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e.Bulletin du droit d’auteur avril – juin 2004 DOCTRINE ET OPINIONS JUST ANOTHER BRICK? LA COUR EUROPÉENNE DE JUSTICE SE PRONONCE SUR L'INTERFACE ENTRE LE DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE ET LE DROIT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE (IMS Health c. NDC Health, 29 avril 2004) Thomas Ramsauer* SOMMAIRE I. Le contexte ................................................................................................................................... 2 II. La décision de la Cour européenne de justice .......................................................................... 4 1. La première question....................................................................................................... 4 2. Les deuxième et troisième questions .............................................................................. 5 III. Commentaire ............................................................................................................................ 5 1. La CJCE et la question de l'interface .............................................................................. 6 2. Le champ d’application du droit d'auteur national n'est pas en cause ............................ 7 3. Des "circonstances exceptionnelles" dans l'affaire IMS Health ..................................... 8 (a) Trois conditions cumulatives .............................................................................. 9 (b) L'interprétation de la troisième condition relative à un marché dérivé ............... 9 (c) L'interprétation de la première condition relative à l'apparition d'un nouveau produit .............................................................................................................. 10 U

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e.Bulletin du droit d’auteur avril – juin 2004

DOCTRINE ET OPINIONS

JUST ANOTHER BRICK?

LA COUR EUROPÉENNE DE JUSTICE SE PRONONCE SUR L'INTERFACE

ENTRE LE DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE ET LE DROIT

DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

(IMS Health c. NDC Health, 29 avril 2004)

Thomas Ramsauer*

SOMMAIRE

I. Le contexte...................................................................................................................................2

II. La décision de la Cour européenne de justice..........................................................................4

1. La première question.......................................................................................................4

2. Les deuxième et troisième questions ..............................................................................5

III. Commentaire............................................................................................................................5

1. La CJCE et la question de l'interface ..............................................................................6

2. Le champ d’application du droit d'auteur national n'est pas en cause ............................7

3. Des "circonstances exceptionnelles" dans l'affaire IMS Health .....................................8

(a) Trois conditions cumulatives ..............................................................................9

(b) L'interprétation de la troisième condition relative à un marché dérivé...............9

(c) L'interprétation de la première condition relative à l'apparition d'un nouveau produit ..............................................................................................................10

U

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Par la décision préjudicielle très attendue qu'elle a rendue le 29 avril 20041 dans l'affaire IMS Health c. NDC Health, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a donné des repères sur l'équilibre à maintenir entre droits de propriété intellectuelle (DPI) et droit européen de la concurrence (articles 81 et suivants du Traité instituant la Communauté européenne, CE). En définissant dans les grandes lignes les circonstances dans lesquelles un détenteur de droit peut être contraint d'accorder une licence à des concurrents, cet arrêt pourrait se révéler particulièrement important pour le différend en cours entre Microsoft et la Commission européenne.

I. Le contexte

La société IMS Health rassemble et vend des données relatives aux ventes régionales de produits pharmaceutiques en Allemagne. Les sociétés pharmaceutiques achètent ces données, sur lesquelles elles fondent leurs stratégies de produits. Les données sont formatées selon une structure dite "modulaire". Les modules correspondent à des aires géographiques données déterminées dans un pays pour y analyser les ventes de médicaments. Pour l'Allemagne, la structure modulaire d'IMS comprend 1.860 modules2.

Théoriquement, n'importe qui peut élaborer sa propre structure modulaire en définissant différemment les limites géographiques des modules. Cependant, quand NDC Health, une société concurrente d'IMS, a tenté de s’implanter sur le marché, elle a constaté que ses données n'étaient pas commercialisables à moins d’être formatées selon la structure à 1.860 modules. La plupart des sociétés pharmaceutiques s'étaient habituées aux 1.860 modules et y avaient conformé leurs systèmes de distribution.

Les tribunaux nationaux ont établi que IMS ne faisait pas que commercialiser ses structures modulaires, mais qu'elle les distribuait aussi gratuitement aux pharmacies et cabinets médicaux. Pour les tribunaux nationaux, cette pratique contribuait à faire de ces structures la norme du secteur, à laquelle les clients avaient adapté leurs systèmes d'information et de distribution. De plus, IMS avait constitué quelques années auparavant un groupe de travail auquel participaient certains de ses clients. L'étendue de la contribution du groupe de travail à la définition de la segmentation du marché est un sujet de litige entre les parties.

Quand finalement NDC a regroupé ses données selon une structure très similaire à celle des 1.860 modules d'IMS, cette dernière a demandé et obtenu des tribunaux locaux allemands, en 20003, une injonction interlocutoire. Lors de cette procédure, la structure d'IMS a été considérée comme une base de données (ou une partie de base de données) protégeable au titre du droit d'auteur allemand. Confronté à l'imminence de la première injonction provisoire, NDC a tenté d’obtenir d'IMS la concession d'une licence d'utilisation de sa structure à 1.860 modules. Le refus

* Programme de formation Robert Bosch aux affaires internationales 2003-2004, Berlin-Paris. 1 Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 avril 2004, IMS Health GmbH & Co. OHG c. NDC Health

GmbH & Co. KG, affaire C-418/01. Non paru dans le rapport de la Cour européenne (ECR). 2 Ci-après dénommée la "structure à 1.860 modules". Ces modules ont été créés sur la base de divers

critères, tels que limites de communes, codes postaux, densité de population, réseaux de transports et répartition géographique des pharmacies et des cabinets médicaux.

3 Le Landgericht (Tribunal de grande instance) Frankfurt am Main a rendu le 27 octobre 2000 une injonction interlocutoire, qui a d'abord été confirmé par un jugement du Landgericht Frankfurt am Main du 16 novembre 2000 puis par un jugement du Oberlandesgericht Frankfurt am Main (Cour d'appel régionale) du 12 juillet 2001.

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d’IMS d'accorder une quelconque licence à NDC a eu pour résultat une suite complexe de décisions, tant au plan national qu’au plan européen4.

En particulier, à la suite d'une plainte déposée par NDC, la Commission européenne a ordonné à IMS, à titre de mesure provisoire, d'accorder à ses concurrents une licence de son droit d'auteur, considérant à première vue son refus comme un abus de position dominante au sens de l'article 82 du Traité CE5. La Commission a considéré que la structure à 1.860 modules créée par IMS était devenue la norme du secteur pour le marché concerné. Refuser l'accès à cette structure, sans justification objective, éliminerait probablement toute concurrence sur le marché en question car, sans cette structure, il serait impossible de s'y maintenir6. Dans une procédure engagée par IMS devant le Tribunal de première instance (TPI) rattaché à la Cour de justice pour obtenir des mesures provisoires, le TPI a, cependant, ordonné le sursis à exécution de la décision de la Commission, suggérant qu'elle était peut-être trop écartée de la jurisprudence communautaire existante pour les besoins d'une demande de mesures provisoires7.

Dans la procédure qui est à l'origine du présent arrêt de la CJCE, IMS poursuit devant les tribunaux allemands l'objectif consistant à interdire à NDC l'utilisation de sa structure à 1.860 modules. Quant aux conclusions de la Commission, le Landgericht (tribunal de grande instance) Frankfurt am Main a entre-temps considéré qu'IMS ne peut pas exercer son droit d'obtenir une injonction si elle agit de façon abusive au sens de l'article 82 CE, en refusant d'octroyer une licence à NDC à des conditions raisonnables. Il a par conséquent décidé de surseoir à statuer et de renvoyer à la CJCE trois questions préjudicielles concernant l'interprétation de l'article 82 CE.

4 Dans une autre procédure devant les tribunaux allemands, sans lien avec la présente affaire,

l'Oberlandesgericht (OLG) Frankfurt am Main dans un jugement du 17 septembre 2002 a considéré IMS et les membres de son groupe de travail comme co-auteurs et a rejeté pour des motifs de procédure la demande de la société, de protection au titre du droit d'auteur. Au lieu de cela, le tribunal a recherché une solution fondée sur le droit de la concurrence déloyale (Loi allemande sur la concurrence déloyale).

5 L'article 82 CE est ainsi libellé : "Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : (a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de

transaction non équitables ; (b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des

consommateurs ; (c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations

équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ; (d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations

supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats".

6 Voir la décision 2002/165/EC de la Commission relative à une procédure d'application de l'article 82 du Traité CE, Affaire COMP D3/38.044 – NDC Health c. IMS Health : mesures provisoires, JO 2002 L 59, 18.

7 Par ordonnance du 26 octobre 2001, affaire T-184/01, IMS Health c. Commission [2001] ECR II-3193, le Président du Tribunal de première instance a ordonné le sursis à l'exécution de la décision 2002/165. Le pourvoi formé contre cette ordonnance a été rejeté, par ordonnance du Président du Tribunal de première instance dans l'affaire C-481/01 NDC Health c. IMS Health et Commission P(R) [2002] ECR I-3401. Dans l'intervalle, la Commission a retiré sa décision 2002/165, en se fondant sur le fait qu'il n'y avait plus urgence à imposer des mesures, dans l'attente de la décision de la Commission clôturant la procédure administrative ; voir décision 2003/741/EC du 13 août 2003 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (affaire COMP D3/38.044 – NDC Health c. IMS Health : mesures provisoires, JO 2003 L 268, 69.

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Dans sa première question, la principale, la juridiction nationale a demandé si et dans quelles circonstances le refus, par une entreprise en position dominante sur un marché et titulaire d'un droit de propriété intellectuelle sur un produit indispensable pour opérer sur ce même marché, d'accorder une licence d'utilisation de ce produit est susceptible de constituer une pratique abusive au sens de l'article 82 CE.

Par sa seconde question, le tribunal national a cherché à établir dans quelle mesure la participation des utilisateurs au développement de la base de données à 1.860 modules a une incidence sur la question du comportement abusif.

La troisième question enfin a trait à l'incidence de l'effort d'adaptation que devraient consentir les utilisateurs potentiels pour pouvoir acquérir des produits reposant sur une structure différente.

II. La décision de la Cour européenne de justice

1. La première question

La Cour rappelle d'abord que selon une jurisprudence bien établie, le droit exclusif de reproduction fait partie des prérogatives du titulaire des droits de propriété intellectuelle, de sorte que le refus d'accorder une licence, même si c'est le fait d'une entreprise en position dominante, ne saurait constituer un abus de position dominante que dans des circonstances exceptionnelles8. Se référant aux arrêts Bronner9 et Magill10, la Cour cite les trois conditions cumulatives qui suffisent pour établir l'existence de circonstances exceptionnelles :

le refus doit faire obstacle à l'apparition d'un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs ;

il doit être dépourvu de justification ; et

il doit être de nature à exclure toute concurrence sur un marché dérivé11.

Pour ce qui est de l'application de ces principes à la présente affaire, le premier et le troisième élément font l'objet d'un examen détaillé.

Au sujet de l'apparition d'un produit nouveau, la Cour met en exergue que cet élément tient compte du fait que, dans la mise en balance de la protection des droits de propriété intellectuelle et de la protection de la libre concurrence, cette dernière ne saurait l'emporter que dans le cas où le refus d'accorder une licence empêche le développement d'un marché dérivé, au détriment des consommateurs. Dès lors, le refus d'accorder l'accès à un produit protégé par le droit d'auteur ne peut être considéré comme abusif que dans le cas où la demande ne vise pas, pour l'essentiel, à reproduire des biens ou des services qui sont déjà offerts sur le marché dérivé par le titulaire du droit de propriété intellectuelle. Il revient à la juridiction nationale de déterminer si tel est le cas12.

Quant à la nécessité de l'existence d'un marché dérivé au sens de la troisième condition, la Cour estime qu'il suffit qu'un marché potentiel, voire hypothétique, puisse être identifié. Tel est le

8 IMS Health c. NDC Health, op cit., paragraphe 34. 9 Oscar Bronner c. Mediaprint, affaire C-7/97, [1998] ECR I-7791 ; voir infra III. 10 Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) c. Commission, affaires

jointes C-241/91 P et C-242/91 P, [1995] ECR I-0743 ; en appel de RTE c. Commission, affaire T-69/89, [1991] ECR II-0485 et ITP c. Commission, affaire T-76/89, [1991] ECR II-0575 ; voir infra III.

11 IMS Health c. NDC Health, op. cit., paragraphe 37. 12 IMS Health c. NDC Health, op. cit., paragraphes 49 à 50.

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cas selon la CJCE dès lors que ces produits ou services sont indispensables à l'exercice d'une activité donnée et correspondent à une demande réelle. Selon la Cour, il est donc fondamental de pouvoir identifier deux stades de production distincts, avec un produit élaboré en amont indispensable à la fourniture du produit d'aval. La juridiction nationale est donc invitée à établir si la structure à 1.860 modules constitue, en amont, un facteur indispensable à la fourniture, en aval, de données sur les ventes régionales en Allemagne de produits pharmaceutiques. De même, il appartient à la juridiction nationale d'examiner si le refus par IMS d'accorder une licence est de nature à empêcher toute concurrence sur ce marché13.

2. Les deuxième et troisième questions

Pour la Cour, les deux questions suivantes concernent le postulat sur lequel repose la première question, puisqu'elles visent, en substance, à connaître les critères pertinents pour apprécier si l'utilisation de la structure à 1.860 modules est indispensable à un concurrent potentiel pour accéder au marché. Ç'est pourquoi elles sont traitées ensemble dans la décision14.

La Cour déduit de l'arrêt Bronner que, pour déterminer si un produit ou un service est indispensable à l'activité d'une entreprise sur un marché particulier, la juridiction nationale doit examiner s'il existe des solutions alternatives. Pour pouvoir admettre l'existence d'obstacles économiques, il doit à tout le moins être établi que la création de ces produits ou services ne serait pas économiquement rentable pour une échelle de production comparable à celle de l'entreprise qui contrôle le produit ou le service existant15.

