut être atteinte qu'à travers des personnes physiques. L'article 225-1, alinéa 2, du Code pénal dispose en effet que constitue une discrimination « toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine (...) des membres ou de certains membres de ces personnes morales ». Cela n’est guère surprenant. L'application de la plupart des critères discriminatoires à la personne morale elle-même n'aurait eu aucun sens.

II. Actions ouvertes à la victime de discrimination

5. – Présentation générale. - Il ne faut pas réduire la place de la victime d’une infraction dans le procès pénal au droit dont elle dispose de demander réparation du dommage qui lui a été causé. En effet, en droit, la victime d’une infraction peu également mettre en mouvement l’action publique.

6. – Réparation par la voie de l’action civile. - L’action civile est une action en réparation d’un dommage causé par une infraction. C’est un droit de créance que la victime tient contre l’auteur de l’infraction. Pour mémoire, l’article 2, alinéa 1er, du Code de procédure pénale dispose que : « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». L’intérêt à agir se conçoit donc de la justification d’un dommage personnel découlant directement de l’infraction.

7. Mise en mouvement de l’action publique par la partie lésée. - La victime, qui est bien entendue une partie lésée, peut agir devant le juge civil et ainsi obtenir réparation du dommage que l’infraction lui a causé, mais également agir devant le juge pénal. Or, dans un tel cas, la partie lésée pourra mettre l’action publique en mouvement si cela n’est pas encore le cas. Cette situation est prévue par l’article 1er, alinéa 2, du Code de procédure pénale.

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8. – Intérêts de l’action civile devant le juge pénal. - Pour la partie lésée, l’action civile portée devant le juge pénal présente des avantages que n’offre pas celle exercée devant le juge civil. Tout d’abord, la voie pénale est plus rapide. De plus, cette voie pénale est plus intéressante pour la victime en ce qui concerne l’administration de la preuve. En effet, devant le juge civil, comme demanderesse à l’action, la victime supporte la charge de la preuve. Dans le procès pénal, la charge de la preuve de la commission d’une infraction est supportée par le ministère public. La victime en profite alors dans l’application du principe d’autorité absolue de chose jugée au criminel sur le civil. Enfin, la voie pénale est plus économique. A titre d’exemple, la victime n’a pas à signifier les actes de procédure. Cela n’est pas négligeable.

9. – Constitution de partie civile. Voie d’intervention. - Comment faire, concrètement, pour se constituer partie civile ? L’action civile peut, d’une part se produire par voie d’intervention après mise en mouvement de l’action publique par le ministère public. Ce cas suppose donc qu’au moment où la partie lésée introduit son action civile, cette action a déjà été mise en mouvement par le ministère public ou par une autre partie lésée. On dit classiquement que la partie civile « se constitue partie civile ». Elle peut le faire devant les juridictions d’instruction comme devant celles de jugement. La constitution de partie civile n’est soumise à aucun formalisme particulier devant les juridictions d’instructions. En pratique, l’envoi d’une simple lettre au magistrat suffit. Concernant la constitution de partie civile devant les juridictions de jugement, en principe une déclaration au greffe du tribunal suffit (mais un formalisme minimal est exigé dans certaines circonstances) ou à l’audience de jugement.

10. – Constitution de partie civile. Voie d’action. Généralités. - Mais qu’en est-il lorsque l’action publique n’a pas été préalablement mise en mouvement par le ministère public ? Cette question est importante, car ce sera plutôt ce cas qui se rencontrera en matière de discrimination. On parle ici d’action civile par voie d’action. La particularité de l’action civile par voie d’action est de mettre en mouvement l’action publique. Cela suppose donc que la partie lésée introduise l’action civile devant le juge pénal avant que le ministère public n’ait mis lui-même en mouvement l’action publique, ou alors que le ministère public n’ait pas voulu mettre en mouvement l’action publique.

11. Cas de la plainte avec constitution de partie civile. - Devant le juge d’instruction, l’action civile par voie d’action est introduite par une « plainte avec constitution de partie civile ». L’article 85 du Code de procédure pénale ne soumet la plainte avec constitution de partie civile à aucun formalisme particulier. En pratique, une lettre simple adressée au juge d’instruction suffit. Dans un TGI où siègent plusieurs juges d’instruction, cette lettre est adressée au doyen des juges d’instruction.

Notons cependant que, depuis une loi du 5 mars 2007, cette plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à la condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat. Ainsi, du fait de cette évolution légale, qui n’est pas requise en matière de crime ou de délit de presse, la victime

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devra d’abord déposer plainte devant le procureur de la République. Cela ne l’empêchera pas, cependant, de mettre en mouvement l’action publique si ce magistrat ne le fait pas.

S’agissant du contenu de la plainte avec constitution de partie civile, la jurisprudence a apporté un certain nombre de précisions. La lettre doit tout d’abord comporter une manifestation de volonté formelle et non équivoque de se constituer partie civile. C’est ainsi que la partie lésée devra écrire, par exemple : « Je me constitue partie civile ». De plus, la lettre doit dénoncer des faits au juge d’instruction. Ce point est important. Le juge d’instruction sera saisi de ces faits : il aura donc l’obligation d’instruire sur ces faits, mais seulement eux. En revanche, pour la jurisprudence, la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile, « n’est pas subordonnée à la double preuve préalablement rapportée par la personne qui se prétend lésée par une infraction, d’abord de l’existence de ladite infraction, ensuite de l’existence du préjudice dont elle aurait souffert ». Il suffit, en effet, « que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et la relation direct de celui-ci avec une infraction à la loi pénale » (Cass. crim., 4 juin 1996 : Bull. crim. 1996, n° 230). Enfin, la partie lésée doit faire une déclaration d’adresse.

Cette plainte avec constitution de partie civile va alors suivre un cheminement particulier. A la réception de la plainte, le juge d’instruction, par une ordonnance dite de « soit-communiqué », la transmet au procureur de la République pour qu’il prenne des réquisitions. Le procureur de la République est alors tenu de prendre des réquisitions. Elles peuvent être de quatre types : d’irrecevabilité de la partie civile ; d’incompétence du juge d’instruction ; de non-informer ou d’informer. En tout état de cause, le juge d’instruction constate par ordonnance le dépôt de plainte et fixe le montant d’une consignation. Cette consignation est une somme d’argent qui garantit, le cas échéant, le paiement de l’amende civile susceptible d’être prononcée contre l’auteur de la plainte en cas d’abus de constitution de partie civile. Le défaut de versement de la consignation frappe d’irrecevabilité la plainte avec constitution de partie civile et empêche donc la mise en mouvement de l’action publique.

12. – Cas de la citation directe. - La victime d’un acte discriminatoire peut exercer l’action civile par voie d’action par le biais d’une citation directe devant le tribunal correctionnel. Il s’agit d’une assignation à comparaître devant le tribunal correctionnel, signifiée par huissier. Elle doit comporter l’énonciation des faits poursuivis et l’indication des textes de loi qui leur sont applicables. Si la partie civile n’a pas obtenu l’aide juridictionnelle, le tribunal fixe le montant de la consignation en fonction de ses ressources ainsi que le délai pour la déposer, à peine d’irrecevabilité de la citation directe.

13. – HALDE. - Pour finir, rappelons que depuis les modifications introduites par une loi du 31 mars 2006, si l'action publique n'a pas encore été mise en mouvement, la HALDE (désormais Défenseur des droits) a le pouvoir de proposer à l'auteur d'une discrimination entrant dans le champ de l'article 225-2 du Code pénal le paiement d'une amende transactionnelle. La transaction, qui doit recueillir l'assentiment de l'auteur des faits et, le cas échéant, de la victime, doit être homologuée par le procureur de la République

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Présentation de l’étude sur le traitement pénal des discriminations à partir

de décisions des juridictions répressives françaises

Laura MOUREY

Doctorante, Université de Strasbourg

L’étude sur le traitement répressif des victimes de discrimination dont je vais présenter les résultats s’inscrit dans le cadre d’un projet que nous avons nommé PRELUD (Promotion de l’Egalité et de la lutte contre les discriminations). Ce projet PRELUD, est le fruit d’une dynamique partenariale qui associe l’ACSE, la Ville de Strasbourg et l’ORIV.

L’objectif est clair : Il s’agit de promouvoir l’amélioration des pratiques existantes dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Or, parmi l’éventail des procédures existantes, la voie répressive est celle qui suscite sans doute le plus d’interrogations. Celles et ceux qui la mettent en œuvre déplorent notamment des classements sans suite, des difficultés d’administrer la preuve, la faiblesse des sanctions prononcées. Ils en concluent que la voie répressive est inefficace dans le traitement des situations discriminatoires.

Notre objectif était de tenter de vérifier l’adéquation de cette perception avec la réalité du du traitement judiciaire.

Nous souhaitions ainsi avoir une meilleure visibilité et lisibilité du travail mené par la chaîne pénale parce que nous pensons qu’il est important que les acteurs disposent d’une meilleure connaissance de la prise en charge pénale d’une discrimination. Il est aussi nécessaire qu’ils appréhendent les enjeux et difficultés inhérentes à ce traitement répressif. En favorisant la compréhension des acteurs, nous pensons contribuer à renforcer leurs capacités à prendre en charge, de manière cohérente, une victime de discrimination.

Une fois l’objectif défini, la problématique s’imposait d’elle-même : en quoi consiste le contentieux répressif des discriminations ?

Techniquement, pour répondre à cette question, plusieurs approches étaient concevables :

1. Analyser le phénomène à partir de la criminalité réelle, c’est-à—dire, les infractions réellement commises. Pour tenter d’appréhender la criminalité réelle, il convient de procéder notamment à des enquêtes de victimisation lesquelles nécessitent une infrastructure et des moyens dont nous ne disposions pas.

2. La seconde approche consistait à appréhender le phénomène à partir des données de la criminalité apparente. Il s’agit ici, d’analyser toutes les plaintes et les mains courantes, c’est-à-dire un ensemble de données détenues par les services de police et de gendarmerie.

