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Version française de l'ouvrage co-rédigé par Anna Nawrocka et Roland Kiper
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Anna Nawrocka, Roland Kiper
Opole 2010
Francja i Francuzina Śląsku
Le France et les Françaisen Silésie
Centre Interlangues Texte,Image, Langage (EA 4182)
Université de Bourgogne // Faculté de Langues et Communication
Francja i Francuzi na Śląsku • Le France et les Français en Silésie
Urząd Marszałkowski Województwa Opolskiego
1
INTRODUCTION
L’issue de la Première Guerre mondiale, le 11 novembre 1918, eut pour principale
conséquence la redistribution de l’espace géographique européen. Ce bouleversement de la
carte des Etats sur le vieux continent devait se faire selon un principe novateur à l’époque :
« le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Instigateur et propagateur de ce concept dans
le programme en 14 points qu’il présenta en janvier 1918, le président des Etats-Unis
d’Amérique, Woodrow Wilson, donna la trame qui devait guider les réflexions et
négociations sur la nouvelle répartition des frontières européennes, dont celles de la Pologne
renaissante. C’est dans cet esprit que furent menées les négociations lors du traité de
Versailles entre les puissances alliées, principalement la France, l’Angleterre, l’Italie et les
Etats-Unis d’une part, et en l’absence du grand vaincu, l’ex Empire allemand. Ainsi la
Pologne, démembrée depuis 1795 et partagée entre l’Autriche-Hongrie, la Russie et
l’Allemagne, recouvra sa souveraineté dès 1918.
Sous la perspective du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, plusieurs plébiscites furent
décidés en vertu du traité de Versailles. Cette mosaïque de populations qui constituaient
l’Europe posait des questions de revendications territoriales entre anciens et nouveaux Etats.
Ces problématiques étaient d’autant plus sensibles que se surajoutaient des enjeux
économiques puissants, particulièrement pour la possession des riches sous-sols d’Alsace-
Lorraine à l’ouest du Rhin, ou pour ceux de Haute-Silésie, qui représentaient un pôle
économique capital en Europe centrale. La France, considérée alors comme la grande
gagnante de la guerre, souhaitait mettre à bas la puissance allemande, qu’elle soit
économique, politique et par digression militaire. Cette position avait pour but d’annihiler une
éventuelle velléité de revanche de la part de Berlin après un conflit qui meurtrit profondément
l’opinion publique française. A l’opposé de cette conception géopolitique, l’Angleterre et les
Etats-Unis souhaitaient une Allemagne pacifiée mais forte, capable de contrebalancer la
potentielle hégémonie française en Europe. La renaissance de la puissance économique
allemande leur offrait plus de garanties commerciales que la Pologne où tout était à faire,
alors que l’Allemagne possédait déjà des contacts commerciaux avec les îles britanniques
notamment.
LA SITUATION GENERALE EN POLOGNE
2
La Pologne d’après guerre demeurait un Etat en pleine reconstitution et ne possédait pas
encore les moyens militaires d’affirmer ses nouvelles frontières devant les pays limitrophes.
Dès janvier 1919, l’Etat-major français s’inquiétait de la tournure des contentieux entre la
Pologne et ses voisins et des risques encourus pour la pérennité du jeune Etat. L’armée
polonaise ne comptait alors que 85 000 hommes (dont 5000 officier). Très mal outillée, elle
ne possédait pas vraiment d'Etat major1. La France installa une mission militaire à Varsovie
qui avait pour objectif d’encadrer et de conseiller la nouvelle armée polonaise, dans la
continuité de celle qu’elle fit avec l’armée Haller qui combattit aux côtés de la IIIème
République pendant la Première Guerre mondiale. La Mission Militaire française entra
effectivement en fonction en avril 1919 sous la direction du Général Henrys. Son envoi à
Varsovie révélait le caractère d’urgence que revêtait la défense des frontières instables de la
Pologne. A l’est, dès les premiers mois de 1919, le pays entrait en conflit avec la Russie
bolchévique de Lénine. A l’ouest, une succession de tensions éclatèrent entre la Pologne et
ses nouveaux voisins, particulièrement l’Allemagne. Les troubles les plus graves se
produisirent en Haute-Silésie, où l’imbrication des populations allemande et polonaise,
couplée à l’instabilité politique provoquée par la fin du conflit donnait tous les facteurs
propres à créer une véritable poudrière.
LA SITUATION EN HAUTE-SILESIE
L’incertitude sur le sort prochain du territoire offrait un terreau propice au renforcement des
groupements nationaux antagonistes. Polonais comme Allemands fondèrent leurs propres
organes politiques ou associatifs avec l’objectif sous-jacent de préparer le prochain
rattachement de la Silésie à leur Etat respectif. Il en découla des luttes ethniques entre les
populations sur fond d’agitation communiste. On assistait également à l’éclosion, des deux
côtés, de milices et autres organisations paramilitaires.
Les comités populaires et les groupes armés organisèrent la propagande pour le rattachement
de la Haute-Silésie à leur propre pays. Côté polonais, ce furent les puissantes manifestations
qui suivirent les revendications du Comité national polonais en place à Paris. En octobre
1918, cet organisme revendiquait, dans un mémoire remis aux forces alliées, le rattachement à
la Pologne de 12 000 000 kilomètres carrés abritant 2,1 millions d’individus dont environ 67
1 Note confidentielle sur « La question polonaise » adressée au Maréchal Foch et au Général Niessel, 31 janvier
1919, Service historique de la Défense à Vincennes, 4N51.
3
% de Polonais2. Le 3 mai 1919, dans plusieurs villes de Haute-Silésie, d’importants
mouvements de foule rassemblant plusieurs milliers de Polonais se déroulèrent pour
revendiquer le rattachement des territoires à la Pologne3.
L’atmosphère délétère menaçait de dégénérer à tout moment. Dès juin 1919, le chef de la
Mission Militaire Française, le Général Henrys, transmit des signaux d’alerte à ses supérieurs
en place à Paris sur la situation. Selon lui, les tensions sociales entre Allemands et Polonais
avaient atteint un tel seuil qu’elles risquaient de déboucher sur une révolution dans cette
région4.
Il ne fallu pas longtemps pour que la prédiction d’Henrys ne se réalise. Le 17 août 1919, il
estima que 70% des grévistes polonais manifestèrent à Katowice. Les troupes allemandes
chargées de rétablir l'ordre réprimèrent la rébellion avec violence5. C’est officiellement le 18
août 1919 qu’éclata la première insurrection en Haute-Silésie. Les désordres furent durement
réprimés par les autorités allemandes et les corps francs éteignirent le soulèvement dès le 24
août. Les troubles demeuraient toutefois quasi quotidiens et une tension extrême régnait entre
les deux partis. Début septembre, le Général français allait jusqu’à qualifier la situation en
Haute-Silésie de « navrante » 6
.
POURQUOI SE RENDRE EN HAUTE-SILESIE ?
Bien loin de l’idéal wilsonien du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce sont avant tout
des enjeux politiques et économiques qui entraient en compte dans « la question silésienne ».
Outre l’opposition des conceptions géopolitiques de la France et de l’Angleterre sur la
restitution de l’influence politique de l’Allemagne en Europe et de sa puissance militaire,
c’était avant aussi un combat économique qui eut pour effet de donner naissance à deux
blocs : le premier réunissant la France et la Pologne et par antagonisme, un bloc anglo-
allemand. La France souhaitait faire de la Pologne un Etat tampon, rempart au bolchévisme
qui menaçait depuis la Russie de contaminer l’ouest européen. Mais c’était avant tout un allié
qui permettrait de tenir l’Allemagne dans un étau franco-polonais et préviendrait d’un
2 J. Przewłocki, Stosunek mocarstw zachodnioeuropejskich do problemów Górnego Śląska w latach 1918-1939,
Państwowe Wydawnictwo Naukowe, Warszawa- Kraków, 1978, p.15. 3 M. Czapliński, E. Kaszuba, G. Was, R. Zerelik, Historia Śląska, Wydawnictwo Uniwersytetu Wrocławskiego,
Wrocław, 2002, p.357. 4 Rapport secret du Général Henrys au ministère de la Guerre, 29 juin 1919, S.H.D., 7N1450.
5 Télégramme du Général Henrys au Ministère de la Guerre, 17 août 1919, S.H.D., 4N51. Voir aussi : M.
Czaplinski, E. Kaszuba, G. Was, R. Zerelik, op. cit., p.358. 6 Télégramme secret du général Henrys au Général Dupont, au Ministre de la Guerre et au Maréchal Foch, (pour
le Conseil suprême), 8 septembre 1919, S.H.D., 4N51.
