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1 LE DESIR JEAN-LOUIS CHEVREAU – CONFERENCES INSTITUT MUNICIPAL OCTOBRE NOVEMBRE 2008

JLC Le Désir

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1 LE DESIR JEAN-LOUIS CHEVREAU CONFERENCES INSTITUT MUNICIPAL OCTOBRE NOVEMBRE 2008 2 LE DESIR Lanotiondedsirtraversetoutelaphilosophie,dePlatonDeleuzeenpassant parSpinoza.Cestunenotionconsidreparlaphilosophieclassique,commefaisant problme, tant dans sa nature mme contradictoire. Le dsir est la fois recherche de satisfaction, mais il est aussi insatisfaction et souffrance. Autant le besoin a une nature imptueusemaislimite,autantledsirsembleinsaisissableetillimit.Ainsiserions-nouscondamnsauxtumultesdenosdsirs,etdoncincapablesdatteindrelebonheur. Cestlaraisonpourlaquellelesdeuxgrandescolesdelasagesseantiqueontlabor une morale ou une manire de vivre, capable de rgler nos dsirs. Platon saisit bien cette nature ambigududsir, entrednuement etplnitude, et faitdudsir llandetoute recherche dont est issue la philosophie elle-mme, comme amour de la sagesse. Cependant,ledsirnepeut-iltrepens,quentermesdengativitetde manque ? Spinoza va tout au contraire considrer le dsir comme producteur de valeur, ce queDeleuze reprendra, en soulignantle caractre ingnieux et industrieuxdu dsir. Lapsychanalyse ouvrira ausside nouvellesperspectives et Freud en articulantdsir et interdit,figureledsircommeproducteurdefantasmes.Ledsirdsiremoinslobjet de son dsir que le fantasme inconscient de celui-ci. En fait le dsir nest-il pas au fond, que dsir de dsir ? NousverronscommentpourLacancedsirestdsirdelautre,ouundsirmimtique selon Ren Girard. Baudrillard trouvera dans le mouvement du dsir, la machine consommer, puisque dans le dsir de consommation ceque nous dsirons, cest laconsommation elle-mme. Enfin, ne peut-onpas voirdans lecapitalisme, sous sa forme mondialise, la grandelibration de la puissance du dsir humain universel ? Toutefois, ne peut-on pas esprer une autre puissancedudsir,quecelleproposeparlavieconomiquesansfreindenotre mondialisation, afin que le dsir ne se transforme pas en dsir de mort, et donc de mort du dsir ? 3 Bibliographie :

Platon : Le Banquet . Lon Robin : La thorie platonicienne de lamour . Julia Kristva : Histoires dAmour . Ferdinand Alqui : Le dsir dternit . Charles Fourier : La libert en amour (textes choisis par Daniel Gurin). Ren Girard : La violence et le sacr . Freud : Essais de psychanalyse . Lacan : Sminaire (Livre 1) . Descartes : Les Passions de lme . Paul Bnichou : Morales du Grand Sicle . Corneille : Le Cid . Hegel : La Raison dans lHistoire . Sartre : Esquisse dune thorie des motions . Spinoza : Livre 3 et 4 de lEthique . Deleuze : Spinoza. Philosophie pratique . Nietzsche . Deleuze et C. Parnet : Dialogues . Alain : Spinoza . Billecoq : Les combats de Spinoza . Hume : Trait de la Nature Humaine . Jean-Didier Vincent : Biologie des passions . Epicure : Lettre Mnce . Lucrce : De la nature . Roland Barthes : Fragments dun discours amoureux . Michel Foucault : Histoire de la sexualit -2- lusage des plaisirs . Schopenhauer : Mtaphysique de lamour . Lvinas : Le temps et lautre . Alain Finkielkraut : La sagesse de lamour . Michel Onfray : Lart de jouir . La sculpture de soi . Baudrillard : La Socit de consommation . Deleuze et Guattari : LAnti-dipe Nietzsche : Gnalogie de la morale . Romain Rolland : Empdocle, (suivi de) Lclair de Spinoza . Luis Bunuel : Cet obscur objet du dsir . 4 INTRODUCTION :Ledsirestunenotionquitraversetoutenotreexistenceettraversetoutelaphilosophiequipensecetteexistence.Maiscedsirtraverse mystrieusement notre existence, puisquil nous constitue sans bien savoir ce quil est et oilnousemmne.Dounegrandevaritdenomspourdsignercedsir : Eros chezlesgrecs, concupiscence chezleschrtiens, apptit chezun DescartesouunSpinozaparexemple,tendanceoupulsion,commela libido chez Freud.Sagit-iltoujoursde la mmechose sous cettevaritde noms, ou bienledsir est-ildanssanaturemme,varietchangeant,multipleetmouvant,commeilsemble ainsitredcritpardesphilosophes,deslittrateurs,despotes,despsychanalystes et mme des biologistes ? Defait,ledsirnoustrouble,nousinquite,parfoisnousangoisse,carilpeut exalterennousdetrshautesvaleurs,plushautesquenous-mmes,au-deldes satisfactionslesplusimmdiates,etparfoisilpeutaussinousfairetomberplusbas, danslabjectionoulabestialitlapluscontrairenotremorale.Dovientunetelle ambigut,detellescontradictions ?Ilestvraiqueduncertainpointdevue,ledsir estlamarquedenotreinsertiondanslanaturedonttmoignenotrecorpsavecses pulsions,sestendances,sesbesoinsousesinstincts.Dunautrepointdevue,ledsir exalteennouslesvaleurslesplushauteslorsquilsecombineaveclesfacults suprieures de lesprit. En cela le dsir est une force qui peut nous emporter au-del de toute limite.Cestla raison pourlaquelle il nepeutjamais se satisfairedes objetsquil convoite.Docettrangesentimentdedceptionquisembleaccompagnerses tentativesdaccomplissement.Touslesobjetsluiparaissentinsatisfaisants,dcevants, etlegrandmystresembletrecelui-l :quelestlobjetdudsir ?Dailleurs ltymologiedu motdsir (desiderium, mot latin drivde sidus, toile) en fait ledsir serait leregretdunastreperdu .Encelanouscomprenonsquilnepeutpastre seulementlemanquebiologiquedunesatisfactionsensible,maisunenostalgieplus profonde,celleduntatperdu,uneperfectionayanttvcue.Cestainsiquenous verrons chez un Platon, comment, sous sa figure la plus vive de lattrait sexuel, enracin dans la chair, lEros prend un essor qui nous conduit plus loin que nous mme. Nousallonsdoncdansunepremirepartie(mercredi1erOctobre)approfondir cettedfinitiondudsirdontnousverronsenquoielleestspcifiquelhommeseul. Nous rencontrerons aussi le travail dunneurobiologiste, Jean-didier Vincent, mesurant lesdegrs de nos passions etde nos motions, nous proposant unechimie des passions, sanscependantrduirelamourantrequunstricteprocessusphysico-chimique,oule simple effet de la sexualit. Nous montrerons galement que la jouissance rside moins, pourlhomme,danslapossessioneffective,quedanslesprancedeconqurirunbien imaginaire. Ainsi, la vraie source du dsir, est selon Rousseau, cette facult typiquement humaine : limagination. Enfin nous nous interrogerons sur la possibilit dune sagesse des dsirs, et nous verrons comment, de manire parfois hdoniste, il est possible de penser la philosophie comme un art de vivre dans le plaisir, et nous partirons dans le Jardin dEpicure, sur les chemins des dlices, de Lucrce ou de Sappho, la grande prtresse dAphrodite. Nous en 5 montrerons la pertinence et lactualit si bien revivifie par un philosophe comme Michel Onfray, auteur dun journal hdoniste. Ladeuximepartie(mercredi8Octobre)seraentirementconsacreune analyse du Banquet de Platon. Nous mesurerons limportance de cette philosophie du dsir, de lEros platonicien, et son influence dans la philosophie, la thologie chrtienne, lalittratureetlapsychanalyse.Dans LeBanquet ,lesmythesrapportspar Aristophane ou par Diotime, via Socrate, rendent mieux compte, que la pense purement rationnelle, du caractre nigmatique de lamour. Notre troisime partie (mercredi 15 Octobre) traitera de la passion (la passion tant undsirqui subordonne tous lesautresdsirs), etde songrand sicle, le17ime sicle,etautraversdesuvresdeRacineoudeCorneille,clairparle Traitdes Passions deDescartes,nouscomprendronsmieuxcettemoraledespassions,qui linversedumoralismedu19imesicle,rendgrcelagnrositdenospassions.Ce 17ime sicle nous a lgu une riche littrature des passions, et je prendrai un exemple chez Corneille. Laquatrimepartie(mercredi22Octobre)exposeralathoriespinosistedu dsiretdans lEthique nousverronscommentSpinozanousdlivredupoidsdela culpabilitetfaitdudsirlapositivitmmedelexistence,lorsquenousavons consciencedesconditionssanslesquellescetteexistenceneseraitpaspossible.Nous verronsainsiqueledsir est premier, etcommeleditSpinoza,queleschoses ne sont pas bonnes en elles-mmes, comme si le monde tait model en fonction de notre nature, maisjugestelles,parcequenotrenaturenousconduitlesjugerdsirables. Cependant,nesommes-nouspascondamnersubirnosdsirsounospassions ?Nous soulignerons cette sagesse qui merge de lEthique : ne pas railler, ne pas dplorer, ne pasmaudire,maiscomprendre .Laconnaissancedecequinousdtermineest,notre seule issue et notre seule joie. Pourterminercettequatrimepartienoustenteronsdemettreenvaleur quelquespositionsphilosophiques,quelonpourraitrapprocher,oupartiellement rapprocher, de celle de Spinoza. Avec Freud dabord, en retenant quelques perspectives desaPsychanalyse(quelquesperspectivesseulement,puisquenousrservonstoutun chapitresurFreud).PuisavecNietzsche,enparticuliersacritiquedelamoraleetdu nihilisme.QuelquesaspectsdelaphilosophiedeSchopenhauer,pourrontgalementrsonnerencho,aveccellesdeSpinoza.Cependant,linversedeSpinoza,nous verrons en quoi, pour ce trs pessimiste philosophe, le dsir est tragique, parce quil est souffrance et illusion. Enfin, je relverai quelques traits de la conception deleuzienne du dsir; Deleuze qui fut sans aucun doute influenc par Spinoza et Nietzsche. Lacinquimepartie(mercredi12Novembre)seraconsacrelanalyse freudiennedu dsir,que Freuddfini commetendance ou pulsion. Nous verrons en quoi lobjetdudsirnestpasconstituentantquetelparlaconscienceetquilest essentiellementperduetconservdanslefantasmeselonunprocessusinconscient. Maissi lobjetdudsir renvoie aufantasme, alors ledsir renvoie aupass. Cest ainsi 6 que le dsir reste li une illusion et celle-ci au pass. Mais, l encore, ne sommes-nous pascondamnerlillusion ?Freud,commeSpinoza,rfutecettecondamnation,malgr sonpessimisme,enfaisantconfianceennotreintelligence.Cetteapprochedelanalyse freudiennedudsirnousouvriraverslestraitsprofondsdudsir :lobscurit, lintrigue, et lambivalence. Avec Lacan, nous poursuivrons cette analyse du dsir, comme dsirdelautre,dsirmimtiqueselonRenGirard.Pourfinircettesance,nous porterons notre regard, plus politique et moral du dsir, en se situant dans le courant de notreviequotidienne,dansnotrerapportaveclamarchandise,aveclaconsommation. Nousverronsenquoicedsirdeconsommationestsansobjet,commelepense Baudrillard. Certes le dsir semble tre un moteur qui nous adapte pleinement au monde, en difiant des projets humains constructifs, cest une puissance de vie. Mais ne peut-il pastoutaussibiennousconduireversdesdsirsdemort ?Regardonsparexempleen quoi cette exploitation marchande du sexe tue lamour, et au lieu dy voir une libration, nousyvoyonslaplustristedesalinations.Nevoyonsnouspaslesplaisirsntreplus quechosesprformesetagencesdansdesloisirsdontlaraisonestessentiellement conomique ? Nous savons bien que le Carpe Diem des anciens navait rien voir avec lajouissancesanscontrainteetsansfreindessocitsriches.Onoubliequedansle pomedHorace,doestextraitecetteformuledevenueclbre,maiscoupedeson contexteetmaltraduite,(poteinfluencparlpicurismeetlestocisme),ilsagitde mesurerleslimitesdelexistenceetdeconsidrersafragilit, etquilnefautpas gcher par lexcs et les vains dsirs.JentermineraiaveclabelleutopiedeCharlesFourier,quiimagineunesocit, otouteslespassionscomposeraiententres-elles,uneharmoniesociale,plusricheet plus libre que notre civilisation rpressive. Lasiximepartie(mercredi19Novembre)seraentirementrservela projectionetaucommentairedunfilmdeLuisBunuel, Cetobscurobjetdudsir ; film ralis la fin de sa vie, lge de 77 ans. Ce remarquable film serapour nous loccasiondesaisirlobjet intrigantdudsir etsessymboles.Nousverronscommentcefilm,pourparlercommeDeleuze apour ambition de porter la conscience les mcanismes inconscients de la pense . Jechoisiraiunesuitedesquencesquirvleronttoutlejeusymboliqueet mtaphorique du film, sans pour autant casser la structure narrative du rcit. 7 Premire sance : Nature et sens de cette notion de dsir De quoi parlons-nous lorsque nous disons : je dsire ? Paysage de lle de SAMOS - lieu de naissance d'Epicure en 341 avant JC. Commenons par une dfinition classique de lhomme. Lhomme est un animal dou de raison. Pourtant il est facile de montrer, dans la plupart descas,quelhommeestdraisonnable.Direquelhommeestunanimaldouderaison nestpasuneconstatation ;cestunesortedevu ;cestunedfinitiondessence. Lhommeestunanimaldontlessenceestdtreraisonnable.Lesanimauxnesontpas dous de raison. tre bestial, cest perdre toute qualit humaine. Lanimalitexclutlanotionduneraison.Lhommesetrouveprisdansunesituation ambigu, puisque dune part, il est biologiquement un animal (il respire), et dautrepart, ilrefusesonanimalit,ilrefusesondestinbiologique.Cerefusdelanimalit,cestle faitdelaraison.Lhommeestunanimalquirefusesanatureprofonde ;ouplutt lhommeestunanimaldontlanatureestdentrepasnaturel.Silondfinitlhomme biologiquementetuniquementbiologiquement,onsentbienquunetelledfinitionnest pascomplte.Ilmanqueprcismentcettenotiondtrehumain.Lhommetotalest justement cet animal qui refuse son animalit. Le refus de son animalit, cest lessence 8 mmedelhomme.Cettengationdelanature,cestprcismentlamarquedelesprit, de la raison, de la conscience. Lhommeaencommunavectoutanimaldtresoumisaudsir.Maischezlhomme,le dsir rentre en rapport avec la conscience. Cette ngation de la nature, propre lhomme et a sa culture, a t bien dveloppe par Batailledans Lrotisme ,oilprcisequecettengationdesonanimalitest loriginedecesinterditsettabousfondamentauxpourledveloppementdela civilisation. Je cite Bataille : Je pose en principe un fait peu contestable : que lhomme estlanimalquinacceptepassimplementledonnnaturel,quilenie.Ilchangeainsile monde extrieur naturel, il entiredes outilsetdes objets fabriqusquicomposentun nouveau monde,lemonde humain. Lhommeparalllementse nie lui-mme ; il sduque, il refuseparexemplededonnerlasatisfactiondesesbesoinsanimauxlibrecours, auquellanimalnapportaitpasderserve.()Lhommenieessentiellementsesbesoins animaux, cest le point sur lequel portrent la plupart de ses interdits, dont luniversalit est si frappante et qui vont en apparence si bien de soi, quil nen est jamais question . De la tendance animale au dsir humain. Latendanceestuneactivitorienteversunecertainefinalit.Lanotionde tendanceestvague,cestunenotiontrsgnrale.Latendanceestuneactivittrs spontane. Un mouvement spontan est un mouvement qui nest pas provoqu du dehors ; cestunmouvementdontlesujetestlasource.Unetendancepeutsappliquerdes objetstrsdiffrents(latendancealimentairesappliqueuneinfinitdobjets).Une tendancepeuttreplusoumoinssouple.Unetendanceatoujourslammestructure, mais ses objets peuvent tre trs diffrents, trs divers. Une tendance se satisfait aussi immdiatement que possible. Si on tarde la satisfaire, elledevientplus violente. Le besoin,cest latendancedansce quelleade press,dans ce quelle a durgent de ngatif. Linstinctausensstrictestuncomportementrglparlanatureetproprelanimal. Linstinct est un comportement qui est propre tous les animaux dune mme espce, qui estinn,sansapprentissageetquiestinconscient.Seullanimaladesinstinctssilon sen tient cette dfinition. Moins un animal a dinstinct, plus il est intelligent. Dansunsenspluslarge,lemot instinct peuttrepriscommesynonymede tendance.Lhommeauraitalorsdesinstincts.Enfin,danslelangagecourant,lemot instinct est synonyme dhabituel, dirrflchi. Quantaurflexe,cestunerponseautomatiqueunstimulantextrieuretquiest rendupossibleparunmontagedeneurones.Unrflexeestuncomportementquine passe pas par la conscience. Les rflexes peuvent tre dresss, conditionns. Evolution de la tendance depuis le besoin biologique jusquaux dsirs humains.

A/ Chez lanimal : 9 Il faut commencer par tudier le niveau proprement biologique. Il ny a pasde viesans besoins. Toute activit vitale est change avec le milieu extrieur. Ltre vivant ne peut pas tre spar de son milieu. Ces changes avec le milieu correspondent des fonctions biologiques.Lorganismesedfinitparunesriedefonctions.Achaquefonction correspondunbesoin,unetendance.Untrevivantnestjamaisenquilibreavecle milieuextrieur.Unetendancecombleundficit.Ltrevivantesttoujoursdansun certain tat de manque. La totale satisfaction serait labsence de dsir. Lesbesoinsbiologiquescorrespondentdesfonctions,maisilscorrespondentaussi certainstypesdobjetsextrieurs.Toutetendance,toutbesoin,estdjuncertain choix. Ce choix correspond un certain nombre de prfrences. Lanimal distingue dans sonentourage :desobjetsindiffrents,desobjetshostiles,desobjetsfavorables. Commentlanimaleffectue-t-ilcechoix ?Parsesinstincts,quisontlesmodesde satisfactiondestendanceschezlanimal.Linstinctresteauniveaubiologique.Plus lanimal est volu, plus linstinct est faible, et plus son choix est vari. Chez lhomme, il nyapascescomportementsprdtermins.Lesinstinctssonttoutelanaturede lanimal.Touslescomportementsdelanimalsont djl ,fixslavanceparses instincts. Lanimal ne credonc pas ses comportements nouveaux. Tout a t prvupar la nature. Ce qui revient dire que lanimal est prisonnier de sa nature. B/ Chez lhomme : Sitouslescomportementssontdjdonnslanimal,celaveutdirequeses choix sont trs faibles, tandis que chez lhomme, le choix est beaucoup plus vari. Cest un choix qui nest pas limit par un instinct. Il faut noter galement la dualit du profit et du plaisir, comme principes fondateurs du dsir.Cependant,commelefaitremarquerJean-DidierVincent,neurobiologiste,dans sonouvragela BiologiedesPassions ,leprofitetleplaisir nesont(pas)lepropre delhomme,alorsquelesontleurconjonction(avecledsir),etlaconnaissancedela mort .Ilfaitaussiremarquerqueles fonctionscognitiveschezlanimaletlhomme, permet de diffrencier le dsir de linstinct . Enfin, il fait aussi remarquer : qu un dernier risque, serait de lier exclusivement le dsir la sexualit. Rien, en tout cas dans le biologique, nindique la prminence de la sexualitsurlesautresfonctions .JeciteJean-DidierVincent, Labiologiedes passions (p.287) : Ltatamoureuxsaccompagnechezlesdeuxpartenairesdune transformationdu corps ;parfois spectaculaire, celle-ci se rduit le plus souvent des bouleversementsintimesquitouchentprincipalementlesscrtionshormonalesetle fonctionnementdusystmenerveuxcentral.Lerledesglandesgnitaleset videmment dterminant, comme en tmoigne les effets de la castration. Les hormones sexuellesagissentdirectementsurlecerveaugrcelaprsencedercepteursdans lesneurones.Dautreshormones,commelaprolactineetlalulibrine,interviennent galementdanslagensedeltatamoureux.Maisdestesticulesoudesovaires regorgeantdescrtionsnesuffisentpasengendrerledsirsexuel.Ledsirest universeletliaubonfonctionnement,lintrieurducerveau,desystmedsirants dontlasexualitnestquundesaccomplissements.Enfin,lappareilsexuellui-mmene reprsente pasunecomposante indispensablede ltat amoureux ; voiefinale commune, 10 ncessaire aussi bien la jouissance qu laccomplissement de la fonction reproductrice, ilnintervientpas,oupeu,danslareconnaissancedelautre,quirestechezlhommela fonction suprieure de lamour. Toutestdit :ledsiramoureuxnestpasncessairementliadesraisonsbiologiques. Lhomme ne choisit pas sa nourriture ou un partenaire pour des raisons biologiques. Il sy mleunchoixculturel.Latendancehumainesesatisfaittraversuncertainnombre dinstitutionssociales,culturelles,detellesortequelatendanceprimitiveest totalementdnature.Lappareilcultureltraverslequellhommesatisfaitses tendancesmasquelebesoinbiologique,sanslesupprimervidemment.Merleau-Ponty faisaitremarquerqu ilnestpasplusnatureldembrasserdanslamour,quedappeler table unetable . Cestdoncun mixte deculturel etde naturel quidfinitles activits humaines,mme celles quelon croit les plus biologiques, comme lasexualit ou ledsir dematernit.Lesinstitutionssocialessontparexemple :lafamille,encesensquelle estunergulationdesrapportssexuels ;Lefaitquenousmangeonsavecdes instruments,lefaitquenousmangeonsdesheuresrgulires,lefaitmmedela gastronomieNous navonspas faim, nous avons delapptit. Lrotisme, la gastronomie sont des crations artificielles qui masquent le besoin biologique. Bref,parcequilnestpasengludansunensembledinstinctsquifixeraientses comportementsdunefaonrigide,lhommeestcapablededominersespulsions(Freud distinguedeuxtypesdepulsions,lasexualitetlagressivit),delescanaliser,deles couler dans le moule dinstitutions sociales qui sont proprement la marque de la culture. Ilestnoterquetoutessesinstitutionspeuventavecletempssesclroser compltement. Alors les individus peuvent jouer le jeu des institutions, mais ny mettent plusleurme.Ilyaalorsprotestationdelanature,despulsions,contestationsdes institutions, par consquentcrisedelaculture. Nest-cepasjustementle casde notre culture,(VoirFreud Malaisedanslacivilisation ;ouW.Reich Lafonctionde lorgasme ; H. Marcuse Lhomme unidimensionnel ). Mais, sil y a crise, cest le signe dunecertainequalit.Lamdiocritneconnatjamaisdecrise.Notrepoqueestla recherchedenouvellesstructuresquisoientplusenharmonieaveccettesensibilit contemporaine,faonneparlesprogrstechnico-scientifiques.Quantceuxqui prtendentqueles hommespourraient se passer dinstitutions sociales,cestdudlire. Lhumanit de lhomme passe ncessairement par la mdiation de formations collectives, dinstitutions. Bref, tout ce que nous venons de dire montre que pour satisfaire ses tendances, lhomme cr unmonde nouveau, un milieu nouveau.Ce milieu, il ne le choisit pasdansla nature ; aucontraire il modifiela nature pour satisfaire ses tendances. Et comprenons bien que cemilieunouveaunestpascrpourlasatisfactiondesimplestendances fondamentales.Enralit,lhommesecredenouveauxbesoinstotalementartificiels qui ne doivent rien la nature biologique. Ce que nous appelons minimum vital est en fait unminimumculturel. Le mot vivre a perduson sens biologique. Le butdela pub est justementdecrerdenouveauxdsirs,depersuaderlepublicquilnepeutpasvivre 11 sansutiliserteloutelproduit.