3. Enfin, la dernière démarche qui a été celle que nous avons retenu été d’analyser les données de la criminalité légale, c’est-à-dire, celles résultant des décisions rendues par les juridictions répressives.

Confrontée à l’impossibilité d’accéder à toutes les décisions rendues par toutes les juridictions pénales, Tribunaux de grande instances, Cour d’appel et Cour de cassation, nous avons été contraintes de réaliser un panel.

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A partir de ce panel, l’objectif poursuivi était de réaliser une typologie des discriminations. Quels domaines discriminatoires et quels critères discriminatoires étaient fréquemment ou peu invoqués devant la juridiction pénale ? L’objectif était également d’analyser plus en profondeur les difficultés rencontrées par la juridiction pénale dans le traitement de situations discriminatoires, notamment les difficultés relatives à la preuve.

Cela met aussi en avant les différentes facultés existantes dans la poursuite de comportements discriminatoires.

Présentation du panel de recherche

Pour construire ce panel, nous avons retenu la seule infraction de discrimination incriminée aux articles 225-1 du Code pénal, 432-7, mais aussi l’article 416 Ancien Code pénal, puisque la discrimination était déjà réprimée sans l’empire de l’Ancien Code pénal.22. Ainsi, D’autres infractions telles que l’injure, la provocation publique à la haine raciale, le harcèlement moral et sexuel n’ont pas été pris en compte.

Pour interroger les bases de données, nous avons associé le mot « discrimination » à l’article de loi visé.

Nous avons interrogé les bases de données des principales revues juridiques : Dalloz, le Jurisclasseur, Lextenso mais aussi sur le portail Légifrance, en remontant sur trente années de décisions juridictionnelles.

Nous avons ainsi obtenu 238 décisions pour lesquelles un second tri a été opéré, si bien que notre panel de décisions étudié comprend 188 décisions. Il s’agit majoritairement de décisions rendues par la Cour d’appel ou par la Cour de cassation.

Si l’on analyse le ressort juridictionnel dans lequel ces décisions ont été rendues, on constate un fort taux de traitement au niveau de la Région Ile-de-France et les régions sud-est de la France. Cependant, ce constat ne reflète pas forcément la réalité du phénomène discriminatoire. En effet, nombreuses sont les décisions rendues par les juridictions qui ne donnent pas lieu à publication et qui donc, n’ont pas pu être intégrées à notre étude. Ce résultat doit s’entendre à titre purement indicatif.

Résultats de l’étude

La présentation des résultats de cette étude sera divisée en deux parties. Ces deux parties reprennent les différentes étapes du procès pénal, à savoir l’engagement des poursuites (I) et la phase de jugement (II°). En réalité, il existe, en matière délictuelle et criminelle, une troisième étape intermédiaire : l’instruction. Les données récoltées, à ce sujet, dans le contentieux des discriminations sont faibles. C’est la raison pour laquelle, nous avons volontairement intégré cette phase intermédiaire dans la partie relative aux poursuites.

                                                                                                               22 D’autres infractions telles que l’injure, la provocation publique à la haine raciale, le harcèlement moral et sexuel n’ont pas été pris en compte.

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I° L’engagement des poursuites du chef de discrimination

L’engagement des poursuites, plus communément appelé mise en mouvement de l’action publique, a été appréhendé de deux manières.

A) D’un point de vue quantitatif

Cette approche permet de mesurer la fréquence des poursuites sur les trente années sur lesquelles ont été menées nos recherches. Une progression du nombre de poursuites, relatives à des faits discriminatoires, se fait sentir à partir du début des années 1990. Si c’est parfois hésitant, le nombre de cas traités reste, tout de même, en augmentation. Le nombre n’en demeure pas moins relativement faible si on le compare à d’autres données. Par exemple, un décalage conséquent existe entre le taux de traitement répressif et celui de la Halde, qui annuellement, présente le nombre de réclamations pour lesquelles elle a été saisie. Le contentieux répressif est donc de faible ampleur en comparaison des autres voies de traitement des discriminations.

B) D’un point de vue « qualitatif »

Cette seconde démarche ne porte que sur la consistance des poursuites à travers différentes questions : qui ? quoi ? à l’encontre de qui ?

• Initiative des poursuites:

La mise en mouvement d’une action publique peut avoir deux origines.

Classiquement, seul le procureur de la République est titulaire du droit de poursuite. Ainsi une fois la plainte transmise au Procureur, celui-ci apprécie les éléments de fait et de droit qui lui sont soumis afin de décider de mettre en mouvement l’action publique ou de classer sans suite. Mais afin de ne pas laisser la victime sans possibilité de recours, en cas de classement sans suite, celle-ci dispose aussi du droit de déclencher les poursuites (par citation directe ou par plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction). Nous avons, donc, mesuré pour chaque affaire, quand cela était possible, l’origine de cette mise en mouvement. Il s’avère que dans la moitié des cas, les poursuites ont été déclenchées par le procureur (38 affaires), l’autre moitié, par la victime. Sur ce dernier point, nous avons constaté qu’elle bénéficiait d’un accompagnement institutionnel (syndicat ou association). Ce qui nous amène à conclure que dans une majorité des cas la victime était bien encadrée.

• Objet des poursuites : l’infraction de discrimination.

L’infraction de discrimination se compose de deux éléments : un élément matériel (article 225-2 et 432-7 du Code pénal pour les dépositaires de l’autorité publique) relatif aux domaines dans lesquels l’infraction est réprimée ; un élément moral qui consiste en l’intention de discriminer à raison de l’un des critères énumérés par l’article 225-1. A partir de ces deux éléments constitutifs, sans lesquels il ne peut y avoir d’infraction de discrimination, nous

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avons fait une typologie des discriminations traitées par les juridictions répressives. Nous retrouvons une typologie similaire dans les nombreux rapports de la HALDE, ce qui rend le croisement de ces résultats intéressant. Sans surprise, nous retrouvons, au titre des critères, une prépondérance du critère lié à l’origine ou à la race. Mais, autre élément intéressant, le critère de l’activité syndicale se retrouve de manière récurrente. Dans le sens inverse, certains sont très faiblement invoqués, comme le sexe ou l’orientation sexuelle, alors que l’on ne doute pas de leur récurrence réelle.

Concernant le champ matériel, là encore nous avons un net décalage avec les données de la Halde. Il semble que le traitement pénal porte plus sur l’accès aux biens et aux prestations de services (46%) que sur l’emploi (39%). Il est de plus faible ampleur pour les autres champs matériels tel que l’entrave à l’exercice d’une activité économique quelconque, ou le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi (un champ ou seul un dépositaire de l’autorité publique peut être poursuivi).

• La personne mise en cause Le droit pénal des discriminations permet de poursuivre trois catégories de personnes : la personne physique, la personne morale et le dépositaire de l’autorité publique. Nous avons, par conséquent, envisagé chacun de ces catégories pour expliquer les mécanismes procéduraux permettant d’engager les différentes situations dans lesquelles la responsabilité pénale de l’auteur a pu être engagé. Nous avons plus travaillé sur la connaissance que sur la mesure. Il est important que les acteurs puissent bien appréhender toutes les responsabilités pouvant être engagées dans le contentieux des discriminations. Classiquement, deux types de responsabilité peuvent engagées : la responsabilité d’une personne physique et la responsabilité d’une personne morale. S’agissant de la personne physique, sa mise en cause s’effectue soit au visa de l’article 225-1 et 225-2 du Code pénal, soit au visa de l’article 432-7 du Code pénal. Mais dans ce dernier cas, elle ne concerne que les dépositaires de l’autorité publique. Pour les personnes morales, cela se présente avec plus de complexité. Engager la responsabilité d’une personne morale suppose que le représentant, personne physique et titulaire d’une délégation de pouvoir, soit l’auteur de la pratique discriminatoire. Ainsi, les pratiques de l’employé, s’il n’est pas titulaire d’une délégation de pouvoirs, n’aboutiront qu’à sa mise en cause personnelle et non celle de la personne morale. Mais, il peut aussi arriver que les deux soient mis en cause quand l’employé s’est conformé à la politique discriminatoire mise en œuvre par l’entreprise.

Ces mécanismes sont très intéressants et montre l’intérêt que représente la voie répressive dans la répression de certaines pratiques discriminatoires (pratiques systémiques, commission de discriminations à grande échelle).

II) La phase de jugement dans le contentieux répressif des discriminations

La phase de jugement d’une infraction de discrimination peut faire l’objet soit d’un traitement partagé entre la Halde et la juridiction pénale ou simplement d’un traitement exclusif par la juridiction pénale.

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A) Le partage institutionnel du traitement de situations discriminatoires

Nous avons élaboré un schéma retraçant les différentes liaisons existantes entre la Halde et la juridiction pénale afin de rendre compte des différentes perspectives de traitement existantes. Comment doit s’entendre la coexistence de ces deux institutions ? Nous avons relevé différents cas pour lesquels le traitement d’une situation discrimination est le produit d’une démarche partenariale. D’abord, il arrive que la juridiction répressive intervienne ultérieurement à l’action de la Halde. C’est, notamment, le cas quand le comportement a été réitéré. Ensuite, il arrive que la Halde, saisie de faits constitutifs de l’infraction de discrimination, transmette la réclamation au procureur, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale. Enfin, l’intervention de la Halde a été aussi notée dans quelques affaires traitées par les juridictions répressives, essentiellement par transmission de conclusions écrites.

La démarche partenariale est donc une pratique qui voit le jour dans le travail effectué par les juridictions répressives. Mais les cas que nous avons relevés ne sont pas encore très nombreux : cela représente à peine une dizaine d’affaires.

B) Le partage exclusif

Nous avons étudié deux points incontournables de la phase de jugement : celui de la preuve et celui relatif à la sanction pénale.

