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La Belle au bois dormant 2
Vers Table des matières
Adaptation réalisée par Marie-Laure Bessonpour «Le Cartable Fantastique»
La Belle au bois dormant
Raconté par C.S Evans d’après le conte de Grimm
Illustration Arthur Rackhamet divers illustrations du domaine public
Traduction Marie-Laure et Louis Besson
Table des matières
Chapitre 5 : Comment déjouer le mauvais sort
Chapitre 6 : La destruction des rouets
Chapitre 7 : L’enfance d’Eglantine
Chapitre 8 : La prophésie s’accomplit
Vers Table des matières
Chapitre 5
Comment déjouer le mauvais sort
Vers Table des matières
Ainsi, le pire avait été évité, mais le destin
de la pauvre petite princesse était encore
assez terrible, et il était évident que le roi
allait faire le maximum pour empêcher la
prophétie de se réaliser.
La première chose qu’il fit, fut de
convoquer tous les magiciens de son
royaume, ainsi que tous ceux des pays
voisins, promettant une riche récompense à
celui qui lui indiquerait comment combattre
le maléfice de la fée.
Vers Table des matières
Les magiciens arrivèrent en nombre, certain
avec une longue barbe tombant jusqu’à
leurs pieds, d’autres sans la moindre barbe,
certains la tête chauve et d’autres avec des
cheveux si emmêlés qu’on aurait dit qu’ils
ne s’étaient pas peignés depuis des siècles.
Pendant des jours il y eut tant de
magiciens au palais, qu’ils étaient devenus
aussi communs que les chats, et il était
impossible d’entrer dans une pièce sans en
surprendre un assis en pleine réflexion et
semblant aussi avisé qu’un magicien peut le
paraître.
Vers Table des matières
Mais rien ne sortit de leur réflexion et l’un
après l’autre, ils renoncèrent à la tâche
et s’en allèrent non sans avoir d’abord
demandé le paiement de leurs frais de
déplacement.
Arriva enfin un magicien encore plus sage
et plus vénérable que tous les autres.
Lorsqu’il entendit ce qu’on attendait de lui,
il déclara qu’il allait rentrer chez lui pour
consulter ses livres secrets qui contenaient
la connaissance magique de tous les temps
et qui avaient été écrits par le plus grand
des magiciens, Merlin en personne.
Vers Table des matières
Arrivé chez lui, il se rendit dans sa cellule
qui était creusée dans une falaise sur un
flanc de montagne et, ayant prononcé les
paroles magiques permettant d’ouvrir la
porte massive, il entra et commença ses
recherches.
Le livre de la connaissance magique, que
Merlin avait écrit, comprenait de nombreux
volumes, où tout avait été inscrit par ordre
alphabétique, de sorte qu’on puisse s’y
retrouver facilement.
Le vieux magicien alla pour commencer au
mot « Princesse ».
Livre de magie étiopien 17e siècle
Vers Table des matières
Cinq cents pages étaient consacrées au
sujet, et, vraiment, il y avait beaucoup
d’informations très intéressantes, comme par
exemple...
Princesse : comment transformer une
gardienne d’oies en princesse.
Formule magique pour entourer la princesse
avec de hauts murs de bronze, absolument
indestructible, sauf par le son d’une certaine
trompette.
Princesse : anneau enchanté pour
princesse.
Une nouvelle méthode améliorée permettant
de la transformer en faon avec n’importe
quel membre de sa famille au choix, puis
de leur rendre à tous leur forme d’origine.
Princesse : une excellente formule
permettant de faire grandir ou rapetisser
une princesse en lui faisant manger des
champignons, avec des consignes pour
trouver ces champignons et les précautions
d’emploi destinées à éviter qu’un grignotage
excessif n’entraîne sa disparition totale.
Et ainsi de suite.
Vers Table des matières
Mais il n’y avait pas un mot sur la façon
d’empêcher une princesse de tomber dans
un sommeil enchanté provoqué par une
piqûre au doigt avec le fuseau d’un rouet.
Aussi, après avoir lu les cinq cents pages,
le vénérable magicien regarda au mot
« Sommeil », avec l’espoir qu’il aurait plus
de chance.
