Jésus ou le désir amoureux

Jésusouledésiramoureux

Dumêmeauteur

Les nouveaux disciples. Voyage à travers les communautéscharismatiques,Centurion,1978.Dieuetlesfemmes,Centurion/Cerf,1982.Lesfemmesdansl’Église,Centurion/Cerf,1984.Un évêque français,MgrLeBourgeois (en collaboration avecJ.-P.Chartier),DescléedeBrouwer,1986.Lesnouveauxdisciplesdixansaprès,Centurion,1987.Révolution tranquille chez les catholiques. Les synodesdiocésains,Bayard,1989.Lescharismatiques,Cerf,1991,coll.«Bref».Entre Nouvel Âge et christianisme. Dix témoins racontent,DescléedeBrouwer,1994.FemmesHommes,unenouvellealliance,Mame/Plon,1994.La foi qui guérit. Quinze témoins racontent, Desclée deBrouwer,1996.De Mai 1968 aux JMJ 1997. Trente années vues par unejournalistecatholique,DescléedeBrouwer,1998.Prièresglanées(avecEdmondVandermeersch),Fidélité,2002.Lesnouveauxconvertis.Enquêtesurcesadultesquidemandentlebaptême,PressesdelaRenaissance,2003.Parolesd’unmoineenchemin.Jean-PierreLongeat,entretiensavecMoniqueHébrard,AlbinMichel,2005.Avortement.Laparoleconfisquée,DescléedeBrouwer,2006.Prêtres. Enquête sur le clergé d’aujourd’hui, Buchet Chastel,2008.

Participationàdesouvragescollectifs

Dictionnairedespiritualité,Beauchesne,1993.Guérir l’âme et le corps. Au-delà des médecines habituelles

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Pourquejaillisselasourced’eauvive,ilfautexposersavieàlaVérité,àlalumière.Jésusledira:«CeluiquifaitlaVéritévient à la Lumière. » Il dira aussi: « Je suis la Vérité. »S’exposeràJésus.AccepteruneAllianceavecJésus.

Ilfauttoutdemêmeêtredéjàdansundialoguedeconfianceetd’amourtrèsprofondspourdireainsiàl’autresavérité,avecdouceuretfermeté,sansl’accuser,sansleblesser,avecledésirdeledésembourberdesonmarécage,del’aideràémergerdecequiluifaitmal.

Alors la Samaritaine craque ; elle a compris : « Tu es unprophète!»

Cetteintuitionfaitbasculerl’échangedansunregistreplusprofond encore, théologique, spirituel.Où convient-il d’adorerDieu,demande la femmedont lepeuple adorede fauxdieux :surnotremontagne,lemontGarizim,ouàJérusalem?Échodequerellesthéologiques.Jésuslesdépasseetréponddansl’ordredel’Esprit,delavieéternelle,delaVéritéquidépassetousleslieuxettouslescultes.«Crois-moi,femme,l’heurevientoùcen’estnisurcettemontagneniàJérusalemquevousadorerezlePère.»Certes,lesalutvientdesjuifs,maisl’heurevient«oùlesvraisadorateursadorerontlePèreenespritetenvérité».Lelieude la communion avecDieu n’est ni tel temple ni telle églisemais Jésus, qui est là devant cette femme et qui est le Prêtre,l’«autelduPère».Plusbesoindetemplesdepierre.Jésusouvreletempsd’uncœuràcœurentouslieux.

Mais cette raisonneuse questionne encore, comme pourretarderl’aboutissementetlesconséquencesdecetterencontre,tellementdésiréeet tellement redoutée.« Je saisqu’unMessiedoitvenir,celuiqu’onappelleChrist.Lorsqu’ilviendrailnousannonceratouteschoses.»

A-t-elleeuuneintuition?En entrant dans cette relation profonde, la Samaritaine et

Jésus sont entrés en vulnérabilité, car toute relation rendvulnérable. Et Jésus, lui aussi, est amené à dire la véritéprofondedecequ’ilest:«Jelesuis,moiquiteparle.»

Forcedu«Jesuis»,commeYHVHàMoïseauSinaï.C’estparcequ’ilssonttouslesdeuxassoiffésetqu’ilssont

entrésdans le registrede lavéritéque Jésusva sedire commesans doute jamais il ne s’est dit à quelqu’un ; il livre le plusprofonddelui-mêmecommecelanesepassequ’entredeuxêtressaisisparundésird’amour.

Engendrement mutuel à la vérité de chacun. L’eau peutmaintenantjailliretcoulerlibrement.

Laquestionn’estpluscelledesasoifnidesesétatsd’âme:la Samaritaine a rencontré le Messie et il n’y a rien de plusimportant que d’aller le raconter à ceux qu’elle connaît. Ellelaisseenplansacruche,commelesdisciples leurbarque,plusradicalement encore peut-être, car elle est amoureuse. Ettellement convaincante que beaucoup de Samaritains crurent àcaused’elle.

Elle est partie. Se reverront-ils ? L’histoire ne le dit pas.Mais cette brève rencontre a sans doute définitivement changéleurvie,àl’unetàl’autre,carilssesontmutuellementreconnusetmutuellementrévélés.Ilssesontcomprisàl’intime.N’ya-t-ilpasuneparentéspirituelleentrele«disciplequeJésusaimait»,Jean,etlaSamaritaine?

Jésusaétéprofondémenttouchéparcechocdedeuxâmes,qui l’a poussé à se livrer dans saRéalité, comme seul peut lesusciterl’éland’undésirreçudansuneécouteamou-reuse.

Quand il se retrouve avec les disciples qui apportent lepique-nique, Jésus n’a même plus faim. « Mange », luidisentils;etilrépond:«J’aiàmangerunalimentquevousneconnaissezpas…Manourritureestdefairelavolontédeceluiquim’aenvoyé…»

Lagrâcedelarencontrehumaineavecunefemmel’aprojetédefaçonplusviveetbrûlantedanslaréalitédesaParoleetdesaMission.

Pendant ce temps, beaucoup de Samaritains accoururentpourvoir celui qui avait ludans laviede la femmeet « ils leprièrentdedemeurerparmieux».Lemot«demeurer»estunmot phare de l’évangile de Jean. Touché, Jésus demeura deuxjours chez eux, dans cette terre schismatique, et beau-coupcrurentqu’ilétaitlesauveurdumonde.