• La preuve d’un comportement discriminatoire

L’étude de la preuve dans le contentieux répressif des discriminations visait à mesurer la consistance des preuves rapportées et à comprendre la méthode utilisée par les juges pour aboutir à la condamnation. Nous avons étudié cette preuve au regard de l’élément matériel mais aussi moral, puisque la preuve doit se faire pour l’ensemble des éléments constitutifs.

Les résultats de l’étude montre que l’administration de la preuve des faits discriminatoires (élément matériel) ne présente pas de difficultés particulières. Les seuls cas pour lesquels, cette preuve posait problème s’apparentent, en réalité, à des problèmes de qualification. Le plaignant pensait que les faits rentraient dans les prévisions de la loi mais il n’en était rien.

La preuve de l’intention discriminatoire pose plus de problème. Il s’agit de prouver ce qui relève d’un état d’esprit et qui n’est pas forcément matérialisé. L’allégement de la charge de la preuve ne s’applique pas en droit pénal car il est contraire au principe de présomption d’innocence. Il ne concerne que le contentieux civil pour lequel il suffit de ramener des éléments de preuve laissant présumer l’existence d’une discrimination. Il revient, par la suite, à la partie poursuivie de démontrer que son comportement poursuivait un objectif légitime. En terme de consistance, nous retrouvons une grande variété de preuves : des témoignages de personnes présentes lors de la commission des faits ou d’anciens salariés de l’entreprise mise en cause, des auditions recueillant les aveux de la personne poursuivie etc. Nous avons aussi des preuves plus matérielles (documents, logiciels etc.) qui ont pu être obtenues grâce au concours de différents acteurs (inspecteur du travail, services de police etc.). Enfin, des tests de situation, dont la validité a été reconnue par la Cour de cassation, sont fréquemment mis en avant. La force probante de ces éléments est variable selon les faits en cause. Parfois, elle est insuffisante et conduira à une relaxe au bénéfice du doute. Dans d’autres cas, peut exister un motif légitime, exempt de toute considération discriminatoire. De manière générale, le travail

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d’analyse et de recherche du juge permettra de mettre à jour la réalité de l’intention discriminatoire.

• La condamnation du chef de discrimination

Il s’agit du dernier élément que nous avons mesuré au sein de cette étude. Le graphique rend compte de l’échelle des peines sur l’ensemble des condamnations prononcées par la juridiction répressive. Une importante partie de ces peines consistent en des peines d’amende. Les plus nombreuses sont inférieures à 2500 € d’amende, mais s’appliquent à des affaires où la vertu pédagogique de la peine semblait plus efficace qu’une répression forte. Les peines supérieures à 10 000€ concernent, majoritairement, des condamnations de personnes morales, pour lesquelles seule une peine d’amende peut être prononcée. Nous avons, tout de même, recensé quelques peines d’emprisonnement, toujours prononcées avec un sursis. Elles correspondent à des faits d’une certaine gravité, notamment en présence de motivations racistes. Enfin, dans un certain nombre de cas, les juridictions répressives ont aussi prononcé une peine complémentaire. Ces peines peuvent être, par exemple, des mesures d’affichage ou de publication, mais aussi des peines d’inéligibilité applicables aux personnes dépositaires de l’autorité publique.

De manière générale, le choix de la peine prend en compte certaines variables tels que l’absence de connaissance de la loi, la prise de conscience du prévenu de la gravité de son comportement. En sens inverse, des facteurs tels que la qualité de professionnel de l’immobilier du prévenu, la gravité des faits ont pu justifier le prononcé de sanctions plus sévères.

Nous terminerons cette présentation par une brève conclusion. Le traitement répressif des discriminations est de faible ampleur en comparaison des autres voies existantes en la matière. Ses sanctions peuvent paraître, parfois, de faible ampleur. Mais cela n’enlève rien en l’intérêt que représente la voie répressive. Passé un certain seuil de gravité, il n’y a que la juridiction répressive qui est à même d’apporter un traitement adéquat. Et, cette voie se trouve même particulièrement adaptée quand surviennent des faits discriminatoires d’une certaine ampleur ou mettant en cause un réseau de personnes. Enfin, l’appréhension et la maitrise des comportements discriminatoires, dont on ne niera pas la complexité, nécessitent encore plus de temps et de recul. Ce temps est nécessaire pour que soient renforcées la coordination et l’implication des acteurs dans la lutte contre les discriminations.

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2ème partie : ATELIERS

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Atelier n°1 : Pratiques d’accompagnement et accès aux droits des victimes

de discrimination

Animation : Murielle MAFFESSOLI, Directrice de l’ORIV

Personne ressource : Bérengère PESSAQUE, Chargée de mission discriminations à l’ORIV

Rapporteur : Guy ESSOUMA, Doctorant en droit

Composition de l’atelier :

• Institutions : ACSé, DRJSCS, Dirrecte UT68 – service lutte contre l’exclusion et

les personnes handicapées, Police -Commandant.

• Associations : SOS Aide aux Habitants, Thémis, Viaduq, Astu

• Collectivités : Chefs de projets LCD, Adjoints

• Etudiants

• Professionnels du droit : Avocats

• Professionnels de l’emploi : Conseillers emploi (Semaphore)

L’atelier s’est organisé en deux temps :

1. Introduction de l’atelier et présentation de l’état des lieux « Pratiques

d’accompagnement des victimes de discriminations et de leur accès aux droits », mené

par l’ORIV début 2011 ;

2. Echanges et débats avec les participants sur les principaux enjeux de l’état des lieux.

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2.  1.1      Présentation  du  contexte  de  l’atelier,  de  la  démarche  d’état  des  lieux  et  de  ses  enjeux  

L’atelier…

L’ORIV a souhaité animer un atelier sur les pratiques d’accompagnement des victimes

de discriminations et sur la question de leur accès aux droits, compte tenu de la place de cette

question dans son travail avec les acteurs locaux et du fait de la réalisation (début 2011) d’un

état des lieux sur le sujet. Ce travail n’a pas de visée exhaustive, mais doit être considéré

comme un point de départ permettant d’engager une réflexion plus large avec d’autres acteurs

intervenant au cours du parcours des victimes.

L’objectif de cet atelier était donc de présenter la démarche menée et surtout de mettre en

perspective le travail réalisé afin de débattre autour des enjeux qui ont pu émerger entre

professionnels de différents horizons. L’intérêt d’un atelier était d’avoir l’opportunité de

mener un dialogue interprofessionnel pour saisir ces enjeux à travers différents prismes

d’analyses, différentes réalités et expériences professionnelles.

Le contexte et les objectifs de l’état des lieux…

La question de l’accompagnement des personnes « victimes » de discriminations et de

leur accès aux droits est au cœur de démarches en Alsace. Ainsi plusieurs acteurs locaux

(collectivités, groupes de réflexion, associations, Halde, acteurs juridiques, etc.) ont mené,

voire mènent, un certain nombre de démarches autour de cet enjeu central du dispositif de

lutte contre les discriminations. De plus, le dispositif juridique, devant permettre aux victimes

de faire valoir leurs droits, semble en pratique présenter un certain nombre de limites.

Il en résulte un paradoxe : un discours omniprésent renvoyant sur la dimension

juridique des discriminations et, dans le même temps, une faible connaissance des démarches

d’accompagnement et d’accès aux droits des victimes de discriminations. Pour permettre une

action optimisée, il y a nécessité d’avoir une meilleure connaissance des expériences et

actions menées.

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Dans cette perspective, l’Observatoire Régional de l’Intégration et de la Ville

(ORIV)23, en tant que centre de ressources intervenant notamment dans le domaine de la

prévention des discriminations, a réalisé un état des lieux visant à avoir une connaissance plus

fine de ce que recouvrent les pratiques d’accompagnement menées par les acteurs locaux,

leurs atouts, mais également les difficultés éventuelles rencontrées sur le terrain.

L’ORIV a fait le choix de faire porter l’état des lieux sur un nombre restreint d’acteurs

constituant le « noyau dur » de cet accompagnement juridique des victimes. La réflexion a

ainsi été menée auprès d’une dizaine de structures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, reconnues

« associations d’aide aux victimes » (Accord 67, Espoir, SOS Aide aux Habitants, Thémis

Mulhouse/Strasbourg et Viaduq)24, ou proposant un accompagnement spécialisé en direction

des victimes de discriminations (Association de lutte contre les discriminations en Alsace-

ALDA et les correspondants locaux de la Halde)25.

Afin d’ancrer l’état des lieux dans un travail collaboratif, la démarche a consisté en

l’organisation de temps d’échanges collectifs complétés par une série d’entretiens individuels

avec d’une part les Directeurs/trices des structures identifiées et d’autre part avec les

personnes accompagnant directement les victimes (juristes, correspondants, etc.).

4 grands enjeux émergeant de cet état des lieux…

En premier lieu, la spécificité du délit de discrimination.

La reconnaissance juridique du délit de discrimination est particulièrement difficile à obtenir,

comparée à d’autres types d’infractions. En effet, un système de contraintes, notamment

juridiques, impactent sur le parcours des victimes. On citera notamment les problématiques

liées à la preuve, à la longueur des procédures, aux refus de prendre les plaintes, aux

nombreux classements sans suite, etc. La difficulté à obtenir une reconnaissance de la part de

la justice a des conséquences sur le statut de victime. En effet, avant d’être reconnue

juridiquement, la discrimination relève d’abord d’un ressenti provenant d’une atteinte portée à                                                                                                                23 Pour plus d’informations cf. www.oriv-alsace.org. 24 On parlera de « structures généralistes » car elles agissent plus globalement dans le domaine de l’aide aux victimes. 25 On parlera de structures « spécialisées » car elles ont été créées spécifiquement par rapport aux discriminations.

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l’identité de la victime. Or, il existe un doute sur le ressenti de ces victimes et sur le vécu de la

discrimination. La mise en cause du statut de victime est plus fortement marquée à l’égard de

certains critères et notamment celui de l’origine. Au sein d’une partie de la société, la

mobilisation du « vécu de discriminations » est ainsi perçue comme un prétexte face à l’échec

d’insertion ou pour justifier une non-intégration au sein de la société.

