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1 La cathédrale Sainte-Réparate à Nice (Alpes-Maritimes) Introduction Robert Jourdan, conservateur régional des monuments historiques Les chantiers de restauration des cathédrales appartenant à l’État en Provence-Alpes-Côte d'Azur (sept cathédrales et la Vieille-Major à Marseille, sur plus d'une quarantaine d'édifices ou vestiges de cathédrales conservés) restent actifs depuis l'achèvement de ceux de Sainte-Réparate à Nice, inauguré le 21 février 2015 : Saint-Jérôme à Digne (façades et clocher), Notre-Dame des Doms à Avignon (intérieurs), tandis que commencent ceux de la Nouvelle-Major (tours méridionales) et de la Vieille-Major (confortements et parements intérieurs) à Marseille, de Saint-Sauveur à Aix-en-Provence (assainissement, clocher et charpentes) et que se préparent un nouveau chantier pour Saint- Léonce à Fréjus (sécurité électrique et éclairage, après le chantier des superstructures) et une première campagne sur les parements extérieurs de Saint-Arnoux à Gap. La dernière cathédrale de Nice - Sainte-Réparate, 2è moitié du XVIIè siècle - avait connu une importante intervention dans ses intérieurs au tournant du siècle (1898-1903), quarante années après le rattachement du Comté de Nice à la France (1860) et trois ans avant son classement comme monument historique (1906). De fait le chantier français allait poursuivre, dans une esthétique et avec les techniques 1900, le spectaculaire baroque niçois. Dans les ruelles du vieux Nice, malgré le dégagement de la place Rossetti, c'est le clocher, rebâti au milieu du XVIIIè siècle, cantonnant la façade d'entrée orientée, qui signale la cathédrale, souvent par une vue pittoresque de la rue Mascoïnat, ainsi la belle petite aquarelle très colorée de Jacques Guiaud (Le Pays de Nice et ses Peintres au XIXè siècle, Acadèmia Nissarda, 1998). La campagne de travaux (2011-2012) sur la façade principale, financée par le Département des Alpes-Maritimes en maîtrise d'ouvrage de la Direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes Côte d’Azur/Conservation régionale des monuments historiques [DRAC PACA/CRMH (600 000 euros)], a favorisé une évolution mieux assimilée vers l'état décoratif 1900, qui, par sa clarté générale, ne s'éloignait pas vraiment de l'état sarde (1815-1860). La campagne de travaux en trois tranches (2012-2014) sur les intérieurs, financée par l'Etat, propriétaire, avec les crédits du ministère de la culture, également en maîtrise d'ouvrage de la DRAC/CRMH (2 500 000 euros, auxquels s'ajoutent 250 000 euros pour la restauration de treize tableaux de grand format), répondait essentiellement à l'urgente nécessité d’une rénovation des réseaux électriques et à la dégradation menaçante de certains éléments de décors en hauteur. Les recherches documentaires et les sondages initiaux, les découvertes de chantier, l'original dialogue archivistique avec le père administrateur de la cathédrale, ont conforté l'excellente entente entre maître d'ouvrage, clergé affectataire, architecte des bâtiments de France conservateur, conservateur des antiquités et objets d'art et bien sûr en premier lieu architecte en chef maître d'oeuvre, BET et bureau de contrôle, entreprises et artisans (neuf corps d'état sont intervenus). L'édifice cultuel est resté ouvert aux fidèles et aux visiteurs durant le déroulement des travaux, par une organisation du chantier permettant un déplacement de l'autel et des bancs, sous les auspices du service de sécurité. Les textes qui suivent détaillent ces travaux : décors, vitraux, grands formats (avec le concours du CICRP à Marseille), éclairages et leurs réseaux.

La cathédrale Sainte-Réparate à Nice (Alpes-Maritimes

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La cathédrale Sainte-Réparate à Nice (Alpes-Maritimes) Introduction Robert Jourdan, conservateur régional des monuments historiques Les chantiers de restauration des cathédrales appartenant à l’État en Provence-Alpes-Côte d'Azur (sept cathédrales et la Vieille-Major à Marseille, sur plus d'une quarantaine d'édifices ou vestiges de cathédrales conservés) restent actifs depuis l'achèvement de ceux de Sainte-Réparate à Nice, inauguré le 21 février 2015 : Saint-Jérôme à Digne (façades et clocher), Notre-Dame des Doms à Avignon (intérieurs), tandis que commencent ceux de la Nouvelle-Major (tours méridionales) et de la Vieille-Major (confortements et parements intérieurs) à Marseille, de Saint-Sauveur à Aix-en-Provence (assainissement, clocher et charpentes) et que se préparent un nouveau chantier pour Saint-Léonce à Fréjus (sécurité électrique et éclairage, après le chantier des superstructures) et une première campagne sur les parements extérieurs de Saint-Arnoux à Gap. La dernière cathédrale de Nice - Sainte-Réparate, 2è moitié du XVIIè siècle - avait connu une importante intervention dans ses intérieurs au tournant du siècle (1898-1903), quarante années après le rattachement du Comté de Nice à la France (1860) et trois ans avant son classement comme monument historique (1906). De fait le chantier français allait poursuivre, dans une esthétique et avec les techniques 1900, le spectaculaire baroque niçois. Dans les ruelles du vieux Nice, malgré le dégagement de la place Rossetti, c'est le clocher, rebâti au milieu du XVIIIè siècle, cantonnant la façade d'entrée orientée, qui signale la cathédrale, souvent par une vue pittoresque de la rue Mascoïnat, ainsi la belle petite aquarelle très colorée de Jacques Guiaud (Le Pays de Nice et ses Peintres au XIXè siècle, Acadèmia Nissarda, 1998). La campagne de travaux (2011-2012) sur la façade principale, financée par le Département des Alpes-Maritimes en maîtrise d'ouvrage de la Direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes Côte d’Azur/Conservation régionale des monuments historiques [DRAC PACA/CRMH (600 000 euros)], a favorisé une évolution mieux assimilée vers l'état décoratif 1900, qui, par sa clarté générale, ne s'éloignait pas vraiment de l'état sarde (1815-1860). La campagne de travaux en trois tranches (2012-2014) sur les intérieurs, financée par l'Etat, propriétaire, avec les crédits du ministère de la culture, également en maîtrise d'ouvrage de la DRAC/CRMH (2 500 000 euros, auxquels s'ajoutent 250 000 euros pour la restauration de treize tableaux de grand format), répondait essentiellement à l'urgente nécessité d’une rénovation des réseaux électriques et à la dégradation menaçante de certains éléments de décors en hauteur. Les recherches documentaires et les sondages initiaux, les découvertes de chantier, l'original dialogue archivistique avec le père administrateur de la cathédrale, ont conforté l'excellente entente entre maître d'ouvrage, clergé affectataire, architecte des bâtiments de France conservateur, conservateur des antiquités et objets d'art et bien sûr en premier lieu architecte en chef maître d'oeuvre, BET et bureau de contrôle, entreprises et artisans (neuf corps d'état sont intervenus). L'édifice cultuel est resté ouvert aux fidèles et aux visiteurs durant le déroulement des travaux, par une organisation du chantier permettant un déplacement de l'autel et des bancs, sous les auspices du service de sécurité. Les textes qui suivent détaillent ces travaux : décors, vitraux, grands formats (avec le concours du CICRP à Marseille), éclairages et leurs réseaux.