4
éventuel renouveau belliciste de Berlin vis-à-vis de Paris. Pour constituer un Etat fort offrant
les garanties militaires nécessaires à la réalisation de cette stratégie, il fallait doter la Pologne
d’une industrie et d’une économie solides. La possession de la riche et développée Silésie
pouvait ainsi donner toutes ses chances au jeune Etat. La région possédait un attrait
économique certain pour les appétits des industriels français, alors que le pays se devait de
relancer son économie. Il lui fallait garantir son approvisionnement en matières premières,
alors les départements du nord de la France sortaient dévastés du conflit et que le paiement
des réparations de guerre de 34 milliards de francs or, dues par l’Allemagne à la France en
vertu du traité de Versailles, n’étaient payées qu’à grand peine. Le 8 juillet 1919, le Président
du conseil, Ministre de la Guerre, Georges Clemenceau, rappelait la doctrine française vis-à-
vis de la Pologne au Général Belin, alors représentant militaire permanent français au conseil
supérieur de guerre. Il y insistait notamment sur un point : vu les efforts français pour financer
et former en intégralité ou presque l'armée polonaise en France, il était impératif de ne pas
perdre l'influence acquise au profit d'autres alliés ou bien des Polonais. Ces efforts français
pour aider la Pologne justifiaient selon lui un bénéfice pour les entreprises diplomatiques et
pour les investissements futurs des industries françaises en Pologne7.
GENESE DE LA COMMISSION INTERALLIEE
Signé le 28 juin 1919, le traité de Versailles constituait l’accord fondamental censé régler le
nouvel ordre politique et économique européen. L’existence de la Commission de
Gouvernement et de Plébiscite en Haute-Silésie tint pour origine l’article 88 de ce traité. Dans
le cadre des tractations, on constitua, le 12 février 1919, un « Comité aux affaires
polonaises », composé notamment du Général Henri Le Rond, chargé de diriger une sous-
commission devant définir les frontières polono-allemandes.
Face à l’incapacité des alliés à s’entendre sur les modalités de la nouvelle répartition de la
Haute-Silésie on décida, à l’initiative anglaise, de confier le sort de ces terres à la population
en organisant un plébiscite. Ce choix fut entériné le 4 juin 1919. Pour cela, on instaura une
Commission ayant pour objectif de régler les aspects techniques du vote. Le Général français
Henri Le Rond fut désigné pour en assurer la présidence avec à ses côtés un représentant
américain, un italien et un anglais.
7 Lettre confidentielle du Président du conseil, ministre de la guerre, Georges Clemenceau au Général
représentant militaire permanent français au conseil supérieur de guerre, 8 juillet 1919, S.H.D., 4N51.
5
Dès l’été 1919, les représentants militaires alliés envisageaient l’envoi d’une force d’au moins
13 000 soldats pour mener à bien la préparation du plébiscite, le déroulement du scrutin, sans
toutefois prévoir les lendemains du vote8. Fin août 1919, une note au sujet de la préparation
du corps expéditionnaire de Haute-Silésie, rédigée par le Général Weygand, indiquait que le
contingent devrait se composer de 6000 Britanniques, 6000 Français, 5000 Américains et
3000 Italiens. La France enverrait ses troupes dès le 20 septembre 19199. Ces prévisions
durent cependant être revues à la baisse : la Commission ne se rendit en Silésie qu’à partir de
février 1920 et avec un effectif plus proche de la première estimation. La décision définitive
sur la composition des représentants alliés au sein de la Commission fut rendue en octobre
1919. Henri Le Rond, Président de la Commission de Gouvernement et de Plébiscite en
Haute-Silésie se voyait adjoindre l’Anglais Harold F. Percival et l’Italien Andreo de Marinis
Stendardo de Ricigliano pour l’accomplissement de cette mission. Le projet initial prévoyait
l’envoi d’une force américaine. Cependant, la non ratification du traité de Versailles par le
Congrès des Etats-Unis d’Amérique entraina leur retrait de la scène européenne. Cette force
alliée aurait pour mission d’occuper une zone représentant 10 782,6 km2, dénombrant entre
1 600 000 et 2 100 000 habitants, dont environ 65 % de Polonais et 45 % d’Allemands10
.
Les études consacrées à la présence française en Haute-Silésie de février 1920 à juillet 1922
sont quasiment absentes de l’historiographie française11
. C’est en Pologne qu’ont été fournies
les premiers travaux véritablement complets sur ce sujet, notamment les ouvrages très
8 Rapport secret sur la composition et l’effectif de l’armée d’occupation dans la zone de plébiscite de la Haute-
Silésie, élaboré par les Représentants Militaires à la demande du Conseil Supérieur de Guerre de Versailles, 10
juillet 1919, S.H.D., 6N72. Les rédacteurs commentent ainsi le chiffre : Les Représentants militaires ont été
d’accord pour estimer qu’une force armée de une Division (13 000 hommes environ) sera momentanément du
moins indispensable. 9 Note du Général Weygand au sujet de la préparation du corps expéditionnaire de Haute-Silésie, 24 août 1919,
S.H.D., 4N51. 10
J. Przewlocki, Stosunek …, op. cit., p. 23. L’auteur cite ici des statistiques officielles allemandes datant de
1910. Un rapport secret provenant des Représentants Militaires au Conseil Supérieur de Guerre de Versailles sur
« la composition et l’effectif de l’armée d’occupation dans la zone de plébiscite de la Haute-Silésie », daté du 10
juillet 1919, indique les statistiques suivantes pour la région : 1 632 000 habitants dont 570 000 Allemands et
1 062 000 de Polonais (Rapport secret sur la composition et l’effectif de l’armée d’occupation ..., op. cit., S.H.D.,
6 N 72). Les mouvements de population provoqués par la guerre et les tensions sociales et politiques en Haute-
Silésie permettent de donner un certain crédit à ces chiffres. Toujours est-il qu’ils confirment la supériorité
numérique de la population polonaise sur ce territoire. 11
On possède seulement des éléments dans des ouvrages d’histoire générale. Les publications récentes
accessibles détaillant ce thème sont presque absentes. Citons tout de même : Frédéric Dessberg, « Enjeux et
rivalités politiques franco-britanniques : le plébiscite de haute Silésie (1921) » Revue historique des armées,
254 | 2009, [En ligne], mis en ligne le 15 mars 2009. URL : http://rha.revues.org//index6443.html. Consulté le 10
septembre 2009. Nous tenons à indiquer qu’au moment où s’achevait la rédaction de notre ouvrage, une
publication française semblant très bien documentée est parue. Il a donc été impossible d’en prendre
connaissance, malgré l’intérêt certain et l’apport que celle-ci aurait pu fournir à notre travail. La référence est :
R. Porte, Haute-Silésie 1920-1922 - Laboratoire des « leçons oubliées » de l'armée française et perceptions
nationales, Editions Riveneuve, Paris, 2010.
6
documentés de Jan Przewlocki12
, ou bien les quelques articles publiés sur le président de la
Commission de Plébiscite et de Gouvernement, le Général Henri Le Rond13
.
Outre la mise en avant d’une période peu analysée par l’historiographie française, la
consultation des archives de la Commission de Plébiscite et de Gouvernement de Haute-
Silésie conservées au Service Historique de la Défense à Vincennes permettent d’ouvrir
d’autres perspectives aux ouvrages polonais jusqu’ici réalisés. Ces fonds n’ont été exploités
par ceux-ci que dans des proportions infimes. Les sources consultées permettent de
renouveler, voir de remettre en cause certaines idées reçues sur l’action française en Haute-
Silésie de 1920 à 1922 et d’offrir des compléments utiles aux études existantes.
La synthèse que nous livrons ici n’a pas la prétention de reprendre dans son intégralité un
thème qui nécessiterait un travail d’écriture bien plus développé. Elle pourrait très bien inciter
d’autres travaux ultérieurs pour combler le vide historiographique, notamment en France, sur
l’histoire des insurrections silésiennes et sur l’activité de la Commission interalliée de
manière plus générale. Notre étude se conçoit plutôt comme le prolongement d’ouvrages déjà
forts bien renseignés, élaborés principalement à partir des sources conservées aux Archives
d’Etat à Opole. On pense notamment ici aux publications de Jan Przewlocki précédemment
citées.
Le plus grand recul historique dont nous disposons, ainsi que l’idéologie européenne
unificatrice qui gouverne notre époque, semblent influer dans le sens d’une plus grande
compréhension des raisons qui animaient chacun des protagonistes agissant en Haute-Silésie
au début des années 1920. Les principaux ouvrages que nous avons consultés ayant été
rédigés dans les années 1970, ils étaient peut-être encore empreints d’autres conceptions
politiques et nationales.