Deuxièmement, une demande d’accompagnement inégalement répartie.

En premier lieu, l’état des lieux laisse apparaître une inégale répartition de la demande

d’accompagnement qui se concentre essentiellement sur les structures spécialisées dans

l’accompagnement des victimes de discriminations, soit, dans le contexte régional, les

correspondant locaux de la Halde et l’ALDA. Les structures généralistes d’aides aux victimes

sont sollicitées dans une moindre mesure.

En second lieu, l’état des lieux a fait émergé un autre enjeu, celui de la demande

d’accompagnement au niveau des jeunes. En fait si ces-derniers sont les cibles privilégiées

des actions de prévention, ils font l’objet de peu d’accompagnements dans la mesure où ils

s’adressent peu aux structures.

Troisièmement, des pratiques d’accompagnement distinctes des victimes de

discriminations.

Les démarches d’accompagnement mises en œuvre varient selon les structures, selon leur

objet social et leur contexte de création.

Les pratiques d’accompagnement diffèrent ainsi sur trois points :

• La personne chargée de l’accompagnement n’occupe pas la même fonction selon

les types de structure. Dans les structures généralistes, l’accompagnement est

réalisé par un juriste alors que dans les structures spécialisées, celui-ci est réalisé

par un correspondant ou une personne non-juriste.

• Lors des rendez-vous avec les victimes, les structures spécialisées mobilisent des

outils plus spécifiques (grilles d’entretiens, etc.) pour qualifier les faits.

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• Le degré d’implication des structures dans la constitution du dossier et de la

recherche de la preuve varie également. Tandis que les structures généralistes s’en

tiennent à leur rôle d’information et n’interviennent pas directement dans la

constitution du dossier, des structures plus militantes comme l’ALDA font le choix

d’avoir un rôle d’investigation actif.

Enfin, l’accompagnement ou le traitement des victimes de discriminations donne

lieu à une prise en charge individuelle et morcelée.

Morcelé car l’accompagnement consiste, la plupart du temps, en un primo-accueil basé sur

l’information. Le relais est ensuite passé à un autre acteur plus spécialisé dans

l’accompagnement-conseil. Les structures n’ont que très peu de retours de la part des victimes

et donc très peu de visibilité sur leur parcours global.

Individuel car il n’y a pas d’accompagnement ni de mobilisation collective de victimes. Au

niveau de l’orientation donnée aux victimes, les structures valorisent en pratique un traitement

individuel des conflits, souvent en dehors de la sphère judiciaire en passant notamment par la

médiation sociale.

2.  1.2    Echanges  et  débat  avec  les  participants  au  sein  de  l’atelier  

Suite à la présentation de l’état des lieux, deux « objets de discussion » ont été proposés aux

participants de l’atelier :

• les difficultés juridiques et l’accompagnement morcelé : il s’agissait d’envisager

les difficultés, notamment juridiques et d’interroger les liens entre les acteurs

pouvant être amenés à intervenir dans le parcours des victimes,

• la question du parcours individuel et individualisé de la victime de

discriminations et de l’absence d’accompagnement ou de mobilisation collective

en direction des victimes.

Les échanges sur ces points et les réactions à la présentation de l’état des lieux ont permis de

faire émerger un certain nombre d’enjeux.

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1er enjeu : La spécificité du statut de victime et la difficulté à se dire « victime de

discriminations »

« Se dire victime de discriminations » ne va pas de soi. De même, entamer une démarche ou

lancer une procédure pour ce délit n’est pas quelque chose d’évident et de neutre pour

l’individu. Ainsi, très peu de personnes viennent voir les structures d’accompagnement en se

disant d’emblée « victimes de discriminations » mais ce délit transparaît à travers des

formulations plus vagues telles que « je ne trouve pas de travail ».

Quatre points pouvant expliquer cette difficulté ont ainsi été évoqués pendant l’atelier :

• Se dire victime de discriminations revient en quelque sorte à accepter le fait

d’être traité différemment en raison d’une caractéristique qui nous est propre et

qui fait partie intégrante de notre identité (l’origine, la couleur de peau, l’âge,

etc). La discrimination étant intimement liée au ressenti et à l’identité, c’est une

infraction particulièrement violente et donc difficile à nommer, à accepter pour

la victime. Celle-ci peut se sentir fortement dévalorisée et complètement

démunie pour agir dans la mesure où les « caractéristiques » reprochées

touchent à son intégrité physique pour partie.

• Par ailleurs, l’existence de critères de discriminations crée un ensemble de

catégories (le Code Pénal en défini 18) qui tendent à figer l’identité des

victimes. En effet, la victime est ainsi renvoyée (voir réduite) à une catégorie

qu’on lui attribue et à laquelle elle ne s’identifie d’ailleurs pas forcément. Les

liens entre le niveau individuel (la victime) et le niveau collectif (sa catégorie)

sont ainsi bien plus complexes qu’il n’y paraît.

• Dans certains cas, la victime tend à intégrer l’injustice qu’elle vit, peut-être

pour en atténuer la violence. Le sentiment d’injustice se heurte au fatalisme et

la discrimination finit par être intégrée et par faire partie du quotidien.

• La notion de victime au sein de la société est fortement connotée. La victime

est souvent associée à un individu passif, dépendant. Aussi, se dire « victime »

de discriminations, se mettre ainsi en avant, en raison d’un critère de

discriminations n’est pas quelque chose de très positif, de valorisant pour

l’individu.

Un travail visant à étudier le comportement des victimes pourrait être un aspect intéressant à

développer au regard des échanges de cet atelier.

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2e enjeu : Une approche juridique des discriminations nécessaire mais pas exclusive

« La » discrimination et « la » victime de discriminations sont des vocables qui ont été pointés

au sien de l’atelier comme relevant d’une approche pénale. Cette approche juridique est

considérée comme nécessaire mais non suffisante.

Plusieurs raisons ont été mises en avant.

• L’approche juridique ne prend en compte que la discrimination directe et laisse

de côté les discriminations indirectes et systémiques.

Se retrouve ainsi gommée la dimension « sociétale » des discriminations26, qui

se trouve de fait limitée à une approche individuelle. Or, souligne une personne

de l’atelier, « chaque système ou organisation produit de la discrimination ».

La discussion met par ailleurs en évidence que les discriminations ne sont pas

propres au secteur privé, même si c’est le secteur qui était au départ le plus

visible et pointé du doigt pour ce délit. Ainsi, le secteur public, bien que fondé

sur le principe républicain d’égalité, n’est pas exempt de phénomènes

discriminatoires. Le statut égalitaire de la fonction publique, par exemple, ne

protège en rien des discriminations.

A ce niveau, il apparaît comme un enjeu primordial d’expertiser les systèmes.

Car « on croit souvent que nos valeurs, nos croyances nous protègent de la

discrimination, or ce n’est pas le cas ». Il y a certes des discriminations

conscientes et intentionnelles mais la plupart des discriminations sont produites

à travers des systèmes et sont parfois totalement inconscientes et non-

intentionnelles. D’où l’importance d’avoir une procédure claire et expertisée.

• Au niveau de l’accompagnement, ce n’est pas parce que l’on ne qualifie pas

juridiquement que l’on ne peut pas accompagner la victime. L’accès au droit

se place au-delà de la reconnaissance juridique et comprend des enjeux bien

plus larges.

                                                                                                               26 La dimension dite « sociétale » des discriminations est évoquée par rapport à la dimension juridique. Il s’agit ainsi de considérer la réalité complexe des discriminations en lien avec les acteurs de la société : d’une part la manière dont les phénomènes discriminatoires sont produits collectivement à travers des systèmes au sein de la société, d’autre part la manière dont ces phénomènes sont perçus et reconnus par les acteurs.

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L’information joue ainsi un rôle central qui permet à la victime de faire son

choix en connaissance de cause et d’être maître de son parcours. Par ailleurs,

l’accompagnement peut représenter une première forme de reconnaissance. En

effet, une structure de l’atelier explique que la victime exprime souvent un fort

besoin de reconnaissance. Aussi, l’accompagnement permet-il dans une

certaine mesure de « libérer la parole » et de faire sentir à la victime qu’elle a

été entendue. Cela permet aussi dans certains cas de faire sortir la victime du

déni, celle-ci se refusant parfois à se considérer comme victime de

discriminations.

• Les professionnels au sein de l’atelier ont également souhaité souligner le rôle

de la médiation sociale par rapport à l’approche pénale. Un acteur explique

alors que « quand on est victime, on veut une réparation ». La médiation peut

ainsi représenter une première intention de régler rapidement le conflit et dans

une certaine mesure permettre à la victime d’être reconnue ou entendue.

3e enjeu : L’importance d’une chaîne d’acteurs intervenant dans le parcours des

victimes de discriminations

La HALDE et l’ALDA sont identifiées comme des professionnels dédiés à la question

des discriminations. De leur côté, les associations sont encore difficiles à mobiliser sur ce

sujet.

La création d’un relais à Hautepierre, spécialisé dans l’accompagnement des victimes de

discriminations, est l’une des seules expériences de coordination/mobilisation collective sur

un quartier pour répondre aux besoins des victimes, lancée par ALDA dans le domaine de la

non-discrimination. Cependant cette expérience n’a pas été poursuivie. Une association

présente au sein de l’atelier témoigne de difficultés particulières dues au niveau hétérogène de

sensibilisation et de spécialisation des différents interlocuteurs des structures (les personnes

n’étaient pas toutes au même niveau en termes de connaissances sur les discriminations)

auxquelles se sont ajoutées des problèmes de financements.

