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René Van Compernolle La clause territoriale du traité de 306/5 conclu entre Agathokles de Syracuse et Carthage In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 32 fasc. 2-3, 1954. pp. 395-421. Citer ce document / Cite this document : Van Compernolle René. La clause territoriale du traité de 306/5 conclu entre Agathokles de Syracuse et Carthage. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 32 fasc. 2-3, 1954. pp. 395-421. doi : 10.3406/rbph.1954.1903 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1954_num_32_2_1903

La clause territoriale du traité de 306/5 conclu entre Agathokles de Syracuse et Carthage

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René Van Compernolle

La clause territoriale du traité de 306/5 conclu entre Agathoklesde Syracuse et CarthageIn: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 32 fasc. 2-3, 1954. pp. 395-421.

Citer ce document / Cite this document :

Van Compernolle René. La clause territoriale du traité de 306/5 conclu entre Agathokles de Syracuse et Carthage. In: Revuebelge de philologie et d'histoire. Tome 32 fasc. 2-3, 1954. pp. 395-421.

doi : 10.3406/rbph.1954.1903

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1954_num_32_2_1903

LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5

CONCLU ENTRE

AGATHOKLES DE SYRACUSE ET CARTHAGE

Le traité de 306/5 conclu entre Agathokles et Carthage, est un événement suffisamment marquant dans l'histoire du monde grec d'occident pour qu'il en soit fait mention, fût-ce même en quelques lignes, dans les grandes synthèses. Toutefois, si nous consultons celles-ci, nous constatons aussitôt que les historiens modernes ne semblent nullement d'accord sur le contenu de la clause territoriale du traité, ou plus exactement sur la situation territoriale résultant de l'application de cette clause. Cette première impression devient une certitude dès qu'on interroge les histoires spécialisées ou les travaux particuliers. On peut répartir les opinions émises en trois groupes distincts :

1°) Pour Holm (1874) (*), Cary (1928) (2) et Bengtson (1950) (3), le traité de 306/5 fixait le fleuve Halykos comme frontière orientale de la province carthaginoise en Sicile.

(1) Ad. Holm, Geschichte Siciliens im Alterthum, vol. II, Leipzig, 1874, p. 529 (Die K. « erhielten ihr früheres Gebiet in Sicilien — westlich von Halykos — zurück ») et p. 479 (Dans Diodore, XX, 79, il faut comprendre t dass die alte Haly- kosgränze wiederherrstellt wird »).

(2) M. Cary, dans S. Α. Cook, F. Ε. Adcock et M. P. Charlesworth, The Cambridge Ancient History, VII, The Hellenistic Monarchies and the Rise of Rome, Cambridge, 1928, p. 630 ( « In 306 B. C. the Carthaginians tamely agreed to a peace in which they bound themselves to stay behind their old frontier line in Sicily, the river Halycus, and to pay a small indemnity in corn and money »).

(3) H. Bengtson, Griechische Geschichte, Munich, 1950, p. 369 ( « Im Frieden von 306 ν. Chr. wurde wiederum der Halykosfluss als Grenze des karthagischen und syrakusanischen Sizilien bestimmt »).

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2°) Pour Freeman (1894) Q) et Gsell (1920) (2), au contraire, Hera- kleia Minôa et son territoire, situés à l'est de l'embouchure de l'Haly- kos, auraient fait partie de l'épicratie carthaginoise telle que celle-ci était délimitée par le traité.

3°) D'autres historiens, enfin, considèrent que la paix rétablissait le statu quo. Parmi ces historiens, citons Brunet de Presle (1845) (3), Niese (1894) (4), De Sanctis (1895) (5), Beloch (1925) (6), Pais (1925) (7),

(1) E. A. Freeman, The History of Sicily from the earliest times to the death of Agathokles, v. IV, Oxford, 1894, p. 465 (« He [= Agathokles] agreed to acknowledge the right of Carthage to all the Sicilian cities that she had ever held. He did not except his own Therma for which he was so earnestly pleading with Deinokrates. Herakleia too was most likely in the same hands »)·

(2) St. Gsell, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, t. III, Paris, 1920, p. 62. ( « II [= Agathokles] conclut alors la paix avec les Carthaginois (306/5 av. J. C), désireux, après une lutte si longue, de recouvrer sans combat les villes qu'il leur avait enlevées dans leur province sicilienne ». Note 4 : « Parmi ces villes, on connaît Thermai, Héracléa, Sélinonte, Ségeste »).

(3) "W. Brunet de Presle, Recherches sur les établissements des Grecs en Sicile, jusqu'à la réduction de l'île en province romaine, Paris, 1845, p. 327 ( « En même temps, il [= Agathokles] conclut la paix avec les Carthaginois, à la condition de leur céder toutes les villes qu'ils possédaient précédemment en Sicile, en échange desquelles il reçut d'eux un subside de trois cents, ou, selon Timée, de cent cinquante talents, et de deux cent mille médimnes de blé »).

(4) Niese, dans P. W., JR. E., I, 1894, c. 754 ( s. u. Agathokles, n° 15, ce. 748- 757) ( « er [= Agathokles] hatte ihnen einen grossen Teil ihrer früheren Besitzungen auf Sicilien entrissen; gegen eine Geldsumme (300 oder 150 Talente?) und eine Getreidelieferung gab er ihnen diese zurück und erhielt den Frieden »).

(5) G. De Sanctis, Agatocle, dans Rivista di Filologia e d'Istruzione classiga, XXIII, 1895, pp. 289-331 (p. 320 : « ... riacquistare, come di fatto accadde, senza colpo ferire tutte le piazze da essi prima possedute nella loro provincia siciliana Cosî fu conclusa la pace tra il tiranno e i Cartaginesi. Egli restituiva quel ehe pos- sedeva della lora antica provincia e riceveva in cambio come contribuzione di guerra 150 talenti euboici e 200 mila medimni di frumento »). A noter que De Sanctis considère que la paix de 314/3 renouvelle la paix de Timoléon de 339/8, ce qui est sans doute exact en ce qui concerne l'hégémonie de Syracuse sur la Sicile orientale, mais ce qui ne l'est pas en ce qui concerne les limites territoriales de l'épicratie carthaginoise (p. 302).

(6) K. J. Beloch, Griechische Geschichte, 2e éd., IV, 1, Berlin-Leipzig, 1925, p. 200 (« die Karthager erhielten ihre sicilische Provinz zurück und zahlten als Entschädigung 150 Talente neben einer Lieferung von 200.000 Medimnen Getreide (306 v. Chr.) »).

(7) Ett. Pais, Storia dell' Italia antica, vol. II, Rome, 1925, p. 286: («Agatocle

(3) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 397

Roussel (1928 et 1938) (*), Wickert (1932) (2), Libertini (1933) (3), Berve (1953) (*), etc.

L'énoncé des dates auxquelles ont été publiés les ouvrages cités nous apprend qu'il ne s'agit nullement d'opinions divergentes émises successivement par les historiens, mais bien d'opinions contemporaines qui sont chronologiquement parallèles.

La connaissance exacte des effets produits par l'application de la clause territoriale du traité de 306/5 prend une importance toute particulière lorsqu'on étudie l'histoire d'Herakleia Minôa. En effet, cette ville est située à l'embouchure même de l'Halykos, mais sur la rive orientale de ce dernier. Si l'Halykos marque la frontière orientale de Y επικράτεια carthaginoise en Sicile, Herakleia Minôa et son territoire ne font donc pas partie de la province carthaginoise.

riconosceva i confini dell' antica signoria punica, ed in compenso i Cartaginesi gli sborsavano forti somme di denaro, oltre duecentomila medimni di frumento (306 a. G .) »)·

(1) P. Roussel, La Grèce et l'Orient des guerres médiques à la conquête romaine, Paris, 1928 (dans Halphen-Sagnac, Peuples et Civilisations, t. II), p. 410 («Quoi qu'il en soit, le traité conclu rétablit le statu quo, et les Carthaginois payèrent une indemnité de 150 talents et cent mille hectolitres de blé (306)») ; G. Glotz, P. Roussel et R. Cohen, Histoire grecque, t. IV, 1, Paris, 1938 (dans G. Glotz et R. Cohen, Histoire générale, 2e partie), p. 393 [P. Roussel] ( « La province carthaginoise de Sicile fut rétablie dans ses anciennes limites »).

(2) Wickert, dans P. W., R. E., IVa, 1932 (s. u. Syrakusai, ce. 1478-1547), c. 1522 ( « Da Agathokles eine Einigung mit seinen innerpolitischen Gegnern nicht zu erzielen vermochte, schloss er mit Karthago einen Frieden (306/5), der deshalb verhältnismässig günstig ausfiel, weil Agathokles sich seit 307 durch siegreiche Kämpfe in den Resitz des grosseren Teiles der Sizilischen Provinz Karthagos gesetzt hatte, den er den Karthagern jetzt gegen eine Entschädigung wieder überliess, wodurch der status quo wiederhergestellt wurde »).

(3) G. Libertini et G. Paladino, Storia della Sicilia dai tempi più antichi ai nostri giorni, Catane, 1933, p. 241 ( « ... Cartagine... accettô la pace pagando 150 talenti e 200 mila medimni di cereali, ma riottenendo le città ehe aveva perdute in Sicilia (306) »).

(4) H. RERVE,Di'e Herrschaft des Agathokles, dans Sitzungsberichte der Rayeri- schen Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse, Jahrg. 1952, H. 5, Munich, 1953, pp. 59-60 («...schloss dieser [= Agathokles] mit den Puniern Frieden. Die einst karthagischen Städte gab er zurück, erhielt aber seiner seits eine grosse Geldsumme und 200.000 Medimnen Getreide »).

398 R. VAN COMPERNOLLE (4)

C'est ce dernier point de vue qu'ont adopté les deux seuls travaux qui, à ma connaissance, ont traité avec quelque détail de l'histoire de la cité d'Herakleia, à savoir les articles de Ziegler (*) et de De Miro (2). Ce dernier ne parle pas de la paix de 306/5, mais il ressort clairement de son exposé qu'il considère qu'Herakleia Minôa, à l'époque du traité, ne faisait plus partie de l'epicrazia et que, sur ce point, il accepte donc l'opinion de Ziegler.

