1
trouvée ces dernières semaines dans une situation très inconfortable. En déclarant soutenir l’idée de ne maintenir qu’une seule langue étrangère obligatoire en primaire du moins «pour les élèves en difficulté», elle s’est attiré les foudres de la Romandie, et surtout celles du SER. Il a fallu rapidement rectifier le tir. «Favoriser l’anglais n’est pas notre posi- tion, rassure Beat Zemp. Mais pour pou- voir l’enseigner correctement, il faut nous en donner les moyens.» Pourtant souvent qualifiés de «susceptibles» sur la question par les Alémaniques, les Romands tempo- risent. «La LCH est dans une position déli- cate: elle ne veut pas abroger le français, mais la surcharge du plan d’études et la grogne des enseignants qui en résulte, combinée à la pression de certains Can- tons et milieux économiques, la force à avoir une position alambiquée», nuance Georges Pasquier. Arbitrage de la Confédération Pour la LCH, c’est à Berne de jouer les arbitres. «Nous voulons une solution uni- forme, et c’est à la Confédération de tran- cher», exige Beat Zemp. Un avis partagé par le conseiller national Matthias Reynard (PS/VS), qui estime que c’est ici «la cohé- sion nationale qui est en jeu». Cet ensei- gnant de profession vient de déposer une interpellation à Berne. «Bien que l’ensei- gnement relève des Cantons, la Confédéra- tion possède des compétences pour s’en- gager en faveur d’un enseignement qui assure, à la fin de la scolarité obligatoire, des aptitudes dans une deuxième langue nationale, rappelle le socialiste. Comment le Conseil fédéral peut-il agir si cet appren- tissage des langues nationales est remis en question dans certains cantons? Quelles mesures le Conseil fédéral compte-t-il met- tre en place pour promouvoir l’enseigne- ment d’une deuxième ou d’une troisième langue nationale?» interroge le socialiste. Déposée le 5 décembre dernier, l’interpel- lation n’a pas encore reçu de réponse de la part du Conseil fédéral. ensemble, c’est l’anglais qui est de mise.» Certains Cantons alémaniques sont pour- tant loin de suivre l’exemple zurichois. En réalité, on parle désormais pour cette question de «Reussgraben», du nom de la rivière qui prend sa source dans le massif du Gothard et se jette dans l’Aar. «Comme disait l’artiste Ben, «la Suisse n’existe pas». Ou plutôt la Suisse alémanique n’existe pas, commente Georges Pasquier. La fronde contre le français vient principale- ment de l’est. De l’autre côté de la Reuss, dans les cantons limitrophes de la Suisse romande, on le défend.» La campagne «Touche pas à mes Welsch de Nidau», aussi intitulée «Touche pas à mon bilinguisme», a d’ailleurs récemment illustré l’attache- ment de ces cantons pour le français. Des citoyens, autant alémaniques que ro- mands, de cette ville située à la frontière linguistique du canton ont lancé un réfé- rendum contre la décision communale de supprimer la possibilité des élèves franco- phones d’être scolarisés en français. Une décision considérée comme «un coup de poignard asséné au bilinguisme». Colère romande Tous les Alémaniques ne sont donc pas convertis à l’anglais. Le français a même un allié de taille en la présence de Beat Zemp, président de l’association faîtière des enseignants suisses (LCH). «Bâle-Ville et Campagne, Soleure, Berne, Fribourg et le Valais se sont toujours positionnés en faveur de l’enseignement en priorité d’une seconde langue nationale, assure Beat Zemp. Personnellement, je suis clai- rement en faveur de l’enseignement des langues nationales à l’école en priorité. Par rapport à l’anglais, les enfants ont déjà accès à cette «langue mondiale», via inter- net, les films ou la musique. Vouloir l’intro- duire précocement dans l’enseignement est ridicule.» Cette différence de mentalité entre ouest et est donne d’ailleurs du fil à retor- dre à la LCH. A force de ménager la chèvre et le chou, l’association faîtière s’est re- C’est d’ailleurs à la capitale économi- que de notre pays, Zurich, que l’on doit cette mentalité, vieille d’une quinzaine d’années déjà. A l’époque chef du Dépar- tement de l’instruction publique