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La restauration de la cathédrale Sainte-Réparate à Nice Pierre-Antoine Gatier, Architecte en chef des Monuments Historiques Audrey De Cillia, Historienne de l’art à l’agence Pierre-Antoine Gatier Monument emblématique du patrimoine niçois et français, la cathédrale Sainte-Réparate, située au cœur du Vieux-Nice, autrefois cité des ducs de Savoie, a retrouvé toute sa splendeur.

Plus d’un siècle après les travaux d’embellissement et d’agrandissement qui ont donné à la cathédrale sa physionomie actuelle, réalisés à l’initiative de l’évêque Chapon entre 1898 et 1903, et célébrés par le classement au titre des monuments historiques en 1906 qui accompagne les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat1, l’édifice a fait l’objet d’une très importante campagne de restauration engagée depuis septembre 2011 sous la maîtrise d’ouvrage de la Conservation Régionale des Monuments Historiques de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Ces travaux ont permis d’identifier un décor cohérent autour des années 1900 qui privilégie, au nom de l’unité de style et de la référence à un premier état inventé au XVIIe siècle, un décor néo-baroque. Les tentatives de correction de ce décor, qu’ont révélé les découvertes faites dans les travées du chœur, démontrent qu’il s’agissait d’un parti décoratif et politique qui ne pouvait accepter d’autres références que le strict modèle du baroque niçois.

1 Plusieurs vagues de classement pour les cathédrales, surtout durant le XIXe siècle (listes de 1840, 1862 et 1875). Puis 1906, majoritairement pour les édifices de l’ancien Comté de Nice et de la Savoie rattachés et les édifices du Sud de la France (Ajaccio, Gap, Marseille, Montpellier, Montauban, Auch, etc.). DOM-TOM et exceptions plus tardives dans le XXe siècle.

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Enfin, les recherches conduites au travers du projet, ont révélé les campagnes décoratives de la deuxième moitié du XXe siècle, au travers des interventions de l’architecte en chef Jean-Claude Ivan Yarmola et des fresquistes Guy Ceppa et Robert Coppa qui montrent comment la cathédrale a pu appartenir aux grandes expérimentations conduisant à la redécouverte du décor baroque, dans une démarche de réinvention colorisée. Cette intervention, engagée pour assurer la mise en conformité et le sauvetage des décors de stucs en péril, a permis de rétablir la lisibilité des décors ainsi que des parcours liturgiques et historiques, conservant cet état 1900.

1. Retour sur l’histoire de l’édifice

La première cathédrale, placée sous le vocable de Sainte-Marie-de-l’Assomption, avait été édifiée dans la ville haute fortifiée, située sur la colline du château. Au cours du XVIe siècle, l’extension et le renforcement des fortifications de la colline du château par les ducs de Savoie isolant progressivement la cathédrale de la cité, les chanoines décident de s’installer au cœur de la ville basse, dans la chapelle de l’ancien prieuré des moines de l’abbaye de Saint-Pons qu’ils obtiennent en échange de l’église paroissiale Saint-Jacques. Cette modeste chapelle du XIe siècle placée sous le vocable de Sainte-Réparate reçoit le titre de cathédrale. Durant plus de quatre siècles, les prélats successifs et leurs architectes s’attachent à agrandir l’édifice, repoussant les limites du parcellaire d’origine au gré de l’acquisition des propriétés attenantes. Ainsi, au début du XVIIe siècle les premiers travaux de réparation et d’embellissement de l’édifice, qualifié de petit et mal orné sont entrepris sous l’épiscopat de l’évêque Martinengo. Une grande campagne de travaux de reconstruction de l’édifice engagée entre 1650 et 1685 donne à la nouvelle cathédrale une envergure digne de son statut et de la prospérité de la Savoie. Sous l’épiscopat de l’évêque Palletis, les travaux sont confiés à l’architecte niçois Jean-André Guiberto, et débutent par la construction du chœur puis de la nef jusqu’à l’effondrement de la voûte qui entraîne la mort de l’évêque en 1658. Le chœur est décoré en stuc en 1655 par le milanais Riva qui réalise aussi le décor de la chapelle du Saint-Sacrement dans le transept nord, d’après l’historien Georges Doublet2. Les travaux sont repris en 1664 après la mort de Guiberto, par son successeur Marc-Antoine Grigho, sous l’épiscopat de l’évêque Provana de Leyni, qui achève les travaux de gros œuvre et de décors. Conformément au Concile de Trente, l’église implantée dans le tissu urbain dense s’adapte à la parcelle et renonce à l’orientation canonique. Le plan en croix latine à transept peu saillant qui renvoie au modèle des églises de la Contre-Réforme est développé en prolongeant la nef, le chevet et les bras du transept s’amortissant en chapelles polygonales. Le clocher et l’ancienne entrée côté Nord sont détruits au profit d’une nouvelle façade à l’Est, dans l’axe de la nef. La cathédrale est consacrée le 30 mai 1699. Durant la guerre de Succession d’Espagne qui oppose les Français aux ducs de Savoie, la cathédrale est plusieurs fois endommagée. Il semble que les décors de l’édifice aient été achevés après cet épisode, sans doute après les travaux de réparation.