Cette question pose plus globalement l’enjeu de la constitution d’une chaîne d’acteurs ayant

un rôle dans le parcours des victimes. Cette dimension apparaît comme un élément essentiel

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d’un accompagnement optimisé. L’information, la formation et la connaissance mutuelle

doivent permettre d’avoir des acteurs compétents, spécialisés et identifiés sur un territoire

(savoir qui fait quoi, vers qui orienter une victime).

A ce niveau, un débat a plus particulièrement porté sur la question de l’accompagnement

porté en direction des jeunes. En effet, les acteurs de l’atelier ont réagit au constat établi par

l’état des lieux soulignant l’absence des jeunes au sein du système d’accompagnement pour

discriminations. Ils se sont interrogés sur la présence (ou non) d’acteurs qualifiés et

spécialisés susceptibles de prendre en charge ce public spécifique. L’ACSE a souligné la

réalisation de formations en direction des missions locales dans le cadre du programme

ESPERE. Cependant cette démarche de qualification des acteurs de l’emploi a montré

certaines limites dans son essaimage : le Comité national des missions locales (CNML) n’a

pas rendu cette démarche systématique, démarche qui n’a par ailleurs pas fait l’objet d’une

diffusion générale. Un maillon de la chaîne est donc absent…

Enseignements de l’atelier

L’accompagnement ne se limite pas à l’accès « au droit », ni à « la victime » de

discriminations. En cela l’approche juridique de la discrimination, même si elle est nécessaire

n’apparaît pas comme exclusive.

Accompagner les victimes a donc un sens bien plus large et nécessite une prise en charge

globale par un système d’acteurs formés et informés. En effet :

• accompagner c’est d’abord informer les victimes sur leurs droits, leur

permettre d’accéder « aux droits »,

• accompagner c’est ensuite aider les victimes à accéder à une certaine forme

de reconnaissance, qu’elle soit juridique ou qu’elle ne le soit pas. Rendre la

victime comme maître de son parcours, car elle est avant tout « un acteur

citoyen républicain »,

• accompagner c’est enfin relier les acteurs de la chaîne ainsi que les victimes ;

mobiliser pour accéder à une reconnaissance, qui au-delà de l’individuel, soit

davantage sociétale.

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Atelier n°2 : Preuves et traitement judiciaire

Personne ressource : Laura MOUREY, Doctorante en droit pénal, Directrice de DpJ.

Animateur : Dan LIAU, Vice-président de DpJ.

Rapporteur : Camille REITZER, Doctorante en DIP.

Cet atelier avait pour objectif de travailler autour de la problématique de la preuve et

dans la prise en charge des situations discriminatoires. Pour ce faire, les intervenants ont

travaillé autour de différents axes : le rôle des différents acteurs de la chaine pénale, la

consistance de la preuve, les possibilités dont disposent ces différents acteurs pour réunir des

éléments de preuve qui permettront de mener à bien l’action judiciaire. Compte tenu de la

complexité de ces différents axes, l’atelier a été conduit sur un échange entre les intervenants

et les participants sur leurs expériences communes.

Les acteurs de la chaine judiciaire

Dans un premier temps, les intervenants et les participants ont essayé de lister les différentes

personnes susceptibles d’être compétentes dans la prise en charge des situations

discriminatoires. Le domaine de l’emploi a été en premier lieu visé.

Ce fut l’occasion pour les participants de donner un premier retour d’expérience à ce sujet.

Les exemples présentés lors des discussions ont permis de mettre en lumière la multiplicité

des freins existant dans le traitement des discriminations, et ceci que l'on se concentre sur les

discriminations liées au monde du travail ou sur celles rencontrées en dehors du domaine de

l'emploi.

Dans le monde du travail, la peur de la personne discrimination est une difficulté

fréquemment rencontrée. Souvent, les salariés ne vont pas oser agir à l’encontre d’une

discrimination pour plusieurs raisons. Elles peuvent être effrayées par l'aspect public d'une

action en justice, ou par les conséquences qu'une telle action pourrait avoir sur leur possibilité

de retrouver un emploi plus tard. De plus, le coût et la longueur des procédures découragent

souvent les victimes.

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Cette situation illustre l'importance des acteurs de proximité dans la lutte contre les

discriminations, ceux-ci pouvant informer, aider et encourager la personne.

Il existe un grand nombre d'acteurs dans le milieu professionnel, que ceux ci soient internes

ou externes à l'entreprise.

Au sein de l'entreprise, il existe les représentants du personnel et les organisations syndicales

qui ont la possibilité d’agir à l’encontre de comportements discriminatoires. Mais, il faut noter

que cela va dépendre de la sensibilité de l’acteur. Certains acteurs restent encore peu

sensibilisés à cette question et ne souhaitent pas agir. A l’inverse, certains sont très actifs à ce

niveau. Par exemple, la CFDT forme les Conseils des Prud'hommes de Paris avec un outil

d'identification des discriminations.

Ces représentants du personnel sont des acteurs très intéressants dans la lutte contre la

discrimination puisqu'ils peuvent rencontrer des victimes ayant subi des discriminations

particulièrement occultes. Il faut toutefois noter que la situation diffère entre les salariés de

grandes entreprises et ceux de PME, la représentation du personnel n'étant pas obligatoire

dans ces dernières.

Pour les principaux pouvoirs de ces acteurs, ont été évoqués : la possibilité pour les syndicats

d’agir soit par le biais de l'action syndicale soit par le biais d'une action en leur nom propre.

Les délégués du personnel ont un droit d'alerte en matière de droit des personnes vis à vis de

l'employeur, avec la possibilité de saisir le bureau de conciliation des prud'hommes en cas

d'inaction de l'employeur. Ici, on reste dans le cadre d'actions civiles et non pénales.

Mais, il convient aussi de ne pas oublier les employeurs. Certains employeurs oeuvrent aussi

dans ce sens, en créant des structures particulières, comme au niveau de la ville de Nantes qui

a mis en place une structure de lutte contre le stress au travail avec des permanences de

psychologues et de médecins du travail. Cela permet de mettre à jour une soixantaine de

problèmes de discrimination par an. D'autres entreprises, comme ADECCO, mettent en place

des comités d'éthique permettant un traitement interne des situations de discriminations. La

HALDE aussi a un comité d'éthique interne. Ces instruments permettent une quantification en

interne des situations de discriminations dans le milieu professionnel. Ici, se sont des

institutions créées exprès pour la lutte contre la discrimination. Un autre acteur interne aux

entreprises peut être le directeur des ressources humaines, à la condition qu'il soit formé et

sensibilisé à la lutte contre le discrimination.

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A côté de ces acteurs internes, les salariés peuvent chercher de l'aide auprès de structures

externes à leur lieu de travail. Ils peuvent avoir accès aux acteurs de ce qu'il est permis

d'appeler le service public de l'emploi. Ils peuvent bénéficier de l'aide des pôles emploi, des

missions locales ou des inspecteurs du travail. D'ailleurs, l'inspecteur du travail est un

partenaire à privilégier. Il est rarement saisi de ce type de situations, pourtant il est reste un

acteur de proximité utile dans la mesure où il peut entrer dans les entreprises pour avoir accès

aux preuves des situations discriminatoires. Il aura, de plus, la possibilité de saisir le

procureur de la république au terme de son enquête s'il l'estime nécessaire.

En dehors de ce service public de l'emploi, existe toute une série de structures et

d'associations qui œuvrent dans la lutte contre la discrimination. Les plus connues sont, au

niveau national, la HALDE, au niveau local, les maisons de la justice et du droit de

CRONENBOURG et MULHOUSE, l'ASTU, ACCOR etc. Ces structures ont des

permanences permettant aux personnes se sentant victimes de discrimination d'avoir un

accompagnement dans leur démarche.

Nous pouvons faire deux constats. Le premier peut être que s'il existe finalement, au niveau

de l'emploi, plusieurs acteurs potentiels susceptible d’intervenir dans le traitement des

discriminations, la pratique permet de constater que les salariés ne sont pas tous

suffisamment informés de leurs existences.

Dans les grandes entreprises, bien structurées, les salariés savent en général vers qui se diriger

lorsqu'ils sont confrontés à des situations de discrimination, que ce soit vers des acteurs

internes à leur entreprise ou vers le service public de l'emploi.

Au contraire, dans les PME, les salariés ne bénéficient pas de représentation du personnel et

ne connaissent pas les acteurs externes. Il existe donc une réelle nécessité d'informer les

salariés sur les partenaires vers lesquels ils peuvent se tourner en cas de besoin.

Le deuxième constat peut être que de cette multiplicité d'acteurs potentiels découlent

plusieurs problématiques. Ainsi, si les structures destinées précisément à la lutte contre la

discrimination sont formées en la matière, ceux qui ont un champ d'action plus large ne

disposent pas forcément des compétences nécessaires. Il y a donc une nécessité de formation

des différents acteurs. Il existe aussi parfois des résistances à la formation. Par exemple,

certains délégués syndicaux ne vont pas estimer nécessaire de se former.

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Dans le même sens, les conseillers prud'homaux ne qualifient pas toujours les comportements

discriminatoires comme tels en raison de lacune dans leur formation. Certains licenciements

discriminatoires peuvent être qualifiés de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ces

décisions sont donc cassées en appel et surtout ne permettent pas une réelle quantification des

situations de discrimination dans le monde professionnel puisque les comportements

discriminatoires ne sont pas qualifiés comme tels. Il arrive parfois même que les acteurs

spécialisés dans la lutte contre les discriminations discriminent certains de leurs salariés.

Une autre difficulté sera celle de la coordination des actions des uns et des autres.

La pratique montre souvent la multitude de partenaires accompagnant les victimes de

discrimination et l'inertie qu'elle entraine. Il convient donc de bien respecter les compétences

de chacun. Il faut cibler l'acteur le plus compétent en fonction de la question précise qui a

été posée. Il faut ensuite qu'il accepte de prendre l'affaire en charge, qu'il soit informé et qu'il

maitrise les questions de discrimination. Ainsi, souvent l'avocat sera le plus compétent pour

l'aspect juridique du traitement de la discrimination.