Grâceàlarencontreaveccettefemme,lamissiondeJésusafait un pas de plus: laBonneNouvelle n’est pas réservée auxjuifsfidèles,elles’adresseàtouslespeuples,aumondeentier.

1.Jn4.2.CettehistoiredemarisdépasselecasdelaseuleSamaritaine.En effet, en hébreu, lemotbaal signifie lemarimais aussi le«fauxdieu».LedramedecettefemmeadultèreestdoncaussiceluidetoutelaSamariequivouaitunculteauxfauxdieuxdecinq tribus étrangères (2e livre des Rois 17,24-41). Mêmesymboliqueentrelafemmequi«n’apasdemari»etlaSamarie,quin’enn’apasnonpluspuisqu’ellen’estpasenallianceavecleseulÉpoux,YHVH.3.Le«dondeDieu»,commel’«eauvive»désignelaTorahoulaParoledeDieu.


EtJésusluiditcettephrasemerveilleuse:«Queveux-tuqueje fasse pour toi ? » L’amour de Jésus est d’une infiniedélicatesse:ilnes’imposepas,ilsemetàladisposition,iln’estpasréponseautomatique,ilestinvitationàentrerenrelation.Tum’asappelé,dis-m’endavantage:qu’attends-tudemoi?Jésusasoif d’une relation vraie : si j’attends quelque chose de lui, ilfautquejeleluidise,etilm’écoutera.Ilvoitbiennosmauxetnoshandicaps,ilsaitbiencequinousfaitsouffrir,maisilveutcetéchangequivaétablirunerelation.Etpuisladélicatessedel’amourn’imposerien,necourt-circuitepaslalibertédel’autre,mêmepourlui«fairedubien».

Laréponsedel’aveugleestnetteetspontanée:«Rabbouni,que je recouvre lavue !» Ilveutvraimentêtreguéri, celui-là !TantdefoisnousprionspourentrerenrelationavecleChristetnous ne voulons pas vraiment être guéris ; cela a un côtéconfortable, lamaladie, la blessure ! Nous sommes attachés ànos chaînes, à nos prisons, à nos ego. Lui, il a tout de suitebondi et rejeté ce qui recouvrait sa misère, il veut voir. VoirJésus.IlestprêtàprendrelerisquedelaLumièreetdel’Amour.

Jésusesttouchéetl’aveugleaussipuisqu’ilsemetàsuivreJésus sur ce rude chemin écrasé de chaleur qui monte versJérusalem.

1.Mc10,46-52.

7

LesfemmesquisuiventJésus1

Quand Jésus annonce la bonne nouvelle sur les routes dePalestine, il est suivi par lesDouze et par des femmes « qu’ilavaitdélivréesd’espritsmauvais».

PourquelesDouzesuiventJésus,ilasuffiqu’illesappelle.PourquelesfemmessuiventJésus,ilafalluqu’illesdélivre

d’espritsmauvais.Pourquoi donc ? Sont-elles plus « mauvaises » que les

hommes ? Pas si sûr, car du côté des apôtres, ce n’est pas lagloire : vanité, tentations de pouvoir, compréhension obtuse,peur,trahison…

Quelssontdonccesespritsmauvais?Unehypothèse–parmid’autres, bien sûr –m’apparaît.Le

ressortvitalessentieldesfemmes,cen’estpaslepouvoir,c’estl’amour.Siellessontlivréesàelles-mêmes,leuramourpeutêtredévastateuretsedéchaînerenpossessivité,enégoïsmesousdesformes multiples. Marie-Madeleine le savait bien, ainsi queJeanne à la cour d’Hérode dont le bal avait causé la mort deJean-Baptiste. L’élan d’amour des femmes est tellement fortqu’ilfautqu’ilsoitpurifiépourdevenirgratuité,ouverture,don.Pour suivre Jésus, il faut qu’elles soient « délivrées »…Maisaprès, quelle présence inconditionnelle, quelle fidélité sanstambournitrompette,quellestendresattentions!

Les hommes seraient-ils incapables d’aimer ? Certes non,

maisilslefontavecplusdedistance.Lesfemmessontmarquéespar leur physiologie, par leur capacité de maternité, par ceparadisperdudelafusionqu’ellesontvécuavecl’enfantchairde leur chair, autre elle-même, par cette expérience d’unehabitationintérieure.Ellesontdoncplusdemalàpasserdelafusionàl’altérité,tandisquelespèressontdavantageextérieurs,autres.

Pourlesfemmes,l’apprentissagedel’altéritéestsouventunlongchemin(pourleshommesaussi,maisd’uneautremanière).Pourtous,l’apprentissagedu«bienaimer»estlepremierlieuducombatspirituel.

Quand les femmes suivent Jésus, c’est en amoureuses. Etcelacontinue!Combiendesaintesoud’anonymessententleurcœur battre et même leurs entrailles frémir de désir en lisantl’Évangile ou en pensant au Christ. Comment ne pas êtreamoureuse de Celui qui est toute ouverture et attente, qui selaisseaimer,s’exposantentoutevulnérabilité?

Jésusn’apaspeurdesamoureuses.Ilaeudesamitiés,voiredesélansd’amourenversdesfemmes.Iln’estpasétonnantquetantde romansetde filmsaient fantasmésurunamour sexuelentre Jésus et Marie-Madeleine, bien que rien dans lecomportementdeJésussurterrenepermettecetteconclusion!

Que l’on me pardonne cette anthropologie de bazar quicatégoriseainsi lescomportementsdeshommesetdesfemmes,alorsqueleshommesetlesfemmesonttousetunpôlefémininetunpôlemasculinàdesdegrésdivers.

Maisenl’occurrence,dansl’Évangilecommeàl’époque,laclasse homme et la classe femme sont bien traitéesdifféremment…etfinalementceladitbienquelquechosedelaréalitésexuée.


leregardeàpeineetnerépondmêmepasàlaquestion.MariedeMagdala ne peut plus voir : elle est plongée dans la nuit dutombeau,delagrandeabsence.Ellelanceunappelsuppliantau«jardinier»:«Seigneur,sic’esttoiquil’asenlevé,dis-moioùtul’asmisetj’iraileprendre.»