(Nousdvelopperonscethmedansnotrecinquime partie). Laspect crateur du dsir humain. Letravailestlemodedesatisfactiondudsirhumain.Letravailsesubstitue linstinct. Le travail na rien de naturel, il ne correspond pas une tendance primitive. Le travail est un fait social, cest un fait de culture. Toute socit est fonde sur le travail. Letravailestunengation,unetransformationdelanature.Orletravail,quiest ngationdelanature,supprimelesentimentdunmanque,cest--direunlment ngatif au sein de soi-mme. Il y a donc dans le travailune double ngativit : le travail est une ngation de la nature, et c est cette ngation de la nature qui nie le besoin, qui supprime le besoin. Tout travail est ngativit. Ledsircestlesentimentduneabsence.Lorsquejesatisfaismondsir,jesupprime cetteabsence. Lorsquilyadsir, ilya conscienceduncertainmanque. Ledsir estla caractristiquemmedelhommeetdesonactivit.Ledsirestuneperptuelle inquitude. Inquitude en effet, puisque dsirer, cest aspirer une ralit qui nest pas l, cest disposer en imagination dune autre existence, dont on espre la ralisation. De lune ambigutdu dsir : sa satisfaction estpeut-tre moins sourcede contentement que le fait mme dexprimer du dsir. De fait, un homme qui pourrait satisfaire tous ses dsirs serait un homme malheureux. (Voir texte de Rousseau). Malheur qui naplus rien dsirer ! Il perd pourainsi diretoutcequil possde. On jouitmoinsdecequonobtientquedecequonespre,etlonestheureuxquavant dtre heureux. En effet, lhomme avide et born, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce quil dsire, qui le soumet sonimagination,quileluirendprsentetsensible, quileluilivreenquelquesorte,et pourluirendrecetteimaginairepropritplusdouce,lemodifieaugrdesapassion. Maistout ce prestigedisparatdevantlobjetmme ; rien nembellitpluscet objet aux yeuxdupossesseur ;onnesefigurepointcequonvoit ;limaginationnepareplusce quon possde, lillusion cesse o commence la jouissance. Le pays des chimres est en ce monde le plus digne dtre habit et tel est le nant des choses humaines, quhors lEtre existant par lui-mme, il ny a rien de beau que ce qui nest pas. Siceteffetnapastoujourslieusurlesobjetsparticuliersdenospassions,ilest infaillible dans le sentiment commun qui les comprend toutes. Vivre sans peine nest pas untatdhomme ;vivreainsicesttremort.CeluiquipourraittoutsanstreDieu seraitunemisrablecrature ;ilseraitprivduplaisirdedsirer ;touteautre privation serait plus supportable . La Nouvelle Hlose 12 NouspouvonsremarquerquepourRousseau,dansledsir,nousfaisonslexprience jouissivedenotreessor,denotredploiement,etcestllevritableobjetdudsir ; lesobjetsnesontqueprtextes.Cestpourquoiceluiquiveutsyarrterestdu,et dcouvre ce quil initie : le manque. Par consquent mme un objet infini nous lasserait. Epicure (341-270 av JC) Je passe sur cette association de limage de lpicurisme, celle du bon vivant, sinon celle du viveur. Il est vrai, que la sagesse picurienne souligne la nature dsirante de lhomme etde sa recherche du plaisir.Mais nous verronsque le sage picurien saitmesurer les plaisirs, et refuse les dsirs vains ou illusoires. Pourbiencomprendrelaphilosophiepicurienne,cettesagessequiauraunegrande influencejusquau Moyen-ge, et qui resteralunedes pluspopulairesdela philosophie, il faut en commencer par ce qui la fonde : Une philosophie de la Nature. Sinousvoulonstreheureux,alorsilnousfautconnatrelemonde(cosmos),puis connatre lhomme dans sa nature profonde. Etre sage veut dire connatre la nature pour goter la vie. La philosophie sera par consquent une pratique qui consiste acqurir la santdelme et procurerlaflicit .Celuiquimconnatsanatureetsaplace dansluniversvivraagit,troublpardemultiplesmaux.Cettemconnaissancedela nature produit en effet des craintes qui perturbent lesprit et rend impossible le plaisir (craintes delamort oudes puissances suprieures). La philosophie estune pratique qui prserve lquilibre naturel de la vie. JeciteEpicure : Ilestimpossiblededissiperlacraintesurlesphnomnesmajeurs, quandonnesaitpasquelleestlanaturedelunivers,etquonredoutequelquundeces vnementsdcrits par les mythes.De la sorte, il nest paspossible, sans la science de la nature, daccueillir les plaisirs en leur intgralit . Les vnements de la vie et la vie elle-mme semblent dpendre dun ordre de puissance quinousdpasse.Lemondenousfaitpeur,commeunenfantdanslanuit.Cestainsi quunesortedereligionnatdecettepeur,commesinoustionslejouetcesdieux cruels ou dun destin tragique. Seule lexigence de vrit peut conduire la srnit (lataraxie : absence de troubles). Maisvoil,quelestlecheminsuivrepourclairermonexistenceetparvenircette srnit ?Commentpuis-jeconnatrelanature ?Queljugementpuis-jeavoirsurle monde qui mentoure ? Epicureest,ditKant, leplusclbrephilosophedelasensibilit .Eneffet,seulle plaisir et la douleur que jprouve sont les critres de nos jugements du bien et du mal, sans quil y ait contestation de la ralit de ce que nous prouvons. La sensation est donc lecritredelaconnaissance.Peuimportelasensation,messensmedonnentcette sensation,elleestbienrelle.Onnepeutmmepasdnoncerlillusiondessens.Onne peutpascroirequilssonttrompeurs,caralorsonnepourraitplusserfreraucun corps extrieur sensible.Par exemple : la luneque je vois me parat aussi grosseque le soleil.Lessensnemetrompentpas,maiscestlinterprtation,quisortantdudomaine 13 de la sensation me ferait dire que la lune est plus grosse que le soleil. Lerreur est dans lopinionetnondansladiversitdessensations,dontchacuneesttoutcequellepeut tre.Celaestaussivraidesaffectionsquenousprouvons.Ilnefautpasopposerune autre ralitque la successiondesphnomnes. Laissons nous instruire par eux, etpar lvidence de la sensation. Ils nous donnent le rfrenceultimede la vrit. Le passage dunesensationuneautreattestedanstouslescorps,etdanslentreaussi,dela ralit universelle du mouvement. Tout change, tout saltre, chaque tat commence puis finit. Pourcomprendrelexistencedumouvementilfautadmettrelexistencedesatomeset duvide.Ainsiquandnouscherchonsnousexpliquercequiestvraidetouslescorps, noussommesncessairementconduitlasuppositionuniquedesatomesetduvide.La multitude des transformations des corps suppose le mouvement dlments composants, aux proprits constantes et qui ne naissent ni ne se perdent, sinon, nous nobserverions aucune ralit. CettereprsentationquEpicuresefaisaitdeluniversnarienvoiravecles conceptions modernes de la science exprimentale, mais le but dEpicure est tout autre, et la physique atomiste de ce vieux philosophe na pour but que de fonder une thique et une sagesse. Ltude de la nature na quun seul but : donner du sens la ralit, afin de nousdlivrerdesvainessuperstitions.Laphysiqueapourbutlacomprhensiondela ralit,enaccordaveclvidencedumondesensible.Nousserionsprivsdetoute aspirationaubonheur,enlaissantnotremeerrerparmilessuperstitions,lesopinions fausses,lescraintesinjustifies.Lesavoirestdoncunremde.Lesagepicurien apporte un quadruple remde cette maladie de l me dans la conviction : quil ny a rien craindre des dieux ; que la mort nest rien pour nous ; quon peut supporter la douleur ; et que laccs au bonheur est facile. Troublsparlespectacledelamortetignorantslescausesdesphnomnes,les hommes ont forgs des opinions fausses sur la nature du dsir et la valeur de la vie. Les hommessontconduitsundsirdimmortalit,jusquaumprisdesplaisirsdelavie. Connatrepourjouirdelavie,danslavieelle-mme, dsici-bas,ilexisteunevie heureuse dit Epicure. Il importe donc dapprendre distinguer les vrais et les fausses opinions, et ne pas tre affectpardesdbordementspassionnels.Lapassionestunmouvementdelme engendrantdesmouvementsducorps.Llandelasensibilit,loindtrecondamnable, tmoigne du dynamisme de la vie et cet lan est parfaitement lgitime, si les dsirs qui le provoquent le sont aussi. Dans la Lettre Mnce Epicure pense une hirarchie des dsirs : -Desdsirsvains(quinesontpasnaturels :commeledsirdimmortalit,ledsir dtrehonor, ou ledsir de richesse). Cesdsirs proviennentde vaines opinions,de la craintedela mort,quise substitue en peur de manquer (accumulationde richesses).A lgard de la mort, Epicure dit : La mort ne nous concerne en rien ; en effet tout bien 14 et tout mal est dans la sensation, et la mort est une privation de la sensation. La mort ne nousconcerneenrien.Eneffetquandnoussommesvivants,lamortnestpasl,et quand la mort est l, nous ne sommes pas l . * Des dsirs naturels, sous deux formes : - non ncessaires - ncessaires * Parmi les ncessaires, il faut considrer ceux : - pour le bonheur - Pour la tranquilit du corps - Pour la vie mme En ce qui concerne les dsirs naturels mais non ncessaires, il faut examiner en fonction des dommages quils peuvent provoquer. Sils ne sont pas nuisibles, ils seront satisfaits. La satisfaction des dsirs provoque du plaisir. Cest pourquoi nous disons que le plaisirestlecommencementetlafindelavieheureuse ,ditEpicure.Leplaisirpur, sens, est lessence de notre vie dhomme et cest quelque chose duniversel.Mme une passionseraunbiensiellesatisfaitauxcritres.Cestlaraisonquiestmatressedu dsir.Epicure fait mme remarquer :qu ilestprfrabledtremalheureuxusant de raison,quedtreheureuxavecdraison .Ilnyapasderglesmorales.Laseule questionmeposerest : Quelavantagersultera-t-ilpourmoisijesatisfaistelou tel dsir et quarrivera -t-il si je ne le satisfait pas ? . Il ny a pas de juste en soi, ni de bienensoi,cestleplaisirquiprouvelajustessedujugement,lorsquecelui-cifait preuvedquilibreentrelecorpsetlme,dansmasensation.Demme,ilnyapasde vertusansplaisir : Jeprchedesplaisirsdurablesetnondesvertuscreuseset vaines ditEpicure .Parexemple,lafrugalitestbonne,puisquellemetientenbonne sant, mais pas jusqu lusage de produits mdiocres ou en quantit mesquine. En somme cettetemprancedu sage,qui ralise le bonheur, estvertu. La vertu nestpasdansun devoirnonccommeprincipeapriori,commechezKant,maisdansunplaisir.Par exemple,conserverlavitalitducorpsnestpasundevoir,maisunplaisir,plaisirqui consiste dans la cessation de la douleur ; Le vulgaire dit Epicure comble le vide du nant quil redoute (la peur de la mort) par levidedesesdsirsindfinis ;lhommesagesubstitueauvidedesfantasmes,leplein de jouissance de la vie, par la fonction rflexive de lesprit. Lesdsirsdeviennentindfinisouillimits,dslorsquilsnesontninaturelsni ncessaires. Cest lobjet du dsir qui apporte une limite. Le dsir nest ni bon ni mauvais, cest son objet qui en rend lusage rgl ou drgl. Si le dsir porte sur des simulacres ou des fantasmes (ceux que la publicitde notre socitde consommation font natre : des produits de beaut pour rester naturels), alors le dsir sauto reproduit, il devient dsirdedsir.Lobjetvistantunsimulacre,ilnestpasaptesatisfaireledsir rellementprovoqu ;alorssamorcelemouvementindfiniquimnedundsirun autre dsir, mais qui demeure toujours insatisfait. 15 Conclusionsurcettesagessepicurienne :Lesageparlapuissancedesonespritsait refoulerlesdsirsdontlobjetestvainetlapratiquefrustrantequienrsulte.Il slvelalibert,enconnaissantleplaisir,biensuprmeetjoie,engendrsenmme temps. Il jouit dun prsent serein habit par le dynamisme joyeux de la vie. Jevoudrais,avantdevousexposerlesinfluencesdEpicuresurlespenseurs contemporains,jaimeraisvouslireunpassagedeDeNaturaRerum (Delanature), deLucrce, pote latin, ayant vcu Rome vers40 av.JC.Pomedanslequel il expose de manire lyrique le systme dEpicure. Lamour est une plaiequi senvenime et saigrit quand on lentretient ; cestune frnsiequisaccrot,unemaladiequisaggravedejourenjour,si,pardenouvelles blessures, on ne fait diversion la premire, si lon ntouffe le mal dans son origine, en variant ses plaisirs pour faire prendre un nouveau transport de la passion. Et renonant lamour, il sen faut bien quon se prive de ses douceurs. On en recueille les fruits sans ensentirlespeines.Lavoluptvritableetassureestlepartagedesmes raisonnables, etnondecesamantsforcensdontlesardeursflottantesnesaventpas mme dans livresse de la jouissance, sur quel charme fixer dabord leurs mains et leurs regards ;ilsserrentavecfureurlobjetdeleursdsirs ;ilsleblessent ;leursdents imprimentsouventsurleurslvresdesbaisersdouloureux.Cestqueleurplaisirnest pas pur. Cest quils sont anims par des aiguillonssecrets contre lobjet vague do leur est venu cette frnsie.MaisVnus amortit la douleur au seinduplaisir, et rpand sur les blessures le baume de la volupt. En effet, les amants se flattent que le mme corps quiallumeleursfeuxpeutaussilesteindre ;maislanaturesyoppose :lamourest luniquedsirquelajouissancenefassequenflammerdenouveau.