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    Propos recueillis par Jean-Claude Ruano-Borbalan

    Qu'est-ce que transmettre ? > Qu'est-ce que transmettre ?

    La fabrication de Dieu : Entretien avec RgisDebray

    Mis jour le 11/05/2012

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    Hors-srie N 36 - Mars/Avril/Mai

    2002

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    Pour Rgis Debray, la cration du monothismejuif, l'invention du christianisme, la rformeprotestante sont des phnomnes relevantd'une analyse mdiologique . Il convientd'examiner en mme temps les idesreligieuses, les supports techniques dediffusion et les institutions de la transmission.

    Rgis Debray mne une oeuvre de longue haleinevisant comprendre l'efficacit symbolique desides dans les socits humaines. Il publiait en1980 un ouvrage intitul Le Scribe (Grasset), dixans plus tard un Trait de mdiologie gnrale(Gallimard, 1991), qui posaient un programmed'tudes et de recherches sur ces sujets.Professeur de philosophie l'universit de Lyon-III,il a initi le dveloppement d'une approchenouvelle au sein des sciences humaines : lamdiologie .

    L'objet central de cette discipline, R. Debray necesse de le dire, n'est pas l'tude de l'ensembledes problmes lis la communication entre leshommes ni, de manire rductrice, la seule tudesociologique du rle des mdias dans les socits.La mdiologie, qui emprunte aux deux approches,ne s'y rsume pas. Elle se pose essentiellement laquestion de la transmission culturelle : Comment,par quelles stratgies et sous quelles contraintes,l'humanit se transmet-elle les croyances, valeurs

    et systmes qu'elle produit d'poque en poque ? Et que cachent d'essentiel cesoprations trompeusement anodines ? Pourquoi, par exemple, Jsus s'est-il finalement"empar des masses", et non Mani le Msopotamien, et non le dieu oriental Mithra ?Pourquoi Karl Marx a-t-il marqu notre sicle au fer rouge et non Pierre Proudhon ouAuguste Comte ? En un mot, la mdiologie invite ne pas penser la transmission descroyances et des cultures indpendamment des supports matriels (mdias, techniques)et des supports institutionnels (organisations, Eglises, administrations ou partis). Lamdiologie soutient qu'il n'y a pas de systme d'ides sans techniques de transmission etsans institution les transmettant.

    Le projet de R. Debray prend depuis longtemps la religion, et particulirement la religionchrtienne, comme objet d'tude afin d'examiner les liens entre les supports

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    Mensuel n277 (janvier 2016) Grands Dossiers n41 (dc 2015- jan-fv 2016)

  • institutionnels, leur essor ou leurs crises (les Eglises) et les rvolutions techniques(criture, imprimerie, tlvision et informatique). Son dernier ouvrage, Dieu, un itinraire(Odile Jacob, 2001), tente de systmatiser une rflexion mdiologique sur la transmissionreligieuse du monothisme juif, puis chrtien, depuis sa cration en Palestine vers le viesicle avant notre re. Livre mdiologique que cet itinraire de Dieu , puisqu'ilcomporte de nombreuses illustrations venant l'appui de la tentative de dmonstration. R.Debray en fournit l'argument dans l'entretien qu'il nous a accord.