Le choix a été fait de citer abondamment les sources, non seulement pour rendre plus vivant le
texte, mais aussi et surtout pour « faire parler » les soldats et officiers et restituer une image la
12
Particulièrement : J. Przewlocki, Międzysojusznicza Komisja Rządząca i Plebiscytowa na Górnym Śląsku w
latach 1920-1922, Zakład Narodowy Imienia Ossolińskich Wydawnictwo, Wrocław-Warszawa-Kraków, 1970;
J. Przewlocki, Francuskie zainteresowania Górnym Śląskiem, Śląski Instytut Naukowy Katowice, Katowice,
1973; J. Przewlocki, Stosunek Mocarstw Zachodnioeuropejskiej do problemów Górnego Śląska w latach 1918-
1939, Państwowe Wydawnictwo Naukowe, Warszawa- Kraków, 1978. 13
Voir notamment : J. Liponska-Sajdak, Generał Henri Le Rond [w 75 rocznicze III Powstania Śląskiego],
Muzeum Historii Katowic, Katowice, 1996 ; M. Patelski, Henri Le Rond – generał (prawie) nieznany, “Indeks”
2003/2004, nr 9-10, s. 57-60. M. Patelski nous a d’ailleurs fait l’aimable gentillesse de rédiger pour nous un
article très complet sur le Général Le Rond.
7
plus proche possible de la vie des Français et de leurs rapports avec chacune des nations avec
lesquelles ils interagissaient quotidiennement.
Lors des lectures des quelques ouvrages se rapportant à l’action française au sein de la
Commission de Plébiscite et de Gouvernement de Haute-Silésie de février 1920 à juillet 1922,
le fil de notre réflexion a pu se résumer ainsi : « Quelle rôle les Français ont-ils joué au sein
de la Commission de Plébiscite et de Gouvernement de Haute-Silésie ? ».
Pour offrir au lecteur un panorama le plus large possible dans un nombre aussi restreint de
pages, on a choisit d’abord de décrire l’organisation française, ses effectifs et les personnages
marquant qui la composait, avant d’entrevoir les relations entretenues avec les alliés anglais et
italiens, et celles avec les populations allemandes et polonaises. Pour conclure, on posera une
réflexion de fonds sur les relations des Français avec les Polonais lors des insurrections.
8
L’ORGANISATION DE LA FRANCE AU SEIN DE
LA COMMISSION INTERALLIEE DE
GOUVERNEMENT ET DE PLEBISCITE EN
HAUTE-SILESIE.
Arrivée de la Commission
Les Français furent les premiers à s’installer en Haute-Silésie. L’État-major quitta Paris le 29
janvier 1920 pour être regroupé à Nancy le jour suivant. Il embarqua le 31 janvier dans le
convoi ferroviaire en direction de la Haute-Silésie.
Le Général Sauvage de Brantes, Commandant des troupes françaises, était chargé de
l’installation de celles-ci entre le 31 janvier et le 11 février 1920. Le général Jules Gratier,
Commandant Supérieur des troupes interalliées, arriva le 4 février à 14 heures en gare de
Gliwice. Son arrivée fut saluée par la fanfare du 27ème
Bataillon de Chasseurs Alpins, qui lui
rendit les honneurs. L'arrivée des deux premiers trains du personnel de la Commission
Interalliée à Opole se fit dès le 10 février 1920. De son côté, l’Etat-major des forces alliées
quitta Gliwice pour prendre ses quartiers à Opole. Le Général Le Rond, Président de la
Commission de Plébiscite et de Gouvernement de Haute-Silésie, arriva le 11 février à 10
heures en gare d’Opole, accompagné de ses deux adjoints au sein de la Commission de
Gouvernement et de Plébiscite de Haute-Silésie, l’Italien De Marinis et l’Anglais Percival.
L’arrivée de la présidence de la Commission se déroula solennellement, selon le protocole
militaire : Dans la gare, pavoisée et décorée aux couleurs des trois puissances Alliées, une
Compagnie du 27e Bataillon de chasseurs à pied français, avec le drapeau des chasseurs à
pied, a rendu les honneurs.
Les trois commissaires, salués à leur descente du train par leurs hymnes nationaux, ont
d’abord été reçus par les fonctionnaires de la Commission de Gouvernement envoyés pour
9
préparer l’installation et par le Général Gratier, Commandant les Troupes Alliées
d’Occupation14
.
Cette description officielle donnait l’apparence de la quiétude entourant l’arrivée des troupes
interalliées. Elle masquait la réalité des tensions qui annonçaient les difficultés auxquelles la
Commission de Gouvernement et de Plébiscite de Haute-Silésie serait confrontée durant son
mandat. Quelques jours auparavant, la recrudescence des troubles laissait planer la menace
d’incidents pendant la cérémonie d’accueil des représentants alliés. Déjà, lors du trajet vers la
Haute-Silésie qui les fait passer par l’Allemagne, les Français furent victimes de
manifestations d’hostilités. Le 3 février 1920, près de la station d'Ohlau, en Allemagne, le
Général Gratier fut blessé au menton par un éclat de verre projeté suite au lancé d’une pierre
sur la glace du compartiment où il se trouvait. Le 4 février, alors que la fanfare du 27ème
B.C.A. lui rendait les hommages, des manifestations violentes contre la France éclataient
devant une banque d’Opole. Les injonctions du Général auprès des autorités allemandes pour
faire cesser ces tensions ne parvinrent que temporairement à rétablir la situation. Le soir
même, alors qu’il quittait « l’Hôtel de Silésie » pour regagner son domicile, la foule hostile
entoura Gratier et le blessa au visage avec un tesson de bouteille. Les trois officiers de l’État-
major qui l’accompagnaient étaient eux molestés. A leur arrivée à Gliwice, le 6 février, les
troupes françaises furent reçues par une foule manifestant son opposition à la présence
française. Des démonstrations populaires de rejet de la France se déroulèrent dans plusieurs
localités silésiennes. Ainsi, l’avant-veille de l’arrivée du Général Le Rond, il fallut appeler
une garde renforcée de hussards pour disperser la foule venue arracher le drapeau français
flottant au poste central de la ville de Tarnowskie Gory.
Missions de la Commission Interalliée de Gouvernement et de Plébiscite de Haute-Silésie
La Commission Interalliée de Gouvernement et de Plébiscite de Haute-Silésie devait mener à
bien la pacification du territoire et poser les fondations d’une paix équitable entre les peuples
allemand et polonais : La Commission Interalliée de Gouvernement inaugure en Haute-Silésie
une ère nouvelle, ère de justice et de liberté. […] La Commission Interalliée de
Gouvernement veut le bien du pays et le bonheur de ses habitants sans distinction15
.
14
Journal Officiel de Haute-Silésie, 28 février 1920, numéro 1, p. 8, Proclamation aux Habitants de la Haute-
Silésie, Oppeln, , SHD, 7N2988. 15
Journal Officiel de Haute-Silésie, le 28 février 1920, numéro 1, p. 1, Proclamation aux Habitants de la Haute-
Silésie, Oppeln, , SHD, 7N2988.
10
Cette ère nouvelle de justice et de liberté devait correspondre à la restitution des territoires de
la Haute-Silésie à ses habitants, après l’organisation d’un plébiscite. Aux termes de l’article
88 du traité de Versailles, celui-ci devait se tenir entre 6 et 18 mois à partir de l’installation de
la Commission. Ce délai devait servir à niveler le rapport de forces entre les deux partis,
allemand et polonais, afin d’organiser le plébiscite dans des conditions d’équité entre les deux
partis mus par des antagonismes inextricables. Outre l’opposition nationale, la composition
sociale et économique de la population locale la divisait profondément. Les Allemands
accaparaient l’ensemble des richesses économiques et le pouvoir politique. Ils constituaient la
bourgeoisie locale, les notables politiques et le patronat, ainsi que l’intelligentsia. Les services
de police étaient également aux mains de la communauté germanique. Les Polonais
appartenaient aux catégories sociales et économiques « basses », c'est-à-dire que la
bourgeoisie et l’intelligentsia étaient quasiment inexistantes. Ils étaient le plus souvent
ouvriers ou paysans. C’est principalement en milieu rural qu’ils résidaient, tandis que les
Allemands étaient majoritaires dans les centres urbains. Les Polonais se localisaient surtout
dans la zone est du territoire plébiscitaire, notamment dans le « triangle industriel », composé
des villes de Tarnowskie Gora, Myslowice et Gliwice, tandis que les Allemands étaient
surtout implantés à l’ouest. Il y avait donc une forte imbrication des populations, forme de
puzzle où à presque chaque majorité correspondait une forte minorité. Le découpage était
donc très complexe à visualiser. Le déséquilibre socio-économique laissait supposer que les
Allemands, possédant tous les échelons du pouvoir, n’abusent de leur position pour influencer
les Polonais par divers moyens : menace des employeurs de licenciement, répression
injustifiée de la police, répression administrative, … Après avoir pris aux Allemands les
principaux leviers de l’administration locale, censé lui permettre d’administrer de manière
impartiale les populations et de s’assurer de l’équité des fonctionnaires allemands vis-à-vis
des Polonais, la Commission liquida la Sicherheitspolizei, police allemande dont les exactions
contre les populations polonaises étaient monnaies courantes. Non sans difficultés, la
Commission instaura à sa place une police mixte, composée d’agents polonais et allemands à
part égale.
