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A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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LA FRANCE ET LA MEDITERRANEE
AU MOYEN-ÂGE ET A L’EPOQUE MODERNE
Cours 6 : Courses, corso et pirates en Méditerranée
au Moyen-Âge et Temps modernes.
INTRODUCTION :
Pirates et corsaires, s’ils ont quelques similitudes, sont deux types de prédateurs
des mers en réalité bien distincts : le pirate est un acteur individuel « sans foi ni
loi », motivé par le seul appât du gain et dont les agissements sont unanimement
condamnés, tandis que le corsaire est un acteur légal, reconnu et commissionné
par les Etats, dont l’activité se nomme tantôt course, tantôt corso.
En Méditerranée, entre les XVIe et XIXe siècles, cette activité légale des
corsaires se distingue selon leur proie.
D’un côté, l’on parle de « course » lorsque le corsaire tente de s’emparer des
bâtiments de commerce d’une puissance en guerre contre son souverain : il
s’agit donc d’une activité ponctuelle liée aux périodes de conflits, et le corsaire
est considéré comme un auxiliaire de la marine de guerre de son pays.
De l’autre, l’on appelle « corso » l’activité visant les bâtiments de commerce de
l’Infidèle. Ainsi, le corso, s’il s’apparente à la course en ce qu’il vise également
les bâtiments de commerce, s’en différencie quant au fond : il s’agit d’une lutte
permanente à connotation religieuse, entre Chrétiens et Musulmans, ou plus
exactement entre Chrétiens et Barbaresques.
La course et le corso, en tant qu'activités légales, étaient reconnus et encouragés
par les États dont les souverains délivraient à leurs corsaires des autorisations –
appelées lettres de marque – de courir sus les navires de commerce ennemis. À
l'origine, la course représentait une réaction à l'injustice subie par les victimes de
la piraterie.
Dans l'Occident chrétien, le corsaire barbaresque représenta longtemps
l'archétype même du « pirate » méditerranéen ; cependant, sur l'autre rive de la
Méditerranée, le « pirate » chrétien était également redouté et chargé d'une
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légende analogue tout aussi noire dans l'imaginaire musulman. La lutte fut donc
équitable et équilibrée entre les divers protagonistes, et non, comme le véhicule
trop souvent une historiographie européo-centriste orientée, noble et
chevaleresque chez les chrétiens en lutte contre les affreux pirates barbaresques.
Si ces derniers et particulièrement ceux d'Alger, se montrèrent souvent
indisciplinés vis-à-vis de leurs autorités tutélaires, ils n'en étaient pas moins des
corsaires combattant au nom d'une foi, leur course s'apparentant à une forme
militaire de la guerre sacrée et intégrant de ce fait une dimension légitime et
religieuse. Les marines des Régences, créées à l'origine pour lutter contre la
Reconquista chrétienne, continuèrent la lutte sous cette forme aux siècles
suivants. C'est de cette longue période de trois siècles de luttes maritimes que
s'est forgée, dans l'Occident chrétien, la vision encore trop souvent perpétuée
aujourd'hui, d'une noble lutte chrétienne vouée à l'endiguement du fléau de la
piraterie barbaresque. En réalité, le corso méditerranéen ne fut rien d'autre qu'un
brigandage maritime réciproque et perpétuel entre chrétiens et musulmans, une
quasi piraterie permanente à prétexte religieux qui fut, durant cette période, une
activité largement institutionnalisée.
I) A L’ORIGINE DE LA COURSE ET DU CORSO (XIIe-XVIe
SIECLES)
La piraterie était endémique en Méditerranée depuis le développement des
grandes civilisations antiques (Phéniciens, Carthaginois, Grecs, Romains). Il
n’est qu’à rappeler pour le Haut Moyen-Âge des raids maures ou vikings
(Danois) sur les côtes provençales à l’époque des Carolingiens. Au Moyen Âge,
à titre d'exemple, l'historien Ibn Khaldoun, signale la réputation de pirates que
les habitants de Bougie (Béjaïa en Algérie) s'étaient acquis dès 1364.
Les chrétiens ne sont pas en reste. La Méditerranée est un champ où s'affrontent
de nombreux pouvoirs, grands ou petits (les Guelfes contre les Gibelins, le
monde latin contre l'Empire byzantin, Chrétienté contre Islam, Venise contre
Gênes, etc ...). Une étude détaillée en a été faite par Pinuccia Franca Simbula
(«Îles, corsaires et pirates dans la Méditerranée médiévale», Médiévales, n°47,
2004). Elle résume ainsi la situation : « L'étude de quelques exemples permet de
montrer comment la course et la piraterie se développent, dans les îles
occidentales comme dans celles du Levant, dans un contexte de rivalités diffuses
et de guerres ouvertes entre puissances chrétiennes et entre chrétiens et
musulmans qui les utilisent et les instrumentalisent. Consensus politiques ou
incapacité des pouvoirs centraux à imposer des contrôles stricts des armements
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sont des facteurs déterminants dans la construction des espaces et des
communautés insulaires qui se précipitent avec agressivité sur la mer ».
Jusqu'à la fin du XIIIe siècle, le terme est ambigu, car la distinction entre
corsaires et pirates n'est pas encore établie. M. Balard souligne que dans
l'Alexiade, Anne Comnène compare les expéditions des républiques maritimes
italiennes en Syrie et Palestine à des opérations de piraterie contre l'Empire. Au
XIIe siècle, des commandants, qualifiés de pirates, se voient confier la défense
des territoires byzantins. C'est à une figure comme celle d'Enrico Pescatore
qu'est inféodée, par le souverain sicilien, l'île de Malte, devenue entre la fin du
XIIe et le début du XIIIe siècle, la base d'appui des offensives souabes et
génoises. Pirate pour quelques-uns, courageux guerrier pour d'autres, Enrico
navigue et combat sur les mers avec une flottille, au service de son roi et de sa
patrie, Gênes ; lesquels légitiment ses entreprises, parce qu'elles soutiennent
leurs desseins politico-commerciaux. Entre 1206 et 1216, il arrache la Crète aux
Vénitiens qui le traitent de terrible pirate. Ses attaques visent à la fois les navires
de Pise et de Venise, les cités rivales de Gênes. Son activité assure des bases
solides à cette dernière dans la Méditerranée orientale, alors que la Sérénissime,
confortée par la IVe croisade, se fait plus menaçante. Les vers du trouvère
languedocien Peire Vidal s'opposent cependant aux affirmations vénitiennes ; il
décrit Enrico comme : « Larcs es et arditz e cortes, et estela dels Genoes, e fai
per terra e per mar tots ses enemichs tremelar ». Ce n'est donc pas un brigand,
mais un héros des mers qui inspire la terreur à ses ennemis, un combattant
astucieux et valeureux qui est la gloire de Gênes. Ses relations avec la mère-
patrie et le royaume de Sicile font de ses faits d'armes une guerre de course, et
donc, légale.
Plus profondément, l'essor de la piraterie et de la course tient à la politique
expansionniste des États en Méditerranée qui font des îles les confins de
frontières mouvantes. L'activité des corsaires croît quand le pouvoir politique
faiblit ou quand il le légitime en s'appuyant sur des pratiques et des normes
guerrières qui, depuis le XIIe siècle, font de la piraterie un moyen de combattre
l'ennemi. Le conflit qui opposa Pise à Gênes « fut d'abord une lutte de corsaires
» (R.S. Lopez), dont les protagonistes furent à la fois des aristocrates et des
marchands, des membres de puissantes « consorterie » ou des armateurs
autonomes, flanqués d'aventuriers et de mercenaires. La conquête de Bonifacio
par les Génois, dans la dernière décennie du XIIe siècle, fut exclusivement «
l'initiative, plus ou moins soutenue par l'État, de grands corsaires ». Échappant
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aux Pisans, Syracuse tomba aux mains d'Alamanno da Costa, un noble génois,
qui s'en empara avec l'appui de la République ligure, au nom de laquelle il en
prit possession.
Cependant, un discours de justification des prédations se dégage
progressivement. Par exemple, des chercheurs (R. S. Lopez et L. Balletto), cités
par Simbula, ont trouvé à Bonifacio un ensemble de contrats dans lesquels
Gênes, rangée du côté du Pape, légitime les attaques contre les Pisans (qui
soutiennent l'Empereur Frédéric II, adversaire du Pape), ainsi que contre les
Siciliens et les musulmans. A. Tenenti, toujours cité par Simbula, écrit : «
l'esprit de croisade, les conflits internationaux, les dissensions locales, les
rivalités économiques, offrirent au pillard le plus vil suffisamment de prétextes
pour relancer sa propre action sans mettre en avant ses motivations personnelles
».
La guerre de course apparaît donc en même temps que les État féodaux. Au
Moyen Âge, les armateurs obtiennent des suzerains le « droit de représailles »
lorsque leurs navires sont pillés, ce qui consiste à s'emparer d'une quantité de
biens identique à celle qu'ils ont perdu. Rapidement, afin de limiter la violence
sur mer, les souverains ont souhaité contrôler cette activité prédatrice : la
première lettre de marque fut délivrée par Philippe Auguste en mai 1206, pour
courir dans la Manche.
