La faune de l'espace

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Van Vogt,A.E.-La faune de l'espace(1950).French.ebook.AlexandriZ

Van Vogt,A.E.-La faune de l'espace(1939).French.ebook.AlexandriZ

La faune de lespace

ALFRED E. VAN VOGT

Traduit de lamricain

par Jean ROSENTHAL


Ceroman a paru sous le titre original:

THE VOYAGE OF THESPACE BEAGLE

A.E. Van Vogt, 1939, 1943, 1950

enarrangement avec Forrest J. Ackerman, U.S.A.

et A.van Hageland, Belgique.

pour la traduction, Librairie Gallimard, 1952.


1

Zorl rdait inlassablement. La nuit noire, sans lune etpresque sans toiles, cdait comme regret sa place une aube rougetre etdsole qui se levait la gauche de Zorl. Pour le moment, la lumire naissantetait ple et nannonait aucune chaleur. Elle dvoilait, en stalant, unpaysage de cauchemar.

Zorl se dtacha, peu peu, sur le fond des rochers noirs etdchiquets qui hrissaient la plaine nue. Un soleil dun rouge ple montait lhorizon. Des doigts de lumire sinsinurent dans les coins les plus sombresdu paysage. Zorl ne voyait toujours aucune trace de la tribu dtres pourvusdid quil suivait la piste depuis prs de cent jours.

Il sarrta enfin, glac par cette ralit. Ses normesmembres de devant se crisprent, et il fut travers dun frisson qui secommuniqua jusqu chacune de ses griffes acres comme des lames de rasoir.Les puissants tentacules qui partaient de ses paules ondulrent, eux aussi.Zorl tourna dun ct lautre sa grosse tte de chat et, sur chacune de sesoreilles, les poils vibrrent fivreusement, happant, pour les identifier, lapetite brise vagabonde, la plus infime palpitation de latmosphre.

Rien. Pas le moindre frmissement ne parcourait le rseau deson systme nerveux. O quil se tournt, aucun indice ne lui laissait esprerla proximit des receleurs did, sa seule nourriture sur cette plante dserte.Dsespr, Zorl saccroupit, et sa silhouette de gigantesque chat se dcoupasur le ciel rougetre, comme la caricature dun tigre noir dans un monstrueuxthtre dombres. Ce qui le troublait, ctait quil et perdu le contact.Normalement, son systme sensoriel lui permettait de dtecter la prsence dunorganisme charg did dans un rayon de plusieurs kilomtres. Donc, il ntaitplus normal. Le fait quil net pas russi, cette nuit, maintenir lecontact, prouvait assez son tat de dpression. Ainsi, ctait l la maladiemortelle dont il avait dj entendu parler. Sept fois, au cours du siclepass, il avait lui-mme rencontr des zorls trop faibles pour faire le moindremouvement, et dont les corps, autrement immortels, staient effondrs, toutmacis, par manque de nourriture. Chaque fois, il stait avidement jet surces corps sans dfense et les avait dchiquets pour en extraire le peu didqui les maintenait encore en vie.

Zorl frissonna de plaisir au souvenir de ces festins. Puisil mit un puissant grognement qui retentit dans lair, et dont les rochers setransmirent lun aprs lautre lcho avant de le renvoyer jusqu Zorl, qui ensentit les ondes courir le long de ses nerfs. Ctait lexpression instinctivede sa volont de survivre.

Brusquement, il se raidit.

Trs haut au-dessus de lhorizon, il venait dapercevoir unpoint scintillant. Le point se rapprochait. Il grandissait et, avec unestupfiante rapidit, se transformait en boule mtallique. La boule devint ungrand vaisseau rond. Celui-ci, brillant comme de largent poli, passa ensifflant au-dessus de Zorl qui le vit alors ralentir. Il se profila au-dessusdune ligne noire de collines, sur la droite, resta un moment presque immobile,puis descendit et disparut.

Zorl, un instant paralys de stupfaction, se secoua. Il seprcipita parmi les rochers avec la rapidit dun tigre. Ses yeux noirs etronds brlaient dun dsir exacerb. Les poils vibratiles de ses oreilles, endpit de leurs forces diminues, lui signalaient la prsence did en tellequantit que Zorl sentit les crampes de la faim le tenailler douloureusement.

Le soleil, rostre maintenant, tait haut dans le cielpourpre et noir quand Zorl parvint un sommet et, se dissimulant derrire unemasse de rochers, promena son regard sur les ruines de la cit qui stendait ses pieds. Le vaisseau argent, en dpit de sa taille, paraissait petit ctde ces ruines tales. Cependant, de ce vaisseau manait une vie contenue, unetranquillit dynamique qui, trs vite, lui fit prendre la premire place dans lepaysage. Il reposait dans un lit creus par son propre poids dans la plaine dedure rocaille qui commenait brusquement la sortie de la ville morte.

Zorl regarda les tres bipdes qui taient sortis de lacoque du vaisseau. Ils taient rassembls, par petits groupes, au pied duntrottoir roulant qui reliait la porte brillamment claire du vaisseau au sol, une trentaine de mtres plus bas. Il sentit sa gorge se contracter tant sonbesoin de salimenter tait urgent. Son cerveau fut obscurci par limprieuxdsir de charger ces cratures minuscules quil voyait ses pieds et quimettaient des vibrations did.

Des lambeaux de souvenirs vinrent arrter son lan alorsquil ntait encore qulectricit naissant dans ses muscles. Ces souvenirs serapportaient au lointain pass de sa race, des machines qui pouvaientdtruire, des nergies de beaucoup plus puissantes que celles de son corps.Ses rservoirs de force sen trouvrent empoisonns. Il eut le temps de voirque les bipdes portaient quelque chose par-dessus leurs corps vritables,quils taient recouverts dun tissu brillant et transparent sur lequel serefltaient les rayons du soleil.

Lentendement lui vint, et il comprit la prsence de cescratures. Ceci, se prit enfin rflchir Zorl, est une expditionscientifique venue dune autre plante. Les savants enqutent, ils nedtruisent pas. Ces tres ne cherchaient pas le tuer sil ne les attaquaitpas. Dans leur genre, les savants taient des imbciles.

La faim le rendant audacieux, il savana dcouvert. Ilvit que les cratures avaient pris conscience de sa prsence. Elles leregardaient. Les trois qui se trouvaient le plus prs de lui reculrentlentement et allrent rejoindre les groupes les plus importants. Lun desbipdes, le plus petit de son groupe, tira dune gaine quil portait au ct unbton de mtal sombre et le balana nonchalamment dans une main.

Zorl ressentit une certaine inquitude devant ce geste, maisil fit un nouveau bond en avant. Il tait trop tard pour tourner le dos.

Elliott Grosvenor resta o il tait, bien en arrire, ctdu tapis roulant dembarquement. Il commenait avoir lhabitude dtre larrire-plan. tant le seul nexialiste bord du vaisseau interplantaireLe Fureteur, il stait vu, depuis des mois, ignor des spcialistes;ceux-ci, outre quils ne savaient pas exactement ce qutait un nexialiste,sen proccupaient fort peu. Grosvenor entendait bien remdier cet tat dechoses mais, pour linstant, loccasion ne sen tait pas prsente.

Le communicateur de sa combinaison interplantaire sveillabrusquement. Il y eut un rire dhomme et une voix dit:

Personnellement, je ne prends pas de risques devantun monstre dune taille pareille.

Grosvenor reconnut la voix de Gregory Kent, chef de lasection des chimistes. Bien quil ft de petite taille, Kent avait une trsforte personnalit. Il avait bord une foule damis et, dj, avait laissentendre quil comptait prsenter sa candidature la direction de lexpditionlors des prochaines lections. Parmi tous ceux qui voyaient sapprocher deuxle monstre, Kent tait le seul avoir tir une arme, et ses doigts en ttaientle cylindre mtallique.

Une seconde voix se fit entendre, plus profonde et plusdtendue que celle de Kent. Grosvenor la reconnut comme tant celle dHalMorton, le directeur de lexpdition.

Cest une des raisons pour lesquelles vous tes de cevoyage, Kent, dit Morton, parce que vous ne laissez jamais rien au hasard.

Cette rflexion avait t faite sur un ton des plus amicaux.Morton ngligeait, semblait-il, le fait que Kent stait dclar son adversaireen vue des prochaines lections. videmment, il tait possible que ce ft l,de la part de Morton, une tactique destine laisser entendre aux plus nafsde ses auditeurs que lactuel directeur ne nourrissait pas de mauvaissentiments lgard de son futur rival. Grosvenor le croyait assez finpolitique pour cela. Il lavait dj jug comme un homme rus, raisonnablementhonnte et trs intelligent, un homme qui saurait faire face toutes lessituations avec une instinctive habilet.

Grosvenor vit Morton avancer de quelques mtres et dpasserlgrement ses compagnons. Son corps puissant remplissait largement sacombinaison de mtalite transparent. Do il tait, le directeur regardaitsavancer vers le groupe le monstrueux flin. Dj son communicateurtransmettait aux oreilles de Grosvenor les commentaires des autres chefs desection:

Je naimerais pas du tout rencontrer ce charmantenfant la nuit au coin dun bois.

Ne soyez pas stupide. Cest srement une cratureintelligente. Peut-tre est-ce un membre de la race qui gouvernait cetteplante.

Son dveloppement physique, dit une voix queGrosvenor reconnut comme tant celle de Siedel, le psychologue, suggre uneadaptation animale au milieu ambiant. Dun autre ct, le fait quil savanceainsi vers nous indiquerait plutt quil sagit, non pas dun animal, mais duntre intelligent qui a conscience davoir affaire des tres intelligents.Vous remarquerez la raideur de ses mouvements: elle prouve quil estprudent et quil a compris que nous avions des armes. Jaimerais pouvoirexaminer de prs lextrmit de ces tentacules des paules. Sils samincissentpour se terminer en appendices en forme de mains ou de ventouses, nous auronsun commencement de preuve que nous voyons ici un descendant des habitants decette ville.

Il se tut, puis conclut:

videmment, nous serions beaucoup plus avancs sinous pouvions communiquer avec lui. Mais, premire vue, je croirais pluttquil est dune espce dgnre et retourne au stade primitif.

trois mtres environ des tres les plus proches, Zorlsarrta. Il se sentait sur le point dtre submerg par son besoin did. Soncerveau affol roulait irrsistiblement vers le chaos et il dut faire un effortterrible pour se matriser. Il avait la sensation que tout son corps baignaitdans un liquide visqueux. Sa vue se brouillait.

La plupart des hommes se rapprochrent de Zorl. Celui-ci lesvit lexaminer franchement et avec une extrme curiosit. Leurs lvresremuaient lintrieur de leurs casques transparents. Leur formedintercommunication car ctait cela probablement quil sentait luiparvenait sur une frquence quil tait trs capable de recevoir. Les messagesquils se transmettaient de lun lautre navaient aucune signification. Dansun effort pour paratre aimable, Zorl transmit son nom par les poils vibratilesde ses oreilles tandis quil se dsignait lui-mme dun de ses tentaculesincurvs.

Une voix que Grosvenor ne reconnut pas sexclama:

Dites donc, Morton, jai eu des sortes de parasitessur mon rcepteur au moment o il a remu les oreilles. Est-ce que vous croyezque

Cest possible, rpondit le chef avant mme quelautre et achev sa question. En ce cas, cest de votre ressort, Gourlay.Sil parle par radio, nous pourrions peut-tre mettre au point un code qui nouspermettra de communiquer avec lui.