Les autres acteurs pourront agir en amont, notamment pour entendre la souffrance de la

victime. Pour éviter de s'éparpiller, il faut donc une meilleure coordination du travail de

chacun selon ses compétences et sa légitimité.

Certains acteurs peuvent s'effacer au profit d'un autre. Ainsi, l'intervention de la HALDE ne

sera pas systématique. Si l'affaire est suffisamment avancée ou qu'elle est entre les mains d'un

avocat ou d'une association spécialisée en matière de discrimination, la HALDE

n'interviendra pas.

Ainsi, dans le cadre de l'emploi, il faut une meilleure information des salariées quant aux

structures qui peuvent les aider dans leur démarche, une meilleure formation de ces structures

ainsi que l’instauration d’une véritable coordination entre celles ci.

Les compétences juridictionnelles

Le domaine de l’emploi relève, au civil, de la compétence du conseil des prud'hommes qui

peut condamner le discriminant au paiement de dommages et intérêts réparant le préjudice

subi, avec une appréciation difficile du montant de ce préjudice. Il peut aussi imposer la

réintégration du salarié s'il le désire lorsque le salarié a été victime d'un licenciement

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discriminatoire. Il peut aussi prononcer la nullité de tous les actes discriminatoires de

l'employeur.

Au niveau pénal, le discriminant risque une peine d’amende, voire une peine

d'emprisonnement, parfois assorties de peines complémentaires.

Dans l’utilisation de cette compétence judiciaire, nous noterons que subsiste toujours une

moins bonne connaissance, par la population, des acteurs de la lutte contre les

discriminations. Cette situation est particulièrement criante quand la discrimination a été

commise en dehors du monde du travail.

Les freins personnels à l'action des victimes de discrimination sont toujours présents et parfois

plus forts dans le domaine de l’emploi. Ici, on entre dans le cadre de la sphère privée de la vie

des individus, les victimes cherchent souvent à protéger leur intimité et craignent les

répercussions éventuelles d'une action en justice. De plus, la longueur des procédures, les

problèmes de preuves découragent les victimes qui ne vont pas jusqu'au bout de leur action.

Il existe toujours une multiplicité de partenaires pouvant intervenir dans le traitement d'une

situation discriminatoire. Certains sont liés au réseau social personnel de la victime de

discrimination. Ainsi, certaines situations se résolvent par l'intervention d'amis ou de proches

qui permettent d'obtenir des preuves ou trouver une solution. Les associations sont aussi un

partenaire important dans ces démarches, même quand elles n'ont pas pour objet de lutter

contre la discrimination. Elles pourront apporter de l'aide à leurs adhérents ainsi qu'aux amis

de leurs adhérents.

D'autres sont extérieurs à ce réseau. A ce sujet, il est important de noter qu’en dehors du cadre

du monde de travail, il existe moins d'acteurs de proximité. Il faudra souvent passer par « le

haut » pour régler les situations, par exemple par les élus ou par les médias. Les élus peuvent

se rendre accessibles et agir dans certains cas individuels pour débloquer les situations

discriminatoires, notamment, par exemple, en cas de problème dans l'obtention d'un logement

social.

Les médias peuvent aussi permettent de trouver une solution aux situations de discrimination.

Ils sont utiles pour impulser une pression et un engagement collectif, mobiliser l'opinion

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publique et c'est cela qui permet de débloquer les situations de discriminations. Il existe tout

de même un risque dans ce recours aux médias. En effet, ceux ci n'interviennent que face à

des situations d'extrême urgence, devant des situations catastrophiques sans intervenir pour

des cas a priori anodins. Ceci banalise les situations de discriminations quotidiennes. Or cette

banalisation est dangereuse et peut mener à des dépressions ou à des suicides des victimes.

A coté de ces acteurs, restent les associations, qui sont les acteurs les plus efficaces en ce

domaine car les mieux formés. L'une des difficultés pour les associations sera l'information

des victimes revendiquées. Elles doivent faire la différence entre le ressenti des individus et la

réalité concrète de la discrimination. Elles prennent en charge la personne dans sa douleur.

Ensuite, vient un travail pédagogique d'explication des procédures et des problèmes de

preuves, avec la nécessité de prendre du recul par rapport au vécu de la victime présumée.

Ainsi, certaines situations seront discriminantes dans les faits, sans l'être aux yeux de la loi.

Par exemple, en matière d'éducation, il n'y aura de discrimination au sens juridique que dans

les cas de refus de scolarisation. Les difficultés d'accès aux grandes écoles, ou aux filières les

plus prestigieuses, que peuvent rencontrer certaines personnes à raison de leur origine, sont

des discriminations du point de vue social et ne sont pas sanctionnées par la loi. Les victimes

de ces discriminations sociales sont entendues par les associations, mais ne sont pas

reconnues comme victimes par la loi.

La loi ne s'intéresse qu'aux refus de scolarisation, notamment pour les familles de gens de

voyage qui se voient refuser l'accès à la scolarisation soit de façon catégorique soit parce

qu’elles se sont vues imposées un certain nombre de conditions d’accès, impossibles à

remplir. Dans ce genre de cas, il est possible d'agir soit de façon gracieuse devant le maire ou

le préfet, soit de façon contentieuse, pour voie de fait, devant le juge administratif.

En sens inverse, en matière de logement, les victimes de discriminations ont souvent intégré

les critères de discrimination en les considérant comme normaux. Il y a souvent un problème

de prise de conscience de la situation discriminatoire dans laquelle elles se trouvent. Il est

communément admis que les propriétaires refusent de louer à des jeunes locataires ou à des

couples avec de jeunes enfants. Ici, des victimes de discriminations ne se rendent pas compte

que cette discrimination est prohibée par la loi. Or, le problème de la discrimination en

matière d'accès au logement est un problème récurrent et la HALDE est saisie de plus de 50

affaires de discrimination dans ce domaine par an.

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Ici, se repose la question de la coordination entre les actions des associations et des avocats ou

de la HALDE, ou encore avec l'ADIL lorsque le litige touche au droit au logement. Souvent

les associations interviennent en amont puis prennent contact avec d'autres acteurs pour le

traitement juridique de la discrimination. Elles vont aussi aider à la récolte des preuves de la

discrimination.

Cette question de la preuve est l’un des questions les plus problématiques dans le traitement

des situations discriminatoires.

La preuve d’un comportement discriminatoire

Le dernier temps de l’atelier portait sur la preuve. Nous avons présenté les différentes

manières de réunir les preuves d’un comportement discriminatoire.

Cette question se pose tout d’abord du point de vue de la victime. Comment la victime peut-

elle réunir certains éléments de preuve ? Le recours à un huissier est une voie à ne pas

négliger avec une limite économique de taille, puisque présente un coût important que les

victimes ne souhaitent pas toujours engager. Les constatations de l’huissier auront un intérêt

particulier dans le domaine des prestations de service, comme le refus d'accès à une boite de

nuit par exemple. Sa force probante n’est pas négligeable même si le constat doit souvent être

complétés par d’autres éléments de preuve.

Un participant s’interroge sur la possibilité de présenter des photos ou à des témoignages. Ces

éléments de preuve sont recevables au pénal sous réserve du respect de certains principes tels

que la dignité de la personne, sa vie privée. Néanmoins, ces modes de preuves ont une force

probatoire moins élevée fonction de l’appréciation du juge.

Ensuite, la victime peut être aidée par des structures externes auxquelles elle peut faire appel.

La HALDE, même si elle ne peut pas se substituer à un huissier, peut aussi faire des

constatations sur place, mais la procédure qu'elle doit suivre la rend moins efficace. En effet,

elle doit prévenir 15 jours à l'avance qu'elle va effectuer un contrôle et elle doit avoir obtenu

l'accord des personnes contrôlées.

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Dans certains cas, des associations ou des journalistes peuvent aussi faire des actions de

testing pour récolter des preuves de comportement discriminatoire.

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Atelier n°3 : La victime, du sentiment à la reconnaissance  Animateur : Fabrice DHUME, sociologue responsable d’ISCRA-EST

Personne ressource : Olivier NOEL, sociologue à l’ISCRA

Rapporteur : Nabila ZEKRI, Droit pour la Justice

Dès le départ, le sujet soulève plusieurs questions :

- Quel statut doit-on accorder à la victime ?

- Qui faut-il reconnaître comme victime ?

- De quoi parle-t-on ?

- Quelles sont les procédures, les droits offerts à la victime ?

Autour de ce questionnement sur la victime, il ne faut pas oublier que l'on est confronté à des

rapports sociaux entre le potentiel discriminateur (coupable) et le potentiel discriminé

(victime). Et autour de cette reconnaissance de la victime il y a plusieurs niveaux. La notion

de victime est à cheval entre la psychologie et le droit. Chacune de ces disciplines n'en a pas

le même usage.

Nous commençons à nous interroger sur les raisons qui ont conduit les participants à

choisir cet atelier.

Pour bon nombre d'entre eux, cet atelier les a intéressé, car il se penche sur un aspect nouveau

du problème : les sentiments, les perceptions sensibles et les effets psycho-sociaux de la

discrimination sur les victimes de discrimination. Une des participantes, travaillant dans le

secteur de la petite enfance, explique que, selon elle, la jeunesse est une partie de la

population qui se sent souvent discriminée par l'éducation nationale, la police etc. Cette

impression qu'ont certains jeunes d’être discriminés, qu'en fait-on ?

Une autre participante s'est inscrite à l'atelier, car sa sœur a été confrontée à des problèmes de

discrimination dans le cadre de son travail, suite à des soucis de santé. Il y a, à ce niveau là, la

notion de droit qui se dégage par rapport à celle d’entreprise. Le bien-être de l'entreprise est-il

supérieur à celui de la personne ? Comment une personne doit être soutenue face à des

situations extrêmes ?

Une autre participante déclare que dans son travail a été mis en place une permanence

d'écoute contre la discrimination. L’approche des discriminations par l’angle de la victime l’a

vivement intéressée.