En ce petit matin de résurrection, Marie-Madeleine a lecœur au tombeau. Pourtant, tout à coup, son cœur s’éveille etfrémit à la voix qui l’appelle par son nom : «Marie. » Sansdoute Jésus avait-il une façon tellement personnelle deprononcersonnom,dansuneintonationdetendresseetd’appel.«Marie, ne pleure pas, je suis là.Marie, c’estmoi.Marie, jet’aime. Marie, viens, suis-moi. » Il y a tout cela dans ce«Marie».Mariefrémitdetoutsonêtre.Uneondedevieetdejoielaparcourt,etdufonddesesentraillessurgitunautrenom:« Rabbouni. » Tout l’amour du monde passe dans ce simpleéchangedenoms.

Alors, dansun élande tendresse,Marie-Madeleine tend lamainversJésus.

J’ai souventmédité devant lemagnifique et délicat tableaudeFraAngelico.Lascènesepassedansundélicieuxjardin(unparadis?):arbresbientaillés,pelousesparseméesdefleurs.Àgauche, le tombeau. Marie-Madeleine à genoux, adorante etsuppliante, les deuxmains tendues, le corps et les plis de sonlong manteau tout en élan de désir contenu vers Jésus. Jésusdebout,unemainquitientladistanceetlecorpsenpartance.

« Ne me retiens pas », ou : « Ne me touche pas » ; ouencore:«Cessedemeretenir.»

C’estassezpoignant:aprèstantd’émotions,l’êtreaiméestànouveauàportéedemain,maisiln’estplusaccessiblecomme«avant».Ilfautrenonceràl’immédiateté.

Pourtant, lepaysageestpaisibleet tout rayonnedebeauté.

Non, tout n’est pas fini. Il y a une invitation à un « plus ».Mystère de présence absence qui se joue aussi dans notrerelationavecDieu:jevoudraist’aimer,jevoudraistesentir,êtretransportée par toi au septième ciel… mais rien, tu semblesabsent.Mystèredelaprésenceabsence,del’absenceprésence.

MêmemouvementdansleNolimetangeredeGiotto.«Nemetouchepas»,«Nemeretienspas».Au«paradis

terrestre », la femme avait voulu retenir l’Autre au point de lemanger,encroquantlapomme.Danscejardinduparadisdelarésurrection, on ne possède pas l’Autre, on ne mange pasl’Autre.Onaimeautrement.Marieest invitéeà sedessaisirdeson amour qu’elle vient de retrouver, à se décentrer de soi, àentrerdansunnouveaumodederelation.Aimersansaccaparer,aimerpourdonner.

Nemeprendspas,nemeprendspas…Cette dernière rencontre ouvre sur un sens qui dépasse

l’amour sensible. C’est l’aboutissement d’un chemin d’Ève àMarie, du paradis perdu au paradis retrouvé, de l’amourcaptateurà l’amourgratuit,à l’amourquisedonneà traversetavec l’Aimé, à laVie éternelle. Le désir d’alliance sensible etimmédiate,devientpropositiond’AllianceenÉternité.

Plus question d’étreintes, de baisers, de cheveux répandussur lespieds,de caresses, c’est l’amour au-delàdes limitesducorps, c’est l’amour dans le don total de soi, l’amour qui estpasséparledépouillementdelamort,l’amourquineserassasieplusdesentimentsréconfortantsetchauds,l’amourquerienneretientd’allervers les autres.«Va trouvermes frères…»ÊtreamoureuxdeJésus,cen’estpas,cen’estplus,seblottirdanslatendressedesesbras,c’estallerannoncerqu’ilestressuscité.

1.Jn19,25.

2.Mt27,55-56;Mc15,40;Lc23,49.3.Mt 27,61. PourMarc (15,47) et pour Luc (23,55), elles secontentent de repérer où on lemet car elles ont l’intention derevenirpourl’embaumement.4.Jn20,1-18;Lc24,1-12;Mt28,1-9;Mc16,1-8.


etsonrayonnement.

3

Demeurer

Demeurer est le verbe phare de tout l’évangile de Jean.On leretrouvepresqueàchaquepage,etmêmeplusieursfoisdanslemêmeverset.J’aimelarésonancedecemotquisuggèrelerepos,lapaix, le respect, l’intimité.Cemotmebouleverse.Demeurer«commeunpetitenfantprèsdesamère»,demeurerencœuràcœuravecunesœurouunami,seblottircontrelecœurdeDieupleindetendresseetdesollicitudeets’yreposer.

«Quecherchez-vous?»ÀcettequestiondeJésus,lesdeuxhommes qui viennent de décider de le suivre ont répondu paruneautrequestion:«Oùdemeures-tu1?»

Ils ne lui demandent pas d’explications sur son identité,maissurlelieuqu’ilhabite.Normal!Puisqu’ilsontdécidédelesuivre,ilsontenviedesavoiroùcelavalesmener.Maisilyaplus:quandondemandeàquelqu’unoùilhabite,c’estunpeuunedéclarationd’intérêt, sinond’amitiéoud’amournaissant :j’aienviedeconnaîtretamaison,tonvillage,tafamille,làoùtuvis…deTEconnaître.

Oùdemeures-tu?Jésusrépondàsontour:«Venezetvousverrez.»Ilaurait

pu répondre : à Nazareth. Mais cela eût été très réducteur.D’abord, il n’habite plus Nazareth ; il est déjà l’homme deschemins de Palestine. Il ne tient pas en place et ne reste paslongtempsdansunmêmelieu.Ensuite,sademeurevéritablenes’enfermepasentrequatremurs.

En ce début de l’évangile de Jean, nous avons les troisverbes qui caractérisent le disciple : chercher, suivre,demeurer…

« Ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès delui2.»

Ledoubleemploiduverbedemeurerdanscettetoutepetitephrase est fascinant. Comme un rendez-vous d’amour ! Lademeure de Jésus devient la demeure de ces deux hommes.Demeurer,pourêtreavecl’êtreaimé.Demeurer,pouraimeretselaisser aimer. Demeurer, ne plus bouger, rester dansl’éblouissementetlagrâcedelaprésence.