La course remonte donc au XIIIe siècle, mais c'est surtout entre le XVIe et le
début du XIXe siècle qu'elle fut, en Méditerranée, la plus intense. La lutte entre
la Croix et le Croissant, apparue dès le VIIIe siècle en Méditerranée, lui fournit
sa plus efficace couverture idéologique : sous le prétexte d'une lutte perpétuelle
pour la « vraie foi », le corso permit aux marins des deux rives de cette mer de
se livrer à des rapines continuelles sur les marines de commerce ennemies.
II) COURSE ET PIRATERIE : LE ROLE DES ÎLES
Qu'elles soient grandes et dispersées dans la mer Tyrrhénienne, petites,
nombreuses et disséminées au Levant, les îles sont des nœuds essentiels des
circuits commerciaux médiévaux, des bases économiques et militaires
stratégiques, servant à contrôler et protéger les routes de navigation. Leur
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existence est liée, tout au long de l'histoire de la Méditerranée, à la course et à la
piraterie.
Lointaines ou proches de la terre, les îles sont aussi des espaces idéaux pour
tendre des embuscades aux navires de passage. En 1379, dans les eaux de
Rhodes, coram Castro Rubeo, deux galères marseillaises, commandées par
Nicolò Clavuoto et Antonio de Jérusalem, de retour de Beyrouth, sont
surprises par quinze galères vénitiennes qui les dépouillent de leur précieux
chargement de monnaies, de joyaux et de perles. La même année, près de
Majorque, une coque sur laquelle quelques marchands juifs avaient
embarqué des draps, est attaquée par deux galères marseillaises, conduites
par Pasquasio Arnion et Pietro Uguet et armées officiellement pour lutter
contre les Sarrasins. L'île d'Elbe est un repaire excellent pour surprendre
les nombreux bateaux sortant de Porto Pisano ; c'est là que le castillan Joan
Rossell qui avait loué son embarcation à quelques marchands siennois,
résidant à Pise et pour le compte desquels il avait chargé du grain en Sicile,
est surpris par Giovanni Grimaldi, Génois à la solde du seigneur de Milan.
Les îles offrent aussi des refuges : c'est dans les îles de la mer Tyrrhénienne
qu'en 1404, le cavalier castillan Petro Niño pourchasse les corsaires de port
en port. Parti de Toulon, à l'aube après une nuit de tempête, lui apparurent
les îles tyrrhéniennes les plus septentrionales. Une fois reposés à Capraia,
les équipages « prirent les rames et les galères et partirent à la recherche
des corsaires, par toutes les îles petites. Ils allèrent à l'île de la Gorgone, à
l'île de Pianosa et fouillèrent tous les ports dans les bouches de Bonifacio
qui est en Corse. Là ils trouvèrent une embarcation aragonaise. Ils
revinrent alors en Sardaigne, à Longosardo et à Alghero », d'où ils
continuèrent la chasse, explorant l'une après l'autre les côtes de l'île.
Les fréquentes références, dans les sources documentaires, aux incidents qui se
produisent autour des îles sont liées à l'intensité des trafics maritimes qui
prennent appui sur elles, à la densité de la circulation des bateaux autour des
ports et des passes, offrant aux corsaires et aux pirates les moyens d'agir plus
facilement. Souvent cependant, les îles ne sont pas seulement les lieux où se
déroulent les assauts, mais aussi ceux où s'arment les navires. La pauvreté de
leurs ressources économiques – maintes fois soulignée par l'historiographie –
peut expliquer, mais en partie seulement que les îles soient devenues des
repaires de corsaires et de pirates, au point d'être souvent décrite comme une
disposition naturelle des habitants. L'insertion des ports et des escales insulaires
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dans les circuits maritimes réduit sensiblement la distance entre les îles, les unit
par des liens économiques, politiques, militaires et les place au cœur de réseaux
d'échanges. La Crète, Chio, Negroponte, les Baléares, la Sardaigne, la Sicile
comptent parmi ces îles qui constituent des nœuds commerciaux importants au
Moyen Âge.
III) LE CORSO : REGENCES BARBARESQUES ET ORDRES
CHEVALERESQUES
Les trois siècles (XVIe-XIXe siècles) du corso méditerranéen correspondent aux
siècles de la conquête et de la présence turque en Afrique du Nord. Avec la
chute de Grenade en 1492 et la volonté de l'Espagne de poursuivre la
Reconquista sur les côtes de l'Afrique du Nord afin d'en chasser les « Infidèles »,
la menace était réelle pour les musulmans : aussi, les potentats locaux firent-ils
appel au sultan de Constantinople pour qu'il les protégeât. Au début du XVIe
siècle, les frères Barberousse créèrent des royaumes, soumis à l'autorité de
Constantinople et appelés par les chrétiens « Régences barbaresques ». Les
Régences d'Alger, Tunis et Tripoli devinrent dès lors les foyers d'une intense
activité corsaire, à laquelle l'Occident chrétien fit face en confiant la police de la
mer à deux ordres militaires et religieux : l'ordre de Saint-Étienne, créé par le
Grand-Duc de Toscane en 1561 spécialement dans ce but, et surtout l'ordre de
Malte.
Créé à l'époque de la première croisade, cet ordre religieux, appelé à l'origine
ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, avait été chassé de Rhodes
par les Turcs, en 1522, et avait trouvé refuge sur une petite île située au centre
des deux bassins de la Méditerranée, que Charles Quint lui céda en 1530 : Malte.
Cette installation marque la naissance de ce qui semble être une anachronique
perpétuation de la croisade entre un ordre religieux et ces nouveaux micro-États,
dépendants de la Porte ottomane, qu'étaient les Régences barbaresques.
L'ordre de Malte, de la contre-course défensive aux opérations prédatrices
Ainsi, le corso chrétien fut-il tout aussi actif que le corso barbaresque et à partir
du XVIIe siècle, tout aussi institutionnalisé. En effet, la course représenta pour
les Régences barbaresques une ressource d'appoint, voire l'unique façon de
subsister économiquement et fut, à ce titre, soit tolérée soit encouragée et
soutenue par leurs souverains successifs, en dépit des divers traités de paix et
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d'amitié régulièrement renouvelés. Il en alla de même pour l'ordre de Malte,
puissant propriétaire foncier des puissances chrétiennes de l'Europe qui, s'il
voulait survivre politiquement, devait prouver à la chrétienté qu'il pouvait lui
être encore utile, alors même que l'époque des croisades était depuis longtemps
révolue. C'est ce qu'il fit en remplissant la mission de police des mers et de lutte
permanente contre le fléau que représentaient, pour les marines de commerce
chrétiennes, ces corsaires barbaresques.
Mais, s'il fut à l'origine une contre-course défensive qui répondait à la
formidable explosion de l'activité corsaire des ports barbaresques, le corso
maltais acquit, à partir de la défaite navale turque à Lépante (1571), sa véritable
dimension prédatrice. Son activité glissa vers le bassin oriental de la
Méditerranée et visa de plus en plus souvent des cibles civiles : il ne s'agissait
plus dès lors d'une contre-course défensive, mais ni plus ni moins d'un pillage
organisé et systématique destiné à ruiner les marines de commerce musulmanes,
pour le plus grand profit des marines chrétiennes et surtout française.
Au cours des années 1670, la France de Louis XIV renouvela les Capitulations –
accords de paix et de commerce – avec l'Empire ottoman, afin de pacifier la mer
et d'améliorer la sécurité des échanges commerciaux. L'intense activité corsaire
menée depuis Malte et dans laquelle de nombreux chevaliers français étaient
impliqués, allait a contrario de cette politique. Pour y obvier, le roi de France
intima au Grand Maître l'ordre de rappeler ses corsaires, si bien que le corso
chrétien s'effondra.
Il renaquit au début du XVIIIe siècle sous un autre vocable : l'idée même de
croisade contre l'ennemi du nom chrétien étant devenue par trop anachronique
en ce début du siècle des Lumières, l'Ordre se devait de considérer un autre
ennemi : ce n'était plus l'Islam qui était visé, mais le mauvais musulman, le
pirate barbaresque. Cependant, ce renouveau du corso chrétien n'atteignit jamais
plus son niveau du siècle précédent et perdura à un niveau médiocre jusqu'à
l'éviction de l'ordre de Malte par Bonaparte en 1798.
La mise en esclavage par les corsaires chrétiens :
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Les récits des razzie perpétrés par les Chrétiens sont les témoins de
l’extraordinaire développement du corso en Méditerranée. L’historiographie
s’est longuement penchée sur le sort des Chrétiens ravis par les Barbaresques.
La situation inverse a par contre fait l’objet de bien moins d’études.
Tableau 2 : Origine géographique de 1473 esclaves chrétiens rachetés à
Tunis dans la seconde moitié du XVIIe siècle
1651-1660 1681- 1700
Pays d’origine nb sous-total % nb sous-total %
Scandinaves 1 1
Allemands 10 4
Néerlandais 40 27
Flamands 10 5 9%
Total des “Nordiques” 61 7,2% 37 8,8%
Provençaux 184 2
autres régnicoles 42 0
Total des Français 226 26,5% 2 0,5%
Portugais 14 4
Espagnols 30 6
Total des Ibériques 44 5,2% 10 2,4%
Italiens non localisés 7 1
Milanais 1 2
Sujets de la Sérénissime 9 5
Niçois 6 1
Corses 54 44
Génois 98 105
Sujets du Grand Duc 19 7
Sujets du Pape 9 5
Sardes 12 11
Napolitains 143 117
Siciliens 48 38
Total des Italiens 406 47,6% 336 80%
Malte 94 11% 29 29 6,9%
Raguse et Lussin 3 0,4%
Grecs 19 2,2% 6 6 1,4%
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Total général 853 100% 420 100%
Pourtant, nombreux sont les documents d’archives, souvent inédits, les
témoignages, les correspondances, les traités conclus avec Alger faisant mention
de la tragédie vécue par les captifs musulmans. Ces sources peuvent être
divisées en quatre catégories selon les dangers qui pouvaient guetter les
Musulmans : L’enlèvement sur leur propre littoral, la chasse organisée sur mer,
les risques des côtes et ports européens et les incessantes batailles navales.