Les votes devaient se faire par district administratif. Les personnes autorisées à voter étaient
tous les citoyens allemands et polonais ayant 20 ans révolus au moment du vote, nés en
Haute-Silésie et les habitants y résidant au moins depuis le 1er
janvier 1919. Les émigrés
originaires de la région avaient le droit de revenir afin de voter pour le rattachement à la
Pologne ou à l’Allemagne.
11
Le plébiscite eut lieu 13 mois après l’installation de la Commission, soit le 20 mars 1921. Le
temps pris éclaire sur la difficulté de la tâche qui consistait à créer un climat suffisamment
apaisé pour mettre en œuvre le vote. L’ambiance délétère qui régnait, traduit notamment par
des attentats réguliers des deux partis, allemand comme polonais et l’insurrection d’août
1920, mirent à mal la Commission dans l’accomplissement de son devoir. Même si le vote se
tint dans un calme relatif, la répartition définitive du territoire entre l’Allemagne et la Pologne
ne se fit seulement connaître que le 12 octobre 1921 ! En effet, les désaccords entre les
représentants français, anglais et italiens sur l’interprétation des résultats conduisirent à
l’envoi de deux projets de répartition singulièrement différents au Conseil suprême à Paris qui
réunissait les Ambassadeurs et représentants militaires des puissances alliées engagées dans
l’occupation de la Silésie. Cet organe était le seul à pouvoir entériner les résultats du
plébiscite. Le conseil ne pouvant s’accorder, puisque s’y prolongeait les querelles entre
Français, Anglais et Italiens, ce fut la SDN qui trancha la question. Sa décision, rendue en
octobre 1921, donna à la Pologne 29% du territoire plébiscitaire, représentant 46 % de la
population locale, soit environ 9000 000 individus, mais surtout les principaux centres
industriels et miniers, dont le « triangle industriel »16
. Se rangeant du côté des revendications
polonaises, Le Rond estimait que la partie est de la Haute-Silésie, notamment les districts
industriels, s’était prononcée en faveur du rattachement à la Pologne, tandis que le « bloc »
italo-anglais estimait que l’ensemble du territoire devait revenir à l’Allemagne.
L’interprétation des résultats divergeait en fait puisque la France reconnaissait les résultats
selon les communes, tandis que ses contradicteurs ne concevaient comme juste qu’une
interprétation des résultats par district. L’autre point d’achoppement était l’inextricable
répartition des populations. Par exemple, à l’est de la zone plébiscitaire, l’important centre
économique de Katowice était majoritairement habité par des Allemand, tandis que les
campagnes qui l’entouraient étaient habitées par des Polonais.
La mission de pacification du territoire fut mise en péril par le soulèvement des populations
polonaises en réaction à des rumeurs évoquant le rattachement de tout le territoire
plébiscitaire à l’Allemagne. Cette manifestation populaire sanglante, appelé aussi « Troisième
insurrection silésienne », commença le 2/3 mai 1921 et ne s’acheva qu’à partir de juin et la
création d’une zone neutre, occupée par les troupes interalliées et séparant les deux camps,
allemand et polonais. Il fallut donc 20 mois pour que le but de la Commission soit atteint. Ce
n’est qu’à la fin du mois de juin 1922 que les troupes françaises et interalliées purent laisser la
16
J. Przewlocki, Stosunek …, op. cit., p.41.
12
place aux nouveaux pouvoirs qui devaient prendre en main l’administration du territoire qui
lui revenait.
Cadres et dirigeants français au sein des institutions de la Commission de
Gouvernement et de Plébiscite de Haute-Silésie.
La commission de Gouvernement et de Plébiscite de Haute Silésie formait en quelques sortes
un « Etat fictif ». Elle possédait sa propre administration qui supplantait ou chapotait les
administrations allemandes. Elle ne possédait pas l’intégralité des attributions classiques d’un
pouvoir étatique (en matière d’impôts et de législation par exemple, elles restaient telles
qu’elles étaient lors de l’occupation allemande, sauf si elles n’étaient pas en accord avec les
termes de la mission de la Commission, auquel cas elles pouvaient être abrogées), et son
autorité n’était pas reconnue par toute la population. Elle constitua cependant le seul pouvoir
officiel légitime en Haute-Silésie entre février 1920 et juillet 1922. Ses larges attributions lui
autorisaient l’ingérence dans la vie des Silésiens à presque tous les niveaux : Justice, Police,
administration, … On instaura même des timbres postes de la Commission, un passeport haut-
silésien, … Cet Etat demeurait fictif par le caractère conjoncturel et temporaire de son
existence. Il était destiné à être liquidé dès le résultat du plébiscite entériné et la répartition du
territoire entre la Pologne et l’Allemagne accomplie. On peut donc considérer l’existence de
la Commission de Plébiscite et de Gouvernement de Haute-Silésie comme une parenthèse de
l’histoire politique de cette région, dont l’administration revient historiquement soit à la
Pologne, soit à l’Allemagne. Ayant appartenue autrefois à la Pologne, la région était annexée
à la Prusse au XVIIIème
siècle mais comportait une très forte minorité de Polonais.
L’instauration de l’entité alliée entraîna la fin de ce qu’on appelait alors « la Régence
d’Opole », province allemande présidée à l’époque par Joseph Bitta. Celui-ci fut donc évincé
de facto par le Président de la Commission, le Général Le Rond, secondé par le Colonel
anglais Percival et le Brigadier Général italien De Marinis. La capitale était Opole où siégeait
la Commission, ainsi que les administrations centrales.
Le Gouvernement allié possédait sept départements qui géraient les différents aspects de
l’administration de la Haute-Silésie. Les postes clefs étaient occupés par des Français : le
Préfet Anjubault dirigeait le Département de l’Intérieur, le Lieutenant Colonel Caput était
chargé du Département militaire, l’Inspecteur des finances Dayras (remplacé à partir de
janvier 1921 par M. Capel, Français), tenait le Département des Finances, l’Ingénieur des
Mines Denis (remplacé par M. Blanc, Français) celui du Département Economique. Le poste
13
de Conseiller à la cour d’appel qui gérait le Département des impôts, était dévolu à l’Italien
Bindo Galli. Les Anglais F.D. Hammond (plus tard remplacé par W.D. Cruickshand), et G.L.
Craig occupaient respectivement les postes de directeur du Département des Communications
et celui du Ravitaillement pour le second.
Le consul Général de France Henrit Ponsot remplaçait ponctuellement le Général Le Rond
lors de ses absences de la Commission17
.
La répartition du territoire s’organisait en 21 « Cercles », c’est-à-dire des districts placés sous
la responsabilité d’officiers supérieurs alliés qui prenaient alors la charge de « Contrôleur de
cercle ». Leur mission consistait à contrôler l’administration du Cercle et d’y appliquer les
décisions de la Commission de Gouvernement. Ils étaient placés sous les ordres directs du
Département de l’Intérieur. Leur position se révélait être d’une importance stratégique
capitale dans la mesure où l’une de leur principale mission était d’informer les membres de la
Commission interalliée de la situation politique, économique et administrative du Cercle, et
d’étudier avec précision le fonctionnement de tous les services. Ils étaient donc les garants de
la réactivité de la Commission de Gouvernement et de Plébiscite en cas de soulèvement de la
population, puisque de leurs alertes sur la situation dans leur localité dépendaient les mesures
de rétorsion des Généraux alliés pour rétablir l’ordre.
Les contrôleurs de cercle français constituaient la majorité de ce contingent administratif. Ils
étaient disposés dans 11 Cercles : Kluczbork et la partie de Namyslow, Opole – ville, Opole –
campagne, Kozle et partie de Prudnik, Toszek - Gliwice, Gliwice – ville, Zabrze, Bytom –
ville, Chorzow, Katowice – campagne et Katowice – ville. Les Italiens avaient à charge 5
Cercles : Glubczyce, Raciborz – campagne, Raciborz – ville, Rybnik et Pszczyna. Les Anglais
dirigeaient 5 Cercles : Olesno, Lubliniec, Strzelce, Tarnowskie gory et Bytom – campagne
(voir carte page).
