29
La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique Mai 2016  Ale xa ndr e CHOUMILINE Notes de l’Ifri Russie.Nei. V isi ons 93 Centre Russie

La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

Embed Size (px)

Citation preview

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 1/28

La diplomatie russeau Moyen-Orient :retour à la géopolitique

Mai 2016

 Alexandre CHOUMILINE

Notes de l’Ifri

Russie.Nei.Visions 93

Centre Russie

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 2/28

L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche,

d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Crééen 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnued’utilité publique (loi de 1901). Il n’est soumis à aucune tutelleadministrative, définit librement ses activités et publie régulièrement sestravaux.

L’Ifri associe, au travers de ses études et de ses débats, dans une démarcheinterdisciplinaire, décideurs politiques et experts à l’échelle internationale.

 Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), l’Ifri s’impose comme undes rares think tanks français à se positionner au cœur même du débat

européen.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur.  

ISBN : 978-2-36567-560-4

© Tous droits réservés, Ifri, 2016

Comment citer cette publication : 

 Alexandre Choumiline, « La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à lagéopolitique », Russie.Nei.Visions, n° 93, mai 2016.

Ifri

27 rue de la Procession 75740 Paris Cedex 15 – FRANCE

Tél. : +33 (0)1 40 61 60 00 – Fax : +33 (0)1 40 61 60 60

E-mail : [email protected] 

Ifri-Bruxelles

Rue Marie-Thérèse, 21 1000 – Bruxelles – BELGIQUE

Tél. : +32 (0)2 238 51 10 – Fax : +32 (0)2 238 51 15

E-mail :  [email protected] 

Site internet : Ifri.org 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 3/28

Russie.Nei.Visions

 Russie.Nei.Visions  est une collection numérique consacrée à la Russie etaux nouveaux États indépendants (Biélorussie, Ukraine, Moldova, Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan,Tadjikistan et Kirghizstan). Rédigés par des experts reconnus, ces articles policy oriented   abordent aussi bien les questions stratégiques que

politiques et économiques.

L’auteur 

 Alexandre Choumiline, docteur en sciences politiques, est l’auteur denombreux travaux consacrés aux relations États-Unis/UE – Russie –Moyen-Orient. Il est le directeur du Centre d’analyse des conflits auMoyen-Orient à l’Institut d’études des États-Unis et du Canada del’Académie des sciences de Russie. Diplômé du MGIMO en 1976, il a été journaliste à la Télévision et Radio d’État de l’URSS, chercheur à l’Institut

d’études orientales de l’Académie des sciences de l’URSS, traducteur au Yémen (1980), collaborateur de l’ambassade soviétique en Tunisie (1982-1985), directeur du bureau des journaux russes (руководителем бюророссийских газет) en Algérie (1988-1991), au Caire (1991-1997) et, dans lemême temps, à Abou Dhabi (1993-1997). Il est l’auteur de nombreusesmonographies sur le Moyen-Orient. Parmi ses dernières publications :

Politika SŠA na Bližnem  Vostoke v kontekste « Arabskoj vesny » [Lapolitique des États-Unis au Moyen-Orient dans le contexte du« Printemps arabe »], Éditions Meždunarodnye otnošeniâ, Moscou,2015, 335 p.

« The Syrian Crisis and Russia’s Approach to the Gulf  », Gulf ResearchCenter, 2014, 30 p.

« Rossiâ i "novye èlity" stran "Arabskoj vesny" : vozmožnosti iperspektivy vzaimodejstviâ » [La Russie et les « nouvelles élites » despays du « Printemps arabe » : possibilités et perspectives decoopération], RSMD, Rabočaâ tetrad’, n° 5, 2013.

Rossiâ i SŠA na Bližnem Vostoke : partnëry-soperniki [La Russie et lesÉtats-Unis au Moyen-Orient : partenaires et concurrents], Éditions

Rus’-Olimp, Moscou, 2011, 351 p.

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 4/28

 

Résumé

De l’époque soviétique à nos jours, l’approche de Moscou à l’égard du  Moyen-Orient a connu une évolution significative, passant de la créationd’une zone d’influence dans un contexte de confrontation avec l’Occident(URSS) à une perception de la région fondée essentiellement sur lesintérêts économiques (années 1990) et, enfin, à la vision pragmatique qui

prévaut actuellement. Cette dernière phase constitue, de fait, une symbiosedes deux étapes précédentes : aujourd’hui, le Moyen-Orient est pour laRussie à la fois un terrain de manœuvres militaro-politiques dans le cadrede sa confrontation avec l’Occident ; un débouché potentiellementprometteur pour la production russe d’équipements militaires modernes,de machines et de véhicules lourds ; et une source potentielle definancement (crédits, investissements).

L’approche pragmatique adoptée par Moscou à l’égard du Moyen-Orient est actuellement mise à l’épreuve par la crise syrienne. Les actionsde la Russie en Syrie (au plan militaire comme politique) suscitent

plusieurs interrogations. Dans quelle mesure cette interventioncorrespond-elle aux intérêts régionaux de la Russie et renforce-t-elle soninfluence dans le monde arabe ? Quelle doit être la stratégie à long termede la Russie dans cette région, étant donné qu’une stratégie durable ne doitpas dépendre de la présence au pouvoir de personnalités politiquesconcrètes, que ce soit en Russie ou dans les pays de la région ? Le présentarticle vise à retracer l’évolution de la politique moyen-orientale de Moscouet à évaluer les conséquences de la crise syrienne sur sa position dans larégion.

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 5/28

 

Sommaire

INTRODUCTION .................................................................................................. 5

UN PRAGMATISME À TENEUR ANTI-OCCIDENTALE ........................................ 6

LE THÉÂTRE D’OPÉRATIONS SYRIEN ET LE CONTEXTE INTÉRIEUR

RUSSE ................................................................................................................11

ENTRE DOGME ET RÉALITÉ ..............................................................................15

LES MULTIPLES USAGES DE L’ATTAQUE AÉRIENNE ......................................18

 À LA RECHERCHE D’UNE STRATÉGIE DE SORTIE ...........................................21

CONCLUSION ....................................................................................................24

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 6/28

 

Introduction

De nombreux experts tendent à comparer la politique moyen-orientale quela Russie a conduite au cours des dix dernières années à celle de l’URSS enson temps, à savoir une politique plutôt constante, misant au besoin sur laforce (crise syrienne), mais, surtout, résolument opposée à celle del’« Occident collectif » (les États-Unis et l’Union européenne). Cette vision

n’est que partiellement juste  : en réalité, on assiste depuis le début de cesiècle à une symbiose entre des éléments de la politique de Moscou datantde l’époque de la guerre froide et de celle qu’a menée la Russiepostsoviétique dans les années 1990.

Il faut comprendre qu’aussi bien à la période soviétique quepostsoviétique, l’approche de Moscou envers le Moyen-Orient a toujoursété influencée par l’état de ses relations avec les pays occidentaux,notamment les États-Unis. En effet, si pendant la guerre froide, l’URSSs’était confrontée à l’Occident dans la région par le biais de ses alliés-satellites, qu’elle finançait sans compter, la Russie des années 1990 s’est à

l’inverse efforcée de tirer des bénéfices économiques de ses relations avecles pays de la zone, optant souvent, vis-à-vis des conflits au Moyen-Orient,pour une posture alignée sur celle de l’Occident. Aujourd’hui, l’avenir de laRussie au Moyen-Orient est largement dessiné par son action dans la crisesyrienne —  une action dont la nature est perçue très différemment parMoscou et par les capitales occidentales.