Ctait donc Gourlay, chef des communications, qui venait deparler. Grosvenor tait content. Grce lapparition du monstre, il allaitpeut-tre enfin pouvoir enregistrer les voix de tous les membres importants delexpdition. Il avait essay dy parvenir depuis le dpart.

Ah! dit Siedel, le psychologue, les tentaculesse terminent en ventouses. Donc, en admettant que le systme nerveux soitsuffisamment complexe, cette crature doit tre capable, aprs un entranementpralable, de faire fonctionner nimporte quelle machine.

Je crois quil est temps que nous rentrions djeuner,dit Morton. Nous aurons du pain sur la planche aprs cela. Jaimerais que lonme ft une tude dtaille du dveloppement scientifique de cette race et, enparticulier, jaimerais savoir ce qui a caus sa perte. Sur terre, lpoquerecule qui a prcd la civilisation galactique, les cultures se succdaient,chacune atteignant son apoge puis scroulant pour cder la place lasuivante. Et il y avait toujours une civilisation nouvelle pour remplacerlautre. Pourquoi nen a-t-il pas t de mme ici? Que chaque sectionenqute dans le domaine qui lui est propre.

Et minet? demanda quelquun. Je suis sr quila envie de venir avec nous.

Morton pouffa puis, reprenant son srieux, dit:

Si seulement nous pouvions le faire monter l-dedansavec nous, sans avoir employer la force? Quen pensez-vous, Kent?

Le petit chimiste secoua la tte dun air dcid:

Latmosphre qui nous entoure contient plus de chloreque doxygne, et, en fait, trs peu des deux. Je crois que ses poumons nersisteraient pas notre oxygne.

Mais le flin, Grosvenor sen rendit trs vite compte,navait pas rflchi ce danger. Dj il avait gravi la planche dembarquementderrire les deux premiers hommes et, leur suite, franchissait la porte.

Les deux hommes se retournrent et regardrent Morton quileur fit un petit signe de la main et dit:

Ouvrez la seconde porte et laissez-le prendre unebouffe doxygne. Cela lui donnera une leon.

Un instant plus tard, le directeur, stupfait,sexclamait:

a alors, je nen reviens pas! Il ne sest mmepas aperu de la diffrence! Autrement dit, il na pas de poumons oualors, ses poumons ne se nourrissent pas de chlore. Mais bien sr quil faut lelaisser entrer! Smith, voil un trsor pour un biologiste Tout faitinoffensif si nous savons nous montrer prudents. Quel mtabolisme!

Smith tait un grand garon osseux, au visage lugubre. Savoix, dont la puissance tonnait dans un corps plutt frle, rsonna dans lecommunicateur de Grosvenor.

Au cours des diverses expditions auxquelles jaipris part, je nai observ que deux formes de vie suprieures. Celles quidpensent du chlore et celles qui dpensent de loxygne cest--dire des deuxlments qui supportent la combustion. Jai vaguement entendu parler decratures vivant dans du fluor, mais je nen ai jamais vu dexemple moi-mme.Je crois que jirais jusqu parier ma rputation quaucun organisme complexene peut sadapter linspiration simultane des deux gaz. Morton, il fautfaire limpossible pour que cette crature ne nous file pas entre les pattes.

Morton clata de rire, puis dit dun ton grave:

Il na nullement lair davoir envie de partir.

Le directeur avait son tour gravi la planchedembarquement. Maintenant, il entrait dans le sas avec Zorl et les deuxhommes. Grosvenor se prcipita, mais seulement une douzaine dhommespntrrent avec lui dans le vaste espace. La grande porte se referma et laircommena arriver avec un sifflement. Chacun se tenait distance respectueusedu monstre. Grosvenor observait lanimal qui sentait grandir en lui une sourdeinquitude. Plusieurs penses lui traversrent la tte. Il aurait aim pouvoirles communiquer Morton. Il aurait d pouvoir le faire. Dans ces vaisseauxdexpditions les chefs de section avaient, en gnral, la possibilit decommuniquer facilement avec le chef. En tant que chef de la section nexialisteet bien quil en ft lunique membre Grosvenor aurait d, lui aussi,bnficier de cette facilit de communication avec Morton, lgal des autreschefs de sections. Mais au lieu dun appareil metteur, il navait, sur sacombinaison, quun rcepteur gnral. Celui-ci lui permettait dentendre lesautres travailler. Sil dsirait sadresser lun de ses compagnons, ou encoresil se trouvait en danger, il avait la possibilit de lancer un appel qui luiouvrait un circuit au standard central.

Grosvenor ne discutait pas la valeur gnrale de ce systme.Il y avait prs de mille hommes bord et il tait vident quon ne pouvait paspermettre tous de parler Morton chaque fois que lenvie leur en prenait.

La porte intrieure du sas venait de souvrir. Grosvenor sefraya un chemin vers la sortie avec les autres. Quelques instants plus tard,ils se trouvaient tous devant une srie dascenseurs menant aux picesdhabitation. Il y eut une brve discussion entre Morton et Smith. Finalement,le premier dit:

Nous le ferons monter tout seul, sil veut.

Zorl se prta lopration sans aucune difficult jusquaumoment o il entendit la porte de lascenseur claquer derrire lui et o lacage se mit monter. ce moment, il se retourna et poussa un grognement.Instantanment, sa raison sombra dans le chaos. Il se prcipita sur la porte.Le mtal plia sous son poids et la douleur le rendit furieux. Il ntait plusmaintenant quun animal pris au pige. Il se lana sur le mtal, toutes griffesdehors. De ses forts tentacules, il arracha les panneaux souds. Toute lamachine crissa en signe de protestation. La cage, pousse par la forcemagntique, continua monter par soubresauts, en dpit des dbris mtalliquesqui allaient scraser contre les murs extrieurs. Finalement, lascenseurparvint destination et sarrta. Zorl arracha ce qui restait de la porte etfona dans le couloir. L il attendit que les hommes fussent monts, avec leursarmes la main.

Nous sommes stupides, dit Morton. Nous aurions d luimontrer comment marchait lascenseur. Il doit croire que nous lui avons tenduun pige.

Il fit signe au monstre. Grosvenor vit lclat sauvagedisparatre dans les yeux noirs de lanimal tandis que Morton allait ouvrir etfermer plusieurs fois la porte de lascenseur le plus proche. Ce fut Zorllui-mme qui mit fin la leon. Il sen alla dans une grande pice qui donnaitsur le couloir.

Il sallongea sur le tapis et lutta pour matriser latension lectrique dans ses muscles et dans ses nerfs. Il tait furieux davoirmontr quil avait peur. Il lui semblait avoir perdu, de ce fait, lavantagequil y aurait eu paratre un individu doux et placide. Il avait d lessurprendre et les inquiter par cette exhibition de sa force.

Ainsi la tche quil stait fixe sen trouvait rendue plusdangereuse encore: il voulait semparer de ce vaisseau. Sur la plantedo venaient ces tres, il devait y avoir de lid en quantit illimite.


2

Sans manifester la moindre motion, Zorl regarda deux deshommes dblayer lentre de limmense porte mtallique dun ancien btiment.Les tres humains avaient djeun, puis, aprs avoir rendoss leurscombinaisons, staient disperss, individuellement ou par groupes, dans laville morte. De quelque ct quil tournt son regard, Zorl apercevait deshommes occups, supposait-il, des recherches scientifiques.

Pour lui, il ne sintressait qu une chose: lanourriture. Tout son corps lui faisait mal tant ses cellules avaient besoindid. La faim lui tordait les muscles, il brlait du dsir de slancerderrire ceux des hommes qui staient le plus enfoncs dans la ville. Lundeux tait parti seul.

Durant leur djeuner, les tres humains lui avaient offertdivers chantillons de leur nourriture, tous sans aucun intrt pour lui. Ilsne semblaient pas se rendre compte que ce quil lui fallait ctaient descratures vivantes. Lid ntait pas seulement une substance, mais laconfiguration dune substance que seuls pouvaient fournir des tissus encorepalpitants du flux vital.

Les minutes passrent. Zorl se contenait toujours. Ilcontinuait tout observer, tout en sachant que les hommes avaient consciencequil les observait. Il les vit amener une machine mtallique jusqu la masserocheuse qui bloquait la grande porte du btiment. Il ne perdait pas un deleurs mouvements. Malgr les frissons qui le parcouraient, il nota exactementcomment fonctionnait la machine, et le mcanisme lui en parut fort simple.

Il savait trs bien ce quoi il fallait sattendre quand lejet incandescent commena mordre le roc. Malgr cela, il eut un grandsoubresaut et grogna pour leur montrer quil avait peur.

Grosvenor, install sur un petit aronef patrouilleur,regardait Zorl. Il stait donn lui-mme pour mission de noter toutes lesractions du monstre. Il navait rien dautre faire. Personne, bord du Fureteur,ne semblait se soucier dutiliser la science de lunique nexialiste de lexpdition.

Bientt, la grande porte fut entirement dgage. Mortonsapprocha, suivi dun autre savant. Tous deux passrent la porte etdisparurent lintrieur du btiment. Peu aprs, Grosvenor les entendit dansson communicateur. Lhomme qui accompagnait Morton parla le premier:

Cest une hcatombe. Il a d y avoir une guerre. Ilest facile de comprendre le fonctionnement de toutes ces machines. Elles sontdu type secondaire. Ce que jaimerais bien savoir, cest comment elles taientcontrles et quoi elles servaient?

Je ne vois pas trs bien ce que vous voulez dire, fitMorton.

Cest trs simple, dit lautre. Pour linstant, jenai vu ici que des outils. Presque chaque machine, quelle soit arme ou outil,est munie dun transformateur qui lui permet demmagasiner de lnergie, denmodifier la forme, puis de lutiliser. Mais o sont les sources de lnergie,les usines? Jespre que nous trouverons la clef du problme dans lesbibliothques. Qua-t-il pu se passer pour que toute cette civilisation se soitainsi croule?

Une autre voix se fit entendre dans le communicateur:

Ici Siedel. Jai entendu votre question, monsieurPennons. Il peut y avoir deux raisons ce quun territoire soit vid de sesoccupants: lun, cest le manque de nourriture et lautre, la guerre.

Grosvenor se rjouit davoir pu, par lintermdiaire deSiedel, identifier le compagnon du directeur. Ainsi, il ajoutait une voix sacollection. Pennons tait le chef mcanicien du vaisseau principal.

Peut-tre, ami psychologue, dit Pennons, mais leurscience aurait d leur permettre de rsoudre leurs problmes de ravitaillement,de les rsoudre en tout cas pour une petite population. Et sinon, pourquoinont-ils pas cherch explorer lespace et aller chercher leur nourritureailleurs?

Demandez cela Gunlie Lester. (Ctait la voix deMorton). Je lai entendu exposer toute une thorie sur ce sujet avant notreatterrissage.

Lastronome rpondit tout de suite:

Il me reste encore vrifier toutes les donnes.Mais un fait, vous ladmettrez avec moi, est significatif par lui-mme. Cetteplante dsole est la seule qui tourne autour de ce misrable soleil. Il ny arien dautre. Pas de lune. Pas mme un astrode. Et le systme stellaire leplus proche est neuf cents annes-lumire dici. Ainsi donc, la racegouvernant ce monde se serait trouve oblige de rsoudre, dun seul coup, nonseulement le problme du voyage interplantaire, mais celui, combien pluspineux, du voyage interstellaire. Voyez, pour vous faire une ide de la tchequi se prsentait eux, comment nous-mmes avons procd. Dabord, nous avonsatteint la Lune. Puis les plantes. De succs en succs, et au bout de longuesannes, nous avons accompli le premier long voyage jusqu une toile proche.Et enfin, lhomme a invent la gravitation artificielle qui a permis le voyagegalactique. En rflchissant tout ceci, je suis parvenu la conclusionquaucune race nest en mesure dinventer le voyage interstellaire sansexprience pralable.