Si aucun doute n'est possible au sujet des théories qui établissent la frontière soit sur l'Halykos, soit à l'est d'Herakleia, il n'en est plus de même concernant l'opinion du troisième groupe d'historiens. En effet, faute d'indications précises, le lecteur ne peut pas saisir, par la seule lecture de leur texte, quelle était exactement, d'après eux, la situation antérieure par rapport à laquelle aurait été rétabli le statu quo. Dans bien des cas, l'imprécision même des termes avec lesquels il est parlé de la clause territoriale de 306/5 fait penser que certains historiens se sont prononcés pour le statu quo sans avoir examiné à quoi celui-ci correspondait, mais simplement parce que c'est l'idée de statu quo qu'on trouve dans la clause du traité telle que nous l'a conservée Dio- dore qui est ici notre source unique.

Car, nous voici au nœud de la question : l'Halykos n'est pas mentionné par Diodore. Voici, du reste, le texte même de l'historien : « .... σννέθετο την είρήνην εφ' οΐς τάς πόλεις κομίσασθαι τους Φοίνικας πάσας τάς πρότερον υπ1 αυτούς γεγενημένας · αντί ôè τούτων έλαβε παρά Καρχηδονίων χρνσίον μεν εις αργυρίου λόγον τριακοσίων ταλάντων, ώς δε Τίμαιος φησιν, εκατόν πεντήκοντα, σίτου δέ μεδί- μνων είκοσι μυριάδας » (3).

(1) Κ. Ziegler, dans P. W., R. Ε., VIII, 1913 (s. u. Herakleia, n° 28), c. 428. Le texte de Ziegler, toutefois, contient une erreur évidente : « In der Hand des Agathokles dürfte H. bis zum Tode des Tyrannen geblieben sein, da dessen mit Karthago 306 geschlossener Friede den Halykos (Platani) östlich von H. zur Grenze machte». L'embouchure de l'Halykos se trouve à l'ouest d'Herakleia!

(2) Ern. De Miro, Eraclea Minoa. Primi scavi e prime scoperte, dans Siculorum Gymnasium, V, 1952, pp. 54-67 (p. 56 : «Pertanto esclusa col trattato di Timoleone (339) dall' epicrazia cartaginese, Minoa vi rientrava col trattato di Agatocle del 313, per essere poi ripresa dallo stesso tiranno dopo il suo ritorno dall' Africa in Sicilia. Nel 278 è di nuovo in mano dei Cartaginesi, e solo per breve tempo fu oc- cupata da Pirro »).

(3) Diodore, XX, 79, 5 (éd. G. Th. Fischer, Leipzig, 1906, v. V).

(5) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 399

L'existence d'un traité conclu en 306/5 entre Agathokles et Carthage nous est confirmée par Justin dans le résumé qu'il nous a conservé des Histoires philippiques de Trogue-Pompée. Malheureusement, le texte de Justin ne donne pas les clauses du traité, mais se contente de constater que les conditions de paix étaient équitables (*) : il n'offre donc pour la présente étude qu'une importance toute relative.

* * *

Diodore a écrit son œuvre vers le milieu du ier siècle avant notre ère (de 60 à 30 environ), soit deux siècles et demi après les événements que nous étudions. Quelle valeur peut-on attribuer aux renseignements fournis par Diodore?

Dans les livres XIX, XX et XXI de sa Bibliothèque Historique, l'historien d'Agyrion a consacré de nombreux chapitres à la tyrannie d'Agathokles. Il nous indique lui-même quelles étaient les sources dont il disposait pour écrire cette histoire, mais ne nous renseigne malheureusement pas sur l'utilisation qu'il en a faite (2).

Quatre auteurs, contemporains du tyran, ont écrit l'histoire de celui- ci. Les cinq derniers livres des Ίστορίαι de Timée de Tauromène traitaient de la tyrannie d'Agathokles ; mais, banni par le tyran vers 317-312, et dominé par la haine et le ressentiment, Timée n'a pas laissé de son ennemi un portrait objectif (3). Rallias de Syracuse, comblé de biens et d'honneurs par Agathokles, fut en quelque sorte un historien de cour, enclin à idéaliser son personnage. Il raconta l'histoire de son bienfaiteur en vingt-deux livres : dans cette œuvre, l'objectivité et le désir de rechercher la réalité historique ne constituaient guère les préoccupations de l'auteur (4). On doit en dire autant de l'ouvrage qu'An-

(1) Justin, Epitoma Historiarum Philippicarum Pompei Trogi, XXII, 8, 15 : Post haec Poeni ad persequendas belli reliquias duces in Siciliam miserunt, cum quibus Agathocles pacem aequis condicionibus fecit (ed. Otto Seel, Leipzig, 1935).

(2) Diodore, XXI, 16, 5 et 17, 1-4. Douris de Samos n'est jamais mentionné à propos de l'histoire d'Agathokles. Mais Diodore connaissait son œuvre historique (cf. Diodore, XV, 60, 6) et l'a cité au moins une fois (Diod., XXI, 6, 1).

(3) Cf. W. von Christ, Otto STäHLiN et W. Schmid, Gesch. d. griech. Litter., 6e éd., München, 1920, pp. 218-222 et R. Laqueur, dans P. W.,,/?. E., VIa, 1936, ce. 1076-1203, s. u. Timaios, n° 3. Voir également Diodore, XXI, 17, 1-3.

(4) Cf. W. von Christ, Otto STäHLiN et W. Schmid, op. cit., p. 214 et F. Jacoby,

400 R. VAN COMPERNOLLE (6)

tandros de Syracuse composa sur la tyrannie d'Agathokles, son propre frère. Comme Rallias, Antandros n'a pas hésité à louer sans mesure celui à qui il était redevable d'avantages particuliers Q). Douris de Samos, enfin, que n'agittaient ni la haine ni l'amitié, n'a pourtant pas laissé sur Agathokles un ouvrage qui méritât grande confiance : chez cet historien, en effet, les préoccupations de style l'emportaient de loin sur la recherche de la réalité historique (2). Toutes ces œuvres, aujourd'hui perdues, ne nous sont connues que par un nombre plus ou moins grand de fragments (3).

Ainsi, Diodore avait à sa disposition quatre ouvrages contemporains des événements, mais quatre ouvrages à utiliser avec beaucoup d'esprit critique et de prudence. Or Diodore ne donne que très rarement une indication de source. C'est pourquoi de nombreux historiens modernes se sont imposé l'étude critique des sources utilisées par Diodore pour écrire l'histoire d'Agathokles. A vrai dire, une étude complète et définitive sur cette question importante n'existe pas encore. Mais la lecture des nombreux travaux qui se sont intéressés à ce problème permet néanmoins d'arriver à quelques conclusions positives. Longtemps, on a cru que Diodore, bien que connaissant les quatre ouvrages cités, avait choisi une source unique qu'il aurait fidèlement suivie tout au long du récit qu'il nous a laissé de la tyrannie d'Agathokles. Haa- ke (4), puis Roesiger (5) ont voulu voir dans l'œuvre de Douris la source unique de Diodore. Leurs thèses, vieillies de nos jours, ne résistent plus à un examen approfondi. Pourtant, c'est encore à leur opinio n

P. W., R. E., X, 1919, ce. 1628-1629, s. u. Rallias, n° 22. Voir également Diodore, XXI, 17, 4.

(1) Cf. W. von Christ, Otto STäHLiN et W. Schmid, op. cit., p. 214. (2) Op. cit., pp. 208-209 et Schwartz, dans P. W., R. E., V, 1905, ce. 1853-1856,

s. u. Duris, n° 3. (3) On trouvera une excellente édition de ces fragments dans F. Jacoby, Die

Fragmente der griechischen Historiker (publication en cours depuis 1923) ; dans le vol. II A (Berlin, 1926) : n° 76 : Duris von Samos, ffrr. 16 à 21 et 56 à 59 ; dans le vol. III β (Leiden, 1950) : n° 564 : Rallias von Syrakus, ffrr. 1 à 7 ; n° 565 : Antandros von Syrakus, fr. 1 ; n° 566 : Timaios von Tauromenion, ffrr. 34-35 et 120 à 124.

(4) Aug. IIaake, De Duride Samio Diodori auctore, Bonn, 1874. (5) Aug. F. Roesiger, De Duride Samio Diodori Siculi et Plutarchi auctore,

Göttingen, 1874.

(7) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 401

que s'était rallié Schwartz (*), qui, toutefois, ne croyait pas devoir suivre Roesiger lorsque celui-ci prétendait que les citations de Timée qu'on trouve dans l'œuvre de Diodore y avaient été introduites indirectement, Diodore les ayant reprises telles quelles dans l'œuvre de Douris (2). La thèse de Schwartz fut admise, avec quelques restrictions, par P. Roussel (3) et par F. Jacoby (4). M. Cary, pour sa part, considère également que Diodore a utilisé une source unique, mais pour lui cette source est Timée ; il admet néanmoins que quelques anecdotes ont été reprises par Diodore chez Douris (5). L'opinion de Schubert, selon laquelle Douris et Timée seraient les deux sources conjointement utilisées par Diodore, n'a guère eu de succès à l'époque où elle fut publiée (6). Cette opinion fut toutefois reprise par Tillyard qui, de plus, ne voyait pas pourquoi Diodore n'aurait pas utilisé, à côté de Douris et de Timée, d'autres sources encore (7). Les recherches de R. Laqueur, enfin, ont définitivement montré que la théorie de la source « unique » est inadmissible. Pour R. Laqueur, Diodore a utilisé au moins deux sources : parmi celles-ci, il faut certainement compter Timée, qui doit même être considéré comme source très importante ; quant à l'autre source, elle serait favorable au tyran et il ne pourrait donc pas s'agir ici de Douris ; R. Laqueur pense pouvoir avancer le nom de Rallias (8). Avec H. Berve, je considère qu'il faut se rallier à la thèse de R. Laqueur lorsque celui-ci proclame la pluralité des sources de l'histoire d'Agathokles chez Diodore (9). Les recherches récentes montrent d'ailleurs que cette pluralité de sources est également la caractéristique d'autres parties de la Bibliothèque Historique (10). Avec

(1) Edw. Schwartz, dans P. W., B. E., V, 1903, ce. 663 à. 704, s. u. Diodoros, n° 38 (ici, ce. 687-688).