Cet article examine les particularités de l’approche russe env ers ledossier syrien, facteur essentiel dans la formation de la politique moyen-orientale russe dans son ensemble. Les initiatives russes en Syrie (sur le

plan militaire comme politique) suscitent plusieurs interrogations. Dansquelle mesure cette intervention correspond-elle aux intérêts régionaux dela Russie dans leur ensemble et renforce-t-elle son influence dans le mondearabe ? Et quelle doit être la stratégie à long terme de la Russie dans cetterégion, étant donné qu’une stratégie durable ne peut pas, par définition,dépendre de la présence au pouvoir de personnalités politiques concrètes,que ce soit en Russie ou dans les pays du Moyen-Orient ?

Cette note a été traduite du russe par Boris Samkov.

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 7/28

 

Un pragmatisme à teneuranti-occidentale

 À la différence des autorités de l’URSS, les autorités de la Russie post-soviétique ne se donnent pas pour objectif d’accroître leur poids dans larégion en s’assurant la loyauté de « pays-clients » par la mise en place deliens de dépendance étroits dans les domaines de la coopération militaro-technique ou de l’aide économique.  Autrement dit, Moscou ne se fixe pasl’objectif de créer sa propre zone d’influence dans la région.

Il convient de rappeler que pendant la période de la guerre froide, lesrelations de Moscou avec certains pays arabes répondaient à une logique deconfrontation avec l’Occident et au concept idéologique de «  constructiondu socialisme dans le monde en développement ». De fait, les pays duMoyen-Orient étaient alors divisés en deux camps : les « pro-occidentaux »et les « pro-soviétiques ». L’URSS assurait à ses clients des conditionspréférentielles en matière de livraison d’armes et de financement de projets

économiques, généralement à crédit. Dans de nombreux cas, il était clairque ces crédits n’allaient  jamais être remboursés, mais le principe « lapolitique d’abord, l’économie ensuite » prévalait. Aujourd’hui, la Russies’efforce de coopérer dans ces domaines avec la quasi-totalité des payssolvables de la région (à la différence de l’Union soviétique, qui n’avait pasaccès à certains marchés comme, par exemple, ceux des riches monarchiesdu Golfe) — et cela, sur une base foncièrement économique.

Rappelons que c’est dans les années 1990, sous la présidence de BorisEltsine, que la Russie a commencé à voir le Moyen-Orient avant tout

comme un débouché pour sa production militaire1

  et une source definancements accordés sous forme d’emprunts et de crédits2. Aujourd’hui,

1. La Russie vend divers types d’armements à la plupart des pays arabe s : des avions de chasse etdes batteries de missiles sol-air à la Syrie, à l’Algérie et à l’Irak, des blindés au Koweït, auxÉmirats arabes unis, à l’Autonomie palestinienne, etc. Elle vend également des camions, des

 véhicu les légers et divers équipements à l’Égypte, à la Syrie, aux Émirats arabes unis, etc.  2. Les fonds souverains des Émirats arabes unis, du Koweït, du Bahreïn et du Qatar investissenten Russie ; le pays a également obtenu des crédits de la part de plusieurs monarchies du Golfe ;une tentative est en cours pour créer un mécanisme de coopération entre le système financierrusse et la finance islamique.

Pour plus de détails, voir « Rossiâ zamenit zapadnye kredity islamskim finansirovaniem » [LaRussie va remplacer les crédits occidentaux par des financements islamiques], Conseil d’affaires

russo-arabe, 29 juin 2015, disponible sur :   www.russarabbc.ru. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 8/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

la région reste en grande partie perçue de la même manière : il suffit, pour

s’en convaincre, de rappeler la façon dont Moscou a essayé en 2014, aprèsl’adoption des sanctions occidentales à la suite de la crise ukrainienne, desolliciter des crédits auprès des monarchies arabes du Golfe. Sans grandsuccès, d’ailleurs : à cette même époque, ses désaccords avec ces pays sur ledossier syrien empêchaient tout rapprochement réel.

Parallèlement, ces dernières années, à mesure que se dégradaient lesrelations de la Russie avec les États-Unis et l’Union européenne, Moscou aeu de plus en plus tendance à voir de nouveau dans cette région une zonede la confrontation russo-occidentale. On assiste donc au retour de la vision « soviétique » du Moyen-Orient —  à ceci près qu’à l’époque de la

guerre froide, Moscou avait des relations d’alliance a vec ses « clientstraditionnels », notamment la Libye, la Syrie, l’Algérie, l’Égypte, l’Irak et le Yémen. De tous ces pays, seule la Syrie conserve encore des liens« traditionnels » avec la Russie, tandis que les autres n’entretiennent avecMoscou qu’une relation purement économique, les pays arabes pouvantdésormais librement choisir leurs partenaires dans les domaines militaireet économique, sans devoir obéir à la logique des « blocs » qui prévalaitauparavant.

La priorité donnée par la Russie à l’aspect politique au détriment de

l’aspect économique se manifeste donc vis-à-vis de la Syrie, mais aussi vis-à- vis de l’Iran. De toute évidence, Moscou a l’intention de consolider sonpartenariat avec le régime des mollahs, dont le positionnementinternational est, au moins formellement, défini par de puissantssentiments anti-occidentaux. Le ministère russe des Affaires étrangèresconsidère l’Iran comme un pôle important du futur «  mondemultipolaire3 ». Les deux pays peuvent à la fois élaborer une relationéconomique mutuellement profitable et un certain degré de coordinationpolitico-militaire. Et cela, en dépit du fait que le retour de l’Iran sur lemarché de l’énergie après la levée des sanctions qui le visaient contribue à

la baisse des prix mondiaux des principaux produits d’exportation de laRussie (le pétrole et le gaz) et réduit les volumes d’exportation de cesproduits vers l’Europe. Telle est aujourd’hui la symbiose des motivationsde la politique moyen-orientale de la Russie et des outils qu’elle a à sadisposition.

3. « Rossijskij èkspert: Iran i Rossiâ –  osnovnye polûsa mnogopolârnogo mira » [Expert russe :l’Iran et la Russie sont deux pôles majeurs d’un monde multipolaire], Iran.Ru, 26  juin 2015,

disponible sur :  www.iran.ru ; V. Gordeev, « Vizit Putina v Iran zaveršilsâ odobreniem35 sovmestnyh proektov » [La visite de Poutine en Iran s’est soldée par la signature de 35 projetscommuns], RBK, 24 novembre 2015, disponible sur :  www.rbc.ru. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 9/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

En outre, on ne peut pas ignorer que la plupart des médias russes sous

l’influence des autorités diffusent largement un discours nostalgique vantant la politique moyen-orientale de l’URSS, ainsi que les leaders del’époque comme Saddam Hussein en Irak, Mouammar Kadhafi en Libye, lafamille Assad en Syrie, etc. Ceux-ci sont présentés comme « despartenaires fiables de l’URSS dans le monde arabe ». Leur chute,essentiellement attribuée à l’action des États-Unis, est perçue comme lacause première de la propagation de l’islamisme radical dans la région. Unethèse simple est ainsi proposée à la population : la démocratie nefonctionne pas dans les pays arabes, et les dirigeants autoritaires sont doncpréférables à des systèmes islamistes.