La hiérarchie militaire était la suivante : Le Général Jules Gratier occupait le commandement
de l’ensemble des troupes alliées. Il était chargé de leur coordination, de répercuter les ordres
émanant de la Présidence de la Commission et de mettre en place la stratégie en cas
d’opérations militaires qui seraient nécessitées à l’occasion des troubles graves entre les
17
Il n’était pas secrétaire de la Commission pour les relations avec les Etats voisins, ainsi qu’on peut le lire dans
J.Przewlocki, Międzysojusznicza …, op. cit., p.35. L’auteur semble ici confondre sa fonction de représentation
diplomatique de la France dans la région qui était indépendante de la Commission interalliée. Son titre est
indiqué dans plusieurs documents officiels, comme dans le Journal Officiel de Haute-Silésie. Par exemple dans
celui du 10 septembre 1921, numéro 25, S.H.D., 7N2988.
14
populations. Le Général Sauvage de Brantes commandait les troupes françaises. Du côté des
alliés, le Colonel Francesco Salvioni était en charge des troupes italiennes alors que le
Général Wauchope, plus tard remplacé par le Général Heneker le 2 juin 1921, dirigeait les
forces anglaises.
A Opole, on sait que deux casernes concentraient les troupes françaises. C’était d’abord le
camp Foch, situé à côté de la gare. Le lieu était stratégique dans la mesure où il permettait
l’envoi rapide de troupes en cas de troubles. On y surveillait le trafic, notamment celui
d’armes, acheminées clandestinement dans des wagons de marchandises, à destination des
milices allemandes ou des groupes d’insurgés polonais. Un autre cantonnement d’importance
était la caserne Solferino, d’où partaient les convois de ravitaillement.
Il semble que la résidence de la présidence de la Commission interalliée se situait dans la
« Krakauerstrasse », aujourd’hui rue « Krakowska », au centre de la ville. Là résidait le
Général Le Rond.
Effectifs français au sein des troupes de la Commission interalliée
Les troupes françaises étaient constituées par la 46ème
Division d’Infanterie, fondée en 1916.
L’un de ses créateurs n’était autre que le Général Gratier, qui avait conduit cette armée sur le
front durant toute la Première Guerre mondiale. C’était donc une troupe faite de soldats
expérimentés. Ce choix répondait à la nécessité d’envoyer en Haute-Silésie des hommes
aguerris, ce qui compensait le déséquilibre quantitatif du rapport de force avec les populations
locales. En effet, lors du premier soulèvement de 1919, les troubles avaient mis aux prises
plusieurs dizaines de milliers d’hommes dans chacun des deux camps. Les soldats français
demeuraient cependant épuisés mentalement par le conflit, et il fallut faire face à un grand
nombre de demandes de désengagement au sein de la Division, à l’annonce de son envoi sur
le théâtre des opérations de Haute-Silésie.
La France n’était pas destinée à fournir une contribution humaine et matérielle aussi
importante au sein du contingent militaire international envoyé en Haute-Silésie. Plusieurs
circonstances ont concouru à cette situation. En premier lieu, il fallait pallier à la défection des
Etats-Unis dans les affaires européennes suite à la non ratification par le Congrès des Etats-
Unis d’Amérique du traité de Versailles. De son côté, l’Angleterre se refusait d’engager ses
hommes directement sur le théâtre des opérations, se contentant dans un premier temps de
fournir un contingent de fonctionnaires pour les tâches administratives de la Commission. Il
15
ne restait plus que l’Italie, dont l’implication et les intérêts pour cette zone géographique ne
correspondaient pas avec l’envoi massif de ses troupes en Haute-Silésie.
C’est donc la France qui compensa la défection américaine et la réticence anglaise à s’engager
pleinement dans l’affaire silésienne. On ponctionna sur les contingents déjà présents dans
d’autres régions limitrophes de la Pologne où la France jouait déjà l’arbitre de contentieux
frontaliers. Le 21 janvier 1920, une décision ministérielle décida donc d’envoyer en renfort de
deux bataillons de chasseurs alpins (les 7ème
et 13ème
), primitivement destinés à Memel et
Dantzig.
Alors que dans la première année les effectifs français demeurèrent relativement stables, ils ne
cessèrent de croître jusqu’à la décision du sort de la Haute-Silésie par la Société des Nations
en octobre 1921. La militarisation des populations, la recrudescence des violences,
notamment à l’occasion de la deuxième (17/18-24 août 1920), mais surtout de la troisième
insurrection (2/3 mai-juillet 1921) des populations polonaises, poussèrent les représentants
alliés à demander toujours plus de renforts à leurs Gouvernements respectifs. Ainsi, de février
à novembre 1920, alors que les effectifs des troupes françaises oscillaient autour de 11 000
hommes, il fut décidé par le ministère de la Guerre de la IIIème
République, en novembre
1920, d’envoyer en renfort le 10ème
bataillon de chasseurs, alors en stationnement à Dantzig. Il
fut intégré à la demi-brigade provisoire constituée avec les 15ème
et 29ème
bataillons de
chasseurs. Le bataillon de chasseur à pieds arriva effectivement le 1er
décembre 1920.
Quatre bataillons britanniques arrivèrent à Opole entre le 29 mai et le 3 juin 1921, soit 2 080
soldats auxquels s’ajoutaient 181 fonctionnaires et personnel de service. Les effectifs alliés
atteignirent leur maximum fin septembre, début octobre 1921, alors que se profilait le verdict
tant redouté de la Société des Nations sur le sort de la Haute-Silésie et après un été 1921 où
les populations polonaises et allemandes s’affrontèrent dans ce qui pouvait s’apparenter à une
guerre civile. 20 880 soldats étaient alors recensés, dont 11 129 Français, 4 676 Britanniques
et 5 075 Italiens. Peu à peu, ces effectifs entrèrent en déficit, poussant Le Rond à en alerter les
autorités militaires françaises à la mi-avril 1922. En effet, même si la destinée de la Silésie
était déjà connue, les troupes alliées continuaient d’évoluer dans un climat difficile. La
diminution d'effectifs atteignit 2 028 hommes en 6 mois. Les troupes françaises passèrent à
8 290 soldats. Les troupes britanniques diminuèrent de 4 676 hommes à 3 985 hommes et les
troupes italiennes tombèrent de 5 075 à 4 507 soldats. La diminution des effectifs français
était due aux réformes, décès, retours en France et surtout la libération d'engagés volontaires
16
ou rengagés non remplacés. Du côté britannique, la chute de son contingent s’expliquait par la
volonté de désengager progressivement ses hommes de Haute-Silésie. Cinq bataillons de 440
hommes furent ainsi remplacés par des bataillons de 330 hommes. Pour les Italiens, la raison
principales des départs étaient la libération d'hommes bénéficiant de dispenses spéciales18
.
Alors que les incidents se perpétuaient et qu’un éventuel soulèvement n’était pas à exclure, Le
Rond s’inquiétait auprès du ministère de la Guerre : Je ne saurai donc attirer trop fortement
votre attention sur le danger qu'il y a de laisser tomber les effectifs au dessous des fixations
minima qui ont été arrêtées au commencement de l'automne dernier et sur la nécessité de les
recompléter sans délai19
.
Conditions de vie
Les soldats français n’étaient pas coutumiers du climat silésien. De surcroît, les équipements
pour satisfaire leur cantonnement étaient parfois insuffisants. Ils dormaient la plupart du
temps sur des paillasses. Les demandes répétées du Général de Brantes à la présidence de la
Commission pour leur fournir matelas et sommier ne recevaient pas, faute de moyens
matériels, de réponse favorable. Dans certaines casernes c’étaient les lavabos et les latrines
qui manquaient. La situation des Français en stationnement à Opole, pourtant ville où siégeait
la Commission est un exemple révélateur des conditions matérielles difficiles auxquelles
étaient parfois confrontées les troupes françaises. En août 1920, le camp Foch était ainsi décrit
: il est douteux que les baraquements du camp Foch à OPPELN20
protègent suffisamment la
troupe contre les intempéries ; certaines toitures sont en mauvais état, les écuries ont été mal
construites et les chevaux ne seront abrités ni du froid, ni de la pluie21
.
Les efforts de la Commission pour améliorer la condition de vie de ses soldats parvinrent tout
de même à des améliorations significatives. En novembre 1920, le Général de Brantes
soulignait le meilleur traitement des soldats français, hormis dans la caserne de Kluczbork où
les troupes ne disposaient ni de hangar, ni de réfectoire.
En dépit de l’éloignement de la France dans cette région à la culture et aux conditions de vie
sensiblement différentes de ce qu’ils connaissaient dans leur pays natal, malgré l’hostilité 18
Télégramme du Général Le rond au ministère de la Guerre à Paris sur la situation des effectifs de l'armée
interalliée, 17 avril 1922, S.H.D., 6N118. 19
Ibidem. 20
« Oppeln » est l’appellation allemande de la ville d’Opole. 21
Rapport mensuel du Général de Brantes sur la situation des troupes françaises, août 1920, Archives d’Etat à
Opole, Commandement Superieure des Forces Allies en Heute Silesie Opole [sic.]/ Naczelne Dowódstwo Wojsk
Sprzymierzonych na Górnym Śląsku w Opolu z lat 1919-1922, dossier 4.