Il y avait là aussi beaucoup d’informations
sérieuses.
Champignon anthurus d’Archer
Vers Table des matières
Il y avait des recettes de drogues
puissantes pour endormir, et de drogues
encore plus puissantes pour empêcher les
gens de s’endormir, et lorsque le magicien
en arriva là, il poussa un cri d’excitation,
car il pensait avoir trouvé sa réponse,
jusqu’à ce que, poursuivant sa lecture, il
ne découvre que le charme décrit ne
s’appliquait qu’aux méchantes reines ayant
honteusement maltraité les enfants nés d’un
précédent mariage du roi.
C’est très facile de se tromper en magie,
car c’est une science très compliquée.L’alchimiste David Teniers (1610-1690)
Vers Table des matières
Après avoir lu les deux cents pages
consacrées au mot « Sommeil », le
vénérable magicien était très inquiet, mais il
était persévérant et il poursuivit ses efforts.
Les livres de magie de Merlin n’ayant pas
rendu le service attendu, il chercha d’autres
moyens pour apprendre ce qu’il voulait
savoir et consulta son oracle.
Son oracle était un crocodile empaillé
pendu au plafond, et une voix en sortit qui
lui demanda de répéter la formule magique.Crocodile empaillé
Vers Table des matières
La formule magique est une phrase
composée de tous les sons exclus du
langage ordinaire, et c’est une chose
effrayante à écouter.
C’est aussi très fatigant à dire, et après
que le vénérable magicien l’eut répétée, il
dut se reposer pendant plusieurs heures.
Ensuite il se releva et dessina des
pentagones sur le sol rocheux de sa
caverne, et entrecroisa des triangles et des
cercles entourés de tous les signes du
zodiaque.Mosaïque du 6e siècle à la synagogue de
Beit Alpha
Vers Table des matières
Puis il se plaça debout au milieu des
pentagones, des triangles et des cercles
entrecroisés et accomplit toutes sortes de
rites étranges et secrets, mais tout cela
sans résultat.
Mais il ne voulait pas renoncer et il se
rendit dans des endroits mystérieux dans la
forêt et récolta d’étranges herbes dans la
sombre clarté de la lune.
Vers Table des matières
De retour à la maison, il jeta les herbes
dans un brasero, où elles brulèrent avec
des flammes multicolores, provoquant un
épais nuage de fumée et une odeur des
plus horribles.
Alors, comme ces tentatives n’apportaient
pas le résultat escompté, il regarda dans
sa boule de cristal et versa de l’encre
dans la paume de sa main, et fit toutes
les choses qu’il avait appris à faire durant
toutes ses années d’apprentissage de la
magie depuis qu’il était un tout petit garçon.Carl Spitzweg 1860
Vers Table des matières
Et, juste au moment où, désespéré, il allait
renoncer, il eut une idée qui le fit pleurer
de joie car il sut qu’il avait trouvé ce qu’il
cherchait.
Cela montre comment même les choses les
plus difficiles peuvent être obtenues par la
persévérance et la patience.
Il retourna au palais à toute vitesse et
demanda une audience au roi.
Cela lui fut immédiatement accordé car,
pour dire la vérité, le roi attendait son
retour avec la plus grande impatience.
Vers Table des matières
« Bien, » dit-il, « avez-vous trouvé une
solution ? »
« J’ai trouvé, » répondit le vénérable
magicien. « Mon art ne m’a pas laissé
tomber ! »
Et il tendit au roi un morceau de
parchemin sur lequel étaient écrits les mots
suivants.
Ils étaient écrits en latin pour qu’ils
paraissent plus importants, mais très
probablement, ce n’était pas du bon latin,
car le vénérable magicien avait été formé
à son métier dans des temps très anciens
et en conséquence son éducation classique
avait été quelque peu négligée.
Mais voici leur signification :
Un fuseau doit piquer ? - alors que fuseau
brûle,
Qu’aucun fils ne soit tissé, aucune roue
tournée;
S’il n’y a ni fuseau ni roue,
Alors aucun doigt fuseau ne peut trouver.
Le roi se frappa la cuisse de joie.