Cependant, dans les faits, Moscou fait preuve de pragmatisme etaccepte de collaborer avec tous les groupes au pouvoir dans la région. De cepoint de vue, ses relations avec l’Égypte post-Printemps arabe sontparlantes. En effet, en 2012-2013, Moscou a su s’entendre avec l’islamistemodéré Mohamed Morsi, en dépit de l’interdiction formelle en Russie de laconfrérie des Frères musulmans ; et depuis son renversement, Moscoucoopère encore plus étroitement avec le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, quis’était initialement positionné aux niveaux politique et idéologique commel’antipode de l’islamiste Morsi4.

Ce pragmatisme est tout à fait caractéristique de la présidence de Vladimir Poutine. Rappelons qu’à son arrivée au Kremlin en 2000, il voyaitses partenaires au Moyen-Orient à travers le prisme de la lutte contre leterrorisme, sa priorité absolue dans le contexte de la seconde guerre deTchétchénie. C’est en bonne partie l’agenda anti-terroriste qui a permis unrapprochement significatif entre la Russie et Israël, notamment après lesattentats du 11 septembre 2011. Un rapprochement qui a d’ailleurs suscitéune certaine inquiétude dans les milieux arabisants de Moscou (aussi bienau sein de la communauté des experts qu’au ministère des Affairesétrangères). Ainsi, par exemple, en mai 2001, Evguéni Primakov, à

l’époque leader de la fraction parlementaire de « Patrie – Toute la Russie »à la Douma, a effectué avec l’accord du Kremlin une «  tournéed’explication » dans plusieurs pays arabes. De nombreux analystes ontinterprété sa mission comme une tentative de faire de nouveau de la Russieun contrepoids aux États-Unis et à l’Occident dans le monde arabe — dansl’esprit de sa célèbre décision, en 1999, de faire demi-tour à l’avion quil’emmenait à Washington pour protester contre le déclenchement des

4. « Putin podderžal generala Sisi v bor’be za prezidentstvo   » [Poutine a soutenu le général Al-

Sissi dans la course présidentielle],  BBC , 13 février 2014, disponible sur :  www.bbc.com ;« Egypt’s Sisi Vows Muslim Brotherhood “Will   Not Exist” »,  BBC , 6 mai 2014, disponible sur :

 www.bbc.com. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 10/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

 bombardements de l’OTAN sur l’armée serbe. Il faut aussi souligner que

plusieurs déclarations faites par Primakov lors de cette tournée n’ont pasété toujours bien perçues au sein du ministère russe des Affairesétrangères5.

 À partir du milieu des années 2000, Evguéni Primakov — même si safonction officielle n’était pas directement liée aux affaires étrangères (ilétait à l’époque président de la Chambre de commerce et d’industrie) — semble exercer une influence déterminante sur la définition de la politiquedu Kremlin au Moyen-Orient. Cela s’explique par plusieurs facteurs :premièrement, sa notoriété en tant qu’expert de la région , à la foisthéoricien et praticien (il avait été ministre des Affaires étrangères

quelques années plus tôt) ; deuxièmement, ses nombreux liens dans leshautes sphères du pouvoir russe, notamment au ministère des Affairesétrangères, où après son départ, il restaient plusieurs de ses fidèles ;troisièmement, et c’est probablement le facteur le plus important, ladistanciation croissante entre le Kremlin et l’Occident depuis la« Révolution orange » en Ukraine en 2004. C’est pour cette raison que leKremlin a eu recours à la « ligne Primakov », ce qui ne signifie pas pourautant que ce dernier aurait toujours été directement impliqué dansl’élaboration de la politique russe au Moyen-Orient. En outre, sur certainsgrands dossiers régionaux, la vision de Primakov se distinguait nettementde celle des autorités officielles. Par exemple, il ne partageait absolumentpas l’idée selon laquelle le Printemps arabe aurait été « provoqué par desforces extérieures », au premier rang desquelles les États-Unis. Il estimaitau contraire que les États-Unis, de même que la Russie, avaient été pris decourt par l’ampleur des mouvements de protestation survenus dans lespays arabes6.

Si en 2004-2005 ces dissensions avec l’Occident s’exprimaient surtoutdans la rhétorique des dirigeants russes7, en janvier-février 2006, Moscou

5. A. Sborov, « Evgenij Primakov zagovoril proarabski » [Le discours pro-arabe d’Evguéni

Primakov],  Kommers ant , 20 juin 2001, disponible sur :  www.kommersant.ru. 6. Ainsi, interrogé par un correspondant de la Rossiïksaïa Gazeta, Evguéni Primakov a tenu lespropos suivants : « Ce fut une surprise totale. Et pas seulement pour moi ; pour tout le monde !

Pour les Américains, pour les Européens, pour les Arabes eux-mêmes... Des protestations contreun régime autoritaire dans un pays donné semblaient possibles ; on pouvait même s’attendre à cequ’un renversement de régime se produise ici ou là. Mais qu’une vague aussi puissante balaietoute la région, personne ne l’avait imaginé...  »

 V. Snegirev, « Očen’ Bližnij Vostok  » [Très proche Orient],  Rossiïskaïa Gazeta, 8 août 2012,disponible sur : http://rg.ru/2012/08/08/vostok.html . 7. Par exemple, après les prises d’otages du théâtre de la Doubrovka en octobre 2002 et à l’écolede Beslan en septembre 2004, V. Poutine a évoqué le « soutien de Washington aux terroristes

actifs en Russie ». Voici ses mots : « Nous n’avons pas compris toute la complexité des processusqui se produisent actuellement dans notre pays et dans le monde... Nous avons fait montre defaiblesse. Or les faibles se font frapper. Certains veulent nous arracher un "morceau bien gras",

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 11/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

10 

a pour la première fois agi de façon concrète : le Kremlin a reconnu la

 victoire aux élections palestiniennes du Hamas, a rejeté l’accordpréalablement passé dans le cadre du « Quartet pour le Moyen-Orient »(les États-Unis, la Russie, l’Organisation des Nations unies, l’Unioneuropéenne) sur l’instauration d’un boycott international à l’égard d’ungouvernement qui serait dirigé par le Hamas. Moscou a aussi refusé deconsidérer cette organisation comme étant terroriste et a même invité sesreprésentants à se rendre dans la capitale russe, ce qui fut fait enmars 2006 (par la suite, ces visites allaient devenir régulières).