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Un participant travaille dans la mise en œuvre du plan de lutte contre discrimination sur la

communauté de Forbach. Il collabore étroitement depuis un an avec l'ORIV. Il s’interroge sur

la différence existante entre le statut de victime et le fait d’être discriminé. A quel moment se

situe la frontière entre la psychologique du sentiment d’être discriminé et la qualification

juridique de la discrimination par le droit ?

Une autre participante s’occupe d’accompagner les entreprises et organisations en matière de

politiques d'égalité de traitement et d’égalité des chances. Elle essaye de convaincre les

entreprises de signer la charte de la diversité. Elle attend de cet atelier de connaître d’autres

expériences sur ce sujet.

Une participante, travaillant pour Migration santé Alsace souligne qu’il est important dans le

cadre de la santé de travailler sur le processus de reconnaissance des discriminations.

Une autre personne qui a en charge notamment la question du harcèlement scolaire, pense

qu'il faut s'intéresser à la santé au travail et à la souffrance au travail. La victime est au cœur

de l'atelier c'est la raison pour laquelle elle l'a choisi.

L'une des participantes explique que son choix d'atelier a été motivé par ses fonctions

antérieures. Elle travaillait, en effet, dans les quartiers sensibles et était fréquemment amenée

à rencontrer des personnes se considérant comme victimes de discrimination.

L'un des participants souligne les problèmes subis par certaines jeunes filles qui portent le

foulard et qui sont souvent victimes de discrimination. L'aspect religieux est extrêmement

discriminatoire, notamment pour ces jeunes filles, qui sont pour une bonne partie d'entre elles,

diplômées dans leur pays. Il rappelle à ce sujet, qu’au Royaume Unis, la situation est

sensiblement différente puisque le port du foulard ne pose aucun problème. Il considère qu’il

y a, à l’heure actuelle, un acharnement médiatique sur l'Islam. Ainsi, quand ces personnes

arrivent en France, elles se retrouvent en situation de discrimination de part leur confession,

sans en comprendre véritablement les raisons profondes. Le participant aimerait instaurer un

espace d'écoute.

Une participante, travaillant dans une banque, aimerait comprendre pourquoi les personnes

peuvent se sentir discriminées, stigmatisées, alors que dans certaines situations, elles ne

subissent en réalité aucune agression. D'où vient cet a priori qu'elles vont être discriminées ?

Le débat commence.

Une personne travaillant dans une banque donne pour exemple le cas d'une cliente à elle,

d'origine turque. Récemment, la banquière a été destinataire d’une lettre incendiaire, dans

laquelle sa cliente se plaignait de son comportement méprisant, qu’elle considérait dû à son

origine. La personne travaillant dans une banque explique son incompréhension, d’autant plus

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qu’elle considère ne s’être à aucun moment donné montrée condescendante à son égard.

Comment se fait-il que cette personne ait perçu un tel sentiment ? Est ce dû a son éducation ?

Aux médias ? Comment faut-il l'accueillir la prochaine fois ? Manifestement, on est face à un

rapport social difficile, voire conflictuel qui mêle préjugés et attitudes. Or la personne

travaillant dans une banque considère que les personnes d’origine étrangère ont des préjugés.

Ils partent du principe : « je suis étranger, on ne m'acceptera pas ». Concernant les turcs, ils

restent encore très centrés sur la communauté (dixit). Ainsi, parmi les anciennes générations

venues en France, beaucoup d’entre eux ne parlent encore que le turc. Selon elle, l'ouverture

se fait avec les nouvelles générations.

Un autre participant intervient à ce propos. Selon lui, le stress est une réaction humaine tout

comme la discrimination. Le stress est embêtant quand il est généralisé, c'est le cas lorsque

l'on stresse pour rien. On peut, donc, mettre en analogie le stress et la discrimination. La

discrimination proviendrait d'une frustration. Dans la vie, nous avons tous des besoins et

attendons, par conséquent, quelque chose de l'autre. En ne l’obtenant pas, nait alors un

sentiment de frustration. Tout un chacun porte en lui sa civilisation, donc nous avons

nécessairement une approche différente des situations.

Fabrice DHUME propose alors un nouveau questionnement : « Quel est le lien entre ce

sentiment et les expériences éventuelles de discrimination ? ». Il y a des expériences

concrètes de la discrimination, mais il y a aussi, parallèlement, des idéologies qui essayent de

convaincre le discriminé qu’il est le responsable de cette situation. L'effet se traduit alors par

l’effacement du ressentiment.

Pour certains, le « communautarisme » peut susciter un sentiment de méfiance et à cela

s'ajoutent des situations de rejet personnel qui vont alimenter cette situation. L'Alsace est une

région à forte identité et quand on vit dans un village alsacien, un sentiment d’appartenance à

la France de « l'intérieur » se crée. Une distance s’instaure alors entre les alsaciens de souche

et ceux qui ne le sont pas.

L'un des participant revient sur le mal être de la communauté musulmane en France. Il

explique qu’à Mulhouse, des femmes musulmanes demandent depuis longtemps un créneau

d’accès à la piscine, réservé aux femmes. On leur refuse. Il constate que malgré l'intégration

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de certains, qui changent de nom pour le franciser, la discrimination demeure. A son sens,

cette communauté vit quelque chose de difficile.

Pour certains participants le problème viendrait aussi de l'autre. Il explique alors que

quand« on leur ouvre une porte, ils la claquent ». Or, la confiance doit être réciproque.

Une participante souligne le fait que la discrimination ne doit pas être entendue uniquement

en rapport avec l'origine ou avec la religion. Selon elle, tout le monde appartient à une

communauté. La discrimination va toucher tous les français. Le public discriminée est donc

large d'où la difficulté de la définir réellement. Elle ne concerne pas seulement les personnes

d'origine étrangère. Elle touche aussi de manière prépondérante les femmes.

Un participant demande alors : « Pourquoi parle t-on tant des musulmans ? Des gens du

Maghreb, de la Turquie ? Alors qu'il y a d'autres critères de discrimination. Est-ce la

politique qui nous conduit à cela? »

Olivier Noël donne un exemple pour illustrer les enjeux de ce rapport social. En 2005, au

moment de la recrudescence des violences urbaines, il s’est retrouvé en Ile-de-France face à

de grands hommes noirs. Ces derniers l’ayant arrêté, à la sortie d’un bus, lui ont alors

demandé de façon assez agressive : « Qu'est ce que tu fais là le blanc ? » Il explique qu'il est

important d’avoir conscience de ce que l’on représente. Dans cette situation, il explique

avoir eu conscience qu’il représentait malgré-lui la figure du majoritaire (au sens que lui

donne les sociologues de l’école de Chicago), c’est-à-dire celui qui habituellement

discrimine. Dans ce cas il représentait le majoritaire, le dominant, c’est à dire un homme

d’une quarantaine d’année, blanc, de type caucasien, avec une aisance matérielle apparente.

La question qu’il convient alors de se poser est : « Comment re-construire des rapports

sociaux de type égalitaire ? ».

Une participante estime qu'il est nécessaire de travailler sur la déconstruction des préjugés. Le

vecteur de la discrimination se situe à tous les niveaux de la société. Il faut travailler surtout

dans les milieux où il convient d’être exemplaire comme l'éducation nationale ou les

administrations. Dans les hôpitaux, auprès des bailleurs sociaux, on peut aussi être discriminé.

Elle note, à ce sujet, qu’à la Maison de l'Emploi, entre 20 et 30 personnes se sont dites

discriminées. Il a donc fallu travailler en interne auprès de la Maison de l'Emploi car certains

professionnels discriminaient sans le savoir. En proposant certains types d'emploi à des

personnes précises et en ne transmettant pas leur CV à des entreprises en pensant qu'elles

avaient très peu de chance d’obtenir le poste, les professionnels coproduisaient ainsi la

discrimination.

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Concernant les lieux d'écoute, il y a peu d'endroits où le salarié peut parler à quelqu'un. Y a t

il un espace où parler de sa souffrance au travail ? Dans le secteur de la petite enfance il y a

souvent des analyses des pratiques professionnelles où il est possible de parler de ce qui s'est

passé dans son travail. Il ne faut pas s'enfermer les uns et les autres dans des stéréotypes. Il

faut, au contraire, travailler sur nous-mêmes.

Un participant déclare que l'on ne se concentre que sur le sentiment or il est aussi nécessaire

d’aborder le sujet de la victime.

Fabrice DHUME cite alors à ce sujet la théorie interactionniste du sociologue américain,

Erving GOFFMAN. La « victimisation » est avant tout un statut attribué par le dominant. Le

fait d’accorder ou non à quelqu'un le statut de victime. Cela passe par une reconnaissance

préalable du préjudice et donc, il y nécessairement dans cette démarche une dimension

politique. Les institutions vont alternativement reconnaitre les personnes comme victimes et

considérer qu’elles se « victimisent », c'est a dire les personnes qui s'attribuent abusivement

ce statut de victime.

Un autre point est soulevé dans la salle. Il porte sur la discrimination à l'emploi. Un

participant souligne que beaucoup de comportements discriminatoires sont acceptés. Il en va

ainsi pour ceux touchant les jeunes ou les personnes les plus âgées. Or, il faut une égalité de

traitement. Il faut donc faire en sorte que l'environnement générateur de discrimination soit

réduit au minimum.

En guise de conclusion « résolument optimiste », Olivier Noël, faisant référence à la mise

en œuvre d’ateliers coopératifs notamment en direction de jeunes de quartiers

populaires, souligne que le fait de former des personnes à la lutte contre les

discriminations aboutit souvent à des projets très concrets. Ainsi, quand on travaille avec

des jeunes autour de situations qui les concernent, ils y trouvent un intérêt particulier. Cela

fait naitre parfois des projets très intéressants et très mobilisateurs. Du coup, la démarche

s’inverse. On passe alors du « faut faire avec » qui traduit une forme de fatalisme face à la

réalité des discriminations au « il faut faire face » où les jeunes devient des acteurs des luttes

pour l’égalité et la lutte contre les discriminations.