Vers Table des matières
« Mais bien sûr ! » dit-il. « Comment n’ai-
je pas pensé moi-même à une solution
aussi simple ? Il me semble, Magicien,
que vous avez facilement gagné vos mille
couronnes ! »
« Ah, Majesté, » répondit le magicien,
« toutes les choses sont simples, une fois
que vous les connaissaient. »
Ce en quoi, il avait parfaitement raison.
Vers Table des matières
Chapitre 6
La destruction des rouets
Vers Table des matières
Le roi mit aussitôt en œuvre le conseil du
magicien.
Dès le lendemain, il fit rédiger une
proclamation, et ordonna que des copies
en soient placées sur toutes les portes
des églises et dans tous les lieux publics
de chaque ville de son royaume. Voici ce
qu’on pouvait y lire.
Attendu,
qu’une certaine méchante fée, oublieuse
des devoirs qu’elle doit au roi et à la
reine, les plus grands et les plus puissants
légitimes souverains de ces contrées, et à
la princesse Églantine, leur fille tendrement
aimée, a, de façon préméditée, et avec
l’intention de créer de graves blessures à la
dite princesse, en la présence des sus dits
très puissants souverains et de plusieurs
de leurs loyaux sujets, fait et exprimé une
prophétie selon laquelle, la dite princesse,
dans sa quinzième année, se piquera le
doigt au fuseau d’un rouet, si bien que, à
cause de cette blessure, un terrible malheur
tombera sur elle, pour la plus grande peine
de ses parents aimants.
Vers Table des matières
Il est décrété :
que tous les rouets et tous autres types
d’instruments à filer en la possession de
n’importe lequel des sujets de sa très
excellente majesté le roi, qu’ils soient
actionnés à la main ou grâce à une
pédale ou par tout autre moyen, ainsi
que tous les fuseaux, navettes, bobines,
et tous autres accessoires et équipements
en rapport, devront être immédiatement
déposés auprès des officiers de sa très
excellente majesté le roi, désignés pour les
recevoir.
Vers Table des matières
Il est par ailleurs décrété :
que toute personne qui n’observerait
pas les dispositions de cet édit, retenant
illégalement un instrument à filer ou un des
accessoires s’y rapportant, sera traitée avec
la plus grande rigueur conformément à la
loi, et sera punie de mort.
Fait de notre main royale et sous notre
sceau.
La publication de cette proclamation, fit
l’objet d’un grand intérêt et causa une
grande excitation partout dans le royaume.
Tous les gens sortaient de chez eux pour
aller la regarder car ils n’en avaient encore
jamais vu de pareille, et bien que très peu
d’entre eux fussent capables de la lire, ils
étaient conscients que cela devait signifier
quelque chose de très important.
Ils firent donc venir des clercs et des
savants pour le leur lire, payant chacun un
penny pour la peine, petite monnaie que
les clercs et les savants, qui étaient en
général des personnes très nécessiteuses,
étaient très contents de gagner.
Vers Table des matières
En général, il leur fallait trois heures pour
lire la proclamation et l’expliquer, et il faut
reconnaître qu’elle aurait pu être exprimée
avec moins de mots.
Mais elle aurait alors été moins solennelle,
or cette proclamation était ce que l’on
appelle un instrument juridique.
Dès le lendemain, dans chaque ville et
village du royaume, les officiers du roi
arrivèrent à cheval.
Quentin Massy 16é siècle : un clerc
Vers Table des matières
Ils étaient précédés par un trompette qui,
depuis l’entrée de chaque rue, avait lancé
un appel bien sonore.
Ayant ainsi demandé l’attention, il était
passé devant chaque maison en criant à
pleine voix :
« Sortez vos rouets ! Sortez vos rouets! »
Et chacun d’obtempérer, non sans
ronchonner d’ailleurs, car un rouet est une
chose très utile dans une maison, d’autant
plus qu’à cette époque, les gens filaient
et tissaient eux-mêmes pour faire leurs
vêtements.
Vers Table des matières
Mais ils avaient peur de désobéir aux
ordres du roi.