Dans ce contexte, la juridiction nationale se voit priée de prendre en considération le fait qu'un haut degré de participation des laboratoires pharmaceutiques à la mise au point de la structure à 1.860 modules, à supposer qu'il soit établi, a créé une dépendance des utilisateurs, notamment sur le plan technique. Dans ces conditions, les juges européens estiment probable que ces laboratoires auraient à consentir un effort financier et d'organisation considérable pour pouvoir acquérir un produit reposant sur une autre structure. Le fournisseur de cette structure alternative pourrait ainsi être contraint d'offrir des conditions excluant toute rentabilité économique16.

III. Commentaire

En Europe comme aux États-Unis, la question de l'interface entre le droit de la concurrence et le droit de la propriété intellectuelle a pris de plus en plus d'importance au cours de la dernière décennie. Bien que ces deux branches du droit visent l'une et l'autre à promouvoir l'innovation et la satisfaction du consommateur, des conflits surgissent lorsque le monopole limité conféré par un droit de propriété intellectuelle menace d'entraver la concurrence sur un marché donné. Les rapports entre les règles de concurrence de l'Union européenne et la protection des droits de propriété intellectuelle sont encore compliqués par le fait que la réglementation de la propriété intellectuelle relève de la législation nationale17. Le présent arrêt a donné à la CJCE l'occasion de consolider sa

13 IMS Health c. NDC Health, op. cit., paragraphes 44 à 47. 14 IMS Health c. NDC Health, op. cit., paragraphe 24. 15 IMS Health c. NDC Health, op. cit., paragraphe 28. 16 IMS Health c. NDC Health, op. cit., paragraphe 29. 17 Voir l'article 295 CE : "Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États

membres".

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position concernant la question de l'octroi obligatoire de licences et de mieux préciser les circonstances dans lesquelles celui-ci peut être autorisé18.

1. La CJCE et la question de l'interface

Les premières décisions de la CJCE, qui portaient principalement sur la prévention des pratiques restrictives au sens de l'article 85 du traité instituant la Communauté européenne (devenu l'article 81 CE)19, cherchaient à préciser le champ des règles de concurrence de l'UE en même temps que la démarcation des compétences entre la Communauté européenne et les législations nationales. Ç'est dans ce contexte qu'a été établie20 la distinction théorique entre l'existence et l'exercice d'un DPI, à laquelle la Cour se réfère dans le présent arrêt. De plus, la Cour a recouru à la notion de "droits essentiels" selon laquelle le droit européen doit laisser intacte "la substance spécifique" d'un DPI mais peut affecter des droits adjacents. À l'origine, ces deux concepts ont trouvé leur application dans des affaires d'interférence entre des droits de propriété intellectuelle et les règles de libre circulation des marchandises21.

Les affaires Volvo c. Veng22 et CICRA c. Renault23 ont été les premières affaires ayant fait jurisprudence sur la question qui est également au centre du procès IMS Health, à savoir : est-ce qu'un refus de concession de licence d'un DPI peut être abusif ? Les constructeurs automobiles détenaient le droit de propriété intellectuelle (un modèle déposé) sur des éléments de carrosserie de leurs voitures et refusaient d'accorder des licences à des fabricants de pièces détachées indépendants qui voulaient imiter leurs modèles. Quand la CJCE a déclaré, dans l'affaire Volvo, que le droit d'un titulaire de DPI d'interdire à des tiers toute utilisation non autorisée constitue "la substance de son droit exclusif", et qu'en conséquence, le fait d'imposer une concession de licence non volontaire affecterait "la substance" du droit en question, beaucoup conclurent que les DPI étaient à l'abri des règles de concurrence de l'UE24.

18 D'autres questions touchant l'interface PI/concurrence concernent le cloisonnement géographique des

marchés (cf. les affaires Sirena S.r.l. c. Eda S.r.l. et autres, affaire 40-70, [1971] ECR 0069, et Van Zuylen Frères c. Hag AG, affaire 192/73, [1974] ECR 731) ou, s'agissant de développements récents, la concession de licences collectives de droits d'auteur dans le domaine musical (cf. la procédure en cours de la Commission COMP/38.126 du 03.05.2004 contre l'activité concertée de société de gestion collective de droits d'auteurs à propos de l'exécution publique d'œuvres sur l'Internet), ainsi que la validité d'accords de transfert technologique (cf. Règlement (CE) n° 772/2004 de la Commission du 27 avril 2004).

19 L'article 81 CE interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

20 Pour la première fois, voir Établissements Consten et Grundig c. Commission, affaires 56 et 58/64, [1966] ECR 429.

21 Articles 30 à 36 du Traité instituant la Communauté européenne (articles actuels 28-30 CE). Voir Centrafarm c. Winthrop, affaire 16-74, [1974] ECR 1183 ; Centrafarm c. Sterling Drug, affaire 15-74, [1974] ECR 1147.

22 AB Volvo c. Erik Veng (UK) Ltd, affaire 238/87, [1988] ECR 6211. 23 CICRA c. Renault, affaire 53/87, [1988] ECR 6039. 24 Volvo c. Veng, op. cit., paragraphe 8. Ce point de vue, cependant, n’a pas tenu compte du fait que la

Cour, dans le paragraphe 9 suivant, laissait expressément la porte entrouverte à la possibilité de conclure à un comportement abusif dans d'autres circonstances.

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Sept ans plus tard, l'affaire Magill25 montra clairement qu'un tel point de vue était trop schématique. Les chaînes de télévision de Grande-Bretagne et d'Irlande publiaient séparément leurs grilles de programmes de la semaine suivante dans leurs guides hebdomadaires respectifs. Lorsque Magill, un magazine TV, a voulu éditer un guide complet présentant tous les programmes de toutes les chaînes côte à côte, les sociétés de télévision ont essayé de l'en empêcher en excipant de leurs droits d'auteur respectifs. La CJCE trancha en faveur de Magill. Elle rejeta explicitement l'argument selon lequel les DPI ne tombaient pas sous le coup du droit de la concurrence, en soulignant que l'exercice d'un droit exclusif pouvait, dans des circonstances exceptionnelles, se traduire par un comportement abusif26. C'est pour apprécier la présence de ces "circonstances exceptionnelles" que les juges ont introduit les trois conditions sur lesquelles le présent arrêt est également fondé.

L'affaire IMS Health a donné à la Cour l'occasion de confirmer l'approche adoptée dans l'affaire Magill27. Il est significatif qu'elle ne fasse plus référence à la "substance" du DPI en cause. De plus, s'étant déjà référée à l'affaire Magill dans son arrêt Bronner, concernant une affaire où il n'était pas du tout question de propriété intellectuelle, la Cour a démontré que les critères qui y étaient énoncés ne se limitaient pas à l'interface DPI/concurrence28. Par conséquent, la CJCE semble être en voie d'adopter une vue globale de l'abus de position dominante dans les cas de "refus de traiter", que les droits aient un contenu matériel ou immatériel. À cet égard, il faut reconnaître que l'application constante qui est faite de la distinction "existence/exercice" n'est pas d'une grande aide, comme le déplorent d'innombrables commentateurs. Cependant, elle permet de déplacer l’attention d’une question inappropriée, celle de savoir si un droit de propriété intellectuelle peut être assujetti à des mesures fondées sur le droit de la concurrence, vers celle des circonstances dans lesquelles ce peut être le cas. Sur ce point, l'arrêt IMS Health a apporté des éclaircissements.

2. Le champ d’application du droit d'auteur national n'est pas en cause

Il convient de noter que, comme dans l'affaire Magill, la CJCE n'a pas expressément remis en question le maintien d'un droit d'auteur national sur l'objet en cause, c'est-à-dire sur la structure à 1.860 modules d'IMS. La législation allemande sur le droit d'auteur protège les ensembles de données qui, de par le choix ou l'agencement de leurs éléments, constituent une création intellectuelle personnelle en tant qu'œuvres indépendantes29. Cette disposition donne effet à l'article 3, paragraphe 1, de la Directive européenne sur les bases de données, qui vise à rendre le critère d'originalité moins rigoureux30. C'est la raison pour laquelle les tribunaux allemands ont déclaré que la structure à 1.860 modules pouvait bénéficier de la protection du droit d'auteur.

25 Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) c. Commission, affaires

jointes C-241/91 P et C-242/91 P, [1995] ECR I-0743 ; en appel de RTE c. Commission, affaire T-69/89, [1991] ECR II-0485 et ITP c. Commission, affaire T-76/89, [1991] ECR II-0575.

26 Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) c. Commission, affaires jointes C-241/91 P et C-242/91 P, [1995] ECR I-0743, op. cit., paragraphe 48.

27 Auparavant, le TPI s'était déjà référé à l'arrêt Magill, sans autre appréciation, dans l'affaire Tiercé Ladbroke SA c. Commission, affaire T-504/93, [1997] ECR II-0923.

28 Oscar Bronner c. Mediaprint, affaire C-7/97, [1998] ECR I-7791. M. Bronner, propriétaire d'un petit quotidien, avait introduit une action au titre de l'article 82 CE contre Mediaprint, le principal éditeur de journaux quotidiens en Autriche qui lui avait refusé l'accès à son système national de livraison à domicile.

29 Voir article 4, paragraphe 2, de la Loi allemande sur le droit d'auteur (Urheberrechtsgesetz). 30 Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection

juridique des bases de données, JO 1996 L 77, pages 20 à 28. Voir également le paragraphe 15 du préambule de la Directive, qui souligne que "cette protection vise la structure de la base". Le droit d'auteur proprement dit protégeant les bases de données en raison de la disposition des matières,

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Pourtant, des critiques font valoir que le découpage d'un pays en 1.860 unités peut être considéré comme une simple méthode de recueil et de présentation de données31. Or, un principe courant du droit de la propriété intellectuelle veut que de simples méthodes ne puissent pas être admises au bénéfice du droit d'auteur32. De ce point de vue l'arrêt IMS Health montre à quel point la protection des bases de données a élargi le champ du droit d'auteur. En même temps, il devient manifeste que la possibilité de s'assurer le monopole de méthodes de sélection, conjuguée au besoin croissant de normalisation des industries, est de nature à porter atteinte à la concurrence33.

L'affaire IMS Health a donc été pour certains l'occasion de considérer que les règles européennes de concurrence offraient un outil commode pour restreindre les DPI nationaux ayant un contenu discutable. Ainsi, les mesures ordonnées par la Commission ont été interprétées comme destinées à jouer un rôle correcteur face à une application nationale aberrante du droit d'auteur34. Des points de vue similaires s'étaient déjà exprimés lors du procès Magill à propos de la protection par le droit d'auteur de simples grilles de programmes de télévision au Royaume-Uni35.

La question de savoir dans quelle mesure ces considérations ont influé sur la décision de la CJCE, ainsi que sur celle du TPI, dans la présente affaire comme dans l'affaire Magill, est ouverte à la spéculation. Les juges européens ont décidé qu'il ne leur appartenait pas de se prononcer sur la pertinence des DPI nationaux. Cependant, leur silence absolu sur la question ne permet pas de comprendre comment la recherche d'un équilibre entre l'effort créatif du titulaire de droit d'un côté, et les avantages économiques découlant du droit en cause de l'autre, pourrait être intégrée de façon cohérente à l'appréciation des "circonstances exceptionnelles" constitutives du comportement abusif selon l'article 82 du Traité CE36. En dernière analyse, il reste à voir comment la Cour statuerait dans des circonstances analogues s'il s'agissait d'une œuvre ou d'une invention technologique moins sujette à controverse.

3. Des "circonstances exceptionnelles" dans l'affaire IMS Health

La présente décision préjudicielle concerne exclusivement la question de savoir dans quelles circonstances il peut y avoir abus d'une position dominante présumée au regard de l'article 82 CE. La définition sous-jacente du marché concerné et le point de savoir si IMS y occupait une position dominante de par son droit d'auteur sur la structure à 1.860 modules n'étaient pas en cause et

conformément à l'article 3, paragraphe 1, de la Directive sur les bases de données, ne doit pas être confondu avec la protection sui generis prévue à l'article 7 de cette même directive.

31 Voir par exemple Heinemann, in: Baudenbacher/Simon (dir. publ.), Neueste Entwicklungen im europäischen und internationalen Immaterialgüterrecht (2003), page 207.

32 Comme il est dit expressément par exemple à l'article 9, paragraphe 2, de l'Accord sur les ADPIC. 33 La Directive sur les bases de données, au paragraphe 47 de son préambule, reconnaît que la protection

sui generis des bases de données non originales peut avoir des effets défavorables sur la concurrence mais ne contient pas de disposition analogue en ce qui concerne la protection par le droit d'auteur au sens de l'article 3, paragraphe 1.

34 Par exemple Forrester, “Compulsory licensing in Europe: a rare cure to aberrant national intellectual property rights?” (2002), http://www.ftc.gov/opp/intellect/020522forrester.pdf, page 25. Ces opinions sont cependant contrées par Heinemann, op. cit., page 217.

35 La Commission notamment a contesté dans ses observations devant le TPI la valeur intrinsèque d'un droit d'auteur pour des listes de programme de télévision, voir RTE c. Commission, affaire T-69/89, op. cit., paragraphe 45.

36 Heinemann, op. cit., à la page 218, propose, en dernière analyse, de mettre en balance l'ensemble des intérêts en jeu, ce qui permettrait de prendre en considération la valeur intrinsèque du DPI concerné.

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relèvent en dernière analyse de l'appréciation de la juridiction nationale37. Ciblant ainsi son examen sur un aspect limité, la Cour a pu préciser davantage son approche telle qu'exposée dans l'arrêt Magill.

(a) Trois conditions cumulatives

L'arrêt Magill avait laissé pendante la question de savoir si les trois conditions exposées dans cette décision doivent être remplies cumulativement ou non, contrairement à l'opinion émise par la Commission européenne et par NDC ainsi que par de nombreux commentateurs38, la Cour a désormais conclu par l'affirmative. Cette approche est particulière dans la mesure où elle combine deux critères qui concernent des formes d'abus différentes selon l'article 82 CE.