L’enlèvement sur leur propre littoral :
Le voyageur oriental Abd al Basat ibn Khalal visita le Maghreb en 1464.
Pour ce faire, il prit le bateau d’Oran vers Tunis. Mais les vicissitudes de la
navigation obligèrent les passagers à descendre à Bougie. Ecoutons le récit
de l’auteur : « Nous y trouvâmes, dit-il, des Berbères qui, à notre vue,
prirent la fuite, croyant que notre bateau était celui des corsaires chrétiens
qui avaient volontairement et par ruse, changé de costumes pour s’emparer
des Musulmans ».
Chaque année, l’Ordre de Malte « armait une douzaine de galères et
opérait contre les côtes non défendues ».
Alenzo de Contreras fut un chasseur d’esclaves et de butin. Ses confessions
montrent qu’il écumait les rivages du Maghreb et du Proche-Orient ; il s’en
vantait sans rougir : « Nous y fîmes tant de prises que ce serait long à
compter, l’on revint, dit-il, tous riches… Nous y fîmes d’incroyables
voleries sur mer et sur terre ».
Juan Rey, patron de barque de La Ciotat, longeant le littoral algérien,
enleva en 1563 une vingtaine d’habitants et s’en alla les vendre à Gênes
comme galériens. Quelques années plus tard (1579), quatre galères des
Chevaliers de Saint Etienne, commandées par Marantonio Calefati firent
une incursion près de Collo, enlevant trente-six Musulmans.
Au XVIIe siècle, les coups de main se multiplièrent. En 1607, les chevaliers
de Saint Etienne se rabattaient sur Bône et s’emparèrent d’un riche butin et
de deux cents riverains. Puis en 1611, une flotte, sous les ordres du Marquis
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Santa Cruz ; ravagea l’île de Kerkenna et, en revenant, incendia la ville de
Gigel, arrachant des dizaines de citadins à leurs foyers.
Vers 1612, plusieurs jeunes, dont le propre fils du pacha, avaient été
kidnappés par un corsaire génois, alors que « cette jeunesse algérienne sur
la sérée d’un jour de printemps prenait ses bats au rivage de la mer ».
Quant à Monsieur le Chevallier N. de Clerville, il n’arriva pas à Cagliari en
janvier 1662 les mains vides. En route, il s’empara d’un sandale turc avec
ses quarante-huit hommes, « puis, passant à Stor (Stora) il prit douze mores
qu’il a vendus ici ».
La liste des corsaires capturant des Musulmans est longue. Le Sieur Piquet
commandait Bastion de France, près de la Calle. En 1698, pour se
soustraire à ses devoirs envers le gouvernement d’Alger, « il fit armer ceux
qui pêchaient le corail, chargea si diligemment ce qu’il avait de meilleur
dans la place… avec cinquante Mores » qu’il partit vendre à Livourne aux
galères de Toscane.
Parlant des habitants de Majorque, Dancour disait qu’ils sont « tous bons
matelots, corsaires et grands voleurs, écumant continuellement les côtes de
Barbarie d’où ils enlèvent quantités d’esclaves ». En effet, la course
chrétienne sévissait d’Oran à la Calle. Les razzias concernaient les endroits
mal défendus. Le valencien Juan Canète, Maître d’un brigantin de quatorze
bancs, basé à Majorque « arrivait de nuit, y ramassait les Musulmans qui
dormaient sous les remparts ».
*L’activité des Espagnols restait soutenue tout le long de la période. En
1717, un brigantin de Majorque « prit cinq Turcs sur le bâtiment de service
du Bastion qui allait de cette ville à Bône ». Deux corsaires d’Iviza
ramassèrent en 1755 « sept bâtiments et quatre- vingt esclaves sur la côte
algérienne ».
De tous les ports d’Espagne, des navires armés parvenaient jusque devant
le rivage algérien pratiquant le rapt et le pillage. Le 21 mai 1775 plusieurs
galiotes européennes donnèrent la chasse, sous les remparts de la Calle, à
trois sandales de la région. « Si un bâtiment put se sauver, les autres furent
capturés avec vingt-deux membres de l’équipage qui furent vendus à Malte
».
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Le chevalier de Valbelle, écrit de Grammont, débarquait à l’improviste et
enlevait des hommes dont le nombre atteignit cinq cents qui allèrent grossir
la chiourme de Malte. Le comte de Verée s’embusquait hardiment dans une
petite crique voisine d’Alger. Il s’empara à la pointe du jour, d’un bateau «
sur lequel il trouva quatre gentilshommes maures et le neveu du Pacha ».
Des années durant, les incursions maltaises avaient entretenu sur les côtes
algériennes, un état permanent d’insécurité. Gosse avoue que « les
chevaliers de Saint-Jean vécurent du pillage des ennemis de la foi ».
La chasse organisée sur mer,
Le péril majeur pour les marins et les passagers était d’être enlevés en mer.
Une rencontre inattendue, un abordage réussi et voilà la fin de la liberté et
le commencement d’une vie de tourmente et d’enfer ! Les corsaires
chrétiens, très actifs, sillonnaient la Méditerranée et l’Atlantique.
Perafon de Ribera commandait la place de Bougie en 1534. Dans une lettre
adressée à Charles Quint le 17 mai, il rappelait la décision de son maître
par laquelle ce dernier lui accordait le 1/5 sur les prises faites avec sa galiote
« sauf, dit-il, en ce qui concerne les Maures et les Turcs qui doivent servir
sur les galères », ce qui lui paraissait juste.
Après avoir relâché à Oran (occupée par les Espagnols), Ph. De Condi,
général des galères de France, enleva à l’abordage le 22 juillet 1620 deux
bâtiments algériens et « mit aux fers une cinquantaine de marins ».
*Le Chevalier Razilly, en mission au Maroc, rencontra en 1629, non loin de
Salé, un bateau d’Alger, commandé par Muhammad Khodja, s’en empara
et l’équipage tomba en esclavage. La même année, une tartane algérienne se
laissa prendre par un bateau et l’équipage envoyé aux galères.
Les accrochages avec le chevalier Garnier, en septembre 1634, coûtèrent à
la flotte d’Alger des centaines de tués et de prisonniers. Deux galiotes
algériennes allaient à Istanbul en 1638 quand elles furent attaquées et prises
par des galères toscanes. Le Pacha tomba prisonnier ainsi que d’autres «
chefs et gens de marque ».
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Dans une lettre de Cadiz (le 27 novembre 1655), on peut lire : « Le
commandant Gidéon de Wilde a capturé en pleine mer et amené ici un
navire turc de qualité, équipé de 32 pièces. A bord se trouvaient 250 turcs et
environ quarante esclaves. Les Turcs seront vendus pour le remboursement
des frais et, en plus, pour le butin des officiers et matelots. Avant-hier, les
esclaves chrétiens sont partis à bord d’un navire hollandais qui allait de
Venise à Amsterdam ».
*Le Chevalier d’Escrainville, représentant de la France à Malte, se vantait
d’avoir enlevé en 1664 et 1665, avec deux vaisseaux seulement, quatre
bâtiments musulmans d’un convoi, ce qui rapporta deux cent mille écus. Et
les corsaires anglais Prince Frédéric et Prince George, s’attaquant à un
bâtiment français, non loin de nos cités, s’emparèrent de six Algériens qui
se rendaient à Livourne.
La chasse aux Musulmans était soit le fait de corsaires « privés » qui se
moquaient des traits conclus, soit le fait d’escadres. L’état de guerre
permanent ou presque avec la Régence en fournissait le prétexte.
Godefroi d’Estrades écrivait de Londres à Louis XIV le 9 mars 1662, la
lettre dont voici un extrait : « Le meilleur parti que votre Majesté puisse
prendre pour exécuter ce dessein, c’est d’obliger la flotte que le Roi
d’Angleterre tient dans le Levant et à Tanger d’amener à Toulon tous les
esclaves qu’elle fait dans ces mers et de les vendre à un commissaire que
Votre Majesté commettra pour cela au lieu des les aller trafiquer en
Espagne comme elle fait… Et de cette façon, l’on m’assure que dans peu de
temps, elle en aura un nombre suffisant mais qui lui en coûtera 360 qui est
le même prix qu’ils vendent en Espagne. Comme ce sont tous des gens faits
à la mer et accoutumés à l’air de nos côtes, il est sans doute que V/M. en
tirera un meilleur service que ceux de Guinée ».
*Interpellant le Diwan d’Alger, le général Mortemart disait en 1687 : « J’ai
arrêté un de vos navires parce que son passeport était trop vieux…A
l’égard des six Turcs retenus par un navire de mon escadre, sur ce que le
passeport de leur caravelle s’est trouvé daté de deux ans… ».