Les rouets étaient de toutes les formes et
de toutes les tailles, certains étaient neufs,
d’autres avaient des centaines d’années,
et il n’y avait quasiment pas une maison
qui n’en possédât un d’une sorte ou d’une
autre.
Ils furent tous rassemblés puis placés dans
des charrettes et emmenés à la capitale,
où ils furent empilés en un énorme tas sur
la Grand-Place.
Vers Table des matières
Ensuite, le roi et la reine, ainsi que toute
la cour, vinrent observer la mise à feu de
l’ensemble.
Par milliers, le peuple vint aussi regarder :
c’était un très beau spectacle que de voir
ces énormes flammes s’élançant vers le ciel
et d’entendre les craquements et sifflements
du bois qui sonnaient comme une centaine
de mousquets.
Vers Table des matières
Le roi rit tout haut de soulagement, et on
vit même la reine sourire, tandis que la
petite princesse Églantine, qui avait été
placée à une fenêtre du palais pour voir le
feu de joie, tendait les bras vers les jolies
flammes tout en gazouillant.
Mais les gens du peuple, eux, ne trouvaient
pas ce spectacle très amusant: c’étaient en
effet leurs rouets qui étaient en train de
brûler.
Vers Table des matières
« J’avais ce rouet depuis vingt ans, » disait
une femme, « et maintenant, je n’ai plus
rien du tout, comment diable vais-je pouvoir
faire sans, avec six garçons en pleine
croissance à qui il faudra bien des hauts-
de-chausses »
« C’est cinq couronnes d’argent, qu’il m’a
fallu, mon bon monsieur, à la dernière
Chandeleur » disait une autre, « et voilà
qu’il part en fumée ».
« Qu’est-ce qu’un rouet, si sa destruction
sauve notre petite princesse ? » disait une
troisième.
Vers Table des matières
« Allez, reprenez courage, la mère, le roi
a raison de faire ce qu’il fait et il ne nous
laissera pas dans le besoin. »
Et cet homme disait vrai.
En effet, le roi ne voulait pas opprimer
ses sujets si bien que, dès que le tas fut
réduit en cendres, il fit rédiger une autre
proclamation, affirmant que les propriétaires
de rouets seraient dédommagés pour leur
perte.
Et mieux que cela, le roi demanda à
ses marchands d’acheter de la laine filée
dans les pays voisins de sorte que les
gens puissent tisser alors même qu’ils ne
pouvaient plus filer.
Vers Table des matières
Chapitre 7
L’enfance d’Eglantine
Vers Table des matières
La petite princesse Églantine, évidemment,
ignorait tout des étranges événements qui
s’étaient produits lors de son baptême.
Le roi avait d’ailleurs donné des ordres
pour que personne n’y fît la moindre
allusion devant elle.
Ce n’est pas chose agréable que de
savoir que les fées ont décrété que l’on
s’endormirait pendant cent ans le jour de
son quinzième anniversaire, même si l’on
doit être réveillé par un prince charmant à
l’issue de cette période.Herbert Cole 1906
Vers Table des matières
Aussi tous les lords de la cour et toutes
les dames d’honneur devaient être très
prudents et discrets.
S’ils racontaient une histoire à la princesse,
ils devaient en bannir le mot « rouet »,
et s’ils lui montraient un livre, ils devaient
prendre soin de vérifier qu’il ne contenait
aucune image de rouet, ni aucune
référence à une quenouille ou à un fuseau,
de crainte qu’elle ne demande ce que c’est.
Louis Léopold Boilly 1824
Vers Table des matières
Les officiers des douanes, aux frontières
du royaume, devaient examiner chaque
chargement de marchandises qui entraient
dans le pays de peur qu’il ne contienne
un rouet et si quelqu’un était pris à en
introduire un clandestinement, il était traduit
devant les juges et puni.
Par ces mesures, le roi avait la certitude
d’avoir détourné le sort pesant sur sa fille.
Cependant, les promesses faites par les
autres fées se réalisaient à la lettre, et
la jeune princesse était bien partie pour
devenir la plus belle, la plus douée et la
plus gracieuse jeune fille du monde entier.H. W Robinson
Vers Table des matières
C’était en tout cas, ce que tout le monde
disait dans le palais, depuis les lords et
les dames de la cour jusqu’aux souillons
dans la cuisine, et bien que les gens aient
parfois tendance à flatter la royauté, dans
ce cas leur admiration était justifiée.