()Maisunbeau visage,un teint brillant, nintroduisentdans nos corps quedes simulacreslgers,quune esprancetrompeuseemportetropsouventdanslesairs.Ainsi,Vnussejouedes amants par des images illusoires . Jen viens, pour finir, la pense de ce philosophe contemporain : Michel Onfray. Noussavonsquelaphilosophiepicuriennefutenquelquesorterefouleparlapense chrtienneetquecettephilosophiequiestunartdevivreatsouventmpriseou caricature ;Lepouvoirdesdvotsetdespdantsnaimelasagessequenideetne tolre pas que la philosophie la ralise et la divulgue en ce monde. MichelOnfraysinscritparfaitementdanscettecritique,etsapenseprend videmment aussi, sa source dans la pense picurienne (voir aussiles Cyrnaques, dont leplusclbreAristippedeCyrne,390av.J-C).Jedis,aussi,carsonvitalisme,puise galement dans la pense de Nietzsche. Jemecontenteraidevousfairepartdequelquesides-forcesdesapense,partir dunouvragequiareulaccueilfavorabledungrandpublic : Lasculpturedesoi , paru en 93. 16 En premier lieu, je soulignerai la valeureuse initiative de Michel Onfray, de faire revivre desphilosophesdelAntiquitoudesTempsModernes(18imesicle),danscecourant matrialiste,sensualiste,libertinouhdoniste.Noussavonsaussi,dequellemanire virulente, il fustige la morale chrtienne, particulirement pour cette haine du corps et songotpourlaculpabilit( TraitdAthologie ),lamystiqueplatonicienne,etla morale kantienne, leur prfrant, les cyniques, les picuriens, les cyrnaques, ou tous les philosophes idalistes, un La Mettrie, un Mauperthuis, un dHolbach (des philosophes franais matrialistes), et bien sr le vitalisme de Nietzsche. En secondlieu, saposition philosophique,quilpense commeune pratiquevivante, etqui doitpouvoirconduirelexistencedunindividu,sorganisepartirdunerhabilitation desdsirsetdespassions.Sapenseviseconstruire,commeilledit : unethique affirmative ,cest--dire,qui veutlespartsanimalesenlhomme ,savoir : les instincts, passions pulsions, les forces, sont des vertus laide desquelles se font et se dfontlesrelationshumainesdanslaperspectivedunedynamiqueconcidantavecle mouvementdelavie ,etdajouter : Toutelaquestionthiquersidedansla dtermination des limites . Lhdonisme permet une rponse , crit-il. Hdonisme :dugrec hdon ,plaisir.Ausensphilosophique,lhdonismeestune doctrinefaisantduplaisirlesouverainbien.Lhdonisme,selonMichelOnfray,estun utilitarisme,puisquilsupposeuncalculdintrtquipermetdesbnfices,envolupts en jouissances Je cite un passage de La sculpture de soi , au chapitre intitul De lhdonisme : Ilest(lhdonisme)moralencessitantuncalculpermanentvisant dterminersanscesse,lesconditionsdepossibilitdumaximumdeplaisirpoursoiet pour autrui . Voil ce qui distingue lhdonisme ngatif (par exemple celui de Don Juan, qui cherche le plaisir jusqu sacrifier autrui), de lhdonisme positif, qui veut le calcul des jubilationsdans ledesseinmaximumde bnficeslunpour lautre .Mais comme il le reconnat, pouvons-nous toujours savoir, chez autrui, quel est son dsir et son plaisir ? En effet, souvent le dsir se cache ou se masque, car il est habile et triomphe dans les mtamorphoses , ce que nous reprendrons avec lanalyse freudienne du dsir. La solution ceproblmeconsiste alors contournerlobstacle.Si la ralisation dundsirproduitunesouffrance,danscecas,ilfautprfrerlerenoncement,en vitantainsilessouffrancesetlespeines,sanspourautantfaireconcider intrinsquement le plaisir avec le dsagrable. Quon sache prfrer Eros Thanatos, lespulsionsdevieauxpulsionsdemort . Lhdonisme,dit-il,nestpassoucieuxdu plaisirngatif,ilestvolontarismeesthtiquedirigversdesplaisirspositifsenvertu desquelslebonheur,lasantapparaissentsurlemodedelaffirmationdelavitalit dbordanteetdelapratiquedispendieuse .CettepensedeMichelOnfraynestpas sansfairepenserla volontdepuissance deNietzsche.Cestaussiunmonde dionysiaque,tragique,oulavolontdejouissanceestaussiunevolontdepuissance, celle qui est luvre dans les passions, qui dploie sa puissance dans linnocence totale desonaffirmation.Cettemtaphysiquedartiste,commeleditNietzsche,nousla retrouvonsdanscette sculpturedesoi ,danscette moraleesthtique ,denotre auteur contemporain. 17 DeMichelOnfray,jeprfresespremierstravaux,dontcebonlivre : Le ventredesphilosophes ,oilmesurequelquesphilosophes,leursdsirsouleurs choix culinaires. Je cite quelques passages : La dittique est une modalit srieuse du paganisme, sinonde lathisme etde limmanence.()Plus de risquedalination avec un quelconquerecourslendehorsoulau-del.Ilnestdailleurspastonnant, quindpendamment du mot et des sries multiples dinterprtations quil a impliques, ce soit LudwigFeuerbach que londoiveleclbre : Lhomme estcequilmange ..() Ailleurs,Onfrayaffirmeque lecorpsestlefondementdelaraison,lelieudela ncessitlogique ,ouque lemondedessensestlefondement,laconditiondela raison ou de lintelligence . Cestsemblablement,danscetteenqute,queconstitue lusagedesplaisirs , que Foucault crira : La pratique du rgime, comme art de vivre, est toute une manire deseconstituercommesujetquia,desoncorps,lesoucijuste,ncessaireet suffisant .Ledsirculinairesefaitsoitgastronomie,soitdittique,maisdansles deux cas, il devient art de vivre, ou science de la subjectivit, comme chez les grecs. On serappelleaussidumotdeBrillat-Savarin,danssa Physiologiedugot (avec quelquesbonnesrecettesendernirepartie) : Dis-moicequetumanges,jetedirai qui tu es . Toutefoisuncertainnombredequestionsseposentproposdecethdonisme,oude cet utilitarisme jubilatoire, comme il lappelle. Premirement, par rapport la sagesse picurienne, nous pouvons nous interroger sur ce dsirdtre un volcan comme lindique le titre dun autrede ses ouvrages.En effet, la sagesse picurienne consistedans la satisfaction modre des plaisirs simples et naturels, autant spirituels que sensibles, comme nous lavons vu. Cette sagesse est un modledemesure,quirunitvertuetplaisir,loindelesopposer,toutlecontrairede cet utilitarisme qui convoque le calcul comme seul point de rfrence. Dans la recherche du plaisir, quest-ce quun calcul ? Le calcul se fait partir dune valuation du maximum possibledejouissance.Jouiretfairejouir,commeleditChamfort,formuleque reprendsMichelOnfray.Certes,maisquest-cequimassureradansmoncalcul,quema jouissance reste bien partage et partageable par autrui, surtout si celle-ci procde de ma seule sensation ? La relativit des gots, des saveurs, des odeurs, brefdes plaisirs, pourraitaucontrairemeconvaincrequilssontdifficilementpartageables.Lhdonisme est ncessairement aristocratique et solitaire. Cest dans cette solitude aristocratique, queleMarquisdeSadedploielechampdetoussesplaisirs ;Noussavonsbien,ence quiconcernelamour,commentilestdifficilederespecterlasubjectivitdelaime danssalibert.Nousavonsvuaussi,commentSartrepensecettedifficult,puisque lamourestdsirdedsir,dsirdepossession.Lamourestunerelationentredeux consciences. Chacune y exige que lautre la peroive comme prolongement ncessaire de soi. Le seul amour possible serait un pur engagement, sans dsir de rciprocit. Jai, ce propos,retenucettebellepensedeRobertMaggiori(unphilosophe contemporain) : Seullamourmouvrelautretelquilestenlui-mme,carjaimenon pouraimeroutreaim,nipouraimertoutcourtouaimerlamour,maispourlaimer tout seul, absolument et gratuitement . 18 Deuximement,sommes-nouscertainsdecomprendreclairementcequiest dsir ? Nous verrons avec Freud, comment cet obscur objet du dsir a partie lie avec unfantasmeinconscient.Leshommesnesetrompent-ilspassurlobjetquilleurfaut dsirerpouratteindrelebonheur ?Maisdorsetdj,nevoyonsnouspascomment, dans sa forme marchandise, le plaisir auquel nous sommes invits est un simulacre ? Ny a-t-il pas dans cette exaltationde lajouissance, dans cette banalisationdionysiaquedu dsir,danscecultehdonistefrntique,quelquechosedetoutaussipathogneet mortifre que linhibition quelle a remplace ? Ce triomphe du dchanement des pulsions, sous le couvert dune libration, nest-ellepaslecontrairedelalibrationsublimeobtenueparlharmonisation,dune unification profonde du moi, qui, elle, est une lvation difficile ? Enfin, comme le dit Deleuze dans Dialogues : Il y a beaucoup de haine, ou de peur lgard du dsir, dans le culte du plaisir. Nousverrons,laprochainefois,commentPlaton,danssonclbreetbeaudialogue : Le Banquet , fait de lamour le centre de sa philosophie, et quil y a donc une sagesse de lamour, puisque la philosophie, comme amour de la sagesse, procde du dsir. 19 Mercredi 8 Octobre : La conception platonicienne du dsir : le mythe de la naissance dEros dans Le Banquet "Le Banquet de Platon" - Feuerbach Anselm Introduction : Jen commencerai par une anecdote concernant mon exprience de prof. Jaimisenscne LeBanquet ,enrespectantintgralementletexte,dunbout lautre. Nousavonsconuetralisavecleslvesetdescollgues,cedialogue thtralis, souslechapiteaudunpetitcirque,avecleronddelapisteetlesgradins, donnant encore un peu mieux laspect de l orchestra du thtre antique. Nous avions donc thtralis un dialogue de Platon, qui, nous le savons bien, dans sa forme mme, a gard le mouvement scnique, le dialogue vivant, et les pripties, comme cette arrive en fanfare dAlcibiade, bien mch ; sans compter la prsence du plus grand auteur de comdies de son temps : Aristophane. NoussavonsquePlatonauraitbrlsestragdies,lorsquil rencontraSocrate. Mais,malgrlacritiquequilfitparailleursdelart,danssonexpressionraliste,et donccommeproducteurdesimulacres,ilgardacependantlaformedialoguedu thtre,entreplusieurspersonnagesquivontetquiviennent,enunlieudexposition privilgi. Nous savons que cette forme dialogue est celle qui rend compte le mieux de cegotsocratiquedeladialectique,cedbatvivantetparfoispassionn,imptueux, comme au thtre, ou proche aussi de la comdie la plus burlesque. Je vous rappelle le sens de la dialectique : Dialectique vient du mot dialogue. Cest la poursuite dun dialogue travers un change rigoureux de questions et de rponses en vue dattendre la vrit sur un sujet prcis. Cet change est rigoureux si lon ne confond pas,dmarcherationnellevisantluniversalit,etjoutedopinionssubjectives,suite dexemples particuliers et contingents tir du tmoignage des sens. Nous verrons que la 20 dialectiqueestenquelquesortecettechelledecordequinouspermettradenous rapprocherdelabeaut.Noublionspasnonplus,cetteimportancedu logos ,du discoursquiestraison,etentantquelangagematrisquiestlexpressiondunmonde ternel, la diffrence du monde que nous voyons. Monde ternel, parce que le langage estfaitdides,deconcepts,etquiserapprocheleplusdumondedesIdes.Etcest doncdanslelangagequesepasselarminiscencedesIdes,desEssences.Parle langage, nous vivons ce que lon pense. Je deviens juste, en pensant ce quest la justice. Avantdesituercedialogue,sonenjeu,sespersonnagesetleursdiscours,je voudraissimplementrappeleraussilidedirectricedelapenseplatonicienne :la distinctionmondesensibleetmondeintelligible.Pourfairecourt,jediraiquepour Platon, la pense dborde le langage, tout en tant en lui, car au-del des mots, il existe desralits,quicependantnepeuventtreatteintequeparlusagedetoutesles ressources du logos (discours et raison). Simplement, ces ralits ne sont pas celles que nous pouvons dcrire par les sens, mais cest une ralit accessible que