17
parfois manifestée par les populations locales, les soldats Français disposaient de lieux où ils
pouvaient se divertir et se retrouver entre eux, tels que les « foyers du soldats » ou les
cantines. Un cinéma fonctionnant aussi souvent que possible fut mis en place à leur intention.
La troupe théâtrale qui se produisait régulièrement était très appréciée des hommes et des
officiers. Enfin, que cela soit dans les gares, où on pouvait trouver des journaux français, ou
bien lors des tournées du « voyageur en librairie », les soldats pouvaient se procurer des
journaux et des livres évoquant la France dans leur langue natale et ainsi garder contact avec
le pays qu’ils avaient laissé.
Les sports et l’éducation physique étaient également très en vogue au sein de la division
française. De nombreux matchs de football étaient organisés et on créa même un championnat
où s’affrontaient les différentes compagnies. Des équipes de cross s’entrainaient et une école
de ski fonctionnait.
18
LES GENERAUX FRANCAIS
La France envoya en Haute-Silésie des généraux de la même génération, aguerris au combat
pendant la Première Guerre mondiale, mais possédants des trajectoires et des caractères
parfois radicalement opposés.
Henri Le Rond jouit du privilège de la reconnaissance de son action en tant que Président de
la Commission de Gouvernement et de Plébiscite. Alors qu’en France le personnage demeure
méconnu, en Pologne, quelques articles d’historiens polonais sont venus récemment pallier
ces lacunes22
. Cette reconnaissance se matérialise par l’existence d’une plaque
commémorative à Opole et d’une rue au nom de Le Rond à Katowice. Mais que dire de ces
autres généraux qui se sont engagés de 1920 à 1922 en Haute-Silésie ? Qui s’est intéressé au
Général Gratier et à son successeur, le Général Naulin, tous deux Commandants Supérieur des
Forces Alliées sur les territoires du plébiscite ? Qui se souvient du Général Sauvage de
Brantes, Commandant des troupes françaises ?
HENRI LE ROND
Henri Louis Edouard Le rond naquit à Rouen le 9 octobre 1864. Il était le fils d’un couple
d’instituteurs, Louis Edouard Le Rond et Jeanne Adèle Martin. Rien ne dit cependant qu’il fut
issu de la noblesse23
. On sait tout juste que son grand père, Jean Baptiste Le Rond, était
censeur au Collège Royal de la ville de Rouen24
, et que sa grand-mère était une certaine
Jeanne Hogson25
. Il reçu une éducation solide dès son plus jeune âge, stimulant des
prédispositions intellectuelles certaines. Il entra à la prestigieuse Ecole Polytechnique en
1884. Alors qu’il ne se classa que 203ème
sur 239 élèves au concours d’entrée, son zèle et son
ardeur au travail lui valurent d’effectuer une rapide progression et d’en faire l’un des
meilleurs éléments à sa sortie de l’école en 1886. Il passa en effet en deuxième année 99ème
sur 238, puis sorti 38ème
sur 234 élèves. Durant ces années, il montra des capacités plus
particulièrement dans le domaine de l’artillerie. C’est 3ème
sur 108 élèves qu’il entra à l’Ecole
22
Notamment les articles suivant : J. Liponska-Sajdak, Generał Henri Le Rond [w 75 rocznicze III Powstania
Śląskiego], Muzeum Historii Katowic, Katowice, 1996; M. Patelski, Henri Le Rond – generał (prawie)
nieznany, “Indeks” 2003/2004, nr 9-10, s. 57-60. 23
J. Liponska-Sajdak, op.cit., p.16. 24
Le censeur dans un collège royale était la personne qui s’occupait du maintient de la discipline et de surveiller
les étudiants. Ce n’est pas un métier lié à la noblesse. Sans doute que la mention « royale » a pu induire en erreur
l’auteur. 25
Acte de naissance de Louis Edouard Le Rond, S.H.D., 13YD730.
19
d’application de l’artillerie et Génie de Fontainebleau en 1886. Il s’y fit remarqué par ses
instructeurs, qui commentaient le jeune officier en ces termes : Excellent officier, très
intelligent, sujet d'avenir, ou encore : sujet appelé à un avenir brillant26
. Il entra dans le
service militaire en 1888 au sein du 22ème
Régiment d’infanterie comme sous lieutenant, passa
ses grades et devint Capitaine en 1894. Il en sortit chef d’escadron en 1908. Entre temps, il
publia 3 travaux d’importance en 1902 (Conséquences tactiques des progrès de l’armement),
1903 (Préparation de l’artillerie à la bataille) et en 1905 (Le canon à tir rapide et
l’instruction de l’artillerie), en collaboration avec le Général Hyppolite Langlois pour lequel
il fut Officier d’ordonnance.
Le 21 décembre 1904, il épousa une Bourguignonne, Emilie Denis, à la mairie de Tonnerre,
alors qu'il était capitaine breveté au 32ème
Régiment d'Artillerie en garnison à Orléans.
Le Rond entra dans une carrière internationale en 1907/1908. Il fut alors envoyé en tant que
stagiaire dans l’armée japonaise. Il y retourna ensuite en 1912-1914, cette fois-ci en qualité
d’Attaché militaire de la République française au Japon. Entre temps, il mena des campagnes
au Maroc. C’est la période de ses premiers succès militaires et diplomatiques, qui lui valurent
des commentaires élogieux de ses collaborateurs. Pour ses services au Maroc, il obtint la
décoration d’officier de la légion d’honneur. Au Japon, il se fit remarquer par l’Ambassadeur
: Depuis qu’il est chargé de ces délicates fonctions, cet officier a fait preuve de qualités
exceptionnelles […] Habile à se créer des relations avec les autorités militaires japonaises,
parfaitement informé, d’esprit délié et sensé, connaissant la langue japonaise qu’il continua à
étudier, le lieutenant-colonel Le Rond est un collaborateur précieux pour l’Ambassade. Les
rapports nombreux et documentés qu’il envoie au Ministère et dont je prends connaissance
avec un vif intérêt dénotent sa compétence dans toutes les questions militaires qu’il aborde, la
clarté de son intelligence, ses grandes facultés de travail et son activité27
. Au déclenchement
de la guerre, il fut mis à la disposition de l’armée française sur le front, de septembre 1914 à
avril 1918. Cette période confirma ses talents militaires : Blessé à la tête par un éclat d'obus
le 20 septembre 1915, a conservé son commandement malgré l'avis des médecins et a assuré
la préparation et l'exécution des attaques de septembre par l'artillerie divisionnaire avec une
activité et une vigueur remarquables. A fait preuve en ces circonstances d'un dévouement et
d'une énergie dignes de tout éloge. Excellent chef de corps qui s'est déjà signalé à plusieurs
26
Evaluation de Le Rond à l’Ecole Polytechnique, s.d., S.H.D., 13YD730. 27
Correspondance de l’Ambassadeur de la République au Japon, à Monsieur Millerand, Ministre de la Guerre,
Tokyo, 13 septembre 1914, S.H.D., 13YD730.
20
reprises depuis le commencement de la campagne, notamment aux attaques de mai et de
juin28
.
C’est au cours de la Première Guerre mondiale qu’il rencontra le Maréchal Ferdinand Foch.
Ce dernier sollicita ses services à plusieurs reprises. Le 22 mai 1918, il fut appelé à Paris pour
être un collaborateur direct de ce dernier, en qualité d’Aide-major général auprès du Général
Commandant en chef des armées alliées en France. A l’issue du conflit, c’est Foch qui lui
confia ses différentes missions pendant les tractations du traité de Versailles.
Son action en Haute-Silésie
Henri Le Rond était tout désigné pour occuper la présidence de la Commission de
Gouvernement et de Plébiscite. Outre sa connaissance du japonais, du russe et de l’espagnol,
il parlait couramment italien, anglais et allemand.
Dès le début des travaux préparatoires à la conférence de paix, il participa à plusieurs
commissions chargées de définir les frontières des pays d’Europe centrale, ce qui lui permit
d’acquérir une connaissance fine de la géographie et de la situation politique en Haute-Silésie.
Le 4 novembre 1919, il fut nommé simultanément Président de la Commission interalliée par
décision du Conseil Suprême et représentant de la France au sein de cette même entité par
décision du ministre des affaires étrangères. En tant que président de la commission, il
communiquait directement avec la Conférence des Ambassadeurs. Pour les autres fonctions
de représentation de la France, il échangeait avec le ministère des Affaires étrangères et de la
Guerre.