*Quelques jours après le fameux vaisseau algérien Le Soleil tomba
également entre les mains des corsaires avec ses cent vingt-cinq hommes
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d’équipage. Le bâtiment revenait du Texel lorsque se fiant au traité de paix
de 1684, il se laissa contrôler par un navire français, opération qui aboutit à
la capture des « marins, raïs, écrivain, timonier, soldats, teinturier,
boulanger, barbier… » tous prenant le chemin de la détention. Le 5 août, ce
fut le tour d’une caravelle avec ses soixante-cinq matelots.
Le Sieur Fourmilier coutumier de ces pratiques eut souvent l’occasion
d’enlever des Algériens. En janvier 1687, il confia trois esclaves au duc de
Mortemart « dont le vaisseau amiral Le Magnifique touchait Marseille le 16
».
*Les croisières rapportaient beaucoup plus que les razzias isolées. Une seule
sortie permit au duc de Noailles de capturer cinquante et un Algériens.
L’année suivante un autre vaisseau de la Régence fut pris par d’Amfreville,
chef d’escadre qui commandait Le Sérieux : il rencontra fin novembre dans
la « mer de Sardaigne » le bâtiment algérien qui, se jugeant hors d’état de
combattre fut contraint d’aller s’échouer sur la côte méridionale de l’île
près de San Antonio et de Vaca. Il était pourvu de trente-six canons et de
trois cents hommes… On ramena tout ce monde à Toulon.
*L’année suivante, cinq Algériens en mission à Salé furent pris ainsi que
leur barque chargée de blé par un navire français qui confisqua leurs biens
et les conduisit à Marseille.
A la tête de douze vaisseaux de guerre, Tourville captura un bâtiment
algérien dans le détroit de Gibraltar : le Raïs Vali se défendit vaillamment
avec son artillerie et sa mousqueterie mais son navire fût coulé et ses
hommes prirent le chemin de la captivité.
Une barque espagnole qu’on avait armée à Pignon « qui est tout proche du
dit Mellit, prit une frégate d’Alger avec dix-sept Maures et trois femmes :
une Juive et deux Maures ».
Au total, près de deux cents Algériens capturés en deux mois.
Cette chasse en mer permettait à l’Europe et plus particulièrement au Roi
de France, de pourvoir ses galères en rameurs. Si, en vingt-sept mois, Louis
XIV ne put acheter que 257 galériens, ses vaisseaux mirent la main, en deux
mois de croisière, sur 241 captifs. Peu importait leur âge ! Muhammad
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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Ibn’Abd al Rahmès d’Alger, matricule 3653, avait dix ans… Un de ses
compagnons d’infortune en avait soixante-dix-neuf !
*Deux corsaires de Malte s’emparèrent, en 1711, d’une unité de la Régence
qui fut conduite à Majorque avec ses deux cents hommes d’équipage.
*Parallèlement, de grands drames endeuillaient la capitale. Celui du navire
Le Dantzik en fut un. L’Augustus III fut enlevé aux Dantzikois en 1749.
Grand, beau, neuf… Le Dey en fit un vaisseau amiral. Mais en décembre
1751, lors d’un violent combat contre les navires de guerre espagnols, et
après une résistance qui dura quatre jours, il fut incendié. Les pertes
humaines furent considérables ! Trois cent quatre-vingt marins capturés et
quatre-vingt blessés dont le raïs Chérif.
*Quatre années plus tard, une formation de chebecs espagnols appuyée par
des vaisseaux, coula trois unités algériennes, non loin du Cap Saint Martin.
Plus de cinq cents matelots furent conduits à Carthagène. L’armement de
ces bâtiments comprenait mille cent hommes « tous jeunes, choisis et
embarqués de bonne volonté sous le commandement des trois plus fameux
Raïs de la Régence : Hadj Mïs, Husayn Barboucha et Husayn dit le petit ».
*Barcelo, corsaire espagnol promu amiral, prit entre 1762 et 1769 dix-neuf
navires dont les équipages furent envoyés aux galères. Dans un dossier des
archives espagnoles, il est question, en 1784, de prisonniers maures pris sur
un navire français.
*Après une délicate mission à Istanbul, Si Hasan, sur le chemin du retour à
bord du navire français La Septimane, spécialement affrétée par le Dey, fut
enlevé par les Espagnols. Il venait de quitter Tunis et, arrivé en face de l’île
de la Galite, il fut assailli par deux bâtiments de guerre. Avec sa suite et sa
cargaison, il fut conduit à Carthagène où il subit « toutes sortes de mauvais
traitements ».
*Le Marquis de Castries donnait en novembre 1781 au dey Muhammad
Ibn’Uthmin des nouvelles du Raïs Cadoucy capturé par les Gênois dans les
eaux de France, entre Saint-Tropez et l’île Sainte Marguerite.
*Parfois en mer, une mutinerie des captifs chrétiens se déclenchait quand la
surveillance se relâchait. En cas de réussite, on vendait les Musulmans
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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marins ou voyageurs comme esclaves. On s’emparait du navire et on
libérait les esclaves chrétiens.
Les pèlerins n’échappaient pas à ces captures, sur leur route vers
Alexandrie. En effet, il partait annuellement, deux ou trois bâtiments,
chargés de fidèles, malgré les risques de l’entreprise.
Un vaisseau d’Alger, commandé par le Raïs Bostandji cinglait en mai 1687
vers l’Egypte, avec « cent trente passagers de Fès qui passaient à Alger
pour aller à la Mecque ». Il fut capturé par les Anglais. « On a pris
beaucoup d’or » dit un document.
*Deux années plus tard, huit Algériens qui voulaient accomplir leur devoir
religieux, embarquèrent sur un navire anglais. A leur sortie de Tunis, ils
furent enlevés par des corsaires français. La prise endeuilla tout Alger. Le
drame de ces victimes amena le gouvernement à adresser requête sur
requête. En décembre 1690, un mémoire envoyé à Louis XIV à leur sujet
décrit le triste sort de ces captifs et les préoccupations des Algériens qui
réclamaient : « qu’il leur soit restitué huit pauvres pèlerins … gens de place
et de vertu exemplaires, qui n’avaient aucune part à la guerre et qui furent
pris les années passées sur un vaisseau anglais en compagnie des Tunisiens.
Ces pauvres gens, ajoute le mémoire, avaient abandonné leur patrie,
comme des religieux en dessein d’aller se prosterner au pied de la Maison
de Dieu qui est à la Mecque et ils ont été amenés esclaves… ».
Tout Algérien, important ou pas, commerçant ou matelot, soldat ou pèlerin
était concerné. La capture nécessitait corruption, complicité ou trahison.
En pleine guerre turco-russe, des négociants algériens, en 1771, montés sur
la polacre française La Rose, venaient d’Alexandrie à Alger. Ils furent
arraisonnés par un navire russe, faits esclaves et conduits à Malte.
Le capitaine Claude Bartole, de Saint-Tropez, commandait en 1777 la
polacre L’heureux Saint Victor. Il fut arrêté le 28 août de cette année par
une frégate espagnole La Vierge des Carmes et conduit à Carthagène avec
ses 184 passagers algériens qui regagnaient Alexandrie, dans le but
d’accomplir leur devoir religieux.
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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Quelques années plus tard, Hadj’Uthman voyageant d’Alger à Istanbul
signalait en 1796 à Hassan Pacha, la capture « dans les eaux orientales » de
cinquante Musulmans qui se trouvaient à bord d’un bâtiment Maltais
Les risques des côtes et ports européens :
*Certains Algériens se trouvaient, pour une raison ou pour une autre
(voyage d’affaires, commerce, transit) dans un port étranger. Il arrivait
aussi aux marins de la Régence de mouiller dans les ports européens,
conformément aux accords conclus. Dans ces cas le danger était toujours
présent.
Un brigantin français, chargé d’orge et venant de Tripoli, via Malte,
accosta en Espagne. A peine arrivés, les cinq passagers musulmans, dont un
Algérien, Qara Muhammad, furent arrêtés par la douane espagnole44.
On n’était à l’abri nulle part, pas même chez des amis. Incidents et drames
se multipliaient. Début 1620, un navire algérien, fut jeté par la tempête près
de Cherbourg. On s’empara violemment du bâtiment, de sa cargaison et de
son équipage « qui n’avait donné lieu à aucune plainte ». Quelques jours
après, las de nourrir et de garder les captifs, on les lâcha à travers champs,
en plein hiver, sans vivres ni ressources… Quant au Raïs, on le jugea. Le
lieutenant de l’Amirauté le condamna à être pendu45.
*Rappelons qu’un traité de paix et de commerce avait été conclu le 21 mars
1619 entre la Régence et la France !
*Le cas n’est pas isolé. Le 31 octobre 1689, à Palma, une tartane algérienne
était retenue au lazaret, arraisonnée par les Mayorquins. Les Musulmans
(ils étaient 74 aux ordres de Méhmet Bibi, alias Robocalis) furent faits
prisonniers.
*La passivité ou la complicité française encourageait les assaillants. Les
traités signés restaient souvent lettre morte. En septembre 1716, un
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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vaisseau français coula au fond dans un endroit peu profond du port de
Syracuse. Il avait à bord 159 passagers musulmans (Turcs et Algériens)
dont 26 femmes et enfants. Les Siciliens se saisirent sur le champ de tout ce
monde et de leurs biens…Voici une longue lettre envoyée par les captifs au
Dey Bib‘Al le 27 janvier 1717 : « Gloire à Dieu, le Tout puissant et
miséricordieux… A notre roi et souverain maître, à nos seigneurs du conseil
et à tous nos frères, les vrais croyants d’Alger, nous vous certifions qu’étant
sortis… du port d’Alger à bord du vaisseau français commandé par le
capitaine Guillaume Aquilton nous arrivâmes à Tunis en bonne santé. Ils
s’y embarqua avec nous plusieurs personnes pour le Levant.