L'apparition d'un nouveau produit est un facteur pertinent pour déterminer si une pratique limite la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs au sens de l'article 82, paragraphe 2, alinéa (b) du Traité CE. Par contre, l'exploitation d'une position dominante pour se réserver un marché d'aval constitue une infraction distincte au regard de l'article 82 CE, infraction non expressément visée dans la liste du deuxième paragraphe de cet article. Comme c'est le maintien de la concurrence sur le marché dérivé qui est en question dans ces affaires, il semble que l'on puisse se passer de toute condition supplémentaire concernant l'apparition d'un produit nouveau. C'est notamment le point de vue soutenu par les partisans de la doctrine dite des « biens essentiels » (essential facilities)39 à laquelle la Commission40, comme l'avocat général, ont fait allusion dans l'affaire IMS Health41.

Cependant, les juges européens ont cherché à établir un contrepoids supplémentaire, de peur que l'application pure et simple de la notion de « biens essentiels » ne mène trop loin. À cet égard, il convient de noter que ni la CJCE ni le TPI ne s'étaient jusqu'ici référés explicitement à cette doctrine et qu'ils ne l'ont pas fait non plus cette fois encore. En fin de compte, la décision de la Cour a fait de la condition relative à l'empêchement de l'apparition d'un produit nouveau un élément crucial, créant ainsi un besoin de clarification ultérieure42.

(b) L'interprétation de la troisième condition relative à un marché dérivé

Dans l'affaire Magill, les chaînes de télévision étaient accusées d'exploiter leur monopole de reproduction de leurs grilles de programmes pour s'assurer un monopole sur le marché distinct des guides hebdomadaires. IMS et sa concurrente NDC, au contraire, opéraient toutes deux sur le même marché, et la première cherchait seulement, apparemment, à protéger son activité principale. Invoquant cette différence, IMS a soutenu que la troisième condition posée dans l'arrêt Magill, concernant la monopolisation d'un marché dérivé, n'était pas remplie, du fait qu'il ne s'agissait pas en l'espèce de deux marchés distincts. La Commission et NDC, en revanche, sans contester la

37 Pour que l'article 82 s'applique, les éléments suivants doivent être réunis (voir : United Brands c.

Commission, affaire 26/76, [1978] ECR 207 ; Hoffmann-La Roche c. Commission, affaire 85/76, [1979] ECR 461) : - une position dominante à l'égard d'un produit concerné et un débouché géographique à l'intérieur du

marché commun ; - un comportement abusif ; et - des répercussions potentielles appréciables sur les échanges entre États membres.

38 Voir par exemple Cour d'appel (Royaume-Uni), Intel/Via Technologies, 20 décembre 2002, paragraphe 47 et suivants, et Heinemann, op. cit., page 215.

39 Voir Heinemann, op. cit., page 212 et suivantes. 40 COMP D3/38.044 – NDC Health c. IMS Health, op. cit., paragraphe 63 et suivants. 41 Opinion de l'avocat général Tiziano du 2 octobre 2003, affaire C-418/01, paragraphe 35 et suivants. 42 Voir infra III.3 (c).

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différence existant entre les affaires Magill et IMS Health, ont soutenu qu'il suffisait que l'entreprise en position dominante dispose d'un monopole sur une infrastructure indispensable, n'ayant pas nécessairement à être sur un autre marché, pour éliminer toute concurrence.

La Cour a vu l'affaire sous un angle complètement différent. D'abord, elle a indiqué clairement que la notion de marché dérivé exige que deux marchés soient en cause. Ensuite, la Cour a eu l'occasion de souligner que l'identification d'un marché d'amont simplement hypothétique suffit déjà à satisfaire à la condition de deux marchés distincts. Par conséquent, il n'est pas nécessaire que l'infrastructure en question ait été effectivement commercialisée jusque-là. Dès lors, la différence configuration perçue entre les affaires Magill et IMS Health devient moins évidente : on peut soutenir que le découpage d'un territoire en 1.860 modules est une activité distincte de celle qui consiste à rassembler et traiter des données, de même qu'établir des grilles de programmes de télévision n'est pas la même chose qu'éditer un guide de télévision hebdomadaire.

L'arrêt IMS Health éclaire par conséquent le raisonnement de base de la démarche de la CJCE, à savoir que le caractère abusif particulier du comportement observé dans une affaire telle que celle-ci tient à la tentative faite par le titulaire du droit de porter atteinte à la concurrence sur un autre marché. Sinon, la simple propriété de l'infrastructure en cause obligerait automatiquement le propriétaire à la partager, même en l'absence de tout comportement répréhensible43. Dès lors, l'identification précise des marchés pertinents concernés devient décisive. L'affaire a montré que s'attacher simplement au domaine d'activité effectif des parties serait négliger l'essentiel.

Enfin, s'agissant de la réponse aux deuxième et troisième questions du tribunal qui a renvoyé l'affaire à la CJCE, la décision est plus précise quant aux éléments à prendre en considération pour déterminer si une infrastructure donnée est indispensable pour opérer sur un marché dérivé particulier. La CJCE se montre favorable à une approche économique globale prenant en compte tous les aspects qui pourraient contribuer à la viabilité de solutions alternatives, en particulier l'effort d'adaptation des clients potentiels ainsi que leur participation antérieure aux travaux de développement.

(c) L'interprétation de la première condition relative à l'apparition d'un nouveau produit

Comme indiqué ci-dessus, la détermination de ce qui constitue un produit nouveau devient dorénavant décisive. Les juges européens ont laissé cette tâche plutôt ingrate à la juridiction nationale. Il y a lieu de penser cependant qu'avec d'autres affaires, telles que le procès Microsoft, se profilant à l'horizon, cette question pourrait bientôt revenir devant la CJCE44.

D'après la CJCE, la notion de produit nouveau suppose que l'on ne demande pas la concession d'une licence dans l'intention de "reproduire en substance" les biens et services déjà offerts par le titulaire du droit. En l'espèce, NDC prétendait que ses compilations étaient obtenues par une technologie différente et qu'elles capturaient davantage de données. Il reste à voir si ces éléments seront admis comme suffisants. 43 Ce point est particulièrement mis en exergue, notamment, par Heinemann, op. cit., page 212. 44 Voir la décision de la Commission du 24 mars 2004 relative à une procédure engagée en vertu de l'article

du Traité 82 CE, affaire COMP/C-3/37.792, Microsoft. D'après la Commission, la société Microsoft a eu un comportement abusif au sens de l'article 82 CE en s'appuyant sur son quasi-monopole sur le marché des systèmes d'exploitation de PC pour faire pression sur les marchés des systèmes d'exploitation (OS) pour serveurs de groupe de travail et des lecteurs multimédias. La question de savoir dans quelle mesure ce comportement est susceptible d'empêcher l'apparition d'un produit nouveau reste à examiner. Voir aussi Vinje/Morfey, Abuse of dominance Microsoft: The European Commission takes a stand (2004), www.cliffordchance.com/uk/ pdf/microsoft.pdf.

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La justification de la doctrine des « biens essentiels », telle qu'exposée ci-dessus, suppose que l'on ne se place pas dans une perspective trop étroite45. De plus, puisque la condition relative à l'apparition d'un produit nouveau a été explicitement instaurée en tant que garde-fou supplémentaire au bénéfice du droit de propriété intellectuelle concerné, l'application de ce critère pourrait être l'occasion de tenir compte de l'étendue de la protection que ce droit était destiné à offrir46.

45 Voir supra III.3 (a). 46 Voir supra III.2.

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DEVELOPPEMENTS JURIDIQUES

LE NOUVEAU RÉGIME DU DROIT D'AUTEUR EN CROATIE

Professeur docteur Igor Gliha*

Sommaire

1. Introduction......................................................................................................................2

2. Brève description historique de l'évolution du droit d’auteur en Croatie ........................2

3. Les sources juridiques du droit d’auteur en Croatie ........................................................4

3.1. La Constitution.......................................................................................................4

3.2. La législation..........................................................................................................5

3.3. Les traités internationaux.......................................................................................6

4. Éléments nouveaux par rapport à la loi précédente .........................................................6

4.1. Le droit d’auteur : contenu et limitations...............................................................6

4.2. Les droits voisins ...................................................................................................7

4.3. Règles communes au droit d’auteur et aux droits voisins.....................................9

4.3.1. Transfert de droits .......................................................................................9

4.3.2. Application................................................................................................10

4.3.3. Contentieux ...............................................................................................11

4.4. Droits des étrangers................................................................................................11

* Professeur de droit civil, spécialiste du droit d’auteur, à la Faculté de droit de l’Université de Zagreb.

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1. Introduction

Le 30 octobre 2003, une nouvelle loi sur le droit d’auteur et les droits voisins1 a été adoptée en Croatie. Cette nouvelle loi vise plusieurs objectifs : adapter le régime du droit d’auteur aux nécessités de la société de l’information, c’est-à-dire tenir compte de l'avènement des nouvelles technologies (qui ont plus pesé sur le droit d’auteur que sur n'importe quelle autre branche du droit) ; poser les fondements nécessaires à une meilleure application du droit d’auteur et des droits voisins ; respecter les obligations croates découlant des traités de l'OMPI de 1996, ainsi que celles émanant de l’Accord de stabilisation et d’association entre la Croatie et l’Union européenne (ASA), qui prévoit l'harmonisation du régime du droit d'auteur avec l’acquis communautaire2 de l’Union européenne.

Ces objectifs principaux ont été atteints avec l'adoption de la nouvelle loi sur le droit d'auteur. Cependant, cette adoption a produit dans le système juridique croate des changements importants, qui ne se sont pas encore traduits dans la pratique. La nouvelle loi sur le droit d'auteur instaure un nouveau droit d’auteur national qui abroge et remplace la législation sur le droit d’auteur croate héritée du précédent système juridique yougoslave (loi sur le droit d'auteur (Zakon o autorskom pravu) de 19783). Il a fallu à la Croatie plus de temps que les autres pays qui ont fait partie, comme elle, de l’ex-République yougoslave de Macédoine, pour adopter une nouvelle législation nationale sur le droit d’auteur.

2. Brève description historique de l'évolution du droit d’auteur en Croatie

En Croatie, l'histoire de la réglementation en matière de droit d’auteur remonte à près de deux cents ans, ce que l’on ignore en général, et qui montre la longue tradition de filiation existant entre le système juridique croate et ses sources en Europe occidentale. Les questions de droit d’auteur ont été réglementées pour la première fois sous la domination napoléonienne. À cette époque, une grande partie de l’actuelle Croatie était intégrée aux Provinces illyriennes4. En vertu d’un décret impérial du 1er janvier 18125, les Provinces illyriennes se trouvèrent assujetties à la loi française, ce 1 Loi sur le droit d’auteur et les droits voisins (Zakon o autorskom pravu i srodnim pravima ZAPSP),

Official Gazette (OG) (Narodne novine), n° 167/2003, 22 octobre 2003.

2 L’ensemble de la législation de l’Union européenne est connu sous le nom d’acquis communautaire. Celui-ci comprend tous les traités, règlements et directives adoptés par les institutions de l’Union européenne ainsi que les jugements rendus par la Cour européenne de justice.

3 La loi sur le droit d'auteur de 1978 a été héritée de la législation de l’ancienne Yougoslavie via la Loi sur le transfert de la législation fédérale dans les domaines de l’éducation et de la culture (Zakon o preuzimanju saveznih zakona iz oblasti prosvjete i kulture) (JO n° 53/91). Elle a été modifiée en 1993 et 1999 (JO n° 9/99, 76/99, 127/99 et 67/2001).

4 Les Provinces illyriennes (Illyrie) comprenaient la Dalmatie, la République de Dubrovnik, qui fut sous domination française à partir de 1805, l’Istrie, et les territoires croates au sud de la Save, un des affluents du Danube. Outre les pays croates, les Provinces illyriennes comprenaient la Carniole slovène et la Carinthie occidentale. Les Provinces illyriennes ont été créées en 1809 puis démantelées après la défaite de Napoléon en Russie en 1813. Voir, Beuc, I. : Povijest država i prava na području SFRJ [Histoire des États et des systèmes juridiques sur le territoire de la République socialiste fédérative de Yougoslavie], Zagreb, 1986, p. 19; Šišić, F. : Pregled povijesti hrvatskog naroda [Aperçu de l’histoire de la nation croate], Zagreb, 1962, p. 383-390.

5 Télégraphe officiel des Provinces illyriennes [Journal Officiel de l’Illyrie], 1811, articles 249 et 250, section XII sur la publication et l’introduction de la législation française dans les Provinces illyriennes, p. 179.

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qui rendit les lois françaises régissant le droit d’auteur (adoptées après la Révolution française) applicables dans les territoires croates. Ces lois sont restées en vigueur peu de temps, jusqu’à la cession de l’Illyrie en 1813 ; puis le système juridique antérieur fut rétabli par la suite6. Aucune législation propre au droit d’auteur n’a existé en Croatie jusqu’en 1846, date à laquelle la Patente autrichienne pour la protection de la propriété littéraire et artistique s'est appliquée en Dalmatie et en Istrie (territoires croates ne relevant pas de la compétence législative du Parlement croate, puisqu’ils avaient été incorporés dans la partie autrichienne de l’empire austro-hongrois). Cette même Patente a été votée en Croatie et en Slavonie (territoires croates qui, à l’époque, dépendaient au plan législatif du Parlement croate) et est entrée en vigueur le 1er mai 1853, en même temps que la loi correspondante en Autriche7. Cette Patente à laquelle il était reproché de protéger insuffisamment les auteurs a été remplacée par la loi sur le droit d’auteur adoptée par le Parlement hungaro-croate le 1er juillet 18848. Cette loi accordait aux auteurs d'oeuvres littéraires, scientifiques, musicales et artistiques un droit d'auteur sur ces oeuvres, en tant que droit subjectif distinct et séparé. Dans les territoires croates appartenant à l’Empire austro-hongrois, la Patente de 1846 a été remplacée par la loi autrichienne sur le droit d’auteur relatif aux œuvres littéraires, artistiques et photographiques du 26 décembre 1895, révisée le 26 février 1907.

En 1918, au lendemain de la première guerre mondiale, tous les territoires croates intégrèrent une nouvelle communauté d’États, union des nations slaves du sud, ce qui ne manqua pas d'avoir des répercussions sur le droit d’auteur. Ainsi, à partir de 1929 le droit d’auteur s’est trouvé régi par la loi sur la protection du droit d’auteur de 1929 (Zakon o zaštiti autorskog prava) du Royaume de Yougoslavie, qui a remplacé toutes les lois préexistantes.