zuri- choise, le conseiller d’Etat Ernst Buschor initia le mouvement en 1998 en décidant de donner la priorité à l’enseignement de l’anglais, à nouveau au nom de la de- mande du monde professionnel. Au nez et à la barbe des Romands et de la Confé- rence des directeurs de l’Instruction publi- que, qui n’ont été ni consultés ni informés. Depuis, l’anglais est enseigné à partir de la 2e primaire, le français dès la 5e. Dans le canton, seuls deux gymnases proposent une maturité bilingue allemand-français, alors que dix-huit autres offrent un pro- gramme allemand-anglais. Tout comme les écoles professionnelles, qui privilé- gient exclusivement le bilinguisme alle- mand-anglais. Un changement de politique qui se res- sent dans le rapport des Alémaniques au français. Cela s’observe particulièrement aux bords de la Limmat, où les Zurichois semblent oublier régulièrement que 20% de leur pays parlent la langue de Molière, et adoptent de curieux réflexes face aux francophones: dans les magasins et les res- taurants, un accent français appelle sou- vent à une réponse en anglais, si l’on ne vous demande pas de quelle partie de France vous venez. Pis encore, le person- nel médical est tout à fait capable de de- mander «si l’on possède une assurance valable sur le sol suisse». Le «Reussgraben» «Avant, les quatre langues nationales étaient brandies comme une fierté. Au- jourd’hui, le syndrome de la fille au pair a disparu, tout comme l’habitude des ex-ré- gies fédérales d’envoyer leurs jeunes colla- borateurs de l’autre côté du Röstigraben pendant quelques mois après leur forma- tion, regrette Georges Pasquier, président du Syndicat des enseignants romands (SER). A présent, si l’on doit communiquer Lucie Monnat Zurich A u début du XXe siècle, un pasteur zurichois répon- dant au nom d’Eduard Blo- cher, chef de file d’un mou- vement pangermanique rê- vant d’une séparation avec la Suisse ro- mande, qualifiait le français à l’école d’inutile, voire de nuisible pour la jeu- nesse alémanique. L’esprit du grand-père du tribun UDC Christoph plane-t-il à nou- veau outre-Sarine? Les attaques contre le français n’ont jamais été aussi virulentes que ces derniers mois. Dans l’est du pays, les frondes se mul- tiplient: lors de la consultation sur le plan d’études harmonisé alémanique Lehrplan 21 d’abord, au cours de la- quelle les Cantons de Zurich, de Thurgo- vie, de Saint-Gall, de Glaris, d’Appenzell Rhodes-Extérieures et de Schwytz ont affirmé leur volonté de supprimer l’obli- gation d’enseigner deux langues étran- gères à l’école primaire. Dans des can- tons comme les Grisons ensuite, où une initiative a été déposée pour modifier la loi sur les langues afin que seul l’anglais – et dans la partie italienne l’allemand – soit enseigné en primaire. Il n’a fallu que cinq mois pour recueillir 3700 signatu- res. Dans le canton de Lucerne, une initiative du même acabit a été lancée par tous les partis (à l’exception des Verts). Enfin, suite à l’adoption d’un postulat en septembre dernier, le gou- vernement nidwaldien évaluera la possi- bilité de supprimer le français à l’école primaire. L’effet Buschor Ces attaques à peine voilées contre le fran- çais répondent à la réalité d’une économie de plus en plus globalisée. Les Cantons cités plus haut ne cachent pas leur volonté de privilégier l’anglais, plus utile au monde du travail. Les initiatives lucernoi- ses et grisonnes sont d’ailleurs fortement soutenues par les milieux patronaux. La barrière du français Plurilinguisme De nombreux Cantons, outre-Sarine, veulent privilégier l’anglais à l’école. Mais, loin de faire l’unanimité, la question divise aussi les Alémaniques «A présent, si l’on doit communiquer ensemble, c’est l’anglais qui est de mise» Georges Pasquier, président du Syndicat des enseignants romands «Bien que l’enseignement relève des Cantons, la Confédération possède des compétences pour s’engager en faveur d’un enseignement qui assure, à la fin de la scolarité obligatoire, des aptitudes dans une deuxième langue nationale» Matthias Reynard, enseignant, conseiller national (PS/VS)