par ma seule intelligence. Ajoutons que ces ralits intelligibles, accessiblespar lesprit, ont plus de ralitqueleschosesquimesontdonneslasensibilit.Faceauxtentativesdes penseursprsocratiquescommeDmocrite,pourpenserlemondedanssamatrialit, Platonproposeraunenouvellecosmologie,olesIdes( Idos ),lesEssences, constituentlavraieralit,etformentuneralitsuprieure,cachenossens.Je suiscertainquevousvoussouvenezdelallgoriedelacaverne,(Livre7dela Rpublique ),desamontedialectiqueverslesoleil,verslapermanencedumonde des Essences, vers le Vrai, tournant le dos au monde des ombres et des simulacres. Silemondesensibledtientquelquesperfections,cenestquenraisondeson rapport,desa participation ,aveclemondesensible.Siparexemple,jedsireune belle personne, sa beaut me sduira, non pas par sa matrialit, en elle-mme, mais par ce quelle rayonne en elle, de lide de Beaut, de quelques clats de cette Beaut qui sy est dpose. Cela se ralise sans que nous le sachions trs clairement, do le sentiment mystrieuxquisattachecettesduction.Nousverronsenquoicedsirnousfait prouver un manque, prouver un dsir famlique, comme si nous avions dj vcu cette rencontre avec le Beau en soi, que nous layons oubli, et que nous en prouvions en nous son action, sans en saisir lorigine, et que Platon nomme les rminiscences. Ensomme,lesEssences,ouIdes,ceschosesdumondeintelligible, transparaissentdanslemondevisible.Parexemplelordreaveclequellemondeest agenc :luniversestintelligemmentordonn,quonsongelharmonieducieletdes mouvements astronomiques, lorganisation remarquable des tres vivants, et cela parce quelesIdes,etlapremiredentretoutes,leBien,sontlescausesintelligenteset ordonnatrices de ce monde. Mais aussi la beaut qui de toutes les ides a le privilge de semanifesteravecleplusdvidencedanscemonde :lesbeautsvisiblesici-bas susceptiblesdenousraviretdenousenthousiasmersontcommeuneinterpellationdu mondedivindesIdes,uneinvitationcequenotremerejoignelesjourdesIdes dontelleestoriginaire.Ledsirdeviendradonccontemplation,savoirintelligible, science,etainsiildeviendradsirdternits.Cedsirsopposeraaudsirde jouissancedeschosesprissables,etinfinimentmultiples.Cedsirestmalheurdela 21 privation, du manque, puisquil ne peut se satisfaire durablement. Plus je cherche jouir, moins je jouis. Cest en cela que lon peut parler de lironie du dsir. Defait,cestlethmemmedu Banquet :lamourquesuscitentlesbeauts dici-bas, nous est une occasionde nous ressouvenir de la ralitde la Beaut,de lide de Beau. Ledsiramoureuxestunevoiedaccsprivilgilascience :paretdans lamour, lhomme sinstruit et peut slever lEtre et la Vrit. Un mot concernant la question de lhomosexualit dans le Banquet . MichelFoucault,dans LUsagedesPlaisirs ,faitremarquerquelamiseenproblme du dsir nest pas le mme chez le Grec que chez lhomme occidental contemporain. Pour lhommecontemporain,laquestionessentielleestdesavoirdovientcedsirquon appellediffrent,autre, sildrivedunehistoirepersonnelle,ousilestissudun hritage gntique (dbat qui a rebondi aujourdhui, avec la dlinquance, et les propos de quivoussavez).Surunplanthique,dslorsquelhomosexualitestaccepte,aucune morale particulire ne lui est applique. Les rgles de la vie de couple et de la vie sociale sontlesmmespourtoutlemonde.Laquestioncontemporaineportesurloriginedu dsir,maisnonsurlesnormesduneconduite.LeGrecaucontraireneseposepasle problmedeloriginedecedsir,puisquilconsidrequetouslesdsirssontdansla nature,maisilconsidrequunethiqueparticuliredoitenquelquesorterglerle comportement. Aprsces gnralitsconcernantquelquestraitsde laphilosophie platonicienne, etayantsoulignlethmeprincipaldu Banquet ,nousallonsnousrapprocherdu texte,mais en ne retenantquedeux passagesremarquables :lediscoursdAristophane et celui de Socrate, rapportant les paroles dune prtresse, Diotime. Je vais donc lire ces deux passages, et en faire un commentaire. LECTUREDUDISCOURSDARISTOPHANE .Platon, LeBanquet GF Flammarion. 1998. (p.114 117) Aristophane est un grand auteur de comdies, aussi clbre que Molire au 17ime sicle, unbouffondegnie,(voircehoquetquiempcheAristophanedeparler),dontle grotesque,lapaillardise,nenlventcependantrienlaprofondeurdescritiquesquil adressesescontemporains.( LesNues ,comdiedanslaquelleilsemoquede Socrate,et Lassembledesfemmes ,unecomdiequifait,contrelemachisme ambiant, lloge du gnie fminin. Les oiseaux , galement chef doeuvre). Danssondiscours(quePlatonfait,composeavecbeaucoupdesubtilit),Aristophane rvlelapuissancedEros,quiseulpeutgurirdecemal(lemaldamour)dontla gurison constitue pour lespce humaine la plus grande des flicits. Eros tant la fois maladie et mdecine. 22 Pourcefaire,ilvadcrireltatantrieurdelespcehumaineetindiquerloriginedu malquilafrappe.Alorigine,lanaturehumainecomprenaittroisgenres :lemle, landrogyne et la femelle. Cet tre ne formait quun seul et avait la forme dun uf avec quatre pieds et quatre mains et deux visages placs loppos lun de lautre, et surtout deux sexes, mle et femelle et compos des deux pour landrogyne. Les dieux grecs sont jaloux et, voyant ces tres prtendre rivaliser avec les dieux, Zeus dcide de les couper par leur moiti. Apollon soigne la blessure, et le nombril reste la trace de cette coupure originelle(sexe vientdu latin scar qui signifie coupure) Ainsi chaque moiti tente deretrouverlautremoiti(docetteexpressiondulangagecourtois, mamoiti ). Cependantla recherchede sa moiti conduit les hommes unequte constante, infinie et impossible, et Zeus reforma ainsi un sexe pour chaque moiti et rendit ainsi possible lunionsexuelle,unionintermittentequipermetauxhommesdevaquerdautres occupations. Remarquonsenpremierlieu,danscemythe,quiditcequelaraisonnesaitpas dire(lamourpeut-ilsedirerationnellementetconceptuellement ?),quelanature humaineestainsidcritecommeunechute,unemutilation,commelemythebiblique ! Cependant, linverse du mythe biblique, la chute vient de la trop grande perfection de cettredorigine.Ilestparfait,carparcequilestandrogyne,ilnedsirerien,ilne manquederien.Ensecondlieu,cemythesoulignelecaractrepromthendecette naturehumaine.Mmecoupsendeux,ilssontencoreambitieux,etdunecertaine manire ils veulent tre dieu, et dsirent se dpasser, et conqurir le monde. En cela ce mythe nous rapproche de celui que Platon dveloppe dans le Protagoras , le mythe de Promthe. Promthe, lui aussi sera puni par les dieux. Aristophaneintroduitunebonnedistance anthropologique ,enrelationavec unedistancecosmologique,entrelecieletlaterremleetfemelle,etunebonne distancethologiqueentreleshommesetlesdieux.Erospermetainsidereconstituer provisoirementleur antique unit.Comme ces retrouvailles ne peuvent existerque dans lunionsexuelle,Aristophanevadcrirelesdiffrentscomportementspossibles, comprenant aussi bien lhomosexualit que lhtrosexualit, masculine ou fminine. Ilyadanscemythe,inventparPlatonetprtAristophane,unpassage remarquable, du discours burlesque, en discours philosophique. En effet, comme le texte ledit, : Ilsensuitquechacunestconstammentenqutedelafraction complmentaire, de la tessre de lui-mme (191d). Une tessre , cest une pice de mtalfractureendeux,quiservaitdesignederalliement.Cestunsigne,uncontrat qui a une signification indchiffrable sans sa contrepartie. En somme, chaque sexe est le symboledelautre :lamourentantquetendancelasynthse,seraitcequicrela reconnaissancedessignesdes significations. Ne pourrait-on pasdire,que lamour est lorigine du langage ?Lamour fait parler (ce qui est aussi dvelopp dans le Phdre ), il est non seulement dsir de communiquer, mais aussi de signifier (voir ce beau texte de RolandBarthes : Fragmentsdundiscours amoureux).Cettediffrenciationdes sexes est lopposdumonde ferm et ovodaldes androgynes.Comme ledit JuliaKristeva, dans Histoiresdamour : landrogyne,lui,estunisexe :enlui-mmeilestdeux, 23 onanisteaverti,totalitclose,terreetcieltlescops,fusionbienheureusedeux doigtsde lacatastrophe. Landrogyne naimepas, il naime pas, il necommuniquepas, ne parle pas Enfinilfautsoulignerproposdecediscours,lapositiondePlaton,quine partagepaslaperspectivedAristophane.Eneffet,pourAristophane,cesdiffrentes possibilitssexuellessont,commejelaidjdit,danslanaturehumaine,ettoutela question de lamour et de la conduite tenir nest plus alors que de retrouver sa moiti perdue. Le dsir vise une unit perdue, dont il a la nostalgie. Par consquent, il est vou lchec.Nous ne rencontrons quedes symboles (le symbole estun signe,qui renvoie autrechoseqului-mme,cest--direquelquechosedabstrait).Cettreabstrait, cest celui qui est voqu dans la rminiscence; rminiscence dune perfection originaire, duneunitperdue.Larencontreentredeuxtres,nepeutquemimercetteunit perdue,soustouteslesformesdesjeuxamoureux,ceuxdulangageetducorps.Ainsi Eros estpourPlaton,lafoislamaladie etlegurisseur, puisquil tentedecombler un manque,(nousverronsaveclediscoursdeDiotime-Socrate,lanaturemixtedEros)et chercheinlassablementlaperfectiondontilalanostalgie.Ensommelasexualit animale, qui est distinguer de lEros, du dsir, na quune finalit biologique, alors que le dsirvabienau-deldecettepulsionnaturelle.CestencesenslquePlatoninspire Freud, en montrant que la libido excde la simple sexualit gnitale. Cest la raison pour laquelle,Erosestluvredanstouteslesgrandesactivitscratricesdelhomme :il estluvredanslesarts,latechniqueettouteslesformessuprieuresdelesprit. Cestencelaquilnousinspirenotredpassementdanslaplnitudedelme.Enfait, pourPlaton,lebutdudsirnestpasleplaisir,commechezEpicure,maiscette batitudequeseulelmeestcapabledenfanter.Voilpourquoi,lrotismeplatonicien est une mtaphysique, (une spiritualit, une mystique), qui soppose radicalement cette sexualit,soit-disantlibre,etquineretientdelrotisme,quecettetristeet pathtique mcaniquede la pornographie. NouspouvonsdoncliremaintenantlediscoursdeSocrate,lediscoursdeDiotimela prtresse. LECTUREDUDISCOURSDESOCRATE -Platon. LeBanquet .GF Flammarion, 1998. (p.142, 143). Lamour est dsir dabsolu ou dternit, et caractrise bien sa nature divine. Or, lavritestlobjetsuprmedelaphilosophie.Laphilosophieestdsirdunevrit absolue et ternelle. La philosophie est donc amour. IlfautsoulignerquelaprtresseDiotimeestlapremireplatonicienne,cestellequi montre le vrai idal(et nonlelouche loge dAlcibiade). JuliaKristva, fait remarquer, enpoussantsathsejusquaubout,queleSocrateidal,cestDiotime.Jela cite : Lobjetaimestunobjetmanquant,maisDiotime,plusfminine,latteinten sunissant . LamourdeDiotime estununificateur, il ralise crations et procrations. Certeslobjetdamourestunobjetmanquant(Erosestfilsdepauvret),maisilest 24 aussilechemin(ilestaussifilsdelaruse,delatechn).Lamourestlecheminpar excellence.Enfait,Socrate,quionlesait,sapproprielesattributsdelaccoucheuse, prend en charge dans ce discours, cette sublimit cratrice et procratrice, garanti par une femme. Dun ct lon a Alcibiade, qui reprsente lEros mania, pervers, et de lautre DiotimequireprsentelErossublimeetidaliste.CestencesenslqueLacanverra dans cet Eros platonicien, le lien entre lEros et Ptros (lme aile), le passage de lEros mania vers llvation aile de lme qui nest autre que l mour , que Lacan crit avec un accent circonflexe. Lhomme au plus profond de lui-mme, dsir un bonheur qui le comble absolument, ternellement.Noussommesmortels,etnouscomprenons,queseullamourest aspiration un dsir durable et stable. Sous toutes ses formes, de la plus physique la plus spirituel, lamour relve de cette aspiration. Parluniondelhommeetdelafemme,lespcehumaineseperptueetainsi satisfaitsondsirdternits.