Nous sommes invités à demeurer avec Jésus. Facile d’enrêver ! Moins facile de le faire… ne serait-ce que pour uneméditationdedixminutes !Ons’assiedpourdemeurerunpeuavec lui, dans sa Parole et voilà que notre tête devient unkaléidoscopeoù toutceque l’onaàpenseretà fairevirevolteperfidement,etnousrendincapablesde…demeurer.

Ilestvenuhabiterparminous.Enfait,lademeurevéritabledeJésusnousestrévéléedèsle

débutdel’évangiledeJean: ilahabitédepuistoujoursauprèsduPère, siprochequ’il estDieu lui-même.Puis,« il estvenuhabiterparminous3»,pourque,parlui,leVerbedeDieuhabiteau milieu de nous. Enfin, pour que la grande histoire de laNouvelle Demeure puisse commencer, il fallait que l’EspritviennedemeurersurleFils4.

À la fin de l’évangile de Jean, Jésus résumera ainsi son« histoire » : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans lemonde,maintenantjequittelemondeetjevaisverslePère5.»

ÀlasuitedesDouze,desfoulesserontattiréesetdésireront


6

Lepainquidonnelavie1

QuedetraverséesdulacdeTibériadeparJésusetsesapôtres!D’une rive à l’autre, les foules les suivent. Jésus a à peine letempsdes’asseoirsurlamontagneavecsesapôtresquecelles-cis’imposent!Quecherchent-elles,cesfoules?Lasatisfactiondeleurcuriositépourunpersonnagequi intrigueetfascine?Uneguérisondesmauxdel’âmeetducorps?

N’est-ce pas encore la même chose aujourd’hui ? Noscontemporains ont soif de bien-être, de bonheur et de sens,d’intériorité, de guérison desmaux du corps et de l’âme.Dèsqu’ils entendent parler d’une personne ou d’un lieu où il sepassequelquechosedebénéfique,ilsaccourent.

Jésus ne se fait d’ailleurs pas d’illusions sur le caractèreintéressé de nos attentes. Sans doute, cela fait-il passer uneombrede tristessesur sonvisage, luiquia tellement soifd’unélan du cœur. Mais il accueille toutes les attentes. Matthieunousconfiemêmequ’il est« saisidepitié2 »pour cette fouleaffamée.

VoilàdoncJésusassissurcette«montagne»quidominelelacoùilfaitsibon,d’oùlavueestsibelle,oùl’onabienenviede trouver un repos et un calmemérités.Mais ce ne sera pasencorepourcette foiscar la foulequi lesuivaitgravit lapentepourlerejoindre.Jésusoubliesafatigue,sonbesoinderépitetpense d’abord à tous ces gens : depuis qu’ils marchent, ilsdoiventavoirfaim.Oùacheterdequoilesnourrir?demande-t-ilà Philippe. Celui-ci est bien de notre race à tous: il fait des

calculs,etconclutquecen’estpaspossible.Andréaunepetiteidée:ilyaungarçonquia«cinqpains

d’orgeetdeuxpetitspoissons».Pourcinqmillepersonnes!Maisquisait?Decepetitpeu

apporté par un être humain, généreusement donné et partagé,Jésustirerapeut-êtreungrandprofit.

Silegarçonavaitdit:«Nonjelesgarde,magrand-mèreestvieilleetmonpèretrèsfatiguéetj’aiaussiuntoutpetitfrère,jelesgardepoureux», ilneseserait sansdoute rienpassé.CarDieu a besoin des hommes et si nous refusons l’ouverture, ledon, il ne force pas la porte. Mais ce que nous gardonsjalousement pour nous – du temps, un sourire, une visite, uneparole, de l’argent, une table ouverte, un regard – n’est-il pasparfoisdugâchis?Quedepardonsavons-nousàdemanderauSeigneurpourtoutcequenousnelâchonspas.Pournepasselâcher soi-même !Ceque l’ongarde est stérilisé ; ceque l’ondonneestfécondé!Pourquoicettepeurdeperdre,deseperdre,ancréecommeuncrabeaufonddenosentrailles?

Etlemiracledela«multiplicationdespains»seproduit.Avantdecommencerladistributiondupainetdespoissons,

Jésusrendgrâces.Tout ceque je suis, tout ceque j’ai, tout ceque lavieme

donne,Seigneur,c’estdongratuitdetoi.Toutvientdetoi,toutvientpartoi.Terendregrâces.

Et la distribution n’en finit pas… il y en a toujours etencore…

On tedonnedeux toutpetitspoissonset toi, tuen faisunfoisonnementdedons;alorspourquoiavoirpeurdetedonner?

Lafoule,rassasiéedepainetdesignes,reconnaîtqueJésusestunprophète,«celuiquidoitvenir»,mais,Jésuslesait,elle

nevoitqu’àlahauteurdesespropresattentes.Cettefouleesttoutàcoupdevenue«dangereuse»pourlui

car il ne veut pas donner prise à une royauté qui n’est pas lasienne. Il se réfugie à nouveau seul sur lamontagne.Pour lui,cette «montagne », c’est le lieu de l’Amour, des retrouvaillesavecsonPère,lelieudesavraienature,desavraieroyauté.

Lesdisciples, eux, redescendentvers lamerpour rejoindrelamaison deCapharnaüm sur l’autre rive.C’est le soir, il faitsombre, Jésus ne les a pas encore rejoints. La nuit, le lac…L’emprisedesténèbresmenacesurnousquisommessifragileset qui redoublons de fragilité dès que Jésus estmoins présentdans nos vies. Le vent et la houle s’en mêlent, les disciplesrament mais n’avancent pas. Et voici que Jésus vient à eux.Ainsi ilmarchesur leseauxdenospeursetdenosagitations.Lesdisciplessontd’abordterrifiés.

« C’est moi, n’ayez pas peur ! » Un « c’est moi »théologique,commele« jesuis»dubuissonardentquidit saprésence tout irradiante et insaisissable. Un « c’est moi »affectif, commeme le disait maman s’annonçant au téléphonequandellevenait auxnouvelles : c’était elleetnepouvait êtreuneautre.Moiquisuislasourcedetavie,moiquit’aime,moiquisuisuniquepourtoi.