(2) Aug. F. Roesiger, op. cit., pp. 33-35. (3) P. Roussel, op. cit. (dans Glotz-Cohen, Histoire Générale), p. 375, note. (4) F. Jacoby, F. G. H., vol. II c, Berlin, 1926, p. 120. (5) M. Cary, op. cit., p. 617, note. (6) R. Schubert, Geschichte des Agathokles, Breslau, 1887, passim. (7) H. J. W. Tillyard, Agathocles, Cambridge, 1908, pp. 1 sqq. (8) R. Laqueur, dans P. W., R. E., VIa, 1936, ce. 1076 à 1203, s. u. Timaios,

n° 3 (ici, ce. 1161-1174). (9) H. Berve, op. cit., p. 5.

(10) Voir l'article cité de R. Laqueur et mon étude sur La date de la fondation de Sélinonte (circa 650 avant notre ère), dans Bulletin de l'Institut historique belge de Rome, fasc. XXVII, 1952, pp. 340-342.

402 R. VAN COMPERNOLLE (8)

H. Berve encore, je pense qu'il faut admettre, comme l'a prétendu R. Laqueur, que, pour les chapitres qui retiennent notre attention, Timée a été une source utilisée dans une très large mesure i1). H. Berve croit reconnaître, à côté de l'influence indiscutable de Timée, celle de Dou- ris (2). D'autre part, il nie qu'on puisse, comme l'a fait R. Laqueur, déterminer phrase par phrase les sources de Diodore. Pour H. Berve, l'utilisation de Timée et de Douris est donc une certitude, mais il n'est pas possible de préciser ce qui revient à chacun de ces deux historiens. Certes, les dépècements de R. Laqueur étonnent parfois, mais je me demande pourtant si H. Berve n'a pas tort de les condamner en bloc. Si l'étude des sources de Diodore a fait de grands progrès, notamment en constatant de façon qui me paraît définitive la pluralité des sources, il est néanmoins encore bien des aspects de la question qui n'ont pas reçu d'explication satisfaisante. L'étude critique des sources de Diodore pour l'histoire d'Agathokles doit encore être entreprise.

Dans ces conditions, est-il possible de mener à bien l'enquête qui constitue le sujet de la présente étude? En d'autres termes, les résultats partiels auxquels ont abouti les recherches sur les sources de Diodore, peuvent-ils justifier l'utilisation qui sera faite de certains passages de la Bibliothèque^ Je le pense. En effet, mon argumentation se fondera essentiellement sur quelques textes de Diodore ayant trait à des clauses de traités. La situation résultant de l'application de la clause territoriale d'un traité est un fait public, subi par les contemporains, et dont il n'est guère possible de nier la réalité. Ce n'est pas la déformation volontaire d'une clause territoriale qui pouvait permettre à l'historien de tracer un portrait moral de son personnage plus avantageux ou moins favorable, d'autant plus qu'une telle déformation eût été flagrante pour tous les contemporains. D'autre part, en ce qui concerne les clauses du traité de 306/5, nous nous trouvons en présence d'un cas tout à fait favorable puisque la pluralité des sources est indiquée ici par Diodore lui-même : s'il y a désaccord sur le montant de l'indemnité, il y a accord sur le contenu de la clause territoriale (3). Or, parmi les sources certainement utilisées, il y a Timée, la seule des

(1) H. Berve, op. cit., pp. 12-13 et 20. (2) H. Berve, op. cit., pp. 16-20. (3) Cf. Diodore, XX, 79, 5.

(9) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 403

sources qui soit défavorable au tyran. L'autre source est nécessairement favorable (Rallias ou Antandros) ou neutre (Douris). Rappelons que l'utilisation de l'œuvre de Douris est presque certaine et que d'autre part Diodore peut parfaitement avoir utilisé plus de deux sources : dans ce dernier cas, l'accord existerait entre une source favorable, une deuxième, défavorable, et une troisième, neutre.

A mon avis, il ne faut pas exagérer dans la voie de l'hypercritisme : on peut admettre que les indications de Diodore concernant les dispositions territoriales fixées par les traités de paix conclus par Aga- thokles reflètent la réalité historique. En effet, les sources utilisées par Diodore ont certainement eu connaissance exacte des clauses territoriales ; on ne voit pas comment ces sources auraient pu nier l'évidence aux yeux de leurs contemporains ni quel avantage elles auraient eu à le faire ; enfin, le seul cas où une vérification est possible nous apprend que des sources appartenant pourtant à des tendances différentes sont d'accord sur le contenu de la clause territoriale.

Ces remarques me permettent, je pense, d'aborder l'argumentation proprement dite de mon étude.

* * *

Les historiens qui ont écrit que le traité de 306/5 rétablissait la frontière orientale de l'épicratie carthaginoise sur l'Halykos ont, sans aucun doute, interprété ce traité comme stipulant un retour à la situation résultant de la paix conclue entre Timoléon et Carthage en 339/8. Par cette paix, en effet, Carthage acceptait que le fleuve Halykos marque la limite orientale de ses possessions en Sicile (1). Herakleia, située à l'est de l'Halykos, restait donc une cité libre.

(1) Les sources antiques sont formelles sur ce point : Diodore, XVI, 82, 3 : ώστε τάς μεν 'Ελληνίδας πόλεις άπάσας ελευθέρας είναι, τον δε Λύκον κα- λούμενον ποταμόν δριον είναι της εκατέρων επικρατείας ' ... (éd. G. Th. Fischer ; ν. IV, Leipzig, 1906) et Plutarque, Timoléon, I, 34, 2 : 'Εκ δε τούτου Καρχηδόνιοι μεν ειρήνην έποιήσαντο προς αυτόν δεηθέντες, ώστε την εντός τοϋ Λύκου χώραν εχειν, [και] τοις βουλομένοις εξ αυτής μετοικεΐν προς Συ- ρακοσίονς χρήματα και γενεάς αποδίδοντες, και τοις τυράννοις άπειπάμενοι την συμμαχίαν (ed. Κ. Ziegler, vol. Il, 1, Leipzig, 1932). Sur l'identité des fleuves Lykos et Halykos, cf. K. Ziegler, dans P. W., R. E., XIII, 1927, c. 2390 (s. u. Lykos, n° 3). Dans Haïykos, Ha- pourrait être l'article sémitique (ibidem). La

404 R. VAN COMPERNOLLE (10)

Mais, si nous analysons les événements de Sicile à l'époque où Pyrrhus intervint dans la politique de l'île, nous constatons qu'en 278 Herakleia était une place forte carthaginoise, faisant partie de l'épi- cratie carthaginoise de Sicile. Le texte de Diodore ne permet aucun doute : après avoir occupé Akragas, Pyrrhus envoya chercher à Syracuse des machines de siège et une grande quantité d'armes de trait ; ensuite, il « εστράτευσεν επί την των Καρχηδονίων έπικράτειαν » avec une puissante armée, et s'empara tout d'abord d'Herakleia. L'emploi, par Diodore, de l'expression « επί την των Καρχηδονίων επικρά- τειαν » prouve que la présence de Carthaginois à Herakleia n'était pas fortuite et due au déroulement des opérations militaires, comme c'était certainement le cas pour la garnison carthaginoise qui occupait Akragas avant l'arrivée de Pyrrhus. En 278, Herakleia appartenait de droit aux Carthaginois, puisqu'elle faisait partie de leur επικράτεια i1).

plupart des historiens modernes ont admis que le traité de 339/8 situait la frontière sur l'Halykos : cf. W. Brunet de Presle, op. cit. p. 295 ; Ad. Holm, op. cit., vol. II, p. 471 (toutefois, p. 213, on pourrait comprendre que Sélinonte également étaii une ville libre et que, par conséquent, sur la côte sud de la Sicile, la frontière était assez loin à l'ouest de l'embouchure de l'Halykos, opinion indéfendable à mon avis et que Holm réfute par ailleurs lui-même à la page 471) ; St. Gsell, op. cit., t. III, p. 16 ; Ett. Pais, op. cit., v. II, p. 214 ; Wickert, op. cit., c. 1518 ; G. Libertini — G. Paladino, op. cit., p. 219 ; G. Glotz et R. Cohen, Histoire grecque, t. Ill, 1936 (Hist. Génér., II), p. 415 et H. Bengtson, op. cit., p. 272. On doit relever une erreur de E. A. Freeman, op. cit., v. IV, p. 335 : si l'Halykos marque la frontière, comme l'écrit Freeman, Herakleia ne peut faire partie de l'épicratie carthaginoise. K. J. Belogh, Griechische Geschichte, vol. Ill, 1, 2e éd., 1922, p. 588 écrit que Carthage conserve sa province à l'ouest de l'Halykos et renonce à ses conquêtes à l'est de ce fleuve. Toutefois, se fondant sur la clause territoriale du traité de 314/3 (ibidem, en note), Beloch pense que, dès 339/8, Herakleia dut faire partie de la province carthaginoise : cette hypothèse ne se justifie pas : les données antiques concernant le traité de 339/8 sont formelles et, entre 339/8 et 314/3, trois traités au moins ont été conclus entre Carthage et Syracuse ; c'est l'un de ces traités qui a inclu Herakleia dans l'épicratie carthaginoise. R. Hackforth dans CAH, vol. IV, Oxford, 1927, p. 298 a suivi l'opinion de Beloch. Cette dernière ne me paraît guère soutenable.

