LA BANQUE CENTRALE ET L’UNION MONÉTAIRE EUROPÉENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRÉDIBILITÉ

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    La cration de lUnion montaire europenne confre une dimension expri-mentale lacquisition de la crdibilit par une banque centrale et sa mise lpreuve. Les modles thoriques qui fondent la notion de crdibilit rduisent laconfiguration institutionnelle un schma trs simple et lvaluation collective decette crdibilit est rduite lopinion moyenne des marchs financiers. Aussi, nousprocdons quelques variations sur un thme de Barro et Gordon (1983). Alorsque dans ce modle, les salaris fixent le salaire nominal avant que linflation soiteffective, ici, les marchs financiers fixent le taux dintrt de long terme de tellefaon quil galise loffre et la demande agrge de biens. Pour tre crdible, labanque centrale devra viser une inflation trs faible pendant une longue priode afinde faire converger les anticipations des marchs vers un niveau bas dinflation. Sion projette ces raisonnements sur lexprience europenne, on peut craindre quilsne confortent lide dun penchant restrictif de la BCE. Ce modle est clairant un second titre : il peut engendrer des quilibres multiples, sources de problmes de

    coordination entre agents pour dfinir un quilibre qui fasse lobjet dun accordcommun. Pour chapper ces problmes, la cohrence temporelle de laction de laBCE, cest--dire une articulation harmonieuse des objectifs et rgles de long termeavec une action conjoncturelle adapte aux circonstances, ncessite la coopration

    LA BANQUE CENTRALE ET LUNION

    MONTAIRE EUROPENNES : LESTRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT Jrme Creel

    Dpartement des tudes de lOFCE

    Jacky Fayolle

    Directeur-adjoint du Dpartement des tudes de lOFCEProfesseur associ lUniversit Pierre Mends France, Grenoble

    Mars 2002

    Hors srie

    Les structures ne peuvent fonctionner quen relation directeavec des codes de conduite partags : la lgitimit des institutionsrepose sur des accords interpersonnels et une comprhensioncommune, qui exige son tour le respect des comportementsattendus et une certaine mesure de confiance mutuelle. Parce queladhsion un code de conduite partag est, le plus souvent,implicite, on tend sous-estimer son importance dans des situa-tions o cette confiance est acquise. Mais il arrive quon la

    sous-estime l o elle nexiste pas. Et les rsultats peuvent alorsconfiner au dsastre .

    Amartya Sen, 2000 : Un nouveau modle conomique,Dveloppement, Justice, Libert, Editions Odile Jacob.

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    effective des diverses institutions en charge de la politique conomique europenne.Linsertion plus franche de la BCE dans un rseau institutionnel qui active les obliga-tions de motivation et de responsabilit auxquelles elle devrait satisfaire contribuerait clarifier lhorizon qui gouverne ses dcisions. De plus, cause de lhtrognitencore dominante de la zone euro, la BCE peut difficilement se passer dune repr-sentation de lconomie europenne qui soit plus structurelle que montariste .Cette reprsentation linciterait privilgier lattention limpact global et diversifides taux dintrt et de leur structure plutt qu la matrise illusoire dun agrgatmontaire. La BCE est en charge de la stabilit globale des prix, mais lexercice decette responsabilit dintrt commun passe par une vision dtaille de limpulsionet de la propagation des chocs et des tensions au sein de la zone euro. Pour toutesces raisons, la BCE devra tre tout autant anglo-saxonne que germanique, sinspirerautant de la FED que de la Buba.

    L entre en scne de la Banque centrale europenne (cf. Creelet Fayolle, 2002) suggre que ni laffichage ostensible de lafidlit aux dogmes de la bonne gestion montaire, ni lafiliation dclare avec une banque centrale mre 1 comme la Buba

    dont la crdibilit relevait dune patiente construction historique, nesont des conditions suffisantes pour que soit garantie la crdibilit dunebanque centrale.

    Contrairement aux enseignements dun certain nombre de modlesthoriques (celui de Barro et Gordon, 1983, et sa longue filiation), leshausses des taux dintrt directeurs pratiques par la BCE au coursde sa brve histoire ont rarement t perues comme le moyen assurdanantir tout biais inflationniste de la part des autorits responsablesdes politiques conomiques. Ou bien ces hausses furent jugesasphyxiantes par les gouvernements europens et les ont amens, plusou moins consciemment, rduire leurs efforts dassainissement budg-taire : les marchs financiers ont pu en dduire que la politiquemontaire de la BCE ntait, de ce fait, pas crdible puisquelle tait

    susceptible dentraner des pressions inflationnistes. Ou bien la BCEsest mprise sur la doxa des marchs financiers : loin daccorder, commenagure, une importance prioritaire la lutte contre linflation, ils privi-lgieraient maintenant la rentabilit des entreprises et verraient doncdun il meilleur les baisses de taux supposes favoriser cette renta-bilit. La prise en compte des anticipations des marchs financiers surla politique montaire est devenue de fait incontournable et a relguau second plan celles des salaris. On montre dailleurs plus loin sousquelles conditions le modle originel de Barro et Gordon (1983), bassur les liens entre politique montaire et ngociations salariales, peut

    tre appliqu aux relations entre la politique montaire et la fixationdes taux dintrt de long terme, supposs reflter les anticipations de

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    1. Cf. Issing (2000, pp. 329-30).

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    march. Ainsi, une politique montaire restrictive permet-elle, enmaintenant une inflation basse, de faire tendre les anticipations desmarchs vers un niveau plus bas de taux dintrt de long terme, mais

    ce ne peut tre le cas que si les cots induits par cette politique nesont pas tels que sa crdibilit puisse tre mise en doute. Il y a doncun arbitrage effectuer entre inflation prsente, inflation future et crois-sance anticipe qui rend trs difficile la mise en uvre de la politiquemontaire dans un univers financier largement globalis.

    Avant mme dapprofondir la dfinition acadmique de la crdi-bilit, deux lments plus pratiques semblent ressortir des troispremires annes dexercice de lUnion montaire : dune part, que lasolitude dune banque centrale ne profite pas obligatoirement sa crdi-bilit ; dautre part, que cette crdibilit ncessite un effort persvrant

    dobjectivation des dcisions, cest--dire de justification des dcisionsannonces par un diagnostic conomique suffisamment explicit etdment argument ; il ne suffit pas de communiquer, mme bien, pourconvaincre. Cet effort dobjectivation est rendu dautant plus essentieldans la zone euro que la BCE nest pas confronte une sorte demarch financier unique, ainsi que peut apparatre Wall Street de primeabord, mais une multiplicit de marchs financiers nationaux dont lesvolutions peuvent tre divergentes.

    Du ftichisme la lacit 2

    La solitude, mme revendique, ne profite pas la crdibilit

    La crdibilit de la banque centrale nest pas rductible la bonnerputation, au sens commun du terme, de linstitution et de sesdirigeants, qui est dlgue la politique montaire. Elle est aussifonction de la bonne insertion de cette politique dans lensemble de

    laction macroconomique mene par les autorits publiques commu-nautaires et nationales partie prenante cette action. Elle nest pasindpendante de la qualit de la coopration des institutions en chargedes politiques conomiques. La crdibilit nest pas une simple propritintrinsque de la banque centrale : pour quelle lui soit accorde, il fautque son action et celle des autres institutions responsables de lapolitique conomique sharmonisent suffisamment. La viabilit du modusvivendi entre la banque centrale et ces institutions, et la confiance desagents cet gard, participent leur crdibilit respective. Dans ledomaine de la gestion du change par exemple, la reconnaissance du

    dollar comme principale monnaie internationale de transaction et de

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    2. Ftichisme : Adoration aveugle dune personne, de ses dfauts, de ses caprices, et aussidun systme (Le Petit Littr, Librairie Gnrale Franaise, dition 1990).

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    rserve bnficie dun tel modus vivendi patiemment et contradictoi-rement construit entre la FED et le Trsor (cf. Davanne et Jacquet,2000). Leuro nen est pas encore l. Au-del de la lettre du trait qui

    confie au Conseil europen la dfinition du rgime et des orientationsfondamentales de change, la courte existence de leuro a vu se succderdes phases distinctes. laffrontement initial entre la BCE et OskarLafontaine, qui ambitionnait de limiter la libert daction de la BCE parun ancrage de leuro au sein dun systme montaire internationalstabilis, rform et coordonn, a succd, en gros jusqu la fin 1999,un apparent benign neglect ( ngligence bienveillante ), consacrant lasubordination de la gestion du change lobjectif de stabilit des prixet rduisant la responsabilit du conseil avec son assentiment aucas de circonstances exceptionnelles. Mais les inquitudes devant la

    poursuite de la glissade de leuro, plus nettement quoique contradic-toirement exprimes depuis le dbut 2000, mettent en vidence lebesoin de dfinition dune doctrine de change, suffisamment clarifiepour orienter la recherche de parits de rfrence moyen terme,suffisamment pragmatique pour ddramatiser des pisodes transitoires.

    Les interventions de la banque centrale, privilgiant lattention aurisque dinflation importe suscit par la baisse de leuro, ont rvlune vision trop partielle du mouvement du change pour convaincre lesoprateurs de modifier leur attitude et stabiliser ainsi leuro. En se

    voulant exclusivement prventive lgard des anticipations dinflation,la BCE a paradoxalement pris le risque de nourrir linflation importe.Si leuro se dprcie par rapport au dollar parce que les mdiocresperformances de croissance effective de lEurope, comparativement auxtats-Unis, sont annonciatrices, pour les investisseurs, dune suprioritdurable de la croissance potentielle amricaine, les pressions inflation-nistes viennent alors fondamentalement de linflation importe, pour unniveau donn de lcart entre croissance des salaires et productivit.Augmenter le taux dintrt directeur dans la zone euro pour contrercette dprciation est forcment contre-productif : cela rduit un peu

    plus les perspectives de croissance dans cette zone et vient, de ce fait,exacerber la chute de leuro et les pressions inflationnistes quelleengendre. Ne pas recourir une baisse du taux directeur europenlorsque les perspectives de croissance sassombrissent aux tats-Unisne fait l aussi qualimenter la chute de leuro car la FED, elle, nhsitegnralement pas utiliser linstrument des taux dintrt pour rtablirla confiance des investisseurs, des consommateurs et, partant, la crois-sance conomique.