Alorsilsn’ontpluspeur,etilsveulentle«prendre».AvecJésus,commedanstoutesnosrelations,nousoscillonsentrelapeuret lapossession,entre lafuiteet l’accaparement.Jésusnese laissepasprendre, pasplusqu’il ne se laissera« toucher»parMarie-Madeleineaumatinde larésurrection.Jésusprésenten nous plus que nous-mêmes – comme le disaient saintAugustinouMauriceZundel–maisquenousnepouvonspas


AinsisontlesrelationsdeJésusavecsesamis.

1.Jn15,15.2.Jn15,16.3.Jn16,13.4.Jn13,33.5.Jn14,3.6.Jn15,18-19.7.Jn16,5-21.8.Jn14,6.9.Jn14,18.10.Jn14,20.

9

Mourird’amour

L’évangiledeJeansedistinguedes troisautres sur le récitdesdernières heures de Jésus. Il ne relate pas l’institution del’eucharistie,maisle«dernierrepas»aucoursduquelillavelespieds de ses disciples1. Il ne relate pas non plus l’agonie deJésusaujardindesOliviers,nilecribouleversantduChristencroix:«monDieu,monDieu,pourquoim’as-tuabandonné2?»

Dansl’évangiledeJean,Jésusneprononcequedeuxparolessurlacroix:«J’aisoif3»et:«Toutestachevé4.»Puisc’estlecoupdelancedessoldatsetl’écoulementdusangetdel’eau5deson côté. Le sang de sa vie offerte,mêlé à l’eau vivifiante dubaptêmeetdel’Esprit.

PourquoiJeanpasse-t-ilsoussilence l’angoisseet ledoutede Jésus ? Sans doute reste-t-il dans la logique de ce qu’il avoulumontrerdelarelationentreJésusetsonPère:uneuniontotale et indéfectible dans un contexte d’amour. La mort deJésusestpuramour.

Ondit:«IlestmortPARamour.»Plusquecela,j’aienviededire:«JésusestmortD’amour.»

Oui,onpeutmourird’amour,mourird’aimer.Tous les amoureux le comprendront. L’amoureux ressent

tout ce que vit celui ou celle qu’il aime au point que la souf-franceoulamortdecelui-cipeuventleplongerluiaussidanslasouffranceetdans lamort.Tout lemondeconnaîtdecesveufs

ou veuves qui ne survivent pas à leur conjoint. Et tous cesamantstrahisquisombrentdansladéprime,voirelesuicide.

Toutes les mamans le comprendront car, aprèsl’accouchement, leur petit reste longtemps physiquement lachair de leur chair, dans laquelle elles ressentent sesmoindresappelsetsesmoindresmaux.Etcelalesrendhypersensiblesauxsouffrancesdesvivants.

Mon cœur et mon corps de mère ressentent de façoninsupportablel’horreurqueviventtantettantdemamansdeparlemonde qui voient leur enfant torturé sous leurs yeux. Ellespeuventendevenirfollesoumêmeenmourir.

Oui,onpeutmourird’aimer.

Alors j’imagine aisément ce que le Jésus de l’évangile deJean,tellementamoureux,tellementunavecsesamis,apuvivredans son cœur et dans son corps en accueillant intérieurementles souffrances et les morts les plus atroces des hommes, desfemmesetdesenfantsde tous les temps.Soncœuret sachairontété transpercéspar lesoutrances lesplusperversesduMaldans les siècles d’avant et dans ceux à venir. Son cœuramoureuxaétéblesséàenmourirparlessurdités,lesabandons,lesincompréhensions,lestrahisonsinnombrables.

EtilavécucettesouffranceavecsonPère,carlePèreaussisouffre.

Quandlecorps,lecœur,l’espritsonttenduscommeunarcvers l’amour et que l’on reçoit en nombre des flèchesempoisonnées,onpeutmourird’amour.

Les femmesqui,avecJean,étaientaupiedde lacroix,ontdûtoutcomprendrequandlecœurdeJésusaététranspercéparla lancedusoldat.Soncœuraétéàcepoint transpercé,par lemal,qu’ilenestmort.

Jésusestmortd’amour.


Quand ils le retrouvent au bout de trois jours, Jésus répond àleur reproche teinté d’angoisse : « Ne saviez-vous pas que jedois être chezmonPère3 ? »Si Jésus est venu sur terre, c’estvraimentpourfairelesœuvresdesonPère.Iln’estqueleFils.

Jeannousamontréun Jésusqui se réfèreconstammentauPère,quiestconstammentbranchésurlui.Ceuxquireçoi-ventJésus et croient en lui, le Fils, deviendront aussi enfants deDieu4,annonced’embléel’évangiledeJean.Jésusconfirmera:sivousprenezmonparti, jeprendraivotrepartiauprèsdemonPère5.Etvousdevrezêtreparfaits6, et faire la volonté demonPère7.

Mais qu’on se rassure : le Père est bon, il fait lever sonsoleilettomberlapluiesurlesbonscommesurlesméchants8,ilveille sur tous9, il donne à ceux qui lui demandent et ouvre àceux qui frappent10, il est miséricordieux11, il pardonne12. Àconditiontoutefoisquechacunessaied’enfaireautantavecsonfrère!

Non seulementDieuest lePèrede Jésus,mais il estnotreseul vrai Père à tous, et c’est fermement dit : « N’appelezpersonnesurlaterre,votrepère,carvousn’enavezqu’unseul,lePèrecéleste13.»

Personnellement j’y pense à chaque fois que je dois dire«père » à un ecclésiastique. Je le fais par conformisme et parrespectdecequemoninterlocuteurattend,maisjemurmureenmoi-même:«Maisnon,tun’espasmonpère,tuesmonfrère.Un frère qui a une mission et une onction différentes de lamienne,maisquiestd’autantplusfrèredanslacomplémentaritédesmembresdupeupledeDieu.»

1.Mt,3,16-17;Mc1,10-11.2.Mt17,5.3.Lc3,49.4.Jn1,12.5.Mt10,32.6.Mt5,48.7.Mt7,21.8.Mt5,44-46.9.Mt10,30-31.10.Mt7,9-11.11.Lc6,36.12.Mt6,14-15;Mc11,25-26.13.Mt23,9.

