1
tions. En revanche, pour le transfert, « ce terrain où se joue toute analyse », disait Freud, la démonstration est plus aléa- toire. Peut-il y avoir une psychothérapie sans psychothéra- peute ? La réponse n’est pas évidente. Certes le diariste s’adresse à quelqu’un mais ce quelqu’un lui est inconnu, incapable d’intervenir et encore moins d’interpréter. Les confidences sont faites à la cantonade et « autant en emporte le vent ». En fait, le diariste ne cherche-t-il pas surtout à séduire, parfois à se disculper, plus rarement à choquer ou à provoquer ? On peut alors se demander si le narcissisme peut être guéri par un excès de narcissisme. Peut-être, si l’on s’en tient à la seule catharsis mais l’exemple d’Amiel qui, après 16 000 pages « d’écritures sur soi », a été dans l’incapacité de prendre les décisions qui s’imposaient, n’incite pas l’opti- misme. Cette réserve faite, le livre de Guy Besançon a l’immense mérite de défricher une terra largement incognita et d’éclai- rer par des concepts psychanalytiques bien choisis des confessions littéraires au premier abord énigmatiques. Seul un psychiatre averti de psychologie, amoureux de littérature et familier de psychanalyse, était capable de relever le défi du journal intime. À l’évidence ce psychiatre ne pouvait être que Guy Besançon qui, par sa culture, la finesse de ses analyses et l’amour qu’il porte à toutes les faces, même bizarres, de la littérature, était seul capable d’entreprendre ce voyage à l’intérieur des autres. Tous ceux qui s’intéressent à l’homme, « ce sujet merveilleusement vain, ondoyant et divers » de- vraient faire le voyage avec lui. Ils ne le regretteront pas. M. Laxenaire © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 0 3 - 4 4 8 7 ( 0 3 ) 0 0 0 0 5 - 2 La crise du milieu de la vie. Une deuxième chance F. Millet-Bartoli, Paris, Odile Jacob, 2002, 219 p. La vie humaine ne se déroule pas de façon linéaire. Elle avance par bonds et par crises. On connaissait la crise d’ado- lescence, celle de la retraite, Françoise Millet-Bartoli vient, après son père Lucien Millet qui a publié d’importants tra- vaux sur le sujet il y a quelques années, de rappeler celle du milieu de la vie (CMV). Entre 40 et 50 ans, hommes et femmes, « à cheval sur le toit de leur belle maison » (J. Cocteau), font retour sur ce qui s’est passé, redoutent ce qui va advenir. Le bel âge pour certains, la fleur de l’âge pour d’autres, l’âge mûr pour tous est un passage qui ne va pas sans angoisse ni remises en question parfois dramatiques. L’auteur nous emmène avec talent dans une argumentation très convaincante vers le quitte ou double d’une période cruciale de la vie. La routine s’est installée dans la profession, les loisirs et les sentiments. La mort, jusque-là lointaine et abstraite, de- vient une certitude proche et personnelle. Le bilan est dou- loureux, le temps compté, les regrets constants. Des ques- tions lancinantes hantent l’esprit : Qui suis-je ? Qu’ai-je fait ? Quel avenir me reste t-il ? Le corps connaît ses premières trahisons, le cerveau ses petites claudications, le désir et le sexe leurs premières pannes. Inquiétudes légitimes pour qui se croyait jusque-là immortel. Le couple traverse des zones de turbulences. De lieu d’épanouissement et de bonheur tranquille, il se mue en prison, en esclavage, souvent en source de tensions. Les enfants s’en vont (empty nest syn- drome) ou s’accrochent au-delà du raisonnable (syndrome de la pension de famille gratuite). Les réponses au malaise sont multiples : l’enfant de la quarantaine, le travail comme dro- gue, les reconversions soudaines, les fuites sans laisser d’adresse (une agence italienne propose des disparitions pro- grammées !), le divorce (solution la plus commune), la fuite dans la maladie. C’est cette éventualité qui interroge le plus médecins et psychiatres. On y trouve la dépression avec son cortège de symptômes et ses formes cliniques parfois déroutantes : la tristesse dépressive, la morosité, la nostalgie (perdre le temps qui reste à regretter celui qui est perdu), les addictions, les comportements aberrants ou médico-légaux : kleptomanie chez les femmes, exhibitionnisme chez les hommes. La crise existentielle du milieu de la vie serait aussi responsable de maladies somatiques sans qu’on puisse déterminer avec cer- titude ce qui revient à l’âge et ce qui est dû au psychisme : ulcères, dermatoses diverses, asthme, troubles cardiaques, migraines. Heureusement, tout n’est pas négatif dans la résolution d’une CMV. La maladie créatrice, comparable au working through de la psychanalyse, peut être une issue. Michel Ange sculptant la Pietà, Beethoven composant la Neuvième Sym- phonie ou Verdi Falstaff sont des exemples illustres et récon- fortants. La cinquantaine peut révéler des écrivains, des mu- siciens, des aquarellistes, qui jusque-là s’ignoraient ou refoulaient leur talent. Plus rarement des idéalistes religieux choisissent la voie de Rancé et se retirent à la Trappe ou celle de Mathieu Ricard en se convertissant au bouddhisme. Autant de sublimations qui sont la deuxième chance de cette deuxième adolescence par quoi on peut définir la CMV. Le livre de Françoise Millet-Bartoli apporte un éclairage original et bien documenté sur une phase de la vie trop longtemps négligée. Il est illustré d’exemples cliniques vi- vants, convaincants, rapportés dans une langue claire, agréa- ble, dénuée de jargon inutile. La CMV serait « un des secrets les mieux gardé de notre société ». Avec cet ouvrage qui, dans son fonds et dans sa forme, sonne juste, le secret est enfin dévoilé. M. Laxenaire © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 0 3 - 4 4 8 7 ( 0 3 ) 0 0 0 0 4 - 0 80 Analyses de livres / Annales Médico Psychologiques 161 (2003) 78–81