2 Georges Doublet, La cathédrale Sainte-Réparate de Nice, de ses origines à nos jours, Nice, impr. Gastaud, 1935, p. 47.

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Les sondages de polychromie réalisés lors des études menées en 20093 offrent une idée du traitement des décors intérieurs du XVIIIe siècle, caractérisés par des fonds bleus (bleu de Prusse), des ornements clairs (saumon, ocre, rose, crème, etc.) et des dorures à la feuille d’or (dorure à l’eau sur assiette rouge). Le décor se développe en frise, représentant les monogrammes et les cartouches des souverains de la Maison de Savoie alternant avec des motifs de lions rampants (lions d’Aoste de Chablais, de Chypre et d’Arménie et de Luxembourg) et de chevaux dressés (de Westphalie). Au XVIII e siècle, les travaux les plus importants consistent en la reconstruction du clocher actuel entre 1731 et 1757. Les travaux reprennent au début du XIXe siècle, sous la Restauration Sarde (1815-1860), avec la réalisation de la façade actuelle, dans le cadre de la mise en application du plan régulateur défini par le Consiglio d’Ornato. Adaptation du plan de l’architecte Guiberto, fidèle à la tradition « baroque », elle reçoit un nouvel enduit gris clair uni, dont témoignent les vues des peintres comme celle de Jacques Guiaud4. L’îlot en vis-à-vis de la façade de la cathédrale est démoli pour permettre de dégager l’édifice enserré dans le tissu urbain dense par l’aménagement de la place Rossetti. En 1855, la première chapelle du bas-côté Sud au revers de la façade reçoit un décor lié à l’installation des fonts baptismaux. Cette chapelle constitue le témoin du décor néo-classique sarde et des techniques de mise en œuvre par la réalisation d’une voûte à caissons ajourés en maçonnerie de terre cuite. Après le rattachement du Comté de Nice à la France en 1860, le service diocésain confie en 1898 à l’architecte Léon Labrouste (1846-1907), secondé par le niçois Lucien Barbet, une grande campagne de travaux qui comprend la création de chapelles latérales de part et d’autre du chœur associée à la réalisation d’un grand décor intérieur et à la mise en teinte partielle de la façade principale5. Le chœur est profondément modifié par la construction des deux chapelles latérales, ouvertes sur ce dernier par une arcade percée dans les murs latéraux. Le mobilier ancien, inadapté, est abandonné. Le maître-autel se trouve reporté au fond du chœur, entraînant le déplacement des stalles qui étaient placées au fond de l’abside. L’ensemble des boiseries du chœur qui avaient été réalisées en 1684 d’après l’inscription trouvée au revers lors du démontage, disparaît à cette époque. Des stalles sont replacées sur les côtés. A leur emplacement, un nouveau trône épiscopal prend place en bois laissé au naturel.

3 Rapport d’étude concernant la cathédrale Sainte-Réparate, par Sinopia, juin 2009. 4 Aquarelle de Jacques Guiaud, après 1871, coll. particulière. 5 Cette campagne de travaux, bien qu’évoquée dans les ouvrages postérieurs et notamment l’ouvrage de Georges Doublet publié en 1935, n’a pas fait l’objet de descriptions approfondies.

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Fig. 1

Dans la nef, les pilastres sans décor attestent de la mise en place à l’origine de tentures liturgiques attestées par les photographies anciennes (Médéric Mieusement). Les baies éclairant la coupole et les chapelles sont garnies de vitraux, usage peu familier à la tradition niçoise6. Un nouvel orgue réalisé par le facteur Florentin Martella, élève de Cavaillé-Coll établi à Nice est mis en place7, dédié au grand répertoire français.

Ce chantier de la cathédrale de Nice participe de la campagne édificatrice qui manifeste le rattachement à la France. Dernière intervention des services diocésains avant l’administration du service des monuments historiques, l’état de la cathédrale en 1903 est un rare exemple de décor diocésain 1900, dans une démarche spectaculaire de valorisation de la tradition du baroque niçois. Le décor tend vers une unité de style de l’ensemble, réinterprétant le décor réalisé sous l’épiscopat de l’évêque Provana de Leyni dans une esthétique 1900, associé à l’utilisation d’une palette et de techniques modernes (dorure à la mixtion, application de feuilles d’argent, etc.). Ainsi, les recherches et études stratigraphiques menées en 2009 ont montré que les interventions de cette époque ont été apposées soit par-dessus les décors XVIIe-XVIII e siècles conservés, soit en complément.

