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La Chine est-elle toujours le royaume de la contrefaçon ? De Lucia Fesselet-Comina, février 2011 En septembre 2006, sur le site « Liberation.fr », le journaliste Philippe Grangereau titrait son article « La Chine, royaume de la contrefaçon »*. Un paragraphe a retenu toute mon attention : « En avril, des entreprises du luxe (Gucci, Burberry, etc.) ont gagné pour la première fois un procès visant un immeuble commercial de Pékin, « Silk Road », connu pour vendre des copies de sacs et vêtements de marque. Les maigres dédommagements obtenus (10'000 Euros) ne sont guère encourageants, d’autant qu’il revient à ces marques d’assigner en justice, un à un, chacun des commerces vendant des produits piratés. A l’échelle chinoise, la tâche est impossible. » La Chine a souvent été citée comme la première source et le plus grand fabriquant de ce marché du faux. Beaucoup de lois et de mesures ont été prises soit par les Etats (en particuliers les Services douaniers) ou par des entreprises privées (comme la Fédération de l’Industrie Horlogère Suisse). Il semblerait, dès lors, que la situation aurait du nettement s’améliorer. Cependant, lors d’un séjour à Pékin, en octobre 2010, je me suis rendue dans ce « grand centre commercial » que l’on appelle aussi souvent « Silk Street ou Silk Market » (le marché de la soie, car il y a quelques années c’était un marché à ciel ouvert) et, à ma grande stupéfaction, j’y ai découvert des centaines ou plutôt des milliers d’articles de contrefaçon de grandes marques de luxe. Ces articles sont proposés à la vente tout à fait librement et de façon anodine, comme s’il s’agissait d’articles tout à fait normaux. La Chine est-elle le principal pays d’origine des contrefaçons ? Dans un récent rapport** daté d’avril 2010, on nous décrit la situation de la manière suivante : « Selon les douanes américaines, la part des contrefaçons d’origine chinoise saisies à leurs frontières en 2009 représente 81% en valeur de la totalité des marchandises interceptées. Les douanes européennes, de leur coté, confirment que la Chine demeure la première source du faux, 54% des quantités totales de copies saisies en 2008 provenant de ce pays. Pour de nombreux observateurs, 90% des contrefaçons consommées dans le monde proviendrait d’Asie. Sue ces 90%, 90% proviendrait de Chine dont les 90% seraient fabriquées dans le quadrilatère Hong-Kong, Shenzhen, Shanghai, Canton. ».

La Chine et la contrefaçon

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Page 1: La Chine et la contrefaçon

La Chine est-elle toujours le royaume de la contrefaçon ?

De Lucia Fesselet-Comina, février 2011

En septembre 2006, sur le site « Liberation.fr », le journaliste Philippe Grangereau titrait son

article « La Chine, royaume de la contrefaçon »*. Un paragraphe a retenu toute mon

attention : « En avril, des entreprises du luxe (Gucci, Burberry, etc.) ont gagné pour la

première fois un procès visant un immeuble commercial de Pékin, « Silk Road », connu pour

vendre des copies de sacs et vêtements de marque. Les maigres dédommagements obtenus

(10'000 Euros) ne sont guère encourageants, d’autant qu’il revient à ces marques d’assigner

en justice, un à un, chacun des commerces vendant des produits piratés. A l’échelle chinoise,

la tâche est impossible. »

La Chine a souvent été citée comme la première source et le plus grand fabriquant de ce

marché du faux. Beaucoup de lois et de mesures ont été prises soit par les Etats (en

particuliers les Services douaniers) ou par des entreprises privées (comme la Fédération de

l’Industrie Horlogère Suisse). Il semblerait, dès lors, que la situation aurait du nettement

s’améliorer. Cependant, lors d’un séjour à Pékin, en octobre 2010, je me suis rendue dans ce

« grand centre commercial » que l’on appelle aussi souvent « Silk Street ou Silk Market » (le

marché de la soie, car il y a quelques années c’était un marché à ciel ouvert) et, à ma grande

stupéfaction, j’y ai découvert des centaines ou plutôt des milliers d’articles de contrefaçon de

grandes marques de luxe. Ces articles sont proposés à la vente tout à fait librement et de façon

anodine, comme s’il s’agissait d’articles tout à fait normaux.