    La cration du monothisme juif

    Mais tout d'abord, pourquoi les Hbreux ont-ils invent le monothisme ? R. Debrays'appuie sur la rflexion historique qui souligne que la cration du monothisme est unprocessus long. Ce dernier s'est ralis durant l'Antiquit (IIe et Ier millnaires avant notrere) l'intrieur de la socit hbraque, au cours de ses volutions politiques ethistoriques. C'est la mmoire crite en milieu social itinrant, en l'occurrence lepastoralisme des tribus d'Isral en milieu dsertique il y a environ trois mille ans, quisemble avoir t dterminante. Il s'agit l probablement de l'tincelle, aboutissant lacration du monothisme. D'abord structur politiquement et socialement en tribusnomades et pastorales au IIe millnaire avant notre re, le peuple hbreu s'est constituen un royaume territorial (royaume de David) au tournant des IIe et Ier millnaires.Fractionns ensuite en plusieurs Etats, marches frontires de puissants empires,msopotamien ou gyptien, les Hbreux eurent du mal conserver leur indpendance.L'histoire de ce peuple est jalonne de scissions, de guerres civiles et de dfaites face ses puissants voisins du sud ou du nord. A partir du vie sicle av. J.-C., le royaumed'Isral perd son indpendance. Il est intgr dans diffrents empires (babylonien, perse,grec sleucide, romain). Il sera ray de la carte aprs une dfaite catastrophique, lorsd'une rvolte contre les Romains en 70 de notre re. La premire synthse de la religiondes Hbreux eut lieu vers l'an 1000 avant notre re. La socit hbraque se structurealors politiquement sur le territoire de la Palestine actuelle (avec pour capitale Jrusalem)et labore une religion comportant un dieu ethnique exclusif. Il s'agit alors, prcise R.Debray, d'une forme d' hnotisme , c'est--dire la mise en avant d'un dieucommunautaire exclusif, refusant les dieux des autres communauts. Il situe plus tard lacration de la religion monothiste, comme la plupart des historiens. Le monothismeest une cration de l'exil, de la dportation babylonienne qui est bien plus tardive. De cemoment de dfaite face aux Babyloniens date la destruction du premier Temple deJrusalem (586 av. J.-C.). Quoique les Perses, vainqueurs des Babyloniens en 539 av. J.-C., autorisent la reconstruction du Temple et accordent une large autonomie religieuseaux Hbreux, la religion se transforme profondment. Elle devient alors ce que l'onappelle prcisment aujourd'hui le judasme . C'est--dire un monothisme vritable.

    La toute-puissance du dieu unique cette poque de malheur pour Isral est un effet defaiblesse, d'impuissance. C'est, semble-t-il, lorsque les hommes sont dans l'abandonqu'ils produisent une compensation psychique, idologiquement efficace. Les prophteset lites intellectuelles de l'poque, cratrices de la figure du dieu unique, disent ensubstance : " Nous sommes punis drastiquement, parce que nous n'avons pas t fidles notre dieu. Nous ne l'avons pas cru assez dieu. Mais dsormais, puisqu'il n'y a qu'unseul dieu, il nous aidera " , prcise R. Debray.

    L'hypothse mdiologique lie les conditions politiques, les conditions sociales et lespossibilits offertes par la technique ou les systmes mdiatiques. Elle peut paratreparfois un peu causale et mcanique : Donnez moi l'criture alphabtique, un peupleballott par les vicissitudes de la gopolitique du temps et je vous donnerai lemonothisme ! Mais R. Debray n'en reste pas l. Pour lui, l'affaire est plus subtile et l'ondoit s'interroger sur le processus anthropologique et philosophique de cration dumonothisme juif.

    L'invention hbraque est de crer un dieu invisible (c'est la consquence del'abstraction alphabtique) et il n'est plus besoin de voir pour croire. A un systmepictographique d'criture comme l'criture hiroglyphique gyptienne correspondent desdieux animaliers ou des projections monarchiques, mais il est impossible de se dtacherdu sensible. A l'inverse, le dieu des Judens (juifs) n'est pas dieu des fleuves, ni dieu del'orage, ni un lphant, un lion ou un alligator, mais un dieu transhumain, qui ne peut trequ'induit par la formidable capacit d'abstraction de l'criture alphabtique. Je dis celapour compenser, en quelque sorte, ce qui pourrait y avoir d'apparemment sociomcanisteet un peu fruste dans l'ide que Dieu serait une compensation symbolique d'une situationpolitique ou sociale difficile. Il s'agit en fait d'une sorte de surdtermination : toute lasituation de l'intelligentsia en exil autorisait l'abstraction. L'itinrance force galement l'abstraction en ce qu'elle interdit de se rfrer au lieu (on ne peut emporter une statue, unautel ou une acropole). Il faut bien alors emporter sa mmoire, c'est--dire la miniaturiser,la condenser. J'ai nomm cela la "dessiccation alphabtique", qui est tout simplement la

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  • capacit de consigner une parole, de la dposer sur un support d'criture, de l'enrouler, etd'obtenir cette chose inoue et grandiose qu'est le dieu "de poche". Je fais ici rfrenceaux rouleaux de l'Arche d'alliance des juifs.