Dautres commentaires sensuivirent, mais Grosvenor ne lescouta pas. Son regard venait de se reporter lendroit o, pour la dernirefois, il avait vu le gros chat. Celui-ci avait disparu. Grosvenor juraintrieurement de stre ainsi laiss distraire. Rapidement, il survola toutela zone dans son petit appareil. Mais ses recherches furent vaines car il avaitsous les yeux trop de ruines, trop de btiments, trop de dblais. Partout, desobstacles lui barraient la vue. Il atterrit et questionna plusieurs techniciensen plein travail. La plupart se souvenaient avoir vu le chat il y avingt minutes environ. Peu satisfait de ces rponses, Grosvenor remontadans son appareil et repartit dans le ciel de la ville.

Quelques instants plus tt, Zorl stait mis en mouvement etil avanait en se cachant chaque fois quil le pouvait. Il filait de groupe engroupe, vritable dynamo dnergie nerveuse, hypersensible et malade de faim.Une petite voiture approcha, sarrta devant lui et un appareil formidable etvrombissant prit une photo de lui. Une immense perforeuse se mit en mouvementsur une langue de rocher. Toutes ces images se brouillaient dans le cerveau demi attentif de Zorl. Tout son corps douloureux le poussait la poursuite delhomme qui stait enfonc seul dans la ville.

Soudain, il ne put plus le supporter. Une cume verte luimonta la bouche. Personne, lui sembla-t-il, ne le regardait. Il bonditderrire un remblai de pierrailles et se mit courir pour de bon. Il avanaitpar grands bonds souples. Il avait tout oubli, lexception de son but. Ilsuivit des rues dsertes, prit des raccourcis travers des trous dans desmurailles et de longs corridors dimmeubles tombant en poussire. Puis ilralentit et saccroupit car ses oreilles venaient de recueillir des vibrationsdid.

Il sarrta et regarda travers une troue dans la pierre.Un tre bipde, post devant ce qui avait d tre une fentre, dirigeait lesrayons de sa lampe lectrique vers lintrieur sombre. La lampe steignit.Lhomme, qui tait rbl et daspect puissant, sloigna vivement en tournantplusieurs fois la tte dun ct et de lautre. Cette vivacit ne dit rien debon Zorl. Elle signifiait que devant le danger cet individu ragissait avecla promptitude de lclair. Elle prsageait des difficults.

Zorl attendit que lhomme et disparu un tournant puissortit dcouvert et marcha, plus vite quaucun homme net pu le faire. Sonplan tait net. Comme une apparition, il se glissa dans une rue adjacente etpassa devant un bloc dimmeubles. Il tourna toute allure au premier coin,franchit dun bond un espace dcouvert puis, ventre terre, avana dans lapnombre entre limmeuble et un immense tas de dbris. La rue qui stendaitdevant lui tait borde des deux cts dun amas ininterrompu de rocaille. Ellese terminait en un troit passage dbouchant juste sous les pieds de Zorl.

Mais il stait, au dernier moment, trop prcipit. linstantmme o lhomme passait en bas, Zorl vit avec effroi un petit tas de pierres sedtacher de lendroit o il tait accroupi et dvaler la muraille. Lhomme levaimmdiatement la tte. Son visage changea, tous ses traits se tordirent. Ilsaisit son arme.

Zorl avana lpaule et assna un unique coup sur le casquede la combinaison interplantaire. Il y eut un bruit de mtal dchir et lesang jaillit. Lhomme se plia en deux, comme sil venait dtre tlescop.Pendant un moment, ses os et ses muscles russirent encore miraculeusement lemaintenir debout. Puis il seffondra et lon entendit sentrechoquer les picesmtalliques de sa combinaison.

Zorl fona sur sa victime avec un mouvement convulsif. Dj,il produisait un champ afin dviter que lid ne spandt dans le sang. Sansperdre un instant, il crasa le mtal et le corps qui tait dedans. Des oscraqurent. La chair se rpandit. Zorl plongea son museau dans le corps chaudet les minuscules coupes aspirantes attirrent elles tout lid des cellules.Il tait depuis trois minutes plong avec extase dans sa tche quand une ombrepassa devant ses yeux. Il leva la tte et aperut un petit appareil quiapprochait de la direction du soleil couchant. Un instant, Zorl fut ptrifi deterreur, mais il se reprit et alla sabriter derrire un grand tas de dbris.

Quand il leva nouveau les yeux, le petit appareilsloignait paresseusement vers la gauche. Mais Zorl vit quil tournait en rondet quil risquait de revenir bientt vers lui. Rendu presque fou furieuxdavoir d interrompre son repas, Zorl nen dlaissa pas moins sa proie etretourna vers le vaisseau interplantaire. Il courut comme un animal fuyant ledanger et ne ralentit quen voyant le premier groupe de travailleurs.Prudemment, il sapprocha. Tous taient occups et il put les dpasser sanstre vu.

Grosvenor tait las de chercher Zorl. Cette ville tait tropgrande. Elle contenait encore plus de ruines et dabris possibles quil nelavait cru tout dabord. Finalement, il se rsigna regagner le vaisseau. Ilfut considrablement soulag quand il aperut le monstre qui prenait paresseusementun bain de soleil sur un rocher plat. Il arrta son appareil distancerespectueuse et reprit son observation. Il navait pas boug lorsque, vingtminutes plus tard, lui parvint par le communicateur la nouvelle quun groupedhommes qui exploraient la ville taient tombs sur le corps dchiquet du DrJarvey,de la section des chimistes.

Grosvenor nota le lieu exact du drame et sy renditimmdiatement. Presque tout de suite, il dcouvrit que Morton, lui, navait paslintention daller voir le corps. Le directeur ordonna, en effet, dune voixsolennelle:

Amenez-moi les restes bord.

Les amis de Jarvey taient l, graves et tendus.

Au spectacle des chairs en lambeaux et des dbris de mtalsanguinolents, Grosvenor sentit sa gorge se serrer. Il entendit Kentsexclamer:

Il a fallu quil parte tout seul, le tripleidiot!

La voix du chimiste en chef tait mal assure.

Grosvenor se souvint avoir entendu dire que Kent et sonprincipal assistant, Jarvey, taient grands amis. Quelquun avait d parler surla bande dondes rserve aux chimistes, car Kent dit:

Oui, il faut faire une autopsie.

Ces mots rappelrent Grosvenor quil manquerait leprincipal de la conversation sil ne pouvait pas se brancher sur le mmesecteur. Il se hta de toucher lpaule lhomme le plus proche et luidit:

Est-ce que cela vous ennuierait que jcoute leschimistes par votre intermdiaire?

Allez-y.

Grosvenor garda ses doigts lgrement appuys sur le bras delautre. Il entendit quelquun dire dun ton frmissant:

Ce quil y a de terrible, cest quon dirait unmeurtre sans motif. Le corps est rduit en compote, mais il semble que rien nymanque.

Smith, le biologiste, se mla la conversation sur lalongueur donde principale. Son long visage avait une expression plus lugubreque jamais.

Qui nous dit que le tueur na pas attaqu Jarvey aveclintention de le dvorer et na pas dcouvert ensuite que sa chair taitimmangeable? Rappelez-vous notre gros chat. Il na touch rien de ceque nous lui avons prsent (Il rflchit un moment puis poursuivit,lentement:) Mais, propos, cette crature est bien assez grande et assezforte pour avoir fait ce travail de ses propres petites pattes.

Morton, qui avait d couter la conversation, linterrompit:

Cest une pense qui a probablement dj travers lespritde beaucoup dentre nous. Aprs tout, ce monstre est la seule chose vivante quenous ayons vue ici. Nanmoins, nous ne pouvons pas lexcuter sur de simplessoupons.

Qui plus est, dit quelquun, je ne lai pas perdu devue un instant.

Avant que Grosvenor ait pu intervenir, la voix de Siedel, lepsychologue, se fit entendre sur la longueur donde principale:

Morton, jai communiqu par le toucher avec uncertain nombre de nos hommes. Au premier abord, tous sont certains de ne pasavoir perdu le monstre en vue. Mais, en y rflchissant un peu, tousreconnaissent quil a peut-tre pu sloigner quelques minutes. Moi-mme, javaisaussi limpression que notre animal tait tout le temps rest dans les parages.Mais, maintenant que jy repense, je dcouvre des trous. Il y a eu des moments,probablement de longues minutes, pendant lesquelles personne ne la vu.

Grosvenor soupira, dcid maintenant garder le silence.Quelquun avait parl sa place et dit ce quil voulait dire.

Ce fut Kent qui parla ensuite.

mon avis, dit-il dun ton farouche, nous navonspas prendre de risques. Tuez cette brute, ft-ce sur de simples soupons,avant quelle fasse de nouveaux dgts.

Korita, dit Morton, tes-vous l?

Je suis ici, chef.

Korita, vous vous tes promen un peu partout avecCranessy et Van Horne. Croyez-vous que ce chat soit un descendant de la racedominante de cette plante?

Grosvenor regarda autour de lui et vit larchologue qui setenait lgrement derrire Smith; il tait entour de collgues de sasection.

Le grand Japonais dit lentement, dun ton presquerespectueux:

Chef, nous nous trouvons ici en prsence dunmystre. Regardez tous la majest de ces lignes. Remarquez le gabarit desmonuments. En dpit de la mgalopole quils ont cre, ces gens taient prs dusol. Ces btiments ne sont pas simplement dcors. Ils sont dcoratifs eneux-mmes. Voici lquivalent de la colonne dorique, de la pyramide gyptienneet de la cathdrale gothique montant tout droit du sol, graves et portant eneux-mmes leur message. Si ce monde perdu et dsert peut tre regard comme uneterre mre, cest que le sol occupait une place dans le cur de ses habitants.Les rues sinueuses accentuent encore cette impression. Leurs machines prouventque ces tres taient mathmaticiens, mais quils taient avant tout desartistes. Aussi nont-ils pas cr de villes traces au cordeau comme notrecapitale ultrasophistique. Il y a un pur abandon dartiste, une motionprofonde et joyeuse inscrits dans la courbure et les proportions irrationnellesdes maisons, des difices et des avenues; une impression dintensit, dedivine croyance en une certitude intrieure. Ce nest pas une civilisationdcadente, blanchie par lge, mais une culture jeune et vigoureuse, pleine dassuranceet de foi dans lavenir. Et puis elle sest arrte brusquement, comme si elleaussi avait connu sa bataille de Poitiers et commenc seffondrer comme lanciennecivilisation musulmane. Ou comme si, dun bond, elle avait saut des sicles delente adaptation pour en arriver la priode des luttes entre tats.