Il est resté dans l’histoire locale comme un défenseur de la Haute-Silésie, on peu même dire
de la cause polonaise29
. Selon les auteurs polonais, il soutint implicitement la cause polonaise,
négociait avec le chef des insurgés polonais Wojciech Korfanty avec qui il entretenait de
cordiales relations et soutint le soulèvement haut-silésien, ou tout du moins il y consentit par
une absence de réaction complice lors du troisième soulèvement de 192130
.
Il peut être considéré comme un bienfaiteur de la Haute-Silésie dans la mesure où il su garder
son sang-froid et faire preuve de pondération en toutes circonstances, alors que les clivages
28
Citation à l'ordre de l'armée du Général Le Rond, 19 octobre 1915, S.H.D., 13YD730. 29
Liponska-Sajdak, op. cit., p. 15 ; J. Przewlocki, Międzysojusznicza …, op. cit., p.107. 30
J. Liponska-Sajdak, op. cit., p. 21, 23-24 ; J. Przewlocki, Stosunek …, op. cit., p.31-32 et p.38.
21
entre Allemands, Polonais, Italiens, Anglais et Français rendaient périlleux le maintien de la
paix. Il suivit toujours l’objectif qui lui fut assigné par ses supérieurs et pour lesquels il fut
envoyé en Haute-Silésie : garantir la paix, éviter que la situation entre les Polonais et les
Allemands ne dégénèrent et n’entraîne une généralisation du conflit entre la Pologne et
l’Allemagne. Il a su satisfaire les exigences de son gouvernement face à celles des Anglais et
des Italiens, tout en employant le sens de la manœuvre nécessaire pour ne pas bloquer le
fonctionnement de la Commission. Sa réussite a été de ménager l’ensemble de ces partis, ne
disposant que de moyens militaires très limités. Il savait qu’il lui était impossible de faire face
par la force et il avait conscience du danger que représenterait l’engagement dans une
confrontation directe avec les populations locales. Il est parvenu à canaliser le chef local du
mouvement polonais, Wojciech Korfanty. Il a contenu l’agressivité allemande et a pris
l’ascendant sur ses homologues italiens et anglais et maintenu le calme au sein des troupes
françaises qui évoluaient dans un climat souvent hostile.
Son action en Haute-Silésie lui valut la reconnaissance de l’ensemble de la classe politique et
militaire française. Raymond Poincarré, alors président du Conseil de la IIIème
République,
rendit hommage à Le Rond en ces termes : Au moment où prend fin ainsi, la collaboration si
efficace que vous avez apportée à mon Département, je tiens, une fois de plus, à vous
exprimer les remerciements du Gouvernement de la République pour le dévouement,
l’énergie, le sang-froid et l’esprit de méthode dont vous avez donné tant de preuve dans
l’accomplissement d’une tâche particulièrement difficile. J’attire spécialement l’attention de
M. le Ministre de la Guerre sur les nouveaux services que vous avez ainsi rendus à la
République31
.
La Pologne lui témoigna sa reconnaissance en de nombreuses occasions. En 1923, il reçu le
titre de Docteur honoris causa de l’Université jagellone de Cracovie, la croix du mérite, la
médaille de la « Virtuti Militari » et la grande croix de l’ordre de l’Aigle blanc.
On en sait peu sur sa vie après sa retraite militaire à partir de 1926. Il occupait des fonctions
de représentant non officiel dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale. Il revint
ponctuellement en Pologne, où, à partir de 1927, il était impliqué dans une société minière
locale. Il entretenait des contacts réguliers avec des hommes politiques polonais importants,
dont Korfanty, le Général Sikorski et Ignace Paderewski avec qui il entretint une
31
Correspondance du Président du Conseil, Ministre des Affaires étrangères à Monsieur le Général Le Rond,
Président de la Commission de Gouvernement de Haute-Silésie, 18 juillet 1922, S.H.D., 13YD730.
22
correspondance régulière. Les nombreuses blessures qui l’affectèrent tout au long de sa
carrière laissèrent des séquelles sur l’homme. Myope de l’œil droit suite à un traumatisme, il
était également atteint de surdité partielle suite des séquelles de l’éclat d’un obus à proximité
de lui durant la Première Guerre mondiale. Sa maigreur était due à de graves difficultés
digestives contractées alors qu’il était au Japon et qui s’aggravèrent avec l’âge. Le Rond
décéda le 25 mai 1949 à Paris.
JULES GRATIER
Jules Gratier était, après le Général Le Rond, la personnalité française la plus importante au
sein de la hiérarchie de la Commission de Gouvernement et de Plébiscite de Haute-Silésie.
Malgré son statut de Commandant Supérieur des Forces Alliées, il demeure un des grands
oubliés de l’historiographie s’intéressant à la période la Commission de plébiscite. Il est par
exemple appelé « Joseph Gratier » pour certains auteurs, se voyant même attribué la charge de
« comte »32
.
Jules Victor Gratier naquit le 25 juin 1863 à Barraux dans l'Isère. On sait peu de choses sur sa
jeunesse et rien sur sa condition sociale. Il fut admis en 1882 à l’Ecole Spéciale Militaire de
Saint-Cyr, d’où il sortit en 1884, 255ème
sur 406 élèves. Il fut affecté alors comme sous-
lieutenant au 105ème
Régiment d’infanterie. A Saint-Cyr, Il était jugé par ses instructeurs
comme un bon élément, intelligent, sérieux, résolu et très froid. Il fit toutes ses classes dans
l’infanterie, en France, puis en Tunisie, où il participa à ses premières campagnes militaires
(1885-1888), avant de s’aguerrir en Algérie (1888-1893). La Première Guerre mondiale lui
enleva ses deux fils aînés, morts au champ d’honneur, mais lui donna plusieurs occasions de
révéler de remarquables capacités à commander des troupes. Il se distingua en plusieurs
occasions et monta rapidement au sein de la hiérarchie militaire. Il fut sur le front dès le mois
d’août 1914 et y resta jusqu’à la fin du conflit. Sa carrière fut intimement liée à celle de la
46ème
Division d’Infanterie de Chasseurs Alpins, dont il participa à la formation en 1916 et
qu’il conduisit toute la guerre durant. Elle le suivit jusqu’en Haute-Silésie, puisque c’est elle
qui composa la majorité des troupes françaises sur le territoire du plébiscite. Il s’illustra à
plusieurs reprises à la tête de sa division pendant la Grande Guerre : Officier d’une rare
énergie, aimant la troupe, vivant au milieu d’elle, exerce un réel ascendant sur sa Division
[…] A, du 27 septembre 1918 au 8 octobre inclus, dirigé, pour sa part avec beaucoup de
32
J. Przewlocki, Stosunek …, op. cit., p. 30.
23
volonté et de sens manœuvrier, les dures et glorieuses opérations qui ont abouti à la percée
complète de la position Hindenburg au Nord de Saint-Quentin. A ensuite préparé avec une
entente parfaite et le soin le plus minutieux, la difficile et audacieuse opération du
franchissement du canal de la Sambre (4 novembre 1918). L’a menée à bonne fin et a
poursuivi l’ennemi jusqu’à la frontière française sur une profondeur de 35 kilomètres, à
capturé 1450 prisonniers et de nombreux canons33
.
Il fut promu Commandant Supérieur des Forces Alliées de Haute-Silésie par une décision
ministérielle du 19 février 1919. Sa présence fut marquée par des tensions permanentes avec
son supérieur hiérarchique. Dès le début, des mésententes apparurent entre Gratier et Le
Rond. Dans une lettre du 15 mars 1920, il expliquait déjà à son président sa déception face au
traitement selon lui injuste qui lui était fait : Jusqu’ici, mon rôle, vis-à-vis des troupes, s’est
borné à leur transmettre les ordres de la Commission, au sujet de leur emploi et, cela, sans
que j’ai eu, en quoi que ce soit, à faire œuvre de Commandant supérieur de ces troupes,
puisque je ne suis jamais consulté et que tout, jusqu’au numéro des unités, est réglé jusqu’au
moindre détail, par les ordres que je reçois.
J’assiste ainsi, impuissant, à la dispersion des moyens dont je disposerais, de droit, si l’état
de siège était, un jour, proclamé.
Après avoir enseigné aux Officiers de la 46° Division qu’il faut toujours concentrer ses
moyens et ne pas les dépenser au compte-goutte, je me vois obligé de leur faire prendre des
dispositions qui sont en contradiction formelle avec ce que je leur ai appris. Cela m’enlève le
peu de prestige à l’égard de mes insulteurs de Gleiwitz.