2. Une restauration générale

- Les restaurations du clos et couvert et les interventions d’urgence

Les travaux de restauration engagés depuis 1973 sous la maîtrise d’œuvre des architectes en chef Paul Colas puis Jean-Claude Ivan Yarmola ont porté, dans un premier temps, essentiellement sur la mise hors d’eau de l’édifice afin d’assurer le clos et couvert, préalable indispensable à la restauration des intérieurs. En 2009, deux campagnes de travaux d’urgence ont été réalisées. Ces travaux ont porté d’une part, sur la consolidation des caveaux situés sous la nef à la suite de l’effondrement localisé du sol de la cathédrale ; d’autre part, sur la restauration du clocher, construction de type ligure associant maçonnerie et chaînage métallique, dont la stabilité était compromise. La conservation du beffroi métallique ajouté en 1900, comme témoin des apports des techniques industrielles de l’époque a été privilégiée.

6 Charles Astro, Nice, Cathédrale Sainte-Réparate, in Congrès archéologique de France, Nice et les Alpes-Maritimes, 2010, p. 138. 7 Charles Astro, Nice, Cathédrale Sainte-Réparate, in Congrès archéologique de France, Nice et les Alpes-Maritimes, 2010, p. 142.

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- Une méthodologie d’intervention et la définition du parti de restauration

Afin d’assurer une restauration respectueuse de l’édifice et un parti d’intervention adapté, les études engagées au préalable depuis 2009 se sont concentrées sur la recherche, la compilation et l’analyse de la documentation archivistique existante, associée à un diagnostic exhaustif de l’édifice, intégrant les sondages de reconnaissance des décors et un constat d’état des installations techniques. Les principaux désordres identifiés dans la cathédrale Sainte-Réparate avaient pour origine la présence d’humidité liée aux anciennes infiltrations d’eau ou aux remontées capillaires provenant des caveaux, les mouvements de sol liés à l’instabilité des caveaux avant les travaux de consolidation et l’incendie de 1986 altérant une partie du bas-côté Nord.

Fig. 2

L’analyse de ces différents points a permis de mettre en place une approche précise de l’édifice, nourrie des apports historiques. Considérant la stratification historique et les principaux états historiques de référence, le projet de restauration et de mise en valeur retenu a consisté en la restauration en conservation de la cathédrale Sainte-Réparate selon l’état historique du service diocésain, 1898-1903, mis en œuvre juste avant le classement au titre des monuments historiques et justifié par les transformations irrémédiables qui ont affecté la cathédrale depuis les XVIIe et XVIIIe siècles.

Dernier état historique connu de la cathédrale hérité des campagnes de travaux conduites depuis 1860 et qui a fait l’objet de campagnes d’entretien ponctuelles au cours du XXe siècle, il correspond au décor actuellement en place dans l’ensemble de l’édifice (faux marbre ocre-jaune ou rosé sur les murs et noir sur les pilastres dans le chœur associé à la reprise des décors anciens dans la nef et les chapelles). L'analyse de la documentation historique a été poursuivie dans le cadre du chantier de restauration afin d'expliciter chacune des découvertes archéologiques.

3. La restauration de la façade principale

La campagne de travaux engagée à l’automne 2011 a porté en premier lieu sur la restauration de la façade principale de l’édifice. Celle-ci avait fait l’objet d’une restauration en 1988-1990 sous la direction de l’architecte en chef Jean-Claude Ivan Yarmola, consistant en une restauration générale des enduits après enlèvement complet des couches historiques, dans une réinterprétation de la polychromie mise en œuvre lors de la campagne de 1900.

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Fig.3 Fig. 4

Fig. 5 Fig. 6

A partir des quelques éléments de documentation des états antérieurs, le parti de restauration a privilégié la restauration de cet état historique, respectant sa polychromie dont les contrastes ont été atténués, compromis entre la colorisation introduite par Jean-Claude Ivan Yarmola et le caractère uni et clair de l’état durant la Période Sarde (1860). Cette opération a également permis d’établir une révision générale des toitures, comprenant le changement des tuiles hors d’usage et des descentes d’eaux pluviales déboitées, notamment en périphérie du dôme.

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4. La restauration des intérieurs

- Un chantier adapté pour assurer une restauration respectueuse

Fig. 7

Fig. 8 Fig. 9

Le protocole de restauration des décors des intérieurs de la cathédrale a été adapté afin de proposer une intervention respectueuse des techniques et des mises en œuvre anciennes permettant de retrouver sous les repeints du XXe siècle, le décor 1900, tout en assurant la réversibilité des interventions, conformément aux prescriptions de la Charte de Venise. Ainsi, l’ensemble des décors (peinture, dorure, stucs, marbre des balustrades et du sol, etc.) a fait l’objet d’un nettoyage léger assorti du traitement des fissures et des lacunes, de l’enlèvement des repeints disgracieux et de restauration des dorures (assiette puis dorure à la feuille). Les réintégrations ponctuelles de décors ont été réalisées par tratteggio, technique de retouche colorée conforme aux prescriptions de la Charte de Venise mise au point pour différencier le décor d’origine des reprises, notamment dans la chapelle des Quatre Martyrs.

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Lorsque les décors étaient fragilisés, ils ont été consolidés comme dans la chapelle Saint-Joseph.

Fig. 10

Fig. 11

Fig. 12

Enfin, le protocole de restauration a dû être adapté pour la chapelle Saint-Alexandre et Saint-Barthélemy située dans le bas-côté Nord, qui a fait l’objet d’une restauration sous la direction de Jean-Claude Ivan Yarmola après l’incendie de 1986, expérimentation pour cette chapelle d’une restitution de l’état du XVIIIe siècle.

- Un chantier rythmé par les découvertes archéologiques

Tout au long du chantier, des découvertes archéologiques ont été faites, enrichissant la connaissance de l’histoire de l’édifice apportée par la documentation écrite et photographique. Les mentions d’artistes ayant collaboré au chantier Sur le décor de la voûte de la nef, des graffitis ont été relevés, situés en particulier sur le grand cartouche de l’arc majeur aux armes de l’évêque Provana de Leyni, avant la croisée du transept : une inscription peinte « Samuel 1899-1900 » et une inscription gravée dans le stuc « BV 1900 ». Ces deux inscriptions participent au témoignage du grand chantier de 1900.