On ne trouve pourtant dans lunivers nulle trace duneculture qui ait fait un saut aussi brusque. Cest un processus qui est toujourslent. Et la premire tape est une impitoyable mise en question de tout ce quelon tenait jusque-l pour sacr. Les certitudes intrieures cessent dexister.Les convictions jadis incontestes seffritent devant les audacieux sondagesdes esprits analytiques et scientifiques. Le sceptique devient le plus hauttype humain. Jaffirme que cette culture a eu une fin brusque alors quelletait son apoge. Une telle catastrophe aurait pour consquences, sur le plansociologique, une chute de la moralit et un retour la criminalit bestialeque ne temprerait plus le culte dun idal. Elle entranerait galement unetotale indiffrence devant la mort. Si cet tre si minet est un descendant decette race, cest sans doute alors une crature ruse, furtive, un meurtriersans scrupules qui trancherait la gorge de son propre frre sil y trouvait unbnfice.

Cela suffit.

Ctait Kent et sa voix sche.

Chef, je me porte volontaire pour le rle debourreau.

Mais Smith intervint vivement:

Je proteste. coutez, Morton, vous nallez pas fairetuer ce chat tout de suite, mme sil est coupable. Cest une mine pour labiologie.

Kent et Smith se regardaient avec colre. Ce dernier ditdun ton pos:

Mon cher Kent, je sais bien que vous autres chimistesnaimeriez rien tant que rpartir la chair et le sang de minet dans des cornueset en extirper des composs chimiques. Mais jai le regret de vous informer quevous allez un peu trop vite en besogne. Nous autres biologistes, noustravaillons sur la matire vivante, et non morte. De plus, jai le sentimentque les physiciens, eux aussi, aimeraient jeter un coup dil sur notre monstretant quil est encore en vie. Ainsi donc, vous vous trouvez le dernier sur laliste. Faites-vous cette ide, je vous en prie. Vous aurez peut-tre votreproie dans un an dici, mais pas avant.

Kent rpondit dune voix contenue:

Je ne me plaais pas au point de vue scientifique.

Cest pourtant ce que vous auriez d faire,maintenant que Jarvey est mort et quon ne peut plus rien pour lui.

Je suis homme avant dtre savant, rpliqua Kent,furieux.

Et, pour des raisons sentimentales, vous accepteriezde dtruire un prcieux spcimen scientifique?

Je dtruirais cette crature parce quelle constitueun danger inconnu. Nous ne pouvons pas courir le risque quelle fasse unenouvelle victime.

Ce fut Morton qui mit fin la discussion. Il dit dun tonpensif:

Korita, je crois que je vais accepter votre thoriecomme hypothse de travail. Mais une question encore. Est-il possible que cettecivilisation dont vous parlez soit venue sur cette plante plus tard que lantre dans le cadre du systme galactique que nous avons colonis?

Cest trs possible, dit Korita. Il peut sagir dumilieu de la dixime civilisation de ce monde; alors que la ntre, pourautant que nous ayons pu ltablir, est la huitime civilisation de la Terre.Chacune des dix civilisations de cette plante aurait, naturellement, t btiesur les ruines de la prcdente.

En ce cas, minet naurait aucune conscience de cescepticisme qui nous a fait le souponner dtre un meurtrier?

Absolument aucune.

Le rire dsabus de Morton se fit entendre dans lecommunicateur.

Vos vux vont tre exaucs, Smith, dit-il. Minetvivra. Et sil y a encore des accidents, maintenant que nous le connaissons,ils seront dus la ngligence. Il se peut, naturellement, que nous noustrompions. Tout comme Siedel, jai limpression que cette crature ne sestjamais loigne dici. Il se peut que nous soyons parfaitement injustes songard et quil y ait dautres cratures, dangereuses, sur cette plante

Kent, reprit-il soudain aprs un silence, quels sontvos plans en ce qui concerne le corps de Jarvey?

Le chimiste rpondit dun ton amer:

Nous nallons pas lenterrer tout de suite. Ce mauditchat cherchait quelque chose dans le corps de Jarvey. Celui-ci semble entier,mais il doit y manquer quelque chose. Jen aurai le cur net et alors, je vousdmontrerai que ce monstre est coupable sans lombre dun doute.


3

Revenu bord, Elliott Grosvenor se dirigea vers sa propresection. Sur la porte, on lisait: nexialisme. Derrire il y avait cinqpices couvrant en tout une surface de douze mtres sur vingt-quatre. L setrouvaient installs la plupart des machines et des instruments que lInstitutnexialiste avait demand au gouvernement. Lespace libre sen trouvait assezrduit. Une fois franchie la porte extrieure, Grosvenor se trouva seul.

Il sassit devant son bureau et commena rdiger sonrapport pour Morton. Il analysa tout dabord la structure physique du flinquils avaient dcouvert sur cette plante froide et dserte. Il fit remarquerquun monstre ce point viril ne devait pas tre considr simplement comme untrsor biologique. Il ne fallait pas oublier, en effet, que ce monstre devaitavoir ses instincts et ses besoins propres, bass sur un mtabolisme nonhumain. Nous possdons ds maintenant suffisamment dlments,dicta-t-il dans lappareil enregistreur, pour pouvoir faire ce que les nexialistesappellent un mmoire avec recommandations.

Il lui fallut plusieurs heures pour achever ce mmoire. Dsquil eut termin, il emmena la bobine de fil chez les stnographes et demandaune transcription immdiate. tant chef de section, il lobtint trs vite. Deuxheures plus tard, il remettait son rapport au bureau de Morton. Un secondsecrtaire lui en donna un reu. Convaincu quil avait fait tout ce qui taiten son pouvoir, Grosvenor alla prendre un dner tardif au rfectoire. Ildemanda au serveur o se trouvait le chat. Lautre ne sut pas lui rpondre aveccertitude; il croyait toutefois que le monstre tait dans la grandebibliothque.

Grosvenor passa une heure dans la bibliothque observerZorl. Pendant tout ce temps, le monstre resta allong sur lpais tapis,parfaitement immobile. la fin de cette heure, lune des portes souvrit,livrant passage deux hommes qui portaient une grande coupe; tout desuite derrire eux venait Kent. Le chimiste avait le regard fivreux. Ilsarrta au milieu de la pice et dune voix lasse mais rsolue dclara:

Je veux que vous regardiez tout ce qui va sepasser!

Bien quil et parl toutes les personnes prsentes dansla bibliothque, Kent stait tourn tout spcialement vers un groupe desavants qui se tenaient dans un coin de la pice. Grosvenor se leva pourexaminer le contenu de la coupe que portaient les deux hommes: il vit unesorte de potion bruntre.

Smith, le biologiste, stait, lui aussi, mis debout:

Un instant, Kent. En toute autre circonstance, je nesongerais mme pas discuter vos actes. Mais vous me paraissez malade. Voustes surmen. Avez-vous obtenu la permission de Morton pour votreexprience?

Kent se retourna lentement, et Grosvenor, qui stait assis,put constater que Smith navait en rien exagr. Le chef chimiste avait descernes noirs sous les yeux, et ses joues staient comme enfonces.

Je lai invit venir ici, dit-il. Il a refus. Il areconnu que si cette crature se pliait mon exprience sans faire dedifficult, je naurais nui personne.

Mais quavez-vous dans cette coupe? demandaSmith.

Jai identifi llment manquant, dit Kent. Cest lepotassium. Il ne restait dans le corps de Jarvey que deux tiers ou trois quartsde la quantit normale de potassium quil aurait d y avoir. Vous savezcomment, dans les cellules du corps humain, le potassium se trouve enassociation avec une grosse molcule protique, cette combinaison tant lorigine de la charge lectrique de la cellule. Cest une condition essentiellede la vie. Dordinaire, aprs la mort, les cellules se dbarrassent de leurpotassium dans le flux sanguin, ce qui a pour effet dempoisonner le sang. Jaidcouvert quil manquait du potassium dans les cellules de Jarvey sans quon enretrouve trace dans le sang. Je ne vois pas bien toute la signification de cefait, mais jai lintention de la chercher.

Mais quy a-t-il dans cette coupe? lanaquelquun.

Les hommes abandonnaient leurs magazines et leurs livres etcontemplaient la scne avec intrt.

Elle contient des cellules vivantes et du potassiumen suspension. Vous savez que nous pouvons obtenir cette compositionartificiellement. Cest peut-tre pour cela que minet a refus la nourritureque nous lui avions propose tout lheure, parce que le potassium ne sytrouvait pas sous une forme utilisable pour lui. mon avis, il en flairera laprsence, ou il la sentira avec ce qui lui sert dodorat

Je crois quil peroit les vibrations des corps,intervient Gourlay. Parfois, quand il agite ses espces de poils vibratiles,mes instruments enregistrent une onde distincte et trs puissante de parasites.Et puis cela se passe. Je pense quil utilise une longueur dondes suprieureou infrieure celles que nous percevons. Il semble contrler volont lesvibrations. Je ne crois pas que ce soit le mouvement de ses poils vibratilesqui soit lorigine de ces missions.

Kent attendit avec une visible impatience que Gourlay se fttu, puis il reprit:

Bon, admettons que ce soient des vibrations quilperoive. Nous pourrons dcider ce que prouve sa raction en face de cesvibrations quand il commencera effectivement ragir. (Il conclut dun tonplus conciliant:) Quen pensez-vous, Smith?

Votre plan pche par trois points, rpliqua lebiologiste. Dabord, vous avez lair de supposer que ce nest quun animal.Vous semblez avoir oubli quil est peut-tre repu aprs stre nourri surJarvey si tant est quil se soit nourri. Et vous paraissez croire galementquil ne se mfiera pas. Mais donnez-lui toujours la coupe. Sa raction nousrvlera peut-tre quelque chose.

Lexprience de Kent tait tout fait valable malgrllment motif quelle comportait. La crature avait dj montr quelletait capable de rpondre violemment une stimulation soudaine. On ne pouvaitpas ngliger la raction quelle avait eue quand on lavait enferme danslascenseur. Telles, du moins, taient les rflexions de Grosvenor.

Zorl regarda sans ciller les deux hommes dposer la coupedevant lui. Ils se reculrent prcipitamment et Kent fit un pas en avant. Zorlle reconnut: ctait lhomme qui lavait mis en joue ce matin. Ilconsidra un moment le bipde, puis son attention revint la coupe. Ses poilsvibratiles identifirent la grisante manation did qui sen chappait.Lmanation tait faible, si faible que, sil ne stait pas concentr, il nelaurait pas remarque et lid tait en suspension sous une forme pratiquementinassimilable pour lui. Mais la vibration tait assez forte pour fairecomprendre Zorl ce quon attendait de lui. Zorl se leva avec un grognementsourd. Il saisit la coupe avec les ventouses quil avait lextrmit dun deses tentacules et en projeta le contenu au visage de Kent qui recula enpoussant un hurlement.

Zorl lana la coupe toute vole dans un coin et encerclala taille de Kent dun tentacule pais comme un cordage. Larme accroche laceinture de celui-ci ninquitait pas Zorl. Ce ntait, il le sentit, quunearme vibrations, qui utilisait lnergie atomique, mais ce ntait pas undsintgrateur atomique. Il envoya sa victime rouler lautre bout de la piceet se rendit compte alors, avec un sifflement de dpit, quil aurait ddsarmer son adversaire. Il allait tre oblig maintenant de rvler sesfacults dfensives.

Fou de rage, Kent essuya dune main la bouillie qui luicouvrait le visage et de lautre chercha son arme. Le canon se relevabrusquement et le faisceau du rayon traceur jaillit vers la tte massive deZorl. Les poils vibratiles de ses oreilles bourdonnrent en annulantautomatiquement lnergie. Il regarda dun air mauvais les hommes qui mettaientaussitt la main leurs vibrateurs.