(1) Diodore, XXII, 10, 2 : μετά ôè ταϋτα άποστείλας εις Συρακόσας ήγα- γεν όργανα πολιορκητικά καΐ βελών πλήθος, εστράτευσεν επι την των Καρχηδονίων έπικράτειαν, έχων πεζούς τρισμνρίους, ιππείς δε χίλιους πεντακόσιους και ελέφαντας, και πρώτην πάλιν 'Ηράκλειαν προσηγάγετο, φρονρουμένην υπό Καρχηδονίων. Cf. W. Brunet de Presle, op. cit., p. 339 ; Ad. Holm, op. cit., v. II, p. 283 ; Ett. Pais, op. cit., v. II, p. 317 ; K. J. Beloch, Gr. Gesch., 2e éd., IV, 1, 1925, p. 552 ; G. Libertini - G. Paladino, op. cit., p. 251. Sont moins précis, en

11) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 405

Si le traité de 306/5 avait exclu Herakleia des possessions carthaginoises, comment la ville en faisait-elle partie en 278? Il y a là une difficul té qui n'a sans doute échappé ni à Ziegler (*) ni à De Miro (2). Toutefois, notre documentation est loin d'être complète : il n'est donc pas impossible, a priori, qu'Herakleia soit rentrée dans Ι'επικράτεια carthaginoise, à un moment qu'on ne pourrait préciser, entre 289 et 278 (3). Mais c'est là une hypothèse, et, pour ma part, je crois que, de 306/5 à 278, Herakleia n'a pas cessé de faire partie de l'épicratie carthaginoise : le traité de 306/5 n'aurait donc pas fixé l'Halykos comme frontière orientale des possessions puniques, du moins en ce qui concerne le cours inférieur du fleuve.

Remontons jusqu'à la paix de 339/8 conclue entre Carthage et Ti- moléon : nous avons vu que ce traité fixait sur l'Halykos la frontière orientale de la province carthaginoise de Sicile et que, par conséquent, Herakleia Minôa échappait à la domination punique.

Après la mort de Timoléon — dont la date exacte ne nous est pas connue (4), — les luttes entre oligarques et démocrates devinrent à nouveau, à Syracuse, de plus en plus vives (5). L'œuvre de modération qu'avait accomplie Timoléon s'en trouva sérieusement compromise. L'accueil réservé par les Carthaginois aux oligarques exilés et l'aide qu'ils leur apportèrent devaient compromettre également la longue période de paix qui, depuis 339/8, marquait les relations entre Syracuse et Carthage (6). En application de la constitution de Timoléon,

ce sens qu'on pourrait comprendre que l'occupation d'Herakleia par les Carthaginois n'est que le résultat d'une opération militaire: T. Frank, dans CAH, v. VII, 1928, p. 651 et K. Ziegler, op. cit., c. 438.

(1) K. Ziegler, toc. cit. (2) Ern. De Miro, op. cit., p. 56. (3) II ne semble pas que la paix de 306/5 ait été rompue du vivant d'Agathokles

(mort en 289). Entre 289 et 278, on connaît une victoire de Carthage sur Hiketas, tyran de Syracuse. Cf. Diodore, XXI, 16, 1 et XXII, 2, l.Voir K. J.Beloch, G.G., 2e éd., IV, 1, p. 544 ; St. Gsell, op. cit., t. III, p. 63 ; T. Frank, op. cit., p. 651.

(4) Voir : K. J. Beloch, G. G., 2e éd., III, 1, p. 592, n. 1 et III, 2, p. 384. (5) Ad. Holm, op. cit., II, p. 219 ; E. A. Freeman, op. cit., v. IV, pp. 358-362 ;

Ett. Pais, op. cit., v. II, pp. 237-238 ; K. J. Beloch, op. cit., 2e éd., IV, 1, p. 180 ; M. Cary, op. cit., pp. 617-618; P. Roussel, dans Glotz-Cohen, Histoire grecque, t. IV, 1938 (op. cit.), p. 376.

(6) Cf. Diodore, XIX, 4, 3, St. Gsell, op. cit., III, p. 18 et les ouvrages cités à la note précédente.

R. B. Ph. et H. — XXXII. — 27.

406 R. VAN COMPERNOLLE (12)

Syracuse, pour ramener l'ordre, s'adressa à Corinthe, mère patrie de la colonie. Akestoridas fut envoyé en Sicile et prit le commandement à Syracuse : il exila les principaux chefs du parti démocratique, rappela les oligarques et fit la paix avec Carthage ζ1).

C'est à ce moment qu'Agathokles devint un personnage dominant dans la vie politique syracusaine. Exilé par Akestoridas, il se retira à Morgantina où il recruta des troupes et devint menaçant à la fois pour les Carthaginois d'Hamilkar et pour les oligarques qui, rétablis par Akestoridas, tenaient le pouvoir à Syracuse. En 319/8, un accord intervint, grâce à la médiation d'Hamilkar : Agathokles rentra à Syracuse comme général en chef des places fortes de la ville, ce qui lui donna le commandement suprême de l'armée ; ce titre, il devait le garder jusqu'à ce que la concorde régnât de nouveau chez les Syracusains. En même temps, la paix avec Carthage était sauvegardée : Carthage conservait ses possessions dans l'ouest de l'île, tandis que Syracuse maintenait son hégomonie sur les cités grecques, dont l'autonomie toutefois était reconnue (2).

L'accord de 319/8 ne parvint pourtant pas à rétablir l'ordre et la concorde à Syracuse. La lutte entre les oligarques et les démocrates s'envenimait chaque jour davantage. Par le coup d'état de 317/6, Agathokles, qui prétendait représenter les démocrates, reçut le titre de στρατηγός αυτοκράτωρ, ce qui lui conférait le pouvoir absolu (3).

(1) Diodore, XIX, 5, 1-4. Cf. Ad. Holm, op. cit., II, pp. 222-223 ; E. A. Freeman, op. cit., v. IV, pp. 368-369 ; K. J. Beloch, loc. cit. ; M. Cary, op. cit., p. 620 ; W. HüTTL, Verfassungsgeschichte von Syrakus, Prague, 1929, pp. 128-129 et H. Berve, op. cit., pp. 26-27.

(2) Marmor Parium, B, 12 ; Diodore, XIX, 5, 4-6 ; Polyaenos, Y, 3, 7 ; Justin, XXII, 2, 1-9. Ad. Holm, op. cit., II, pp. 222-223 ; E. A. Freeman, op. cit., IV, pp. 369-373 ; K. J. Beloch, op. cit., p. 182 ; W. Hüttl, op. cit., pp. 129-130 ; Wickert, op. cit., ce. 1520-1521. Ces historiens suivent, ici, la chronologie du Marmor Parium (319/8), mais celle-ci n'est certaine qu'à une année près (infra, p. 13, n.). — La date donnée par M. Cary, op. cit., pp. 620-621, paraît moins sûre encore. Diodore commence le récit du livre XV (en 317/6) avec l'avènement d' Agathokles à la tyrannie ; mais en guise d'introduction, il raconte les faits qui ont précédé l'arrivée au pouvoir du tyran, sans toutefois les dater. Voir également H. Berve, op. cit., pp. 29-30.

(3) Marmor Parium, B, 14 ; Diodore, XIX, 6-9 ; Polyaenos, V, 3, 8 ; Justin, XXII, 2, 9-12. Cf. Ad. Holm, op. cit., Il, pp. 223-225 ; E. A. Freeman, op, cit.,

(13) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 407

Les villes grecques qui ne se trouvaient pas en territoire syracusain se montrèrent pour la plupart hostiles au nouveau tyran et accueillirent en grand nombre les exilés syracusains.

Afin d'éliminer la menace que présentait pour lui l'armée des exilés et pour affermir sa puissance en Sicile, Agathokles engagea la lutte contre les cités siciliotes qui ne lui étaient pas soumises (τ). Il attaqua

IV, pp. 373-380 ; K. J. Beloch, op. cit., pp. 182-183 ; M. Cary, op. cit., p. 621 ; W. Huttl, op. cit., pp. 130-131 ; Wickert, op. cit., c. 1521 ; P. Roussel, dans Hist, gr., IV, p. 378. La date de 317/6 est celle qui nous est conservée par Diodore ; le Marmor Parium place l'arrivée d'Agathokles au pouvoir absolu en 316/5. F. Jagoby, Das Marmor Parium, Berlin, 1904, pp. 126-127 et 198-200, considère les dates du Marbre comme authentiques (319/8 : général en chef des places fortes ; 316/5 : tyrannie, pouvoir absolu ; 310/9 : débarquement en Afrique) ; en effet, Ja- coby combine les données du Marbre et celles de Justin, XXII, 5, 1. D'après ce dernier, le passage en Afrique aurait eu lieu dans la 7e année de règne d'Agathokles, et précisément en 310/9 (éclipse de soleil le 15 août 310). Diodore, également, date l'expédition de l'année de l'éclipsé et le Marmor Parium, de 310/9. La date du 15 août 310 peut être considérée comme une certitude (Cf. F. K. Ginzel, Spezieller Kanon der Sonnen- und Mondfinsternisse, Berlin, 1899, pp. 26, 63, 185-187 et carte VI). Mais l'accord des sources sur cette date joue plus en faveur de Diodore qu'en faveur du Marbre. Diodore date l'expédition de l'année de l'éclipsé et place l'éclipsé en 310/9, ce qui est exact. Le Marbre date l'expédition de 310/9, mais place l'éclipsé en 312/1 (B, 16), ce qui est faux. Il n'y a que les données concernant l'éclipsé que nous puissions vérifier avec une certitude absolue : Diodore donne la date exacte, le Marbre se trompe de deux ans. On doit donc soupçonner un léger flottement dans la chronologie du Marmor Parium en ce qui concerne la tyrannie d'Agathokles, puisque, d'après ce document, le passage du tyran en Afrique serait postérieur de deux ans à l'éclipsé. Avec K. J. Beloch, IV, 2, pp. 249-251, j'admets la date de 317/6 comme très probable. Sur la mention faite par Justin de la 7e année du règne d'Agathokles, mention sur laquelle repose toute l'argumentation de Jacoby, voir l'intéressante hypothèse de R. Schubert, Geschichte des Agathokles, Breslau, 1887, p. 95 : la 7e année de règne mentionnée chez Justin pourrait être la 7e année de règne effectif, et Schubert place le coup d'état d'Agathokles après le 15 août 317, dans l'année 317/6. Tout récemment, H. Berve, op. cit., pp. 31-32, note 28, s'est rallié à l'opinion de Jacoby, mais en soulignant bien qu'il faut admettre « dass Agathokles im Spätsommer 316 zur Alleinherrschaft gelangte ». Pour les raisons indiquées ci- dessus, il ne me semble pas possible de suivre l'opinion de M. Berve.