La Chine est-elle le principal pays d’origine des contrefaçons ?

Dans un récent rapport** daté d’avril 2010, on nous décrit la situation de la manière suivante :

« Selon les douanes américaines, la part des contrefaçons d’origine chinoise saisies à leurs

frontières en 2009 représente 81% en valeur de la totalité des marchandises interceptées. Les

douanes européennes, de leur coté, confirment que la Chine demeure la première source du

faux, 54% des quantités totales de copies saisies en 2008 provenant de ce pays. Pour de

nombreux observateurs, 90% des contrefaçons consommées dans le monde proviendrait

d’Asie. Sue ces 90%, 90% proviendrait de Chine dont les 90% seraient fabriquées dans

le quadrilatère Hong-Kong, Shenzhen, Shanghai, Canton. ».

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Pays d’origine des biens contrefaits saisis aux frontières de l’Union européennes en 2008** :

Il semblerait vraiment que la Chine soit incontournable par rapport à cet énorme problème

auquel les entreprises et les marques, en particuliers, sont confrontées.

Quel est le poids économique du « fléau mondial » de la contrefaçon ?

Il n’y a pas que les produits de luxe qui sont touchés par le phénomène de la contrefaçon, en

fait ils représentent en quantité du moins, un pourcentage tout à fait minime du total des

produits saisis par les douanes communautaires en 2008, que l’on peut voir sur le graphique**

ci-dessous :

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On peut vraiment parlé de fléau mondial qui touche pratiquement toutes les économies, et qui

est en constante augmentation. Dans son article*** « La contrefaçon, un fléau mondial »,

Christophe Roulet nous explique que « En 2006, tous les recors ont été pulvérisés avec

plus de 250 millions d’articles contrefaits interceptés aux frontières européennes, contre 75

millions l’année précédente. Le nombre de saisies a également explosé passant de 26'000 à

37'000 d’un exercice à l’autre…Comme le relève également le rapport de l’OCDE, la Chine

demeure de loin le principal pays producteur de produits contrefaits, soit 86% des saisies

réalisées par les douanes européennes sont en provenance du Céleste empire. »

Dans un rapport de la Fédération de l’industrie horlogère suisse, en 2007, intitulé « impact

économique de la contrefaçon et du piratage », on nous explique que « l’OCDE a tenté de

chiffrer la valeur du trafic mondial de la contrefaçon…Au niveau mondial, selon les différents

calculs basés sur les saisies douanières, ce marché de la piraterie et de la contrefaçon

représente des montants annuels compris entre USD 200 et 360 milliards, soit entre 5% et

7% du commerce internationale.»

Si on ajoute la contrefaçon liée à la cybercriminalité sur Internet, les chiffres augmentent

encore. Dans un rapport publié début février 2011 par la Chambre de commerce internationale

(CCI), basée à Paris, et cité dans le Temps**** »les dommages liés à la contrefaçon et à la

piraterie sont estimés à 775 milliards de dollars par années. En 2015, ce montant grimpera

à 1'700 milliards. La cybercriminalité, en hausse de 6,5 à 12% par année, y comptera pour 210

milliards. » Ces chiffres sont impressionnants et ce marché de la contrefaçon étant

majoritairement d’origine chinoise, c’est donc la Chine qui est la première à en profiter.

Quel est le vrai visage de la contrefaçon ?

Dans le rapport** « L’impact de la contrefaçon vu par les entreprise en France » d’avril 2010,

on parle également d’une explosion du phénomène et une analyse de ce fléau, de son origine

et de sa diversité met en évidence ses répercutions catastrophique sur l’économie mondiale et

la société. Pour ces experts, la contrefaçon est « une source facile pour blanchir de l’argent et,

souvent, financer des réseaux criminels organisés en parallèle, parfois à but terroriste. Elle

est un proche parent du trafic de drogue et de la prostitution. Elle partage avec eux

l’exploitation de personnes vulnérables, enfants, clandestins, personnes vivant dans la

misère.»