La crise du milieu de la vie. Une deuxième chance: F. Millet-Bartoli, Paris, Odile Jacob, 2002, 219 p

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La crise du milieu de la vie. Une deuxième chance: F. Millet-Bartoli, Paris, Odile Jacob, 2002, 219 p

tions. En revanche, pour le transfert, « ce terrain où se jouetoute analyse », disait Freud, la démonstration est plus aléa-toire. Peut-il y avoir une psychothérapie sans psychothéra-peute ? La réponse n’est pas évidente. Certes le diaristes’adresse à quelqu’un mais ce quelqu’un lui est inconnu,incapable d’intervenir et encore moins d’interpréter. Lesconfidences sont faites à la cantonade et « autant en emportele vent ». En fait, le diariste ne cherche-t-il pas surtout àséduire, parfois à se disculper, plus rarement à choquer ou àprovoquer ? On peut alors se demander si le narcissisme peutêtre guéri par un excès de narcissisme. Peut-être, si l’on s’entient à la seule catharsis mais l’exemple d’Amiel qui, après16 000 pages « d’écritures sur soi », a été dans l’incapacité deprendre les décisions qui s’imposaient, n’incite pas l’opti-misme.

Cette réserve faite, le livre de Guy Besançon a l’immensemérite de défricher uneterra largementincognita et d’éclai-rer par des concepts psychanalytiques bien choisis desconfessions littéraires au premier abord énigmatiques. Seulun psychiatre averti de psychologie, amoureux de littératureet familier de psychanalyse, était capable de relever le défi dujournal intime. À l’évidence ce psychiatre ne pouvait être queGuy Besançon qui, par sa culture, la finesse de ses analyses etl’amour qu’il porte à toutes les faces, même bizarres, de lalittérature, était seul capable d’entreprendre ce voyage àl’intérieur des autres. Tous ceux qui s’intéressent à l’homme,« ce sujet merveilleusement vain, ondoyant et divers » de-vraient faire le voyage avec lui. Ils ne le regretteront pas.

M. Laxenaire

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droitsréservés.PII: S 0 0 0 3 - 4 4 8 7 ( 0 3 ) 0 0 0 0 5 - 2

La crise du milieu de la vie. Une deuxième chanceF. Millet-Bartoli, Paris, Odile Jacob, 2002, 219 p.