(1) Diodore, XIX, 9, 7 ; 65, 4-6 et 70, 1-2 ; Justin, XXII, 3, 1 ; Polyaenos, V, 15 (?). Cf. Ad. Holm, op. cit., pp. 225-226 ; K. J.Beloch, op. cit., IV, 1, p. 184 ; Ett. Pais, op. cit., II, p. 245 ; M. Cary, op. cit., p. 622 ; Wickert, op. cit., c. 1521 ; G. Libertini - G. Paladino, op. cit., p. 228 ; P. Roussel, dans Glotz - Cohen, Hist, gr., IV, 1938, pp. 378-379 et H. Berve, op. cit., pp. 45-46.

408 R. VAN COMPERNOLLE (14)

ainsi Messine — sans doute en 316/5 (*) — mais échoua par deux fois devant la coalition des Messiniens et des exilés. Les Carthaginois in

terprétèrent son action comme une violation des accords antérieurs qui stipulaient — il est vrai — l'hégémonie de Syracuse, mais affirmaient également l'autonomie des cités siciliotes. En juin 315, des députés carthaginois arrivèrent auprès d'Agathokles et lui imposèrent la paix : le tyran dut céder et abandonner les quelques avantages qu'il avait pu s'assurer ; la paix fut rétablie, sans doute dans le courant de l'été 315 (2). Cette paix ne sanctionnait pas une victoire des exilés et ne donnait même aucune satisfaction à ceux-ci ; elle avait été imposée à Agathokles par Carthage, sous prétexte de faire respecter les clauses des accords qui liaient cette dernière à Syracuse, mais en réalité pour maintenir un certain équilibre entre les deux partis grecs en présence. En apparence, Carthage n'intervenait pas dans le conflit entre Grecs, bien qu'elle fît de plus en plus figure d'arbitre dans leurs discordes. En réalité, elle suivait avec attention l'évolution des événements et s'apprêtait à intervenir au moment opportun. Quant à savoir si ce nouveau traité consacrait l'ancienne ligne de l'Halykos comme frontière orientale des possessions carthaginoises en Sicile, il n'est pas possible de le dire en ce point de mon exposé. En effet, les sources concernant les événements que je viens d'analyser sont absolument muettes sur ce point et seule l'étude des événements et des traités postérieurs me permettra de donner une réponse plus ou moins satisfaisante à cette question.

(1) Sur la date de 316/5, les historiens cités dans la note précédente ne sont pas d'accord. Avec Beloch, op. cit., IV, 2, p. 251, on doit constater que Diodore passe les événements de Sicile pour l'année 316/5, mais que ce qu'il raconte pour 315/4 se rattache directement au récit de 317/6. Les événements racontés en 315/4 couvrent donc les années 316/5 et 315/4. La seconde attaque contre Messine a lieu à l'époque des récoltes, donc en juin 315 : c'est également à ce moment qu'arrivent les députés de Carthage.

(2) Cf. Diodore, XIX, 65, 3-6 : les députés de Carthage arrivent en Sicile en juin 315 ; la paix a dû être rétablie assez rapidement, donc vers juillet-août 315. Ensuite, après le retour en Afrique des députés carthaginois, Agathokles se rend à Abakainon. Pendant l'hiver 315/4 se forme l'alliance Akragas-Gela-Messine ; les événements en rapport avec l'intervention du lacédémonien Akrotatos se situent aux printemps - été 314 et la paix fut conclue à la fin de l'été 314 (= début de 314/3).

(15) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 409

Les exilés politiques de Syracuse, dont un grand nombre avaient trouvé refuge en territoire agrigentin, manœuvrèrent si bien que, peu après l'accord de 315, le peuple d'Akragas déclara la guerre au tyran. Messine et Géla firent bientôt alliance avec Akragas et les exilés. Mais les alliés ne purent guère s'entendre entre eux. De plus, le lacédémonien Akrotatos qui, avec vingt vaisseaux tarentins (*), était venu au secours des exilés syracusains à Akragas y exerça une tyrannie éhontée et fit assassiner Sosistratos, le chef des exilés. Akrotatos fut déposé de son commandement, mais les Tarentins rappelèrent leur flotte. Dès ce moment, les alliés n'avaient plus à espérer grand'chose d'une guerre contre Agathokles. Aussi firent-ils, en 314/3, la paix avec le tyran, par la médiation du Carthaginois Hamilkar (2). Les principales clauses de ce nouveau traité étaient les suivantes : parmi les villes grecques de Sicile, Herakleia, Sélinonte et Himère seraient soumises à l'autorité de Carthage, comme elles l'étaient déjà auparavant (καθάπερ και προϋπήρχον) ; toutes les autres cités grecques se gouverneraient d'après leurs propres lois sous la souveraineté de Syracuse (3). Le traité de 314/3 range indiscutablement Herakleia parmi les cités grecques faisant partie de Υεπικράτεια carthaginoise (4). En 314/3, l'Halykos in-

(1) Akrotatos commandait quelques vaisseaux lacédémoniens (ναυσιν όλίγαις, DioD., XIX, 70, 6) : le nombre de ceux-ci ne nous est pas donné. Tarente lui fournit un secours de vingt vaisseaux (νανσΙν είκοσι, Diod., XIX, 70, 8). P. Roussel, op. cit. (Hist. Gêner.), p. 379, parle de quarante vaisseaux tarentins : dans ce nombre quarante, il faut sans doute voir un lapsus.

(2) Diodore, XIX, 70-71. L'alliance se forme pendant l'hiver 315/4. Akrotatos arrive en Sicile au printemps de 314 ; la suite des événements s'étend sur le printemps et l'été de 314 et la paix est conclue à la fin de l'été (= début de 314/3). Cf. Ad. Holm, op. cit., II, pp. 226-228; K. J. Beloch, op. cit., IV, 1, pp. 184-185 et IV, 2, p. 251 ; Ett. Pais, op. cit., v. II, pp. 245-246 ; M. Gary, op. cit., p. 622 ; Wickert, op. cit., ce. 1521-1522 ; G. Libertini - G. Paladino, op. cit., pp. 229-230 et P. Roussel, op. cit., p. 379.

(3) Diodore, XIX, 71, 7 : ήσαν δε τά κεφάλαια των σνντεθέντων τοιά- δε, τών 'Ελληνίδων πόλεων των κατά Σικελίαν Ήράκλειαν μεν και Σελινούντα και προς ταύταις 'Ιμέραν υπό Καρχηδονίοις τετάχθαι, καθά και προϋπήρχον, τάς δ' αλλάς πάσας αυτόνομους είναι, την ήγεμονίαν εχόντων Σνρακοσίων (ed. C. Th. Fischer, vol. V, Leipzig, 1906).

(4) Les cités « grecques » faisant partie de l'épicratie carthaginoise sont Herakleia, Sélinonte et Thermes d'Himère. Il est utile de rappeler que Thermes d'Himère (cette ville se trouve sur la côte nord, quelques kilomètres à l'ouest du site de l'ancienne

410 R· VAN COMPERNOLLE (16)

férieur ne marque donc plus la frontière entre les possessions puniques et syracusaines, comme c'était le cas après le traité de Timoléon en 339/8. Mais l'expression « καθάπερ και προϋπήρχον » nous apprend que cette situation existait déjà avant le traité de 314/3, et non pas dans un passé lointain, mais à l'époque même qui précédait la conclusion de la paix (προϋπήρχον). A quelle époque Herakleia a-t-elle été rattachée à l'épicratie carthaginoise ? Le fait qu'en 307/6 Agathokles forcera Herakleia à « πάλιν ύποτάττεσθαι » pourrait nous autoriser à émettre l'hypothèse que, juridiquement, Herakleia a déjà été soumise au tyran auparavant (x). Or, comme Agathokles n'est devenu tyran de Syracuse qu'en 317/6, Herakleia n'aurait pu avoir été intégrée dans l'épicratie carthaginoise qu'en 315. Dans ce cas, il faut admettre que les députés carthaginois auraient mis à profit la violation des accords par Agathokles pour étendre à l'est de l'Halykos la zone d'influence de leur ville. Toutefois, il n'est pas certain qu'il faille comprendre l'expression « πάλιν νποτάττεσθαι » dans un sens aussi restreint. En effet, l'expression pourrait fort bien être comprise dans un sens absolu, marquant le retour à un état de soumission après quelques mois d'indépendance (2). Dans ce cas, la puissance qui soumet n'est pas nécessairement la même avant qu'après : il ne serait donc nullement certain qu'Herakleia ait été soumise juridiquement à Agathokles et, dès lors, la ville pourrait avoir été rattachée à l'épicratie carthaginoise soit par l'accord conclu en 319/8, soit par la paix signée entre Akestoridas et Carthage, ce qui semble même plus probable, puisque l'intervention de Carthage en 319/8 n'avait d'autre valeur que celle d'une médiation,

Himère) et Sélinonte n'étaient plus toujours considérées comme cités « grecques », depuis que les Carthaginois, en 409/8, avaient détruit les deux anciennes colonies : Sélinonte fut relevée de ses ruines sous la protection carthaginoise ; Himère disparut pour toujours, mais les Carthaginois fondèrent Thermes un peu plus à l'ouest. Le traité de 339/8 stipule que toutes les cités grecques seraient libres (τάς μεν 'Ελληνίδας πόλεις άπάσας ελευθέρας είναι, Diod., XVI, 82, 3), alors que Sélinonte et Thermes d'Himère étaient, d'après les clauses de ce même traité, rattachées à Υεπικράτεια carthaginoise.

(1) Diodore, XX, 56, 3 : 'Αγαθοκλής ôè της μάχης άρτι γεγενημένης κα- ταπλενσας της Σικελίας είς Σελινούντα, Ήρακλεώτας μεν ήλενθερωκότας την πόλιν ήνάγκασε πάλιν νποτάττεσθαι.