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La découverte de nouvelles campagnes de travaux non renseignés dans les archives écrites

Fig. 13

Dans la chapelle Saint-Joseph, située dans le bas-côté Sud, décorée de stucs dorés, datant de la première campagne de reconstruction de la cathédrale en 1652, la mention de la date « 1884 » a été retrouvée. Cette mention peut être interprétée comme une date ancienne de campagne de restauration, qui pourrait être mise en rapport avec l’inscription à la clé de voûte « décret du 8 décembre 1870, Pie IX »8, déclarant Saint-

Joseph patron de l’Eglise Universelle. Ainsi, un décor spécifique pourrait avoir été mis en place en rapport avec le décret papal. Il s’agit d’une découverte archéologique de premier ordre puisque cette campagne n’est pas documentée par les archives écrites. La date « 1883 » a également été retrouvée dans la chapelle Sainte-Réparate adjacente, datée de 1670 et décorée en trompe-l’œil. Ce rapprochement permet d’imaginer une intervention contemporaine de restauration dans ces deux chapelles. Cette même année, Médéric Mieusement réalise quelques photographies de la cathédrale, commande du service diocésain, documentant ses interventions. Pour la chapelle Sainte-Réparate, une autre mention de date a été retrouvée « 1962 », corres-

Fig. 14

pondant à l’intervention de restauration réalisée par le fresquiste Roger Coppa, transposition en trompe l’œil d’un décor de stuc, témoin contemporain d’un nouvel art du décor, réinterprétant le baroque niçois. Etape contemporaine de la redécouverte d’une pratique décorative, ce décor a été restauré ensuite par Jean-Claude Ivan Yarmola. Cette découverte a permis d’identifier une campagne de restauration récente, comblant ainsi les lacunes archivistiques.

8 Décret du 8 décembre 1870, Quemadmodum Deus. Pie IX déclare officiellement saint Joseph Patron de l'Eglise universelle. Au début de son Pontificat, le 10 décembre 1847 par le décret Inclytus Patriarcha Joseph, Pie IX établit la fête et l'office du Patronage de saint Joseph, qu'il fixe au III° dimanche après Pâques. Au cours d'une allocution en 1854, il parle de saint Joseph comme de la plus sûre espérance de l'Eglise après la Sainte Vierge. Enfin, Le 8 décembre 1870, Pie IX déclare officiellement saint Joseph Patron de l'Eglise universelle; et il élève la fête du 19 mars au rite double de première classe par un décret « Urbi et orbi ».

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La découverte de repentirs appartenant à la campagne 1900 A l’occasion du nettoyage-dépoussièrage de la voûte du chœur, la présence d’un ancien décor à motifs floraux a été révélée. Ce décor occupe deux travées du chœur, la travée droite et la travée d’abside. La travée droite est décorée d’une grande croix à double liseré bleu formant un compartiment. Au centre se trouvait un décor de soleil doré rayonnant, en feuille de cuivre, assorti de grappes de raisin garnissant les extrémités intérieures des bras de la croix. Ce décor central a été usé, gratté jusqu’à disparition du motif formant le soleil. La travée absidiale présente sur chacun de ses quartiers des décors à motifs floraux associant dans un esprit évoquant le mouvement Art Nouveau un fond de décor de palmes sur lesquels se détachent des lys de couleur blanche. Les arêtes du couvrement sont marquées d’un ensemble de ponctuations de teinte ocre alignées le long de l’arête traitée d’un filet bleu. Des ornements végétaux marquent le centre de la voûte.

Fig. 15 Fig. 16

Fig. 17 Fig. 18 Fig. 19

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Les arcs doubleaux du chœur associent une ornementation en stuc héritée du décor du XVIIe siècle, complétée d’une mise en couleur appartenant sans doute à la campagne de travaux du XIX e siècle. Cependant une frise à motifs géométriques ocre rouge et bleu outremer apparaît en limite de la travée droite du chœur. Des vestiges d’un décor de palmes à rapprocher du décor 1900 apparaissent au-dessus de cette frise. Ainsi, la frise à décors géométriques peut être interprétée comme un décor mis en œuvre durant une première campagne établie au cours du XIX e siècle, probablement durant la Restauration Sarde, recouverte lors de la campagne de 1900 par un décor végétal. Des sondages complémentaires ont été réalisés, permettant d’identifier la stratigraphie de ce décor : enduit de la voûte / badigeon général formant fond de teinte blanc cassé / badigeon coloré de teinte ivoire / décor coloré à motif végétal (décor 1900) / recouvrement général d’un badigeon de couleur grise. En revanche, ces sondages n’ont pas permis de mettre en évidence d’autres fragments de décors. Des recherches menées en archives dans les fonds diocésains par le Père Angella, administrateur de la cathédrale, ont permis de retrouver une lettre de Léon Labrouste, architecte diocésain responsable de la campagne de travaux de 1900, confirmant son refus du décor réalisé dans le chœur. Ainsi, il semblerait que l’effacement de la partie centrale du décor des deux voûtes peut être rapproché des explications fournies par cette lettre. En cohérence avec le parti d’intervention général, la conservation des vestiges de ce décor attribué à la campagne 1900 comme témoin historique a été décidée. Compte tenu du refus exprimé par l’architecte diocésain lors de la mise au point du grand décor intérieur de la cathédrale, il ne nous a pas semblé légitime de restituer la partie manquante au centre des motifs. Le dégagement a été réalisé par enlèvement des badigeons blancs superficiels et stabilisation des décors sous-jacents par simple refixage de la couche picturale. La grande lacune de la partie centrale de la croix a été mise en teinte en ocre clair identique à la voûte. Pour assurer la lisibilité de ce vestige de décor, la restauration a été complétée par la réintégration des oves marquants l’arête diagonale de la voûte en conservant une nuance suggestive. Un badigeon général d’harmonisation a été mis en œuvre, sous lequel ce décor apparaît en transparence, visible uniquement par un observateur situé à l’aplomb du chœur. La restauration des vitraux de la cathédrale et l’attribution aux ateliers renommés La restauration générale des décors intérieurs a également intégré la restauration des vitraux peints : vitraux des chapelles des bas-côtés et du transept, de la nef et du chœur, vitraux du lanterneau, verrières zénithales des chapelles latérales du chœur. Dans les bas-côtés, chaque chapelle est pourvue d’un vitrail mis en œuvre au XIXe siècle. Excepté pour les pièces dont l’altération avancée nécessitait un traitement en atelier, la restauration a été réalisée sur place. Elle a consisté en un nettoyage, assorti d’un remasticage, d’un contrôle des soudures et d’un traitement des fers. Dans la mesure du possible, une attention particulière a été portée à la conservation des mises en plomb du XIXe siècle.