    De fait, limpact des variations du taux directeur de la BCE sur le

    taux de change de leuro vis--vis du dollar napparat gure efficace(graphique 1). La tendance baissire de leuro, qui sest poursuiviependant toute la priode de resserrement montaire, prend fin provi-soirement en novembre 2000, au moment mme o le taux directeur

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    de la BCE atteint un palier haut et o les taux longs entament euxaussi une baisse. partir de ce mois, leuro alterne dans des dlaisrelativement brefs des priodes de hausse puis de baisse. En juin 2001,

    il a retrouv sa valeur du mois doctobre 2000 (son point bas vis--visdu dollar) ; en aot 2001, il retrouve sa valeur du mois de janvier 2001.Cette phase de relative turbulence dans la dtermination du cours deleuro sinscrit dans le cadre dune politique montaire europenne trsattentiste. Les adaptations ponctuelles quelle consent sont loin deconvaincre les oprateurs. Lannonce isole dune baisse en mai 2001est ainsi concomitante dune forte chute de leuro : il perd alors 4,5 %de sa valeur par rapport au dollar, pour une baisse de 25 points debase du principal taux de refinancement ! La BCE peine visiblement rendre ses dcisions de politique montaire crdibles aux yeux des

    marchs financiers. Des dcisions ponctuelles, par -coups, qui neprennent pas place dans une orientation claire, restent peu convain-cantes pour inflchir durablement le comportement des oprateurs (cf.Creel et Fayolle, 2002).

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    1.Taux dintrt court et long dans la zone euro et taux de change euro/dollar

    Source : BCE.

    2

    2,5

    3

    3,5

    4

    4,5

    5

    5,5

    6

    1999:1 4 7 10 2000:1 4 7 10 2001:1 4 7

    0,8

    0,85

    0,9

    0,95

    1

    1,05

    1,1

    1,15

    1,2

    Taux Repo BCE

    Taux sur les obligations 10 ans zone euro

    Taux de change euro/dollar (chelle de droite)

    La crdibilit nest pas quaffaire subjective

    La crdibilit de la banque centrale ne peut reposer sur les seules

    vertus de la psychologie, du dialogue entretenu par les banquierscentraux et les oprateurs financiers, de la capacit des premiers percevoir les signaux mis par lvolution des marchs comme laprsomption de tensions inflationnistes et distiller des petites

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    phrases qui rassurent les seconds et inflchissent convenablementleur comportement. Cest pourtant cette acception de la crdibilit quiest le plus souvent mise en avant par les responsables de la BCE, lorsque

    par exemple M. Duisenberg affirme, le 19 novembre 1999, que lacommunication de la BCE vise tre aussi crdible et transparente quepossible pour rendre ses dcisions de politique montaire prvisiblespar les marchs financiers . Est-il besoin de dire que cette crdibilit-l est assez loin de la capacit noncer la vrit ? Otmar Issingle reconnat assez crment sa faon, lorsquil reprend son comptecette dfinition de la crdibilit : La crdibilit est littralement dfiniecomme la capacit faire admettre ses propres affirmations commeeffectives et ses propres motifs comme justes 3 (Issing, 2000, p.338).Une banque centrale crdible sait mentir et faire passer ce mensonge

    pour vrai. La crdibilit se rduit laccord des annonces de la banquecentrale et des anticipations des marchs ces dernires matrialisespar le niveau et lorientation des taux dintrt long terme. Mais leslimites de ce jeu de miroirs ont t prouves plusieurs reprisesdepuis lautomne 1999, lorsque les relvements de son taux dinter-vention par la BCE nont eu au mieux quun effet transitoire et modrsur les taux longs ou sur le cours de leuro.

    La crdibilit de la BCE apparat dpendre plus fondamentalementde sa capacit, aujourdhui visiblement limite, faire partager par

    lensemble des agents conomiques une vision objective du drou-lement conjoncturel, qui lgitime ses dcisions. La rationalit supposedes agents et de leurs anticipations ne dispense pas en effet de sinter-roger sur la nature et la pertinence du modle qui sous-tend cesanticipations : la crdibilit de la banque centrale passe par leffet deconviction quelle exerce, sa capacit convaincre les agents quelledispose dune reprsentation pertinente de lconomie europenne etdun systme dindicateurs nourrissant en temps rel ce modle . Enlabsence de cette capacit faire partager sa vision de la conjonctureeuropenne, la rationalit des anticipations se rduit un jeu de suppu-

    tations rciproques, entre banquiers centraux et oprateurs financiers,sur leurs croyances respectives : elle nest alors pas exclusive dencha-nements mimtiques qui nont pas obligatoirement grand-chose voiravec les fondamentaux. Pour faire srieusement rfrence ceux-ci,encore faut-il savoir ce quils sont Objectivation des dcisions depolitique montaire et contextualisation des anticipations 4 consti-tuent la double condition de ce dpassement des jeux mimtiques.

    En basant sa stratgie sur le principe des deux piliers, la BCE acertes voulu viter que ses dcisions puissent tre dpendantes dune

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    3. Credibility is literally defined as the ability to have ones statements accepted as factualor ones motives as the true ones (traduit par les auteurs).

    4. Cette dernire expression est emprunte Dal-Pont, Torre et Tosi (2000).

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    information partielle. En tudiant conjointement, dune part, lvolutionet la composition de lagrgat montaire M3 et, dautre part, la gammedes variables reprsentatives des volutions conomiques de la zone

    euro (volution des cots, notamment ceux relatifs au march dutravail ; volution des indicateurs de demande et de tensions sur lescapacits de production), la BCE cherche bien objectiver sesdcisions. Selon elle (voir ECB, 2001b, p. 55), lapproche des deuxpiliers rduit les risques derreurs de politique cause par une confianceexcessive en un indicateur, une prvision ou un modle uniques. Enadoptant une approche diversifie pour linterprtation de la situationconomique, on peut considrer que la stratgie de la BCE faciliteladoption dune politique montaire robuste dans un contexteincertain . Mais ce faisant, elle prend le risque, en maniant cette stricte

    dualit entre les dterminants montaires et rels de linflation aumotif qu long terme, linflation est purement montaire ! , que desvolutions contrastes entre ces diffrents lments dgradent lalisibilit de sa stratgie.

    Ainsi, la BCE ne pouvait gure justifier la baisse de taux quelle ainitialement pratique, en avril 1999, par la modration de lagrgat M3,mme si Issing (2000) indique que la dflation tait de lordre du risquemarginal plutt que de lattente centrale et que la rapide croissance deM3 a ensuite trs vite redonn le dessus au risque inflationniste. De

    nouveau, lautomne 2001, le drapage de lagrgat M3 (dont leglissement annuel, proche de la norme de rfrence de 4,5 % en dbutdanne, slve 6,7 % en aot) ne peut gure appuyer les baisses detaux que semble appeler la situation, mais la BCE nest pas dupe : lesarbitrages en faveur des actifs liquides favoriss par une courbe destaux par chances assez plate, la reconstitution des encaisses de trans-action face aux chocs transitoires sur les prix agricoles et nergtiques,lincertitude affectant les marchs de titres ont nourri ce drapage,comme en tmoigne clairement lanalyse faite par la BCE dans sonbulletin mensuel doctobre 2001. Lpisode, nanmoins, suggre que,

    dans les situations critiques, o laction de la BCE est particulirementobjet de lattention publique, le premier pilier perd trs vite de sa perti-nence pour guider lactivit oprationnelle de la banque. Il est vrai quilest cens ne concerner que le moyen terme, mais cest une rfrencede moyen terme quelque peu vanescente, qui suppose, pour que sapertinence soit assure, un calme rgime de croisire et qui perd decette pertinence lorsque le caractre critique des circonstances appellelaction.

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    Les dfinitions de la crdibilitAu travers des doutes ainsi exprims sur lacquisition dune crdi-

    bilit solide par la BCE, cest la notion mme de crdibilit, sa dfinition,qui sont en jeu. La cration de lUnion montaire europenne,vnement rare, confre une dimension exprimentale la mise lpreuve de cette notion et en rvle laspect paradoxal. Cette notionest, pourrait-on dire, victime dune involution thorique. labore etaffine dans le cadre de modles thoriques spcifiques au cours desdernires dcennies, elle sest impose comme lexigence normative debase adresse aux banques centrales. Mais il en est delle commedautres principes de politique montaire dans lhistoire : les thoriesqui les justifient sont valuer, non pas simplement en fonction de leur

    ventuelle vrit intrinsque, mais en tant que doctrines pratiques quimodlent laction des banques centrales. En loccurrence, les banquescentrales, et dautres acteurs avec elles, font usage dune notion trsconditionnelle de crdibilit, spcifie au sein de modles thoriquessouvent simplistes de linflation. Or, la crdibilit dune banque centralene peut tre dfinie indpendamment de lensemble concret des insti-tutions et des agents dont elle est partie prenante et de la nature desrgles qui organisent leurs relations, puisque cette crdibilit constitueune valuation collective de son mode daction.

    Le terme de crdibilit a fait couler beaucoup dencre dans lesrevues spcialises en conomie. Avant den prciser les dfinitionspossibles, il est intressant dindiquer les raisons qui lui confrent cetteimportance. Dans son tude consacre cette notion et la maniredont elle est perue par les banquiers centraux eux-mmes et par lesuniversitaires, Blinder (2000, p. 1430) rpertorie quatre raisons consen-suelles : Plus de crdibilit rend la dsinflation moins coteuse, aide maintenir linflation un niveau faible, rend plus aise la dfense duneparit quand cest ncessaire, et augmente le soutien du public en faveurde lindpendance de la banque centrale . Parce que la crdibilit assurela diffusion majoritaire de la croyance dans les vertus stabilisatrices delaction de la banque centrale, quand bien mme le fondement de cettecroyance est sujet discussion, elle acquiert un caractre auto-rali-sateur qui concourt sa prennit.