Nous mouillâmes dans peu de jours à Malte munis de lettres pour le consul
français… Une tempête dans le golfe de Tibes… Nous priâmes le capitaine
de cingler vers Tripoli que nous avions sous le vent ; mais il nous répondit
que Malte ou la Sicile lui convenait également.
Enfin, après avoir battu les mers pendant 4 jours, nous abordâmes
Syracuse. Nous formâmes un petit camp sur le rivage avec les voiles du
vaisseau et nous abordâmes le pavillon blanc en signe d’amitié. Nous fûmes
entourés d’une multitude de gens à pied et à cheval. Ils pillèrent tous nos
effets et nous menèrent à Syracuse, puis à un endroit où on nous obligea à
une quarantaine de quatre lunes (mois).
Nous fûmes ensuite partagés en deux compagnies et confinés pendant deux
mois dans des châteaux forts séparés. Nous sommes présentement enfermés
tous ensemble dans une maison où l’on a enregistré nos noms, nos qualité et
lieu de naissance ».
Ceux qui ont de quoi payer une bonne rançon resteront ici, mais les
indigents vont avoir les galères en partage.
Quelle affligeante pensée que 159 Musulmans, outre 26 femmes ou enfants
gémissent ici dans l’esclavage ! Ceux de notre sexe pourraient supporter la
servitude avec quelque fermeté ; mais Seigneur ! les femmes et les enfants
réclament votre secours… Si vous qui êtes ici bas notre roi et notre père, le
leur procurez bientôt, vous deviendrez responsable de tous les pêchés qu’ils
pourront commettre… »
A Syracuse vers la fin de Muharram, l’an 1129 47
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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Ibrahim Cheri Ben Assem Muhammad ben Hadj Mustapha
‘Ali ben Ramdhène
Les incessantes batailles navales.
*L’assistance permanente accordée par Alger au Sultan ottoman dans ses
nombreuses guerres mobilisa une grande partie de la flotte. Les
accrochages ne manquaient pas : « Aucun événement, notait Baudicour, ne
s’accomplissait sur le bassin de la Méditerranée sans que les corsaires
algériens y prissent part. La force principale de toute la marine ottomane
reposait sur eux ».
*Mais ces heurts coûtaient cher. Ils causaient des pertes en hommes et en
matériel. De très nombreux marins et parmi les meilleurs, tombaient entre
les mains de l’adversaire.
La bataille de Tunis en 1535 fit perdre à Khayr al Dine, des fustes et des
hommes. Celle de Preveza en 1538 également. En 1540, alors qu’une
formation algérienne voguait vers Gibraltar, elle fut surprise par une
escadre espagnole. Le choc fut bref mais dur. Des dizaines de matelots y
laissèrent ou leur vie, ou leur liberté.
La guerre de Lépante, en 1571, coûta cher à la Régence : des morts, des
blessés et des prisonniers par centaines. Le butin de Lépante (1571) a-t-on
dit, fut d’abord un butin humain. Parmi ces derniers, on citera l’ex-pacha
d’Alger, Muhammad ainsi que plusieurs notables, dont le fils du Pacha‘Ali.
Ils passèrent de longues années en captivité.
Le témoignage de Haedo, même s’il se rapporte à la fin du XVIe siècle laisse
deviner l’ampleur des pertes humaines : « En 1590 nous dit-il, quatorze
Raïs de galiotes et brigantins se trouvaient dans les prisons de Castel Novo,
pris à différentes époques et par diverses personnes, parmi eux, Mostefa
Arnaout, célèbre corsaire algérien, homme puissant, marié à une parente
du capitaine Arnaout Mami ».
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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*Les pertes étaient encore plus élevées quand les marines espagnole et
française coopéraient contre les Algériens. Ouvertement parfois,
secrètement souvent, les deux flottes assenèrent des coups sensibles aux
Raïs.
*Ainsi le Chevalier Garnier, en septembre 1634, mena une action contre la
marine de la Régence qui perdit nombre de tués et de captifs.
*Puis vint le grand désastre. Les combats de la Vélone en août 1638
permirent aux Vénitiens de détruire dix-huit navires. L’amiral Capello,
avec ses vingt bâtiments, surprit la flotte ancrée dans le port. Entassés, les
Algériens ne purent ni manœuvrer ni se servir de leur artillerie. Quant au
total des tués, et des prisonniers, il fut impressionnant.
*En 1657, l’Amiral Husayn se battait dans les Dardanelles mais il fut fait
prisonnier par les Vénitiens.
*La coalition des marines chrétiennes privait la flotte algérienne de ses
meilleurs capitaines et de ses meilleures unités.
*La capture de La Perle d’Alger eut lieu en juin 1663. Ce navire avait livré
bataille, un an auparavant, au vaisseau français La Lune. Il dut, cette fois,
se rendre au bâtiment français Le Soleil commandé par Duquesne.
*En 1695, deux cents Algériens et en 1698 quatre-vingt furent victimes des
corsaires du Souverain pontife.
*Toutes les nations chrétiennes avaient pour but d’affaiblir voire de
détruire cette importante marine. En 1709, les chevaliers de Malte,
commandés par Mongon, avaient pris La Capitaine d’Alger, pourvue de
650 hommes et de 46 captifs chrétiens. Le combat des trois vaisseaux
d’Alger contre les quatre maltais fut si dur que deux cents Turcs et deux
esclaves furent tués et tout l’équipage fait prisonnier. Les Espagnols,
malgré la résistance des Algériens, purent en 1751 mettre la main sur le
fleuron de la flotte de la régence, Le Dantzik. La bataille, longue et
meurtrière, se solda par 320 matelots capturés, 80 blessés dont le Raïs et 22
tués.
*Il serait trop long et fastidieux de relater ici tous les évènements tragiques
qui endeuillèrent la Marine, la privant de ses meilleurs hommes. En effet,
de Preveza à Navarin (1827) (Il y eut « Djerba 1560, le siège de Malte 1565,
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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Lepante 1571, Tunis 1574, la guerre contre Venise 1638, celle contre les
Grecs et les Russes 1770-1820, l’insurrection grecque 1820-1827 »), les
guerres d’escadre avaient causé la perte de centaines de Raïs et de marins.
Les coups de mains, les croisières et les blocus firent le reste.
Cette longue période de conflits armés et de tensions persistantes vit un
grand monde de Raïs, matelots, mousses, enfants, femmes, vieillards,
commerçants ou pèlerins prendre le douloureux chemin de l’esclavage pour
de longues années ou pour la vie.
Le monument dit "des Quatre Maures" à Livourne (XVIIes)
http://www.oroc-crlc.paris-sorbonne.fr/index.php/visiteur/Projet-
CORSO/Ressources
Description de l'ensemble dit des "Quattro Mori" (XVIIe s), célébrant les
victoires de l’Ordre des Chevaliers de Santo Stefano à Livourne (L. Pestre
de Almeida, UFF Brésil).
On connaît assez bien l’histoire du monument au Grand-Duc Ferdinand I des
Médicis, dit « dei quattro mori ». L’ensemble, au bord du quai, piazza della
Darsena, constitue encore de nos jours le monument le plus célèbre de la ville de
Livourne, en grande partie reconstruite après la guerre.
La statue est érigée sur le nouveau port de la ville, créé au XVIe siècle par les
Médicis, pour remplacer celui de Pise, sur les marges de l’Arno, lentement et
irrémédiablement ensablé. Elle exalte les victoires de l’Ordre des Chevaliers de
Santo Stefano contre les pirates barbaresques dans la Méditerranée.
L’ordre est fondé, sous le pontificat de Pie IV, le 15 mars 1561. Le grand
magistère en est attribué aux Grands Ducs de Toscane et son siège principal est
l’église de Santo Stefano dei Cavalieri, à Pise. Les campagnes militaires de
l’ordre se déroulent en trois phases. Lors de la première, l’ordre lutte aux côtés
de l’Espagne contre les Ottomans, notamment lors de la défense de Malte
(1565), à Lépante (1571) où il envoie 12 galères, enfin lors de la prise de Bône,
en Algérie. Il nous reste un témoignage important de ces campagnes : le journal
manuscrit du galérien Aurelio Scetti (Le Journal d'Aurelio Scetti (15675-1587).
Galères toscanes et corsaires barbaresques, éd. par L. Monga, Paris, Bouchène
2008). Dans un second temps, la lutte contre les Turcs et les Barbaresques se
poursuit avec une série d’incursions sur la mer Égée, des campagnes en
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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Dalmatie et dans la mer Noire, puis lors de la guerre de Corfou. Enfin, dasn un
troisième temps, vers 1640, l’ordre participe à la défense des côtes d’Italie et
apporte son appui aux Vénitiens dans leurs luttes contre les Ottomans.
Ferdinand I, duc de Florence en 1587, développe le nouveau port fortifié sur la
mer Tyrrhénienne. Il donne à la nouvelle ville des chartes de tolérance qui
attirent des étrangers venus de tous les coins d’Europe. Il commande alors au
sculpteur Giovanni Bandini un monument sur les exploits de ses flottes dans la
mer Méditerranée. Bandini travaille à Carrare à partir de 1595. L’œuvre sera
transportée à Livourne par mer en 1601, et installée sur son piédestal en
présence de Côme II, successeur de son père en 1609.