L’histoire agitée de la Croatie se poursuivant après la fin de la deuxième guerre mondiale, la Croatie s’est trouvée membre d’une nouvelle communauté de nations slaves du sud, où le royaume avait fait place à une république socialiste, ce qui modifia substantiellement le système de droit privé. Une loi de protection du droit d’auteur a été adoptée en 1946, qui a été élaborée sous l’influence marquée de l’idéologie soviétique, conformément à la pensée juridique du moment. Contrairement aux lois précédentes, celle-ci a fortement restreint les droits des auteurs, au profit de la collectivité, en allant au-delà des limites fixées dans la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Toutefois, comme la forte pression des Soviétiques en Yougoslavie s’est révélée somme toute éphémère9, la loi sur la protection du droit d’auteur de 1946

6 Quand on parle d’une tradition de près de deux cents ans du droit d'auteur sur le territoire de la

République de Croatie, il faut préciser qu'il y a eu une discontinuité au cours de cette période : entre la date de la cession de l'illyrie et celle de la promulgation de la loi sur la protection de la propriété littéraire et artistique, le droit d’auteur n’a pas été particulièrement réglementé, si ce n’est que le code civil de l’époque (L’Allgemeines Bűrgerliches Gesetzbuch autrichien, ABGB) comprenait des dispositions concernant les contrats d’édition (paragraphes 1164-1171 ABGB) qui réglementaient les droits et obligations d’un auteur en cas de publication de son œuvre.

7 L'entrée en vigueur en Croatie et Slovénie de la loi sur la protection de la propriété littéraire et artistique a été liée à celle de l’ABGB. À savoir que, l’article VII (5) de la Patente impériale du 29 novembre 1852, par laquelle l’ABGB a été introduite en Croatie et Slovénie, dispose qu'aux fins de la protection de la "propriété littéraire et artistique", cette loi "devait y être ajoutée" et que les dispositions concernant les contrats d’édition devaient être "modifiées et revues".

8 Zakon o autorskom pravu, zakonski članak, XVI, 1884, zb. br. 30. On remarquera que cette loi ne comprenait aucune disposition relative à l'abrogation de la Patente de 1846.

9 Contrairement à d’autres pays d’Europe centrale et orientale, qui sont passés après la seconde guerre mondiale sous l’influence de l’Union soviétique et d’un socialisme de type soviétique, la Yougoslavie est restée depuis 1948 en dehors du bloc soviétique et a poursuivi "sa propre voie vers le socialisme",

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a été assez vite remplacée par la loi de 1957 sur le droit d’auteur, laquelle a, pour l’essentiel, ramené le régime du droit d’auteur dans le courant de la tradition juridique continentale, rattrapant ainsi son retard sur l'évolution contemporaine du droit d’auteur.

Puis il y a eu la loi de 1968 sur le droit d’auteur10, dont le but était de mettre la législation sur le droit d’auteur en conformité avec la Convention universelle sur le droit d’auteur, que la Yougoslavie venait juste de ratifier. La loi qui a précédé celle qui est actuellement en vigueur, la loi sur le droit d’auteur de 1978 a été adoptée afin d’intégrer les modifications résultant des révisions de Stockholm et de Paris de la Convention de Berne, ainsi que la révision de 1971 de la Convention universelle sur le droit d’auteur. C’est la loi qui a été intégrée telle quelle dans le système juridique croate à l’indépendance de la Croatie en 1991.

3. Les sources juridiques du droit d’auteur en Croatie

3.1. La Constitution

En Croatie, le droit d’auteur, en ce qu'il est un des droits de l’homme fondamentaux, est garanti par la Constitution, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies11 , et jouit de la protection qui découle du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturel12. L’article 68 (4) de la Constitution croate, au Titre III "Protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales" garantit la "protection des droits moraux et matériels13 relatifs aux œuvres scientifiques, culturelles, artistiques, intellectuelles et autres". Par conséquent, le droit d’auteur n'est pas sujet à intervention de la part de la puissance publique14. Le droit d’auteur est garanti par la Constitution en tant que droit subjectif, attaché à la personne, d’une part, et en tant qu’institution légale d’autre part.

qui a été sensiblement moins rigide que la voie soviétique et qui a accordé des libertés plus importantes et des droits privés plus solides.

10 Sur l'évolution de la législation dans ce domaine du droit d’auteur, depuis l'adoption de la loi sur le droit d'auteur de 1929 jusqu’à celle de la loi sur le droit d'auteur de 1978, voir Henneberg, I. : "60 godina zakonodavstva o autorskom pravu u Jugoslaviji" [60 ans de législation sur le droit d’auteur en Yougoslavie] in: Nove tehnologije i autorsko pravo [Nouvelles technologies et droit d’auteur), Brioni, 1989, pp. 1-8 ; Krneta, S.: Zur Entwicklung des Urheberrechts in Jugoslawien, GRUR Int., n° 11/81, p. 663 et suivantes.

11 Article 27 (2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies : "Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur".

12 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, article 15 (1) (c) : "Les États parties au présent Pacte reconnaissent à chacun le droit :

(c) de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur".

13 Dans cette disposition constitutionnelle, les "droits matériels et moraux" se rapportent aux droits de nature personnelle et patrimoniale.

14 Toutefois, la garantie constitutionnelle du droit d’auteur n’empêche pas les autorités publiques de restreindre ce droit ; cela signifie que les interventions des autorités publiques ne sauraient dépasser certaines limites, dans des conditions expressément définies par la loi.

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3.2. La législation

La principale loi régissant le droit d’auteur est la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins de 2003. À côté de la loi sur le droit d'auteur, on trouve, parmi les autres sources de droit importantes pour le droit d’auteur : la loi pénale15, qui institue la responsabilité pénale en cas de violation du droit d’auteur et des droits voisins ; la loi douanière16, régissant les mesures à prendre aux frontières en cas de violation des droits de propriété intellectuelle17, la loi sur la famille18, qui comprend des dispositions réglementant l’exploitation des œuvres créées par un couple marié. À côté de ces règles de fond, des dispositions appropriées régissant les compétences de certains organismes, sont contenues dans la loi judiciaire19, la loi sur le ressort et le siège des tribunaux20, la loi sur la procédure pénale21, et la loi sur le corps des inspecteurs d’État22.

En outre, un certain nombre d’arrêtés doivent être pris ultérieurement en application des dispositions de la loi sur le droit d'auteur et un ou deux arrêtés en vigueur révisés. Ils concernent, en particulier, le règlement concernant les critères professionnels applicables aux activités de gestion des droits des auteurs et des droits des artistes interprètes ou exécutants23, qui fixe les conditions requises pour assurer la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins24. De plus, il sera essentiel d'adopter un règlement concernant les dispositions à prendre dans le cas où des mesures de protection technologiques sont appliquées et où en dépit des limitations et exceptions du droit d’auteur existantes, les utilisateurs bénéficiant de ces exceptions, ne disposent pas de l’accès prescrit par la loi25. Enfin, toute une réglementation doit venir régir la mise en place d’un Conseil d’experts sur les redevances au titre du droit d’auteur et des droits voisins. Ce nouvel organe, dont la création est prescrite par la nouvelle loi sur le droit d'auteur, sera chargé d’améliorer l’efficacité des activités de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins26.

15 JO n° 110/97 (entrée en vigueur le 1er janvier 1998) et n° 27/98. 16 JO n° 78/99, 94/99, 73/2000, 92/2001 et 47/2003. 17 L’article 70 (3) de la loi douanière dispose que le Gouvernement de la République de Croatie

réglemente de façon spécifique la procédure douanière concernant les atteintes à la propriété intellectuelle : décret sur l'application des mesures douanières relatives aux biens violant le droit de propriété intellectuelle (JO n° 106/2003) et règlement concernant les modalités de dépôt, d'encaissement et de restitution des instruments d'assurance s'agissant de régler les frais de garde et de maintenance des biens au cours du processus d'application des mesures douanières relatives à la violation des droits de propriété intellectuelle (JO n° 167/2003).

18 JO n° 162/98. 19 JO n° 3/94 et 100/96.7. 20 JO n° 3/94 et 100/97. 21 JO n° 110/97, 27/98, 18/99 et 112/99. 22 JO n° 76/99. 23 JO n° 1/94. Cette réglementation avait été adoptée à l'initiative du Ministère de la culture, qui était

alors compétent en matière de droit d’auteur et droits voisins. 24 Conformément à l’article 205 (1) (2), ce règlement doit être adopté dans les six mois suivant l’entrée

en vigueur de la loi sur le droit d'auteur. 25 Conformément à l’article 205 (1) (2), le règlement relatif aux mesures d'accès autorisé à une oeuvre

relevant du droit d'auteur et des droits voisins protégée par des mesures technologiques doit être adopté dans l'année suivant l'entrée en vigueur de la loi sur le droit d'auteur.

26 Conformément à l’article 205 (1) (2), cette réglementation doit être adoptée dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la loi sur le droit d'auteur.

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3.3. Les traités internationaux

En tant que successeur de l'ex-Yougoslavie, la Croatie est partie à toutes les conventions internationales multilatérales dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins, notamment la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, révisée en 1971, la Convention universelle sur le droit d’auteur de 1952, révisée en 1971, et la Convention de 1974 concernant la distribution de signaux porteurs de programmes transmis par satellite. Le 20 avril 2000, la Croatie a adhéré à la Convention internationale du 26 octobre 1961 sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion ainsi qu’à la Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes de 1971. Depuis le jour où elle a adhéré à l’OMC, en novembre 2000, la Croatie est aussi tenue de respecter l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT) ont été ratifiés par la Croatie en mai 200027. Par conséquent, le pays est partie à ces conventions depuis la date de leur entrée en vigueur28.

Conformément à l’Accord de stabilisation et d’association passé avec les communautés européennes et leurs États membres (article 71) et à l’Accord intérimaire sur le commerce et les mesures d'accompagnement (article 36), la Croatie doit garantir un niveau de protection du droit d’auteur semblable à celui qui existe dans les États membres de l’UE, ce qui signifie fondamentalement assurer une harmonisation avec l'acquis communautaire.

4. Éléments nouveaux par rapport à la loi précédente

4.1. Le droit d’auteur : contenu et limitations

La nouvelle loi sur le droit d'auteur a été établie sur une base juridique bien définie : la théorie moniste du droit d’auteur, selon laquelle le droit d'auteur est un droit unique auquel s'attachent différentes prérogatives, à savoir des droits de nature personnelle et des droits patrimoniaux, ainsi que certains droits de nature hétérogène. La loi sur le droit d’auteur abrogée présentait des caractéristiques relevant aussi bien de la conception moniste que de la conception dualiste, ce qui a parfois introduit une certaine confusion.

En ce qui concerne le contenu du droit d’auteur, la nouvelle loi sur le droit d'auteur ne donne pas de liste exhaustive des droits d’exploitation ; elle définit les droits patrimoniaux de façon à permettre à l’auteur de faire tout ce qu’il veut de son œuvre, ainsi que des bénéfices qu’il retirera de l’exploitation de cette dernière. L’exercice des droits ne peut être limité que dans les situations expressément prévues par la loi et, conformément au test en trois étapes, uniquement si les limitations et exceptions n’entrent pas en conflit avec une exploitation normale de l’œuvre et ne lèsent pas déraisonnablement les intérêts légitimes du détenteur des droits. La liste des limitations a été mise en conformité avec la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, qui définit quelques limitations et exceptions générales à la protection du droit d’auteur, en particulier concernant la reproduction pour usage privé, et l'utilisation par les bibliothèques et autres institutions analogues. Les limitations et exceptions générales à la protection du droit d’auteur sont applicables en conséquence à la protection des droits voisins. Il convient toutefois de noter que tous les droits voisins sont des droits

27 JO - Traités internationaux n° 6/2000. 28 Le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur est entré en vigueur le 6 mars 2002, et celui sur les

interprétations et exécutions et les phonogrammes le 20 mai 2002.

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subjectifs au contenu limité, et qu’ils sont par conséquent assujettis aux limitations afférentes au contenu de chacun d'entre eux.

La durée de la protection assurée par le droit d’auteur est de 70 ans après la mort de l'auteur ou du dernier coauteur survivant, ou après la date de publication de l’œuvre si l’auteur est anonyme, ou après la création de l’œuvre si celle-ci n’a pas été publiée. Le droit d’auteur s’éteint complètement à l’expiration de ladite période, mais la loi impose une obligation universelle de respect de la paternité et de l’intégrité de l’œuvre, ainsi que de l’honneur et de la réputation de l’auteur.

Les droits de nature personnelle (droits moraux) comprennent le droit de divulgation, le droit de paternité, le droit au respect de l’honneur et de la réputation de l’auteur, ainsi que le droit de retrait. Une innovation parmi les droits moraux concerne le droit de divulgation ; la loi précédente l’avait inclus, de façon assez inhabituelle, parmi les droits patrimoniaux.

Les dénommés "autres droits de l’auteur", troisième composante du droit d’auteur, sont une autre innovation de la loi sur le droit d'auteur. Sous ce titre sont regroupés des droits hétérogènes par nature, n'étant ni purement patrimoniaux ni purement personnels, tel que le droit de suite concernant une oeuvre d'art originale, le droit d'accès à l'œuvre, quand elle est détenue par un tiers, dans le but d’en réaliser des copies. Ce groupe comprend également des droits qui ne sont pas de nature exclusive, mais qui sont réduits à un droit à indemnisation à l’occasion d’utilisations autorisées de l’œuvre hors du consentement de l’auteur, par exemple en cas de reproduction pour usage privé ou prêt public. Ce groupe des "autres droits de l’auteur" inclut aussi le droit pour un auteur d’une œuvre d’art non publiée, ou d'une oeuvre photographique, d'interdire par écrit l'exposition en public de son œuvre, laquelle pourrait par ailleurs être exposée librement par le propriétaire de cette dernière.