En d’autres termes, comme à l’époque soviétique, c’est au Moyen-Orient que les désaccords entre la Russie et l’Occident ont commencé à

s’incarner de façon concrète. Peu après, le fait que la Russie revenait enpartie à la perception soviétique du Moyen-Orient a été confirmé unenouvelle fois : au cours de la « guerre des missiles » opposant Israël auHezbollah (juillet-août 2006). La position russe dans la région et au-delà aété perçue à l’époque comme étant plutôt pro-Hezbollah et pro-Liban quepro-Israël, alors même que ce dernier avait subi une agression nonprovoquée de la part de son voisin du nord. Rappelons que l’un desreproches adressés par Israël et par l’Occident à la Russie reposait alors surle fait que des missiles russes fournis au gouvernement de Bachar Al-Assadse retrouvaient par la suite entre les mains du Hezbollah, qui s’en servaitcontre les Israéliens. Un an plus tôt, dans une interview à la chaîneisraélienne Channel-1, Vladimir Poutine avait déclaré qu’il continuerait defournir à la Syrie des systèmes de missiles qui, selon lui, ne feraient que« rendre plus compliquée la tâche des forces aériennes israéliennes » sanspour autant bouleverser l’équilibre des forces dans la région. « Vous (lesIsraéliens) ne pourrez plus survoler la palais présidentiel de Bachar Al- Assad », avait souligné le président russe8.

d’autres les aident. Ils les aident en se disant que la Russie, en tant que l’une des plus grandespuissances nucléaires au monde, représente encore une menace. Et que cette menace doit doncêtre éliminée. Et le terrorisme, bien entendu, n’est qu’un instrument permettant d’atteindre ces

 buts . » Discours du président de la Russie Vladimir Poutine, 4 septembre 2004, disponible sur :http://kremlin.ru.  Voir aussi le documentaire « Le Président », diffusé sur la chaîne Rossia 1 le

26 avril 2015, disponible sur : http://russia.tv . 8. V. Putin, « Rossijskie PZRK zaščitât Siriû ot Izrailâ  » [Les missiles sol-air russes protégeront laSyrie d’Israël], RBK, 21 avril 2005, disponible sur :  www.rbc.ru . 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 12/28

 

Le théâtre d’opérations syrienet le contexte intérieur russe

Si le Printemps arabe, qui a démarré en 2011, a dès le départ mis les paysoccidentaux devant l’obligation de choisir entre le soutien au statu quo etl’adhésion aux principes démocratiques (« le peuple a le droit de sesoulever contre la dictature et à former son propre pouvoir »), la directionrusse, elle, n’a pas été confrontée à un tel dilemme. À Moscou, le Printempsarabe a surtout été perçu comme le résultat des « manipulations etingérences des pays occidentaux » (un nouvel avatar des « révolutions decouleur9 ») visant à faire évoluer le monde arabe d’une manière conformeaux « intérêts stratégiques de l’Occident ». Dès lors, tout en affichant uneneutralité de façade (la non-intervention lors des événements duPrintemps arabe), le Kremlin a globalement adopté une attitude critiqueenvers ces mouvements de protestation. Fidèle à cette logique que l’onpourrait résumer par la formule « les mouvements de protestation sont

illégitimes, alors que le pouvoir (dictateurs et autocrates) est légitime »,Moscou ne s’est ouvertement positionnée en appui du pouvoir en place quedans un seul pays : la Syrie.

Pourquoi est-ce spécifiquement dans ce pays-là que Moscou a décidéde s’impliquer dans le conflit interne, en démontrant qu’aux yeux de laRussie les calculs géostratégiques sont prioritaires par rapport à tous lesautres ? Les arguments liés au besoin de la Russie de continuer de disposerde sa base navale de Tartous, ou encore aux « relations particulières »entretenues depuis des décennies par Moscou et Damas expliquent beaucoup de choses, mais pas tout. Il suffit de rappeler que, aux premièresétapes du conflit, les leaders de l’opposition syrienne ont essayé deconvaincre la Russie de soutenir le mouvement de protestation contre le

9. Voici par exemple ce qu’a déclaré à ce propos le ministre russe des Affaires étrangères SergueïLavrov en octobre 2012 : « Le "Printemps arabe", c’est le résultat de ce qu’avait semé en sontemps George W. Bush en développant le concept de "Grand Moyen -Orient" et de ladémocratisation de tout cet espace. Aujourd’hui, nous en récoltons les fruits parce que cetteobsession pour des changements imposés de l’extérieur et réalisés selon des recettes élaborées àl’étranger ne reposait sur aucun plan à long terme, ni même sur des prévisions et estimations àmoyen terme ». Pour en savoir plus, voir V . Vorob’ev, « Za i PROtiv. Sergej Lavrov o

 vnešnepoli tičeskih vragah, o vozmožnoj vojne meždu SŠA i Iranom i mnogom drugom  » [Pour et

contre : Sergueï Lavrov sur les ennemis politiques extérieurs, sur la possibilité d’une guerre entreles États-Unis et l’Iran et sur beaucoup d’autres choses],  Rossïskaïa Gazeta, édition fédérale,№ 5918 (245), 24 octobre 2012, disponible sur :  http://rg.ru. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 13/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

12 

président Assad, s’engageant, une fois qu’ils seraient victorieux, à respecter

tous les intérêts fondamentaux de la Russie dans le pays.Il semble que la véritable explication de la position pro-Assad du

Kremlin se trouve ailleurs. En effet, l’apogée de la crise syrienne (guerrecivile), fin 2011-début 2012, a coïncidé avec une étape cruciale duchangement de pouvoir en Russie, à savoir le retour au Kremlin de Vladimir Poutine. Ses chargées de communication ont alors mis sur unpied d’égalité les mouvements de protestation survenant dans les paysarabes et les contestations en Russie (la « Bolotnaïa10 »). Il en ressortaitque tous ces mouvements étaient inspirés par les « comploteursinternationaux » (c’est-à-dire les États-Unis et l’Europe), et que l’Occident

avait l’intention de « conquérir » dans un premier temps la Syrie avant de« s’occuper de la Russie ». Dès lors, la préservation du « pouvoir légitimede Bachar Al-Assad » en Syrie répondait aux intérêts fondamentaux de laRussie. Ainsi, le soutien à Assad était présenté par la télévision russecomme une façon pour la Russie souveraine de se défendre contre un« Occident agressif ». Au fond, il s’agissait de l’application d’une méthodepolitique bien connue visant à mobiliser la société : « l’unité nationale faceà une menace extérieure ».

Mais le fait de voir le conflit syrien comme une confrontation entre le

pouvoir légitime de Bachar Al-Assad et une « agression extérieure »(provenant d’abord de l’Occident, puis des terroristes djihadistes de l’Étatislamique) consistait à ignorer des « détails » comme la controverseséculaire entre sunnites et chiites en Syrie et dans l’ensemble de la région.Il semblerait que c’est  ce que Vladimir Poutine avait en tête quand ildéclara que, de son point de vue, le conflit syrien n’était pas une questionsunnito-chiite, mais un combat pour le rétablissement de la souverainetéde la Syrie contre ses ennemis extérieurs et leurs « suppôts » à l’intérieurdu pays11. C’est pourquoi la télévision russe présente presque toujours lasituation en Syrie d’une façon extrêmement manichéenne : le

gouvernement légitime de Damas fait face à des forces qualifiées de« terroristes » dont une partie (l’« opposition modérée ») est soutenue parl’Occident. 