2

Lefilsprodigue

Laplusbouleversante imageduPèredébordantde tendresseetd’amour nous est donnée par la célèbre parabole de l’enfantprodigue1.

Cettehistoirefaitpartied’unlotdetroisqueJésusracontedevantlespublicainsavidesdel’écouteretdevantlespharisiensoutrésqu’il«mangeaveclespécheurs».

Les trois histoires relatent une perte : une brebis, unedrachme,et…un fils.Et lamoraledeces troishistoires, c’estque ceux qui avaient perdu (le berger, la femme, le père) seréjouissentquandilsretrouventcequ’ilsconsidèrentcommeunprécieuxtrésor.

CestroisparabolesnousdisentquechacundenousestpourlePèreuneperle rare,unebrebischérie,un fils sansprix !Etqu’il n’aura de cesse d’aller à notre recherche si nous nouségarons loinde lui.Onpourrait les appeler les«parabolesdetendresseetdemiséricorde».

Ils’agitdoncd’unhommequiavaitdeuxfils.Leplusjeuneasoudainenviedevivresavieetceteffrontéosedemanderàsonpère sa part d’héritage !Demandemonstrueuse qui équivaut àtuerlepère:jelerayedelacarte,jen’aiplusbesoindelui,jeprends mon argent, et je disparais ! On devine la blessureprofondedecepèreréduitàl’étatdepourvoyeurdefonds,maisavecquelleclasseilrespectelaquêtedelibertédesonfils!

Lefilspart,mènelagrandevie,etbientôtn’aplusunsou.


aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous,monDieu10. » C’est parce qu’elle porte, elle aussi, toutes lesdouleurs qui l’entourent et qu’elle ressent dans sa si grandesensibilité spirituellequeDieuen souffreàenmourir,qu’Ettypeutluidirecela.EttyacomprisquelasouffranceetlamortdeDieucontinuent,maisquesarésurrectionpeuttoujoursavoirlederniermot.

Pour que ce Mal mortel qui ne cesse de régner sur notremonden’ait pas le derniermot, il fallait que Jésus l’enfouisseavecluidansletombeau.

Il fallait que l’homme-Jésus consente à « descendre auxenfers », non pas pour apaiser le courroux de son Père, maispouryenfouirlavictoireduMaletenfaireressortirletriomphedelaVie.

Jésus n’est pas resté au tombeau et, en ressortant, il a tiréAdametÈve,ettoutel’humanitédecetombeauverslalumière,comme le représentent ces magnifiques icônes de laRésurrection.

AprèsavoirétésolidairedansleMaletlaMort,ilnousoffred’êtresolidairesavecluidansleBienetdansletriomphedelaVie.Ilnousapprendainsiquelamort,spirituelleouphysique,laplusatrocen’ajamaislederniermot.Lavietriomphera.Plus:comme nous participons au Mal et à la Mort, nous pourronsparticiperauBienetàlaVie.

Uncatéchumènenousditunjouraprèslalecturedelamortetdelarésurrection,«s’iln’yavaitpaseularésurrection,laviedeJésusnetiendraitpas».Formuleunpeubrutemaissivraie!Jésusressusciténousapprendainsiquelamortn’aurajamaislederniermot.Lavietriomphera.

C’est sur la résurrection que les apôtres s’appuieront pourannoncerleChrist.

Maisnoussommesdansledomainedelafoinue.

1.CantiquedatantdelafinduXIXesiècle.2.Lc22,42.Lacoupe,dansl’AncienTestament,estsymboledesouffrance,voiredemartyre.3.Lc22,44.4.Mc15,34.5.Lc23,46.6.Mt27,46.7.Mt2,13.8.Cesquestionsquiremuentlescroyants,Lethielleux,2011.9.Quatre petits bouts de pain. Des ténèbres à la joie, AlbinMichel,2012.10.Uneviebouleversée,Seuil,coll.«Points»,1995.

IV

YHWHOUL’AMOURPATERNEL,MATERNELETCONJUGAL


soignerai.Cellequiestfaiblejeluirendraidesforces.Cellequiest grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître avecjustice6.»

AinsiestYHWH: jalouxetcoléreuxmais fidèledans sonamour,renouantsanscessesonalliance.

Lelivred’Oséeseconclutparlerenouvellementdel’appelàla fidélité et par des promesses de Terre promise. Qu’ilsreviennent àmoi et « je les guérirai de leur infidélité, je leurprodigueraimonamour,carjesuisrevenudemacolère.Jeseraipour Israëlcomme la rosée, il fleuriracomme le lys, il étendrasesracinescommelesarbresduLiban7…».

QuantàIsaïe, il inviteJérusalemàresplendirde la lumièrequis’estlevéesurelle.«Alorstuverras,tuserasradieuse,toncœurfrémiraetsedilatera8.»

Qu’est-cequipeutfairefrémiretdilaterainsilecœur,sinonlerayonnementamoureux?

Etceluiquiselaisseirradierparl’amourdeviendralumièrepour tous les peuples. Si Jérusalem se laisse aimer, elle seramessagèred’amour.

1.Is54,7-10.2.Ez16,60.3.Os2,9.4.Os2,18.5.Os2,21-22.6.Ez34,10-16.7.Os14,2-10.8.Is60,1-6.

3

Quandlecœurdel’épouseinfidèleesttouché

Etl’épouseinfidèle?Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est une vigne

souvent dévastée, un troupeau souvent égaré, une terre decombatsintérieurs.Elleselaisseraitbienséduireparlafidélitéde l’époux, mais sans cesse elle retombe dans ses tentationsd’allervoirailleurs!Que«lecœurdel’hommeestcompliquéetmalade1»!

Nousl’expérimentonstous:nousaspironsaubien,àcequiprocurelavie…etnousn’arrêtonspasdesombrerdanslemal,danscequientraînevers lamort.Nousnoussentons tellementimpuissants,quenouspoussonsavecJérémiececrimagnifique:«Fais-moirevenirpourquejerevienne2.»Seigneur,jevoudraistantt’aimermaisjen’yarrivepas;séduis-moi,séduis-moi!

Iln’yaqueDieu,cetamoureuxrésistantàtouteingratitudeet à toute offense, qui puisse venir à bout de nos résistancesprofondes.