    L'glise, grande innovation du christianisme

    La cration du christianisme antique va constituer une inflexion dans le cours dujudasme. Elle a constitu une grande nouveaut, notamment en ce qu'elle aurait favorisle dveloppement de l'individualisme. Cette thse dsormais bien assure dans lessciences humaines est reprise par R. Debray : Le dieu hbraque demeurait un dieuethnique. L'invention chrtienne va en faire un dieu " lectif ", auquel pourront croire tousles hommes, quelles que soient leur ethnie, leur langue, leur ascendance... Il s'agit l dubond en avant de l'universalit, qui se fait par l'intriorit. Au dpart, Dieu peut allerpartout, parce qu'il peut appartenir chacun. Il deviendra imprial plus tard. Il s'agit del'invention d'une catgorie qui n'existe pas dans le monde grec, la conscience et ledialogue avec soi-mme. Ds lors, l'individu est autoris et s'autorise se dtacher deson groupe d'appartenance. Il s'agit galement d'une rupture avec la religion romaine,religion institutionnelle de la "civitas" et de la romanit ou mme des cultes mystrescomme le culte d'Isis ou de Dyonisos, plus lis des sanctuaires, des rituels et desinitiations litaires rserves des socits secrtes. Le christianisme invente le dieu enaccs libre.

    Pour le mdiologue, l'essor du christianisme est li, lui, la cration d'une institutionspcifique : L'invention majeure du christianisme est videmment l'Eglise. En effet, undieu non-ethnique n'a pas de support institutionnel, il ne se reproduit pas avec la cultured'un peuple. La bureaucratie de l'Eglise va en quelque sorte tenir lieu de "supportethnique". Rappelons qu'il n'y a pas de transmission sans support anim, collectif, qui estncessairement hirarchis, comme toute organisation. Transmettre c'est organiser, etorganiser c'est hirarchiser. Ce sont l des invariants institutionnels et anthropologiques :lorsque l'on veut transmettre des ides, on cre un mdia (une revue, un livre...) et onorganise un groupe, et se dfinissent par l-mme les frontires de ceux qui sont dedanset de ceux qui sont dehors, mais aussi la hirarchie du groupe. La mise en place de lahirarchie ecclsiastique constitue " le prix " que le christianisme a d payer pour sondsenclavement ethnique. Il a d inventer une autre forme d'appartenance,l'appartenance un clerg.

    Le christianisme, de plus en plus fort dans l'Empire romain, deviendra religion imprialeau ive sicle, non sans luttes et schismes fratricides incessants. L'une des grandesralits de son avnement comme religion dominante sera la cration d'un pass linaire,exempt de toutes les incertitudes doctrinales ou institutionnelles que tous les mouvementsreligieux ou idologiques connaissent leurs dbuts. Le processus d'affirmation duchristianisme lors des premiers sicles de notre re est, souligne R. Debray, un excellentmoyen de comprendre les mcanismes gnraux de la transmission culturelle. Lamdiologie peut apporter l une ide, qui certes n'est pas neuve mais dont l'nonc lui,l'est : " L'objet d'une transmission ne prexiste pas au processus de sa transmission."Pour aller vite, on peut dire que le christianisme s'est constitu en se transmettant, et aucours de la transmission, il a invent son origine en se lgitimant.

