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30 Le Nouvelliste Mercredi 3 février 2010 LE MAG dc - pf Descente aux enfers Depuis que la justice a supprimé la garde de sa fille Frances à Courtney Love, la veuve de Kurt Cobain sombre dans la déchéance. Une source raconte que «Courtney cache de l'alcool et des ordonnances qui l'assomment. Elle dit que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue sans sa fille. Elle passe son temps seule dans sa chambre d'hôtel et poste des commentaires fous sur Twitter. Ça pourrait très mal finir un de ces jours.» DE RETOUR DE MOSCOU VÉRONIQUE RIBORDY «La boucle est bouclée ». Depuis qu’il est à Moscou, la phrase revient réguliè- rement dans la bouche de Léonard Gianadda. Il voudrait que ce voyage à Moscou, peut-être le 30 e , soit aussi le dernier. Pour que les choses restent dans cet état de perfection. Pour ce «dernier voyage», il est venu inaugurer à Moscou une exposition et pour une fois, il s’agit de son exposition. Le Mu- sée Pouchkine qui lui a prêté tant de toiles (Chagall, les impressionnistes etc.) expose pendant quelques semai- nes des photographies que Léonard Gianadda a prises en 1957 à Moscou lors du 6 e festival mondial des étu- diants et de la jeunesse. Le Martigne- rain avait 22 ans et ce devait être son dernier reportage photographique. Après son retour en Suisse, il décidait de poser ses appareils. «Je ne savais pas, en retrouvant ces photographies il y a deux ans, qu’elles avaient une aussi grande importance pour la Russie, et pour Léonard Gia- nadda. Il ne voulait ni les publier, ni les montrer. Il a fallu lui soutirer les docu- ments l’un après l’autre» a relaté Jean- Henri Papilloud, directeur de la Média- thèque Images et Son lors de la confé- rence de presse à Moscou. «Lorsque je l’ai découvert, le reportage de Moscou était un reportage parmi cinquante au- tres. Un an après la première exposition à Martigny en 2008, j’ai pu voir les let- tres et la correspondance et comprendre peu à peu ce qui s’était passé». Il aura fallu cinquante ans pour que Léonard Gianadda revienne sur les conséquen- ces de ce premier voyage en Russie so- viétique. L’annonce d’un dégel En 1957, le festival de la jeunesse à Moscou attire des dizaines de milliers de jeunes sympathisants communis- tes. Plus tard, les observateurs y ver- ront l’annonce d’un dégel du régime soviétique. Pour les historiens, le festi- val est un des événements majeurs de l’après-guerre. Cent trente et un pays sont représentés dont de nombreuses délégations venues de l’ouest de l’Eu- rope. Léonard saisit l’occasion pour visi- ter la Russie: «Je n’allais pas manquer ça, passer de l’autre côté du rideau de fer! Il ne fallait que 300 francs pour trois semaines, nourri, logé». Et politique- ment? «Je n’étais ni pour, ni contre. Je voulais voir ce qui se passait». Il se fait accréditer comme reporter par «l’Illus- tré», un magazine pour lequel il a déjà souvent travaillé. A 22 ans, il a déjà quatre ans d’expérience dans le photo- journalisme. «Il est à l’apogée de ses moyens» souligne Jean-Henri Papil- loud. Pendant trois semaines, Léonard va partout, sillonnant la ville en métro et à pied. Dans l’annuaire, il trouve le numéro de téléphone de Volodymyr Kuts, médaillé aux Jeux olympiques de Melbourne en 1956. Le champion l’in- vite chez lui. Un autre jour, le jeune homme se rend au cirque de Moscou dans l’inten- tion de se présenter au clown Popov. Le culot lui réussit, puisque là aussi Popov l’accueille dans sa loge. On peut imaginer Léonard pendant ces trois semaines à Moscou, courant partout, photographiant tout le monde, du métro aux grands magasins Goum sur la place Rouge où il assiste aux défilés de mode et saisit l’air ahuri des badauds devant les étals de bas de soie. Pour la première fois depuis de lon- gues années, Moscou est en fête. La ville fourmille d’orchestres, les filles ont des robes légères et des sourires ra- vis. «C’était la liberté totale, on pouvait faire ce qu’on voulait.Les gens nous tou- chaient, ils voulaient nous parler. On a eu des contacts formidables». Il revient avec mille trois cents images, la mois- son est énorme. A coups de pierres Le retour en Suisse est brutal. Le train des jeunesses communistes est accueilli à coups de pierres