« Seigneur tu as voulu me séduire et je me suis laisséséduire;tum’asfaitsubirtapuissanceettul’asemporté…Jemedisais:“Jenepenseraiplusàlui,jeneparleraiplusensonnom.”Mais il y avait enmoi commeun feu dévorant, au plusprofond de mon être. Je m’épuisais à le maîtriser sans yréussir3. » Il faut le feu dévorant de la passion amoureuse deDieu, tel qu’il s’est manifesté dans le buisson ardent, pour


V

L’ESPRITDESCOMMENCEMENTS

Rien ne peut commencer sans un souffle d’esprit. Riend’essentiel – une vie nouvelle, un couple, une créationartistique, une grande œuvre… – ne peut advenir sans unembrasementamoureux.

Dans la tradition judéo-chrétienne, ce Souffle de l’Esprit,cet embrasement amoureux par l’Esprit, se nomme ruah enhébreu,pneuma en grec et spiritus en latin1. Le mot exprimel’air, le vent, le souffle, le principe vital. Dans la Bible, cetEsprit préside à tous les commencements : à la Création, à lanaissancedeJésus,auxdébutsdel’Église.Etcelacontinue:aubaptême, à chaque grande étape des vies individuelles et del’Église.Commencementsetembrasementssanscesseredonnéset renouvelés par l’intermédiaire des prophètes de tous lestemps,danslessacrements,etdanslagratuitédudondeDieu.

Leshymnesàl’EspritSaintnousdisentqu’ilinsufflelavie,la lumière de l’intelligence, la chaleur des relations, laconsolationde lamiséricordeet la tendresse,qu’il est la forcedenosfaiblesses,l’inspirateurdelapaixetdelajustice…C’estl’EspritquianimetouterelationentreDieuetleshommes,entrelesêtreshumains,auseindetoutelaCréation.

Maurice Zundel, ce prêtre catholique qui avait si biencomprisl’Esprit,écrivait:«Lemondespirituelestunmondederéciprocité parce que c’est un monde de relation, dedépouillement, de pauvreté ; c’est un monde où l’on ne peutdevenir soi qu’en l’autre, et la plénitude de l’existence estjustementdanscetterelation2.»

Pourlecatholiquelambda,leSaint-Espritn’évoquesouvent,hélas,quelaPentecôteetlaconfirmation.Quellerestriction!

Sa présence est davantage exprimée dans les Églisesorthodoxes,parlesicônes,leshymnes,danstoutelaliturgieet

danslaviedescroyants.Chezlesprotestants,leSaint-Espritestlepremiermoteurde

laviedescroyants.LacroixhuguenotereprésenteunecroixdeMaltesouslaquellependunecolombe,signedel’Esprit.

LethéologienjésuiteMichelRondet,dansuneanalysedelacrise de l’Église catholique établit un « lien entre dérivecléricale et crépusculede l’Esprit3 », et développe l’hypothèsequel’Églisenesortiradecettedérivequ’enselivrantausouffledel’Esprit.

Quand on ouvre le « chapitre » de l’action de l’Esprit, onouvre sur l’Infini. Il est omniprésent dans toute l’Écriture etdans toute l’histoirede l’Église,desÉglises,desReligions,del’Humanité, dans la Création. Ses dons et ses manifestationssontmultiplesetpermanents,mêmes’ilssontsouventdiscretsetcachés.

Quel’onmepardonnedonc,encoreunefois,d’oserbalbu-tier ce quim’a personnellement touchée et qui reflète, dans laperspectivedecelivre,laflamme…amoureusedel’Esprit.

1. Il est intéressant de noter qu’enhébreu, lemot est féminin,neutreengrecetmasculinenlatin.2.Leproblèmequenoussommes,op.cit.3.L’Esprit,espéranced’uneÉgliseencrise.Quelavenirpourl’Eglisecatholique?,Bayard,2011.


4

L’Espritquivousferavivred’amourquandjeseraiparti

Àplusieursreprises,Jésusprometàsesapôtresdeleurenvoyerl’EspritSaintquandilseraparti.UnpassagedesaintJean,quenous avons déjà évoqué, est particulièrement émouvant. Jésusannonce qu’il va partir, que bientôt ses apôtres ne le verrontplus. On imagine combien cette annonce doit être cruelle àentendre pour ceux qui ont tout quitté pour le suivre et quivivent depuis trois ans avec lui, nuit et jour ! Quelle délicatetendresse Jésus déploie pour les consoler : ils ne seront passeuls, il leur donnera un« autreParaclet1 », qui sera toujoursavec eux. Ainsi ils ne seront pas orphelins et ils sauront queJésus est toujours vivant2. L’Esprit d’amour qui demeurera eneuxleurdonneralaforcedecontinuerdel’aimermêmeabsent;mieux:ilmaintiendrasaprésencesurterrequandilseraremontéauciel3.

Avec l’aide de l’Esprit la force de l’amour ne craint pasl’absence.QuandKarolWojtylafutnommépape,ilétaitliéparune amitié intense avec Wanda. Pour cette femme, qui étaithabituéeàlevoirtouslesjours,dansunpremiertempsc’estladouleur : « Comment vivre maintenant4 ? », écrit-elle. Danstoute amitié, dans tout amour, il y a unmoment où, pour uneraisonoupouruneautre,ilfautpasserdelaprésencephysiqueàl’expérienced’uneautreformedeprésence,parfoisplusintimeetplusforte,quiestl’œuvredel’Esprit.

Jésus,cetendreami,veutquel’absencesoitlamoinscruellepossiblepoursesdisciples.Ilsvontmêmeygagner.L’Espritleurrévéleraetleurferacomprendrecequ’ilsnepeuventniporternicomprendretantqu’ilestparmieux.EtcetEsprit,messagerdel’amour,lescomblerad’unechaleu-reuselumière5.

L’autrenomdel’EspritpourraitêtreRelation.Ilestl’agentdel’amourentrelePèreetleFils,lemessagerdecetAmouretilnousintroduitintimementaucœurdecetteRelation.

Il est bon que je m’en aille : effacement suprême.Maintenantc’estàl’Espritdetravailler.Moijedisparaismaisjene vous laisse pas seuls. L’Espritmaintiendrama présence aumilieudevous.«LeseultestamentdeJésusestsonEsprit»,vajusqu’àdirelethéologienindienRaimonPanikkar.