Suivant la doctrine continentale traditionnelle du droit d'auteur, la qualité d’auteur ne peut être attribuée qu’à une personne physique ; les personnes morales ne peuvent pas détenir de droit d’auteur original. La loi sur le droit d'auteur n’admet qu’une exception, à propos des logiciels informatiques, à la condition que le logiciel ait été créé par un salarié dans le cadre d’un contrat de travail ou en se conformant aux ordres de l’employeur. Dans ce cas, les droits d’exploitation appartiennent à l’employeur, en application des articles 2 et 3 de la directive 91/250/CE sur la protection juridique des logiciels.

En complément de la réglementation précédente, la loi sur le droit d'auteur contient diverses dispositions particulières concernant les programmes d’ordinateur et les œuvres audiovisuelles. Il est intéressant de noter que les dispositions concernant les programmes d’ordinateur et les œuvres audiovisuelles ne sont pas situées, comme on aurait pu s’y attendre, dans le chapitre "Œuvres relevant du droit d’auteur", mais à la fin de la partie qui traite de la protection du droit d’auteur. C’est une position inhabituelle, étant donné que toutes les dispositions concernant les autres catégories d’œuvres sont également applicables aux programmes d’ordinateur et aux œuvres audiovisuelles, tandis que les dispositions particulières ne font que compléter les dispositions générales ou déroger à celles-ci.

4.2. Les droits voisins

À côté des droits des auteurs, la loi sur le droit d'auteur réglemente les droits des artistes interprètes, les droits des producteurs de phonogrammes, les droits des producteurs de première fixation d’un film, les droits des organismes de radiodiffusion, les droits des producteurs de base de données, ainsi que les droits des éditeurs concernant leurs publications. Tous ces droits se trouvent protégés en tant que droits voisins du droit d’auteur.

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Il faut noter ici que la partie introductive de la loi sur le droit d'auteur, comme les parties concernant la protection et l’application des droits, concerne autant le droit d’auteur que les droits voisins. Cependant, certaines dispositions du chapitre sur "le droit d’auteur" s’appliquent à la fois au droit d’auteur et aux droits voisins, selon le contenu de chaque droit voisin particulier. Cette technique juridique, précisée à l’article 4 de la loi sur le droit d'auteur, nécessite de mettre sans cesse en parallèle les dispositions concernant un droit voisin particulier et les dispositions pertinentes sur le droit d’auteur ; cela peut causer occasionnellement des difficultés d’interprétation.

Les droits des artistes interprètes ou exécutants comprennent à la fois des droits personnels (moraux) et des droits patrimoniaux. Les artistes interprètes ou exécutants ont le droit d’être désignés comme tels (droit de paternité), le droit de s’opposer à la destruction ou à la déformation de leur interprétation ou exécution (droit à l’intégrité) ainsi qu’aux utilisations de celle-ci qui attentent à l’honneur ou à la réputation de l’artiste interprète. S'agissant des droits patrimoniaux, les artistes interprètes ou exécutants ont le droit d’autoriser ou de refuser la fixation des interprétations ou exécutions non fixées, ainsi que la reproduction, la distribution et location et la communication au public des interprétations ou exécutions non fixées ou fixées29. En plus de ces droits exclusifs, les artistes interprètes ou exécutants sont en droit de demander une rémunération d'une part pour la reproduction des interprétations ou exécutions à usage privé, lorsque celle-ci est permise en application des dispositions relatives aux limitations et exceptions concernant les droits voisins, et d'autre part pour le prêt public. Les droits des artistes interprètes ou exécutants sont protégés pendant une durée de 50 ans à compter de la date de l'interprétation ou l'exécution ou bien de la date de la première fixation ou de la divulgation au public de l'interprétation ou exécution.

Pour ce qui est du contenu, les droits des producteurs de phonogrammes correspondent aux dispositions du WPPT y afférent et comprennent les droits d’autoriser ou d’interdire la reproduction d’un phonogramme, sa distribution et sa location, la mise à la disposition du public d’un phonogramme de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit, ainsi que le droit de demander une rémunération dans le cas d'une reproduction à usage privé ou pour location publique du phonogramme, ainsi que pour la radiodiffusion ou toute autre communication au public. Selon la loi sur le droit d'auteur, le producteur de phonogramme est une personne, physique ou morale, qui prend l’initiative et la responsabilité de la première fixation de sons ou de représentation de sons. Les droits des producteurs de phonogrammes sont protégés pendant 50 ans à compter de la date de première fixation ou de la date de première publication ou de la divulgation au public, selon le cas.

Le droit des organismes de radiodiffusion comprend le droit d’autoriser ou d’interdire la réémission de leurs émissions par fil ou sans fil, la fixation de leurs émissions, la reproduction et la diffusion des fixations de leurs émissions30, la communication au public de leurs émissions lorsqu'elle est faite dans des lieux accessibles au public moyennant paiement, et la mise à disposition du public de fixations de leurs émissions. La durée de la protection dans leur cas est de 50 ans à compter de la date de la première diffusion.

29 D’après l’article 125 de la loi sur le droit d'auteur, un artiste interprète a le droit d’autoriser ou

d’interdire la communication au public sous toutes ses formes, et sont mentionnées comme exemples de communication au public les droits de diffusion et de rediffusion audiovisuelles, le droit de communication publique d’exécutions et d’émissions fixées, le droit de transmission publique, le droit de présentation publique ainsi que le droit de mettre à la disposition du public.

30 À la différence d'autres droits voisins, le droit des organismes de radiodiffusion ne comprend pas le droit d’autoriser ou d’interdire la location des fixations de leurs émissions, ni le droit à rémunération pour prêt public (qui n’est pas compris non plus dans le droit des créateurs de bases de données).

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Les producteurs de la première fixation des films, les créateurs de bases de données et les éditeurs bénéficient pour la première fois d'une protection. La Croatie a dû reconnaître tous les droits énumérés afin de mettre sa législation en conformité avec l’acquis communautaire de l’UE.

S'agissant du contenu, les droits accordés aux producteurs de films sont comparables aux droits déjà existants des producteurs de phonogrammes. L’objet de ce droit est la fixation soit d’une œuvre audiovisuelle, soit d’images animées qui n’ont pas le caractère d’œuvre protégée, tel que l’enregistrement en temps réel du temps qu’il fait en un endroit donné au moyen de caméras. Les droits accordés aux créateurs de bases de données protègent les bases de données non originales, c’est-à-dire celles qui ne constituent pas des œuvres protégées, mais à la réalisation ou la présentation desquelles il a fallu consacrer beaucoup d'énergie, de temps et de ressources. Cette protection des bases de données est spécifique et indépendante de la protection découlant du droit d'auteur applicable aux bases de données qui, eu égard à la sélection ou à la disposition des données, constituent des créations intellectuelles (c'est-à-dire des recueils). La loi sur le droit d'auteur croate réglemente ce droit en tant que droit voisin. La directive de l’UE 96/9 sur la protection juridique des bases de données, qui fait obligation aux États membres de reconnaître ledit droit, l’a appelé droit sui generis. Les droits voisins étant tous des droits sui generis, il n’a pas été jugé nécessaire de créer un troisième groupe de droits, les droits sui generis, en plus des droits d’auteur et des droits voisins. Les éditeurs de publications "papier" se sont vus également accorder un droit voisin concernant toute publication écrite. Les bénéficiaires de ce droit sont autorisés à demander une rémunération pour toute reproduction de leurs publications écrites pour une utilisation privée ou individuelle, comme le sont les auteurs pour leurs œuvres. De plus, les éditeurs se voient accorder des droits pour les divulgations d’œuvres non encore publiées, même quand ces œuvres ne sont plus protégées par le droit d’auteur. Dans ce cas, la substance du droit voisin de l'éditeur correspond à la composante patrimoniale du droit d’auteur.

La Loi croate sur le droit d'auteur ne contient aucune disposition rétroactive concernant la protection des fixations de films et de publications. Elle ne protège que celles qui ont été créées après l'adoption de ladite loi. Cependant, une réglementation spécifique aux bases de données existe, fondée sur les dispositions des articles 14 (5) et 16 de la directive (CE) 96/9 sur la protection des bases de données, par laquelle la protection s’applique aux bases de données créées après le 1er janvier 1983.

4.3. Règles communes au droit d’auteur et aux droits voisins

4.3.1. Transfert de droits

Par rapport à la précédente loi sur le droit d'auteur, les nouvelles dispositions concernant le transfert des droits d’auteur et des droits des artistes interprètes ou exécutants représentent une innovation dans la législation croate en matière de droit d’auteur. Outre des règles plutôt détaillées, la loi apporte quelques limitations au transfert de certains droits, dans le but de mieux protéger les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants. Les deux droits en question sont le droit de paternité et le droit à l’intégrité, qui sont attachés aux premiers titulaires, à savoir les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants, et qui sont incessibles hormis en cas d’héritage. Ladite limitation ne s’étend pas aux autres droits voisins, qui ne sont pas apparentés à un droit moral.

Dans le cas où l’auteur a transféré un droit exclusif d'exploiter l'œuvre d'une manière ou sous une forme particulières, seul le détenteur de licence pourra exploiter l’œuvre ou l'interprétation/exécution et sera habilité à interdire à quiconque, y compris au titulaire originaire du droit, l’utilisation spécifique dont il a obtenu l'exclusivité par contrat. Si pour une raison quelconque, expiration du contrat de licence ou autre, le transfert cesse de produire ses effets, les limitations du droit concerné qui en découlaient deviennent caduques, et l’auteur ou l’artiste

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interprète ou exécutant est à nouveau libre de négocier ses droits, sans restriction. S'il s'agissait en l'occurrence d'une cession du droit d’auteur ou du droit de l’artiste interprète ou exécutant, le droit transféré cesserait d'exister pour tous, y compris pour l'auteur ou l’artiste interprète ou exécutant lui-même, qui, par l'effet de la cession aurait perdu tout lien avec ses droits31. Les dispositions sur le transfert de droits sont incluses dans le chapitre sur le droit d’auteur, mais elles sont également applicables aux droits voisins, conformément à l’article 4 de la loi sur le droit d'auteur.

La nouvelle loi modifie assez sensiblement la situation au regard du droit d'auteur des œuvres et interprétations créées dans le cadre d’un contrat de travail. La loi précédente donnait à l’employeur le droit d’utiliser l’œuvre pendant les cinq années suivant la date de sa création. Cette formule n'était pas habituelle dans les régimes de droit d’auteur appartenant à la tradition juridique continentale. La loi sur le droit d'auteur règle cette question de façon plus appropriée, tout en protégeant davantage les œuvres intellectuelles ; elle prévoit en effet que les conditions d’utilisation par l’employeur des œuvres ou des interprétations, créées dans le cadre d’un contrat de travail, doivent être précisées dans le contrat de travail ou dans tout autre contrat qui régit l’emploi, de même que tous les autres droits et obligations afférents à l’emploi.

La relation entre le droit d’auteur et les droits voisins d’une part, et la propriété de l’objet matériel dans lequel l'objet protégé est inclus d’autre part, a été réglementée de façon spécifique, car dans la pratique les intérêts de l’auteur et du propriétaire de l’objet sont souvent assez différents. C’est particulièrement le cas des œuvres architecturales. La loi sur le droit d'auteur s'est efforcée de respecter le principe de l'équilibre entre les intérêts du propriétaire et ceux de l'auteur. Elle a aussi tenu compte de la théorie dite de l’adéquation sociale, selon laquelle l’intérêt socialement le plus fort l’emporte.

4.3.2. Application

Dans la loi sur le droit d'auteur, une attention particulière a été portée à l'exercice des droits, surtout à leur gestion collective, qui n’avait pas été complètement réglementée jusque-là. C’est là une des raisons de l'inefficacité de la gestion collective, qui se traduit par de faibles collectes de droits. De plus, elle a été la cause d’un certain nombre d’affaires civiles ainsi que d’affaires en correctionnelle à l’encontre d’utilisateurs qui ne respectaient pas leurs obligations. Il convient de noter que l’une des raisons pour le non-paiement tient au fait que le système de gestion collective des droits est incompréhensible pour les utilisateurs, ce qui provoque en retour un manque de confiance.

31 Sinon, par exemple, la renonciation par une personne à qui le droit d’exploitation a été transféré ferait

perdre à l’auteur ou à l’artiste interprète ou exécutant le bénéfice de son œuvre ou de son interprétation ou exécution. Cet effet pourrait être prévenu au moyen d’une clause contractuelle concernant la responsabilité de la personne qui acquiert le droit d’exploitation en cas de renonciation, mais il faudrait pour cela que l’auteur ou l’artiste interprète ou exécutant, à la conclusion du contrat, prévoit tous les cas possibles de cessation des effets des droits d'exploitation, ce qui est difficile à envisager.

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Autre innovation du régime du droit d’auteur : l’instauration d’un Conseil d’experts en redevances au titre du droit d’auteur et des droits voisins, dont le rôle consiste à contrôler les taux de rémunération établis par les sociétés de gestion collective. L'existence de ce Conseil devrait, entre autres choses, contribuer à donner davantage confiance aux utilisateurs en ce qui concerne la justification des montants facturés par les sociétés de gestion collective. Le Conseil d’experts est un organisme qui ne relève ni d'une administration, ni du système judiciaire, ni de quelque organe gouvernemental que ce soit. C'est pourquoi ses opinions ne reflètent aucune décision ou jugement de l’administration, et n'ont aucun caractère obligatoire. Ce sont plutôt des recommandations dont la pertinence tient à l'autorité que lui confère sa compétence. Cette autorité pourrait logiquement se faire valoir en cas de litige sur les tarifs. Normalement, la rémunération est fixée par accord entre la société de gestion des droits concernée et l’utilisateur ; un barème de droits est applicable en cas de négociations infructueuses entre titulaires de droits et utilisateurs.