Grosvenor dit dune voix brve:

Arrtez! Si nous nous affolons, nous leregretterons tous.

Kent rengaina son arme et se retourna moiti pour jeter Grosvenor un coup dil surpris. Zorl saccroupit, furieux contre cet homme quilavait forc rvler la facult quil avait de contrler lnergie en dehorsde son corps. Il ny avait rien dautre faire maintenant qu rester sur lequi-vive en attendant les consquences.

Quest-ce qui vous prend de donner des ordres?fit Kent dun ton hargneux.

Grosvenor ne rpondit pas. Son rle, dans cet incident,tait termin. Il avait dcel une crise motionnelle et il avait prononc lesparoles ncessaires sur le ton de commandement sans appel qui simposait. Peuimportait si ceux qui lui avaient obi mettaient maintenant en doute sonautorit. La crise tait passe. Ce quil avait fait navait pas de rapportavec linnocence ou la culpabilit de Zorl. Quel que ft le rsultat final deson intervention, toute dcision sur le sort de la crature devait tre prisepar les autorits reconnues et non par un seul homme.

Kent, dit Siedel, glacial, je ne crois pas que vousayez rellement perdu la tte. Vous avez dlibrment essay de tuer minet touten sachant que notre chef lavait interdit. Jai bonne envie de vous signaleren insistant pour quon prenne les sanctions qui simposent. Vous savez ce quecela signifie: perte de votre commandement dans votre service, etradiation des douze listes de vote.

Un murmure parcourut un petit groupe dhommes que Grosvenorreconnut comme tant les partisans de Kent.

Allons donc, Siedel, fit lun deux, ne dites pas debtises.

Un autre fut plus cynique:

Noubliez pas quil y a des tmoins pour Kentexactement comme il y en a contre lui.

Kent jeta sur lassistance un regard mprisant:

Korita avait raison quand il disait que nous vivions une poque hautement civilise. Nous en sommes mme la dcadence. (Etschauffant, il continua:) Mon Dieu, ny a-t-il donc personne ici quipuisse comprendre lhorreur de cette situation? Jarvey est mort depuisquelques heures peine, et cette crature dont nous savons tous quelle estcoupable est l, libre de tous liens, en train de prparer son prochainmeurtre. Et la victime est sans doute dans cette pice. Quel genre dhommessommes-nous? Sommes-nous des idiots, des cyniques ou des vampires?Ou bien notre civilisation est-elle ce point base sur la raison que noussommes capables de regarder mme un meurtrier avec sympathie? Mortonavait raison, fit-il en regardant Zorl dun air sombre, ce nest pas un animal.Cest un dmon issu du fond de lenfer de cette plante oublie.

Ne soyez pas mlo, dit Siedel. Votre analyse seressent de votre instabilit psychologique du moment. Nous ne sommes ni desvampires ni des cyniques. Nous sommes simplement des savants et il nous fauttudier notre minet. Maintenant que nous le souponnons, il est douteux quilpuisse coincer lun dentre nous. un contre mille, il na pas beaucoup dechances. (Il regarda autour de lui:) En labsence de Morton, je proposede procder immdiatement un vote sur cette question. Est-ce que jexprimebien la pense de tous?

Pas la mienne, Siedel.

Ctait Smith qui venait de parler. Et, comme le psychologuele regardait avec bahissement, il poursuivit:

Dans lexcitation du moment, personne ne parat avoirremarqu que lorsque Kent a utilis son vibrateur, le faisceau a frapp cettecrature en plein sur sa tte de chat sans lui faire le moindre mal!

Le regard stupfait de Siedel alla de Smith Zorl puisrevint au premier:

tes-vous certain que le rayon la frapp?Comme vous lavez fait remarquer, tout cela sest pass si rapidement Quandjai vu que minet ntait pas bless, jai simplement suppos que Kent lavaitmanqu.

Je suis bien sr quil la touch la tte, ditSmith. Bien sr, un vibrateur ne peut pas tuer un homme sur le coup, mais celapeut le blesser. Minet ne montre aucune trace de blessure; il ne tremblemme pas. Je ne dis pas que ce soit concluant, mais tant donn nos doutes

Siedel ne se laissa pas dmonter:

Peut-tre sa peau constitue-t-elle un bon isolant la chaleur et lnergie.

Peut-tre. Mais tant donn lincertitude o noussommes, je crois quil faudrait demander Morton de le faire enfermer dans unecage.

Siedel frona les sourcils dun air mditatif; Kentintervint:

Voil qui est plus raisonnable, Smith.

Alors, Kent, vous vous considreriez comme satisfait,fit prcipitamment Siedel, si nous le mettions en cage?

Kent rflchit un moment puis dit regret:

Oui. Si dix centimtres dpaisseur de microacier nepeuvent pas le retenir, autant lui abandonner le vaisseau.

Grosvenor, qui avait assist la discussion, ne dit rien.Il avait discut le problme de lemprisonnement de Zorl dans son rapport Morton et condamn le principe de la cage en raison du systme de fermeture quece procd impliquait.

Siedel savana vers un communicateur mural, eut uneconversation voix basse et rejoignit les autres.

Morton dit que si nous pouvons faire entrer lacrature dans une cage sans recourir la violence, il est tout faitdaccord. Autrement, il conseille simplement de lenfermer dans la pice oelle se trouve. Quen pensez-vous?

Dans la cage! crirent une dizaine de voix enchur.

Grosvenor profita dun moment de silence pour dire:

Mettez-le dehors pour la nuit. Il ne sloignera pas.

On ignora sa remarque. Seul Kent le regarda et lui dit dunton acide:

Vous navez pas lair de savoir trs bien ce que vousvoulez. Dabord, vous lui sauvez la vie, et aprs vous reconnaissez quil estdangereux.

Il sest sauv la vie tout seul, rpliqua schementGrosvenor.

Kent se dtourna en haussant les paules:

Nous allons le mettre en cage. Cest la place quiconvient un meurtrier.

Maintenant que nous nous sommes dcids, dit Siedel,comment allons-nous procder?

Vous tenez le mettre en cage? dit Grosvenor.

Il nattendait pas de rponse et nen obtint dailleurs pas.Il savana et toucha lextrmit du tentacule de Zorl le plus proche de lui.

Lappendice se rtracta lgrement, mais Grosvenor taitrsolu. Il reprit solidement en main le tentacule et dsigna la porte. Lanimalhsita encore un instant puis se mit traverser silencieusement la pice.

Il sagit de bien synchroniser les oprationsmaintenant. Vous y tes?

Une minute plus tard, Zorl, trottant docilement la suitede Grosvenor, pntrait dans une pice aux parois mtalliques perce de deuxportes se faisant vis--vis; lhomme sortit par la seconde porte. Zorlallait le suivre, mais la porte se ferma devant lui. En mme temps, un dclicmtallique se faisait entendre derrire lui. Il fit volte-face et vit que lapremire porte stait galement referme. Il sentit le flux dnergie dunverrou lectrique qui se bloquait. Quand il comprit quil tait tomb dans unpige, un rictus haineux lui tordit le visage, mais il se matrisa aussitt. Ilavait conscience de ragir devant cette nouvelle situation autrement que lorsde lincident de lascenseur. Pendant des centaines dannes, la nourriture etla nourriture seule lavait occup. Maintenant, mille souvenirs se rveillaientdans son cerveau. Il disposait, dans son corps, de pouvoirs quil avait depuislongtemps cess demployer. Et, au fur et mesure quil reprenait consciencede leur existence, son esprit envisageait automatiquement les possibilitsquils lui ouvraient.

Il sassit sur ses courtes pattes de derrire. Ses poilsvibratiles sondrent les possibilits nergtiques du milieu ambiant. Puis ilsallongea, une lueur de mpris dans le regard. Les imbciles!

Une heure plus tard environ, il entendit un homme ctaitSmith manipuler un appareil au plafond de la cage. Zorl bondit sur sespieds. Il crut dabord quil avait mjug ces hommes et quils allaient le tuersur-le-champ. Il avait pourtant pens quon lui laisserait le temps de mettre excution ses projets.

Le danger laffola et quand il perut soudain des radiationsbien infrieures celles du champ de visibilit, son systme nerveux toutentier se tendit devant la menace. Il lui fallut plusieurs secondes pourcomprendre ce qui se passait: on tait en train de photographierlintrieur de son corps.

Au bout dun moment, lhomme sloigna. Peu aprs, Zorlentendit dautres bruits dhommes qui saffairaient dans les pices voisines.Puis ces bruits steignirent leur tour. Zorl attendit patiemment que lesilence enveloppt le vaisseau. Dans le lointain pass, quand ils navaient pasencore atteint leur relative immortalit, les zorls, eux aussi, dormaient lanuit. Il stait souvenu de cette habitude en voyant des membres de lquipagefaire la sieste dans la bibliothque.

Il y avait un bruit, toutefois, qui navait pas disparu.Mme quand le silence rgna partout bord du grand vaisseau, Zorl continua entendre les pas de deux hommes. Ils montaient la garde devant sa cellule,sloignaient jusqu une certaine distance, puis revenaient. Lennui, ctaitque les sentinelles ntaient pas ensemble. Lune delles passait dabord puis,une dizaine de mtres derrire, venait la seconde.

Zorl les couta passer plusieurs reprises en calculant chaque fois le temps quelles mettaient. Finalement, il fut satisfait. Une foisencore, il attendit leur passage. Puis peine les gardes taient-ils passsquil accommoda ses organes rcepteurs, passant des longueurs dondes humaines une bien plus haute frquence. La violence contenue de la pile atomiquesitue dans la salle des machines apporta son message touff au systmenerveux de Zorl. Les dynamos lectriques murmurrent la chanson de lnergiepure. Il perut le flux dnergie qui coulait le long des fils dans les murs desa cage et dans le verrou lectrique de la porte. Il seffora de matriser lestremblements de son corps et de garder une totale immobilit tout en essayantde capter cette sifflante tempte dnergie. Brusquement, ses poils vibratilesentrrent en rsonance.

Il y eut un claquement de mtal. En leffleurant dun de sestentacules, Zorl ouvrit la porte et se trouva dans la coursive. Lespace duninstant, il se sentit submerg par une vague de mpris en songeant cescratures stupides qui avaient cru pouvoir rivaliser de ruse avec un zorl.Puis, au mme moment, il se souvint quil ntait pas le seul zorl sur cetteplante. Cette pense lavait frapp brusquement et il en ressentit uneimpression trange. Car, ces autres zorls, il les avait has et farouchementcombattus, et maintenant il voyait, en ce groupe dtres qui allaientdiminuant, des congnres. Si une chance leur tait donne de se multiplier,nul et surtout pas ces hommes ne pourrait sopposer eux.

En songeant cette possibilit, il se sentit accabl parses faiblesses, le besoin quil avait des autres zorls, sa solitude: iltait seul contre mille dans cette lutte dont lenjeu tait la galaxie toutentire. Ctait lunivers stellaire dans son ensemble quenglobait sonambition. Sil ne russissait pas cette fois-ci, la chance ne se reprsenteraitplus jamais. Il ne pouvait esprer, dans un monde sans nourriture, trouver lesecret du voyage interplantaire. Les constructeurs eux-mmes ne staient paslibrs de leur plante.

Il traversa un vaste salon et se trouva dans un secondcouloir. Il vit, devant lui, la porte dune chambre coucher. Elle taitferme par un verrou lectrique, mais Zorl louvrit sans bruit. Il bondit dansla pice et gorgea lhomme qui occupait le lit. La tte de celui-ci roula surle ct, son corps eut un soubresaut. Zorl faillit succomber aux manationsdid qui schappaient du cadavre, mais il se fora poursuivre son chemin.