À partir de 1621, un autre sculpteur, Pietro Tacca, ajoute à l’œuvre de Bandini
quatre figures de condamnés dans les chaînes aux quatre coins du piédestal : ces
ajouts, réalisés entre 1623 et 1626, complètent le programme iconographique.
Un élève de ce second sculpteur, Taddeo di Michele, ajoutera encore quatre
trophées barbaresques placés sur le socle de la statue. L’ensemble devait être
encore complété par deux fontaines décorées de monstres marins, réalisées dans
les années 1630 par Pietro Tacca, mais qui ne seront pas installées à Livourne, et
ornent aujourd’hui la place de la Santissima Annunziata, à Florence.
Le monument, assez complexe, court le risque d’être détruit pendant l’invasion
française de Livourne en 1799 : l’armée révolutionnaire a vu, semble-t-il, dans
les Maures enchaînés le symbole de la tyrannie des Rois, et un début de
destruction eut lieu. Les trophées barbaresques furent alors enlevés. Ils font
partie aujourd’hui des collections du Louvre, (Département des sculptures).
En 1943, lors du bombardement du port de Livourne par l’aviation anglo-
américaine, les différents éléments de l’ensemble sont dispersés dans de
différents endroits de la région pour les protéger. L’ensemble, recomposé,
revient à sa place en 1950, toujours au bord du quai dans une ville encore
dévastée par les bombardements.
Un programme iconographique: le prince chrétien vainqueur des corsaires
barbaresques de la Méditerranée.
L’œuvre est constituée de quatre maures en bronze, enchaînés à la base d’un
grand piédestal sur lequel s’élève la statue du Grand Duc Ferdinand I. Celui-ci
porte l’uniforme et la croix des Chevaliers de San Stefano, institution fondée par
son père Côme, pour lutter contre les Ottomans et les pirates de la Méditerranée.
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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Il porte l’épée à son côté gauche, le bâton de commandement et la couronne de
laurier du héros (Pl. 1 à 4).
L’idée n’est pas en soi originale ni unique. Nous connaissons, par des dessins ou
des gravures, d’autres statues de la même période qui représentent, par exemple,
le Roi de France, Henri IV sur le Pont Neuf (1614), oeuvre abattue par la
Révolution en 1792[1]. Le Musée du Louvre présente un autre groupe de captifs
en bronze : l’ensemble provient du désir du duc de Feuillade d’honorer Louis
XIV. Le duc avait commandé une statue de son souverain (aujourd’hui perdue),
avec en piédestal, différents captifs (Pl. 8)[2]. Autre exemple encore : le Prince
électeur Maximilien Emmanuel se fait représenter, d’après un dessin conservé
dans un musée de Bavière, selon un modèle semblable : une statue équestre
avec, au devant et en bas, deux figures de Maures enchaînés.
Représenter des captifs maures dans les fers constitue donc un programme
iconographique assez fréquent des princes européens dans leur lutte contre les
corsaires de la Méditerranée au XVIIe siècle.
Une recherche plus systématique pourrait sans doute montrer l’évolution du
thème des esclaves enchaînés, à partir des œuvres de Michel-Ange conservées
au Louvre, ou du Barghello à Florence. Ces sculptures, inachevées, représentent
des prisonniers dans leur souffrance de condamnés. Ils ne sont pas au départ
identifiés comme des captifs de la guerre de course. Au XVIIe siècle, ce que
l’on représente, c’est avant tout des guerriers vaincus, capturés dans les batailles
navales de la Méditerranée.
La représentation des captifs renoue ainsi, à distance, avec un motif répandu
dans l’art romain, celui des Triomphes (grandes cérémonies pour honorer un
général victorieux), de retour à Rome.
Des quatre rives de la Méditerranée, les différents types de corsaires.
Les torsions des quatre captifs et leurs visages représentent la condition du
prisonnier enchaîné (Pl. 5). On dit que Pietro Tacca aurait pris ses modèles dans
le bagne de Livourne, dans la prison toute proche de la Fortezza Vecchia. Les
modèles représenteraient les quatre âges de l’homme — on l’affirme souvent —,
ce qui nous paraît contestable pour deux raisons : il n’y a pas de référence à
l’enfance et il est plus fréquent de trouver les trois âges plutôt que les quatre.
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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Par contre, l’habitude populaire en Italie de donner des noms aux statues qui
frappent l’esprit de la foule nous suggère que ces quatre prisonniers représentent
les différents types d’hommes dans les équipages des bateaux pirates. Ils sont de
différentes ethnies, tous marqués par la douleur et la soumission. Les prisonniers
disposés sur chaque coin du piédestal carré forment toujours une paire
contrastive avec la figure d’à côté et un contrepoint à distance, en diagonale.
Enfin, affublés d’un nom traditionnel, ils laissent supposer une élaboration
fictionnelle collective[3]. Ils sont disposés par paire : ils ne se regardent pas
mutuellement, ce qui renforce leur terrible solitude dans la captivité; mais leurs
attitudes se répondent dans un jeu complexe de lignes.
Partant du devant du socle et tournant en sens inverse des aiguilles d’une
montre, le promeneur trouvera successivement :
a) un homme vigoureux, le plus jeune de tous, connu sous le nom de
Morgiano[4], regarde le ciel (Pl. 6): son profil est clairement européen, malgré
le crâne rasé et sa touffe de cheveux à l’ « orientale » ; il suggère ou rappelle
tous les slaves enlevés jeunes et convertis de force à l’Islam (Albanais, Ioniens,
Roumains, enfants de la mer Noire etc.) ;
b) le captif suivant est le type même du vieux corsaire, probablement Turc ou
Ottoman, connu traditionnellement sous le nom d’Ali Melioco : la fermeté de
son air, l’âge avancé de son corps encore musculeux, les rides qui sillonnent son
visage, la moustache retournée suggèrent le chef ou capitaine d’une galère (pl.
7)
c) le troisième, de nouveau un homme jeune, est un Noir, venu de l’Afrique
noire ou subsaharienne (voir pl. 2 et 3); il fait contrepoint à distance avec le
jeune slave, dit Morgiano. Celui-ci lève encore les yeux au ciel, car il fut sans
doute jadis un chrétien, celui-là regarde la terre ; si le contrepoint est porteur de
sens, le captif noir renvoie au paganisme et aux cultes animistes . Cette paire
formée en quelque sorte en diagonale, se caractérise encore par un pied qui
descend jusqu’à la première marche du piédestal ;
d) le quatrième captif enfin, connu sous le nom d’Ali Salettino (de la ville de
Salé[5], sur la côte occidentale du Maroc), représente l’Algérien, autrement dit :
le Maghrébin (pl. 5). Il établit un contrepoint à distance avec le vieil Ottoman.
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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De façon révélatrice, ils portent tous les deux le même prénom (Ali) et tiennent
leurs jambes sur la deuxième marche du piédestal.
e) le quatrième captif forme, à son tour, une autre paire avec le premier
(Morgiano) : on y retrouve l’opposition jeune vs vieux qui caractérise chaque
façade du socle.
Les quatre prisonniers viennent donc des quatre rives de la Méditerranée. Ils
fournissent au spectateur une galerie saisissante de pirates barbaresques et
suggèrent des histoires de vie qui correspondent aux différents types de récits de
prisonniers. Mais au lieu des processions d’esclaves rachetés[6] qui provoquent
la compassion des spectateurs, ces prisonniers en bronze sont destinés à servir
d'exemple de la juste punition des mécréants.
[1] Cette statue d’Henri IV, commandée par sa femme Marie de Médicis en
1604, portait sur son socle des captifs . Ceux-ci, de grandeur nature, flanquaient
les quatre angles du piédestal. Élancés et nerveux, les bras attachés dans le dos
par une corde (les Maures de Livourne portent des chaînes), assis en équilibre
précaire sur des trophées d’armes, ils n’ont pas la tension ni la souffrance des
figures du port italien. Lors de la destruction du monument à la Révolution, en
1792, seuls les captifs de la statue d’Henri IV furent épargnés. Ils sont
aujourd’hui au Louvre, Département des Sculptures.
[2] Mais ces captifs sont essentiellement des vaincus ; ils ne sont pas
caractérisés comme des Barbaresques (Voir Pl.8).
[3] Le phénomène est assez courant en Italie. On connaît les figures parlantes (le
statue parlanti), parmi lesquelles le célèbre Pasquino, de Rome. Dans cette ville,
il y en a au moins cinq ou six: Abate Luigi, Babuino, Madama Lucrezia,
Marforio et Facchino. Elles portent témoignage d’une tendance populaire à la
fabulation déjà en germe dans les « quattro mori » de Livourne avec leurs noms.
[4] On retrouve Morgiana (féminin de Morgiano) dans le nom donné à l’esclave
rusée d’une histoire des Mille et une nuits : « Ali Baba et les quarante voleurs ».
[5] Rappelons qu'avant de devenir le décor de prédilection des récits anglais de
captivité, la ville de Salé apparaît dans de nombreux romances hispaniques, en
portugais ou en espagnol. « Me levaram a vender a Salé / que é a sua terra. »
A la découverte de L’Histoire Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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[6] Ces processions apparaissent surtout au Portugal avec le thème, que nous
avons déjà analysé ailleurs, des Martyrs du Maroc. Le jeu sur la compassion
apparaît, en particulier, dans le motif caractéristique de l’art portugais, sous
forme de sculptures à caractère religieux.