    Pour autant, le flou qui entoure la notion mme de crdibilit nestpas lev par la masse de la littrature qui porte sur cette notion 5. Il

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    5. Comme Blinder (2000), nous avons utilis la base de donnes du Journal of EconomicLiterature, qui recense lensemble des publications conomiques partir de mots cls, pour rper-torier le nombre de fois que le mot crdibilit a t utilis depuis 1985 dans les rsumsdarticles parus dans des revues (les documents de travail, les chapitres dans des ouvrages sontexclus, afin dviter les doublons). Le rsultat est : 281 fois (on a associ crdible ou crdi-

    bilit montaire , engagement et fiscal ). titre de comparaison, le terme dficit , associ aux pithtes public , budgtaire , primaire , ou structurel , at utilis 442 fois depuis 1985. De toute vidence, lattrait pour la crdibilit sest accentuau cours des annes 1990 : plus prcisment, depuis 1995, la crdibilit devient pratiquementautant cite (208 fois) que le dficit (266 fois).

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    nen existe pas, en effet, de dfinition unifie. Les dfinitions acad-miques, qui co-existent parmi les conomistes, font intervenir desterminologies spcifiques, comme laversion vis--vis de linflation, le pr-

    engagement et les contrats dincitation qui, finalement, sont sans douteles plus proches de la dfinition courante. Ces dfinitions entretiennentdes liens variables avec lacception commune de la crdibilit : ce quifait quune chose mrite dtre crue (Robert), ou le caractre dequelquun qui est digne de confiance (Larousse). Pour quune personneou une institution soit crdible, il faut que sa parole engage ses actes.

    Les premires utilisations conomiques de la notion de crdi-bilit trouvent leur origine dans les travaux de Kydland et Prescott(1977) et Calvo (1978). Dans ces modles canoniques, la confrontationentre le biais inflationniste , qui dsigne lcart entre le niveaudactivit jug optimal par les autorits et le niveau naturel correspondant lquilibre des marchs, et le degr daversion de cesmmes autorits pour linflation dcide de linflation dquilibre ration-nellement anticipe par les agents, aux chocs alatoires prs quisuscitent des dviations et des corrections transitoires.

    partir dun modle simple 6, ces auteurs ont ainsi pu dfinir unetaxonomie des quilibres possibles et des niveaux dinflation associs.En incorporant un objectif de stabilit de linflation dans la fonction-objectif du gouvernement, on peut conclure que plus laversion pour

    linflation est forte, plus linflation effective est faible, et plus la crdi-bilit est assure. La crdibilit est ici conjointe la forte aversion pourlinflation.

    Barro et Gordon (1983a et 1983b) privilgient plutt la notion dergle, quils opposent aux dcisions discrtionnaires. Les gouvernementssont incits tricher sur leurs intentions et cherchent provoquer des surprises dinflation . Cependant, face des agents privs parfaitementinforms, il ny a pas dcart entre linflation effective et linflationanticipe : tricher ne paie pas. Pour passer dun quilibre de third

    best (la discrtion) un quilibre de second best , il faut se lierles mains en adoptant une rgle de pr-engagement. Pour parvenir au first best , rien nest mieux que davoir construit sa rputation : labanque centrale est alors en mesure datteindre un taux dinflationinfrieur qui limine le biais inflationniste quincorpore encore lqui-libre de second best .

    Une dernire dfinition de la crdibilit fait intervenir les contratsincitatifs (Walsh, 1995). Ceux-ci doivent permettre de rendre crdibles,aux yeux de la socit, les annonces de politique montaire faites par

    le banquier central. Pour ce faire, il faut sassurer quil est dans lintrt

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    6. Comprenant une courbe de Phillips augmente des anticipations, une quation dedemande, et une fonction-objectif du gouvernement, suppose reprsenter les prfrences dela socit.

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    de celui-ci de ne pas revenir sur sa parole. Un moyen dy parvenirconsiste spcifier une amende proportionnelle lcart entre le tauxdinflation et sa cible. Ce mcanisme contractuel est suppos inciter le

    banquier central respecter ses objectifs et tenir parole. Sa mise enuvre est cependant quasiment impossible : lincertitude portant sur lamesure de linflation, sur les mcanismes et les dlais de transmissionde la politique montaire vers linflation, ainsi que sur les chocs pouvantfrapper les conomies est telle quon ne peut prtendre juger lebanquier central comme seul responsable des carts lobjectif.

    Au final, le plus important nest-il pas de montrer sa dtermination atteindre un objectif ultime la stabilit des prix en latteignanteffectivement ? Blinder (2000) rappelle avec justesse que la Bundesbank,malgr des checs rpts respecter ses objectifs de croissance

    montaire, a toujours t perue comme une institution crdible, toutsimplement parce quelle matrisait linflation. Si tel devait tre le cas,la crdibilit serait synonyme de rputation, et il ne faudrait passtonner quune institution aussi jeune que la BCE ne soit pas crdible . Cest seulement lorsque le jeu entre les autoritspubliques, qui peuvent tre accuses de chercher user de linflationpour augmenter lactivit, et les agents privs, qui anticipent rationnel-lement ce biais public, est rpt le long dun horizon infini, que lepenchant inflationniste des autorits est modr par le souci de sauve-garder leur rputation (Backus et Driffill, 1985 voir aussi plus loin).La crdibilit devient alors un capital qui peut tre objet daccu-mulation, mme si comme dautres, il est vulnrable lusure.

    Le mieux ne serait-il pas alors de faire ce que lon dit et de direce que lon fait ? Avec la seconde partie de cette expression, ladiscussion glisse ainsi vers la notion paradoxalement complexe de transparence , qui est au cur dun certain nombre de discussionsrcentes sur la capacit des membres de la BCE communiquer.

    Un dilemme entre crdibilit et transparence ?En quoi consiste la transparence, et est-elle lie la crdibilit ?

    Dans un article reliant ces deux concepts, Faust et Svensson (2000,p. 5) dfinissent la transparence de la manire suivante : elle est lie la facilit avec laquelle le public peut dduire les objectifs et les inten-tions des banques centrales dlments observables . Le public estcharg dextraire de linformation, et plus facile elle est rassembler,plus la transparence est forte. Pour Geraats (2001, p. 7), cependant, la transparence conomique correspond la publication de prvisions

    dinflation et de croissance du PIB par la banque centrale . Cette officia-lisation des prvisions nourrissant les dcisions de politique montairervlerait l aussi au public des informations utiles sur le modle sous-

    jacent de la banque centrale, donc sur ses modalits de raction aux

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    chocs exognes. On notera ici avec quelle force, cependant, EugenioDomingo Solans (2000, p. 4), membre du Conseil des gouverneurs dela BCE, rejette lide consistant laisser croire au public que les

    dcisions de la BCE peuvent tre prises en fonction des seules prvi-sions de cette organisation. Ne pas tre conscient de lutilisationlimite des prvisions ralises par le staffde la BCE dans la procdurede dcision de la politique montaire rduirait de manire paradoxale,au lieu de lamliorer, le degr de transparence de sa politique, ce quidevrait pourtant tre son principal objectif . La BCE donne icilimpression de ne pas vouloir laisser percevoir ses erreurs dappr-ciation par le public, ce qui serait le cas si elle basait ses dcisions surses propres projections et si celles-ci taient infirmes ex post. Il y adonc l un motif tendant favoriser une part de secret dans la pratique

    de la politique montaire, au nom, implicitement, du pragmatismePourtant les travaux rcents mettent en doute la pertinence du

    secret dans la pratique des banquiers centraux et mettent mme enavant limpact de la communication externe ( open mouth operations )sur les taux dintrt en labsence doprations dopen-market (voirGuthrie et Wright, 2000, sur le cas no-zlandais 7, ou Thornton, 2000,pour la FED au cours des annes soixante). Pour tre pleinementefficace, la transparence selon Winkler (2000) doit pouvoir assurer lestrois fonctions suivantes : la clart dans la communication vis--vis dupublic ; lhonntet, cest--dire la conformit de la structure de linfor-mation dlivre en externe avec celle dlivre en interne, et ceci afinque le public nait pas craindre, ou le moins possible, une manuvrestratgique de la part de la banque centrale ; et, enfin, lefficacit delinformation dlivre en interne. La crdibilit nest pas dtermine demanire univoque par ce nouveau triangle des compatibilits (voirla figure 1). Dans un contexte idal la banque centrale est claire,franche et efficace la transparence peut viter toute confusion surles informations disponibles, les objectifs et la stratgie poursuivie, entrela banque centrale et le public ; mais elle peut aussi rvler ex post lesdficiences et les inefficacits de la structure de prise de dcision ausein de la banque centrale si celle-ci nest pas idale . Dans le premiercas, elle accrot la crdibilit ; dans le second, elle la rduit et lopacitpeut tre protectrice.

    LA BCE ET LUME : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    221

    Hors srie/ mars 2002

    7. En considrant que la politique montaire consiste en lachat et la vente de titres par labanque centrale, ces auteurs perdent nanmoins de vue le fait que la politique montaire peuttre dcrite par la fixation dun taux dintrt. Si celui-ci rpond une variation dans les antici-pations dinflation, elle-mme susceptible dinduire des fluctuations dans les demandes et lesoffres de titres, la raction stabilisatrice de la politique montaire peut suffire maintenir lqui-libre initial sans variation de ces offres et demandes de titres car lanticipation dinflation ne

    sest pas matrialise. Il ny a donc pas doprations dopen-market, mais les taux dintrt ontbel et bien vari. Lannonce pralable de cette dcision (open mouth operation) ne fait que reflterla dcision qui va tre prise, dcision perceptible dans les donnes de taux dintrt. On nepeut donc pas renvoyer dos dos politique montaire traditionnelle (open market, ou variationdun taux directeur) et les annonces qui sont faites (open mouth operations).