Sept cabines: sept victimes. Puis Zorl retournasilencieusement dans sa cage et en referma la porte derrire lui. Il avaitsplendidement calcul son temps. Les sentinelles arrivaient. Elles jetrent uncoup dil travers laudioscope et, satisfaites, poursuivirent leur chemin.Zorl, alors, partit pour son second raid et, en quelques minutes, passa dansquatre autres chambres. Puis il arriva dans un dortoir occup par vingt-quatrehommes. Jusqualors il avait tu sans perdre de temps, car il savait le momentexact o il devrait tre rentr dans sa cage. En voyant se prsenter luiloccasion de tuer une chambre entire dhommes, il se troubla. Depuis plus demille ans, il massacrait toutes les cratures vivantes quil pouvait capturer.Mme dans les premiers temps, cela ne lui avait jamais donn plus dunecrature id par semaine. Aussi navait-il jamais ressenti la ncessit de serestreindre. Il entra donc dans le dortoir comme le grand chat quil tait,silencieux mais implacable et nmergea de sa volupt meurtrire que lorsquilne resta plus un homme vivant dans la pice.

Cest alors quil comprit quil tait rest trop longtemps.Il frmit en ralisant lnormit de lerreur quil venait de commettre. Sonplan avait t, en effet, de tuer, par vagues successives, tous les occupantsdu vaisseau, en minutant chacune de ses sorties de faon tre revenu dans sacage juste temps pour tre vu des sentinelles quand elles venaient jeter uncoup dil sur leur prisonnier. Il lui fallait maintenant abandonner lespoirde se saisir du vaisseau pendant une seule priode de sommeil.

Zorl seffora de rassembler ses esprits. Fivreusement,sans plus se proccuper du bruit quil pouvait faire, il courut travers lesalon. Il mergea dans le couloir de la cage, tout tendu, sattendant presque tre accueilli par des dcharges dnergie telles quil serait incapable de lesmatriser.

Les deux gardes taient l, cte cte. Ils venaientvisiblement de dcouvrir la porte ouverte.

Ils levrent la tte ensemble, momentanment paralyssdeffroi devant les griffes et les tentacules du monstre, sa tte de chatsauvage et ses yeux remplis de haine. Beaucoup trop tard, lun des deux hommestendit la main vers son arme. Mais lautre tait ptrifi et ne russit qupousser un hurlement de terreur qui rsonna trangement dans le silence. Ce criretentit au long des couloirs, et, rpercut, par les communicateurs muraux,veilla tous les occupants du vaisseau. Il se termina en un affreuxgargouillement car Zorl venait, dun unique mouvement, denvoyer les deuxhommes dun bout lautre du long corridor. Il ne voulait pas quon retrouveles cadavres devant sa cage. Ctait son seul espoir.

Profondment secou, conscient de lirrparable erreur quilavait commise, incapable de coordonner ses penses, il se prcipita dans saprison. La porte se referma derrire lui avec un claquement touff. Une foisde plus, un flux dlectricit passa dans la serrure. Zorl saccroupit sur lesol et feignit le sommeil car il venait dentendre des bruits de pas et de voixexcites. Bien quil et les yeux ferms, il nen remarqua pas moins quequelquun le regardait travers laudioscope. La crise ne viendrait quelorsque les autres corps auraient t dcouverts.

Lentement, Zorl se raidit et se prpara la plus grandebataille de sa vie.


4

Siever est mort! dit Morton dune voix sanstimbre. (Et Grosvenor lentendit ajouter:) Quallons-nous faire sansSiever? Et Breckenridge! Et Coulter et cest horrible!

Les hommes se pressaient dans le couloir. Grosvenor, quiavait d parcourir un certain chemin pour arriver sur les lieux, se trouvait audernier rang de la foule. deux reprises, il avait essay de se frayer unpassage pour se rapprocher de lendroit o se tenait Morton, mais chaque foisil avait t repouss par des hommes qui ne staient mme pas retourns pour lidentifier.Grosvenor renona. Il saperut que le chef allait parler. Morton les regardaittous dun air sombre. Son menton semblait encore plus prominent quedhabitude.

Si lun de vous a ne ft-ce que le germe dune ide,quil le dise, demanda-t-il.

Folie extraplantaire!

Grosvenor se sentit irrit. Cette expression, qui restaitcourante bien que le voyage interplantaire existt depuis des annes, navaitabsolument aucun sens. Le fait que certains fussent devenus fous dans lespace cause de la solitude, la peur et la tension que cela entranait, ne voulaitpas dire quils avaient t atteints dun genre de folie spciale. Un longvoyage comme celui quils avaient entrepris comportait certains dangersmotionnels et ctait lune des raisons pour lesquelles on avait misGrosvenor bord mais le danger de folie ntait pas un de ceux-l.

Morton hsitait. Il semblait, lui aussi, considrer lasuggestion comme tant sans valeur. Mais lheure ntait pas aux discussionssubtiles. Ces hommes avaient peur. Ils voulaient tre rassurs, ils voulaienttre srs que des mesures allaient tre prises pour les protger. Cest depareils moments, lexprience le prouvait, que des chefs dexpditions, descommandants en chef et des responsables de tous genres risquaient de perdrepour toujours leur prestige. Morton ne devait pas lignorer car il sembla Grosvenor, lorsque le chef reprit la parole, quil pesait trs soigneusementchacun de ses mots.

Nous y avons dj pens, dit-il. Bien entendu, le DrEggertet ses assistants vont examiner tout le monde. Pour linstant, ils examinentles corps.

Une puissante voix de basse aboya presque aux oreilles deGrosvenor:

Me voici, Morton. Dites ces gens de me faire unpassage!

Dj, on se poussait pour lui frayer un chemin. Sans uneseconde dhsitation, Grosvenor le suivit; comme il sy attendait, toutle monde crut quil tait avec le docteur et on le laissa passer. Quand ilsarrivrent devant Morton, le DrEggert dit:

Je vous ai entendu, chef, et je peux vous dire toutde suite quil nest absolument pas question ici de folie extraplantaire. Ceshommes ont t broys avec une force gale celle de dix tres humains. Ilsnont mme pas eu le temps de crier.

Eggert se tut, puis demanda lentement:

Et notre gros chat, Morton?

Le chef de lexpdition secoua la tte:

Minet est dans sa cage, docteur, et il tourne enrond. Mais jaimerais, sur ce sujet, demander leur avis aux experts.Pouvons-nous le souponner? Cette cage a t conue pour contenir desanimaux quatre ou cinq fois plus grands que lui. Il me semble difficile de lecroire coupable, moins quil ne possde une science que nous ne sommes pasmme en mesure dimaginer.

Smith intervint:

Morton, dit-il dun ton sombre, nous avons maintenantbien assez de preuves. Je regrette davoir le dire, vous savez trs bien queje prfrerais que ce chat reste vivant. Mais jai essay de le photographieravec lappareil au tlfluor. Je nai obtenu que des plaques vierges.Rappelez-vous ce que disait Gourlay. Cette crature semble capable de recevoiret dmettre des vibrations sur toutes les longueurs dondes possibles. Nous enavons pour preuve la faon dont il sest jou de larme de Kent. Aprs ce quivient de se passer, tout indique que ce chat a un pouvoir tout faitparticulier de contrle sur lnergie.

Quelquun grogna:

Eh bien, a ne va pas mieux! Sil est capablede contrler et de renvoyer sur nimporte quelle longueur donde, je ne voispas ce qui lempchera de nous tuer tous.

Cest une preuve, dit Morton, quil nest pasinvincible car sinon il laurait dj fait depuis longtemps.

Il savana rsolument vers le mcanisme contrlant la cage.

Vous nallez pas ouvrir cette porte! sexclamaKent, qui se saisit de son dchargeur.

Non, mais si jappuie sur ce bouton, un courantlectrique traversera le plancher et lectrocutera ce qui se trouve lintrieur. Cest un dispositif qui existe dans toutes nos cages et que nousavons fait mettre par prcaution.

Morton appuya sur le bouton de commande du courantlectrocuteur. Pendant un moment, le courant passa. Puis des tincelles bleuesjaillirent du mtal, et un jeu de plombs sauta au-dessus de la tte de Morton.Celui-ci enleva la bote fusibles, en sortit un et le regarda en fronant lessourcils.

Cest bizarre, dit-il. Ces plombs nauraient pas dsauter! Et avec a, nous ne pouvons mme pas regarder ce qui se passedans la cage puisque laudio a grill aussi.

Smith dit:

Sil a t capable douvrir le verrou lectrique dela porte, cest quil a tudi tous les dangers possibles et quil tait prt faire face aussi votre courant lectrocuteur.

Cela prouve du moins quil est vulnrable nosnergies, dit Morton, puisquil a d les rendre inoffensives. Le principal,cest que nous layons mis derrire dix centimtres du plus rsistant desmtaux. En imaginant le pire, nous pouvons toujours ouvrir la porte et braquersur lui un dchargeur semi-portable. Mais dabord, essayons denvoyer dellectricit dans la cage par le cble tlfluorique.

Un bruit venu de lintrieur de la cage interrompit sesparoles. Un corps lourd scrasa contre un mur. Ce bruit fut suivi de coupssourds et ininterrompus, comme si plusieurs petits objets tombaient terre.Grosvenor compara mentalement ces bruits ceux dun petit boulement.

Il sait ce que nous essayons de faire, dit Smith Morton. Et je parie quil nest pas son aise, l-dedans. Il doit se rendrecompte quil a t stupide de rentrer dans cette cage!

La tension se relchait. Certains souriaient nerveusement.La remarque de Smith souleva mme quelques rires. Grosvenor, lui, taitdconcert. Les bruits quil venait dentendre ne lui disaient rien qui vaille.Loue tait le plus dcevant des cinq sens. Impossible de deviner ce quistait pass ou se passait dans la cage.

Ce que jaimerais savoir, dit Pennons, le chefmcanicien, cest pourquoi le compteur du tlfluor a saut et trembl aumoment o minet a fait tout ce tintouin l-dedans. Je lai l sous le nez et jeme demande bien ce qui a pu se passer.

Le silence stablit tant lintrieur qu lextrieur dela cage. Brusquement, un mouvement se fit derrire Smith. Le capitaine Leeth etdeux de ses officiers savanaient.

Le capitaine, un homme vigoureux dune cinquantainedannes, dit:

Je vais prendre les choses en main. Si je comprendsbien, les savants se disputent pour savoir sil faut oui ou non tuer cemonstre, nest-ce pas?

Morton secoua la tte:

Nous ne nous disputons plus. Nous sommes tous arrivs la conclusion quil faut lexcuter.

Le capitaine Leeth acquiesa:

Cest lordre que jallais justement donner. Je croisque la scurit du vaisseau est menace. Si tel est le cas, cest moi de ladfendre.

Il leva la voix:

Dgagez cette porte! Reculez!

Il fallut plusieurs minutes pour dgager le couloir.Grosvenor fut heureux quand ce fut fait. Si le monstre tait sorti et avaittrouv ces hommes entasss devant la porte et nayant mme pas la place dereculer, il aurait pu faire un vritable carnage. Le danger, maintenant,ntait pas compltement cart, mais du moins tait-il moindre.

Quelquun dit:

Cest bizarre! On dirait que le vaisseau vientde remuer!