Tout d’abord, la princesse était aussi
charmante qu’un matin de printemps, avec
des yeux d’un bleu si pur et si doux, et
des cheveux où semblaient se mêler des
rayons de soleil.
Vers Table des matières
Lorsqu’elle arrivait dans une pièce, les gens
arrêtaient ce qu’ils étaient en train de faire
pour la regarder, et chacun se sentait plus
heureux parce qu’elle était là.
Et son intelligence !
Elle n’avait jamais de problème avec les
lettres ou les tables de multiplication,
utilisant chiffres et lettres avec une grande
facilité.
Elle connaissait l’histoire de son pays, et
de tous les pays alentour, et personne
ne pouvait la surprendre, même avec les
questions de géographie les plus difficiles.
Vers Table des matières
Elle savait aussi coudre, broder, tricoter,
peindre, dessiner.
Elle pouvait réciter de la poésie en cinq
langues différentes.
Elle étudiait les mathématiques et la
botanique ainsi que l’astronomie et même le
droit.
En bref, il n’y avait pas de limite à son
savoir, et tout cela parce qu’elle avait ces
bonnes fées pour marraines.
Vers Table des matières
En plus de cela, il y avait tous ses autres
talents.
Elle pouvait jouer de toutes sortes
d’instruments de musique, tels que, par
exemple, le violon et la cithare, la grande
harpe et la guimbarde, l’orgue d’église et
l’orgue à bouche, la flûte et le pipeau, et
même faire de la musique avec son peigne
d’enfant.
Elle pouvait chanter comme un rossignol et
danser comme une fée.
Vers Table des matières
Et pourtant, elle n’était jamais prétentieuse,
ni vaniteuse comme le sont souvent les
personnes belles et accomplies.
Au contraire, elle était toujours d’un naturel
doux et modeste, et c’est pour cette raison
qu’on l’aimait.
Les gens peuvent admirer la beauté et un
maintien gracieux, ils peuvent respecter le
talent, mais ce ne sont que la douceur et
la bonté qui gagnent les cœurs.
Et cela avait été le cadeau de la troisième
fée.
Vers Table des matières
Les années passèrent ainsi jusqu’au jour où
la princesse Églantine atteignit ses quinze
ans.
Quel jour ce fut !
Tout le monde vint lui souhaiter un bon
anniversaire et elle eut tant de cadeaux
qu’il fallut une bonne douzaine de serviteurs
pour défaire les paquets.
Le roi lui offrit un poney blanc, avec une
selle en velours rouge, une bride et des
étriers en or, tandis que la reine lui offrit
un magnifique et riche collier de perles.
Vers Table des matières
Même le garçon qui tournait la broche dans
la cuisine lui offrit quelque chose, et bien
que ce ne soit qu’une petite chaussure en
bois qu’il avait taillée de ses propres mains,
la princesse l’apprécia autant que si elle
avait été en or.
La seule personne qui n’était pas heureuse
en ce jour d’anniversaire de la princesse
était la reine qui apparut toute pâle et
pleine d’anxiété.
Vers Table des matières
« Venez, venez, mon amour », dit le
roi, « qu’y a-t-il ? vous ne pensez tout
de même pas à cette vieille prophétie
idiote ! »
« Comment pourrais-je ne pas y
penser ? » répondit la reine. « Je n’ai pas
pu me l’enlever de la tête pendant quinze
ans, et maintenant que le jour est venu, j’ai
peur. »
« Rassurez-vous » dit le roi, « rien
n’arrivera. Vous savez bien qu’il n’y a
plus un seul rouet dans un rayon de cent
kilomètres. J’y ai bien pris garde ! »
Et il sortit en riant, pour participer à une
réunion de son Cabinet.
Mais la reine hochait la tête.
Pendant que le roi et la reine parlaient,
la princesse Églantine se promenait dans
le château, visitant une pièce après l’autre,
comme elle l’avait déjà fait de nombreuses
fois.