La barriere du francais 24heures 13 12 13

Embed Size (px)

DESCRIPTION

http://www.lch.ch/fileadmin/files/documents/LCH_in_den_Medien/Fremdsprachenunterricht/La_barriere_du_francais_24heures_13.12.13.pdf

Citation preview

Page 1: La barriere du francais 24heures 13 12 13

Suisse24heures | Vendredi 13 décembre 2013 7

Contrôle qualitéVC5

trouvée ces dernières semaines dans unesituation très inconfortable.

En déclarant soutenir l’idée de nemaintenir qu’une seule langue étrangèreobligatoire en primaire du moins «pour lesélèves en difficulté», elle s’est attiré lesfoudres de la Romandie, et surtout cellesdu SER. Il a fallu rapidement rectifier le tir.«Favoriser l’anglais n’est pas notre posi-tion, rassure Beat Zemp. Mais pour pou-voir l’enseigner correctement, il faut nousen donner les moyens.» Pourtant souventqualifiés de «susceptibles» sur la questionpar les Alémaniques, les Romands tempo-risent. «La LCH est dans une position déli-cate: elle ne veut pas abroger le français,mais la surcharge du plan d’études et lagrogne des enseignants qui en résulte,combinée à la pression de certains Can-tons et milieux économiques, la force àavoir une position alambiquée», nuanceGeorges Pasquier.

Arbitrage de la Confédération

Pour la LCH, c’est à Berne de jouer lesarbitres. «Nous voulons une solution uni-forme, et c’est à la Confédération de tran-cher», exige Beat Zemp. Un avis partagépar le conseiller national Matthias Reynard(PS/VS), qui estime que c’est ici «la cohé-sion nationale qui est en jeu». Cet ensei-gnant de profession vient de déposer uneinterpellation à Berne. «Bien que l’ensei-gnement relève des Cantons, la Confédéra-tion possède des compétences pour s’en-gager en faveur d’un enseignement quiassure, à la fin de la scolarité obligatoire,des aptitudes dans une deuxième languenationale, rappelle le socialiste. Commentle Conseil fédéral peut-il agir si cet appren-tissage des langues nationales est remis enquestion dans certains cantons? Quellesmesures le Conseil fédéral compte-t-il met-tre en place pour promouvoir l’enseigne-ment d’une deuxième ou d’une troisièmelangue nationale?» interroge le socialiste.Déposée le 5 décembre dernier, l’interpel-lation n’a pas encore reçu de réponse de lapart du Conseil fédéral.

ensemble, c’est l’anglais qui est de mise.»Certains Cantons alémaniques sont pour-tant loin de suivre l’exemple zurichois. Enréalité, on parle désormais pour cettequestion de «Reussgraben», du nom de larivière qui prend sa source dans le massifdu Gothard et se jette dans l’Aar. «Commedisait l’artiste Ben, «la Suisse n’existe pas».Ou plutôt la Suisse alémanique n’existepas, commente Georges Pasquier. Lafronde contre le français vient principale-ment de l’est. De l’autre côté de la Reuss,dans les cantons limitrophes de la Suisseromande, on le défend.» La campagne«Touche pas à mes Welsch de Nidau», aussiintitulée «Touche pas à mon bilinguisme»,a d’ailleurs récemment illustré l’attache-ment de ces cantons pour le français. Descitoyens, autant alémaniques que ro-mands, de cette ville située à la frontièrelinguistique du canton ont lancé un réfé-rendum contre la décision communale desupprimer la possibilité des élèves franco-phones d’être scolarisés en français. Unedécision considérée comme «un coup depoignard asséné au bilinguisme».

Colère romande

Tous les Alémaniques ne sont donc pasconvertis à l’anglais. Le français a mêmeun allié de taille en la présence de BeatZemp, président de l’association faîtièredes enseignants suisses (LCH). «Bâle-Villeet Campagne, Soleure, Berne, Fribourg etle Valais se sont toujours positionnés enfaveur de l’enseignement en prioritéd’une seconde langue nationale, assureBeat Zemp. Personnellement, je suis clai-rement en faveur de l’enseignement deslangues nationales à l’école en priorité. Parrapport à l’anglais, les enfants ont déjàaccès à cette «langue mondiale», via inter-net, les films ou la musique. Vouloir l’intro-duire précocement dans l’enseignementest ridicule.»

Cette différence de mentalité entreouest et est donne d’ailleurs du fil à retor-dre à la LCH. A force de ménager la chèvreet le chou, l’association faîtière s’est re-

C’est d’ailleurs à la capitale économi-que de notre pays, Zurich, que l’on doitcette mentalité, vieille d’une quinzained’années déjà. A l’époque chef du Dépar-tement de l’instruction publique zuri-choise, le conseiller d’Etat Ernst Buschorinitia le mouvement en 1998 en décidantde donner la priorité à l’enseignement del’anglais, à nouveau au nom de la de-mande du monde professionnel. Au nez età la barbe des Romands et de la Confé-rence des directeurs de l’Instruction publi-que, qui n’ont été ni consultés ni informés.Depuis, l’anglais est enseigné à partir de la2e primaire, le français dès la 5e. Dans lecanton, seuls deux gymnases proposentune maturité bilingue allemand-français,alors que dix-huit autres offrent un pro-gramme allemand-anglais. Tout commeles écoles professionnelles, qui privilé-gient exclusivement le bilinguisme alle-mand-anglais.