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Fig. 20 Fig. 21

Les huit vitraux du lanterneau ont fait l’objet d’une restauration spécifique. Compte tenu du mode de pose des verrières, l’intervention a été décomposée en deux phases : quatre vitraux ont été déposés et restaurés en atelier, trois vitraux fixes ont été révisés sur place. Ce registre de baies figurées, de pleine couleur, appartient à deux campagnes de travaux identifiées grâce à la restauration. Trois baies ont été signées des ateliers Emmanuel Champigneulle de Bar-le-Duc et datées de 1896, cinq baies sont signées de Bertin et datées de 1902. L’intervention des grands ateliers contemporains atteste l’importance de la campagne d’agrandissement et de mise en valeur au tournant du siècle. Les vitraux ont été traités en conservation intégrant le maintien de la mise en plomb ancienne, la révision des pièces cassées par collage-doublage réversible et la consolidation des grisailles et des peintures à l'émail, technique confirmant l'appartenance de ces vitraux au grand chantier de rénovation de la cathédrale à la fin du XIXe siècle. Les menuiseries ont également fait l’objet d’une restauration, tenant compte des conditions d’accès très difficiles et de la prise au vent de tempêtes importante. Plusieurs solutions ont ainsi été étudiées pour les menuiseries. Quatre des menuiseries, composées de dormants en bois, châssis bois équipés de panneaux de vitraux, en pièces rectangulaires de verres minces, de dimension variable, montés au plomb, étaient altérées. Le verre mince présentait des pièces brisées et le jeu de plomb nécessitait un contrôle du sertissage des pièces. Les menuiseries ont été remplacées à neuf. La solution retenue porte sur la conservation des panneaux de vitraux doublés de châssis extérieurs de protection équipés de verre Stadip. Enfin, afin de ne pas altérer les vitraux anciens, le système de ventilation naturelle de l’édifice a été reporté sur les ouvrants percés dans le tambour du lanterneau sous le registre de baie qui communique avec le comble couvert de tuiles (matériaux non jointifs permettant la ventilation). Les verrières zénithales des chapelles latérales du chœur ont été restaurées. Les plaques de plexiglas anciennes à bout d’usage ont été remplacées par un nouveau dispositif de plaques de plexiglas translucides, compatible avec la conservation de l’ossature métallique 1900.

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Fig. 22 Fig. 23

- Un chantier global

Assorti d’une mise aux normes des installations techniques L’ensemble des installations électriques en place était non-conforme et difficile d’accès. Les cheminements des réseaux électriques étaient apparents, empêchant la bonne lecture des lignes architecturales et la majeure partie des luminaires et des projecteurs ne répondait plus aux besoins actuels en terme de confort visuel. Le chantier de restauration a été justifié par la nécessité d’assurer la mise aux normes des installations électriques, associée à un projet de mise en lumière adapté et à la prise en compte d’une installation de sonorisation réalisée par le diocèse. Dans ce sens et dans la mesure du possible, les réseaux électriques ont été intégrés dans les maçonneries. La mise en place d’un éclairage moderne Afin d’assurer la mise en valeur des intérieurs de la cathédrale, un programme de mise en lumière de l’édifice en adéquation avec l’architecture, les époques de constructions et la hiérarchie décorative a été développé, conçu par l’éclairagiste Fabrice Blanc dans le cadre de la mission de maîtrise d’œuvre confiée à l’architecte en chef. Plusieurs scenarii ont été présentés et le projet final a été adopté par décision collégiale. De nouveaux dispositifs d’éclairage ont été mis en œuvre, adaptés aux ambiances souhaitées en fonction des différents évènements : éclairage liturgique, éclairage scénographique et évènementiel, éclairage de mise en valeur architecturale. La teinte des appareils a été choisie pour s’adapter aux éléments de décors. Certains dispositifs anciens ont été conservés et remployés comme les anciens lustres qui appartiennent au grand programme 1900 qui ont fait l’objet d’une dépose pour leur nettoyage et d’une réélectrification. D’autres éléments ont simplement été conservés sans remise en service comme les lampes du sanctuaire. Révision de l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite Enfin, dans le cadre de cette campagne de restauration générale, la mise aux normes de l’accessibilité de la cathédrale aux personnes à mobilité réduite a fait l’objet d’une étude. Cette