(2) Herakleia semble avoir été indépendante depuis fin juin 308 jusque vers mai 307 environ. Infra, p. 22.

(17) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 411

alors que la paix conclue par Akestoridas mettait fin à une intervention directe. Enfin, une troisième hypothèse, qui n'est certainement pas la moins vraisemblable, c'est de supposer qu'Herakleia fut du nombre des garnisons de la province carthaginoise dont Agathokles s'empara en 312/1, mais qu'il dut bientôt abandonner lorsque l'offensive d'été des Carthaginois (été 311) permit à ceux-ci de reconquérir le terrain perdu et d'atteindre le Mont Eknomos, à mi-chemin entre Akragas et Gela (*). Cette dernière hypothèse permet d'interpréter l'expression « πάλιν ύποτάττεσθαι », employée par Diodore à propos de la soumission de 307, comme signifiant qu'Agathokles personnellement a déjà, auparavant, soumis la ville d 'Herakleia, notamment en 311 ; mais cette soumission n'avait jamais été ratifiée par aucun traité et n'avait duré, de fait, que quelques semaines, quelques mois tout au plus. Dès lors également, Herakleia aurait fait partie de l'épicratie carthaginoise depuis 319/8 ou, plus probablement depuis la paix d'Akestoridas, de quelques années antérieure. Mais, quelle que soit la solution adoptée, celle-ci reste sans effet sur la suite de la présente enquête. Ce qu'il faut retenir, c'est que le traité de 314/3 stipulait explicitement qu'Herakleia, à l'avenir, ferait partie de l'épicratie carthaginoise, tout comme elle en faisait déjà partie auparavant. En 314/3, le cours inférieur de l'Halykos ne marquait donc plus la frontière orientale du territoire punique et il ne la marquait plus depuis un certain temps déjà.

Messine η 'avait pas reconnu le traité de 314/3, conclu grâce à la médiation d 'Hamilkar (2). Agathokles s'empara de la ville en 312/1 (3).

(1) Diodore, XIX, 102, 8. Infra, p. 18. (2) Diodore, XIX, 102, 1. A ce sujet, voir la note très importante de K. J. Be-

loch, op, cit., IV, 1, p. 186, n. 1. De même: Wickert, op. cit., c. 1522 ; G. Liber- tini - G. Paladino, op. cit., p. 230 ; P. Roussel, op. cit., p. 379, n. 8 et H. Berve, op. cit., p. 48 (et n. 42).

(3) Diodore, XIX, 102 ; Polyaenos, V, 15. On a parfois considéré que le texte de Polyen concernait les événements de 316/5 (cf. supra, p. 13, n. 1). Ce texte ne contient aucun renseignement important et pourrait être négligé. Je pense toutefois qu'il est préférable d'y voir une allusion aux événements de 312/1, postérieurs à l'alliance Akragas-Gela-Messine (Μεγακλής... και πολλούς Σικελιώτας κατ' αν- τον σννίστη ...) — Messine n'avait pas reconnu le traité de 314/3 — ·, ou bien à un événement par ailleurs inconnu de l'époque même de l'alliance (315/4). Cf. Ad. Holm, op. cit., II, p. 228 ; K. J. Beloch, op. cit., IV, 1, p. 186 ; Wickert, op. cit., c. 1522 ; G. Libertini - G. Paladino, op. cit., p. 230 et P. Roussel, op. cit., p. 379.

412 R. VAN COMPERNOLLE (18)

Carthage n'intervint pas. En effet, le Sénat de Carthage s'était montré fort mécontent du traité qu'Hamilkar avait conclu en 314/3 et avait condamné à l'amende le général, mais celui-ci semble être mort avant qu'on ait pu appliquer la sentence Q). La position de Carthage en Sicile s'en était trouvée momentanément affaiblie, ce qui avait permis au tyran de Syracuse d'assurer son pouvoir sur le territoire sicilien qui ne faisait pas partie de l'épicratie carthaginoise (2). Il est exagéré, à mon avis, d'écrire que le Sénat de Carthage ne ratifia pas le traité (3) : celui-ci était un fait accompli, mais Carthage s'apprêtait à la revanche. Agathokles prit les devants et viola la paix en 312/1 : il envahit le territoire carthaginois et soumit de nombreuses garnisons (4). Herakleia était fort probablement du nombre de celles-ci. Hamilkar était mort et Carthage envoya en Sicile un autre Hamilkar, fils de Giscon. Nous ne connaissons pas la date exacte de l'arrivée en Sicile de cet autre Hamilkar ; ce n'est vraisemblablement que dans le courant du printemps de 311 que les Carthaginois de Sicile furent renforcés par quelques troupes envoyées d'Afrique. Dans le courant de l'été, les forces puniques, vinrent occuper la colline Eknomos, sur la côte, à mi-chemin entre Akragas et Gela. Agathokles se porta à leur rencontre et leur offrit le combat. Mais les Carthaginois se tinrent à l'abri dans leur camp et les Syracusains ne purent que piller la région (5). L'armée carthaginoise passa tout l'hiver 311/0 dans le camp établi sur le Mont Eknomos. Voyant la tournure que prenaient les événements, Carthage envoya des forces considérables en Sicile (6). D'après Diodore, ce

(1) Diodore, XIX, 72, 1-2 ; Justin, XXII, 3, 2-7. Cf. Ad. Holm, op. cit., II, pp. 228 et 475 ; St. Gsell, op. cit., III, pp. 19-20 ; EU. Pais, op. cit., p. 247 ; K. J. Beloch, op. cit., IV, 1, pp. 186-187 ; M. Cary, op. cit., p. 623.

(2) Diodore, XIX, 72, 1 ; 103, 1 ; 103, 3 et 104, 1. Cf. St. Gsell, op. cit., p. 20 ; Ett. Pais, loc. cit. ; M. Cary, loc. cit. ; P. Roussel, op. cit., p. 380.

(3) C'est l'opinion de Ett. Pais, op. cit., p. 247. A mon avis, il faut forcer nettement le sens des textes pour arriver à pareille interprétation.

(4) Diodore, XIX, 102, 8. Vraisemblablement au printemps de 311. C f.Ad. Holm, op. cit., II, p. 231 ; St. Gsell, loc. cit. ; Ett. Pais, loc. cit. ; K. J. Beloch, op. cit., IV, 1, p. 187 ; H. Berve, op. cit., pp. 49-50.

(5) Diodore, XIX, 104, 3-4. Cf. Ad. Holm, op. cit., II, p. 232 ; St. Gsell, loc. cit. ; Ett. Pais, op. cit., p. 248 ; K. J. Beloch, op. cit., IV, 1, p. 188 ; M. Cary, op. cit., p. 623 ; G. Libertini - G. Paladino, op. cit., p. 231 ; P. Roussel, op. cit., p. 380.

(6) Diodore, XIX, 106. Cf. Ad. Holm, loc. cit. ; St. Gsell, loc. cit. ; Ett. Pais,

(19) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 413

ne serait qu'à ce moment qu'Hamilkar, fils de Giscon, reçut le commandement dans l'île (*). Comme il n'est plus question de l'autre Hamilkar depuis 314/3, il n'y aurait pas eu en Sicile, en 312, autre chose que des garnisons carthaginoises, ce qui expliquerait qu'Agatho- kles ait pu s'imposer alors dans l'île sans rencontrer de véritable opposition. Au printemps 310, Hamilkar était solidement établi sur le Mont Eknomos. Agathokles vint installer son camp en face de la position fortifiée des Carthaginois. L'Himéras méridional coulait entre les deux armées. Début juin 310 (2) eut lieu la sanglante bataille de l'Himéras qui fut une déroute pour l'armée d'Agathokles (3). Mais le tyran ne perdit pas son sang-froid : pendant les mois de juin et de juillet 310, il prépara fébrilement son expédition de Libye. Sans doute la méditait-il depuis longtemps. Le 14 août 310, la flotte d'Agathokles réussit à percer le blocus du port de Syracuse par la flotte punique et, le 20 août, l'armée syracusaine débarquait en Afrique (4).

op. cit., p. 248 ; K. J. Beloch, loc. cit. ; M. Gary, loc. cit. ; G. Libertini - G. Pala- dino, loc. cit.

(1) Diodore, XIX, 106, 2. (2) La date peut être fixée avec une certaine précision. En effet, il résulte de

Diodore, XIX, 110, 2, que la défaite d'Agathokles sur les bords de l'Himéras est de quelque temps antérieure à la rentrée des récoltes : la bataille de l'Himéras a donc eu lieu début juin 310 au plus tard (Voir Beloch, op. cit., IV, 2, p. 251). Cette indication, rattachée aux faits, est certainement plus certaine que l'indication des canicules (Diodore, XIX, 109, 5), incompatible avec la première, mais qui, sans doute, n'est que le souvenir de fortes chaleurs qui eurent lieu à l'époque de la bataille. On sait que, début juin, sur la côte entre Gela et Agrigente, le scirocco peut rendre, pendant plusieurs jours consécutifs, l'atmosphère étouffante et insupportable.

(3) Diodore, XIX, 108-110. Justin, XXII, 3, 9-10 mentionne deux batailles perdues par Agathokles, mais ne donne aucun détail. Cf. Ad. Holm, op. cit., pp. 233-234 ; E. A. Freeman, op. cit., IV, pp. 392-396 (bonne chronologie) ; St. Gsell, op. cit., III, pp. 20-21 (qui propose, note 8, une chronologie qu'il ne me paraît pas possible d'accepter) ; Ett. Pais, op. cit., p. 248 (même chronologie que Gsell) ; K. J. Beloch, op. cit., IV, 1, pp. 188-189 (date: début juin 310. Cf. IV, 2, p. 251).

(4) La date du débarquement en Afrique est connue de façon précise : la flotte d'Agathokles quitta Syracuse la veille (cf. Diodore, XX, 5,5) de l'éclipsé totale de soleil du 15 août 310 (cf. F. K. Ginzel, Spezieller Kanon der Sonnen- und Mondfinsternisse, Berlin, 1899, pp. 26, 63, 185-187 et carte VI). Voir également Justin, XXII, 6, 1-3. Frontin, Stratagemata, I, 12, 9, commet une erreur et parle d'une éclipse de lune.