(dsirdternitsquenousreprendronsavecDescartes et la passion). Cetteaspirationtientlacausepremiredecetamour,quinestpasdans lhomme,danslesdispositionssubjectivesdesontre,maisdanslabeautdelobjet aim. Lamour est provoqu par la vision du beau ; la cause de lamour est dans le beau. Platon opre dans son discours une transformation importante de la question de lEros : 1-Laquestionportesurltremmedecetamour.Cestuneinterrogation ontologique et non plus dontologique, (comme le fait Aristophane), comme le dit Foucault.Danssontexte : Lusagedesplaisirs ,ilfaitremarquerlarupture quePlaton introduit : il ne sagitplus, poursavoir cequest le vritableamour, de rpondre la question : qui faut-il aimer et quelles conditions lamour peut-il trepourlaimcommepourlamant ?Ou,dumoins,toutescesquestionsse trouverontsubordonnesuneautrepremirefondamentale :quest-ceque lamour dans son tre mme ? . 2-Laquestiondelamourdelavrit.Au-deldesdiffrenteschosesbelles auxquelleslamoureuxpeutsattacher,DiotimemontreSocrate,quelamour chercheenfanterdanslapense,et voirlebeauenlui-mme ,selonla vritdesanature,selonsapuretsansmlangeetpar lunicitdesa forme .Ilfautajouterunpointremarquable :lerapportaucorpsnestpas dvaloris, comme le fait linterprtation chrtienne, qui ne voit dans cet amour dit platonique ,queleddainducorps,lesplaisirsvilsdesdsirssensuels. Cestoublicettedialectiquedelamour,quiconduitdunbeaucorps,versles beauxcorps,etensuitedeceux-civerslesmes,puisverscequilyadebeau danslesoccupations,lesrglesdeconduite,lesconnaissances,jusquce quenfinleregardatteigne lavastergiondjoccupeparlebeau ,le mouvementestcontinu. Cenestpas,faitremarquerFoucault,lexclusiondu 25 corps qui caractrise essentiellement, pour Platon, le vritable amour ; cest quil est, travers les apparences de lobjet, rapport la vrit . 3- TroisimedplacementquoprePlaton,parrapportauxquestions traditionnelles, celui de la dissymtrie des partenaires celle de la convergence delamour.Lesdeuxamantsdoiventseporter,etserejoindreauvrai,parla forcedummeEros.Ilsagit,faitremarquerFoucault,dune dialectique damour ,quiappellelesdeuxamantslunpourlautre,etquilesporteversle vrai. 4-Passage de lamour de laim, lamour du matre et sa sagesse. La fin du Banquet nous montre bien ce passage de lamourde laim verslamour delasagessedumatre,carlErossadresselavrit,etdoncversceluiqui est le plus avanc en sagesse, le plus amoureux de la vrit, qui pourra le mieux guiderlautreverslamatrisedesesdsirsetdevenirplusfortquelui-mme. Celui-ci,cestleMatre,cestSocrate.Silesjeunesgenssontamoureuxde Socrate, cest parce quils veulent quil leur communique le trsor de sa sagesse, etparcequilestlepluscapabledersisterleursduction,nonpasquil repoussetoutdsir,maisilsaitvritablementaimer,cest--direaimerlevrai. Diotimelavaitditauparavant :cestlui,entretous,quiestsavantenmatire damour.EnfaitSocrate,ditMichelFoucault,alespouvoirsd endurance physique,aptitudelinsensibilit,capacitdesabsenterdesoncorpsetde concentrer en lui-mme toute lnergie de son me. Do peut tre, ce caractre magiquedupersonnageSocrate,saforcedesduction,quifaitdiredes commentateurs, que Socrate est un sorcier. Cest un sorcier, un chamane, car il a le pouvoir de soigner les possds. Alcibiade le dit dans son discours adress la personnequilaime :Socrate.IlreconnatquelaforcemagiquedeSocrate rsidedansunveil,dtournantAlcibiadedelui-mme.Illedpossdedelui-mmeen lui rvlant sa vritabledestination :lamour, comme contemplationde la beaut.Alcibiade estbeau,maisparcequil laime,Socratedtourne cedsir dunion charnelle, vers une union plus grande, dans la contemplation de la beaut. Voyons maintenant les influences de cette philosophie platonicienne du dsir. En premier lieu, soulignons la postrit considrable du Banquet. Les Pres de lEglise chrtienne vont retenir de cette thorie platonicienne du dsir, le thme de lamour conduisant Dieu. Ide que lon retrouve chez saint Augustin ou Saint thomas : Tout amour de la beaut et du bien est un premier pas sur le chemin qui mne la beaut divine. A condition de ne pas tomber dans le pcher ; pch qui sjourne dans les dsirs sensuels, cest--dire ceux du corps. Je cite un passage de La Cit de Dieu de Saint Augustin : Notre choix sest arrt sur les platoniciens, les plus minents, sans contredit, de tous les philosophes, parce que, 26 commeilsontconnuquelmedelhomme,toutimmortelleetraisonnableou intellectuellequelleest,nepeutpossderlabatitudequautantquelleparticipela lumire de celui qui la faite et qui a fait le monde, ils soutiennent que nul narrivera ce qui faitlobjetdesvuxdetousleshommes,cest--dire au bonheur, si, parun amour chaste et pur, il est troitement uni cet Etre un et souverainement bon, qui nest autre que le Dieu suprme et immuable . IlestvraiqueluvredePlatonaquelquechosedemystiqueenelle,parlusagedes mythesdunepart,etdautrepart,dans LaBanquet ,lelangagedivinatoiredela prtresseDiotime.Cependant,cetteinterprtationreligieuselimitelaportedela philosophie platonicienne qui reste avant tout une pense philosophique rigoureuse, celle du Logos .CequenousapprendPlaton,cestjustementlanaturemmedela philosophiequiest amourdelasagesse ,commelindiquesontymologie.Lemot amoursignifiedsir,passion,crationetsoifdevrit.Ilestvraiquecettesoifde vrit, cette passion de la vrit, est plus un chemin quune possession. Cest un dsir qui dpasse la raison. Cest peut-tre en ce sens l que ce dsir nous transporte vers un au-delde nous-mmes. Ce dsir cr en nousun enthousiasme,qui nous le savons, en tant quenthousiasme,possdequelquechosedemagique,quinousinterpelle,sanstoujours savoirquelestsonobjet.Peut-treest-ilinconscient ?(Cequenousrependronsavec linterprtation freudienne de lEros platonicien). Cet enthousiasme exigedtrecommuniqu, il nous inspire.Do le caractre fcondde cedsirquiinspirelaqutedelavritetdesonenseignement.Ilnyapas denseignement sansamour, cest--dire sansce dsirdlever lesprit versle vrai etle beau. Je ne suis pas davis quil faille remplacer ce concept de beaut en soi par Dieu. Que notre aspiration vers la vrit, que les lans de notre pense nous lvent vers des rgionssublimes,rgionsapprochesaussiparlesmathmatiques,commelepense Platon, nous transportent vers les plus hauts degrs de lesprit, divin en ce sens, sans y cherchercependant,safinalitenDieu.Lesgrandescrationsspirituellesdivinisent lhomme,maispourdirecommeFeuerbach,cestencelaquenousavonscrDieu notre image ; Dieu comme perfection dsire ; Dieu comme linaccessible objet de notre dsir. Nietzsche saisira bien ce glissement culpabilisant et craintif, que le christianisme opra surlathorieplatoniciennedudsir,endfinissantcettereligionchrtienne,comme le platonisme du pauvre . En fait Nietzsche, voit dans lEros platonicien comme un art martial, si je puis dire, que commandait la rigueur philosophique, une matrise de soi dans lecombatpublicdesides,cest--direladialectique.Jelecitedans LeCrpuscule desIdoles : Ilfaudraitpluttdfinirlaphilosophie,tellequelapratiquaitPlaton, commeunesortedelicerotique,contenantetapprofondissantlavieillegymnastique agonale (Agon en grec, signifie, lutte, combat), et toutes les conditions qui prcdaient Quest-il rsult, en dernier lieu, de cet rotisme philosophique de Platon ? Une nouvelle forme dart de lAgon grec, la dialectique . 27 On nen finirait pas de citer les auteurs, qui, toutes les poques, ont puis dans cette thoriedudsir. MortVenise deThomasMann,estunmagnifiquechantdamour platonicien, et aux rfrences directes Platon. Mais je pense aussi ce beau texte de Rilke : Lettresunjeunepote .Jenersistepasauplaisirdevouslirece passage : Lamour,cestloccasionuniquedemrir,deprendreforme,dedevenirsoi-mme un monde pour lamour de ltre aim. Cest une haute exigence, une ambition sans limite, qui fait de celui qui aime un lu quappelle le large . Pour finir voyonscomment Freud pense et interprte lEros platonicien. Pourfairecourt,puisquenousreviendronssurlesujet,uneautrefois,prcisons lesensqueFreuddonnedelalibido.Cestunenergiequantifiable destendancesse rattachantcequenousrsumonsdanslemotamour .Cestdoncautrechosequele strictdsirsexuel,puisquilinclut,lamourdesparents,desenfants,lamiti,etmme nosattachementspourdesidesabstraitesoumystiques.Jeciteunpassagede l Essais depsychanalyse , proposde cette extension quil faitdumotamour : En procdant de la sorte, la psychanalyse a soulev une tempte dindignation, comme si elle staitrenduecoupableduneinnovationsacrilge.Et,cependant,en largissant la conceptiondelamour,lapsychanalysenariencrdenouveau.LErosdePlaton prsente,quantsesorigines,sesmanifestationsetsesrapportsaveclamour sexuel,uneanalogiecomplteaveclnergieamoureuse,aveclalibidodela psychanalyse . En conclusion, je dirai que les grecs nous ont appris (ce quils ont d apprendre aussi des orientaux)quelasagesseconsistedanslamatrisedesdsirs.Ledsirnestpas condamn en lui-mme. Il nest condamnable que lorsquil subvertit la raison, quil produit cettedmesureque lesgrecs appellent lhubris. Platondcrit lme en troisparties : le logos(laraison),lethumos(lecourage),etledsir(pithumia).Lethumoscestnotre volontnouslesmodernes.Etnousverronslaprochainefoiscommentlavolont, claireparlaraison,donnetoutesapuissanceaudsirlgitime,jusqulabelleet grandepassion,queDescartesrecommandepourlesespritslesplusgnreux,dansun trait remarquable ( Les Passions de lme ), dont je vous parlerai mercredi prochain. 28 Mercredi 17 Septembre : La mcanique cartsienne des passions Dsir et passion Grard Philippe dans une reprsentation du Cid de Corneille Commenons par dfinir et distinguer ces deux notions : Lapassionestltatau-delduquel,cequintaitalorsquundsirpassageret ponctuel, va devenir une force capable de subordonner tous les autres dsirs, mais aussi capable de transformer toute la personnalit du passionn. Parexemple,leplaisirdeboire,relvedundsiretquiprocureunplaisir.Le passage vers lalcoolisme, cest justement la fin du plaisir, cdant le pas la dpendance, laddiction,commeonleditaujourdhui,ettransformantcequitaitplaisiren souffrance.Doltymologieduterme :patior,pati, souffrir , ptir ,voiraussi pathos .Livrognerienestpluslapratiquedunplaisir,maislangationmmedeson objet,puisquellefondamentalementinsatisfaction.Cequiestdestructeurdansla passion, cest labsence de tout objet. Dans le dsir, il y a un objet qui est le moyen dune satisfaction.Cequicaractriselapassion,cestsaformeabstraite,etlevidedans lequelellesedploie.Encelalejouer,parexemple,estattirverslevide,ouplus exactementparlefaitdebrleretdeserduireencendres.Jemesouviensdune interviewdeSagan, qui exprimait bien sonattirancepourcetteconsumation.Dailleurs, dans le langage des joueurs, on parle des flambeurs. 