Grosvenor lavait senti, lui aussi; ctait comme si,pendant un instant, quelquun avait vrifi le fonctionnement du grandvaisseau. nouveau, celui-ci trembla puis simmobilisa.

Le capitaine Leeth demanda vivement:

Pennons, qui est en bas dans la chambre desmachines?

Lingnieur en chef tait ple.

Mon second et ses assistants. Je ne vois pas commentils

Il y eut une secousse. Le grand vaisseau donna de la bandeet menaa de tomber sur le flanc. Grosvenor se vit projet terre avecviolence. Il resta un moment engourdi par le choc mais, trs vite, linquitudele fit lutter pour reprendre conscience. Il vit des hommes terre tout autourde lui. Certains gmissaient de douleur. Morton cria un ordre que Grosvenor necomprit pas. Le capitaine Leeth, son tour, se remit pniblement debout.Grosvenor lentendit jurer:

Bon Dieu, quel est le crtin qui a remis ces machinesen marche?

Et, pendant ce temps, le vaisseau acclrait. Sa vitesseavait atteint entre cinq et six g. Grosvenor, en dsespoir de cause, sedirigea vers le communicateur mural le plus proche et essaya dentrer en contactavec la salle des machines. Il entendit un rugissement derrire lui. Morton,qui regardait par-dessus son paule, sexclama:

Cest minet! Il est dans la salle des machines.Et nous sommes partis dans lespace!

Avant mme que Morton se ft tu, lcran du communicateursobscurcit. Quant au vaisseau, il acclrait toujours. Grosvenor traversa entitubant le salon et dboucha dans une seconde coursive. Il se souvenait avoirrepr l un dpt de combinaisons interplantaires. Au moment o il en approchait,il vit que le capitaine Leeth lavait devanc et tait dj en train denfilerune combinaison. En arrivant devant lui, Grosvenor le vit boucler le vtementet mettre en marche le dispositif danti-acclration.

En apercevant Grosvenor, le capitaine sempressa de laider.Une minute plus tard, le nexialiste rduisait un g la gravit dans sacombinaison. Ils taient deux maintenant. Et dj, dautres hommes arrivaienten vacillant dans la pice. En deux minutes, il ne restait plus une combinaisondans le dpt. Ils descendirent un tage pour aller en chercher dautres. Ilstaient plusieurs douzaines maintenant au travail. Le capitaine Leeth avaitdj disparu et Grosvenor, se doutant bien de ce quil fallait faire ensuite,se hta vers la cage o avait t emprisonn le gros chat. Il trouva un groupede savants rassembls devant la porte qui, de toute vidence, venait tout justedtre ouverte.

Grosvenor regarda par-dessus les paules de ceux qui taientdevant lui. Il vit un trou bant dans le mur du fond de la cage. Lorificeainsi mnag tait assez grand pour permettre cinq hommes dy passer defront. Le mtal avait t pli et coup en plusieurs endroits. La percedbouchait sur un couloir.

Jaurais jur, murmura Pennons par le casque ouvertde sa combinaison, que ctait impossible. Mme notre marteau de dix tonnes nepourrait faire plus qubrcher dix centimtres de microacier dun seul coup.Or, nous navons entendu quun coup. Il faudrait une minute au moins audsintgrateur atomique pour faire un trou pareil, et encore toute la zoneresterait-elle radioactive, donc dangereuse, pendant plusieurs semaines.Morton, ce chat est un super-tre!

Le chef ne rpondit pas. Grosvenor vit que Smith examinaitle trou fait dans le mur. Le biologiste leva les yeux:

Si seulement Breckenridge ntait pas mort. Seul unmtallurgiste serait capable de nous expliquer ceci. Regardez!

Il toucha le bord coup du mtal. Un morceau sen dtacha,smietta et se rpandit en fine poussire sur le sol. Grosvenor savana.

Jai des notions de mtallurgie, dit-il.

Machinalement, on seffaa pour lui laisser le passage. Ilse trouva devant Smith qui le considra dun air inquisiteur.

Vous tes un des assistants de Breck? luidemanda-t-il schement.

Grosvenor feignit de ne pas entendre. Il se pencha et lesdoigts de sa combinaison interplantaire palprent les dbris mtalliques surle sol. Il se redressa tout de suite.

Il ny a pas ici de miracle, dit-il. Comme vous lesavez, cette cage a t fabrique dans un moule lectromagntique et avec unepoudre mtallique trs fine. Cette crature sest servie du pouvoir quelle ade contrler lnergie pour agir sur les forces qui maintiennent ensemble lesparticules mtalliques de la cage. Cela expliquerait le bond que M. Pennons avu faire au compteur de tlfluor. Notre chat en a drain lnergie lectrique,son corps jouant le rle de transformateur, pour briser le mur, puis il sestprcipit jusqu la salle des machines.

Grosvenor tait tout surpris que personne ne let encoreinterrompu. Ctait videmment parce quon le prenait pour un assistant dudfunt Breckenridge. Ctait une mprise assez naturelle car, dans limmensevaisseau, chacun navait pas encore eu le temps de se familiariser avec tousles techniciens de second rang.

En attendant, chef, dit Kent tranquillement, il nenreste pas moins que nous avons ici un super-tre qui contrle la marche duvaisseau, sest rendu matre de la salle des machines et de ses pouvoirspresque illimits, et qui lheure actuelle, est en possession de la partie laplus importante des ateliers.

Ctait en effet la situation telle quelle se prsentaitque Kent venait de rsumer. Langoisse se peignit sur tous les visages.

Un des officiers de la compagnie de scurit prit la parole.

M. Kent se trompe, dit-il. Le monstre ne sest pasrendu entirement matre de la chambre des machines. Il nous reste encore leposte de contrle, ce qui nous assure la mainmise sur toutes les machines. tantsurnumraires, messieurs, vous ignorez peut-tre comment se prsente exactementnotre installation mcanique. videmment, il est possible que le monstrefinisse par nous court-circuiter mais, pour linstant, rien ne nous empche decouper tous les contacts dans la salle des machines.

Mais alors, sacrebleu! dit lun des hommes,pourquoi navez-vous pas coup le courant au lieu de faire enfiler descombinaisons interplantaires un millier dhommes?

Lofficier ne se laissa pas dmonter:

Le capitaine Leeth estime que nous sommes davantageen scurit lintrieur des champs de force de nos combinaisons. Il estprobable que le monstre na encore jamais t soumis des acclrations decinq ou six g et il serait dommage de perdre, dans un moment de panique,lavantage que nous donne cet tat de faits et dautres encore.

Quels autres?

Morton prit la parole:

Je crois pouvoir le dire. Nous savons certaineschoses sur cette crature. Et ds maintenant, je vais suggrer au capitaineLeeth de la soumettre un test.

Il se tourna vers lofficier.

Voulez-vous demander votre chef de nous autoriser faire une petite exprience?

Je crois, monsieur, que vous feriez mieux de le luidemander vous-mme. Vous pouvez le joindre par communicateur. Il est sur lepont.

Morton revint au bout de quelques instants.

Pennons, dit-il, puisque vous appartenez lquipageet que vous tes responsable de la salle des machines, le capitaine Leeth ademand que ce soit vous qui vous chargiez de notre exprience.

Grosvenor crut dceler dans le ton de Morton une pointedirritation. Le capitaine du vaisseau parlait srieusement lorsquil avait ditquil allait prendre les choses en main. Ctait la vieille histoire descommandements partiellement diviss. La ligne de dmarcation avait t dfinieaussi nettement que possible, mais on navait videmment pas tout prvu. Ilarrivait un moment o tout dpendait de la personnalit des individus. Jusquce jour, les officiers et les hommes dquipage du bateau, tous des militaires,avaient mticuleusement accompli leurs fonctions, en se subordonnant aux butsdu voyage. Nanmoins, lexprience dautres expditions avait enseign augouvernement que, pour on ne savait quelle raison, les militaires navaient pasgrande opinion des hommes de science. Dans des moments comme celui quon taiten train de traverser, lhostilit cache clatait au grand jour. Ainsi, il nyavait aucune raison pour que Morton ne se charget pas lui-mme de lexpriencequil avait en vue.

Chef, dit Pennons, vous nallez pas avoir le temps detout mexpliquer en dtail. Donnez toujours les ordres! Si nous ne sommespas daccord sur certains points, nous en discuterons.

Ctait l un lgant abandon de prrogative. Mais Pennons,en tant que chef mcanicien, estimait appartenir au clan des hommes de science.

Morton ne perdit pas de temps.

Monsieur Pennons, dit-il dun ton tranchant, dtachezcinq techniciens chacune des quatre entres de la salle des machines. Je vaisprendre la direction de lun des groupes. Kent, vous prendrez le deuxime.Smith, le troisime, et monsieur Pennons, bien entendu, le quatrime. Nousallons prendre des projecteurs calorifiques mobiles et faire sauter les grandesportes. Jai remarqu que notre monstre stait enferm.

Selenski, montez au poste de contrle et fermez tout,except les machines motrices. Faites passer par le commutateur central etcoupez tout la fois. Mais attention. Ne freinez pas lacclration. Surtoutpas de gravitation artificielle. Compris?

Oui, monsieur!

Le pilote salua et partit dans le couloir.

Morton le rappela:

Si lune des machines redmarre, signalez-le-moi dansle communicateur!

Les hommes choisis pour assister les chefs de groupefaisaient tous partie de la garnison du vaisseau. Grosvenor seposta, ainsi que quelques autres, une soixantaine de mtres de l poursurveiller les oprations. Il avait la pnible impression quil allait assister un dsastre tandis quon apportait les projecteurs mobiles et les cransprotecteurs. Il apprciait sa juste valeur la puissance des moyens mis enuvre et la tactique employe. Il pouvait mme imaginer que lattaque seraitcouronne de succs. Mais ce serait tout ou rien et, pour linstant, on nepouvait rien prdire. Laffaire tait rgle sur la base dun trs vieux systmedutilisation des hommes et des comptences. Et Grosvenor ne pouvait que resterl et assister en spectateur lentreprise quil dsapprouvait foncirement.

La voix de Morton se fit entendre sur le communicateurprincipal.

Comme je vous lai dit, il sagit surtout ici duneexprience. Elle est base sur lhypothse que le monstre nest pas encoredepuis suffisamment de temps dans la salle des machines pour y avoir faitbeaucoup de dgts. Il faut donc le capturer maintenant, avant quil soit sontour prt nous attaquer. Mais, outre le fait que nous pourrons peut-tremettre minet hors dtat de nuire, jai aussi une thorie. Voici monide: ces portes sont conues de faon pouvoir rsister de trsfortes explosions et il faudra au moins quinze minutes pour les brler. Pendantcette priode, le monstre naura aucune nergie sa disposition puisqueSelenski est sur le point de couper le courant. Il y aura, bien entendu, lesmachines motrices, mais ce sont des moteurs explosion atomique. Je ne croispas quil puisse utiliser cette forme dnergie. Dans quelques instants, vousverrez ce que jai voulu dire du moins, je lespre.

Il leva la voix pour crier:

Prt, Selenski?

Prt.

Eh bien, coupez!

La coursive et en mme temps le vaisseau tout entier,Grosvenor le savait fut brusquement plonge dans lobscurit. Lenexialiste alluma la lampe de sa combinaison. Chaque homme, son tour, en fitautant. la lumire des lampes individuelles, les visages taient ples ettendus.

Feu!