    En effet, dans le cas du christianisme comme dans celui du judasme - on pourrait ledmontrer d'ailleurs pour le communisme ou les nationalismes -, les textes canoniques etl'histoire des origines sont choisis, rcrits et fixs aprs coup, au rythme des luttes defactions, des victoires ou des dfaites internes l'Eglise ou aux partis : Toute socit,toute communaut politique ou religieuse labore des systmes d'ides qui se prsententsous forme de rcits, avec une origine et une destination. S'y ajoute le besoin absolu detrouver des personnages emblmatiques, figures de synthse, qui concilient les apportsde plusieurs personnalits fortes, dont on garde le souvenir et que l'on cristallise : on faitdes dieux avec les grands hommes. Mais il faut souligner que l'on fait galement lesgrands hommes avec des "petits hommes", c'est--dire avec des personnages historiquesrels. Abraham et Mose sont par exemple trs probablement des figures de synthse, decompromis, de conciliation, forges partir de traces, de hros locaux, etc. La figure duChrist, quant elle, est videmment une figure thologique, construite. L'oprationchrtienne est l'apposition d'un trait d'union entre une personne physique, Jessuah ouJsus, et la catgorie thologique de Christ, le "Messiah" juif, choisi par Dieu pour guiderle peuple. Les historiens s'accordent, semble-t-il, sur le fait que Jsus a exist, mais entout tat de cause, les dits de Jsus ont t collationns ultrieurement par des gens quine l'ont pas connu. Les fameux mots du Christ sont trs probablement destransformations, des conventions, des rlaborations. On se trouve l face desprocessus de cration symbolique, qui sont fondamentalement des processus detransmission.

  • Le triomphe du christianisme va permettre un triple dverrouillage : celui de l'individu face la communaut ; celui de la place des femmes face la domination masculine ; celui durle de la reprsentation humaine dans la pense et l'art occidental. Le christianisme, ditR. Debray, c'est l'incarnation de Dieu, comme modle et paradigme central. Or quesignifie l'incarnation ? Si le corps n'est pas une souillure, puisqu'il peut en quelque sortetre divin, il existe une image sensible qui est autorise : celle du dieu fait homme.L'image peut alors devenir le vecteur de la grce et du sacr, ce qu'elle n'tait pas du toutdans le monde grec ou videmment dans le monothisme smitique traditionnel. De plus,l'incarnation, c'est donc la chair humaine, donc ncessairement la femme, puisque la chairest engendre. Dieu fait homme a " une maman ". Ds lors qu'elle peut engendrer undieu, la femme n'est plus ce qu'elle avait t, l'tre abominable et impur que les culturespatriarcales du Moyen-Orient ont cr. Tout le jeu de la puret et de l'impuret, qui est aucoeur des religions et des catgories de penses de l'Antiquit moyen-orientale, devientplus compliqu avec le christianisme.

    Imprimerie, protestantisme et dmocratie

    Ds lors, on assiste un processus en chane. Il faut inventer la Vierge Marie. S'il y a unevierge, il peut y avoir des saintes et des martyres, puis des moniales. On constate, et c'estimportant, que l o il y a admission de l'image, il y a admission de la femme etinversement, l o l'image est exclue, il y a rtrogradation de la femme. Il y a dans lechristianisme une ressource, une dynamique, dans le relais fminin, et travers cela, unancrage dans le registre motionnel et affectif. Ceci va de pair avec l'individualisation dela foi qui chappe au systme patriarcal collectif. On a l, selon R. Debray, une partnotable de la singularit chrtienne.

    Pour le mdiologue, comme pour toute la sociologie, le processus de la rformeprotestante que Martin Luther inaugura en 1517 fut un moment essentiel de l'histoire del'Occident. Il est caractris par une rvolution technologique et des transformationsinstitutionnelles qui favoriseront le dveloppement de l'individualisme dmocratique. Lapatrie de l'imprimerie et de la Rforme sont identiques, c'est l'Allemagne. Il existe unecorrlation trs forte entre les premier centres de l'industrie lgre de l'imprimerie,dpendants d'ailleurs de la mtallurgie et de la banque, et la Rforme. Cette dynamiquede la dmocratisation de l'criture sera au fondement des Etats-Unis d'Amrique. LesPilgrims Fathers au xviie sicle emportent leur Bible, un peu comme les Hbreuxemportaient leur Arche sainte. Ils emportent Dieu avec eux, et ils fondent leurscommunauts sur l'ide que la croyance n'est plus le synonyme d'une autorit centrale.Cette position n'aurait pas t possible sans l'imprimerie. Chacun peut alors forger sapropre Eglise : il y a aujourd'hui par exemple 220 dnominations chrtiennes aux Etats-Unis. Le processus d'individualisation de la croyance qu'a inaugur la rforme protestantes'est ralis particulirement aux Etats-Unis. Il est li la capacit de diffusion de l'critqu'autorise la gnralisation de l'imprimerie, durant toute l'poque moderne.