Vers Table des matières
Le château était si grand qu’un étranger
aurait pu facilement se perdre dans le
dédale d’escaliers et de couloirs, mais
Églantine en connaissait parfaitement
chaque secteur, depuis la grande cuisine
au sous-sol, dans laquelle les jours de
fête une armée de cuisiniers préparaient le
dîner pour une centaine d’invités, jusqu’à la
tour la plus haute au-dessus des remparts,
dans laquelle les sentinelles surveillaient les
alentours, leur pique à l’épaule.
Il n’y avait qu’un endroit dans le château
qu’Églantine n’avait jamais visité, et c’était
une ancienne tour qui s’élevait à l’extrême
sud.
La porte de cette tour était toujours fermée,
et bien que la princesse eut souvent
cherché la clé, elle n’avait jamais réussi à
entrer.
Les servantes lui avaient dit que la tour
n’était plus habitée depuis presque cent
ans, et personne dans le château ne se
souvenait qu’elle l’ait jamais été.
Vers Table des matières
Ce jour-là, Églantine allait et venait avec
agitation d’un endroit à l’autre.
Elle jeta un coup d’œil à la cuisine et vit
le garçon de cuisine qui tournait la broche
sur laquelle un bœuf-entier était en train de
rôtir.
Puis elle se rendit dans la salle du trône
vide et regarda les trônes d’or placés côte
à côte sur l’estrade ainsi que sur les murs,
les riches tapisseries qui flamboyaient de
toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Vers Table des matières
Elle monta ensuite sur les remparts d’où
elle put apercevoir le royaume de son père
sur des kilomètres et des kilomètres, et,
ne se contentant pas de cela, elle monta
en courant les escaliers qui menaient à la
tourelle et regarda par les fentes étroites
des fenêtres la cour en-dessous, si loin
en-dessous que les gens qui y marchaient
ne paraissaient pas plus grands que des
souris.
Vers Table des matières
Ensuite elle redescendit et continua son
errance jusque dans tous les coins les plus
reculés, tant et si bien qu’à la fin elle se
retrouva devant la porte de l’ancienne tour
où elle n’était jamais entrée.
Comme elle regardait la porte, elle s’arrêta
de surprise et poussa un cri de joie.
Il y avait une clé dans la serrure.
Charles Robinson 1900
Vers Table des matières
Chapitre 8
La prophésie s’accomplit
Vers Table des matières
C’était une clé rouillée, et Églantine eut
peur de ne pas pouvoir la faire tourner,
mais, à sa grande surprise, elle tourna très
facilement.
La lourde porte pivota sur ces vieux gonds
avec force grincements et gémissements et
Églantine se retrouva dans une petite pièce
sombre au sol recouvert d’une épaisse
couche de poussière.
De cette pièce partait un escalier en
spirale, et Églantine s’apprêtait juste à
monter les marches lorsqu’un bruit soudain
la fit s’arrêter toute inquiète.A.H Watson
Vers Table des matières
Whirr !
Il y eut un battement d’ailes, de l’agitation
et comme une bagarre, puis une silhouette
noire aux yeux brillants et jaunes passa en
volant devant son visage.
Ce n’était qu’un hibou qui s’était mis
à l’abri du soleil dans la tour, mais cela
causa une grande frayeur à la pauvre
Églantine.
Vers Table des matières
Elle ne savait plus bien si elle devait
continuer ou non, mais cet escalier en
spirale était vraiment tentant et elle avait
bien envie de voir où il menait, aussi
remontant ses jupes pour éviter toutes ces
choses terrifiantes qui pouvaient ramper
par-là, elle grimpe les marches aussi vite
qu’elle le peut, tournant et tournant jusqu’à
ce qu’elle atteigne le sommet.
Là, elle tomba sur une autre porte.
Dans la serrure, il y avait aussi une clé
rouillée, mais Églantine la tourna aussi
facilement que la première.
Vers Table des matières
Puis elle poussa la porte et entra.
Elle se retrouva dans une petite pièce
éclairée par des fenêtres étroites.