Dans ce même rapport, il y a tout un chapitre sur les liens fréquents entre le trafic de la

contrefaçon et celui du blanchiment d’argent ou d’autres trafics illégaux, comme la drogues et

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les armes. En Italie, il semblerait que 70% de la contrefaçon seraient aux mains du crime

organisé. « …que la contrefaçon entière est aux mains des organisations criminelles, Camorra,

Dranghetta, ou mafias alliées aux triades chinoises qui contrôlent des quartiers entiers des

métropoles transalpines. » Et c’est peut-être la diversification des produits, comme nous le

voyons sur le graphique ci-dessus qui a facilité le développement de ces réseaux criminels,

avec en particulier l’essor de la cybercriminalité.

La Chine est-elle l’atelier mondial du faux ?

Ainsi, depuis une dizaine d’années, la contrefaçon a pris en Chine une dimension nouvelle.

Cette évolution se caractérise à la fois par l’augmentation des quantités produites, par

l’amélioration de la « qualité » et par l’industrialisation de la production organisées par des

réseaux, le plus souvent mafieux.

« Le phénomène, par son ampleur, n’a pas d’équivalent dans le monde. La Chine, devenue la

« manufacture du faux », est aujourd’hui le premier acteur mondial de la contrefaçon. 30% de

son commerce intérieur est infesté par celle-ci, ce qui procure des profits massifs à court

terme aux réseaux de contrefacteurs qui exportent. En 2004, la contrefaçon représentait déjà

8% du produit intérieur brut du pays. » **

Un exemple : Le « Silk Market » de Pékin, un temple du royaume chinois de la

contrefaçon

http://www.silkstreet.cc/upload/080506/0805061050578940.jpg

Lors de mon séjour à Pékin, je me suis rendue dans ce « grand centre commercial » que l’on

appelle le « Silk Market ». Il a été inauguré, en mars 2005, en remplacement d’un marché à

ciel ouvert qui lui a donné ce nom, le marché de la soie. Il s’étend sur 5 étages et sur 28’000

m2 et abrite 1'500 stands et se trouve à proximité du centre ville et de la Cité Interdite, sur une

des grandes artères principales de cette mégapole (http://www.silkstreet.cc/templet).

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Dans le rapport** , déjà cité ci-dessus, cet endroit est décrit comme : « Une illustration

emblématique de cette « domination » chinoise (du marché de la contrefaçon) est le « Marché

de la Soie », très chic supermarché du faux, où le chaland est accueilli par de charmantes

hôtesses en uniformes, des musiciens, des panneaux dénonçant la contrefaçon, établi à

quelques centaines de mètres de la Cité Interdite sur un terrain de la municipalité. Ce centre

commercial aurait quadruplé ses ventes durant les Jeux olympiques, entre le 1er et le 24 août

2008, brassant quelques 400 millions de yuan (près de 40 millions d’Euros)…. Dans toute la

capitale chinoise, on voit fleurir sur ce modèle, des malls de faux, spécialisés par produit ou

par clientèle (locale, russe, moyen-orientale). Les copies, à peine cachées, sont sous le

comptoir, derrière le comptoir ou un rideau, à l’étage. On vous présente le catalogue au bout

de quelques minutes. »

Lors de ma visite, en octobre 2010, c’est avec une grande stupéfaction que j’y ai découvert

plus de vêtements, sacs, chaussures, lunettes, montres de grandes marques européennes de

luxe contrefaites (Chanel, Louis Vuitton, Lacoste, Rolex, Gucci, Barberrys, Dior, Prada,

Guess, Dolce&Gabbana, Max Mara, Nike, Levis, etc…) que je n’en avais jamais vues

auparavant. Il y avait là non des centaines, mais des milliers d’articles de contrefaçon, en

vente tout à fait libre, je n’ai même pas remarqué des panneaux pour donner l’illusion d’un

semblant d’avertissement aux consommateurs. En ressortant du Silk Market, je me suis

rendue compte de l’ampleur du phénomène de la contrefaçon en Chine et j’ai décidé d’écrire

un article sur ce sujet.