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étude a montré que la majorité des espaces rendus accessibles au public étaient de plain-pied. Une campagne limitée d’intervention a donc été réalisée, axée principalement sur la reprise de la planimétrie du dallage du sol en marbre. Pierre-Antoine Gatier, Architecte en chef des Monuments Historiques, maître d’œuvre de la restauration de la cathédrale Sainte-Réparate, remercie l’ensemble des bureaux d’études et des entreprises qui ont contribué à cette restauration exceptionnelle. Pour les études : SINOPIA restaurateur de peintures murales / Fabrice BLANC éclairagiste / CINFORA Bet fluides / ASSELIN économistes. Pour le chantier : SMBR pour la restauration des maçonneries et décors peints (Bruno Gherbi en charge de la restauration des décors)/ Atelier IMBERT pour la restauration des vitraux / INEO pour l’électricité / TRANSPALUX pour l’éclairage. Légendes des illustrations Fig. 1 Vue intérieure de la nef, vers le chœur. Photographie de Médéric Mieusement, 1883, prise lors de la campagne de photographie des cathédrales réalisée à partir de 1881 pour le service diocésain. Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine Fig. 2 Vue de la nef en direction du chœur. Photographie de Jean Gilletta, début du XXe siècle, après la campagne de travaux de 1898-1903. Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine Fig. 3 La façade principale avant restauration. Photographie agence P.-A. Gatier, juillet 2009 Fig. 4 Détail de la façade principale en cours de restauration. Photographie agence P.-A. Gatier, juin 2012 Fig. 5 Restauration de la façade principale, échantillon de la première couche de badigeon sur la modénature du fronton. Photographie SMBR, mars 2012 Fig. 6 La façade principale après restauration. Photographie agence P.-A. Gatier, octobre 2013 Fig. 7 Détail d’une travée de la voûte de la nef après restauration. Photographie SMBR, 2014 Fig. 8 Vue de l’intérieur de la cathédrale avant restauration. Photographie agence P.-A. Gatier, juillet 2009 Fig. 9 Détail du décor de la chapelle du confessionnal après restauration. Photographie SMBR, 2014 Fig. 10 à 12 Différentes étapes de la restauration du décor de la chapelle Saint-Joseph. Photographie SMBR, 2014 Fig. 13 Mention de la restauration en 1883 sur le décor de la chapelle Sainte-Réparate. Photographie SMBR, 2014 Fig. 14 Mention de la restauration de Roger Coppa en 1962 sur le décor de la chapelle Sainte-Réparate. Photographie SMBR, 2014 Fig. 15 La voûte du chœur avant restauration. Photographie agence P.-A. Gatier, juin 2010 Fig. 16 La voûte du chœur après restauration. Photographie agence P.-A. Gatier, octobre 2013 Fig. 17 à 19 Dégagement du décor ‘Art Nouveau’ 1900 de la voûte du chœur. Photographie SMBR, 2013 Fig. 20 Restauration d’un vitrail de l’abside en atelier après dépose. Photographie agence P.-A. Gatier, 2013 Fig. 21 Restauration in situ du vitrail Saint-Antoine dans le chœur. Photographie agence P.-A. Gatier, 2013 Fig. 22 Vitrail de l’abside avant restauration. Photographie agence P.-A. Gatier, 2013 Fig. 23 Vitrail de Saint-Antoine dans le chœur après restauration. Photographie agence P.-A. Gatier, 2013

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La cathédrale Sainte Réparate de Nice et ses tableaux Charles Astro, conservateur des antiquités et objets d’art Yves Cranga, conservateur des monuments historiques La cathédrale de Nice possède un important ensemble de tableaux peints à l’époque de sa reconstruction et de son aménagement intérieur, entre 1650 et 1699, année de sa consécration. Ils sont enchâssés dans les encadrements de style baroque de stucs ou gypseries à rehauts dorés qui ornent le chœur, le transept, les retables d’autels et les murs des huit chapelles latérales. Entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle, d’autres tableaux s’y sont ajoutés afin de répondre à l’exercice de cultes nouveaux ou bien l’accueil de confréries. Celle de Saint Eloi par exemple acheta en 1786 la chapelle des barons de Bellet et y installa son tableau votif. Les modifications de la chapelle de la Vierge puis le réaménagement du chœur terminé en 1901 ont causé le retrait de trois grands tableaux hébergés dans la cathédrale. L’ensemble des tableaux a été recensé en 1973, tous étant classés ou inscrits au titre des monuments historiques entre 1976 et 1984. Ces tableaux sont les œuvres de modestes peintres régionaux ou anonymes qui ont également travaillé pour les églises des hautes vallées niçoises. Jean-Gaspard Baudoin ou Baldoino (+ 1669), son fils Bernardin (+1711) et Jean-Baptiste Passadesco (1647-ca.1720) sont les plus connus, mais leurs œuvres sont peu documentées. La peinture religieuse niçoise du XVIIe siècle s’est honorablement illustrée à la cathédrale de Nice dans l’ambiance de la Contre-Réforme catholique, sous le pouvoir des ducs de Savoie et l’influence artistique italienne qui resta importante jusque sous la Restauration sarde autour du peintre niçois Hercule Trachel (1820-1872). Celui-ci y peignit deux toiles vers 1840. Nous savons peu de choses sur les restaurations des peintures de la cathédrale avant les années 90, époque d’interventions conduites par la Conservation régionale des monuments historiques (CRMH) sur les médaillons peints de la sacristie et sur les tableaux les plus dégradés de la chapelle de la Vierge. Enfin, dans le contexte de la première grande restauration d’ensemble de la cathédrale depuis 1900, la CRMH, en collaboration avec le Centre interrégional de conservation et restauration du patrimoine (CICRP) à Marseille, a entrepris en 2013 et 2014, une opération plus étendue sur treize des peintures sur toile de la cathédrale, dont les grands tableaux du chœur et du transept et 8 tableaux des chapelles latérales, dont l’intérêt historique local a été souligné. Les tableaux du chœur : les « fondateurs » de l’Eglise de Nice La reconstruction de la cathédrale a débuté en janvier 1650 par le chœur, dont le décor et le programme iconographique furent achevés en 1655. Ce dernier se compose de 5 tableaux :