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    12/34

    Face ce possible dilemme entre crdibilit et transparence, la BCEsemble avoir opt pour une transparence a minima. Si ses objectifs sontparfaitement connus, sa stratgie nest pas exactement ce que lon peutdfinir par ladjectif claire : la cohabitation des deux piliers nestpas un modle cet gard. Quant la communication externe, ellepeut confiner lexercice de style, comme en mai 2001, lorsque songouverneur a justifi la baisse du taux dintrt non pas par les perspec-tives assombries de croissance conomique, fait marquant largementcomment par les instituts de conjoncture et les mdias, mais par lasurestimation passe de lagrgat montaire largi dit M3. Comme si lacible montaire gardait encore la moindre pertinence dans desconomies intgres et globalises (sur ce point, voir Creel etSterdyniak, 1999). De mme avant cette dcision de baisse, lobstinationde la BCE ne pas faire varier ses taux et justifier son inertie parlinvocation des risques inflationnistes, alors mme que lconomiste enchef de la BCE, Otmar Issing, prvoyait le pic dinflation pour ledeuxime trimestre 2001, ntait gure cohrente avec lexprienceacquise des dlais de transmission de la politique montaire. moinsquelle ne rvle le peu dgard accord aux prvisions-maison . Sitel tait le cas, le hiatus entre honntet et efficacit interne de linfor-mation serait flagrant.

    Les modles thoriques qui fondent la notion de crdibilit rduisentsouvent la configuration institutionnelle un schma trs simple etlvaluation collective de cette crdibilit est, dans la foule, rduite lopinion moyenne exprime par les marchs financiers. La banquecentrale va prouver la difficult asseoir effectivement sa crdibilitlorsque les conditions tacites qui donnent une certaine validit

    empirique ces modles ne sont pas runies et que la gamme desconditions institutionnelles de cette crdibilit est alors rvle danstoute sa complexit par exemple lorsque le passage leuro et lesrestructurations financires associes perturbent la demande de

    Jrme Creel et Jacky Fayolle

    222

    Revue de lOFCE

    Source :Winkler, 2000.

    Figure 1 : Le triangle de transparence de la politique montaire

    HONNTET

    EFFICACIT DE LINFORMATION(communication interne)

    CLART(communication externe)

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    13/34

    monnaie et que les failles de larchitecture institutionnelle de lUnionmontaire exposent particulirement la banque centrale aux critiquessur les consquences de ces carences.

    Aglietta (2000) propose une dfinition largie de la crdibilit quiprend en compte ces difficults : La crdibilit est laptitude de labanque centrale faire reconnatre sa dtermination de prserver lergime montaire sur lequel elle a engag sa stratgie, en dpit desdviations quelle consent pour absorber les chocs dans les meilleuresconditions possibles . Cest la revendication dune complmentaritentre la rgle et les dcisions discrtionnaires 8. videmment, la notionde crdibilit perd de sa simplicit puisque la banque centrale crdibleest celle qui sait oprer un dosage adquat de fidlit au rgimemontaire et de dcision discrtionnaire, de telle sorte que sesdcisions, face des chocs imprvus, soient la condition mme deconsolidation de ce rgime. Le vrai modle de lconomie admetune pluralit de canaux de transmission des dcisions montaires etune variabilit des dlais daction associs, il est en consquence tropcomplexe pour tre rduit un schma simple compltement matrispar la seule banque centrale. Aussi, la crdibilit de celle-ci passe parun effort dobjectivation du fonctionnement de lconomie et de lasituation conjoncturelle, laquelle participe la confrontation des analyseset des jugements. Lexpertise de la banque centrale est soumise

    examen et les institutions devant lesquelles elle rend compte (accoun-tability) doivent disposer des moyens intellectuels de cet examen. Biensr, comme cet effort dobjectivation a pour pendant la contestabilitdes dcisions de la banque centrale, il est tentant pour celle-ci, afin dese protger, de sen remettre la croyance suppose partage dans lavertu informative dun petit nombre dagrgats montaires, visibles sinonpertinents. La transparence de la communication serait alors un exerciceun peu facile puisque la banque centrale pourrait arguer du bien-fondde ses dcisions partir dun petit et slectif chantillon dindicateurs,sans quelle se prte un dbat approfondi sur la ralit de la situation

    conomique. La BCE na pas choisi cette facilit en adoptant la stratgiedes deux piliers. Cependant, et parce que ces deux piliers peuventdlivrer des informations contradictoires sur la situation conjoncturelleet structurelle de la zone euro, la capacit de la BCE rendre compteobjectivement de ses dcisions est loin dtre acquise.

    Une conception de la crdibilit des autorits montaires, quirenonce au ftichisme, met en situation les conditions de cette crdi-bilit au sein de lensemble des acteurs et des institutions qui

    LA BCE ET LUME : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    223

    Hors srie/ mars 2002

    8. Cette complmentarit pourrait tre comprise aussi comme la recherche du degr optimal

    dinertie de la rgle gouvernant les dcisions montaires.Woodford (1999) montre que la rgleoptimale de dtermination du taux dintervention par la banque centrale peut se caractriserpar une certaine inertie comprise, cest essentiel, comme un gradualisme des ajustementsde ce taux, et non pas comme un manque de ractivit qui contribue la crdibilit delengagement sur la rgle pris par la banque centrale.

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    14/34

    concourent la rgulation du rgime de croissance. Le rgimemontaire, dont la banque centrale a pour vocation de garantir la repro-duction stable, est seulement une des parties prenantes de cette

    rgulation9

    . On pourrait qualifier cette conception de la crdibilit de laque : lindpendance de la banque centrale a pour contrepartienormale le renoncement, de sa part, une exigence dadhsion incondi-tionnelle du corps social son action. Il faut cependant explorer plusavant les arguments qui justifient cette indpendance de la banquecentrale.

    De lindpendance la rputationLexistence du biais inflationniste peut tre mobilise pour justifier

    une banque centrale indpendante qui aura les coudes plus franchesdans la lutte contre linflation, la fois parce que laversion de sesdirigeants linflation est plus marque et que le mandat prcis qui leurest confi les incite se montrer particulirement vigilants.

    Des enjeux stratgiques de la politique montaire vis--visdes marchs financiers

    Nous procdons ici quelques variations sur un thme de Barroet Gordon (1983). On suppose une conomie dcrite par les quations(1) et (2). La premire relation est une courbe doffre la Lucas, olcart entre loffre courante et la production dquilibre est fonctionde lcart entre linflation effective et linflation anticipe, et de chocsalatoires reprsents par un bruit blanc (, E() = 0, E(2) = 2). Laproduction dquilibre yn est le niveau de production correspondant autaux de chmage naturel. La deuxime relation fait ngativementdpendre la demande agrge du taux dintrt rel de long terme. Le

    modle est crit sous forme log-linarise.; (1)

    . (2)

    Jrme Creel et Jacky Fayolle

    224

    Revue de lOFCE

    9. Leijonhufvud (1987) dfinit ainsi le rgime montaire : dune part, cest une structuredanticipation des agents et cest dautre part une fonction de comportement cohrente despouvoirs publics . La convertibilit , rgime o le gouvernement arrte le prix nominal delor, par exemple, et laisse les banques et les clients dterminer les stocks de monnaie et dactifsfinanciers dquilibre et le contrle, par les autorits publiques, du stock de monnaie sontles deux cas polaires du rgime montaire. Un rgime est constitu lorsque les anticipations

    des agents et les dcisions des autorits saccordent. Mais parce que linformation dont disposenta priori les agents, comme les autorits, est incomplte et imparfaite, la formation et la stabili-sation du rgime sont le rsultat dun ttonnement progressif, qui fonde la confiance des agentsdans laction des institutions montaires sur lexprience des performances conomiques induitespar cette action. Cf. Dal-Pont, Torre et Tosi (2000).

    n a s t t t y y a( )= + +

    a

    d t t y (R ) =

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    15/34

    La banque centrale (pour linstant assimile lunique autoritpolitique exerant les fonctions montaire et gouvernementale) estsuppose minimiser une fonction de perte de forme quadratique

    dpendant de linflation et de lcart du PIB un niveau jug socialementoptimal y. Ce niveau est, par hypothse, suprieur la productionnaturelle yn et tmoigne du biais inflationniste des autorits 10 :

    . (3)

    Les paramtres et sont les poids relatifs respectifs accords parla banque centrale ses deux objectifs.

    Alors que dans le modle de Barro et Gordon (1983), les salarissont supposs fixer le taux de salaire nominal avant que linflation soit

    effective, ici, nous supposons que les marchs financiers fixent le tauxdintrt de long terme de telle faon quil galise loffre et la demandeagrges de biens, soit :

    . (4)

    On scarte ainsi du modle originel, tout en esprant gagner enralisme. Il est vraisemblable, en effet, que les phnomnes dordrefinancier sont devenus plus importants dans les prises de dcision desbanquiers centraux que le seul rsultat des ngociations salariales labase des mcanismes danticipations dans le modle de Barro et Gordon

    (1983). Si les ngociations salariales ne doivent pas tre ngliges (cellesen Allemagne au dbut de lanne 2001 faisaient partie des sujets deproccupations des membres de la BCE), limportance qui leur estaccorde dans la modlisation initiale de Barro et Gordon (ainsi quedans la littrature qui a suivi) est modrer. La chute de la part dessalaires dans la valeur ajoute des entreprises depuis les annes 1970et limportance accorde aux anticipations des oprateurs de marchssur les dcisions de politique montaire semblent militer en ce sens.

    La nouvelle doctrine des marchs, qui semble les amener se soucier

    en priorit de la croissance, donc des conditions la favorisant, semblepouvoir correspondre la description de leur comportement au traversde lquation (4). En vertu de celle-ci, le taux dintrt de long termeest, toutes choses gales par ailleurs, dautant plus lev que les antici-pations dinflation sont leves, mais dautant plus faible que linflationprsente est leve 11 : il y a l une incitation pour la banque centrale provoquer de linflation-surprise. Linflation courante, tant quelle nestpas anticipe, lve loffre et dtend son rapport la demande : le tauxdintrt na pas besoin daugmenter.