4.3.3. Contentieux

Si les dispositions en matière contentieuse ne diffèrent guère de celles qui ont été abrogées, elles sont cependant plus détaillées et plus précises. Elles règlent en particulier les questions de contentieux qui ne l'avaient pas été du tout, ou qui ne l'avaient pas été de façon satisfaisante, telles que le droit d'intenter un procès pour atteinte à des droits gérés de façon collective, la protection des droits des coauteurs aussi bien par rapport à des tiers qu’entre eux-mêmes, la publication des décisions des tribunaux, l’action en saisie des produits de contrefaçon ainsi que des moyens grâce auxquels la contrefaçon a été commise. Les nouvelles technologies ont été prises en considération : la loi traite ainsi de nouveaux types de différends, tels que la demande de protection contre le contournement des mesures techniques de protection et l’information sur la gestion des droits. De plus, en vertu d'une nouvelle règle, une double rémunération par rapport au taux usuel peut être demandée, s'il a été porté atteinte à un droit de nature économique de façon intentionnelle ou par négligence grave. En plus des dispositions relatives à la responsabilité civile, la loi sur le droit d'auteur comprend également des dispositions relatives aux délits mineurs. Les actes criminels à l’encontre du droit d'auteur et des droits voisins sont régis par les articles 229 à 231 de la loi pénale.

4.4. Droits des étrangers

Le statut des auteurs étrangers et des détenteurs de droits voisins en Croatie dépend, d’une part, des obligations internationales de la Croatie en la matière et, de l’autre, de la réciprocité de fait. Les personnes étrangères bénéficient d’un statut identique à celui des nationaux (personnes physiques de nationalité croate et personnes morales ayant leur principal lieu d’activité en République de Croatie) dans le cas où un traité international octroie le traitement national ou, dans le cas où il n’existe pas d'obligation de cette nature, dès lors que dans les faits une telle réciprocité est accordée (principe de l’assimilation aux nationaux)32. Dans les autres cas, les étrangers bénéficient seulement des droits classiques, voire pas même de ceux-ci, quand il n’existe ni obligation internationale ni réciprocité. On notera que le principe d’assimilation s'applique dans tous les cas aux droits moraux, indépendamment des obligations de la République de Croatie découlant des traités internationaux ou de la réciprocité. En ce qui concerne les droits des créateurs de bases de données, le principe d’assimilation est limité à la réciprocité de fait. Par conséquent, les créateurs étrangers de bases de données bénéficient du même statut que les nationaux, du moment que les nationaux croates ont droit au même statut dans le pays d'origine de la personne étrangère.

32 L'article 194 (2) de la loi sur le droit d'auteur dispose que la présomption de réciprocité de fait peut

être réfutée. En conséquence, toute personne prétendant que l'État étranger en cause n'accorde pas de mesure de protection satisfaisante est tenu d'en apporter la preuve.

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À côté des règles générales précédentes qui concernent le statut des étrangers, il existe d’autres règles particulières. Par exemple, le principe d’assimilation s'applique aux auteurs qui n’ont pas la citoyenneté croate mais qui résident habituellement en République de Croatie, de même qu'aux auteurs étrangers dont les œuvres architecturales ou les œuvres d'arts plastiques font partie intégrante d’un bien immobilier situé sur le territoire croate. En revanche, les auteurs étrangers d’œuvres d'arts plastiques ne bénéficient du droit de suite que s'il y a présomption de réciprocité de fait. Les apatrides jouissent du même statut que les nationaux du pays dans lequel ils ont leur résidence habituelle.

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DÉVELOPPEMENTS JURIDIQUES

LA COMMISSION EUROPÉENNE RECOMMANDE L’ADOPTION D’UNE LÉGISLATION EN MATIÈRE DE GESTION DES DROITS D’AUTEUR

La Commission européenne a publié le 19 avril dernier, après une analyse approfondie de la question, une Communication traitant de la gestion du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre du marché intérieur de l’Union européenne1. En effet, depuis les années 90, la question de l’harmonisation des règles du droit d’auteur au niveau européen est au cœur des débats. Sept directives ont déjà vu le jour, la dernière en date concernant les mesures et procédures visant à protéger les droits de propriété intellectuelle. En toute logique, la question de la gestion de ces droits au niveau européen s’est posée. En effet, il est apparu nécessaire à la Commission d’examiner « si les méthodes actuelles de gestion des droits entravent le fonctionnement du marché intérieur, compte tenu notamment de la montée en puissance de la société de l’information ». Dans sa Communication, la Commission souligne le besoin de mettre en place une législation européenne relative à la gestion collective et à la bonne gouvernance des sociétés de gestion. Les disparités que l’on peut aujourd’hui constater entre les législations nationales apparaissent comme un frein au bon développement du Marché intérieur. La Commission souhaite parvenir à davantage de règles communes dont devrait résulter « plus d’efficacité et de transparence ainsi qu’un cadre commun sur certains aspects de la gestion collective ». Afin de répondre à la demande croissante des utilisateurs commerciaux en particulier, la Commission aborde la question de la licence communautaire octroyée par une seule société de gestion et exploitée dans toute la Communauté. La Commission souligne le besoin de s’adapter au nouvel environnement numérique qui permet une exploitation transfrontalière des droits. En effet, il devient de moins en moins possible de gérer les droits d’auteur sur une base uniquement territoriale et nationale. Le but de la licence communautaire serait donc d’assurer un meilleur accès aux œuvres qui sont protégées à l’échelle européenne. La Commission expose différentes options visant à développer le recours à ce type de licences et ainsi améliorer l’exploitation transfrontalière des droits d’auteur.

1 http://europa.eu.int/comm/internal_market/copyright/management/management_fr.htm

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La Commission met également l’accent sur le problème de la gestion des droits numériques et traite tout particulièrement de l’émergence des systèmes DRM (Digital Rights Management) « qui peuvent servir à autoriser des droits, sécuriser les paiements, suivre des comportements et appliquer des droits ». Ce nouveau type de système est considéré par la Commission comme le plus important outil en matière de gestion des droits numériques dans le contexte du marché intérieur. Cependant, elle précise que l’interopérabilité de l’infrastructure des systèmes DRM est un préalable nécessaire qui en assure l’accès aux ayants droits et utilisateurs. De même, elle indique que ces systèmes doivent être acceptés par l’ensemble des personnes concernées avant d’être mis en place. Enfin, bien que la Commission semble considérer qu’une action législative communautaire ne soit pas nécessaire en matière de gestion individuelle, elle se positionne clairement en faveur de l’adoption d’un instrument législatif européen réglementant la gestion collective des droits. En effet, elle considère qu’ « un marché intérieur de la gestion collective peut être davantage établi si la surveillance des sociétés de gestion via les règles de concurrence est complétée par la mise en place d’un cadre législatif sur leur bonne gouvernance ». Dans sa tentative d’harmoniser certains aspects de la gestion collective, la Commission propose, entre autres, d’obliger les sociétés de gestion à publier leurs tarifs et à accorder des licences à des conditions raisonnables, ou encore à mettre en place un contrôle externe approprié. Dans sa Communication du 19 avril 2004, la Commission a annoncé sa volonté de proposer un texte législatif dans ce domaine et a encouragé toute personne concernée à s’exprimer sur cette initiative dans une consultation clôturée le 21 juin dernier. Il ne reste désormais plus qu’à attendre les conclussions de ce processus de consultation.

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DÉVELOPPEMENTS JURIDIQUES

L’UNION EUROPÉENNE ADOPTE UNE NOUVELLE DIRECTIVE RELATIVE AU RESPECT DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Le 29 avril 2004, l’Union européenne a approuvé une Directive relative au renforcement des droits de propriété intellectuelle1. Cette nouvelle Directive horizontale a pour but de lutter contre la contrefaçon et la piraterie au sein du marché intérieur par l’harmonisation des législations des Etats membres, dont certaines disparités ont jusqu’à présent empêché une protection efficace des droits de propriété intellectuelle. Ce renforcement de protection concerne aussi bien les droits d’auteur et droits voisins, que les droits de propriété industrielle.

Aux termes du chapitre II de la Directive relatif aux « Mesures, procédures et

réparations », les Etats membres ont l’obligation de prévoir les mesures et procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la Directive. Ces mesures et procédures doivent être équitables, effectives, proportionnées et dissuasives. La Directive prévoit de telles mesures en matière d’obtention et de protection des éléments visant à prouver la contrefaçon. Ainsi, les autorités judiciaires compétentes auront la possibilité d’ordonner la production de ces preuves par la partie adverse. La Directive prévoit également des mesures provisoires et conservatoires telles que les injonctions de mettre fin à la vente de marchandises contrefaites ou les saisies de ces marchandises.

Le chapitre II prévoit aussi le recours à des mesures dites correctives, telles le

rappel, la mise à l’écart du marché ou la destruction des marchandises concernées, de même que le versement de dommages-intérêts à la partie lésée et le remboursement de ses frais de justice. De plus, la Directive énonce un droit d’information en vertu duquel le contrevenant peut se voir ordonner de fournir des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services, et, en particulier, les noms et adresses des intermédiaires du réseau, ainsi que les quantités et les prix des marchandises concernées.

1 Directive 2004/48/CE, http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2004/l_157/l_15720040430fr00450086.pdf

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Mais, selon le considérant 14 de la Directive, ce droit d’information ne s’applique qu’à des actes perpétrés à l’échelle commerciale, c’est-à-dire « en vue d’obtenir un avantage économique ou commercial direct ou indirect ». De même, la possibilité offerte aux autorités judiciaires compétentes d’ordonner à la partie adverse de communiquer des documents bancaires, financiers ou commerciaux (article 6, paragraphe 2), ainsi que d’ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du contrevenant (article 9, paragraphe 2), ne sont autorisées que dans le cas d’actes perpétrés à l’échelle commerciale.

En outre, aux termes du chapitre III de la Directive qui concerne les « Sanctions appliquées par les Etats membres », sans préjudice des mesures, procédures et réparations visés au chapitre II, « les Etats membres peuvent appliquer d’autres sanctions appropriées en cas d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle ».

Les Etats ont dorénavant deux ans pour transposer la Directive dans leur législation nationale.

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DEVELOPPEMENTS JURIDIQUES

JURISPRUDENCE

CANADA

Cour suprême du Canada

Droit d’auteur – Photocopies/Transmissions par télécopieur de décisions judiciaires – Oeuvres protégées – Communication au public – Utilisation équitable – Fins de recherche

Il n’y a pas de violation du droit d'auteur lorsque la Grande bibliothèque fournit une seule copie d'une décision publiée, d'un résumé jurisprudentiel, d'une loi, d'un règlement ou d'une partie restreinte d'un texte provenant d'un traité conformément à sa politique d'accès.

Ne constitue pas une autorisation à la violation du droit d'auteur le fait de placer une photocopieuse dans la Grande bibliothèque et d’afficher un avis qui décline toute responsabilité relativement aux copies produites en violation du droit d'auteur.

Décision de la Cour suprême du Canada, 4 mars 2004 (Extraits tirés du résumé de la décision de la Cour suprême du Canada)

CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada

[2004] 1 R.C.S. 339

Faits :

Le Barreau appelant assure le fonctionnement de la Grande bibliothèque d'Osgoode Hall, à Toronto, une bibliothèque de consultation et de recherche dotée d'une des plus vastes collections d'ouvrages juridiques au Canada. La Grande bibliothèque offre un service de photocopie sur demande aux membres du Barreau et de la magistrature, et aux autres chercheurs autorisés. Dans le cadre de ce service de photocopie, les membres du personnel de la Grande bibliothèque préparent et remettent sur place ou transmettent par la poste ou par télécopieur des copies d'ouvrages juridiques aux personnes qui en font la demande. Le Barreau met aussi des photocopieuses libre-service à la disposition des usagers de la Grande bibliothèque.

En 1993, les éditeurs intimés ont intenté des actions contre le Barreau pour violation du droit d'auteur afin d'obtenir un jugement confirmant l'existence et la propriété du droit d'auteur sur des

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oeuvres précises et déclarant que le Barreau avait violé le droit d'auteur lorsque la Grande bibliothèque avait produit une copie de chacune de ces oeuvres. Les éditeurs ont en outre demandé une injonction permanente interdisant au Barreau de reproduire ces oeuvres ou toute autre oeuvre qu'ils publient. Le Barreau a nié toute responsabilité et demandé à son tour un jugement déclarant qu'il n'y a pas de violation du droit d'auteur lorsqu'une seule copie d'une décision publiée, d'un résumé jurisprudentiel, d'une loi, d'un règlement ou d'un extrait limité d'un traité est imprimée par un membre du personnel de la Grande bibliothèque ou par un usager au moyen d'une photocopieuse libre-service, aux fins de recherche.

La Section de première instance de la Cour fédérale a accueilli en partie l'action des éditeurs, concluant que le Barreau avait violé le droit d'auteur sur certaines oeuvres; elle a rejeté la demande reconventionnelle du Barreau. La Cour d'appel fédérale a accueilli en partie l'appel des éditeurs, statuant que les oeuvres en cause étaient toutes originales et protégées par le doit d'auteur. Elle a rejeté l'appel incident du Barreau.

Décision :

Le Barreau ne viole pas le droit d'auteur lorsque la Grande bibliothèque fournit une seule copie d'une décision publiée, d'un résumé jurisprudentiel, d'une loi, d'un règlement ou d'une partie restreinte d'un texte provenant d'un traité conformément à sa politique d'accès. Par ailleurs, le Barreau n'autorise pas la violation du droit d'auteur en plaçant une photocopieuse dans la Grande bibliothèque et en affichant un avis où il décline toute responsabilité relativement aux copies produites en violation du droit d'auteur.

1. Concernant les critères d'originalité

Les sommaires, le résumé jurisprudentiel, l'index analytique et la compilation de décisions judiciaires publiées sont tous des oeuvres « originales » conférant un droit d'auteur. Une oeuvre « originale » au sens de la Loi sur le droit d'auteur est une oeuvre qui émane d'un auteur et qui n'est pas une copie d'une autre oeuvre. Elle doit en outre être le produit de l'exercice du talent et du jugement d'un auteur. Cet exercice ne doit pas être négligeable au point qu'on puisse le qualifier d'entreprise purement mécanique. Bien qu'une oeuvre créative soit par définition « originale » et protégée par le droit d'auteur, la créativité n'est pas essentielle à l'originalité. Cette conclusion s'appuie sur le sens ordinaire du mot « originale », l'historique du droit d'auteur, la jurisprudence récente, l'objet de la Loi sur le droit d'auteur et le caractère à la fois fonctionnel et équitable de ce critère. Bien que les décisions judiciaires publiées, considérées à juste titre comme une compilation du sommaire et des motifs judiciaires révisés qui l'accompagnent, soient des oeuvres « originales » protégées par le droit d'auteur, les motifs de la décision en eux-mêmes, sans les sommaires, ne constituent pas des oeuvres originales sur lesquelles les éditeurs peuvent revendiquer un droit d'auteur.