Une participante cite un exemple d'initiative de jeunes élèves à Paris qui se sont mobilisés

lorsque des camarades à eux se sont faits expulser. Quand cela concerne une personne proche,

il y a une forte mobilisation des jeunes. Ce qui est un signe d'espérance démontrant que face à

une situation concrète et réelle, subsiste la solidarité.

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Synthèse des ateliers

Eric PELISSON Ancien directeur de l'action territoriale de la Halde

Il m'a été demandé de synthétiser les ateliers de l'après-midi, charge d'autant plus difficile que

je n'ai pu matériellement assister à la totalité de chacun d'eux. Je remercie donc pour

commencer les personnes qui m'ont assisté dans la prise de notes des débats.

Trois ateliers vous ont été proposés, il s'agissait de:

Atelier n°1 : Pratiques d’accompagnement et accès aux droits des victimes de discrimination

Atelier n°2 : Preuves et traitement judiciaire

Atelier n°3 : La victime, du sentiment à la reconnaissance

L'atelier n°1, animé par l’ORIV, a porté sur l'accès aux droits et sur les pratiques

d’accompagnement des victimes de discriminations.

1er enjeu : La spécificité du statut de victime et la difficulté à se dire « victime de

discriminations »

La reconnaissance juridique du délit de discrimination est particulièrement difficile à

obtenir, comparée à d’autres types d’infractions. Je note au passage que cette difficulté à

obtenir une reconnaissance de la part de la justice a des conséquences sur le statut de victime

que nous verrons en abordant l'atelier n°3. La situation des victimes de discrimination est

proche de ce que l'on connaissait il y a une dizaine d'années s'agissant des femmes victimes de

violences. Un travail d'accompagnement de la prise de conscience collective, non seulement à

destination du public potentiellement victime ou potentiellement auteur, mais aussi de la

population dans son ensemble, a permis de mettre en évidence la réalité de la violence, sa

gravité, son caractère répréhensible et les voies de recours pour défendre ses droits. Aussi ne

convient-il sans doute pas de singulariser la lutte contre les discriminations mais de considérer

sa jeunesse: un corpus jurisprudentiel est en cours de constitution, tandis qu'une prise de

conscience se construit dans l'opinion publique.

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2e enjeu : Une approche juridique des discriminations nécessaire mais pas exclusive

L’accompagnement ne se limite pas à l’accès « au droit », ni à « la victime » de

discriminations. L’approche juridique de la discrimination, notamment pénale, est nécessaire

mais pas exclusive. Les participants ont souligné l'importance de la médiation sociale.

J'ajouterai un enseignement anglo-saxon: l'importance du contentieux civil, qui recherche une

indemnisation du préjudice et non la condamnation d'un coupable, se traduit par plus de 130

000 affaires jugées chaque année en Grande-Bretagne, principalement en matière d'inégalité

salariale hommes-femmes.

Par ailleurs, l’approche juridique ne prend en compte que la discrimination directe et

laisse de côté les discriminations indirectes et systémiques. C'est un enjeu d'avenir pour lequel

nous n'avons pas encore d'outils opérants.

3e enjeu : L’importance d’une chaîne d’acteurs intervenant dans le parcours des victimes de

discriminations

Accompagner les victimes suppose une prise en charge globale par un système

d’acteurs formés et informés. En effet, accompagner signifie d’abord informer les victimes

sur leurs droits, ensuite aider les victimes à accéder à une certaine forme de reconnaissance,

enfin relier les acteurs de la chaîne ainsi que les victimes ; accéder à une reconnaissance

individuelle mais aussi sociétale.

L'inégale répartition, entre structures et entre publics, de la demande

d'accompagnement, la diversité des pratiques d'accompagnement, le morcellement du

traitement des victimes de discriminations posent en effet la question de l'articulation entre les

structures sur un territoire pour donner une cohérence et une efficacité à la réponse

institutionnelle. Les acteurs compétents doivent pouvoir constituer un réseau maillé sur un

territoire : savoir qui fait quoi, vers qui orienter une victime. Il est clair que la victime

présumée doit pouvoir s'adresser à l'association ou au syndicat de son choix, et mettre en

branle le mécanisme de son choix (écoute, justice ou médiation). L'orientation de la victime

doit par conséquent, sans instrumentaliser sa plainte, lui permettre une première approche de

caractérisation des faits et un aperçu du panorama des acteurs capables de l'accompagner dans

la démarche qu'elle a choisie.

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Animé par Droit pour la justice, l'atelier n°2 portait sur la preuve et le traitement judiciaire

Premier enjeu: mobiliser la chaîne des acteurs au sein de l'entreprise

Evoquant tout d'abord les acteurs de la chaîne du traitement des discriminations au

sein de l'entreprise, l'atelier a évoqué la nécessité d'une sensibilité des représentants du

personnel à la question des discriminations, délégués du personnel, déléguées syndicaux,

comité d'entreprise et CHSCT. L'atelier a aussi noté l'importance de l'engagement de

l'employeur lui-même, qui, dans un certain nombre de cas, a mis en place volontairement un

lieu d'accueil des personnels victimes.

J'ajouterai deux freins à ce qui a été dit dans l'atelier, le premier est lié au fait qu'une

part importante des entreprises assujetties à avoir des représentants du personnel n'en a pas

faute de volontaires, le second au fait que dans une part non moins importante des entreprises

les représentants du personnel ont une conception de leur rôle limité aux œuvres sociales

telles que le sapin de Noël.

Second enjeu: mobiliser les acteurs externes à l'entreprise

L'atelier a ensuite cité l'inspection du travail, qui aujourd'hui est principalement

mobilisée sur les accidents du travail et assez peu sur la question des discriminations. Ensuite,

l'atelier a fait référence au rôle incontournable de l'avocat, qui dispose du monopole en

matière de conseil et de défense de la victime devant la justice. Il a souligné l'importance du

constat d'huissier pour rapporter une preuve.

S'agissant de la Halde, il est important de rappeler qu'elle n'entre pas en concurrence

avec les autres structures : la lutte contre les discriminations est, pour paraphraser une citation

célèbre, une affaire bien trop sérieuse pour la laisser aux spécialistes, elle justifie au contraire

la mobilisation de tous.

L'atelier a cité ensuite le recours au conseil de prud'hommes d'une part, au juge pénal

d'autre part. Il aurait également pu citer selon le cas le tribunal des affaires de sécurité sociale,

le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance, la Halde orientant des affaires vers

l'ensemble de ces juridictions selon leurs spécificités.

L'atelier a cité pour finir les médias et les associations comme levier de lutte contre les

discriminations.

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Troisième enjeu: l'importance de mobiliser également les acteurs des discriminations en

dehors du monde du travail

L'atelier a visé ensuite les situations de discrimination en dehors du monde du travail:

l'école, le logement (avec le rôle particulier que peuvent jouer les ADIL),

Pour conclure sur cet atelier, je voudrais pour ma part souligner le fait que les victimes

ayant un haut niveau de qualification professionnelle sont bien plus à l'aise pour défendre leur

cas que les victimes peu ou pas qualifiées. En effet, outre leur connaissance générale de leurs

droits, du rôle des institutions ou leur capacité à identifier l'acteur compétent pour leur affaire,

les victimes cadres ont l'habitude d'exprimer et soutenir un point de vue à l'écrit comme à

l'oral, donc à monter un dossier accumulant faits et preuves à mesure du temps, ont l'habitude

du raisonnement sinon juridique du moins argumenté, et ont surtout la fréquentation des

réseaux professionnels et informels, ressources particulièrement utiles dans le traitement de ce

genre d'affaire. L'enjeu d'avenir sera donc de pouvoir tout aussi bien aider les victimes peu ou

pas qualifiées dans leurs affaires, alors même qu'elles n'ont ni la connaissance, ni la capacité à

se défendre aisément.

Animé par l'ISCRA, l'atelier n°3 a porté sur la victime, du sentiment à la reconnaissance

Premier enjeu : la reconnaissance du statut de victime est attribuée par le « dominant »

Fabrice Dhume a introduit le sujet en posant les questions du statut de la victime, de la

reconnaissance, des droits offerts à la victime... La notion de victime est à cheval entre la

psychologie et le droit. Autour de ce questionnement sur la victime, il ne faut pas oublier que

l'on est confronté à des rapports sociaux entre le potentiel discriminateur (coupable) et le

potentiel discriminé (victime).

La « victimisation » est avant tout un statut attribué par le dominant. Le fait d’accorder

ou non à quelqu'un le statut de victime ou de le lui refuser émane du pouvoir politique.

L'opinion publique joue également un rôle, ainsi beaucoup de comportements discriminatoires

sont acceptés, il en va de ceux touchant les jeunes ou les personnes âgées.

Deuxième enjeu: être clair sur les notions

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La relation entre discrimination, ressenti de discrimination et projection de nos propres

stéréotypes est délicate dans l'accueil de la victime. Nous n'avons pas encore non plus

totalement réglé nos confusions entre discrimination, assignation à un statut culturel,

intégration, suspicion de communautarisme...

Troisième enjeu : reconstruire des rapports sociaux égalitaires passe par des actions

concrètes

Comment peut-on reconstruire des rapports sociaux égalitaires quand on est d'abord

perçu au travers de notre apparence physique et sociale? Il est nécessaire de travailler sur les

identités.

Les institutions chargées des valeurs du service public doivent être exemplaires, c'est

hélas souvent loin d'être le cas, alors même que l'on pense d'abord entreprise quand on pense

discrimination. Il est essentiel que ces institutions puissent donner confiance.

L'exemple de mise en œuvre d’ateliers coopératifs notamment en direction de jeunes

de quartiers populaires, souligne que le fait de former des personnes à la lutte contre les

discriminations aboutit souvent à des projets très concrets.