    LA BCE ET LUME : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    225

    Hors srie/ mars 2002

    10. Pour une justification de lexistence de ce biais, voir Obstfeld et Rogoff (1996, p. 636).11. On fait ici lhypothse que les anticipations dinflation sont dconnectes de linflation

    prsente, ce qui nest videmment pas le cas, comme on le montre par la suite.

    t t tL ( y y)

    = +

    2 21

    2

    { }a nt t t t R ( a) y a

    = + 1

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    16/34

    Adoptons maintenant le point de vue des oprateurs de march :pris globalement, ils peuvent aussi avoir intrt ce que la production(et lemploi quelle ncessite) soit gale au niveau jug socialement

    optimal, mais, pris individuellement, aucun na intrt dtenir des titresdont le rendement rel a t rduit par linflation. Les objectifs desautorits montaires et des marchs peuvent donc diffrer. Finalement,toujours selon lquation (4), le taux dintrt peut diminuer si le PIBpotentiel saccrot : le biais inflationniste se rduit et la menace infla-tionniste sur les rendements sattnue.

    On notera que dans la majeure partie de la littrature consacreau dbat entre rgle montaire et discrtion, la banque centrale estsuppose tre en mesure de fixer le taux dinflation, afin quil minimisesa fonction de perte. Nous ne ferons pas exception la rgle.

    Comme dans Barro et Gordon (1983), nous distinguons trois modesde rsolution possibles du jeu stratgique entre marchs financiers etbanque centrale : lquilibre discrtionnaire ; lengagement par adoptiondune rgle ; la triche remettant en cause la rputation de la banquecentrale.

    Lquilibre discrtionnaire

    La banque centrale choisit le taux dinflation de la priode en consi-drant les anticipations inflationnistes des marchs financiers commedonnes. Le rsultat est un quilibre non coopratif de Nash. Le jeuse droule de la faon suivante : la priode t1, les marchs fixent letaux dintrt de long terme pour la priode t en formulant des antici-pations sur linflation de la priode t. Le choc est observ et ce nestquensuite que la banque centrale fixe le taux dinflation de la priode.Son programme scrit donc, aprs avoir inclus lquation (1) dans lafonction de perte dcrite en (3) :

    . (5)La condition du premier ordre implique :

    . (6)

    Linflation prsente est dautant plus forte que est faible (laversionpour linflation est faible), et que le biais inflationniste (y yn) est fort.Mme si les marchs anticipent une inflation nulle, lcart positif entrela production juge socialement optimale et la production naturelleimplique que linflation prsente est positive.

    Llment videmment essentiel du problme est que les marchsfinanciers savent que la banque centrale est tente daugmenterlinflation une fois que le taux dintrt a t fix. Par consquent, les

    Jrme Creel et Jacky Fayolle

    226

    Revue de lOFCE

    t

    n a

    t t t t t Min L ( y y a( ) )

    = + + +

    2 21

    2

    n a

    t tt

    a ( y y a )

    a

    +=

    +

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    marchs incorporent dans le taux dintrt une anticipation dinflationpositive qui empche la production de dpasser son niveau naturel.

    Sous lhypothse danticipations rationnelles de la part des marchs

    financiers, linflation anticipe scrit donc :, (7)

    et, aprs avoir inclus lquation (7) dans lquation (6), on obtient leniveau dinflation lquilibre discrtionnaire, soit :

    . (8)

    Le premier terme de droite dans lquation (8) reprsente limpactdu biais inflationniste (cf. Kydland et Prescott, 1977) et le second celuides chocs doffre alatoires, qui rduisent linflation sils sont favorables.On vrifie que pour un niveau dinflation parfaitement anticip,Et(yt) = y

    n. Lesprance du taux dintrt de long terme devient :

    . (9)

    Cette expression nous servira dans des comparaisons avec les autresquilibres envisags.

    Le souhait par la banque centrale (toujours assimile luniqueautorit politique) datteindre un niveau de production suprieur sonniveau naturel, associe la capacit des marchs financiers anticiper

    parfaitement son comportement, peut donc impliquer des niveauxdinflation et de taux dintrt de long terme trop levs, sans quelactivit sen trouve finalement accrue au-del de son niveau naturel.

    Lengagement crdible

    Par opposition la discrtion, la banque centrale peut sengager poursuivre une rgle en tenant compte des anticipations des marchs.Son programme devient :

    . (10)

    Cette fois, si la rgle est crdible, les marchs financiers peuventanticiper une inflation nulle en moyenne sur la priode. En effet, lacondition du premier ordre implique :

    . (11)

    Linflation est donc bel et bien nulle en moyenne, et le taux dintrtde long terme est au plus bas puisquil nincorpore plus, lui non plus,le biais inflationniste :

    . (12)

    LA BCE ET LUME : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    227

    Hors srie/ mars 2002

    a n

    t t t

    aE ( ) (y y )

    = = 1

    D n

    t t

    a a( y y )

    a

    = +

    nn

    t t

    y aE (R ) ( y y )

    = +

    1

    t

    t t t

    a

    t t t

    Min L ( y y)

    s.c. E ( )

    = +

    =

    2 2

    1

    1

    2

    R

    t t

    a

    a

    =

    +

    n

    t t

    yE (R )

    =1

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    Lconomie atteint donc l un quilibre optimal qui minimise lafonction de perte sociale de la banque centrale. Cependant, cetquilibre est incohrent temporellement car la banque centrale est

    incite tricher sur ses intentions : elle a intrt faire croire uneinflation faible et fixer linflation un niveau plus lev ; court terme,le taux dintrt rel sera rduit et la croissance conomique plus forte.Indirectement, ceci pourrait dynamiser le taux de change si les perspec-tives de croissance conomique rendaient plus attractive la monnaienationale.

    La triche

    Si les marchs jugent crdible la rgle dengagement adopte par labanque centrale, ils continuent, priode aprs priode, danticiper uneinflation nulle en moyenne, soit at = 0. Ils considrent alors que labanque centrale dispose dune bonne rputation .

    La banque centrale, cependant, peut tre tente de renier sonengagement et de r-optimiser sa fonction de perte :

    . (13)

    La condition du premier ordre donne le taux dinflation pratiqu

    par la banque centrale aprs quelle a reni son engagement, soit :, (14)

    et le taux dintrt de long terme devient :

    . (15)

    Le taux dinflation lorsque la banque centrale renie son engagementest compris strictement entre le taux optimal et le taux dinflationobtenu lquilibre discrtionnaire. Le taux dintrt de long terme,pour sa part, est trs rduit par rapport aux valeurs quil prenait lquilibre discrtionnaire ou lquilibre optimal.

    La triche de la part de la banque centrale est dautant plus probableque celle-ci bnficie dun gain net tricher. Lesprance de ce gaindpend de lesprance de la diffrence entre la perte subie par la banquecentrale aprs stre engage suivre une rgle et la perte subie aprsy avoir renonc. Pour simplifier les expressions, on suppose que laproduction naturelle est normalise zro.

    La production, aprs avoir pratiqu la rgle, est :

    . (16)

    Jrme Creel et Jacky Fayolle

    228

    Revue de lOFCE

    n

    t t t t L ( y y a )

    = + + +

    2 21

    2

    T n

    t t

    ay y

    a

    =

    +

    nn

    t t

    y a E (R ) ( y y )

    ( a )

    =

    +1

    t tya

    = +

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    19/34

    et lesprance de la perte en cas dengagement crdible est telle que :

    . (17)

    La production, aprs avoir trich alors que la rgle restait crdibleaux yeux des marchs, scrit :

    ; (18)

    et lesprance de la perte est gale :

    . (19)

    Au final, les gains issus du reniement la rgle sont toujours positifset constituent donc une incitation tricher :

    . (20)

    Face ce risque de non-respect de la rgle dengagement, lesmarchs financiers vont eux-mmes revenir sur lopinion quils staientfaites sur la banque centrale ; sa rputation va tre lamine et lesmarchs financiers vont anticiper une inflation plus leve que celleobtenue lquilibre optimal. Le taux dintrt en sera augmentdautant et la banque centrale ne sera plus capable de relancer la crois-sance, pour soutenir la monnaie sur le march des changes. La perte

    de crdibilit implique un cot en terme de croissance conomiqueaprs llvation des taux longs.

    Pour tre crdible et reconstruire sa rputation, la banque centraledevra avoir une inflation trs faible pendant une longue priode (thoriedu signal applique la politique montaire, voir Vickers, 1986, etWhittaker, 2000), ceci afin de faire tendre les anticipations vers un niveaubas dinflation. Lobstination de la BCE vouloir juguler prioritairementles pressions inflationnistes dans la zone euro peut tre dcrypte laune de cette analyse thorique : en phase de construction de sarputation, elle doit loigner delle toute tentation de mener une

    politique de biais en faveur de linflation et doit souscrire une rgletrs restrictive pour ne pas tre tente par un revirement dans sapolitique, qui gcherait tous ses efforts de respectabilit.

    Lquilibre rputationnel en horizon infini 12

    En employant un jeu rpt, en horizon infini, il est gnralementpossible de faire disparatre toute tentation de la part du banquiercentral de renier ses engagements. Dans le cas contraire, la perte de

    rputation que cela engendrerait serait assez dissuasive pour linciter maintenir linflation un niveau trs faible.

    LA BCE ET LUME : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    229

    Hors srie/ mars 2002

    T

    t tE (L ) ( y )( a )

    = ++

    2

    1

    2

    12. Cette section est largement inspire des travaux dObstfeld et Rogoff (1996, pp. 639-41).

    R

    t tE (L ) y ( a )

    = ++

    2

    1

    2 2

    t t

    ay y

    a a

    = ++ +

    { }R T

    t t ta E L L

    a

    =

    +1

    1

    2

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    20/34

    Ainsi, supposons quau lieu de minimiser une fonction statique dutype (3), la banque centrale cherche minimiser la valeur actualise desa fonction de perte :

    , avec (21)

    et aprs avoir de nouveau normalis la production naturelle yn zro et en supposant que les chocs i sont nuls dans lavenir. est lefacteur dactualisation.

    lquilibre discrtionnaire, le taux dinflation stablit au niveauobtenu dans lquation (8) aprs simplification, soit : t= (a/) y.

    Considrons que les anticipations des marchs ont la formesuivante :

    . (22)

    Ainsi, tant que la banque centrale na pas dvi de sa politiquedinflation basse (quilibre avec engagement), les marchs continuent delui accorder leur confiance, mais si elle sen carte une seule fois, ilsanticiperont toujours linflation obtenue lquilibre discrtionnaire (labanque centrale perd tout jamais sa rputation et est sanctionnepar la peine perptuit ).