IV) LA GUERRE DE COURSE
À l'inverse du corso chrétien, quasi moribond au XVIIIe siècle, la guerre de
course représenta pour les souverains une arme de plus en plus appréciée au
cours de ce siècle où la maîtrise des mers devint un enjeu vital pour les
économies. Les États ne pouvaient seuls se charger, par l'intermédiaire de leurs
flottes militaires, de cette activité : ils associèrent donc, aux coûts et profits de
cette guerre maritime, des armateurs privés à qui était délégué le pouvoir
régalien de faire la guerre. Mais, pour ces derniers, elle ne remplaçait que
médiocrement leur activité traditionnelle de négoce, étant une reconversion
forcée, faute de ne pouvoir exercer librement leur vrai métier. Cette activité était
donc exceptionnelle, puisqu'elle n'existait qu'en période de guerre. L'île de Malte
continua de jouer un rôle essentiel au cours de ce siècle. De par ses statuts, il
était interdit à l'ordre de Malte de se battre aux côtés d'une puissance chrétienne
en guerre contre une autre. Il ne pouvait donc armer en course contre des
bâtiments chrétiens. Cependant, sa communauté d'intérêts avec le royaume de
France l'obligea à mener une politique bienveillante à l'égard de ce pays, si bien
que les bateaux corsaires et de commerce français, plus que tous les autres, y
trouvèrent, au cours des conflits qui ponctuèrent le siècle, les infrastructures
nécessaires à leurs activités.
En dehors de la « grande histoire maritime », cabotage et risques en mer :
La Provence au XVIe siècle.
De toutes les activités maritimes, le cabotage apparaît, ainsi que le rappelait à
juste titre Michel Morineau, comme « la plus insaisissable5 ». Le premier
obstacle surgit en effet dès sa définition.
L’évocation du cabotage conduit irrésistiblement à imaginer de très petits
bâtiments de mer ne s’éloignant guère des côtes, évitant le large, allant « comme
les crabes, de rocher en rocher6 ». La présence du littoral est si forte dans nos
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représentations que la route maritime du caboteur semble se confondre avec «
une simple rivière » côtière. Pour reprendre l’observation faite par Fernand
Braudel après l’examen des dépenses de bouche d’un caboteur de Raguse,
caboter « c’est acheter son beurre à Villefranche, son vinaigre à Nice, son huile
et son lard à Toulon. » Nous ajouterions volontiers: « ses fruits à Antibes et son
vin à Saint-Tropez ». Le cabotage ou « capotage » ne serait-il pas, selon une de
ses origines étymologiques, une navigation allant précisément « de cap en cap ?
» Les Encyclopédistes ne qualifient-ils pas eux-mêmes de capotage la « science
du pilote qui consiste dans la connaissance du chemin que le vaisseau fait à la
surface de la mer »?
Dans ces différentes approches se croisent les notions d’espace fréquenté, de
distance parcourue et de forme de navigation. Qu’en est-il?
Les textes publiés sous l’Ancien Régime, sous la forme d’une dizaine
d’ordonnances et de règlements, essentiellement entre 1664 et 1740, déterminent
moins un type que des espaces de navigation.
Jusqu’en 1740, le cabotage revêt deux aspects complémentaires. Alors que le
petit cabotage désigne les transports dans les ports et côtes du royaume, le grand
cabotage représente les relations maritimes entre les ports du royaume et ceux de
l’étranger. Ainsi, le vaisseau Aimable Honorée, venant à Marseille en
provenance de Dunkerque, sous le commandement du capitaine Nicolas
Bachelié, pratique du petit cabotage alors que la tartane Notre Dame de Bon
Rencontre, venant de Gênes à Marseille sous la conduite du patron Jean Daniel,
de La Seyne, effectue du grand cabotage.
En 1740, une ordonnance royale, inspirée par Maurepas, corrige cette définition
« politique » du cabotage et lui substitue une approche géographique. Établissant
une hiérarchie des espaces fréquentés, le texte rappelle en son article Premier
que: « seront réputés voyages au long cours ceux aux Indes, tant Indes
orientales qu’occidentales, au Canada, Terre-Neuve, Groenland et isles
d’Amérique méridionale et septentrionale, aux Açores, Canaries, Madère et en
toutes les costes et pays situés sur l’océan au-delà des détroits de Gibraltar et du
Sund, et ce conformément au règlement du 20 aoust 1673. ».
Les deux articles suivants concernent le cabotage, sous ces deux dimensions.
Selon l’article II: « Les voyages en Angleterre, Ecosse, Irlande, Hollande,
Danemarck, Hambourg et autres isles et terre au-deçà du Sund, en Espagne,
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Portugal ou autres isles et terre au-deçà du détroit de Gibraltar seront censés au
grand cabotage, aux termes dudit règlement du 20 aoust 1673 ? ».
Précocité provençale: au début du XVIe siècle un contrat d'assurance couvre
les risques d'un petit transport de blé d'Arles à Gênes. Par sa rédaction le
document met en relief les dangers de la navigation côtière entre la Ligurie et la
Provence. Par ailleurs le contrat suscite des questions sur la forme de l'assurance
ainsi que sur les moyens techniques de la pratique de cabotage et l'outillage
nautique mis en œuvre.
Des navigateurs génois animaient, depuis la fin du XVe siècle, une intense
activité de cabotage en direction de la basse vallée du Rhône1. Arles, en tête du
delta, véritable grenier à blé des métropoles méditerranéennes, fournissait ce
ravitaillement indispensable2. Pour ce trafic il était nécessaire de disposer de
navires capables à la fois d'affronter les « mers de Provence » et de remonter le
fleuve jusqu'en Arles. En effet, une difficulté technique majeure se posait à
l'entrée du Rhône: le passage de la barre, avec ses hauts-fonds changeants
et ses bancs de sables mouvants. Cette contrainte naturelle limitait de fait la
capacité en fret des navires de transport, dans la mesure où le faible tirant
d'eau des bâtiments limitait nécessairement l'ampleur des charges. Cette
obligation technique exigeait que les rives arlésiennes soient essentiellement
fréquentées par de petites embarcations de transport telles que barcas,
sagetieras, lembs et lahuts. Ces différents types de bâtiments, relativement
légers et maniables, restaient toutefois vulnérables pour un voyage souvent
risqué.
De fait, les dangers étaient nombreux, liés aux caprices de la mer et aux
agissements des hommes. Parmi les premiers, la grosse mer et des vents
contraires occasionnaient la perte de la marchandise, par la pratique du « jet à la
mer » lorsque pour prévenir la casse du navire on le délestait en urgence, avant
que ne se produise le redouté naufrage « corps et biens ».
La baraterie, c'est-à-dire la fraude par détournement de la marchandise, voire du
bâtiment, et la piraterie, très active le long des côtes provençales et aux
embouchures du Rhône, accroissaient les périls de la navigation côtière5.
L'instabilité de la situation politique en Méditerranée aux XVe et XVIe siècles
renforça l'insécurité des relations maritimes.
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Ainsi, il arrivait assez souvent, malgré les voyages en convois, ou « de
conserves », que les navires marchands soient interceptés par des galères,
galiotes, fustes ou brigantins, montés par des Marseillais, des Maures ou des
Catalans. En 1467, la sortie du fleuve fut bloquée par un corsaire catalan,
nommé Alonso, qui empêcha les barques génoises chargées de blé de gagner la
mer sous risque de confiscation de leurs chargements6. En 1473, une fuste
catalane fut capturée par une sagetia appartenant à Percival Vento de Marseille.
Dans ce temps de troubles, les villes côtières, comme Marseille ou Toulon,
n'hésitèrent pas, à l'occasion, à arraisonner des navires chargés de blé pour
assurer le ravitaillement de la cité. En 1491, Arles envoya à Marseille une
ambassade pour protester contre la prise de barques génoises et arlésiennes avec
leurs cargaisons de blés, malgré la suspension de la marque contre Gênes7. En
1496, une saytiera niçoise, chargée de 330 sestiers de seigle venant d'Arles, fut
retenue à Toulon8. De même, en mars 1501, un convoi de barques génoises fut
intercepté par des galères, près du Cap Sicié au large de Toulon, « une d'elles
s'échoua, une autre fut capturée ».
Le développement des assurances maritimes couvrant ces risques se fit jour
dès le XIVe siècle en Italie. La pratique se généralisa à Gênes, Pise et
Florence dans le courant du XVe siècle siècle10. Cependant, il semble que les
assurances en Provence, et à Marseille en particulier, ne se soient
développées que vers la fin du XVIe siècle11. Il y eut toutefois des cas
particuliers, tel celui de cet assureur demandant, en 1427, une prime de 4 % pour
garantir une cargaison transportée de Marseille en Avignon par le Rhône.