    En termes mdiologiques, il s'agit l du support matriel (le papier de chiffon, le caractred'imprimerie, le support mtallique, etc.) d'une transformation socitale. Mais quelle estl'institution vecteur de cette diffusion de la croyance individualise ? R. Debray rappelleune vidence que les historiens connaissent bien : La famille constitue le fil institutionnelde la transmission protestante, surtout dans les pays o le protestantisme est minoritaire.De mme que l'Eglise chrtienne tait une sorte de contre-ethnie, on peut dire que lafamille protestante est une sorte de contre-Eglise... puisqu'on a plus d'Eglise, on eninvente une autre : petite, discrte, reproductible par dfinition, qui abrite la vrit et quipeut se transmettre de pre en fils. Le support matriel de la transmission familiale tait laBible imprime, dont le rle tait fondamental. Elle tait pose en vidence, dans le salonsur le meuble le plus prcieux. C'tait une bible relie, souvent annote et que l'on setransmettait de pre en fils.

    La Bible et la famille ont t l'un des ciments de la colonisation nord-amricaine.Aujourd'hui, le nouveau monde amricain, aussi bien du Sud que du Nord, demeurefortement pntr de la croyance et de la pratique chrtienne. Je crois, dit R. Debray,que la vitalit monothiste aux Etats-Unis est ne prcisment par l'individualisme. Larvolution bourgeoise a dstabilis la croyance chrtienne en Europe, dans la mesure ocelle-ci tait " enkyste " dans des formes autoritaires, verticales et hirarchiques, issuesde la monarchie ou du fodalisme. Aux Etats-Unis, le christianisme arrive par la famille etl'individu. La foi chrtienne n'est pas lie une pyramide autoritaire, ou politiquementcompromise avec des formes archaques de domination. On constate aux Etats-Unis,jusqu' nos jours, la singulire alliance d'une politique librale et d'une mystiquemonothiste qui explique probablement en partie le maintien de pratiques et de croyancesreligieuses un degr inconnu en France, ou dans certains pays europens.

    Contrairement certaines affirmations philosophiques ou croyances scientifiques en

  • l'avnement de la raison que le xixe ou le xxe sicle ont portes, la figure de Dieu rsistedans les socits contemporaines : La fonction "dieu" dans les socits humaines estlie l'organisation collective. Les tentatives historiques de libration de Dieu ontdbouch sur des ersatz et des bricolages de remplacement, souvent meurtriers : tous lescultes de la personnalit des pays totalitaires en sont l'attestation. La vraie question est desavoir si la Rpublique (la communaut politique) peut tre totalement scularise,comme on l'a cru parfois dans nos socits. Je constate que lorsqu'il y a eu politiquerpublicaine, en France par exemple, il y a eu mystique rpublicaine. La Rpublique peut-elle s'crire avec un "petit r" ? Le fait est que lorsqu'elle se lacise compltement, lescommunauts et les allgeances clricales rapparaissent. Assiste-t-on untransvasement de la sacralit d'un espace politique un espace religieux ? Ma convictionest que plus on prend en compte l'importance de l'inconscient religieux des socits,mieux on peut faire avec : en tout tat de cause, il faut ngocier avec le sacr.

    Rgis DebrayProfesseur de philosophie l'universit de Lyon-III et prsident du conseilscientifique de l'Ecole nationale suprieure des sciences de l'information et desbibliothques.