    On peut maintenant vrifier si de telles anticipations sont cohrentesavec une inflation dquilibre nulle. On va donc comparer les bnficeset les cots pour la banque centrale de renoncer son engagement une date t. Supposons que linflation anticipe pour cette date soit nulle.Le cot actualis engendr pour la banque centrale par le fait de nepas conserver linflation zro partir de t et dtre en consquencepunie vie partir de t + 1 scrit :

    . (23)

    Cest le cot reprsent par lcart, partir de t + 1, entre linflationdquilibre discrtionnaire et linflation nulle. Mais, si le banquier centraltriche en t, cest quil en espre un gain, au moins pour cette date ! Ilminimise sa fonction de perte en considrant que at = 0. Il en rsultepour cette date t:

    . (24)

    Sa perte totale la date t devient, aprs avoir remplac linflationpar sa valeur :

    . (25)

    Jrme Creel et Jacky Fayolle

    230

    Revue de lOFCE

    i tt i

    i t

    E L

    =

    at i t ia

    t

    si , i

    (a / ) y sinon

    = >=

    0 0

    a A y

    =1

    B y

    a

    =

    +

    t

    ay

    a

    =+

    Li = i2 + [a(i i

    a) y]2

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

    21/34

    Le gain procur en t la banque centrale si elle triche est la diff-rence entre la perte plus importante subie si elle fixe linflation sonniveau anticip (t=

    at= 0), soit y

    2, et la perte subie en (25), soit :

    . (26)

    Le cot du reniement la rgle est suprieur au bnfice de courtterme si et seulement si :

    , (27)

    cest--dire si et seulement si les autorits font preuve dun facteurdactualisation suffisamment lev (proche de lunit), et donc duneprfrence pour le prsent suffisamment faible. Si cette condition est

    respecte, le souci de maintenir sa rputation incite le banquier central ne jamais renier son engagement. La crdibilit dune politiquemontaire est donc rsolue par les avantages tirs dune bonnerputation.

    Le problme rencontr avec ce type de modle rputationnel, cestquil est susceptible dengendrer des quilibres multiples et donc desproblmes de coordination entre agents pour dfinir un quilibre quifasse lobjet dun accord commun. En effet, mme dans le cas o lanti-cipation dune inflation nulle par les marchs est lgitime (la condition(27) est respecte), on peut montrer que chaque taux dinflation positifmais infrieur linflation discrtionnaire est un quilibre potentiel.Cette inflation non nulle est certes anticipe et na pas deffet directpermanent sur loffre. Mais si les agents et lautorit montaire ont desdifficults coordonner leur action autour dun taux dinflation dqui-libre qui fasse consensus, on peut supputer des conflits qui ne serontpas sans consquence pour lactivit. La banque centrale peut ainsisouhaiter sauter un niveau infrieur dinflation dquilibre, si elleest particulirement soucieuse de sa rputation. Il est ds lors extr-mement important de bien quilibrer la recherche (longue et difficile)de la bonne rputation et les cots en terme de croissance quellepeut induire, si elle aboutit une surenchre dsinflationniste parrapport une inflation dquilibre modre admise comme normale parles agents. Les marchs ne sont pas dupes : si ces cots saccroissentpar trop, la crdibilit de la politique mene sera remise en question.La lgitimation dune politique nest pas indiffrente au contexte macro-conomique dans lequel elle sinsre.

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    Lhorizon daction de la BCE et la croissanceeuropenne

    Implications dynamiques dupolicy mix

    Si on projette ces raisonnements thoriques sur lexprienceeuropenne en cours, on peut craindre quils ne confortent que troplide dun penchant restrictif de la BCE, compte tenu des conditionsspcifiques lUnion montaire :

    Si on en juge par lcart entre la croissance europenne tendan-cielle incorpore dans la cible intermdiaire de la BCE (2 2,5 % paran) et la croissance considre la fois comme souhaitable et envisa-geable par les gouvernements (plutt 3 % par an, selon le sommet deLisbonne, 2000), le biais inflationniste est consistant sauf si les gouver-nements font la dmonstration que la croissance accessible est plusforte que la vision conservatrice de la BCE et lamne ainsi rviserses objectifs intermdiaires 13. Le dsaccord latent entre la BCE et lesgouvernements recouvre la rfrence implicite des notions diffrentes

    la prise en compte par les gouvernements du rattrapage du niveaupotentiel dactivit et pas seulement du rythme tendanciel de crois-sance de ce dernier, lextrapolation par la BCE du rythme de croissancetendanciel de long terme de la zone euro alors quil serait logiqueque les autorits montaire et budgtaires se rfrent en commun ausentier de croissance accessible moyen terme. Cest au demeurant llhorizon cens tre retenu par la BCE pour fixer sa cible interm-diaire. Le dsaccord recouvre aussi des valuations numriquesdiffrentes de cette croissance accessible.

    LUnion montaire dsormais en place se veut irrversible et sonhorizon infini. Ce faisant, le souci de rputation de la BCE devientprdominant et, tant que cette rputation nest pas considre comme

    suffisamment solide, son penchant conservateur peut sen trouverdautant plus accentu.

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    Revue de lOFCE

    13. La BCE, propos de la rvision annuelle de la valeur de rfrence de la croissanceeuropenne tendancielle : Le Conseil des gouverneurs a conclu quil ny avait pas de raisonde changer lhypothse utilise dans la dtermination de la premire valeur de rfrence [pourla croissance de la masse montaire], selon laquelle le taux de croissance tendanciel du PIB relse situe dans un intervalle de 2 % 2,5 % lan. En mme temps, le Conseil des Gouverneursa soulign que le taux de croissance potentiel de la zone euro serait considrablement accrupar des rformes structurelles sur les marchs des biens et du travail. La stratgie de politiquemontaire de leurosystme prendrait en compte de telles rformes de manire approprie. (BCE, Bulletin mensuel, dcembre 1999). Cette valuation de la croissance potentielle de la BCEna pas t rvise depuis lors. Les gouvernements : Le Conseil europen doit fixer un objectif

    pour le plein emploi en Europe dans une nouvelle socit naissante, mieux adapte aux choixpersonnels des femmes et des hommes. Pour autant que les mesures voques ci-aprs soientmises en uvre dans un contexte macroconomique sain, un taux de croissance conomiquemoyen de 3 % environ devrait tre une perspective raliste pour les annes venir (Conseileuropen de Lisbonne, 23 et 24 mars 2000, Conclusions de la Prsidence).

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    Ce penchant peut susciter un manque gagner permanent de crois-sance ou une interruption prmature des phases dexpansion. Corsetti(2000) rapproche la dprciation de leuro contre le dollar, en 1999 et

    2000, de lvolution du diffrentiel anticip de croissance entre les tats-Unis et lEurope. Si la BCE, en freinant trop prcocement lexpansioneuropenne, favorise ainsi la dprciation de leuro et donc linflationimporte, elle va finalement lencontre de son objectif affich enprennisant linfriorit de la croissance europenne ce quinempche pas qu terme le gonflement consquent du dficit externeamricain fasse peser lpe de Damocls dun retournement brutal dudollar. Artus (2000a et b) suggre aussi quune rgle la fois perti-nente et maniable de fixation du taux dintrt devrait prendre encompte le rythme de laccumulation du capital : un pays qui investit se

    prmunit contre linflation future en mme temps quil augmente sacapacit productive. Si la politique montaire est trop rapidementrestrictive en dbut dexpansion, elle risque dinhiber leffort dinvestis-sement et sloigne de loptimalit sur le double plan de linflation etde la croissance futures. Dun point de vue empirique, Bentoglio, Fayolleet Lemoine (2001) montrent que le cycle europen est historiquementplus sensible aux inflexions du comportement de stockage que sonhomologue amricain. Si la banque centrale est trop ractive unsursaut transitoire de croissance relevant du stockage, elle peut handi-caper la reprise plus durable de linvestissement et ainsi la consolidation

    de lexpansion. Mankiw (2001) montre dailleurs que, si succs de lapolitique montaire amricaine il y a eu dans les annes 1990, cest lafaible volatilit, cest--dire la remarquable rgularit des performancesde croissance, demploi et dinflation, tout autant que le bas niveau decette dernire, qui en est la manifestation la plus tangible en contre-partie de lacceptation dune volatilit plus prononce des agrgatsmontaires. Cette russite amricaine est passe, pour Mankiw, par uneadaptation pragmatique et rapide des taux dintrt aux observationscourantes de linflation sous-jacente et du chmage, avec une lasticitplus quunitaire du taux des fonds fdraux au taux dinflation, mais

    sans excs prventif.

    Les deux facteurs pouvant influer le comportement de la BCE la prsomption dun biais inflationniste de la part des gouvernementset le souci de rputation soulvent un enjeu essentiel de la phaseen cours de lintgration europenne. Avec la fin de la transition lamonnaie unique, lallongement de lhorizon europen incite se proc-cuper de la cohrence temporelle des politiques conomiques enEurope, en mme temps quil cre de meilleures conditions pour

    affirmer cette cohrence : mme soumis aux dispositions du Pacte destabilit et de croissance, les gouvernements ne sont plus tenus par lancessit de vrifier ex ante des critres trs stricts de bonne gestionpublique dont ils taient initialement trs loin.

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    Rgles daction pour la BCE

    Lorsque la banque centrale possde une fonction de perte intertem-

    porelle bien dfinie et quelle connat parfaitement le mcanisme detransmission de ses dcisions montaires (notamment parce que leschma explicatif de linflation est suffisamment simple), elle peut thori-quement sengager, une fois pour toutes, sur une fonction de ractionoptimale, dtermine au sein dune classe de fonctions assez simples pourfavoriser la transparence. Ensuite, la banque centrale na plus qu obir cette fonction optimale, en fonction de linflation et de lactivitobserves et compares leur cible. La possibilit de prendre desdcisions montaires circonstancielles et discrtionnaires, qui prennentdes liberts avec la rgle, est exclue par la dfinition mme de la crdi-

    bilit adquate ce modle, qui correspond lexclusion de lincohrencetemporelle. Cette dfinition de la politique montaire crdible est trsrestrictive : elle suppose que lventail des chocs qui peuvent survenir at correctement pris en compte par le modle stochastique de lco-nomie utilis pour dterminer la fonction optimale et que celle-ci nestpas lexcs influence par les conditions initiales circonstancielles quiprvalaient au moment o elle a t choisie (cf. Svensson, 2000a).