2. Concernant l’utilisation équitable/ fins de recherche

L'article 29 de la Loi sur le droit d'auteur prévoit que l'utilisation équitable d'une oeuvre aux fins de recherche ou d'étude privée ne viole pas le droit d'auteur. Il faut interpréter le mot « recherche » de manière large afin que les droits des utilisateurs ne soient pas indûment restreints, et la recherche ne se limite pas à celle effectuée dans un contexte non commercial ou

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privé. L'avocat qui exerce le droit dans un but lucratif effectue de la recherche au sens de l'art. 29. Les facteurs suivants aident à déterminer si une utilisation est équitable : le but de l'utilisation, la nature de l'utilisation, l'ampleur de l'utilisation, la nature de l'oeuvre, les solutions de rechange à l'utilisation et l'effet de l'utilisation sur l'oeuvre. En l'espèce, l'utilisation des oeuvres des éditeurs par le Barreau, dans le cadre du service de photocopie, était axée sur la recherche et équitable. La politique d'accès circonscrit adéquatement les copies que le Barreau effectuera. Lorsque la fin poursuivie ne semblera pas être la recherche, la critique, le compte rendu ou l'étude privée, la demande de photocopie sera refusée. En cas de doute quant à la légitimité de la fin poursuivie, il appartiendra aux bibliothécaires de référence de trancher. La politique d'accès limite l'ampleur de l'extrait pouvant être reproduit, et les bibliothécaires de référence ont le droit de refuser une demande dont la portée excède ce qui est habituellement jugé raisonnable.

3. Concernant l’autorisation à la violation du droit d’auteur

Le Barreau n'autorise pas la violation du droit d'auteur en mettant des photocopieuses à la disposition des usagers de la Grande bibliothèque. Bien que l'autorisation puisse s'inférer d'agissements qui ne sont pas des actes directs et positifs, ce n'est pas autoriser la violation du droit d'auteur que de permettre la simple utilisation d'un appareil susceptible d'être utilisé à cette fin. Les tribunaux doivent présumer que celui qui autorise une activité ne l'autorise que dans les limites de la légalité. Cette présomption peut être réfutée par la preuve qu'il existait une certaine relation ou un certain degré de contrôle entre l'auteur allégué de l'autorisation et les personnes qui ont violé le droit d'auteur. En l'espèce, aucune preuve n'établissait que les photocopieuses avaient été utilisées d'une manière incompatible avec les dispositions sur le droit d'auteur. De plus, le Barreau, en affichant un avis où il décline toute responsabilité relativement aux copies produites en violation du droit d'auteur, n'a pas reconnu expressément que les photocopieuses seraient utilisées de façon illicite. Enfin, même si la preuve établissait que les photocopieuses ont été utilisées pour violer le droit d'auteur, le Barreau n'a pas un contrôle suffisant sur les usagers de la Grande bibliothèque pour que l'on puisse conclure qu'il a sanctionné, appuyé ou soutenu la violation du droit d'auteur.

4. Concernant les critères de la communication au public

Il n'y a pas eu violation du droit d'auteur à une étape ultérieure de la part du Barreau. En transmettant des copies des oeuvres des éditeurs à des avocats de l'Ontario, le Barreau ne les a pas communiquées au public. La transmission répétée d'une copie d'une même oeuvre à de nombreux destinataires pourrait constituer une communication au public et violer le droit d'auteur, mais aucune preuve n'a établi que ce genre de transmission aurait eu lieu en l'espèce. Le Barreau n'a pas non plus violé le droit d'auteur en vendant des copies des oeuvres des éditeurs. En l'absence de violation initiale du droit d'auteur, il ne peut y avoir de violation à une étape ultérieure. Enfin, bien qu'il ne soit pas nécessaire de trancher cette question, la Grande bibliothèque est visée par l'exception prévue pour les bibliothèques.

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DEVELOPPEMENTS JURIDIQUES

JURISPRUDENCE

FRANCE

Tribunal de Grande Instance de Paris

Droit d’auteur – Copie privée – Mesures techniques de protection– Test des trois étapes – Exploitation normale d’une œuvre Le législateur n’a pas entendu investir quiconque d’un droit de réaliser une copie privée de toute œuvre mais a organisé les conditions dans lesquelles la copie d’une œuvre échappe au monopole détenu par les auteurs, consistant dans le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres. La copie filmographique éditée sur support numérique ne peut que porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre. Décision du Tribunal de Grande Instance de Paris, 3ème chambre, 30 avril 2004

Faits :

« M. P. … a acquis un DVD du film Mulholland Drive produit par la Société Alain Sarde et la Société Studio Canal, distribué par la Société Universal Pictures Video France et … ne put réaliser de copie de l’œuvre en raison de mise en place sur le support numérique d’un dispositif technique de protection dont il n’était fait nullement mention sur la jaquette du DVD. »

« … l’UFC (Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir) et M. P. sollicitent, outre la mesure de publication d’usage, qu’interdiction soit faite d’une part aux Sociétés Les Films Alain Sarde et Studio Canal d’utiliser une mesure technique de protection incompatible avec le ‘droit de copie privée’, d’autre part, à la société Universal Pictures Video France de distribuer l’œuvre Mulholland Drive accompagnée d’une mesure technique de protection rendant impossible l’exercice du ‘droit à la copie privée’. »

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« La Société Universal Pictures Video France … considère que le ‘droit à la copie privée’ n’existe pas et que l’exception dont se prévalent les demandeurs (prévue à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle) n’a pas vocation à autoriser une reproduction qui, comme celle revendiquée par M. P., porterait atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et causerait un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur, critères retenus tant par la convention de Berne que par la directive communautaire 2001/29 du 22 mai 2001 pour exclure le bénéfice de l’exception de copie privée. »

Décision :

1. Sur la nature et la portée des articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code la propriété intellectuelle :

« … (l’) article L. 122-5 … énonce limitativement les exceptions apportées au caractère exclusif des droits de l’auteur en disposant que l’auteur ne peut interdire notamment ‘les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective’ ; … »

« … (l’) article … L. 211-3 … stipule que les bénéficiaires des droits voisins ne peuvent interdire ‘les reproductions strictement réservées à l’usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective’ ; … »

« … le législateur n’a pas ainsi entendu investir quiconque d’un droit de réaliser une copie privée de toute œuvre mais a organisé les conditions dans lesquelles la copie d’une œuvre échappe au monopole détenu par les auteurs, consistant dans le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres ; … »

« … il convient de se reporter, comme le font les demanderesses, aux dispositions de la Convention de Berne pour apprécier la portée de ces exceptions ; … l’article 9-2 de la Convention réserve certes à la compétence des pays de l’Union la faculté de permettre la reproduction des œuvres mais stipule que l’exercice de cette faculté est subordonnée aux conditions cumulatives suivantes : il doit s’agir de cas spéciaux et la reproduction autorisée ne peut porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ; … »

2. Sur l’incidence de la directive du 22 mai 2001 :

« … bien que cette directive ne soit pas encore transposée, il demeure que les dispositions internes doivent être interprétées à sa lumière ; … »

« … la directive n’a … pas pour effet de reconnaître et encore moins d’instaurer un droit général à la copie privée parce qu’elle stipule qu’elle n’est applicable que si elle ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts des titulaires de droits, et, parce qu’elle a laissé à la seule compétence des Etats membres l’appréciation de la nécessité de la prévoir dans leur droit interne ; … la directive n’a en conséquence pas d’incidence sur la solution du présent litige … »

3. L’application de ces principes à l’espèce :

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« … l’exploitation commerciale d’un film sous forme de DVD constitue un mode d’exploitation de nombreuses œuvres audiovisuelles si bien qu’il n’est pas contestable que ce mode fait partie d’une exploitation normale de telles œuvres ; … la copie filmographique éditée sur support numérique ne peut ainsi que porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ; … le dispositif de protection dont est doté le DVD acquis par M. P. n’apparaît dès lors pas réaliser une violation des articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle ; … »

« Par ces motifs, le tribunal … déboute M. P. et l’UFC Que Choisir de l’intégralité de leurs demandes ; … »

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DEVELOPPEMENTS JURIDIQUES

JURISPRUDENCE

BELGIQUE

Tribunal de Première Instance de Bruxelles

Droit d’auteur – Droit à la copie privée – Mesures techniques de protection – Action en justice en cessation – Rémunération pour copie privée – Directive européenne du 22 mai 2001

L’exception (copie privée) signifie uniquement (de manière négative) qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir une autorisation du titulaire du droit d’auteur pour effectuer une copie privée. En ce sens, la copie privée est une simple cause d’immunité garantie par la loi. Le droit à rémunération créé au profit des auteurs et titulaires de droits voisins a été introduit en compensation non pas du droit à la copie privée, mais de la reconnaissance légale de l’exception de copie privée. Si un groupement professionnel agit en cessation, il faut de toute façon que ses membres aient un intérêt propre à l’introduction de l’action, mais il ne doit pas prouver que tous ses membres y ont intérêt. Décision du Tribunal de Première Instance de Bruxelles, 25 mai 2004 No 2004/46/A du rôle des référés Faits :

L’Association belge des consommateurs Test-Achats (ASBL) a demandé en sa qualité de défendeur des intérêts et droits des consommateurs, d’ordonner à quatre éditeurs de musique de cesser l’utilisation des procédés techniques placés dans les compact-disques et qui empêchent l’utilisation de ceux-ci pour exercer le droit du consommateur à la copie privée. Il est demandé en outre de retirer de la vente les compact-disques munis de cette mesure technique de protection et de constater la violation du droit à la copie privée.

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Chacune des parties défenderesses conteste in limine litis la compétence du juge des référés, la copie privée n’étant pas un droit d’auteur mais l’exercice d’une exception à ce droit. De plus, elles affirment que l’A.S.B.L. n’a pas la qualité pour agir en justice.

Le Tribunal de Première Instance de Bruxelles déclare la demande principale recevable mais non fondée et déboute l’ASBL Test-Achats, la condamnant aux dépens.

Décision :

1. Concernant l’action en cessation

Les défenderesses à la présente action excipant de l’article 17 du Code judiciaire aux termes duquel l’action ne peut être admise si le demandeur n’a pas qualité et intérêt pour la former. Avoir qualité pour introduire une action en justice, c’est être titulaire des droits subjectifs que l’action vise à consacrer. (…)

(…) Les termes de la loi « Tout intéressé » sont forts larges et visent toute personne qui est lésée par la violation du droit concerné (…). S’agissant du groupement professionnel, il faut mais il suffit que la poursuite de l’acte de contrefaçon relève de son objet statutaire, et qu’en outre le groupement compte directement ou indirectement des personnes lésées par cet acte. Attendu qu’en l’espèce il n’est pas précisé si les 17 personnes dont la plainte est déposée au dossier de Test-Achats sont membres adhérents ou effectifs de cette ASBL, mais on peut considérer que celle-ci compte indirectement ces plaignants en son sein. (…)

Tout intéressé peut agir en cessation. Ce terme ne vise pas seulement les titulaires du droit d’auteur (…) mais aussi toute personne directement concernée par une atteinte éventuelle au droit d’auteur (…). Si un groupement professionnel agit en cessation, il faut de toute façon que ses membres aient un intérêt propre à l’introduction de l’action, mais il ne doit pas prouver que tous ses membres y ont intérêt.

(…) L’action est recevable.

2. Concernant le droit à la copie privé

(…) Le droit d’auteur est composé d’une part des droits patrimoniaux, et d’autre part, des droits moraux. (…) L’article 22 de la loi relative au droit d’auteur, invoqué par Test-Achats, figure dans le chapitre premier du droit d’auteur- Section 5- Exceptions aux droits patrimoniaux de l’action.

Lorsque l’œuvre a été licitement publiée, l’auteur ne peut interdire : (…)

5o Les reproductions des œuvres sonores et audiovisuelles effectuées dans le cercle de famille et réservées à celui-ci.

6o La caricature, la parodie ou le pastiche, compte tenu des usages honnêtes.

(…) La simple lecture de la table de matières de la LDA montre que la copie privée n’est pas un droit mais une exception. (…) L’exception signifie uniquement (de manière négative) qu’il n’est

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pas nécessaire d’obtenir une autorisation du titulaire du droit voisin pour effectuer une copie. (…) La conséquence légale de cette exception est que la copie privée ne peut pas être considérée comme une contrefaçon, d’une manière telle que celui qui la réalise ne peut pas être poursuivi.

En ce sens, la copie privée est une simple cause d’immunité garantie par la loi. (…) Le moyen tiré de l’article 22 de la LDA ne peut pas être retenu. (…)

3. Concernant la rémunération pour la reproduction privée

(…) Aux termes de l’article 55 de la LDA, les artistes-interprètes ou exécutants ainsi que les producteurs de phonogrammes et d’œuvres audiovisuelles ont droit à une rémunération pour la reproduction privée de leurs œuvres y compris dans les cas fixés aux art. 22 §Ier 5o et 46°, alinéa Ier – 4o de la présente loi (Reproduction dans le cercle de famille).

(…) Le fait qu’une rémunération pour copie privée ait prétendument été payée pour l’utilisateur ne peut pas fonder l’argument que le législateur aurait voulu créer un lien entre la rémunération et le droit à la copie privée. En effet, conformément à la loi, la rémunération est due sur tout appareil permettant la reproduction d’œuvres sonores et audiovisuelles, et ce, quelle que soit l’utilisation effective qui en est faite, c’est-à-dire que celui-ci serve ou non à la copie privée. La rémunération n’est donc pas proportionnelle à l’usage des appareils de reproduction.

(…) Le droit à la rémunération créé au profit des auteurs et titulaires de droits voisins a été introduit en compensation non pas du droit à la copie privée, mais de la reconnaissance légale de l’exception de copie privée.