La vie humaine ne se déroule pas de façon linéaire. Elleavance par bonds et par crises. On connaissait la crise d’ado-lescence, celle de la retraite, Françoise Millet-Bartoli vient,après son père Lucien Millet qui a publié d’importants tra-vaux sur le sujet il y a quelques années, de rappeler celle dumilieu de la vie (CMV). Entre 40 et 50 ans, hommes etfemmes, « à cheval sur le toit de leur belle maison » (J.Cocteau), font retour sur ce qui s’est passé, redoutent ce quiva advenir. Le bel âge pour certains, la fleur de l’âge pourd’autres, l’âge mûr pour tous est un passage qui ne va passans angoisse ni remises en question parfois dramatiques.L’auteur nous emmène avec talent dans une argumentationtrès convaincante vers le quitte ou double d’une périodecruciale de la vie.

La routine s’est installée dans la profession, les loisirs etles sentiments. La mort, jusque-là lointaine et abstraite, de-

vient une certitude proche et personnelle. Le bilan est dou-loureux, le temps compté, les regrets constants. Des ques-tions lancinantes hantent l’esprit : Qui suis-je ? Qu’ai-je fait ?Quel avenir me reste t-il ? Le corps connaît ses premièrestrahisons, le cerveau ses petites claudications, le désir et lesexe leurs premières pannes. Inquiétudes légitimes pour quise croyait jusque-là immortel. Le couple traverse des zonesde turbulences. De lieu d’épanouissement et de bonheurtranquille, il se mue en prison, en esclavage, souvent ensource de tensions. Les enfants s’en vont(empty nest syn-drome) ou s’accrochent au-delà du raisonnable (syndrome dela pension de famille gratuite). Les réponses au malaise sontmultiples : l’enfant de la quarantaine, le travail comme dro-gue, les reconversions soudaines, les fuites sans laisserd’adresse (une agence italienne propose des disparitions pro-grammées !), le divorce (solution la plus commune), la fuitedans la maladie.

C’est cette éventualité qui interroge le plus médecins etpsychiatres. On y trouve la dépression avec son cortège desymptômes et ses formes cliniques parfois déroutantes : latristesse dépressive, la morosité, la nostalgie (perdre le tempsqui reste à regretter celui qui est perdu), les addictions, lescomportements aberrants ou médico-légaux : kleptomaniechez les femmes, exhibitionnisme chez les hommes. La criseexistentielle du milieu de la vie serait aussi responsable demaladies somatiques sans qu’on puisse déterminer avec cer-titude ce qui revient à l’âge et ce qui est dû au psychisme :ulcères, dermatoses diverses, asthme, troubles cardiaques,migraines.

Heureusement, tout n’est pas négatif dans la résolutiond’une CMV. La maladie créatrice, comparable auworkingthrough de la psychanalyse, peut être une issue. Michel Angesculptant laPietà, Beethoven composant laNeuvième Sym-phonie ou VerdiFalstaff sont des exemples illustres et récon-fortants. La cinquantaine peut révéler des écrivains, des mu-siciens, des aquarellistes, qui jusque-là s’ignoraient ourefoulaient leur talent. Plus rarement des idéalistes religieuxchoisissent la voie de Rancé et se retirent à la Trappe ou cellede Mathieu Ricard en se convertissant au bouddhisme.Autant de sublimations qui sont la deuxième chance de cettedeuxième adolescence par quoi on peut définir la CMV.

Le livre de Françoise Millet-Bartoli apporte un éclairageoriginal et bien documenté sur une phase de la vie troplongtemps négligée. Il est illustré d’exemples cliniques vi-vants, convaincants, rapportés dans une langue claire, agréa-ble, dénuée de jargon inutile. La CMV serait « un des secretsles mieux gardé de notre société ».Avec cet ouvrage qui, dansson fonds et dans sa forme, sonne juste, le secret est enfindévoilé.

M. Laxenaire

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droitsréservés.PII: S 0 0 0 3 - 4 4 8 7 ( 0 3 ) 0 0 0 0 4 - 0

80 Analyses de livres / Annales Médico Psychologiques 161 (2003) 78–81