Lordre de Morton retentit dans le communicateur.

Les gnrateurs se mirent palpiter. La chaleur quilsproduisaient tait dorigine, sinon de nature, atomique. Elle se dversa sur ledur mtal de la porte. Grosvenor vit les premires gouttes du mtal quicommenaient perler. La fusion prit de lampleur et, bientt, une douzaine deruisseaux de mtal liqufi se mirent couler. Lcran transparent sembuaitpeu peu puis, travers la bue qui couvrait lcran, on aperut la porte quibrillait dun clat incandescent. Ctait un spectacle infernal: le feujaillissait en tincelles blouissantes au fur et mesure que la chaleur desprojecteurs rongeait le mtal avec une fureur applique.

Du temps passa. Puis on entendit la voix de Morton, un peurauque.

Selenski!

Toujours rien, chef.

Mais il doit quand mme bien faire quelque chose,murmura Morton. Ce nest pas possible quil attende comme un rat dans son trou.Selenski!

Rien, chef.

Sept minutes scoulrent, puis dix, puis douze.

Chef! fit Selenski dune voix tendue. Il vientde mettre en marche la dynamo lectrique.

Grosvenor retint son souffle. Puis la voix de Kent, sontour, rsonna dans le communicateur.

Morton, nous ne pouvons pas creuser davantage. Est-cece quoi vous vous attendiez?

Grosvenor vit Morton scruter la porte travers lcran.Mme do il tait, il lui sembla que le mtal ntait pas aussi blanc quilltait quelques instants plus tt. La porte tourna au rouge, puis sassombriten se refroidissant.

Cest tout pour linstant, fit Morton en soupirant.Laissez des hommes pour garder tous les couloirs! Nemmenez pas lesprojecteurs! Tous les chefs de section au poste de contrle!

Grosvenor comprit que lexprience tait termine.


5

Grosvenor tendit ses lettres de crance au garde qui barraitlentre du poste de contrle. Lhomme examina les papiers dun ilsouponneux.

Vous devez tre en rgle, dit-il enfin. Mais, en toutcas, vous tes le premier moins de quarante ans que je laisse passer. Commentavez-vous fait pour arriver si jeune?

Grosvenor sourit:

Jai eu la chance de choisir une science toute neuve.

Le garde regarda nouveau la carte de Grosvenor puis la luirendit:

Le nexialisme? Quest-ce que cest quea?

Un totalisme appliqu, dit Grosvenor.

Il franchit le seuil.

Lorsquil se retourna, un instant plus tard, Grosvenor vitque lautre le suivait dun regard bahi. Il sourit, puis oublia tout de suitelincident. Ctait la premire fois quil se trouvait dans le poste decontrle et il jeta autour de lui des regards fascins. Bien que de superficierestreinte, le tableau de bord tait dune structure impressionnante. Il secomposait dune srie de gradins incurvs dune soixantaine de mtres de longet on accdait au gradin suprieur par des marches abruptes. Les diversinstruments pouvaient tre manipuls du sol mme ou bien, plus rapidement, dunsige de contrle suspendu au plafond par lintermdiaire dune grue renverseet mue par un moteur.

La partie la plus enfonce de la pice tait constitue parun auditorium contenant une centaine de fauteuils confortables, suffisammentvastes pour que des hommes puissent y prendre place avec leurs combinaisonsinterplantaires. Une douzaine de savants taient dj installs et Grosvenorsassit son tour sans faire de bruit. Un instant plus tard, Morton et lecapitaine Leeth, sortant du bureau priv de ce dernier, rejoignirent les chefsde section. Le militaire sassit et Morton commena sans prambule:

Nous savons que, de tous les appareils de la salledes machines, la dynamo lectrique tait pour le monstre le plus important. Ila donc mis en uvre toutes ses forces, dcuples par la panique, pour mettre ladynamo en action avant que nous ayons travers les portes. Quelquun a-t-il uneobservation faire ce sujet?

Pennons prit la parole:

Quelquun ne pourrait-il pas nous expliquer commentce chat sy est pris pour rendre les portes impossibles forcer?

Grosvenor dit:

Il existe un procd lectronique qui permet deporter temporairement les mtaux un point de durcissement considrable, maiscela exige, ma connaissance, des tonnes dquipement spcial que nous nepossdons pas sur ce vaisseau.

Kent se tourna pour le regarder.

quoi cela nous servira-t-il de savoir comment il syest pris? remarqua-t-il avec brusquerie. Si nous narrivons pas briserces portes avec nos dsintgrateurs atomiques, cest la fin. Le vaisseau estlivr au bon plaisir du monstre.

Morton secouait la tte.

Nous devons tudier des solutions et cest pour celaque nous sommes ici.

Il leva la voix:

Selenski?

Le pilote, install sur le sige de contrle, avana latte. Grosvenor fut tout surpris de le voir l.

Quy a-t-il, monsieur? demanda Selenski.

Mettez toutes les machines en marche!

Selenski fit virer son sige vers linterrupteur principal.Dlicatement, il amena le grand levier la position voulue. Une secousse fittressaillir le vaisseau, un sifflement se fit entendre et, pendant quelquessecondes, le plancher trembla. Puis le vaisseau retrouva son quilibre, lesmachines se mirent en mouvement, et le sifflement se transforma en une faiblevibration.

Sans plus attendre, Morton dclara:

Je vais demander aux experts de moffrir leurssuggestions pour combattre minet. Ce quil nous faut, cest une consultationentre chefs de diverses sections et surtout, pour intressantes que puissenttre toutes les thories, une solution pratique.

Autrement dit, pensa Grosvenor tristement, ElliottGrosvenor, le nexialiste, nous navons que faire de vous. Et pourtant,ce que Morton voulait, ctait lintgration de plusieurs sciences; or,tel tait exactement le but du nexialisme. Mais Grosvenor pensait bien quil nese trouverait pas au nombre des experts dont Morton solliciterait lavis, et ilne se trompait pas.

Deux heures staient passes quand Morton dclara dun tonlas:

Je crois quil est temps de prendre une demi-heurepour manger et nous reposer, car nous allons avoir besoin de toutes nos forces.

Grosvenor se dirigea vers ses bureaux. Il ne ressentait lebesoin ni de manger ni de se reposer. trente et un ans, il pouvait encore sepermettre de temps autre de sauter un repas ou une nuit de sommeil. Il luiparaissait, par contre, quil devait profiter de cette demi-heure de rpit pourtrouver ce quil fallait faire du monstre qui stait empar du vaisseau.

La conclusion laquelle les savants taient parvenusmanquait, selon lui, de profondeur. Chacun deux avait assez superficiellementexpos ses ides des gens dont la spcialit tait diffrente et quinavaient pas t habitus saisir les possibilits dassociation entre lesdiverses connaissances. De sorte que le plan dattaque sur lequel lon staitfinalement mis daccord tait dpourvu dunit.

Grosvenor ressentait un certain malaise se dire que,malgr sa jeunesse, il tait probablement la seule personne bord en mesure devoir les faiblesses du plan. Jamais, depuis le jour o six mois plus tt, ilstait embarqu, il navait autant compris quelle immense transformationstait opre en lui lInstitut nexialiste. Ce ntait pas trop de direquil avait laiss loin derrire lui tous les anciens systmes dducation. Ilne tirait aucune vanit de sa nouvelle formation. Ce ntait pas lui qui enavait cr les principes. Mais en tant que diplm de lInstitut, en tant quemembre de lexpdition du Fureteur charg dune mission spciale, il luisemblait quil navait quune chose faire: trouver une solution auproblme du monstre, puis user de tous les moyens en son pouvoir pour persuaderles responsables de lexactitude de ses vues.

Ce qui le tourmentait pour le moment, ctait quil manquaitdinformations. Il sappliqua remdier cet tat de choses le plusrapidement possible, et pour cela, appela les diverses sections aucommunicateur.

Il eut, presque toujours, affaire des subordonns. Chaquefois, il dclinait sa qualit de chef de section et leffet tait considrable.Les jeunes savants se trouvaient presque toujours disposs laider. Certains,toutefois, se montrrent rticents, disant, par exemple: Il fautdabord que jobtienne la permission de mes suprieurs. Lun des chefsde section, Smith, vint lui parler personnellement et lui donna tous lesrenseignements quil demandait. Un autre se montra trs poli et demanda Grosvenor de rappeler quand le chat serait mort. Ce fut aux chimistes queGrosvenor sadressa en dernier. Il demanda Kent, tant certain esprantmme quon ne le lui passerait pas. Il tait dj tout prt dire unsubordonn: En ce cas, vous pourrez peut-tre merenseigner. son dsappointement, et sa grande surprise, on lui passaKent tout de suite.

Le chef des chimistes lcouta avec une impatience maldissimule, et linterrompit brusquement:

Vous pouvez obtenir les renseignements que vousdsirez par les voies rgulires. Mais je dois vous dire que les dcouvertesfaites sur la plante du chat ne pourront tre mises en circulation avantplusieurs mois. Nous sommes obligs de vrifier et revrifier tous les faits.

Grosvenor nabandonna pas la partie:

Monsieur Kent, je vous prie instamment de permettrequon me donne tout de suite lanalyse quantitative de latmosphre de laplante du chat. Cela peut avoir une trs grande rpercussion sur le plan qui at labor la runion. Il serait trop long de vous lexpliquer en dtailpour le moment, mais je vous assure

Kent linterrompit:

coutez, mon garon, (et il y avait une note desarcasme dans sa voix), le temps est pass des discussions acadmiques. Vousnavez pas lair de comprendre que nous courons un danger mortel. Quil y aitle moindre accroc, et vous, moi et les autres allons tre attaqus, etjentends attaqus par des moyens tout ce quil y a de plus matriels. Il nesagira pas dun exercice de gymnastique intellectuelle. Et maintenant, je vousen prie, ne me drangez plus avant dix ans dici.

Un dclic indiqua que Kent avait coup la communication.Grosvenor avait rougi sous linsulte, mais il se remit vite et un sourire sedessinait sur ses lvres lorsque, quelques secondes plus tard, il lana sesderniers appels.

Ses tables normographiques de haute probabilit indiquaient,entre autres choses, dans des espaces rservs cet effet, la proportion depoussire volcanique contenue dans latmosphre de la plante, des notes surdiverses formes de vgtation daprs une tude prliminaire de leurs graines,le type dappareil digestif que devraient avoir les animaux pour se nourrir desplantes tudies, et, par extrapolation, des hypothses sur la conformation etle type dtres vivants qui se nourriraient des animaux mangeant les plantes enquestion.

Grosvenor se mit activement au travail et, comme il nefaisait que mettre des signes sur une carte dj imprime, il ne se passa paslongtemps avant quil et son graphique. Celui-ci tait assez compliqu. Il neserait pas facile de lexpliquer quelquun qui ntait pas dj familiarisavec le nexialisme. Mais, pour Grosvenor, le rsultat de son travail taitclair. Le graphique obtenu indiquait des possibilits et des solutions quil nefallait pas ignorer.

Sous la colonne: RECOMMANDATIONSGNRALES, il crivit: Toute solution adopte devraitcomprendre une soupape de sret.

Puis, prenant quatre copies de la carte, il se dirigea versla section des mathmaticiens. Des gardes barraient les entres; cettemesure de protection inhabituelle avait visiblement t prise contre le chat.Comme on lui refusait laccs du bureau priv de Morton, Grosvenor demanda voir lun des secrtaires du chef. Un jeune homme finit par merger dune autrepice et, ap