Un changement de politique qui se res-sent dans le rapport des Alémaniques aufrançais. Cela s’observe particulièrementaux bords de la Limmat, où les Zurichoissemblent oublier régulièrement que 20%de leur pays parlent la langue de Molière,et adoptent de curieux réflexes face auxfrancophones: dans les magasins et les res-taurants, un accent français appelle sou-vent à une réponse en anglais, si l’on nevous demande pas de quelle partie deFrance vous venez. Pis encore, le person-nel médical est tout à fait capable de de-mander «si l’on possède une assurancevalable sur le sol suisse».

Le «Reussgraben»

«Avant, les quatre langues nationalesétaient brandies comme une fierté. Au-jourd’hui, le syndrome de la fille au pair adisparu, tout comme l’habitude des ex-ré-gies fédérales d’envoyer leurs jeunes colla-borateurs de l’autre côté du Röstigrabenpendant quelques mois après leur forma-tion, regrette Georges Pasquier, présidentdu Syndicat des enseignants romands(SER). A présent, si l’on doit communiquer

Lucie Monnat Zurich

Au début du XXe siècle, unpasteur zurichois répon-dant au nom d’Eduard Blo-cher, chef de file d’un mou-vement pangermanique rê-

vant d’une séparation avec la Suisse ro-mande, qualifiait le français à l’écoled’inutile, voire de nuisible pour la jeu-nesse alémanique. L’esprit du grand-pèredu tribun UDC Christoph plane-t-il à nou-veau outre-Sarine? Les attaques contre lefrançais n’ont jamais été aussi virulentesque ces derniers mois.

Dans l’est du pays, les frondes se mul-tiplient: lors de la consultation sur leplan d’études harmonisé alémaniqueLehrplan 21 d’abord, au cours de la-quelle les Cantons de Zurich, de Thurgo-vie, de Saint-Gall, de Glaris, d’AppenzellRhodes-Extérieures et de Schwytz ontaffirmé leur volonté de supprimer l’obli-gation d’enseigner deux langues étran-gères à l’école primaire. Dans des can-tons comme les Grisons ensuite, où uneinitiative a été déposée pour modifier laloi sur les langues afin que seul l’anglais– et dans la partie italienne l’allemand –soit enseigné en primaire. Il n’a fallu quecinq mois pour recueillir 3700 signatu-res. Dans le canton de Lucerne, uneinitiative du même acabit a été lancéepar tous les partis (à l’exception desVerts). Enfin, suite à l’adoption d’unpostulat en septembre dernier, le gou-vernement nidwaldien évaluera la possi-bilité de supprimer le français à l’écoleprimaire.

L’effet Buschor

Ces attaques à peine voilées contre le fran-çais répondent à la réalité d’une économiede plus en plus globalisée. Les Cantonscités plus haut ne cachent pas leur volontéde privilégier l’anglais, plus utile aumonde du travail. Les initiatives lucernoi-ses et grisonnes sont d’ailleurs fortementsoutenues par les milieux patronaux.

LabarrièredufrançaisPlurilinguisme De nombreux Cantons, outre-Sarine, veulent privilégier l’anglaisà l’école. Mais, loin de faire l’unanimité, la question divise aussi les Alémaniques

Les affiches de la récente campagne «Touche pas à mes Welsch de Nidau», ou «Touche pas à mon bilinguisme», présentées par Virginie Borel, déléguée du Forumdu bilinguisme, ont illustré l’attachement de la région de Bienne et de certains cantons alémaniques pour la langue de Molière. JOURNAL DU JURA

«Aprésent,sil’ondoitcommuniquerensemble,c’estl’anglaisquiestdemise»GeorgesPasquier,présidentduSyndicatdesenseignants romands

«Bienquel’enseignementrelèvedesCantons,laConfédérationpossèdedescompétencespours’engagerenfaveurd’unenseignementquiassure,àlafindelascolaritéobligatoire,desaptitudesdansunedeuxièmelanguenationale»Matthias Reynard, enseignant,conseiller national (PS/VS)

rohrbach
Schreibmaschinentext
rohrbach
Schreibmaschinentext
rohrbach
Schreibmaschinentext
rohrbach
Schreibmaschinentext
rohrbach
Schreibmaschinentext
rohrbach
Schreibmaschinentext
rohrbach
Schreibmaschinentext
rohrbach
Schreibmaschinentext
24 Heures, 13.12.2013