29 Dans LeJoueur deDostoevski,nouspercevonsbiencecaractreartificieldujeu, quipermetaujoueurdesecroirehorsdelaralit,dansunmondedinstants,sans pass, et peut tre sans avenir. Cest ce qui fait dire Andr Comte-Sponville : Le jeu est une situation artificielle qui montre lartifice de toute passion . Cependant, pouvons-nous rduire toutes les passions ce processus de destruction, un checinvitable ?Nya-t-ilpasdespassionsquirussissent ?Lapassiondelamour nest-ellepasparfoisdunegranderussite.Cettepassiondelamourna-t-ellepasfait grandir les hommes, les rendant dignes de cet amour ? Ilnousfaudradoncfairedesdistinctionsentretoutescespassions particulires,etenpremierlieu,ilfautensaisirlemcanisme,sonorigineetses affects, afin de voir si lon peut mme en faire un bon usage. Cest donc vers notre grand etmodernephilosopheFranais,Descartes,quenousnousinterrogeronssurlanature despassions,etpeuttremme,dgagerunethiquedespassions.Samoraledes passions fut trs influence par la philosophie stocienne. DESCARTES : LES PASSIONS DE LME. (1649) Nousallonscommencerpardesdfinitions,queDescartesnousdonnedanssonTrait, (Art.27-28-29). Pour Descartes, est passion toute affection cause par le corps et que lme rapporte elle-mme :quand lme subit son union avec le corps, elle ptit, prouveconfusment sa servitude au lieu den triompher par la connaissance et la rsolution . Toutefois,lapassionneseconfondpasaveclaffectionpure(douleur,plaisir),qui, commetat,nequalifiepasnotreconduite(etquenousconnaissonsclairementet distinctement. Clart et distinction tant les critres pour la connaissance de la vrit). Elle diffre aussi de lmotion banale (peur, colre), dont le dsordre spuise peu prs dans linstant, par la fuite, par le rire ou les larmes, et dpend surtout des circonstances extrieures. Enfin, on doit lopposer soigneusement au sentiment :lamour et lamiti, les prfrences multiples, les sentiments qui nous attachent aux divers groupes sociaux, assurent le rle quejouelinstinctchezlanimal ;ilsinspirentnospenses, ordonnentnosactions,et,si puissants soient-ils parfois, ils nous livrent le monde en nous adaptant lui. Lapassionestbiendiffrente.Quelletrahisselesretoursobscursdelinstinctou quelleadoptelesfinessesdelimagination,elledemeureuneservitude.Loindtreune tendanceexclusivequitraduiraitnotretreprofond,elledveloppetoutesles consquences dune mprise. NousallonsfairelecommentaireduntextedeDescartes,extraitdunelettre,quila adresslaPrincesseElisabethdeBohmeen1645,aveclaquelle,ilentretenaitde 30 frquentes correspondances sur ce problme des passions. Des lettres dans lesquelles il approfondissaitlargumentation,enrpondantauxquestionsdesacorrespondante.La Princesse a particip la composition de ce Trait, crit en franais, et qui fut publi et distribu en Novembre 1649. Avantdecommencerlalectureetlecommentairedecettelettre,jevoudraisdire combienjaidestimeetdadmirationpourcephilosophe,quiatoujoursprfrce frotterlaralitdumonde,danssavieprive,danssesvoyages,avecsesamis ingnieurs(fascinquiltaitparledveloppementtechnique),rendanttoujourssa pensephilosophiquevivanteetclairantepournotreexistence.Bienquesesthses mtaphysiquesdevinrenttrsclbresetinfluentes,ildisaitneconsacrerquepeude tempsleurlaboration,leurprfrantsestudesmathmatiques,physiquesou physiologique, ou bien aussi lobservation et le commerce avec ses contemporains. Ilsemfiaitbeaucoupdespensesque leshommesdelettresfont,enfermsdans leurcabinet ,commeilledit,etleurcomparaitplusfavorablement,leshommesde mtier, dont les rsultats se voient immdiatement dans louvrage mme. Maissouventlapassionnousfaitcroirecertaineschosesbeaucoupmeilleures etplusdsirablesquellesnesont ;puis,quandnousavonsprisbiendelapeineles acqurir,etperducependantloccasiondepossderdautresbiensplusvritables,la jouissance nous en fait connatre les dfauts, et del viennent lesddains,les regrets et les repentirs. Cest pourquoi le vrai office de la raison est dexaminer la juste valeur de tous les biens dont lacquisition semble dpendre en quelque faon de notre conduite, afinque nous nemanquions jamaisdemployer tous nossoinstcherde nousprocurer ceux qui sont, en effet, les plus dsirables ; () Aureste,levraiusagedenotreraisonpourlaconduitedelavieneconsistequ examineretconsidrersanspassionlavaleurdetouteslesperfections,tantducorps quedelesprit,quipeuventtreacquisesparnotreconduite,afin,qutant ordinairementobligsdenouspriverdequelques-unes,pouravoirlesautres,nous choisissons toujours les meilleures. Et pour ce que celles du corps sont les moindres, on peut dire gnralement que, sans elles, il y a moyen de se rendre heureux. Toutefois, je nesuispointdopinionquonlesdoiveentirementmpriser,nimmequondoive sexempterdavoirdespassions ;ilsuffitquonlesrendesujetteslaraison,et lorsquonlesaainsiapprivoises,ellessontquelquefoisdautantplusutilesquelles penchent plus vers lexcs . Lettre Elisabeth (1645). Quel problme se pose Descartes ? Lhommeestuntrederaison.Certes,maispartoutnousconstatonsqueleshommes nobissentsouventquleurspassions,souventlesplusdestructrices.Quelleplace lhomme doit-il rserver aux passions dans son existence ? Peut-il et doit-il se priver de toutes ? Peut-il cependant, rgler ses passions et en tirer quelques profits ? Dslapremirephrase,lapassionapparatavecunecertaineforce,commequelque chosedefoncirementimptueux.Limptuositdelapassioncontraintleshommes prcipiter leur jugement et tenir pour plus grand, ou plus importants quils ne le sont 31 en ralit tel ou tel plaisir, tel ou tel bien. La passion ne permet pas lhomme de savoir vraiment ce qui est ; bien au contraire, elle brouille et dforme son savoir en lui faisant croireque certaineschosessont meilleuresetplusdsirables quellesnesont Quelles sont ces choses ? Quest-ce que la passion ? CherchonslarponsedansletextemmedeDescartes.Cetextedbuteparune restriction introduite par la conjonction de coordination mais . Descartes indique que lapassionrestreintetperturbecequienthorieouselonunerglegnraledevait avoir lieu. Quelle est cette rgle ? LetexteindiquequeDescartesopposelapassionlaraison.Larglelaquellela passion droge est celle de la raison. Selonlargledelaraison,chaqueplaisirsedevraitmesurerparlagrandeurdela perfectionquileproduit,etcestainsiquenousmesuronsceuxdontlescausesnous sont clairement connues. Chaque plaisir se devrait mesurer , cette remarquedeDescartes, indique quen fait, les choses ne se droulent pas toujours selon la rgle de la raison. La passion fausse, ou drgle la mesure desplaisirs, laquelle nest cense accepter comme critre que le plus oumoins degr de perfection de tel ou tel plaisir.Ordslorsquelecorpsestdelapartie,laclartdelaconnaissancerationnelledes causesdesplaisirs,cdesouventlepasunesortedobscuritquientravetoute mesure.Eneffet,lesprit,entantquilestuniaucorps,produit certaineschoses , commeleditDescartes,quiseprsententconfusmentlimagination.Ceschoses,les objets de notre passion, paraissent souvent plus grandes quelles ne sont. (voir exemple du premier amour de Descartes : la petite fille qui louche ). Aveclapassion,lhommecessedtreunesprittransparentetdcouvre lopacitducorps.Lespassionssontdformantes.Leurprovenancedoittre recherchedanslhommelui-mme, cest--diredans lespritentantquilestsoumis au corps . Cest dans lpaisseur du corps que naissent les passions. La passion vient de cequelecorpsfaitenquelquesortemouvementverslme.Lespassionssontainsila traduction dans lme des mouvements corporels. Nous savons que sur un plan intellectuel, Descartes comprend lhomme comme un tout, form de deux substances, une substance corporelle, et une autre, la substance spirituelle ou me. Nous savons que lme agit sur le corps ; ce sont nos actes volontaires (lever le bras quand je le veux, par exemple). Le corps peut agir sur lme (par exemple, la souffrance ou le plaisir que jprouve). Cependant il existe une autre catgorie daction du corps sur lme, cest celle quilproduitenaffectantlme,maisquelmerapporteelle-mme,etilajoute,dans cettedfinition : quandlmesubitsonunionaveclecorps,elleptit,prouve confusment sa servitude au lieu den triompher par la connaissance et la rsolution . Ensommelmesecroitlacausedelimpulsionetduplaisirquelleprouve, alorsquenralit,lacauseestenfouiedanslecorpsetlignoretotalement.Par exemple,lalcooliquecroitquesavolontestclairementloriginedesonchoix,alors qu en ralit, ilsubitunprocessus neurophysiologique, (laddiction),qui estlavritable causedesonhabitudedeboire.Cettemconnaissancedesvritablescausesdenos passions estloriginedesmauxdelhomme. En fait nous ignorons beaucoupdechoses 32 quisepassentennotrecorps,maiscequifaitlapassion,cestdecroirequenous sommeslacausedecertainsdsirs,alorsquenoussommesleffetdunprocessus physiologique ignor. Lapassionestdoncuneerreur.Cequicaractrisecetteerreurpassionnelle, ce nest pas seulement lignorance des causes qui nous font agir, cest aussi son refus du temps.CommeleditFerdinandAlqui :Lepassionn,eneffet,sembletreceluiqui prfreleprsentaufutur,lepassauprsent(Freuddvelopperaaussicette fascinationpourlepass,quilnommera fantasme ).Lapassionvoudraitenquelque sortelternit,etajouteAlqui : (lepassionn)sesouvientencroyantpercevoir,il confond, il sebercede rve, il forge la chimre delternit .Deux erreursdonc, qui dans la confrontation avec le rel, est invitablement voue lchec. Cerapportobsessionneletfantasmdelapassion,aveclepass,mefait songercebeaufilmdeFranoisTruffaut : Lafemmedct ,de1981,avec Grard Depardieu et Fanny Ardant. Tout le scnario est construit sur limage fantasme dunerencontrefurtiveentredeuxpersonnes,MathildeetBernard,quideviendront amants. Image fantasme et furtive, car ils se sont dj connus, aims et spars, sept ans auparavant. Ce nest que par hasard, lors dune installation dans une nouvelle maison, quils se revoient, furtivement, en ouvrant leurs volets. Nous savons dsce momentque le processus de la passion est mis en place : Labsence totale de communication vritable (ils nont rien changer. Ce quils aiment, cest leur amour) ; le souvenir mu du pass ; limage fantasme de leur ancienne passion, entraperue en un clin doeil ; et pour bien le dclencher, lhistoire dune amie qui a failli se laisser mourir damour, il y a vingt ans (et quineregretterien).Lafinmortelledeleurpassionestdjl,commepourtoute grandepassion.Mathildeorganiseraleurmort,pendantunederniretreinte amoureuse,avecsonamant,etlaisseracederniermessage,quiestselonmoi,toutela passion amoureuse : Ni avec toi, ni sans toi . Revenons au texte de Descartes, et commentons la suite : Lexprience, dit Descartes, nous montrera tous les dfauts de notre passion, do ces maux que nous connaissons, comme les ddains, les regrets et les repentirs . Ces maux naissent dune erreur dvaluation provoque par la passion. Lhomme saperoit de sonerreurenessayantdetirersatisfactiondecesbienssurestims,etenvoulanten jouir. Puisilajoute,silonveutviterdefairefausseroute,encherchantacqurir desbiensquinenvalentpaslapeine,lhommedoitseservirdesaraison.Ilpeutainsi valuerleurjustevaleur,lesbiensquildsireacqurir.Laraisonaunefonctionde discrimination. En fait, nous sommes ici assez proche de la pense picurienne, car il ne sagitpasderaisonmoralisatrice,maisderaisonordonnatrice,calculatrice,etdonc discriminante. Il sagitde laconduitede lavie, cest--direde la vie pratique. Cest enmdecin quil faut rgler ses murs et matriser ses dsirs et ses passions. Il y a trois exigences dalaphilosophiecartsienne :-conserversasant ;-conduiresavie ;-rglerses murs.Lesbiens nesontpas jugs enfonction dunevaluation morale a priori, mais il suffitseulementdenconnatreclairementleurnature,leurseffets.Etdanslavie 33 pratique, Descartes accorde une certaine importance lexprience. Si lhomme ne peut ninedoitsupprimerlespassions(cequireviendraitsupprimerlecorps),ilfautquil apprenneenfairebonusage,souslecontrledelaraisonetaveclaidede lexprience. Seule notre exprience reste capable de savoir, si tel ou tel bien nous est profitable, et nous sommes en ce domaine, tous trs