Près d’une de ces fenêtres, il y avait un
lit en face duquel était assise une vieille
femme avec un rouet.
« Bonjour, Grand-mère, » dit la princesse.
« Qu’est-ce que vous faites ? »
« Je file, ma belle-enfant, » répondit la
vielle femme sans arrêter son travail.Anne Anderson
Vers Table des matières
« Vous filez? », demanda la princesse.
« Oh, faites-moi voir ! Qu’est-ce que cette
chose qui tourne si joyeusement ? »
« C’est un rouet », dit la vieille femme.
« Mais, mon enfant, vous parlez comme si
vous n’en aviez jamais vu ? »
« Eh bien oui, je n’en ai jamais vu », dit
la princesse. « Comme c’est intéressant !
Je me demande si j’arriverais à faire aussi
bien que vous. Voulez-vous me laisser
essayer ? »
Alexander Zick 1890
Vers Table des matières
« Bien sûr », dit la vielle femme, « toutes
les jeunes filles doivent savoir filer. Voilà,
ma chère », et elle donna le fuseau à
Églantine.
À ce moment, que ce soit parce que la
princesse dans sa hâte, attrapa le fuseau
trop brutalement, ou tout simplement parce
que la fée avait décrété qu’il en serait
ainsi, je ne sais pas, mais en tout cas, la
pointe en fer acérée lui perça la main, et
immédiatement elle tomba en arrière sur le
lit prise d’un sommeil profond.
Margaret Price
Vers Table des matières
Et précisément au même moment, le
sommeil s’empara de tous les hommes,
femmes et enfants du château, et de tous
les êtres vivants dans son enceinte.
Le roi, qui siégeait au bureau du conseil
avec ses ministres, s’arrêta de parler au
milieu d’une phrase, et resta la bouche
ouverte, en train de prononcer un mot,
mais personne ne remarqua l’étrangeté de
sa conduite, car tous ses ministres s’étaient
dormis aussi, là-même où ils étaient assis.
Derrière la porte, la sentinelle s’appuyait sur
sa pique.Edward Burne-Jones 1833-1898
Vers Table des matières
Dans la chambre de la reine, les dames
d’honneur étaient tombées dans un profond
sommeil en plein milieu de ce qu’elles
étaient en train de faire : l’une alors qu’elle
agitait un mouchoir, une autre dessus sa
broderie, encore une autre alors qu’elle
parlait à son perroquet.
La reine s’endormit dans son fauteuil, et
un petit page qui chantait, au milieu d’une
note.
Ce sommeil ensorcelé se répandit dans tout
le château.
Edward Burne-Jones 1833-1898
Vers Table des matières
Courtisans, officiers, serviteurs, cuisiniers,
garçons de course, soldats, bedeau, et
même les chevaux dans les écuries, ainsi
que les chiens dans leur chenil se figèrent
comme s’ils étaient morts.
Les mouches s’arrêtèrent de bourdonner à
la fenêtre, et les pigeons de roucouler sur
le toit.
Dans la grande cuisine, les plongeurs
s’endormirent alors qu’ils étaient en train de
laver les assiettes, et le cuisinier alors qu’il
tirait l’oreille à un marmiton.
Edward Burne-Jones 1833-1898
Vers Table des matières
Il ne pensait pas qu’il mettrait cent ans à y
arriver ni à crier ce qu’il avait sur le bout
de la langue.
Le chien qui était en train de ronger un
os, s’endormit ainsi sous la table, le chat
en fit autant devant le trou de la souris
qui fit de-même derrière la plinthe, son
petit nez rose en train de renifler d’un air
soupçonneux.
Vers Table des matières
Et s’arrêtèrent aussi les broches qui
tournaient sur le feu, chargées de perdrix
et de faisans en train de cuire pour la
fête d’anniversaire de la princesse, le
feu cessa de danser et ses flammes
retombèrent.
Un profond silence s’abattit sur le château.
Dans les champs, les agneaux s’arrêtèrent
de bêler, les chevaux de hennir et les
vaches de meugler.
Les oiseaux dans les arbres devinrent
silencieux.Viktor Vasnetsov 1848-1926
Vers Table des matières
Alors que l’air était plein de leurs
gazouillements, l’instant suivant, il était
devenu aussi calme que le désert.