(…) Le moyen tiré de la rémunération pour copie privée ne peut être accueilli. (…)

4. Concernant la directive européenne du 22 mai 2001

(…) Attendu que la Partie EMI Recorded Music Belgium fait judicieusement observer que la Directive 2001/29/CE n’a pas encore été transposée en droit belge, et que le juge doit dès lors s’abstenir de déduire de cette directive de nouvelles obligations pour les maisons de disques; de surcroît, le juge doit s’abstenir de s’immiscer dans le débat législatif actuellement en cours au Parlement sur la transposition de la Directive 2001/29/CE ; il semble que l’objectif de Test-Achats dans le cadre de la présente procédure est de tenter d’obtenir par voie judiciaire ce que le législateur belge ne serait peut-être pas amené à décider.

(…) Le moyen tiré de la Directive européenne ne peut pas être accueilli. (…)

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ACTIVITES DE L’UNESCO

FORMATION DES FORMATEURS À LA LUTTE CONTRE LA PIRATERIE

Séminaire avancé à l’intention des autorités

chargées de faire respecter la législation sur le droit d’auteur.

Europe du Sud-Est Sofia, Bulgarie, 17-20 mai 2004

Le Programme du droit d’auteur de l’UNESCO a organisé, du 17 au 20 mai 2004, à Sofia, Bulgarie, un séminaire destiné aux responsables des services de droit d’auteur, intitulé « Formation des Formateurs à la Lutte contre la Piraterie». Développé en accord avec la stratégie de l'UNESCO en matière de droits d’auteur et de droits voisins et en collaboration avec les gouvernements concernés, le secteur privé et la société civile, le projet a été financé par la Norvège et inséré dans le cadre du programme de l’Alliance Globale pour la Diversité Culturelle de l’UNESCO.

Ont été associés à la mise en œuvre du projet : le Copyright Directorate du Ministère de la Culture bulgare, la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), la Motion Picture Association (MPA), le IPR Group de l’Organisation mondiale des douanes (OMD), le BULLACT (Association bulgare contre la piraterie audiovisuelle), le BAMP (Association bulgare des producteurs de musique), BSA-Bulgaria (Business Software Alliance), ARSIS Consulting (cabinet spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle), et la Commission nationale bulgare pour l’UNESCO.

Parmi les participants étaient présents une vingtaine de représentants des autorités nationales chargées de faire respecter le droit d’auteur, dont des juges d’appel spécialisés en matière de propriété intellectuelle, des procureurs et des agents de police. Le séminaire s’adressait à des pays tels que l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’ex-République yougoslave de Macédoine, la Serbie, le Monténégro et la Roumanie. L’Europe du sud-est avait été tout particulièrement visée en raison, d’une part, du très fort taux de piraterie intellectuelle constaté dans cette région et, d’autre part, des efforts continus de ces pays pour restructurer leurs systèmes juridiques.

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L’objectif du séminaire était d’attirer l’attention des autorités nationales et des

personnes concernées sur la nécessité de faire respecter la législation relative au droit d’auteur, ainsi que sur les conséquences néfastes de la piraterie intellectuelle. Pour ce faire, le séminaire a dispensé aux représentants des autorités nationales de chacun des pays destinataires, des connaissances théoriques et une formation pratique.

Les 3 jours et demi de formation ont permis aux participants de se familiariser, à un niveau avancé, avec la lutte contre la piraterie de la propriété intellectuelle par l’étude de la piraterie sous ses différentes formes, des mécanismes permettant de la détecter et d’en mesurer l’ampleur, ainsi que des mécanismes visant à la prévenir et à en réduire le taux. Les cours dispensés ont permis aux participants d’élargir leurs connaissances sur le thème de la piraterie. Ceux-ci étant structurés de manière à servir de modèle pour de futures sessions de formation et adaptés aux spécificités de chaque structure réglementaire et judiciaire nationale. En plus de la partie théorique, le séminaire a abordé des aspects pratiques. Une visite a notamment été organisée dans une usine fabriquant des CD, ainsi qu’une présentation par des professionnels expérimentés des méthodes de détection des produits illégaux dans le but de pouvoir les distinguer des originaux. Une étude de cas, à la fin de la session de formation, a permis de tester les connaissances acquises dans des situations proches de la réalité.

Conçu comme un cours de « formation des formateurs », le séminaire a pour but d’étendre son action. Les participants sont censés devenir des formateurs à leur tour en organisant des séminaires nationaux pour transmettre les connaissances et l’expérience ainsi acquises à un cercle plus élargi d’autorités nationales impliquées dans la lutte contre la piraterie (législateurs, gouvernements, police, douanes, magistrats etc.). L’UNESCO contribuera à ce processus en fournissant une assistance méthodologique, technique et financière.

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ACTIVITES DE L’UNESCO

SEMINAIRE EN DROIT D’AUTEUR ET

PRATIQUES CONTRACTUELLES A CUBA

En février 2004, suite à l’initiative de l’Institut Supérieur d’Art (ISA), l’UNESCO a

organisé un séminaire en droit d’auteur et pratiques contractuelles à la Havane (Cuba), dans le cadre de l’Alliance globale pour la diversité culturelle. L’objectif du séminaire était de sensibiliser des jeunes créateurs cubains aux principes fondamentaux régissant le droit d’auteur et les droits voisins ainsi que de les initier aux pratiques contractuelles et au fonctionnement de l’industrie de la musique sur le plan national et international.

Pour atteindre cet objectif, se sont associés à l’UNESCO et à l’ISA, la CISAC

(Confédération internationale des sociétés d’auteurs et de compositeurs), le Conseil argentin de la musique et l’ensemble des institutions cubaines travaillant dans le domaine du droit d’auteur: Le CENDA (bureau cubain du droit d’auteur), l’ACDAM (société de gestion collective locale), le Centre supérieur pour la culture, la faculté de droit, un cabinet d’avocats spécialisé en propriété intellectuelle et l’Institut cubain de la musique. Enfin, ont également collaborés au projet des artistes prestigieux comme Amauri Perez et les directeurs des plus grandes entreprises de production musicale cubaines : EGREM et Andante. Cette initiative s’est ainsi révélée un modèle de partenariat multilatéral associant des compétences locales et externes en faveur du renforcement de la position des musiciens.

Après une introduction sur les principes généraux de propriété intellectuelle, la

formation a porté sur l’étude des contrats et leurs conséquences juridiques et financières ainsi que sur la gestion individuelle et collective des droits. Une simulation de négociations a également été organisée. Finalement, pour clore le séminaire, des artistes et des professionnels de l’industrie musicale reconnus au niveau international ont participé à un atelier de discussions. Cela leur a permis de partager leur expérience avec les participants, illustrant ainsi concrètement les notions et connaissances acquises par ces derniers durant ce séminaire.

Parallèlement au séminaire, une « formation de formateurs » a également eu lieu grâce

à la participation d’experts internationaux. Ce processus a facilité la constitution d’un noyau de formateurs provenant de diverses institutions cubaines qui s’est engagé à assurer la reproduction de ces modules de formation qui seront intégrés dans le cursus ordinaire de l’Institut supérieur d’art, à partir de l’année 2004-2005. Enfin, ce séminaire a incité les différents partenaires impliqués et, en particulier l’ISA, à élargir le public auquel ces enseignements seront destinés en incluant aussi les étudiants en arts plastiques et en arts de l’audiovisuel. Dans cette même optique, un cycle de formation pour les membres de l’ADABIS, récente société de gestion collective des arts plastiques cubaine, sera mis sur pieds en 2004 suivant le modèle du premier séminaire.

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ACTIVITES DE L’UNESCO

CELEBRATION DE LA 9ème JOURNÉE MONDIALE DU LIVRE ET DU DROIT D’AUTEUR

Par Mauro Rosi1

Le 15 novembre 1995, la Conférence générale de l’UNESCO lançait une grande

célébration annuelle internationale destinée à rappeler aux décideurs, aux professionnels et à l’opinion publique l’importance du livre et du droit d’auteur. En choisissant le 23 avril pour célébrer cette Journée, l’UNESCO rendait d’une part hommage à la tradition de la fête catalane du livre et de la rose célébrée traditionnellement lors de la Sant Jordi, qui constitue la source d’inspiration historique de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. D’autre part, elle marquait symboliquement l’anniversaire de la naissance ou de la mort d’un grand nombre d’auteurs mondialement connus, comme Shakespeare ou Cervantès. Le 23 avril s’imposa ainsi de façon très naturelle.

Après des débuts modestes, la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur est devenue progressivement une échéance bien connue des professionnels du livre et du droit d’auteur dans le monde, au Nord comme au Sud, ainsi que d’un grand nombre d’acteurs culturels, sociaux ou politiques comme les enseignants, les maires et les responsables du secteur livre au sein des ministères de la culture ou de l’éducation. Neuf années après son lancement, la Journée connaît un véritable succès et une centaine de pays participe désormais à sa célébration dans tous les continents. Comme dans toute grande célébration qui associe le grand public, chacun peut participer à la Journée au gré de ses capacités, de ses moyens, de sa sensibilité et de son contexte. Seul impératif valable pour tous : célébrer au mieux le livre, ainsi que le droit d’auteur dont il est la condition sine qua non juridique.

Les manifestations promotionnelles lancées pour la Journée en 2004 ont été très diverses. De l’Île Maurice aux Etats-Unis d’Amérique, du Sénégal au Canada en passant par la Norvège et Malte, sans oublier bien entendu la Catalogne, toujours au premier rang en cette occasion, nombreux sont les pays qui se sont distingués par leur créativité et leur esprit d’initiative.

Quelques exemples suffisent à mesurer l’étendue des efforts consentis dans le monde à cette occasion, dans les pays développés comme dans ceux en voie de développement. A Dakar, par exemple, le Ministère de la culture a organisé, avec l’appui d’une douzaine de partenaires, parmi lesquels le Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA), les associations d’écrivains, des éditeurs et des bibliothécaires, et le Bureau de l’UNESCO (BREDA), une 1 Coordonnateur de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur au sein de l’UNESCO (Secteur de la

Culture, Division des arts et de l’entreprise culturelle).

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manifestation intitulée « Tous solidaires : pour que vive la lecture en dépit de la conjoncture ». Au programme - qui s’est déroulé sur trois jours – des animations, des concours de lecture, des conférences et des tables rondes. En Italie, la Commission nationale pour l’UNESCO a coordonné une série d’événements dans une vingtaine de villes, du Val d’Aoste à la Sicile. Le programme prévoyait des présentations de livres, des concerts et des tables rondes, ainsi que plusieurs initiatives spécialement consacrées – à l’occasion de l’Année internationale de commémoration de lutte contre l’esclavage et de son abolition – aux livres sur la traite négrière et les diverses formes historiques de servitude. En France et en Belgique, le distributeur Maxi-Livres a organisé, dans le cadre de l’Alliance globale pour la diversité culturelle, une vente spéciale dans ses 136 librairies, dont les recettes ont été consacrées à un projet de soutien du livre au Sénégal. Au Costa Rica, l’UNESCO a saisi l’occasion du 23 avril pour remettre officiellement à la Bibliothèque nationale de San José une nouvelle bibliothèque mobile, réalisée grâce à la générosité de l’entreprise privée Plasmon, qui pourra ainsi atteindre des lecteurs des zones rurales les plus éloignées. Enfin, un certain nombre de grandes organisations internationales, comme l’Organisation maritime internationale (IMO) ou l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont développé à cette occasion des pages Internet thématiques spéciales, en lien avec celle de l’UNESCO (www.unesco.org/culture/bookday).

Le rôle joué par le Secrétariat de l’UNESCO à cette occasion est celui d’un instigateur discret mais efficace. Son action se décompose en trois phases : la promotion, la mobilisation et la collecte d’expériences. Au cours de la première phase, lancée au début de l’année, l’Organisation mobilise ses grands réseaux internationaux : les Commissions nationales pour l’UNESCO, les fédérations internationales des organisations professionnelles concernées, les chaires UNESCO du droit d’auteur, les bureaux de l’Organisation hors Siège, qui mobilisent à leur tour l’ensemble de leurs contacts. Dans la deuxième, l’UNESCO se limite à appuyer l’action librement conçue et mise en place sur le terrain, se tenant à la disposition des participants pour un conseil, une information, la fourniture de matériel de communication (un message du Directeur général, le logo et un poster) ou, dans quelques cas, une aide logistique. Dans la troisième phase, enfin, l’UNESCO collecte toute l’information possible sur ce qui s’est passé, pour la restituer à l’ensemble des participants à travers un petit répertoire des événements, publié sur le site spécial de la Journée (www.unesco.org/culture/bookday). Ces informations, qui permettent à chaque participant de trouver des contacts et des idées pour l’action, constituent un nouveau point de départ pour les éditions ultérieures de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur.

Quel est l’impact réel de ce type de manifestation sur l’industrie du livre et sur le dispositif juridique qui en réglemente le fonctionnement ? Il s’avère en réalité très utile, à l’instar d’autres formes d’initiatives de sensibilisation développées à la suite de l’expérience réussie de l’Année mondiale du livre. Celle-ci, lancée par l’UNESCO en 1972, avait suscité la création d’une bonne centaine de comités nationaux du livre, les budgets pour l’édition avaient alors augmenté dans un grand nombre de pays, et des milliers de projets mobilisateurs avaient vu le jour partout dans le monde. Mais le résultat et la réussite sont, à l’échelon local, proportionnels à l’effort consenti par les participants à la Journée. Quant aux objectifs ciblés, ils sont aussi divers que la nature et la sensibilité des acteurs sur le terrain. Pour les libraires, la Journée est une occasion extraordinaire de multiplier le chiffre d’affaires, tandis que pour les ministères de l’Education, c’est une occasion de promotion de la lecture, ainsi que de l’importance du respect du droit des auteurs, auprès des plus jeunes.

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Et c’est pour prolonger pendant douze mois l’élan extraordinaire de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur que l’UNESCO a institué, en 2001, une autre grande initiative internationale de promotion, la Capitale mondiale du livre qui récompense la ville ayant présenté le meilleur programme annuel de valorisation du livre.

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