10. S. Neverov, « Počemu v Rossiû ne pridet arabskaâ vesna  » [Pourquoi le printemps araben’arrivera pas jusqu’en Russie],  Nezavisimaïa Gazeta, 10 février 2012, disponible sur :

 www.ng.ru . 11. « Putin v èksklûzivnom interv’û: Rossiâ mirolûbiva, samodostatočna i ne boitsâ terroristov  »[Interview exclusive de Poutine : la Russie est pacifique, auto -suffisante et ne craint pas les

terroristes], Vesti.ru, 11 octobre 2015, disponible sur :  www.vesti.ru ; « Putin: RF ne budet vvâzyvat’sâ v mežreligioznye konfl ikty v Sir ii  » [Poutine : la FR ne se mêlera pas des conflits inter-religieux en Syrie], RIA Novosti Ukraine, 11 octobre 2015, disponible sur : http://rian.com.ua. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 14/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

13 

 Ainsi, dans ce combat « du Bien contre le Mal » en Syrie, la Russie

défend –  à ses yeux – une juste cause. Quant à l’Occident et à ses alliésrégionaux (la Turquie en tant que membre de l’OTAN et les monarchiesarabes du Golfe), ils se trouvent plutôt du côté du Mal dans la mesure où ilssoutiennent les forces qui s’opposent au « pouvoir légitime de Bachar Al- Assad ». Cette présentation binaire des choses s’accompagne d’un effortpropagandiste constant qui vise à diffuser l’idée qu’il existe un certain lienentre, d’une part, des alliés des États-Unis, tels que la Turquie et l’Arabiesaoudite et, d’autre part, les groupes terroristes État islamique et Front Al-Nosra. D’ailleurs, on entend régulièrement à Moscou des déclarationsaccusant directement Washington d’avoir « participé à la création » de ces

groupes terroristes. Ces propos sont généralement tenus à la télévision pardes députés ou par des experts pro-Kremlin, mais rarement par desreprésentants haut placés du pouvoir exécutif. Ce qui ne change rien aufond de l’affaire : la thèse selon laquelle derrière les mouvementsterroristes cités ci-dessus se trouvent des « sponsors occidentaux etmoyen-orientaux » est largement partagée dans les cercles du pouvoir enRussie.

On voit que la présentation de ce qui se passe actuellement en Syrieest « ajustée » autant que possible à la façon dont le grand public russeperçoit la politique étrangère de la Russie dans son ensemble : « le paysdéfend sa souveraineté en s’opposant à l’agressivité de l’Occident sur tousles fronts » —  que ce soit en Ukraine ou en Syrie. Ces clichés sont fortéloignés des réalités, notamment syriennes, où l’on assiste à lasuperposition simultanée de plusieurs conflits, à savoir la lutte d’une partiedu peuple syrien contre le régime autoritaire de Bachar Al-Assad (luttepour la démocratie) qui se manifeste également en matière religieuse par laconfrontation entre la majorité sunnite de Syrie et la minorité alaouite-chiite au pouvoir à Damas (confrontation sunnite-chiite) ; et, enfin, la luttedes Syriens (à la fois l’armée d’Assad et l’opposition, y compris les

islamistes modérés) contre les djihadistes venus de l’étranger que sont lesgroupes terroristes État islamique et Front Al-Nosra.

Il semble que la domination de cette vision manichéenne compliquesignificativement le travail de la diplomatie russe, qui doit chercher despartenaires de négociation notamment parmi les adversaires syriens durégime d’Assad, dont la majorité, rappelons-le, sont officiellement qualifiéspar la télévision moscovite de « terroristes ». Ainsi, par exemple, ladéclaration partant sur la nécessité de prendre en compte l’oppositionsyrienne, faite par le vice-ministre russe des Affaires étrangères MikhaïlBogdanov, en décembre 2012, a eu un grand retentissement. « Il fautregarder la réalité en face : la tendance actuelle, c’est que le régime et le

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 15/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

14 

gouvernement de la Syrie perdent le contrôle d’une part ie de plus en plus

étendue du territoire national. Malheureusement, on ne peut pas exclure la victoire de l’opposition syrienne. » Ces propos ont provoqué une levée de boucliers à la Douma et, en partie, au Kremlin, ce qui a conduit le ministèredes Affaires étrangères à désavouer officiellement la déclaration deM. Bogdanov 12.

12. S. Smirnov, « Rossijskij MID posčital nesuščestvuûščim zaâvlenie Bogdanova po Sirii  » [Leministère russe des Affaires étrangères a jugé inexistante la déclaration de Bogdanov sur la Syrie],Vedomosti , 14 décembre 2012.

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 16/28

 

Entre dogme et réalité

Il faut souligner qu’il serait pourtant erroné de croire qu’à Moscou on necomprend pas ce qui se passe réellement en Syrie. Certains milieux fontpreuve d’une grande finesse d’analyse  et tentent d’élaborer des solutionsqui seraient efficaces sans infirmer pour autant la perception manichéenneofficielle du conflit.

 Ainsi, on ne nie pas à Moscou qu’il sera nécessaire de procéder à unelibéralisation (démocratisation) raisonnée du régime syrien, mais onconsidère qu’il est indispensable que Bachar  Al-Assad prenne part à ceprocessus. Et l’on cite des exemples de mesures prises en ce sens : l’électionprésidentielle de l’été 2014, qui aurait « proposé à la population une véritable alternative » ; la légalisation à Damas de plusieurs groupesd’intellectuels critiques envers le régime ; la libération d’une partie desprisonniers politiques, etc.13 

Mais l’action la plus significative, de ce point de vue, a été la tentative,

en 2015, de créer un « forum moscovite » pour accueillir des négociationsinter-syriennes et former une « opposition acceptable pour Assad ». Deuxrencontres ont eu lieu à Moscou entre les représentants de l’« oppositionpatriotique » de la Syrie, l’objectif étant de les impliquer par la suite dansun processus de négociations avec le gouvernement syrien. Ces rencontresont réuni des membres de l’« opposition légale », à savoir des intellectuelset hommes d’aff aires résidant à Damas et enclins à ne critiquer quecertains aspects de la politique de Bachar Al-Assad, mais pas son régimedans son ensemble. Les groupes relevant d’une véritable opposition,rassemblés au sein de la Coalition nationale, ont ignoré les nombreuses

invitations du ministère russe des Affaires étrangères à prendre part auxdiscussions du « forum moscovite ».

Finalement, cette tentative de créer à Moscou un « groupe patriotiquede politiciens syriens d’opposition » et d’en faire un partenaire denégociations avec le gouvernement d’Assad n’a pas été couronnée desuccès. Le maximum que l’on puisse attendre du processus de négociationsqui est actuellement organisé sous l’égide de l’ONU est que certains

13. « Interview du vice-ministre russe des Affaires étrangères Guennadi Gati lov au magazineallemand Der Spiegel publiée le 14 février 2016 », Ambassade de la Fédération de Russie enRépublique fédérale allemande, 15 février 2016, disponible sur : https://russische-botschaft.ru . 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 17/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

16 

représentants de l’« opposition de Damas » soient incorporés aux

négociations avec le gouvernement d’Assad qui sont en cours à Genève, soiten qualité de « troisième force », soit dans le cadre d’une délégation uniede l’opposition syrienne. Il convient de rappeler que les principaux groupesd’opposition destinés à participer à ce processus ont été formés à Riyad. Cesont des représentants des groupes rebelles qui affrontent le régimed’Assad et l’État islamique sur le champ de bataille. 