Quelle est la position du gouvernement chinois ?

Il semble qu’il y ait deux sons de cloches au niveau du gouvernement chinois, ceux qui ont

une volonté de coopérer et ceux qui minimisent le problème.

Certains responsables chinois persistent à nier l’importance du phénomène. Dans le rapport

français** on cite, comme exemple, une déclaration d’un porte-parole du ministère des affaires

étrangères chinois, en 2007, qui semble assez édifiante « Certains prétendent que 80% des

produits de contrefaçon et de mauvaise qualité signalés dans l’UE viennent de Chine….Cette

allégation ne correspond pas à la réalité…Ceux qui ont avancé ce chiffre sont tenus de le

prouver…. »

Dans ce même rapport on souligne également que des efforts ont étés fait et qu’en 2005, 80%

des saisies opérées provenait de Chine, mais qu’en 2008 ce chiffre est descendu à 60%. Et

que, par exemple, « Il faut saluer la signature, le 30 janvier 2009, d’un plan d’action entre

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douanes européennes et douanes chinoises sur la protection des droits de propriété

intellectuelle et, le 9 juillet 2009 à Pékin, d’un accord France-Chine…..C’est la première fois

que la Chine accepte de s’engager dans une telle démarche bilatérale. »

Par ailleurs, il ressort de ces articles, que la Chine est « elle-même » la première victime de

produits contrefaits. Et là on pense surtout à d’autres produits contrefaits que les produits de

luxe, comme le faux lait maternel en poudre, l’alcool frelaté ou des médicaments contrefaits

qui mettent en danger la santé et même la vie des consommateurs.

En Conclusion

Malgré les énormes efforts fournis pour les douanes, les actions menées par les entreprises

elles-mêmes, les accords signés avec la Chine notamment en 2009, mon impression sur place,

à Pékin, a été que rien ne se faisait et que le problème devenait même banalisé.

Il ressort de mes recherches qu’en effet la Chine a toujours la première place dans le marché

de la contrefaçon et qu’il n’y a pas de réelle volonté politique pour mettre en place les

mesures nécessaires pour lutter contre ce phénomène.

Dans l’article**** du Temps du 17 février 2011, le journaliste parle d’une « proposition faite

par Frederick Mostert, spécialiste renommé et principal conseiller juridique du groupe de luxe

suisse Richemont, de combler le vide (juridique) avec un nouvel instrument international

négocié sous l’égide de l’OMPI (Organisation mondiale pour la protection de la propriété

intellectuelle) ». Le fléau ayant pris une telle ampleur, entre autre avec l’augmentation prévue

de la cybercriminalité de 6,5 à 12% par année ; c’est, peut-être, par le biais de la lutte contre

la cybercriminalité commerciale, ou il y a actuellement un grand vide juridique, que seront

mis en place des solutions : des systèmes de surveillance, des conventions, des règlements

internationaux, etc…pour lutter contre le phénomène mondial de la contrefaçon.

Références et sites consultés

* GRANGEREAU P., « La Chine, royaume de la contrefaçon » in Libération.fr, 4 septembre 2006

** http://www.unifab.com/downloads/RAPPORTUNIFABavril2010.pdf

*** http://journal.hautehorlogerie.org/fr/echos/sur-le-front-de-la-contrefacon/la-contrefacon-un-fleau-mondial-454/ consulté

le 18 février 2011

**** ETWAREEA Ram, « La traque pour bannir la contrefaçon et la piraterie sur Internet s’organise », dans le journal Le Temps, 17 février 2011, p. 15

http://www.fabricegueroux.com http://www.iccwbo.org http://journal.hautehorlogerie.org http://www.silkstreet.cc/ http://www.unifab.com