    La tradition bibliqueLa Bible, pour les croyants, est la parole de Dieu . C'est aujourd'hui un gros livrede compilation d'crits sacrs, diffrents pour les juifs et les chrtiens. La partiecommune (ou presque) que les chrtiens appellent Ancien Testament, a t forge la fin du Ier millnaire avant notre re, dans la socit juive de Palestine. Initialementcrit en hbreux ou en aramen, le recueil des traditions bibliques a tprobablement effectu la fois par les fonctionnaires du Temple de Jrusalem et pardes coles et groupements d'tudes juifs dissmins en Palestine ou dans ladiaspora des pays limitrophes. La traduction grecque de la Bible, rdige au iie sicleavant notre re Alexandrie, l'atteste. La Bible, cette poque, comprend la Tora, ouPentateuque pour les chrtiens, que Dieu aurait directement donne Mose. Ellerecle galement des rcits sur l'origine du peuple hbreu, des chroniques royalesdu temps de l'Indpendance des royaumes hbraques (xiie-ve sicles avant notrere), des proverbes, des crits de prophtes, etc.

    La destruction du Temple

    La Bible fut constamment augmente et rinterprte lors des moments dramatiquesdes occupations babylonienne, perse, grecque et romaine (ve-ier sicles). Ils'agissait pour les docteurs et prtres de comprendre pourquoi le dieu d'Isral mettaiten cause l' alliance avec son peuple, en le punissant par la dfaite et ladomination trangre. La punition dfinitive vint des Romains qui, aprs unelongue occupation, dtruisirent finalement le Temple de Jrusalem puis supprimrentdfinitivement l'Etat hbreux au iie sicle de notre re. Ces vnements allaientfournir les conditions de la constitution d'un canon biblique et de pratiques religieusesrenouveles, pour les juifs comme pour les chrtiens, branche initialement dissidentedes communauts judaques. Il fallait encore une fois, pour tous, comprendrepourquoi l'alliance de Dieu et de son peuple ne fonctionnait plus. Les rponses sefirent dans le cadre classique de l'interprtation biblique pour les juifs, ou par larupture radicale et la refondation d'une alliance pour les chrtiens.

    C'est de ce moment que date la sparation en deux branches du texte biblique : pourles chrtiens, la Bible hbraque devint l'Ancien Testament. Les Evangiles, tablisdans les premiers sicles de notre re, seront intgrs aux textes sacrs commeNouveau Testament. Dans les communauts restes fidles la religion juive, laBible, dont seule la rcitation en communaut pouvait permettre la comprhension,sera codifie. Comme pour le Nouveau Testament chrtien, le judasme va se munirde nouveaux textes, progressivement intgrs au corpus antique de la Bible.

    On doit cette transformation de la Bible hbraque aux pharisiens, anctres desrabbins actuels. Par leur entremise, au cours du Ier millnaire, le judasme prendrasa forme dfinitive : d'une part, la lecture de la loi de Mose en hbreu lors del'assemble communautaire du sabbat (dfinitivement codifie au viiie sicle de notrere), d'autre part, le commentaire et l'actualisation de cette loi. La longue histoire dujudasme jusqu' aujourd'hui sera ainsi marque par le commentaire des textespralablement codifis par des acadmies rabbiniques, en vue de fournir aux fidlesdes rponses pour leur conduite morale ou sociale.

  • A lireJEAN-CLAUDE RUANO-BORBALAN

    Mots-cls :

    christianisme mdiologie transmission

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    Commentaires

    Il y a actuellement 3 commentaires, ragissez cet article

    Edifiant ?

    Nestor Potkine

    -

    le 25/10/2015

    On ne saurait trop recommander de ne pas commencer un commentaire d'article sur un sujet religieux par

    "difiant"...

    Quant l'approche neurologique, elle est extrmement intressante, bien plus large que la simple

    hypertrophie du cortex : elle attaque l'heure actuelle le phnomne religieux la fois sur plusieurs zones

    cervicales et sous diffrents angles. Une chose est sre, comme toute activit mentale, la croyance

    religieuse est aussi une activit neuronale, et on s'aperoit qu'elle est sujette bien des influences, pas du

    tout surnaturelles.

    Enfin, les hypothse de Debray, qui semblent tout fait justes ne sont pas trs neuves, il s'est content de

    rassembler plusieurs travaux mens dans diffrentes disciplines, et le rsultat final;, qui ne semble gure

    conforter l'hypothse de la ralit des croyances a tout de mme t empaquet dans une couverture et un

    titre un peu hypocrite, qui laisse penser que Debray serait devenu grenouille de bnitier, ce dont je ne sais

    rien, mais que cette interview ne suggre pas du tout.