Dans les bois, le vent lui-même tomba
comme endormi, plus une feuille ne bougea
et les nuages blancs se figèrent dans le
ciel.
Ainsi donc le sommeil tomba sur le château
enchanté et sur tout ce qu’il y avait à
l’intérieur, à cause de la princesse Églantine
qui gisait sur sa couche dans l’ancienne
tour, attendant que les cent années soient
passées et que le Prince vienne la réveiller.
Vers Table des matières
Et tout autour du château poussa une
haie d’épines entremêlée de lierre, de
chèvrefeuille et de plantes rampantes, le
tout si dense que de loin, on aurait dit un
petit bois.
Cette haie poussa de plus en plus haut,
entourant le château comme un mur jusqu’à
ce qu’on ne vît plus que le haut de la plus
haute tour, et le mât sur lequel pendait,
avachi et immobile, l’étendard royal.
Et les années passaient, chacune avec ses
changements de saisons.
Vers Table des matières
Le printemps revenait, apportant dans les
champs et les bois la vie nouvelle des
feuilles et des fleurs.
Les arbres s’éveillaient de leur sommeil
hivernal et s’habillaient d’un vert somptueux.
Les oiseaux recommençaient à chanter, les
hirondelles et les martinets à construire leur
nids sous les avant-toits.
Les enfants riaient et tapaient des mains
car ils étaient très heureux sous le soleil
éclatant, et les vieillards sentaient leur cœur
se remplir de joie en voyant les forêts se
couvrir d’un voile bleu de jacinthes et les
jonquilles danser sous la brise.
Mais derrière la haie d’épines aucune vie
ne s’éveillait, aucune fleur, aucun arbre ne
répondait à l’appel du printemps.
Avec le temps, les gens qui étaient jeunes
lorsque le château fut enchanté devinrent
vieux puis moururent, mais ils n’avaient pas
oublié la prophétie qui disait qu’un jour la
princesse endormie se réveillerait.
Et ils avaient raconté l’histoire à leurs
enfants, qui l’avaient raconté à leur tour
tout en la changeant un peu, car pour eux
ce n’était qu’un conte.
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Ainsi, après bien des années, la légende
s’était répandue dans les pays voisins et
beaucoup de jeunes princes rêvaient que
c’était eux qui étaient désignés pour briser
le sort et réveiller la princesse endormie.
Encore et encore, l’un après l’autre, ils
avaient tenté de traverser l’épaisse haie.
Mais aucun n’avait réussi.
Les épines acérées accrochaient les
malheureux jeunes gens et les maintenaient
fermement, si bien qu’ils ne pouvaient plus
ni avancer ni reculer et qu’ils périssaient
misérablement.Gustave Doré
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Leurs os blanchis par le soleil et le vent,
restaient là comme un avertissement que
tout le monde pouvait voir avant que les
plantes rampantes ne viennent les recouvrir.
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Les mots difficiles
Destin : Loi supérieure qui semble mener le
cours des événements vers une certaine fin.
Prophétie : Prédiction d’un événement.
Maléfice : Pratique magique visant à nuire ;
diablerie, sortilège.
Vénérable : très vieux et très respecté.
Oracle : Décision jugée infaillible et émanant
d’une autorité.
Edmond Dulac
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Pentagone : Polygone qui a cinq angles, et
donc cinq côtés.
Rite : Ensemble des règles fixant le
déroulement d’un cérémonial.
Proclamation : annonce, déclaration.
Prémédité : Préparé avec soin et calcul.
Obtempérer : Se soumettre à un ordre, obéir.
Mousquet : Arme à feu portative employée aux
XVIe et XVIIe siècles.
Margaret Tarrant
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Allusion : Mot, phrase qui évoquent une
personne, une chose sans la nommer.
Souillon : Personne malpropre et mal habillée.
Accomplie : Qui atteint, dans son genre, un
degré supérieur.
Dédale : Ensemble compliqué de voies, où l’on
risque de s’égarer.
Errance : Aller çà et là, à l’aventure, sans but.
Millicent Sowerby