On mesure également à Moscou toute la portée de la dimensionsunnite-chiite du conflit syrien. Cela se manifeste notamment par les visites régulières en Russie de représentants des familles royales desmonarchies arabes du Golfe, qui sont souvent reçus au plus haut niveau de

l’État. Ils prennent parfois l’initiative de prendre le contact avec Moscou,notamment afin de tenter de convaincre la direction russe de changer deposition dans le conflit syrien (c’est-à-dire cesser de soutenir Bachar Al- Assad et prendre ses distances vis-à- vis de l’Iran) en échange de dividendeset privilèges économico-financiers14. Il semble que la partie russe cherche àmettre de côté les aspects politiques de ces discussions pour se concentrersur le côté économique de la relation avec les monarchies arabes. Moscousouhaite de toute évidence obtenir des avantages économiques de sacoopération avec les monarchies, mais pas au détriment de la prioritéqu’elle donne à ses intérêts géopolitiques qui déterminent l’approche de laRussie à l’égard des enjeux du Moyen-Orient.

Il apparaît également que le Kremlin comprend que les fréquentes visites des monarques arabes ne sont pas dues uniquement à la volonté dediscuter des sujets officiellement proclamés, mais aussi à leur déception àl’égard de la politique conduite par l’administration Obama. Cettedéception a atteint son apogée au moment du « deal   sur les armeschimiques » passé avec le gouvernement de Bachar Al-Assad qui a étéformalisé à l’initiative de Moscou au Conseil de sécurité de l’ONU fin 2013.

Pour développer : au lieu des bombardements et frappes de missilessur les positions de l’armée syrienne promis par Obama en représailles del’emploi massif d’armes chimiques dans une banlieue de Damas(août 2013), Washington a accepté, à la demande de Moscou, de secontenter de la liquidation des réserves d’armes chimiques aux mains durégime, et a passé un accord avec ce dernier, ce qui revenait à reconnaîtreen Bachar Al-Assad, jusqu’alors qualifié de personnage « indigne », unepartie prenante fondamentale de cet accord. Les responsables politiquesdes monarchies arabes jugent que cette marché arrière a provoqué sur le

14. « Saudovskij princ Bandar pred’’âvlâl Putinu ul’timatum  ? » [Le prince saoudien Bandar a-t-ildonné un ultimatum à Poutine ?], CentrAsia, 27 août 2013, disponible sur :   www.centrasia.ru. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 18/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

17 

champ de bataille un processus de radicalisation de l’opposition anti-

 Assad, un renforcement et une nette montée en puissance du groupeterroriste État islamique et une offensive couronnée de succès de l’arméed’Assad contre ses adversaires. En d’autres termes, les monarques arabes,déçus par la position de Washington, ont essayé d’améliorer leurs relationsavec la Russie, perçue comme un pôle de puissance avec lequel il fautcompter15.

15. S. Erlangerdec, « Saudi Prince Criticizes Obama Administration, Citing Indecision in

Mideast », The New York Times, 15 décembre 2013, disponible sur :  www.nytimes.com  ;M. Weiss, « Russia’s Return to the Middle East »,The American Interest , 13 décembre 2013,disponible sur :  www.the-american-interest.com. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 19/28

 

Les multiples usages del’attaque aérienne 

Les objectifs officiels de l’opération des forces spatiales et militaires (VKS)russes en Syrie, qui a démarré en septembre 2015 et a formellement prisfin le 14 mars 2016, consistaient à « combattre les groupes terroristes » et à« renforcer les positions de Bachar Al-Assad en tant que partenaire dans lalutte contre le terrorisme ». Il apparaît cependant que l’opération visaitégalement à changer le rapport des forces sur le terrain en faveur dugouvernement syrien, de façon à renforcer ce dernier en vue despourparlers à venir. Moscou a profité à la fois du vide politique (échec duprocessus de négociations « Genève 2 ») et du vide militaro-stratégique(l’absence sur le territoire de la Syrie de bases militaires des pays de lacoalition internationale conduite par les États-Unis et de zones d’exclusionaérienne pour l’aviation syrienne et donc aussi pour l’aviation russe). Aprèsla destruction d’un bombardier russe par des chasseurs turcs en

octobre 2015, les forces russes ont déployé dans la région de Lattaquié dessystèmes de missiles sol-air, ce qui a de facto interdit le survol de l’ouest dela Syrie aux avions de la coalition. Par cette décision, la Russie s’imposaitcomme un facteur militaire de premier plan en Syrie.

Étant donné que la crise en Syrie a mis en évidence l’indécision etl’incapacité de la coalition occidentale et des pays arabes à régler ceproblème (au plan humanitaire comme militaire), le déploiement dans cepays des forces russes donnait à Moscou non seulement la possibilitéd’afficher sa détermination (dans le cadre de sa propre interprétation de lanature de la crise) et sa puissance militaire mais aussi la capacité de fairede cette crise un facteur de renforcement de la position russe sur la scèneinternationale dans un nouveau contexte géopolitique. Il est logique desupposer qu’en s’impliquant dans la crise syrienne, Moscou escomptaitnotamment en retirer un avantage à première vue « secondaire » : unenette amélioration des relations entre la Russie et l’Occident y compris surle dossier ukrainien sur fond de « lutte commune contre le terrorisme ». Auminimum, cette implication devait permettre à la Russie de surmonterl’isolement politique mondial dans lequel elle s’était retrouvée à la suite duconflit ukrainien.

Mais il est rapidement apparu que la vision russe de la situation enSyrie différait grandement de celle de la coalition anti-État islamique

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 20/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

19 

conduite par les États-Unis. Rappelons que dès les premiers jours de

l’opération aérienne, les leaders des pays occidentaux et des monarchiesarabes se sont mis à accuser la Russie de frapper non pas les positions desterroristes de l’EI et du Front A l-Nosra, comme cela avait été spécifié enseptembre lors d’un entretien des présidents russe et américain, mais cellesdes rebelles syriens modérés, ennemis du régime d’Assad. Autrement dit,les Russes ont été accusés de bombarder les alliés de la coalitioninternationale, ceux-là mêmes qui devaient à terme, selon la coalition, finirpar remplacer le régime d’Assad par la voie politique (à la suite d’unprocessus de négociations). Une théorie a fait florès dans les cerclespolitiques des pays de la coalition : la véritable stratégie de Moscou en

Syrie reviendrait à affaiblir au maximum, voire détruire entièrement, lesgroupes de rebelles anti-Assad sur le champ de bataille, de sorte deprésenter à la communauté internationale ce même tableau manichéenselon lequel il n’y a que deux acteurs dans le drame syrien  —  Assad d’uncôté, les terroristes de l’EI de l’autre. 