414 R. VAN GOMPERNOLLE (20)

Nous ne suivrons pas Agathokles dans sa campagne d'Afrique et nous passerons sous silence tant ses succès que ses revers (*). Ce n'est qu'au printemps de l'année 307 qu'Agathokles remettra le pied sur le sol sicilien (2). Que se passa-t-il dans l'île durant son absence ? Mettant à profit le départ du tyran, Hamilkar s'employa à forcer Syracuse à la capitulation. Agathokles avait laissé son frère Antandros comme gouverneur de la ville pour la durée de son absence et lui avait adjoint Erymnon comme conseiller militaire (3). Hamilkar échoua dans sa première tentative (automne 310) (4). Entretemps, Carthage lui réclamait des troupes pour faire face à la situation en Afrique. Vers juin 309, Hamilkar reprit son attaque contre Syracuse ; il avait comme alliés les exilés syracusains et tous les siciliotes qui étaient opposés à Agathokles. Cette attaque tourna au désastre : Hamilkar, fait prisonnier, fut exécuté et sa tête envoyée en Libye à Agathokles (5). Dès ce moment, l'action des armées carthaginoises en Sicile se réduisit à peu de chose, les nécessités de la guerre d'Afrique rendant impossible l'envoi dans l'île de contingents suffisants.

(1) Sur l'expédition d'Agathokles en Afrique, voir Ad. Holm, op. cit., II, pp. 235-258 ; Niese, op. cit., ce. 751-754 ; E. A. Freeman, op. cit., IV, pp. 400-459 ; St. Gsell, op. cit., III, pp. 21-61 ; Ett. Pais, op. cit., II, pp. 250-270 ; P. Roussel, op. cit., pp. 382-392 ; H. Berve, op. cit., pp. 52-53 et surtout M. Müller, Der Feldzug des Agathokles in Africa, Leipzig, 1928.

(2) Infra, p. 22. (3) Diodore, XX, 4, 1 et XX, 16, 1. Sur l'ensemble des événements de Sicile

pendant l'expédition d'Agathokles en Afrique, voir : Ad. Holm, op. cit., Il, pp. 241- 242, 243-246 et 252 ; Niese, op. cit., ce. 752 et 753 ; P. Roussel, op. cit., pp. 385- 386 et H. Berve, op. cit., pp. 53-55.

(4) Diodore, XX, 15-16 et Justin, XXII, 4, 1. La date de cette première attaque peut être fixée de la manière suivante : le départ d'Agathokles pour l'Afrique date du 14 août 310, son premier retour en Sicile date du printemps de l'an 307 (au plus tard) ; nous connaissons les événements qui se sont produits à l'époque des récoltes des années 309 et 308, événements qui sont postérieurs au départ d'Agathokles pour l'Afrique et antérieurs à son premier retour en Sicile; vers mai-juin 309, Hamilkar, après avoir ravagé les récoltes, lance sa grande attaque contre Syracuse, attaque au cours de laquelle le général carthaginois est fait prisonnier; vers mai-juin 308, les armées syracusaines sont défaites par Xenodikos dans la région d'Echetla. La première attaque d'Hamilkar est donc postérieure au 14 août 310 et antérieure à mai-juin 309.

(5) Diodore, XX, 29, 1 à 30, 3 et Justin, XXII, 7, 1-2.

(21) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 415

Ainsi, en l'été 309, les armées carthaginoises étaient sérieusement éprouvées ; les Syracusains étaient menacés de famine, la flotte carthaginoise poursuivant inlassablement le blocus du port (x) ; le chef des exilés syracusains, Deinokrates, ne pouvait en somme être sûr que de la petite armée des exilés. Agrigente crut que son heure avait sonné, nomma Xenodikos général en chef et entreprit en Sicile une croisade de libération (2). De juillet 309 à juin 308, on vit successivement toutes les villes grecques se rallier aux Agrigentins pour reconquérir l'indépendance (3). En mai-juin 308, les troupes qu'Agathokles avait laissées à Syracuse furent défaites dans la région d'EchetIa (Grammichele) d'où elles menaçaient les territoires de Kamarina, au sud, et de Leontinoi, au nord. La place forte d'EchetIa fut enlevée et les Syracusains de plus en plus acculés dans leur ville (4). Le blocus du port de Syracuse par la flotte carthaginoise se poursuivait sans relâche (5). La plupart des

(1) Le blocus du port de Syracuse par la flotte carthaginoise est mentionné par Diodore en automne 310 (XX, 16, 5-6), vers mai-juin 309 (XX, 29, 3 : τήν μεν οΰν αιτοπομπίαν διεκώλνε πολύν ήδη χρόνον θαλαττοκρατών) et vers juin 308 (XX, 32, 3-5 : ... Σνρακόσιοι πιεζόμενοι xf\ σιτοδεία, etc.), La famine à Syracuse nous est également signalée en l'été de 309 (XX, 31, 3).

(2) Diodore, XX, 31, 1-4. (3) Diodore, XX, 31, 4-5. L'indication chronologique « de juillet 309 à juin

308 » se justifie comme il suit : l'entreprise de Xenodikos et des Agrigentins est le résultat de la défaite d'Hamilkar devant Syracuse en juin 309 ; d'autre part, le ralliement des cités grecques sous la conduite d'Akragas et la libération de ces cités sont antérieurs à la bataille d'EchetIa (mai-juin 308).

(4) Diodore, XX, 32, 1-2. (5) Diodore, XX, 32, 3-5. Justin, XXII, 8, 1-2 : Interea Agathocles profligatis

in Africa rebus, tradito Archagatho filio exercitu in Siciliam recurrit, nihil actum in Africa existimans, si amplius Syracusae obsiderentur. Nam post occisiim Hamilca- rem, Gisconis filium, nouus eo a Poenis missus exercitus fuerat. La première phrase (si amplius Syracusae obsiderentur) peut parfaitement convenir pour parler du blocus du port de Syracuse par la flotte carthaginoise, ce qui concorde ainsi avec les indications de Diodore, XX, 32, 3-5. La seconde phrase (Nam post... fuerat) pourrait fort bien n'être qu'une glose malheureuse introduite dans le texte pour expliquer « si amplius Syracusae obsiderentur », expression laconique qu'on pouvait ne pas comprendre. Il ne paraît pas possible qu'une nouvelle armée carthaginoise ait été envoyée en Sicile, à cette époque, pour assiéger Syracuse. En effet : 1) les Carthaginois avaient dû rappeler des troupes de Sicile en Afrique et, depuis, les choses d'Afrique n'avaient fait qu'empirer pour eux (Diodore, XX, 15, 1 ; 16, 9 ; 18, 1 et 3) ; 2) Xenodikos, général des Agrigentins, a pu libérer les villes de Sicile,

416 R. VAN COMPERNOLLE (22)

cités grecques de la Sicile centrale, méridionale et orientale étaient libérées et rendues indépendantes. Xenodikos se tourna alors vers les cités où quelques garnisons carthaginoises se tenaient encore et les délivra du joug punique Q). C'est vraisemblablement fin juin 308 qu'Herakleia fut ainsi délivrée par Xenodikos et se proclama indépendante (2). La ville, toutefois, ne resta indépendante que pendant quelques mois, jusque vers le mois de mai 307 environ. En effet, au printemps 307, Xenodikos, qui avait rendu libres un grand nombre de villes siciliennes, voulut en finir avec les armées syracusaines d'Agatho- kles, mais il perdit la bataille (3). Du même coup Akragas vit s'évanouir son rêve d'hégémonie sur la Sicile grecque. Peu de jours après cette bataille, Agathokles, inquiet de la tournure que prenaient les événements de Sicile, débarquait à Sélinonte avec deux mille hommes, en pleine épicratie carthaginoise (4). Il soumit aussitôt la ville d'Herakleia

même les villes de l'épicratie carthaginoise parce que celles-ci n'étaient plus défendues que par de faibles garnisons (Diodore, XX, 31, 2-5 et 32, 2) ; 3) c'est l'armée de Xenodikos qui, après la victoire d'Echetla, accule de plus en plus, dans leur ville, les Syracusains d' Agathokles (Diodore, XX, 32, 2 et 56, 1).

(1) Diodore, XX, 32, 2 : καθόλου δ' επιπορενό μένος τά τε φρούρια και τάς πόλεις ήλευθέρον της των Καρχηδονίων επιστασίας.

(2) Diodore, XX, 56, 3 : 'Αγαθοκλής δε της μάχης άρτι γεγενημένης καταπλενσας της Σικελίας εις Σελινούντα, Ήρακλεώτας μεν ήλευθερω- κότας την πόλιν ήνάγκασε πάλιν νποτάττεσθαι (printemps 307), à rap

procher de Diodore, XX, 32, 2 : ... (cf. n. 1 à la p. 22) ... ήλενθέρον ... (été 308).

(3) Diodore, XX, 56, 1-3. (4) Diodore, XX, 56, 3 (... της μάχης άρτι γεγενημένης...). La date du

premier retour d'Agathokles en Sicile est très discutée. M. Gary, op. cit., p. 632, place ce retour dans le courant de l'été ou de l'automne de 308, P. Roussel, op. cit., p. 389, en l'automne de 308, H. Berve, op. cit., p. 55, dans l'année 308/7, Ett. Pais, op. cit., p. 262, Niese, op. cit., c. 753 et H. Bengtson, Griechische Geschichte, Leipzig, 1950, p. 369, en 307, mais K. J. Beloch, op. cit., IV, 1, p. 196 et IV, 2, pp. 252-253, précise au printemps de 307. C'est la date proposée par Beloch qui se défend le mieux ; celle de Cary (été - automne 308) me semble tout à. fait inadmissible. Entre la victoire remportée par Xenodikos sur les armées syracusaines à Echetla (mai-juin 308) et la défaite de Xenodikos lors de son attaque en forcecontre ces mêmes armées syracusaines, il faut laisser un laps de temps suffisant pour l'activité du général agrigentin dans différentes régions de la Sicile. C'est ce qui fait dater la défaite de Xenodikos du printemps de 307 ; le retour d'Agathokles est postérieur à cette défaite de très peu de temps.