    La dynamique du croire

    Jem

    -

    le 22/05/2012

    Je trouve difiant cet article, et me pencherai sur Rgis Debray. Voil enfin une approche qui ne juge pas,

    mais produit une mta-narration du croire monothiste.

    ***

    Michel T. - Vous avez mon point de vue sous l'article "Pourquoi croit-on en Dieu ?" de ce dossier "La

    religion". Mais j'irai au-del : vous reproduisez l'en-tte de votre commentaire sur l'article cit : "Un autre

    point de vue..." Pardon de trouver cela risible, et de trouver risible encore votre publicit. Car vous vous

    posez en voie alternative, en l'occurrence irrligieuse, mais aucun des articles de ce dossier ne vante la

    croyance : ils l'tudient, et d'autant de points de vue qu'il y a d'auteurs, sans parler des entretiens qui nouent

    encore des dmarches diffrentes... En somme, j'ai le sentiment que vous fates votre autopromotion, sans

    parler du rductionnisme de bon aloi, quand on pense depuis une pistm matrialiste.

    Et puis, risible encore, cette tournure de phrase : "Aux yeux d'un neurophysiologiste non-croyant, du moins

    s'il ose s'exprimer..." Pauvre martyr de neurophysiologiste, apparemment ! ... Mais des martyrs, il y en a

    partout de par le monde, alors qu'ils dsirent la paix : certains chrtiens en Iran, certains beurs victimes de

  • xnophobies et de gnralisations abusives en France - pour ne citer que ceux-l... En somme, vous

    entretenez les guerres de religion car, ne le saviez-vous pas ? l'inexistence de Dieu, elle aussi, reste

    prouver.

    Bien vous

    Un autre point de vue ...

    MICHEL THYS

    -

    le 16/05/2012

    En rponse la question : Comment l'humanit se transmet-elle ses croyances (...) ? l'approche

    "mdiologique" de Rgis DEBRAY, videmment pertinente, ne fait qu'une brve allusion au fait que lorsque

    les hommes sont dans l'abandon, ils produisent une compensation psychologique, idologiquement

    efficace .

    J'observe que les autres philosophes persistent d'ailleurs aussi ne pas intgrer les observations relatives

    l'origine psychologique, ducative et culturelle de la foi, ainsi qu' sa frquente persistance neuronale.

    Rgis DEBRAY voque plutt les supports matriels (media, techniques) et les supports institutionnels

    (organisations, Eglises, administrations ou partis), mais insuffisamment, mon sens, un support plus

    fondamental, une technique de transmission lmentaire et universel : le fait d'imposer des influences

    religieuses, forcment affectives, au cerveau motionnel d'un enfant, ce qui y laisse des traces indlbiles

    qui influenceront des degrs divers son cerveau rationnel, et donc son esprit critique et son libre-arbitre

    ultrieurs, indpendamment de son intelligence et de son intellect.

    L'exemple extrme de l'ducation coranique en tmoigne hlas, au point d'empcher et mme d' interdire

    toute apostasie, en contradiction avec l'article 18 de la Dclaration Universelle des Droits de l'Homme de

    1948( Le droit la libert de conscience et de religion implique la libert de changer de religion ou de

    conviction (...) ).

    Aux yeux d'un neurophysiologiste non-croyant, du moins s'il ose s'exprimer, la croyance religieuse apparat

    comme le rsultat de l'hypertrophie volutive du nocortex humain, depuis qu'il est devenu capable

    d'imaginer un nouveau mcanisme de dfense : d'abords des dieux, puis un seul, protecteur, substitutif,

    crateur, salvateur, bref anthropomorphe. Historiquement, ce ne fut pas un progrs ... !

    Ensuite seulement interviennent les volutions mentales, culturelles (animisme, chamanisme, polythismes,

    monothismes), puis historiques, politiques, philosophiques). Pour plus de dtails :

    http://michel.thys.over-blog.org/article-une-approche-inhabituelle-neuroscientifique-du-phenomene-religieux-

    62040993.html

    Mais ce n'est l que mon point de vue. Merci pour vos commentaires.

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