Cette perception a incité les pays de la coalition internationale àrejeter de facto toute coopération avec la Russie. Ce qui a selon toute vraisemblance mis fin à l’espoir de Moscou de se rapprocher de l’Occidentsur le dossier ukrainien. Il convient également de rappeler à cet égard quele prix de l’implication russe dans le conflit syrien s’est accru du fait desactes terroristes dont la Russie a été récemment la cible (l’explosion d’unavion de ligne transportant des touristes russes au-dessus du Sinaï etd’autres incidents de nature terroriste, de moindre ampleur), ainsi que ladestruction par des chasseurs turcs d’un bombardier russe SU-34, qui aprovoqué la mort de deux personnes. En plus des confrontations déjà citéesqui se superposent en Syrie, un nouveau conflit, celui entre la Russie et laTurquie, est récemment apparu qui ne cesse de monter en tension. Il estpeu probable qu’un tel développement ait été anticipé avant le début del’opération russe puisque, formellement, Moscou et Ankara luttent contre

le même ennemi, l’État islamique. Il est important de souligner que dans cette nouvelle confrontation, la

Turquie bénéficie d’un soutien des pays membres de l’OTAN, critiques vis-à-vis de l’action de la Russie en Syrie. D’où un approfondissement généraldes différends entre Moscou et l’ensemble de l’Alliance atlantique — nonseulement au sujet de l’Ukraine, mais aussi au sujet de la Syrie.Parallèlement, la Turquie et l’Arabie saoudite (on peut parler ici de toutesles monarchies arabes du Golfe) ont renforcé leur coopération dans la luttecontre Assad et l’EI. Ankara et Riyad proclament notamment avoir élaboréleur propre « plan B » qui pourrait être mis en œuvre en cas d’échec ducessez-le-feu et du processus de négociations actuellement en cours à

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 21/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

20 

Genève (« Genève 3 »). D’après les informations dont on dispose, ce plan

prévoit toute une série d’actions militaires —  jusqu’au déploiement au solen Syrie de troupes turques et arabes en soutien des groupes rebellesmodérés. Il est clair que la réalisation de ce plan représenterait unenouvelle étape de l’escalade du conflit syrien. C’est dans ce contexte qu’ilconvient d’analyser la décision de la Ligue arabe de qualifier le mouvementchiite Hezbollah (allié de la Russie en Syrie) d’organisation terroriste16.Cela offre une base politico-idéologique à un effort conjoint des pays arabessur le terrain syrien sous le même prétexte que celui évoqué avant eux parla Russie : la « lutte contre le terrorisme ».

Tous ces développements ne sont guère favorables à la Russie : de

toute évidence, le calcul d’après lequel les succès militaires provoqueraientdes réalisations politiques était voué à ne donner que des résultats limités(la liquidation de la menace immédiate d’un renversement du régime Assad et l’appui à une certaine progression de ses troupes vers les centresstratégiques occupés par l’ennemi —  Alep, Homs, Hama et d’autres, c’est-à-dire la création d’une dynamique offensive pour l’armée loyaliste). D’oùune conclusion, selon laquelle il est aujourd’hui plus favorable pour laRussie, politiquement et stratégiquement, de passer au processus denégociations même au prix d’une pause de l’offensive couronnée de succèsdes troupes gouvernementales en Syrie, car il est probable qu’à l’étapesuivante de l’escalade du conflit son coût pour la Russie augmenterasensiblement. En effet, le nombre de parties hostiles à la Russie pourraits’accroître nettement. Il ne faut pas non plus s’étonner de la souplessenouvelle de Moscou, qui pour obtenir le démarrage du processus denégociations est allée jusqu’à accepter la participation, aux côtés del’opposition, de plusieurs organisations qu’elle a tendance à qualifier de« terroristes », comme Jaish Al-Islam, Ahrar Al-Cham et d’autres. 

16. « Arab League Labels Hezbollah Terrorist Organization »,  Reuters, 11 mars 2016, disponiblesur :  www.reuters.com. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 22/28

 

 À la recherche d’une stratégiede sortie

Il n’y a pas lieu de douter du fait que, à Moscou, on a toujours considéréqu’une solution durable du conflit syrien ne serait possible qu’à l’issue d’unprocessus de négociations inter-syriennes. Mais dès le départ, cet objectif a buté sur une question fondamentale : qui doit prendre part à de tellesnégociations de façon à ce que soient garantis le maintien de la présencerusse en Syrie (avec ou sans Assad) et la préservation de ses intérêtsstratégiques dans ce pays ?

Le scénario du « forum moscovite » (c’est-à-dire des pourparlers entrele gouvernement Assad et une opposition « confortable » pour lui, prête às’entendre avec les autorités) était voué à l’échec, puisqu’il a été rejeté parles rebelles syriens et par tous les pays arabes. Cela s’est particulièrement vu à l’issue du second round de négociations à Moscou en avril 2015, quandil est apparu que même les représentants de l’«  opposition damascène »

avaient des différends entre eux17.

Cette évolution a coïncidé dans le temps avec une nette intensificationdes opérations militaires des rebelles contre les troupes gouvernementalesen Syrie. La menace sous laquelle s’est alors retrouvé le gouvernement Assad à Damas a été l’une des raisons principales du début del’intervention aérienne russe, menée en coopération avec les actions au soldes troupes loyalistes syriennes, de l’Iran et du Hezbollah. Par ce coup deforce, Moscou espérait créer des conditions plus favorables auxnégociations qui pourraient entériner les succès obtenus sur le terrain.

Mais cette stratégie s’est révélée politiquement très coûteuse :l’Occident et les pays arabes ont intensifié leurs critiques envers les opérations aériennes russes, accusant les militaires russes non seulementde frapper l’« opposition modérée », mais aussi de « bombarder àl’aveugle » certains sites, provoquant la mort de nombreux civils. Moscou,conteste ces allégations, mais ne peut pas les ignorer totalement. Les coûtsmilitaires, politiques et en termes d’image sont lourds. La meilleuresolution serait un début rapide des négociations selon un format acceptable

17. « Sirijcy v Moskve ne dogovoril is’ o edinoglasii  » [Les Syriens réunis à Moscou ne sont pasparvenus à l’unanimité] , BBC , 10 avril 2015, disponible sur :  www.bbc.com. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 23/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

22 

pour toutes les parties : elles s’effectueraient sous l’égide de l’ONU et avec

une participation directe de la Russie et des États-Unis.Cependant, le cap mis sur le cessez-le-feu et les négociations adopté à

l’unanimité par les membres du Conseil de sécurité de l’ONU à travers larésolution 2268 du 26 février 2016 n’a pas suscité un grand enthousiasmeparmi les partenaires de la Russie, que ce soit à Damas ou à Téhéran. Celas’explique par plusieurs raisons, la principale étant la pause forcée del’offensive fructueuse de leurs troupes terrestres dans plusieurs régionsd’importance stratégique (Alep, Hama, Deraa). 

La délégation gouvernementale syrienne est arrivée à Genève à la date

indiquée, mi-mars (non sans quelques pressions de la partie russe) ; maisla veille, Damas avait entrepris plusieurs démarches que Moscou ainterprétées comme contraires à la position russe lors des négociations.Bachar Al-Assad a notamment annoncé son intention de « reprendre latotalité du territoire syrien aux terroristes », un engagement publiquementcritiqué par l’ambassadeur russe à l’ONU Vitali Tchourkine18.

 Alors, quelles sont les conditions du règlement de la crise syrienne quela Russie pourrait accepter et présenter à sa population comme une« victoire » ? Avant tout, un accord sur des échanges directs entre lesleaders de la Russie et des États-Unis : Moscou pourrait alors affirmer

avoir « surmonté l’isolement politique de la Russie et forcé les États-Unis àreconnaître son importance sur la scène mondiale ». Deuxièmement,l’assurance que les positions de Bachar  Al-Assad sont assez fortes aussi bien dans l’ouest de la Syrie qu’aux négociations de Genève.Troisièmement, le lancement officiel du processus de négociation.Quatrièmement, la mise en œuvre d’une série de mesures visant à prévenirde nouvelles pertes humaines et matérielles russes en territoire syrien.