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«La gloire de Sainte Réparate, martyre » destiné au mur du chevet et entouré sur les murs latéraux du chœur par les quatre « fondateurs » (en partie légendaires) de l’église de Nice : « Saint Bassus, 1er évêque de Nice et martyr », « Saint Syagre, évêque de Nice et Abbé de Saint Pons », « Saint Pons de Cimiez, martyr » « Saint Valérien, évêque de Cimiez » que Georges Doublet (La Cathédrale Sainte Réparate de Nice, de ses origines à nos jours, Nice, imprimerie Gastaud, 1935, 175 p.) attribuait au peintre Jean-Gaspard Baudoin ou Baldoino. La composition de l’ensemble est homogène : Sainte Réparate à genoux et les quatre saints évêques ou abbés mitrés représentés en pied, sont figurés dans le cadre architectural d’une galerie ouverte sur un paysage inspiré par Nice, dont une vue cavalière est peinte derrière la sainte ; des anges portant les attributs du martyre apparaissent dans les nuées. Les cinq figures sont empreintes de majesté et de dévotion et leurs atours (crosses pastorales, étoffes et orfrois) apportent une note décorative. L’influence des courants maniéristes italiens se conjugue avec quelques archaïsmes hérités de la peinture régionale du XVIe siècle. Les figures des Saints Evêques et de Sainte Réparate présentent des analogies avec celles du tableau votif de la confrérie de Saint Eloi, peint en 1661et signé de Baldoinus (Jean-Gaspard Baudoin). En 1900, deux des tableaux de la série (Saint Valérien et Saint Syagre) ont été déposés lors des travaux d’agrandissement de la cathédrale ; ce qui a causé la disparition de leurs encadrements et leur isolement. Après leur restauration, ils ont rejoint les abords du chœur, dans le voisinage de leurs emplacements d’origine et des trois autres tableaux de la série restés en place. Les tableaux des chapelles du transept Les croisillons du transept de la cathédrale étaient occupés à l’origine par les deux chapelles du Saint Sacrement (côté sud) et de la Vierge (côté nord). Après un échange en 1699 avec la municipalité niçoise, les deux chapelles ont permuté leur emplacement.

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La chapelle de la Vierge (côté sud) resta en l’état mais J.B Passadesco peignit deux tableaux pour les murs latéraux (1698) : « le Mariage de la Vierge » et « La Présentation de la Vierge au Temple», d’après Romanelli. Les armoiries de la famille Peyre sont figurées sur le premier. Les deux tableaux déposés au XIXe siècle pour créer deux tribunes dans la chapelle ont été restaurés en 1999 et remis à leur emplacement d’origine.

La chapelle du Saint Sacrement (côté nord) a été réaménagée entre 1699 et 1707 par la confrérie homonyme qui a transféré ses trois tableaux : « La dispute du Saint Sacrement », peinte sur bois au centre du somptueux retable d’autel en marbres au style baroque triomphant et sur les murs latéraux, les deux tableaux qui figurent «Moïse et la cueillette de la manne tombant du ciel », « Aaron et l’Arche d’Alliance contenant les pains de proposition », épisodes bibliques choisis en référence à l’Eucharistie contenue dans l’Ancien Testament. La figure de Moïse, animée d’un mouvement emphatique et celle majestueuse et plus recueillie d’Aaron avec sa riche tunique, sont assez proches des tableaux du chœur, attribués à Jean-Gaspard Baudoin ou Baldoino dont ils paraissent contemporains. La restauration de ces deux tableaux a permis de mieux apprécier leur grande qualité d’exécution

Les tableaux des autres chapelles

Les tableaux des chapelles des bas-côtés, édifiées entre 1673 et 1699 ont été peints plus tardivement par une nouvelle génération de peintres niçois comme Bernardin Baudoin ou Baldoino fils et surtout Jean-Baptiste Passadesco dont les peintures sont inspirées de modèles italiens, parmi lesquels Guido Reni, Pierre de Cortone et Gio. Francesco Romanelli Jean-Baptiste Passadesco, dont les anges et personnages possèdent une grâce corrègienne, a peint pour la chapelle du Crucifix (famille Masin) « l’Apparition de la Vierge à l’enfant à saint Antoine de Padoue », daté de 1682, d’après Pierre de Cortone et son pendant « Saint Jacques le Majeur et saint Dominique » dont la récente restauration a permis l’identification de la figure de saint Jacques au détriment de celle de saint Jérôme. Les chapelles de Sainte Réparate et des Quatre Saints Couronnés possèdent les tableaux parmi les plus récents réalisés vers 1840 par Hercule Trachel.

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Légendes 1- Jean-Gaspard Baldoïno (attr.) - Sainte Réparate en gloire en vue de Nice, milieu XVIIe (dossier 12082AI), cl. 6047NG © CICRP, phot. : Emilie Hubert 2- Anonyme - Moïse et la cueillette de la manne tombée du ciel, début XVIIIe (dossier 12084AI), cliché 6049NG © CICRP, phot. : Emilie Hubert 3- Jean-Gaspard Baldoïno (attr.) - Saint Bassus, premier évêque de Nice, milieu XVIIe (dossier 12081AI), cl. 6079NG © CICRP, phot. : Emilie Hubert 4- Jean-Baptiste Passadesco - Apparition de la Vierge à saint Antoine de Padoue, 1682 (dossier 12086AI), cl. 6101NG © CICRP, phot. : Odile Guillon Toute reproduction devra faire l’objet d’une demande auprès de la direction du CICRP et éventuellement du propriétaire des œuvres.