    Il est videmment trs difficile denvisager que la politique montairesoit mene en fonction dune rgle quasi-automatique, ceci dautant plus

    quen prsence dincertitude portant sur les mcanismes de trans-mission de la politique montaire (incertitude dite non additive ),une rgle montaire simple issue dune optimisation dans un universcertain est sous-optimale (cf. la synthse de H. Le Bihan et J.-G. Sahuc,2001). Il est important, dans ces conditions, de privilgier plutt unergle prudente.

    Lorsque la banque centrale sattache une stratgie de ciblage inter-mdiaire dun agrgat montaire, cette stratgie ne peut tre optimale, lgard de lobjectif de stabilit des prix, que si cet agrgat, supposerquil soit contrlable, est le dterminant et le prdicteur exclusifs de

    linflation. Ds lors que le mcanisme de transmission est plus complexeet mme si la fonction de demande de monnaie est stable, lobjectifdinflation peut tre respect en moyenne par une telle stratgie, maisau prix dune inefficience recouvrant une volatilit excessive delinflation et de lactivit (Svensson, 2000a). Parler doptimalit revientalors considrer que les agents sont indiffrents cette volatilit etquils nen tiennent pas rigueur la banque centrale, ds lors quelinflation vise est en moyenne respecte. Cest videmment comptersur leur bont dme ou leur crdulit mais sillusionner sans doutequelque peu sur la stabilit dun tel rgime de politique montaire.

    La BCE nest au demeurant pas dupe du cadre daction exagrmentrestrictif, ou tout simplement irraliste, quimposerait le respect dunergle daction parfaitement prdfinie, quand bien mme elle ne serait

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    pas inconditionnelle mais conditionne par un ensemble prcis dinfor-mations ( limage de la fameuse rgle de Taylor) ou, encore mieux,fonde sur loptimisation dune fonction de perte sous contrainte dun

    modle satisfaisant de reprsentation de lconomie. La prise en comptejustifie de lincertitude affectant le bon modle (la nature des causa-lits aussi bien que la mesure des variables quelles relient, comme,typiquement, loutput gap) ne simplifie pas au demeurant la dfinitionde cette rgle daction, dont la robustesse exigerait alors unecomplexit peu envisageable. Parce que la recherche de la rgle optimaleapparat ainsi comme une impasse pratique (mme si on peut retraceraprs coup le comportement de la banque centrale laide dune rgleempiriquement estime), la BCE prfre dfinir sa stratgie dactioncomme un ensemble de procdures guidant ses prises de dcision et

    sa communication avec le public : engagement clair sur lobjectif fonda-mental de stabilit des prix, cadre danalyse explicite des volutions etdes risques, explication transparente des dcisions. Chiche ! a-t-on enviede rpondre, si une telle prsentation de la politique montaire ouvrela porte un dbat argument et matris avec les autres acteurs dela vie conomique, ce qui reste sans doute la meilleure faon de rduirelincertitude affectant la caractrisation de la situation conomique.

    Pour chapper une acception trop restrictive, la cohrence tempo-relle de laction de la BCE doit pouvoir signifier une articulationharmonieuse des objectifs et rgles de long terme avec une actionconjoncturelle adapte aux circonstances. Pour quelle soit satisfaite, ilfaudrait quelle implique de manire cooprative les diverses institutionsqui sont partie prenante de la politique conomique BCE et gouver-nements en premier lieu. Si lantagonisme prvaut entre ces institutions,linstabilit du jeu conflictuel qui gouverne leurs relations peut conduire de mauvaises surprises : cest ce quont voulu viter les auteurs duPacte de stabilit et de croissance en dfinissant demble des rglesdu jeu ingales qui donnent clairement la priorit aux objectifs de labanque centrale par la limitation de la libert daction budgtaire des

    gouvernements. Mais cest un dispositif mdiocre pour la gestionpublique de lUnion montaire, car celle-ci ne peut exploiter ni lesvertus dune franche autonomie budgtaire permettant de parer auxchocs asymtriques survenant au sein de lUnion montaire, ni cellesdun fdralisme budgtaire renforc, qui inclurait des dispositifs destabilisation et dassurance mutuelles face de tels chocs.

    Un horizon daction largi par la coopration entre institutions

    Une construction plus cooprative de la cohrence temporellesouhaitable des politiques conomiques bnficierait dune entente desinstitutions concernes sur les dterminants et les perspectives de lacroissance envisageable et souhaitable long terme pour lUnion

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    europenne. Llaboration de cette perception commune du sentier decroissance liminant le biais inflationniste faciliterait la gestion,autonome mais cooprative, de ses propres objectifs et instruments par

    chaque institution. Lidentification des dviations conjoncturelles sentrouverait galement facilite, ce qui permettrait de juger du respectdes objectifs, comme celui de stabilit des prix, sur un horizon suffi-samment long pour lisser ces perturbations et viter ainsi les excsprocycliques des politiques conomiques, dont lEurope a tant souffertdans les annes 1990 et dont elle peut encore souffrir si langoisse delinflation lemporte sur une vision objective de la situation.LEurogroupe pourrait gagner en visibilit politique et en pouvoirdinfluence sil usait opportunment de son caractre informel pourdvelopper une initiative publique europenne, qui ne serait ni de lordre

    de laction discrtionnaire et volontariste, ce quoi souvent lesAllemands rechignent, ni de lordre de la rgle imprative, qui suscitela rticence frquente des Franais. Une lecture optimiste des poten-tialits de lactuelle nbuleuse excutive europenne (Magnette,2000) laisse penser quune volution positive en direction dune concer-tation inter-institutionnelle plus approfondie est possible. Des lieux derencontre existent dj entre les reprsentants des Etats, de laCommission, de la BCE, comme le Comit conomique et financier. Ledialogue inter-institutionnel pourrait voluer en direction dune logiquerciproque de checks and balances qui permette lextension la

    BCE de lobligation de motivation des dcisions qui prvaut dj pourles autres institutions communautaires. Mais une telle volution supposeaussi lexercice plus rsolu de ses responsabilits de politique cono-mique par la communaut des gouvernements europens.

    Certes, les gouvernements ont dvelopp et affin depuis quelquesannes les procdures dtablissement des Grandes orientations depolitique conomique (les GOPE ) et sefforcent darticuler celles-ciavec les politiques demploi, elles-mmes animes par la mthodeouverte de coordination . Mais cet effort procdural rvle ses limites :

    sa lourdeur contribue linertie de la politique europenne, commelillustre la disparit des ractions amricaine et europenne lorsqueles attentats du 11 septembre 2001 prcipitent un ralentissementmondial qui couvait dj ; la prdominance confirme des ministres desfinances dans la procdure ne favorise pas lmancipation lgard ducadre troit du Pacte de stabilit si ces ministres se font les avocatsde lorthodoxie budgtaire au sein des gouvernements. La routine desrecommandations adresses aux tats suspects de laxisme lemporteencore sur leffort positif de coordination relle autour dobjectifscommuns. La gouvernance europenne reste inadapte la dfinition

    et la mise en uvre dun policy mixsuffisamment ractif, qui concoureainsi la consolidation des perspectives de croissance europenne 14.

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    14. Sur lvolution et lvaluation de la procdure des GOPE, voir Dufresne (2001).

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    Linsertion plus franche de la BCE dans un rseau institutionnel quiactive les obligations de motivation et de responsabilit contribuerait clarifier lhorizon qui gouverne ses dcisions. cet gard, le flou

    aujourdhui perceptible de cet horizon favorise la versatilit ou la pusilla-nimit des dcisions montaires et facilite dventuels effets de surprisedstabilisants pour la croissance. Issing (2000) rappelle que lobjectiffondamental dune hausse des prix infrieure 2 % lan est apprciersur le moyen terme mais, dans le mme article, un horizon de deuxans est mis en avant pour vrifier le respect de cet objectif ( the2-year typically taken into account in the forecasts , p. 336) : cesteffectivement lhorizon habituel des prvisions conjoncturelles, quiencadre les dlais daction estims de la politique montaire sur lesprix, mais cest un moyen terme trs court, bien plus court que la

    dure dun cycle conjoncturel normal, et qui ne suffit pas puiser leseffets de la politique montaire sur lactivit 15. Il est vrai que les brvesphases dexpansion conjoncturelle que peut connatre lEurope ont biendu mal, depuis deux dcennies, durer plus longtemps Bien sr,lorsque la BCE se rfre au comportement des taux dintrt longspour tmoigner des anticipations dinflation, elle fait rfrence unhorizon temporel plus long : long terme, linflation est cense tre unphnomne fondamentalement provoqu par la croissance excessive deloffre montaire, que refltent les anticipations incorpores dans lestaux longs 16.

    Ce ddoublement de lhorizon donne le sentiment que langoissedu risque inflationniste sen trouve dautant plus avive : court terme,les chocs sont valus par la BCE en fonction non pas tant de leurimpact plus ou moins transitoire envisageable sur linflation effectiveque de leur impact supput sur les anticipations dinflation et sur lademande de monnaie consquente ; long terme, le drapage de loffremontaire qui explique fondamentalement linflation ne prvaut que sile penchant au laxisme montaire a laiss jouer, ds le court terme,laccommodation cumule des chocs et des anticipations. Cest audemeurant cette attitude qui justifie finalement lattention prioritaireaux agrgats montaires, puisque leur croissance trop rapide est censecontaminer trs vite des anticipations fondes sur la croyance en la

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    15.Voir par exemple les fonctions de rponses de lactivit aux chocs sur les taux dintrtestims par Mihov (2001).