Les trois premières de ces conditions ont été réunies à la mi-mars 2016, ce qui a permis à Vladimir Poutine de s’atteler à la réalisation

de la quatrième — l’annonce du retrait partiel des effectifs russes de Syrie.Sur fond de dynamique offensive de l’armée d’Assad et du lancementformel des négociations à Genève, le décor était en place (« La Russie aforcé les parties à mener des négociations pacifiques ») pour que Moscoupuisse présenter cette décision comme étant une « victoire », avant tout àl’intention du public russe. Cependant, la vraie raison de ce retrait semblerésider dans la volonté, d’une part, de ne pas se laisser impliquer dans laprobable étape suivante du conflit syrien, quand les pays de la région

18. « Russia Warns Assad Not to Snub Syria Ceasefire Plan »,  Reuters, 18 février 2016, disponiblesur :  www.reuters.com. 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 24/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

23 

lanceront leur plan B, et, d’autre part, de réduire les critiques adressées à la

Russie par la communauté internationale.Il semble également logique de supposer que la décision de Poutine a

été en partie provoquée par la tension apparue dans les relations deMoscou avec ses partenaires sur le champ de bataille, à savoir Damas etTéhéran ; ces derniers auraient essayé de faire pression sur la Russie pourl’inciter à les appuyer davantage dans leur offensive en Syrie19. C’est-à-direqu’ils poussaient Moscou à entreprendre des actions susceptibles deprovoquer en réaction la mise en œuvre par la Turquie et l’Arabie saoudited’un plan B, ce qui provoquerait une escalade rapide du conflit. Dans cecontexte, la décision du retrait d’une «  partie du contingent » apparaît

comme un compromis à l’égard de Damas et de Téhéran : la « partie ducontingent » qui demeure sur place est prête à accomplir certainesmissions dans des situations extrêmes (par exemple en cas de reprise deshostilités, ce qui pourrait faire planer le danger d’une prise de Damas parles rebelles), mais dans le même temps les forces aériennes russes vontnettement réduire l’intensité de leur implication au quotidien et dans lesoffensives.

19. Z. Karam, « Moscow’s Drawdown in Syria Sends a Strong Mess age to Assad »,  AP ,15 mars 2016, disponible sur : http://bigstory.ap.org . 

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 25/28

 

Conclusion

La politique conduite par la Russie au Moyen-Orient au cours dequinze dernières années se caractérise par la combinaison de certainstraits propres à l’approche soviétique traditionnelle (« zone deconfrontation entre l’URSS/la Russie et l’Occident ») et l’approcheopposée adoptée sous la présidence de Boris Eltsine (« l ’économied’abord, la géopolitique ensuite »). Une telle fusion permet à VladimirPoutine d’adopter une attitude pragmatique vis-à-vis des problèmesde la région. Par exemple, la Russie peut s’opposer à l’Arabie saouditeen Syrie tout en coopérant avec elle dans le domaine de l’énergie oudes ventes d’armes. 

Il reste que Moscou ne semble guère avoir de stratégie à longterme au Moyen-Orient. Ses actions sont, à bien des égards, dictéespar le niveau de ses relations avec les grandes puissances mondiales,au premier rang desquelles les États-Unis. Il arrive mêmefréquemment qu’elles soient décidées en fonction des succès et deséchecs de la politique régionale de Washington. Cela s’estparticulièrement manifesté après la signature du « deal chimique » de

2013 : déçus par la position de Washington, ses partenaires arabes,ainsi qu’Israël, tentent régulièrement d’établir une bonne relation detravail avec Moscou, malgré leurs désaccords fondamentaux surcertaines questions clés (par exemple, les monarchies arabess’opposent à la Russie sur la Syrie et sur l’Iran  ; Israël – sur l’Iran, leHamas et le Hezbollah, etc.).

La position de la Russie, et son intervention militaire dans leconflit syrien —  qui s’expliquent en bonne partie par desconsidérations de politique intérieure du Kremlin —  peuvent

compliquer les relations de Moscou avec certains pays, notamment lesmonarchies du Golfe Persique. Ces relations vont-elles se dégrader ?La réponse dépend du déroulement et des résultats du processus derecherche d’une solution politique en Syrie. Plusieurs élémentssemblent de nature à contribuer à une baisse de la tension : ladécision de Moscou de retirer le gros de son contingent de Syrie ;l’annonce par la Russie qu’elle entend coopérer avec les monarchiesdans le cadre de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs depétrole) en vue d’une normalisation des marchés de l’énergie ; et le

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 26/28

La diplomatie russe au Moyen-Orient   Alexandre Choumiline 

25 

mécontentement ressenti par les élites arabes vis-à-vis de la politiquede l’administration Obama. 

Dans un avenir prévisible, le rôle de la Russie dans la région

dépendra des résultats du règlement du conflit syrien, de la capacitéde Moscou à adopter une position équilibrée entre Riyad et Téhéran(c’est-à-dire entre les sunnites et les chiites), ainsi que des principesde politique étrangère de l’administration américaine qui s’installeraà la Maison-Blanche en 2017.

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 27/28

 

Les dernières publicationsde Russie.Nei.Visions

Bobo Lo, « La Russie, la Chine et les BRICS : une illusion deconvergence ? »,  Russie.Nei.Visions, n° 92, février 2016,disponible sur :  www.ifri.org. 

Lioubov Bisson, « Politique de l’immigration en Russie : nouveauxenjeux et outils »,  Russie.Nei.Visions, n° 91, janvier 2016,

disponible sur :  www.ifri.org. 

Leonid Poliakov , « Le "conservatisme" en Russie : instrumentpolitique ou choix historique ? »,  Russie.Nei.Visions, n° 90,décembre 2015, disponible sur :  www.ifri.org. 

I. Timofeev, E. Alekseenkova, « L'Eurasie dans la politiqueétrangère russe : intérêts, opportunités, contraintes », Russie.Nei.Visions, n° 89, décembre 2015, disponible sur : www.ifri.org. 

I. Bounine, A. Makarkine, « État et milieux d’affaires en Russie »,

 Russie.Nei.Visions, n° 88, novembre 2015, disponible sur : www.ifri.org. 

M. Korostikov, « Partir pour mieux revenir : les hautsfonctionnaires et les compagnies publiques russes », Russie.Nei.Visions, n° 87, août 2015, disponible sur : www.ifri.org. 

 V. Milov, « Les nouvelles alliances énergétiques russes : mythes etréalités »,  Russie.Nei.Visions, n° 86, juillet 2015, disponible sur : www.ifri.org. 

I. Delanoë, « Les Kurdes : un relais d’influence russe au Moyen-Orient ? »,  Russie.Nei.Visions, n° 85, juin 2015, disponible sur : www.ifri.org. 

Si vous souhaitez être informé des parutions par courrier électronique(ou recevoir davantage d’informations), merci d’écrire à l’adressesuivante : [email protected]

8/17/2019 La diplomatie russe au Moyen-Orient : retour à la géopolitique

http://slidepdf.com/reader/full/la-diplomatie-russe-au-moyen-orient-retour-a-la-geopolitique 28/28