à Zurich. L’aventure tourne carrément mal lors- que les premières images sont diffu- sées dans la presse. La photographie de Janos Kadar, prise lors de la fête natio- nale à l’ambassade suisse de Moscou, crée le scandale. Le leader hongrois porte le drapeau suisse en bouton- nière, quelques mois après avoir parti- cipé au côté de l’Armée Rouge à l’écra- sement de l’insurrection hongroise. «L’Illustré» publie un communiqué qui désavoue son jeune reporter. Léo- nard tourne la page et abandonne toute idée de carrière journalistique. Les photographies sont rangées dans une caisse et oubliées. Cinquante ans après, Léonard Gianadda veut bien se souvenir: «Après coup, j’ai été frappé par ce qui se disait en Suisse. Les gens étaient persuadés que tout ce qu’on avait vu et vécu à Moscou était de la propagande. Mais en Suisse, on n’était pas capable de voir cette même propa- gande inversée.» Il n’y a donc pas de hasard si c’est en Russie que Léonard a ressenti par la suite les relations les «plus étroites et sincères» dans le cadre des activités de la Fondation P. Gianadda. Valentin Ro- dionov, directeur de la Galerie Tretia- kov jusqu’à l’an dernier, et Irina Anto- nova, 88 ans, toujours à la tête du Mu- sée Pouchkine, ont participé à ce festi- val de la jeunesse où Léonard Gia- nadda s’était précipité, avec ses 22 ans et une insatiable curiosité. «La boucle est bouclée» LE SCANDALE Léonard Gianadda avec l’ambas- sadeur suisse à Moscou. Il ra- conte le scandale qui avait suivi la publication d’une photo de Ja- nos Kadar, homme politique hon- grois pro-soviétique, portant le drapeau suisse en boutonnière lors du 1er août 1957 à Moscou. LA RECONNAISSANCE «Vous ne pouvez pas savoir ce que cela représente pour moi». Léonard Gianadda a inauguré son exposition à Moscou en portant la décoration de l’Ordre de l’Ami- tié reçu sur décret de Poutine en 2006. Pendant ces journées mos- covites, il n’a pas caché son émo- tion: «Quand j’ai fait la fondation il y a vingt-cinq ans, les gens ont pensé que c’était à ce moment que j’ai commencé à m’intéres- ser à la musique et à la peinture. Cette reconnaissance me donne un formidable bonheur. Ce qui se passe ici, c’est un des plus grands moments de ma vie. La boucle est bouclée.» La directrice du musée Pouchkine, le Louvre russe, est une institution à elle toute seule à Moscou. Grâce à Léonard Gianadda, son mu- sée a accueilli des expositions Modigliani et In- gres. Bien souvent, elle est venue à Martigny à l’occasion de prêts russes à la Fondation. Pen- dant «De Courbet à Picasso», une exposition du musée Pouchkine, elle a découvert les pho- tographies montrées à ce moment à la Média- thèque Images et Son. Elle pose un regard lucide sur les images récol- tées il y a cinquante ans par le jeune photore- porter suisse: «J’ai participé au festival de la jeunesse en 1957. Je me souviens très bien de l’atmosphère et je l’ai retrouvée dans ces ima- ges. J’aime la sincérité de l’auteur et son re- gard ouvert, sans préjugé. Cet événement a été très audacieux, le climat politique était en train de changer. Le festival marque une étape importante pour notre pays (ndlr: le dégel dé- bute en 1954 avec Khrouchtchev et se termine en 1964 à son départ). Léonard ne savait pas ce qui se passait, mais il a très bien senti ce qui se dégageait de ces journées. C’est un témoi- gnage direct et très appréciable.» Si elle avait rencontré Léonard en 1957, elle se dit convain- cue que «l’exposition d’aujourd’hui aurait pu avoir lieu beaucoup plus tôt». LÉONARD GIANADDA Le Martignerain expose au Musée des Beaux-Arts Pouchkine de Moscou les photogra- phies prises il y a cinquante ans lors du 6 e festival mondial de la jeunesse et des étudiants. Une exposition qui répare une bles- sure importante de sa jeunesse. «Un regard ouvert» «Politiquement, je n’étais ni pour, ni contre, je voulais voir ce qui se passait» LÉONARD GIANADDA MADAME ANTONOVA A DIT Entre la Russe et le Suisse, vingt ans d’amitié et d’estime sur la base d’une expérience com- mune. LE NOUVELLISTE Sur la Place Rouge avec Ekaterina Selezneva, directrice du département de l’art moderne et des relations internationales au Ministère de la culture, contact privilégié de Léonard à Moscou. STANLEY MAUMARY MINK.CH C’EST DU PEOPLE