    16. Mankiw (2001) relve ce point sa faon : La politique montaire influence le chmageet la croissance court terme. Ce que signifie le court terme est sujet discussion, maisla plupart des conomistes saccordent pour considrer que les actions de la banque centraleinfluencent ces variables sur un horizon dau moins deux trois ans. Ceci signifie que la banquecentrale est susceptible daider la stabilisation de lconomie. Dans le jargon conomique, lapolitique montaire est neutre long terme, mais non pas court terme . Le paradoxe pouvanttre que lobjectif fondamental de stabilit des prix et lhypothse de neutralit long terme

    de la politique montaire contribuent lgitimer des politiques qui ne sont pas les plus adaptespour stabiliser lconomie court terme. A contrario, Mankiw montre que le souci de stabili-sation des performances de croissance et demploi tait partie prenante de la politique montaireamricaine des annes 1990 et que cette pratique na sans doute pas t sans effets bnfiquespour les performances tendancielles de lconomie amricaine.

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    nature fondamentalement montaire de linflation 17. Le paradoxe estalors que cette croyance, qui concerne le long terme, conduise, courtterme, une attitude biaise vers la restriction face au moindre risque

    dactivation des anticipations inflationnistes, et vers linertie lorsquelangoisse de linflation prend trop le dessus sur la menace de larcession, comme en 2001. Et pour juger de la menace reprsentepar ces anticipations dinflation supputes, par ces anticipations ausecond degr, les informations dlivres par les marchs apparaissentvidemment pertinentes, voire tout simplement les seules disponibles.La BCE nest pas inconsciente de ces contradictions, ce qui ne veut pasdire quelle y chappe. Son bulletin doctobre 2001 dveloppe ainsi lidequune rgle daction base sur un horizon trop prdtermin aura dumal prendre en compte la variabilit des dlais daction effectifs de

    la politique montaire et peut induire une instabilit excessive 18.

    Conclusion

    lencontre de la conception ftichiste , la conception laque de la crdibilit qui a t dfendue considre que la banque centraleest crdible si elle est capable de garantir la prennit dune inflationbasse sans verser dans un excs de rigidit crant un dficit de crois-sance 19. Elle suppose lorganisation quasi institutionnelle dun espace

    public qui permette de confronter les prvisions de croissance,dinflation et de chmage court et moyen terme de la banque centraleet celles dorganismes publics et privs comptents. Les prvisions impli-cites incorpores dans les taux long terme ou les ngociationssalariales figurent parmi les lments de cette confrontation, car ce sontbien sr des ingrdients des prvisions des uns et des autres. Les prvi-sions, on le sait, sont toujours conditionnelles, elles dpendent ainsipour partie des hypothses faites sur les dcisions de la banque centrale

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    17. Cette anxit face lautoralisation des anticipations dinflation, quaiderait une politiquemontaire trop laxiste, sexprime explicitement par exemple dans le bulletin doctobre 2001 dela BCE ( Issues related to monetary policy rules , p. 37) : Bien sr, les surprises montairesqui cherchent stimuler la production court terme deviennent incorpores dans les antici-pations au cours du temps. De plus, si la fixation des prix dpend des anticipations sur le futur,une plus forte inflation anticipe devient rapidement une plus forte inflation effectivementobserve .

    18. Restreindre lattention un horizon prvisionnel limit peut, dans certaines circons-tances, induire des ractions courte vue, dont les effets devront tre plus tard corrigs, ce quisuscite des cots en termes dinstabilit ( Issues related to monetary policy rules , p. 45).

    19. videmment, cette crdibilit, ainsi dfinie, ne sacquiert pas en dehors dun processusexprimental au cours duquel les agents prouvent les rsultats et le bien-fond de la politiquemontaire. En ce sens, elle se rapproche de la notion de confiance, telle quelle est proposepar Dal-Pont, Torre et Tosi (2000) : la comprhension mutuelle entre le gouvernement et

    les agents qui caractrise ltat de confiance, merge de lobservation ex post de rsultats positifsobtenus par la mise en uvre de politiques difficilement apprciables ex ante Dfinie parleffectivit des interactions mutuelles, par la conscience forte du contexte conomique danslequel lactivit sinsre, la confiance permet de saffranchir de certaines contraintes, parfoisexcessives, hrites de la problmatique de la crdibilit .

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    elle-mme, elles incorporent et pondrent diffremment des analysesquantitatives et des jugements circonstancis. La nature des prvisionsrespectives et leur pertinence lgard des risques inflationnistes seront

    claires par cette confrontation bien mene. La banque centrale entirera bnfice pour corriger ses propres prvisions et son valuationnormative de la situation. Elle participe ainsi lobligation de motivationde ses dcisions sans perdre de son indpendance. Elle reste pleinementmatresse de ses dcisions. Mais, ex ante comme ex post, lensemble desagents est mieux mme den valuer le bien-fond. La banque centrale,probablement, y trouvera finalement plus davantages que de cots, unefois dpasse la crainte de perdre des protections trop faciles. Saresponsabilit dans lvolution conomique, vis--vis de ses propresobjectifs de stabilit des prix comme des politiques conomiques

    gouvernementales, sera mieux value pour ce quelle est strictement,sans le risque dun excs dimputation des difficults que lui fait courirson isolement prsent. Cest, pour elle, le versant positif de cette objec-tivation souhaitable des dcisions montaires et de leur motivation.

    Lespace europen reste conomiquement et socialementhtrogne, encore peu anim par des projets et des rgles communsen matire sociale, notamment en matire de politiques et de ngocia-tions salariales. Au sein dune telle union montaire, il apparat biendifficile de coordonner les anticipations dinflation des agents europens

    autour de lnonc dune cible quantitative de masse montaire, dontlintelligibilit prsuppose cette homognit. Les agrgats montairesde la zone euro, a fortiori dans cette priode de mise en uvre de lamonnaie unique, de restructuration intense des marchs de capitaux etdexpansion des missions libelles en euros (Eichengreen, 2000), entre-tiennent une relation fort incertaine avec lactivit conomique et sescomposantes nationales.

    En particulier, les autorits montaires ne peuvent se dsintresserdes effets localement diffrencis dune politique montaire uniforme,

    car ces effets de transmission diffrencis influencent en retour lesperformances globales de la zone euro. Cette diffrenciation des effetsde transmission mobilise les diffrents canaux daction de la politiquemontaire. Beaudu et Heckel (2001) montrent que lhtrognit dutissu des entreprises et de leurs structures financires est source dunfonctionnement durablement asymtrique du canal du crdit au sein dela zone euro, cest--dire de la manire dont le risque attach par lesbanques au financement des entreprises et la sensibilit du compor-tement dinvestissement de ces dernires leur situation de liquiditsont fonction des conditions montaires dfinies par la banque centrale.

    Mojon (2001) donne une rponse plus nuance en ce qui concerne lecanal du taux dintrt : si les structures bancaires prsentent encore desasymtries notables au sein de la zone euro, lintgration du marchmontaire, sa moindre volatilit et la concurrence accrue entre sources

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    de financement favoriseront la fois une plus grande homogniteuropenne de la raction des taux bancaires au taux du marchmontaire et une ractivit elle-mme accrue de ces taux. Quant aux

    structures de bilan compares des entreprises et des mnages enEurope, elles ne semblent pas devoir tre lorigine deffets-revenufranchement diffrents entre pays la suite de dcisions de la BCE. Leseffets-richesse pourraient tre plus diffrencis, mais ils sont aussi jugsmoins importants. Si on tient compte du fait que le canal du taux dechange a vu son importance rduite du fait mme de lunificationmontaire mais que les pays restent ingalement sensibles aux varia-tions du cours de leuro, on conoit que la synthse des asymtriespropres chaque canal de transmission de la politique montaire soitun exercice difficile, qui devrait retenir lattention de la banque centrale

    dans les annes venirLa capacit dune politique montaire unique promouvoir une

    synchronisation positive des conomies nationales nest pas acquisedavance, compte tenu des diffrences structurelles persistantes entreces conomies. Lattitude de la BCE doit combiner la modestie de ceque peut tre son action montaire globale orienter le niveau gnraldes taux dintrt en fonction de principes daction explicits et calibrssur lensemble de la zone euro et lattention aux canaux de trans-mission multiples quemprunte cette action au sein dune zone

    montaire encore trs htrogne et peu soumise des rgulationssociales communes. Les rigidits nominales qui dcident de limpact surles taux rels du maniement des taux nominaux diffrent dun pays lautre. La complexit et la pluralit de ces effets de transmissionprohibent lattachement irrversible une rgle simple et contribuent justifier limportance des marges daction discrtionnaire dont doitbnficier la banque centrale. La difficult caractriser le jeu conjointet circonstanci de ces effets sest dailleurs exprime, jusqu prsent,par la mobilit des opinions exprimes par les responsables de la BCEsur le risque principal du moment (la rapidit du passage, au cours de

    1999, du risque dflationniste au risque inflationniste, ou encore lechangement dattitude sur la porte de la baisse de leuro). Cest lephnomne dit de la mentalit de crise selon Bernanke et Mishkin(1992), qui consiste surpondrer, un moment donn, la variableconsidre comme critique dans le jugement global exerc. Ce nestdailleurs pas en soi une attitude irrecevable car les conjoncturistessavent bien que la pertinence des diffrents indicateurs volue au coursdu cycle, en fonction de la nature des dsquilibres et des tensions, etque cest justement pour cela que lusage excessif des indicateurscomposites ou agrgs (la masse montaire en est un !) est dangereux.

    Mieux vaut disposer dun systme dinformation et danalyse ouvert quipermette de faire porter en connaissance de cause, et sans exagration,lattention sur les indicateurs pertinents dans la phase conjoncturelleo lon se trouve la disponibilit dun appareil statistique europen

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    Revue de lOFCE

  • 8/14/2019 LA BANQUE CENTRALE ET LUNION MONTAIRE EUROPENNES : LES TRIBULATIONS DE LA CRDIBILIT

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    rpondant ces besoins est loin dtre aujourdhui pleinement assure !Admettre ces difficults et les assumer par un traitement dbattu delinformation conjoncturelle et prvisionnelle, plutt que par la

    crispation sur les seuls indices qui paraissent menacer dans limmdiatlobjectif de stabilit des prix (il y en a toujours), contribuerait mieuxassurer lefficacit dun gradualisme prventif et viter les surrac-tions dstabilisantes de la part de la politique montaire.

    La capacit danticipation et de prvention de la BCE se joue sansdoute l : cause de lhtrog