(23) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITE DE 306/5 417

ainsi que de nombreuses autres cités (*). Dans l'entretemps, Deinokrates, chef des exilés syracusains, avait repris à son compte le programme de liberté qu'avait lancé Akragas (2). Aussitôt de nombreux partisans se joignirent à lui et il se trouva bientôt à la tête d'une armée puissante. Agathokles dut éviter le combat (3). Par ailleurs, en Afrique, la situation était devenue très précaire pour lui. En effet, après quelques succès spectaculaires, ses troupes d'Afrique, qu'il avait laissées sous le commandement de son fils Archagatos, subirent de gros désastres (4). Dans le courant de l'été 307, Agathokles repartit en Afrique, mais il ne put qu'assister à la déroute finale de son armée (5). Il s'échappa et revint en Sicile au début de l'hiver 307/6 (novembre 307) (6). Dans l'île, il reprit la lutte : c'est de cette époque que date le terrible massacre de Ségeste où le tyran se surpassa en cruauté, et qui laissa un souvenir pénible aux contemporains (7). Mais le parti de Deinokrates grandissait chaque jour : même Pasiphilos, un des généraux d'Agathokles, conclut une alliance avec Deinokrates (8). Les Carthaginois, libérés de la guerre d'Afrique, pouvaient à nouveau intervenir en Sicile (9).

(1) Diodore, XX, 56, 3-4. Justin, XXII, 8, 3, écrit qu'Agathokles se rendit maître de l'île entière. Pareille phrase montre tous les dangers du résumé à l'excès. Car, si les Carthaginois semblent avoir été chassés pour un certain temps de presque toute la Sicile, il restait toujours Deinokrates et les exilés à combattre. Les Carthaginois n'ont probablement jamais perdu Lilybaion (où ils débarquèrent bientôt de nouvelles troupes) ni Solunte (où les Carthaginois fixèrent, dans le courant de l'hiver 307/6, ceux des soldats d'Agathokles faits prisonniers après la défaite finale des armées du tyran en Afrique qui ne désiraient pas prendre service dans les armées carthaginoises). Il semble donc bien que les Carthaginois se soient toujours maintenus en certains points de la côte nord-ouest de la Sicile.

(2) Diodore, XX, 57, 1-2. Voir, sur les événements de Sicile durant le premier retour d'Agathokles dans l'île, Ad. Holm, op. cit., II, pp. 252-253 ; Niese, op. cit., c. 753 ; P. Roussel, op. cit., pp. 389-390 ; H. Berve, op. cit., pp. 55-56.

(3) Diodore, XX, 57, 1-3. Voir également XX, 61, 5. (4) Diodore, XX, 57, 3 - 61, 4. Sur la fin de la guerre d'Afrique, voir les travaux

cités supra, p. 20, n. 1. (5) Diodore, XX, 61, 5 et 63, 7 à 69, 5. (6) Diodore, XX, 69, 3 : ελαθεν εκπλεύσας κατά την δνσιν της Πλειάδος

χειμώνος δντος. Sur la date, cf. Beloch, op. cit., IV, 1, p. 198 ( « Spätherbst 307» ) et IV, 2, p. 251 ( « etwa Anfang November 307 »).

(7) Diodore, XX, 71, 1-5. (8) Diodore, XX, 77, 2. (9) Si les Carthaginois décident d'établir à Solunte les soldats d'Agathokles faits

418 R. VAN COMPERNOLLE (24)

L'ancienne alliance qui les unissait aux exilés syracusains pouvait se reformer. Croyant tout perdu, Agathokles négocie avec Deinokrates ; le tyran ne demande presque rien : Thermai et Kephaloidis ; il est prêt à abandonner le reste, y compris le pouvoir souverain à Syracuse. Mais les négociations tirent en longueur, du fait de l'ambition de Deinokrates (χ). C'est alors qu'Agathokles se tourne du côté carthaginois et négocie la paix séparée : l'accord est rapidement conclu, sans doute encore avant l'automne de 306 : c'est la paix de 306/5 (2). Par la suite, libéré de la guerre contre Carthage, Agathokles n'aura plus qu'à s'occuper de l'armée des exilés : il la détruira complètement. Deux ans plus tard, toute la Sicile grecque sera rangée sous son autorité (3). Agathokles devait tenir le pouvoir jusqu'en 289/8, date de sa mort.

Après cette longue mais indispensable digression, nous devons nous demander quelle était la frontière que le traité de 306/5 avait établie entre la province carthaginoise et la Sicile grecque rangée sous l'hégémonie de Syracuse.

Le traité de paix de 306/5 met fin à la guerre qu'Agathokles mène contre Carthage depuis 312/1, date du début des hostilités. C'est une paix séparée à laquelle ne participent point les exilés syracusains et les autres cités grecques de Sicile qui s'étaient alliées aux exilés sous la conduite de Deinokrates et avaient choisi le parti carthaginois. Si le traité de 306/5 rétablit le statu quo territorial, il s'agit donc nécessairement d'un retour à la situation antérieure à 312/1 et à cette situation telle qu'elle résultait d'un traité liant Agathokles et Carthage. Les deux brèves occupations d'Herakleia par Agathokles — la première durant l'hiver 312/1 et la seconde depuis le printemps 307 jusqu'à la conclusion de la paix — de même que la brève période d'indépendance d'Herakleia (de fin juin 308 à début mai 307 environ) ne sont que des épisodes de la guerre qui s'étend de 312/1 à 306/5. Ces faits ne sont que des conséquences passagères d'opérations militaires diverses : aucun accord, aucun traité ne les ont jamais reconnus, du moins en ce

prisonniers en Afrique (Diodore, XX, 69, 3), c'est qu'ils dominent encore au moins une partie de la Sicile nord-occidentale (hiver 307/6). Voir supra, p. 23, n. 1.

(1) Diodore, XX, 77, 3 à 79, 3. (2) Diodore, XX, 79, 5; Justin, XXII, 9, 15 et XXIII, 1, 1. (3) Diodore, XX, 89, 1 à 90, 2 ; Justin, XXIII, 1, 1.

(25) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 419

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420 R. VAN COMPERNOLLE (26)

qui concerne les deux parties en présence en 306/5 : Agathokles et Carthage. Ces situations avaient existé de fait, mais non de droit. Donc, en 306/5, c'est la situation territoriale d'avant 312/1 qu'on rétablit, c'est-à-dire celle qui résultait de l'application du traité de 314/3. L'épi- cratie carthaginoise comprenait, de 314/3 à 312/1, outre les anciennes colonies puniques et le territoire élyme, les cités grecques de Sélinonte, d'Herakleia et des Thermes d'Himère. La frontière de cette épicratie suivait donc, du nord au sud, la ligne de démarcation séparant le territoire de Kephaloidis de celui des Thermes d'Himères (vraisemblablement selon le cours de l'actuel Fiume Grande ou Imera Settentrionale), puis passant par dessus les sommets de la chaîne des Madonie, suivait les cours supérieur et moyen de l'Halykos (l'actuel Platani), puis, enfin, la ligne de démarcation séparant le territoire d'Herakleia de celui d'Akragas.

Certains historiens ont écrit que le Sénat de Carthage n'avait pas ratifié le traité de 314/3, conclu entre Agathokles et Hamilkar (*). Il est certain que des mesures disciplinaires ont été prises contre le général carthaginois qui s'était montré trop favorable à Agathokles, mais il faut forcer nettement le sens des textes pour pouvoir en déduire que le Sénat n'avait point ratifié le traité. De fait, Carthage, après 314/3, resta dans l'exspectative, prête à saisir toute occasion que lui offrirait la discorde profonde qui régnait parmi les cités grecques de Sicile. D'ailleurs, même en supposant que le traité de 314/3 n'ait pas été ratifié par le Sénat de Carthage et qu'Agathokles, acculé comme il l'était en 306/5, ait accepté de considérer comme sans valeur le traité de 314/3, du point de vue territorial, le traité de 314/3 ne changeait rien. Il ne mettait pas fin à une guerre entre Carthage et Syracuse, mais à une guerre entre Agathokles d'une part, Akragas, Gela et Messine d'autre part. Hamilkar ne fut pas belligérant, mais médiateur ; il profita de l'occasion qui se présentait à lui pour faire confirmer par le traité les limites de l'épiera tie carthaginoise, mais le traité ne changeait rien à la frontière. La situation résultant du traité de 314/3 était, en ce qui concerne le territoire de la province carthaginoise, identique à celle qui existait avant le traité et qui était le résultat des traités

Supra, p. 18, n. 3.

(27) LA CLAUSE TERRITORIALE DU TRAITÉ DE 306/5 421

térieurs (paix de 315 ; accord de 319/8 et traité conclu vers 322-320 par Akestoridas) dont nous n'avons point conservé les clauses, mais dont nous connaissons toutefois les effets quant aux limites de la province carthaginoise (x). Ainsi, aucun doute n'est possible quant à la frontière qu'établit la paix de 306/5. Cette paix rétablit la frontière de 312/1 qui n'est autre que celle de 320 (2), confirmée par le traité de 314/3. Après 306/5, la ville d'Herakleia continue à faire partie de l'épicratie carthaginoise. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de ce qu'elle en fasse encore partie en 278, lorsque Pyrrhus envahit la province punique, et il ne faut pas chercher à expliquer cette situation par une hypothèse ingénieuse.

Depuis 320 environ, jusqu'en 278, Herakleia n'a jamais cessé de faire partie de droit de l'épicratie carthaginoise en Sicile. Tout comme le traité de 314/3, le traité de 306/5 n'a fait que confirmer cette situation.

René Van Compernolle. Chargé de recherches du F.N.R.S.

(1) Supra, pp. 15 à 17 et nn. (2) Résultant de la paix d'Akestoridas plutôt que des traités de 319/8 et de

315. Cf. supra, pp. 16-17.

R. B. Ph. et H. — XXXII. — 28.