On trouveune illustrationdeceque l’Espritapporteraauxdisciplesdanslerécitbouleversantdespèlerinsd’Emmaüs6.

LascènesepasseaprèslamortdeJésus.Lesdeuxdisciplesqui devisent sur la route sont désorientés, déçus, perdus. Lerabbiqu’ilssuivaientestmortcrucifiécommeunbandit.IlsontquittéJérusalem,lelieududrameetmarchentl’airsombretouten discutant des « événements ». Un homme se joint à eux,comme cela arrive souvent sur les routes de Palestine. C’estJésus, leur rabbi, mais « leurs yeux étaient empêchés de lereconnaître ». Comme ceux de Marie-Madeleine au tombeau,commelesnôtres, leursyeuxnesontpasencoreouvertssur lenouveaumodedeprésenceduChristressuscité.Jésusnevapasse révéler toutde suite à eux; il laisse l’Esprit faire ce travail.DélicatessedeJésus.

L’étrangerlesinterroge:dequoiparliez-vousaveccetairsisombre?Stupeur:tuesbienleseulànepasêtreaucourant!Ils racontent, et forceestdeconstaterque leurdéceptionn’estpasseulementamoureuse:ceJésusdeNazarethétaitpuissantet

nousespérionsqu’ilallaitdélivrerIsraël!Ils ont bien entendu le témoignage des femmes à qui des

angesontdéclaréqu’ilétaitvivant,maiscelan’apaseul’airdeles convaincre. « Esprits sans intelligence, cœurs lents àcroire»,ditJésustoutattristé.EtilsemetàleurcommenterlesÉcritures. Tout en discutant, ils arrivent au village des deuxdisciples.Jésus,discret,faitminedecontinuerlechemin.Alorslesdeuxhommes, conformément aux règlesde l’hospitalité, lepressent de rester avec eux. Simple hospitalité ou mouvementd’uncœurquicommenceà s’éveiller?Etpuisc’est le soir, lemomentoùlatristessevousretombedessus,etilsontbienenviederesterencompagniedecethommequinesemblepassensibleaudrameetdontlesparoleslestouchent!L’Espritacommencéà éveiller leur cœur à une Présence. Quand il sent un cœurs’ouvrir,Jésusselaisseinviter.«Ilentrapourresteraveceux.»Onsemetàtable,etàlamanièredontl’étrangerbénit,romptlepain et le leur donne, « leurs yeux s’ouvrirent et ils lereconnurent».Maisaussitôt«illeurdevintinvisible».

Le travail est accompli : l’Esprit a éveillé leur cœur à uneprésenceintérieure,alorslaprésencephysiquepeuts’estomper.

C’estalors,etalorsseulementqu’ils«relisent»cequivientdesepasser,commeonrelitunevie,etqu’ilsréalisentqueleurcœur « brûlait » en chemin en l’écoutant parler des Écritures.L’Écriturepeutse lireavec indifférence,maissi l’Espritest là,ellevousbrûlelecœur,onla litcommeunelettred’amour,unamour dont la lumière éclaire la compréhension et dont le feuréchauffe le courage. Jésus avait bien promis qu’après samortl’Espritlerendraitencoreplusprésent!

Sur-le-champ,malgrélanuitetmalgrélesdouzekilomètresàparcourir, lesdeuxhommess’en retournentàJérusalempourpartagerlabonnenouvelleaveclesapôtres.


1. Timothy RADCLIFFE, Lucette VERBOVEN, La voiedominicaine,Bayard,p.129et131.2.ÉlisabethDEMIRIBEL,Commel’orpurifiépar le feu.ÉdithStein1891-1942,Cerf,2012.

Table

Avant-propos:Commentj’aidécouvertqueJésusestunamoureux

I.JÉSUS.RENCONTRESAMOUREUSES1.LaSamaritaine,oul’étincellededeuxdésirs2.Nicodèmedanslanuit3.Zachée,levoleurquivoulaitvoirJésus4.Lejeunehommericheettriste5.Mystérieuxéchangeaveclafemmequiavaitdespertesdesang

6.L’aveuglel’entenditJésuslevit7.LesfemmesquisuiventJésus8.Leparfumdelapécheresse9.MartheetMarie,deuxsœursamoureuses10.MariedeMagdala,delacroixaujardindumatindePâques

II.L’ÉVANGILEDU«DISCIPLEQUEJÉSUSAIMAIT»1.«Quecherchez-vous?»«Venezetvoyez»2.Suivre3.Demeurer4.Ceuxquinedemeurentqu’aveceux-mêmes.Jésusetlesautoritésjuives

5.Unehistoiredemariageetdevin,etunscandaleauTemple6.Lepainquidonnelavie7.Brebischéries8.«Vousêtesmesamis»9.Mourird’amour10.JeanetPierre,deuxmanièresd’aimer

III.LEPÈREDANSLESÉVANGILES1.«Celui-ciestmonfilsbien-aimé»2.Lefilsprodigue3.Jésusseretiradanslamontagne4.Quandvouspriez,ditesNotrePère5.Unpèrepeut-illaissermourirsonfils?

IV.YHWHOUL’AMOURPATERNEL,MATERNELETCONJUGAL1.YHWH,l’amoureuxjaloux2.Unehistoired’alliancesanscesserenouvelée3.Quandlecœurdel’épouseinfidèleesttouché4.Lechantd’amourduCantiquedescantiques5.Tendressed’unDieupèreauxentraillesdemère

V.L’ESPRITDESCOMMENCEMENTS1.Souffleetcœurdechair2.L’Esprit,acteurdel’incarnationdeDieu3.L’Espritquirévèleetquiscellel’amourentrelePèreetleFils

4.L’Espritquivousferavivred’amourquandjeseraiparti5.DePentecôtesenPentecôtesdefeu6.L’Esprita-t-ildésertél’ÉgliseduXXIesiècle?7.Unecohorted’amoureux

Achevéd’imprimerle6juin2013surlespressesde

LaManufacture-Imprimeur–52200LangresTél.:(33)325845892

N°imprimeur:13428–Dépôtlégal:janvier2013ImpriméenFrance

CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan

506/2012

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Jésus ou le désir amoureux