«La boucle est bouclée» · 30 Le Nouvelliste Mercredi 3 février 2010 LE MAG dc - pf ... ça, passer de l’autre côté du rideau de fer! Il ne fallait que 300 francs pour trois

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Page 1: «La boucle est bouclée» · 30 Le Nouvelliste Mercredi 3 février 2010 LE MAG dc - pf ... ça, passer de l’autre côté du rideau de fer! Il ne fallait que 300 francs pour trois

30 Le Nouvelliste Mercredi 3 février 2010

LE MAGdc - pf

Descente aux enfersDepuis que la justice a supprimé la garde de sa filleFrances à Courtney Love, la veuve de Kurt Cobain

sombre dans la déchéance. Une source raconte que «Courtney cachede l'alcool et des ordonnances qui l'assomment. Elle dit que la vie nevaut pas la peine d'être vécue sans sa fille. Elle passe son temps seuledans sa chambre d'hôtel et poste des commentaires fous sur Twitter.Ça pourrait très mal finir un de ces jours.»

DE RETOUR DE MOSCOUVÉRONIQUE RIBORDY

«La boucle est bouclée ». Depuis qu’ilest à Moscou, la phrase revient réguliè-rement dans la bouche de LéonardGianadda. Il voudrait que ce voyage àMoscou, peut-être le 30e, soit aussi ledernier. Pour que les choses restentdans cet état de perfection. Pour ce«dernier voyage», il est venu inaugurerà Moscou une exposition et pour unefois, il s’agit de son exposition. Le Mu-sée Pouchkine qui lui a prêté tant detoiles (Chagall, les impressionnistesetc.) expose pendant quelques semai-nes des photographies que LéonardGianadda a prises en 1957 à Moscoulors du 6e festival mondial des étu-diants et de la jeunesse. Le Martigne-rain avait 22 ans et ce devait être sondernier reportage photographique.Après son retour en Suisse, il décidaitde poser ses appareils.

«Je ne savais pas, en retrouvant cesphotographies il y a deux ans, qu’ellesavaient une aussi grande importancepour la Russie, et pour Léonard Gia-nadda. Il ne voulait ni les publier, ni lesmontrer. Il a fallu lui soutirer les docu-ments l’un après l’autre» a relaté Jean-Henri Papilloud, directeur de la Média-thèque Images et Son lors de la confé-rence de presse à Moscou. «Lorsque jel’ai découvert, le reportage de Moscouétait un reportage parmi cinquante au-tres. Un an après la première expositionà Martigny en 2008, j’ai pu voir les let-tres et la correspondance et comprendrepeu à peu ce qui s’était passé». Il aurafallu cinquante ans pour que LéonardGianadda revienne sur les conséquen-ces de ce premier voyage en Russie so-viétique.

L’annonce d’un dégelEn 1957, le festival de la jeunesse à

Moscou attire des dizaines de milliersde jeunes sympathisants communis-tes. Plus tard, les observateurs y ver-ront l’annonce d’un dégel du régimesoviétique. Pour les historiens, le festi-

val est un des événements majeurs del’après-guerre. Cent trente et un payssont représentés dont de nombreusesdélégations venues de l’ouest de l’Eu-rope.

Léonard saisit l’occasion pour visi-ter la Russie: «Je n’allais pas manquerça, passer de l’autre côté du rideau defer! Il ne fallait que 300 francs pour troissemaines, nourri, logé». Et politique-ment? «Je n’étais ni pour, ni contre. Jevoulais voir ce qui se passait». Il se faitaccréditer comme reporter par «l’Illus-tré», un magazine pour lequel il a déjàsouvent travaillé. A 22 ans, il a déjàquatre ans d’expérience dans le photo-

journalisme. «Il est à l’apogée de sesmoyens» souligne Jean-Henri Papil-loud. Pendant trois semaines, Léonardva partout, sillonnant la ville en métroet à pied. Dans l’annuaire, il trouve lenuméro de téléphone de VolodymyrKuts, médaillé aux Jeux olympiques deMelbourne en 1956. Le champion l’in-vite chez lui.

Un autre jour, le jeune homme serend au cirque de Moscou dans l’inten-tion de se présenter au clown Popov. Leculot lui réussit, puisque là aussi Popovl’accueille dans sa loge.

On peut imaginer Léonard pendantces trois semaines à Moscou, courantpartout, photographiant tout lemonde, du métro aux grands magasinsGoum sur la place Rouge où il assisteaux défilés de mode et saisit l’air ahurides badauds devant les étals de bas desoie.

Pour la première fois depuis de lon-gues années, Moscou est en fête. Laville fourmille d’orchestres, les fillesont des robes légères et des sourires ra-vis. «C’était la liberté totale, on pouvaitfaire ce qu’on voulait. Les gens nous tou-chaient, ils voulaient nous parler. On aeu des contacts formidables». Il revientavec mille trois cents images, la mois-son est énorme.