diffrents des uns et des autres. LorsqueDescartes parle de la valeurdun bien, celaadeuxsens : soit celuidune forceenrelationaveclme(unbienpurementspirituel),soitlavaleursignifielefait quunechoseestdsire(lavaleurdunechose,vientdecequejeladsire).Dansses deuxcas,lavaleurdoittremesureparnotreconnaissance.Noussavonsbien,quela forcedelmenesuffitpas,sanslaconnaissance.Maforcedecaractre,commelon dit,resteimpuissantesijignorelanature,lescausesetleseffetsdunbienqueje dsire. Ce nest quen connaissant bien les causes et les effets du tabagisme, que je puis volontairement mabstenir de fumer. PourDescartes,lhommeestlamesure,poseparlui-mme,pourfondertoute vrit.Vousvousrappelezcertainement,cegrandprincipedelamtaphysique cartsienne :l indpendanceabsoluedemavolontlgarddetoutcequime sollicite .Bienentendu,cettevolontnepeutmeconduirequlerreursiellene saccompagne pas de connaissance rationnelle. Dansladeuximepartiedutexte,Descartesreprenantledualisme, passion/raison,soulignecettehirarchieentrelesperfectionsducorpsetcellesde lesprit : Celles du corps tant moindre, on peut dire gnralement que sans elles, il y a unmoyendeserendreheureux .Ladverbegnralementmontrequelesprincipes doiventtretoujoursconfrontsauxfaits,etquelesplaisirsducorpsnesontpoint rejets, car toutes les passions sont le propre lhomme. Ainsi,dansladernirephrase,Descartes,confirmequeleshommesnedoivent passexempterdavoirdespassions.Ilsuffitquelaraisonlesapprivoise.Cependant nous comprenons bien, que pour apprivoiser la passion, quand elle est dj l, il faut une force capable de la matriser.La raison doit les apprivoiser. Toutes les passions sont bonnes et utiles la vie, et il serait inhumain dexiger la privationdetoutepassion.Molire,quiadmiraitDescartes,aadmirablementmontrle ridicule et lhypocrisie de cette morale rpressive. Il faut souligner encore, comme pour Corneille,quelavolontneconsistepasenuncrasementdelapassion.Ilnefautpas entendrelanotiondevolont,commelepouvoirdeserprimer,defairetaireses dsirs.PourunDescartes,aucontraire,laperfectionmoralersidedanslharmoniedu dsiretdelalibert.Etcetteharmonieseralisedanslesmesgnreuses :ceque nous allons voir de suite. Dernirephrasedutexte,laplustonnante,carellesembletreen contradiction avec largumentation qui prcde. ellessontquelquesfoisdautantplusutilesquellespenchentplusvers lexcs . Quelle surprise de lire sous la plume de Descartes, le mot excs ! Lexcs,cestcequiromptlamesure.Cestdonc,aunomdelaraison, condamnable. 34 Or,pourDescarteslexcspeuttrelepropredunegrandeme ;cequi caractrise le sublime, le merveilleux dune action, lorsquelle est conduite avec passion. Lexcs ne signifie donc pas ce qui rompt la mesure, ce qui nobit pas la raison, mais ce quiestgnreux,incitelavienobleousublime.Danslagnrosit,lhomme smerveilledesavolont.Nonpasparorgueil,maisparcettehumilitvertueusequi caractrisesonaction.Lagrandeme,cestcellequiestexcessive,ausensoelle consiste dans le libre lande la gnrosit. Non pas une gnrositde principe, froide, maiscellequivientducur,quireposesurunepassion.Ilyadesvertussansgloire, commeonleditdecertainesvictoires.Maisilyenadautresquireposesurlelibre-arbitre.Lavertu,lorsquelleestpurehabitude,dressageetprobablementfrustration, naaucunevaleur.Nosvertusnontdevaleurqueparlalibertdenotreesprit.Les morales rpressives sont vaines et hypocrites,commejeledisais. Ildpend seulement de nous, que nos passions soient aussi des vertus. Ce qui fait la grandeur dune belle me, comme lon disait au Sicle de Descartes, cest son excs, cest--dire, la force de toute savolont,faceauxtentations,quenprouventpaslesmesfroides,sansoublierle doutequitraverselespritdesplusgnreux.Cestpeut-tredansledouteque saffirmelavraiecroyance,etcestdanslapassionlaplusvivequesaffirmelesage (Socrate aime passionnmentle bel Alcibiade,mais il fait de cette passion,llan de sa gnrosit, qui mnera son disciple vers son complet panouissement, vers la ralisation de son tre). EnsommepourDescartes,etcestlloriginalitdecettemoraledespassions, touteslespassionspeuventtrebonnes,(exceptlacolre),lorsquellessontleves parlagnrosit.Ilcritcepropos, dansunelettreadresseauMarquisde Newcastle: Leshommesquelespassionspeuventleplusmouvoirsontcapablesde goterleplusdedouceurencettevie.Ilestvraiquilsypeuventaussitrouverleplus damertumelorsquilsnelessaventpasbienemployer,etquelafortuneleurest contraire.Maislasagesseestprincipalementutileencepoint,quelleenseignesen rendretellementmatre,etlesmnageravectantdadresse,quelesmauxquelles causent sont fort supportables, et mme quon tire de la joie de tous . Un dernier point critique simpose, au regard de cette matrise des passions par la raison. Que faire lorsque la passion a totalement emprisonn lesprit dun homme ? Sans nuldouteilnepeutpasaismentbiffercettepassion.Cestalorsquenouspouvons penser au mcanisme des passions : si comme nous le savons, lme peut agir sur le corps, elle peut dvelopper des sentiments assez forts pour contrarier la passion. Cest ce que ditDescartes, en disant que nous pouvonsdtourner (et non supprimer) une passion, en sedonnant,jelecite : lareprsentationdeschosesquiontcoutumedtrejointes avecles passionsque nous voulons avoir et qui sont contraires cellesque nous voulons rejeter . Ainsi, comme nous le faisons pour un enfant excessivementpeureux, nous pouvons stimulersonorgueil,lecomparerdautres,afindedclancherenluilaforce ncessairepourcombattresapeur.Ainsiilenvasemblablementdessoldats,qui, devantledanger,semettenttrembler,etquiopposentcettepassionnuisible,que constituelapeur,uneautrepassionaussiforte :lapassiondelagloire.Ensomme, certainespassionspeuventtrouverleurdpassement,commedanslemouvementde 35 lhistoire chez Hegel, avec une autre passion. Cest ce que nous allons voir dans lexemple dune tragi-comdie de Corneille. Je vais, pour cette dernire partie, illustrer cette thorie cartsienne de la passion, en voquant une grande pice, cette tragi-comdie de Corneille : Le Cid . Je mappuierai sur les analysesde Paul Bnichou : Morales du grand Sicle , et particulirement sur cechapitre( lehroscornlien )oildveloppelesliensquiunissentlapensede Descartes et celle de Corneille dans son thtre. RsumduCid :DonDigueetleComtedeGormasontdciddunirleursenfants RodrigueetChimnequisaiment.MaisleComte,jalouxdesevoirprfrDonDigue pour le poste de prcepteur du Prince, donne un soufflet son rival. Don Digue, affaibli par lge et trop vieux pour se venger lui-mme, remet sa vengeance entre les mains de son fils Rodrigue qui, dchir entre son amour et son devoir, finit par couter la voix du sang et tue en duel le pre de Chimne. Chimne essaie de renier son amour et le cache au roi, qui elle demande la tte de Rodrigue. Mais lattaque du Royaume par les maures, donneRodrigueloccasiondeprouversavaleuretdobtenirlepardonduRoi.Plus amoureusequejamaisdeRodriguedevenuunhrosnational,Chimnerestesursa positionetobtientduRoiunduelentreDonSanchezquilaimeaussi,etRodrigue.Elle promet dpouser le vainqueur. Rodrigue victorieux reoit du Roi la main de Chimne : le mariage sera clbr dans un dlai dun an. Paul Bnichou place sa thse sur la nature du hros cornlien, et montre que celui-ciaspirelapluscomplteralisationdelui-mme.Mais,lehroscornliennenous ressemblepas,ilestfaitdelaptepuissantedespassions,etleurpersonnalit triomphe cependant de leurs tendances dominantes. Rodrigue sera le hros de lhonneur familial et fodal (Nous sommes en Espagne au Moyen-ge). Je cite Bnichou : Le sublime cornlien nat donc dun mouvement particulier par lequellimpulsionhumaine,sansseniernisecondamner,slveau-dessusdela ncessit.Cestunmouvementdirectementjaillidelanature,etquipourtantla dpasse,unenaturesuprieurelasimplenature.Natureparladmarcheouvertede lambition,quenetempreaucunegne,etplusquenature,parlapuissancequelemoi sattribue dchapper tout esclavage. La vertu cornlienne est au point o le cri naturel de lorgueil rencontre le sublime de la libert. La grande me est justement celle en qui cette rencontre sopre . Lehrosrecherchelaplushauteimagedelui-mme,nonquilauraitquelque volont de puissance, quelque ambition de russite, ou de prestige, mais seulement cette estime de soi, qui fait la grande me, cest--direune volont libre et souveraine, sans autre intrt, que de saccorder avec sa raison. Certes il doit obir au code de lhonneur, mais il reste libre de toute dtermination ngative et arbitraire. Deux grandes passions se croisent chez les deux hros de cette pice : lamour et lhonneursonttotalementpartagsparRodrigueetChimne.Maiscetamournese comprend quen termes de perfection la plus haute. Il y a bien un puissant lan, sensuel 36 et bouillant, dans cette passion amoureuse, mais cette passion stablira sur une grande estime rciproque. En fait je me demande si lon na pas affaire ici, ce qui sest produit la fin du Moyen-ge, cest--dire lamour courtois. Je tiens cette idedu Dialogues de Gilles Deleuze.Lamourcourtoisimpliquedespreuvesquirepoussentleplaisir,oudumoins repoussentlaterminaisonducot.Peut-tre,sommes-nous,dans LeCid ,entre lamourchevaleresqueetlamourcourtois.Danslamourchevaleresque,lavaillance donnait droit lamour ; ce qui est bientel la fin de cette tragi-comdie. Mais si lon considre,aucontraireledbut,alorslavaillancedevientintrieurelamour,eto lamourincluelavaillance.Deleuzedonnecetexemplepourmontrerqueledsirnest pas le corollaire dun manque, ou si lon veut, ce dsir est pure positivit. Rodrigue est invincible parce quil aime et se sent aim. Lestime attise lamour et lamourattiselestimeetlagloire.Noussommesbienldanslidalromanesqueet hroque de lamour courtois du Moyen-ge. Cesdeuxpassions,lamouretlhonneur,sarticulentluneaveclautre,etsepoussent lune par lautre au-del delles-mmes, comme le ferait une chelle double. Lhonneur ne triomphepasdelamour,illecontraintsedpasser,renoncersesaspirations immdiates pour survivre dans son essence mme. Acte 1, scne 6 :Chimne : Jattire en me vengeant sa haine et sa colre ; Jattire ses mpris en ne me vengeant pas . Ce qui est remarquable cest que lhonneur ne serait rien sans lamour. Les deux passions sobligent un dpassement. Lhonneur sans vertu, cest vaincre sans gloire. La vertu sans passion est une simple habitude. LECTUREDES PASSAGES : - Acte1, scne1. Les grandespassions ne peuvent russirquauprixdusang(RomoetJuliette).Latragdieannoncelacouleur ds le dbut. -Acte1,scne5.Lavengeance :Undevoir absolu. lhonneur des Chevaliers. Il ne sagit pas dune passion aveugle, comme un coup de sang, qui subit une pression incontrle.

-Acte3,scne4.Lextraordinaireet grandiose articulation des deux passions. Apparemment contradictoires, elles se fortifient, cependant, lune par lautre. Nousentermineronsaveccettevocationduhroscornlien,quidans Le Cid deCorneille,nousmontrecequesignifiecettegnrositdesgrandes 37 mes,cettemoraledespassions.Unemoralefondesurcettelibreexpansion des individualits, ou la raison, nest pas cette contrainte rpressive, disons une moraline ,pourparlercommeNietzsche.Laraison,chezCorneille,comme chezDescartes,montrelecheminlagnrosit,etcommeleditBnichou, jamais, elle nest lennemie du moi . La prochaine fois, nous aborderons lanalyse spinoziste du dsir. 38 Mercredi 24 Septembre : Le dsir comme puissance daffirmation et de cration. Spinoza : Ethique (L. 3 et 4) Spinoza (1632-1677) Vermeer Vue de Delft Pour commencer, avant dapprofondir la conception spinoziste du dsir comme pui