La relative rareté de ce type de document dans les archives provençales nous
invite à marquer un temps d'arrêt sur un contrat d'assurance arlésien daté de
1502. Ce contrat, classé dans un registre appartenant à la série « Impôts et
comptabilité », a l'intéressante particularité d'être écrit en occitan13. En effet,
la langue employée dans ce texte, le dialecte provençal-rhodanien, est encore
bien inscrite dans une normalité scriptive bientôt soumise à l'influence
française14. Si l'on a transcrit ce contrat en occitan, et non pas en latin qui était
encore à l'époque la langue administrative écrite, c'était probablement dans le
but d'être bien compris de tous pour éviter toute ambiguïté ou mauvaise
interprétation: « sia manifesta causa a tota persona qui veyra vo ausira lo
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present scrit… ». Il est à noter, par ailleurs, que ce texte n'a pas été rédigé par un
notaire, comme il était d'usage à l'époque car il l'aurait en effet probablement
écrit en latin. En réalité, ce contrat d'assurance est un document passé sous
seing privé: « …aquest scrit sia de valor obligatoria ansi coma si el fossa fach et
stat de man de notary… ».
Six assureurs prennent en charge le transport de blé pour Gênes. Une telle
association semble être une pratique courante et prudente dans la mesure où les
frais à engager, en cas de sinistre, se trouveraient moins importants à supporter
pour chacun d'eux15. Parmi les six co-assureurs, figure Simon Grille, le seul
d'ailleurs à soussigner en latin. Ce personnage, issu d'une vieille famille
d'armateurs et de marchands génois installés en Arles depuis le XIVe siècle,
était certainement bien placé pour favoriser les transactions et autres
négociations nécessaires au commerce entre la ville et ses compatriotes16. Il
participe de la sorte au transfert de techniques commerciales, à la diffusion du
savoir-faire marchand. L'influence gênoise est bien réelle en Arles où le Conseil
de la ville a autorisé les Gênois à se doter d'un consul pour représenter les
intérêts de leur communauté marchande.
Les conditions de l'assurance
Lors de la signature du contrat, les assureurs doivent prouver leur solvabilité
tant pour la somme couverte que pour tous les intérêts engendrés par un
éventuel retard. Ils s'engagent sur leurs biens propres ainsi que sur ceux à
venir. Ils s'obligent à se soumettre à toute cour de justice temporelle ou
spirituelle choisie par les consuls d'Arles pour tout litige intervenant entre
la ville et les co-assureurs. Les engagements de ceux-ci figurent, écrits de leurs
mains, à la suite du contrat. Le taux pratiqué en cette époque troublée est
relativement élevé, dans la mesure où la prime représente 5 % de la valeur
assurée. Il est, de plus, établi par les assurés, c'est-à-dire les consuls de la
ville d'Arles et non par les assureurs: volonté des assurés d'obtenir de la
sorte une solide couverture des risques en payant un prix élevé?
Les garanties et les risques, tant pour des raisons naturelles qu'humaines (
...alcuna ocasion faire divinals vo humanals…) sont d'ailleurs nommément
spécifiés: échouage volontaire ou non, chavirage, pertes, détournement.
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Les assureurs ont trois mois, après avoir eu connaissance du sinistre, pour
dédommager les consuls d'Arles ou toute autre personne nommée par ceux-
ci sans aucune acception ni exclusion de garanties.
Ce modeste épisode, relatif à une non moins modeste cargaison, a cependant
l'intérêt de rappeler les dangers multiples et réels de la navigation « à la côte ».
Ne s'éloignant guère des rivages les caboteurs n'ignorent pas pour autant les
dangers de la navigation qui ne sont nullement réservés à la seule circulation
transocéanique. Faut-il rappeler que l'écrasante majorité des naufrages, avaries
et autres fortunes de mer se produisent à quelques encablures seulement des
côtes familières?
De tels risques conduisent dans une certaine mesure les utilisateurs des
transports maritimes à envisager des moyens pour les atténuer sinon les faire
disparaître. La pratique du contrat d'assurance, qui est appelée à une large
diffusion, s'inscrit dans cette logique, se situant à un moment où se conjuguent
insécurité et intensité des échanges.
CONCLUSION : Des traités de paix fragiles mais coûteux avec les
Régences barbaresques
Parallèlement au corso chrétien, le corso barbaresque connut également une
évolution sensible. Plus proche de la piraterie que de la course au XVIe siècle, à
l'époque où les jeunes Régences barbaresques n'avaient pas encore réellement
assis leurs positions internes et internationales, il devint une activité plus policée
aux siècles suivants, grâce à la signature de multiples traités de paix avec les
puissances chrétiennes, traités qui mettaient les divers protagonistes sur un
même pied d'égalité : ils étaient avantageux pour les Européens qui évitaient
ainsi les frais d'une guerre massive contre ces nids de corsaires, tout comme ils
l'étaient pour les Régences qui, en passant d'une alliance à l'autre, c'est-à-dire en
n'étant jamais en paix avec tous les pays d'Europe à la fois, conservaient
perpétuellement un cheptel de proies quasi inépuisable. En outre, pour ces pays,
les traités étaient toujours assortis de conditions financières compensatoires et de
présents tels qu'il leur était intéressant de les renouveler régulièrement. Mais
pour qu'il y eût renouvellement, il fallait au préalable rompre la paix en
relançant le corso, ce que les Régences firent à maintes reprises, sous divers
prétextes. Les multiples bombardements qu'Alger, Tunis et Tripoli eurent à subir
ne freinèrent que momentanément les ardeurs des barbaresques, si bien que
malgré une nette supériorité maritime des chrétiens, avérée dès le XVIe siècle,
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ces derniers se résolurent, jusqu'au début du XIXe siècle, à payer pour maintenir
un semblant de paix avec ces vassales peu disciplinées de l'Empire ottoman.
Libéralisme et humanisme, nouvelle donne ou nouveaux prétextes ?
Cependant, les Européens supportèrent de plus en plus mal cette activité : avec
la Révolution française et son idéal de libéralisme économique, la guerre de
course apparaissait désormais comme un anachronisme économique cruel eu
égard à la notion nouvelle de droits de l'homme, qui faisait ressortir l'aspect
monstrueux de l'esclavage. En 1818, au congrès d'Aix-la-Chapelle, la résolution
fut prise de persuader les Régences barbaresques de mettre un terme à l'activité
de leurs corsaires, en les menaçant d'une action concertée des puissances
européennes. Il fallut encore attendre douze années et l'expédition française sur
Alger de juillet 1830 pour mettre un terme à ce fléau. Sous couvert de croisades
de la foi, le corso chrétien et le corso musulman ne furent en réalité rien d'autre
qu'un brigandage maritime continu des années 1570 à 1830. Le libéralisme
économique du XIXe siècle mettait ainsi un terme, cette fois sous couvert
d'humanisme, à une activité pluriséculaire qui entravait sa progression.
Aussi surprenant que cela paraisse, ce sont les Etats-Unis qui vont intervenir
dans la lutte contre les pirates barbaresques durant la période de latence
européenne due aux guerres de la révolution et de l’Empire. Le célèbre corps des
marines doit sa naissance à la décision que prend la jeune nation de sécuriser son
commerce méditerranéen. A la fin du XVIIIe siècle, le commerce maritime des
Etats-Unis, déjà très actif en Méditerranée, ne peut s’accommoder de ces
attaques. Jeune démocratie qui s’est formée contre le despotisme (constitution
fédérale de 1787), les Etats-Unis perçoivent là une nouvelle manifestation de
despotisme contre une liberté essentielle, vitale, celle des mers.
Thomas Jefferson va être l’artisan de la riposte. Lors d’une mission de
négociation à Londres en 1785 aux côtés de John Adams, il apprend de
l’envoyé du pacha de Tripoli que ceux qui refusent de payer tribut pour
transiter en Méditerranée font offense aux pachas berbères et que le djihad
maritime est dans ce cas prescrit par le Coran !
En 1801, les Etats-Unis rejettent une nouvelle fois une demande de tribut.
Le pacha de Tripoli leur déclare alors ostensiblement la « guerre pirate »,
tandis que d’autres attaques venant de la côte algérienne se multiplient. La
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même année, les Etats-Unis déplorent la capture de la nouvelle frégate
Philadelphia, fleuron de leur flotte, par les pirates de Tripoli.
Cette même année 1801, Jefferson organise la première opération
américaine contre la piraterie barbaresque. Il se passe de l’accord initial du
Congrès tout en faisant à cette occasion la démonstration de l’utilité d’un
pouvoir fédéral fort et de la nécessité pour le pays de disposer d’une marine
de guerre puissante. Une escadre américaine bombarde par surprise Alger
et Tripoli. Elle inflige de lourdes pertes et destructions à ces deux ports,
reprend la frégate Philadelphia, et contraint les pachas à libérer tous les
otages américains détenus. A posteriori, en 1802, le Congrès des Etats-Unis
valide l’opération navale en même temps que la nécessité d’une présence
durable de l’US Navy en Méditerranée.
Une nouvelle et audacieuse opération est menée en 1805. Débarqué en
Égypte, à Alexandrie, un commando du nouveau corps des Marines,
constitué à cet effet, parcourt 800 km par la voie de terre et atteint la ville
de Derna. Il s’en empare le 27 avril 1805 avec l’aide des canons des navires
américains qui suivent au large son cheminement. Le commando ne
parvient toutefois pas à atteindre Tripoli. Reste que la puissance des pirates
barbaresques ne sera plus jamais ce qu’elle était avant ces opérations. Un
nouveau coup est porté aux Barbaresques par une escadre anglo-
hollandaise (la flotte britannique était accompagnée de six navires
hollandais) en 1816. Cette escadre attaquera également les refuges des
pirates des Caraïbes. En 1830, la colonisation française de l’Algérie signe
l’arrêt définitif de l’activité des pirates de la côte berbère.