A coups de pierresLe retour en Suisse est brutal. Le

train des jeunesses communistes estaccueilli à coups de pierres à Zurich.L’aventure tourne carrément mal lors-que les premières images sont diffu-sées dans la presse. La photographie deJanos Kadar, prise lors de la fête natio-nale à l’ambassade suisse de Moscou,crée le scandale. Le leader hongroisporte le drapeau suisse en bouton-nière, quelques mois après avoir parti-cipé au côté de l’Armée Rouge à l’écra-sement de l’insurrection hongroise.

«L’Illustré» publie un communiquéqui désavoue son jeune reporter. Léo-nard tourne la page et abandonnetoute idée de carrière journalistique.Les photographies sont rangées dansune caisse et oubliées. Cinquante ansaprès, Léonard Gianadda veut bien sesouvenir: «Après coup, j’ai été frappépar ce qui se disait en Suisse. Les gensétaient persuadés que tout ce qu’onavait vu et vécu à Moscou était de lapropagande. Mais en Suisse, on n’étaitpas capable de voir cette même propa-gande inversée.»

Il n’y a donc pas de hasard si c’esten Russie que Léonard a ressenti par lasuite les relations les «plus étroites etsincères» dans le cadre des activités dela Fondation P. Gianadda. Valentin Ro-dionov, directeur de la Galerie Tretia-kov jusqu’à l’an dernier, et Irina Anto-nova, 88 ans, toujours à la tête du Mu-sée Pouchkine, ont participé à ce festi-val de la jeunesse où Léonard Gia-nadda s’était précipité, avec ses 22 anset une insatiable curiosité.

«La boucle est bouclée»

LE SCANDALELéonard Gianadda avec l’ambas-sadeur suisse à Moscou. Il ra-conte le scandale qui avait suivila publication d’une photo de Ja-nos Kadar, homme politique hon-grois pro-soviétique, portant ledrapeau suisse en boutonnièrelors du 1er août 1957 à Moscou.

LA RECONNAISSANCE«Vous ne pouvez pas savoir ceque cela représente pour moi».Léonard Gianadda a inauguré sonexposition à Moscou en portantla décoration de l’Ordre de l’Ami-tié reçu sur décret de Poutine en2006. Pendant ces journées mos-covites, il n’a pas caché son émo-tion: «Quand j’ai fait la fondationil y a vingt-cinq ans, les gens ontpensé que c’était à ce momentque j’ai commencé à m’intéres-ser à la musique et à la peinture.Cette reconnaissance me donneun formidable bonheur. Ce qui sepasse ici, c’est un des plusgrands moments de ma vie. Laboucle est bouclée.»

La directrice du musée Pouchkine, le Louvrerusse, est une institution à elle toute seule àMoscou. Grâce à Léonard Gianadda, son mu-sée a accueilli des expositions Modigliani et In-gres. Bien souvent, elle est venue à Martigny àl’occasion de prêts russes à la Fondation. Pen-dant «De Courbet à Picasso», une expositiondu musée Pouchkine, elle a découvert les pho-tographies montrées à ce moment à la Média-thèque Images et Son.Elle pose un regard lucide sur les images récol-tées il y a cinquante ans par le jeune photore-porter suisse: «J’ai participé au festival de lajeunesse en 1957. Je me souviens très bien del’atmosphère et je l’ai retrouvée dans ces ima-ges. J’aime la sincérité de l’auteur et son re-gard ouvert, sans préjugé. Cet événement aété très audacieux, le climat politique était entrain de changer. Le festival marque une étapeimportante pour notre pays (ndlr: le dégel dé-bute en 1954 avec Khrouchtchev et se termineen 1964 à son départ). Léonard ne savait pasce qui se passait, mais il a très bien senti ce quise dégageait de ces journées. C’est un témoi-gnage direct et très appréciable.» Si elle avaitrencontré Léonard en 1957, elle se dit convain-cue que «l’exposition d’aujourd’hui aurait puavoir lieu beaucoup plus tôt».

LÉONARDGIANADDALe Martignerainexpose au Muséedes Beaux-ArtsPouchkine de Moscou les photogra-phies prises il y acinquante anslors du 6e festivalmondial de lajeunesse et desétudiants. Uneexposition quirépare une bles-sure importantede sa jeunesse.

«Un regard ouvert»

«Politiquement, je n’étais ni pour, ni contre, je voulaisvoir ce qui se passait»LÉONARD GIANADDA

MADAME ANTONOVA A DIT

Entre la Russe et le Suisse, vingt ans d’amitiéet d’estime sur la base d’une expérience com-mune. LE NOUVELLISTE

Sur la Place Rouge avec Ekaterina Selezneva,

directrice du département del’art moderne et des relations

internationales au Ministère dela culture, contact privilégié de

Léonard à Moscou.STANLEY MAUMARY MINK.CH

C’EST DUPEOPLE