Je crois de mon devoir d’appeler respectueusement l’attention de la Commission interalliée
de Gouvernement et de Plébiscite sur l’effet fâcheux produit sur les troupes par les allées et
venues des petites unités qui viennent de se produire et je demande instamment que les
mouvements prévus par la décision N°383 du 14 mars ne soient pas exécutées surtout en ce
qui concerne le Génie qui ne peut nulle part être mieux qu’à Gleiwitz, où on peu l’embarquer
pour n’importe quelle destination34
.
Homme de terrain, il ne parvint pas à s’adapter aux exigences de son poste en Haute-Silésie :
l’omnipotence de Le Rond dans la prise de décisions militaires, le besoin d’aller sur le terrain
33
Citation du Général Gratier, ordre Général numéro 231 du 31 décembre 1918, S.H.D., 13YD1186. 34
Télégramme du Général Gratier au Général Le Rond, 15 mars 1920, A.E.O., Commandement Superieure des
Forces Allies…, dossier 61.
24
et de commander « ses troupes », des divergences profondes avec le Président de la
Commission sur la conception de la stratégie militaire à mener et sur l’emploi des troupes
françaises et alliées, son caractère fougueux, ses relations difficiles, notamment avec le
personnel anglais et le dédain des officiers irréguliers Allemands pour son statut, eurent raison
de lui. Le courrier du 9 mai 1921 par lequel il donne sa démission au Ministre de la Guerre35
laisse apparaître explicitement l’amertume profonde ressentie par le Général :
Du reste, depuis quinze mois que je suis ici je n’ai jamais à proprement parler exercé le
commandement des troupes.
Leur dissémination sur l’ensemble du territoire, leurs nombreux déplacements, même celui
d’un simple groupe de combat ont toujours été réglés et effectués sans que j’ai jamais été
consulté, je ne suis qu’un simple agent de transmission.
Etant très attaché à la 46ème
Division que j’ai formée en mars 1916 et avec laquelle j’ai fait la
plus grande partie de la guerre, je prenais mon mal en patience, en vivant beaucoup avec les
troupes, pour les préparer au rôle que j’espérais pouvoir leur faire jouer en cas de troubles.
Ce cas vient de se produire et mes troupes viennent d’être de nouveau disloquées, sans que je
sois même consulté.
Dans ces conditions, mon commandement est absolument illusoire et je vous demande de
vouloir bien me relever dès que l’ordre sera rétabli36
.
Sa titularisation au poste de Commandant supérieur des Forces Alliées par le Président du
Conseil d’alors, Georges Clemenceau, faisait suite à l’impossibilité d’engager le Général
Chrétien, initialement désigné à cette charge, mais dont le grade trop élevé l’empêchait d’être
placé sous la direction du Général Le Rond37
. Jules Gratier était un homme fait pour le terrain,
qui ne concevait son métier que dans l’action, dans laquelle il excellait et où il rempli
pleinement la mission qui lui fut attribuée en Haute-Silésie. Dans une atmosphère aussi
tendue que celle régnant sur les territoires du plébiscite, la pondération, le sang froid, le
35
Selon Jan Przewlocki [Międzysojusznicza …, op. cit., p. 152-153], le renvoi de Gratier résultait des tensions
avec le Général Henecker. Les contentieux entre les deux hommes étaient probablement réels, à l’image des
rapports entre le Général et l’ensemble des membres de la présidence de la Commission. Voir également :
F. Dessberg, op. cit, paragraphe 24. S’appuyant d’une note du président Millerand du 9 juin 1921, l’auteur
explique que Gratier fut rappelé suite à un incident avec Henecker. Il indique plus loin que Gratier était
convaincu que son rappel devait à l’initiative de Le Rond. 36
Correspondance du Général Gratier au Ministre de la Guerre, 9 mai 1921, S.H.D., 13YD1186. 37
Correspondance du Président du Conseil, Ministre de la Guerre, à Monsieur le Maréchal de France
Commandant en Chef des Armées Alliées, 15 Novembre 1919, S.H.D., 13YD1186.
25
discernement et le calcul, étaient les vertus indispensables qui permettaient d’apaiser les
attentes contradictoires de chaque parti et ainsi de préserver une paix précaire. Le caractère de
Gratier ne lui permit pas d’accomplir pleinement cet aspect de sa mission, à savoir apaiser les
esprits des populations et de ses collaborateurs, montrant systématiquement qu’il était lui-
même sous l’emprise de la nervosité face aux évènements. Les notes de rappel au sang froid
de la part de Le Rond à son Général étaient régulières. Les reproches de celui-ci tenaient
avant tout aux critiques ouvertes du Commandant Supérieur des Forces alliées vis-à-vis des
Anglais et des Italiens, mais également des Allemands. Une lettre de Le Rond à Gratier en
date du 21 juillet 1921 résume assez bien le caractère de ce dernier : Les compte-rendus que
vous adressez au Président de la Commission étant, comme vous le savez, soumis à la
Commission interalliée, il importe au premier chef qu’ils soient rédigés de façon à ne pas
contenir de propos offensants contre nos alliés, non plus que les transmissions qui les
accompagnent.
Je vous rappelle qu’à plusieurs reprises j’ai attiré votre attention sur ce point en vous invitant
à transmettre cette observation aux différents échelons du commandement.
Or, de divers compte-rendus qui me sont parvenus ces derniers jours, il ressort que vous
n’avez tenu aucun compte personnellement de ces observations et ne les avez pas portées à la
connaissance des différents échelons du commandement.
Il importe que les avis donnés par les chefs militaires soient d’autant plus pondérés que ces
chefs sont plus élevés dans la hiérarchie. Le respect de ce principe est particulièrement
nécessaire dans le commandement des Troupes Alliées. C’est d’ailleurs le seul moyen de
servir utilement les intérêts français en ce pays.
Je vous prie d’y tenir la main de la façon la plus attentive38
.
Les rapports et notes de service de Gratier contenus dans les archives affichent très
régulièrement ses tensions avec les officiers anglais et italiens, mais surtout son caractère anti
Allemand très prononcé. Ils ne dénotent pas pour autant de signes de collusion vis-à-vis des
Polonais.
Un épisode caractéristique de la relation passionnel que Gratier vouait à ses troupes et de son
impulsivité fut l’assassinat du Commandant Montalègre à Bytom, le 4 juillet 1921. Cet
38
Télégramme du Général Henri Le Rond au Général Jules Gratier, 21 juillet 1921, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 61.
26
officier était particulièrement apprécié et proche de Gratier. Alors qu’il fut assassiné d’un
coup de revolver par un manifestant allemand, Gratier ordonna une répression violente sur la
population locale allemande. En représailles de cet assassinat, il transmit l’ordre de punir les
Allemands, ce qui se traduit par plusieurs morts. Il se rendit ensuite sur les lieux de l’incident
où il ordonna la saisit de 10 otages parmi la population et instaura un couvre feu39
. Lors de
l’enterrement du commandant, il proféra un discours virulent contre les populations
allemandes. Ces réactions ne faisaient que le jeu de l’ascension de la violence et menaçait de
faire dégénérer les tensions franco-allemandes en combats armés directs, alors que rappelons
le, les forces alliées étaient des troupes d’interposition, en situation numérique bien
insuffisante, et une flambée de violence pouvait se conclure en massacre et en déstabilisation
généralisée de la région, ce à quoi répugnait Le Rond et le gouvernement français.
Alors qu’il était de retour de Haute-Silésie, le Général Gratier décrivit en ces termes ses
relations avec le Général Le Rond au Ministre de la Guerre dans une lettre envoyée 13
septembre 1921 :
Je prends la liberté de joindre copies de quelques pièces qui vous permettront de vous rendre
compte de la situation que le Général Le Rond m'avait faite en Haute-Silésie.
J'ai constamment lutté avec lui, parce qu’il voulait, en toutes circonstances, imposer aux
troupes françaises une attitude, qui n'était pas celle des troupes victorieuses, notamment, au
moment des obsèques du regretté Commandant Montalègre, qu'il voulait faire clandestines et
ailleurs qu'à Beuthen40
, qu'il avait été assassiné.
J'ai passé outre, après lui avoir dit que ce que je pensais de l'attitude qu'il voulait imposer à
mes troupes et c'est là son principal grief contre moi, grief purement personnel41
.
Il semble effectivement que le Général Le Rond ne souhaitait pas rendre publique les
nouvelles d’attentats, probablement afin de ne pas encourager les entreprises de
déstabilisation subies par les forces alliées. Il avait lui-même étouffé la nouvelle de l’attentat
dont il fut victime le 9 septembre 1920 et il rappelait encore en février 1921, suite à l’attentat
39
Télégramme confidentiel du Haut Commissaire Britannique Stuart à l’Ambassade britannique à Paris, Opole,
7 juillet 1921, S.H.D., 6N249. 40
En polonais « Bytom ». 41
Correspondance du Général Gratier à destinataire inconnu, 13 septembre 1921, S.H.D., 13YD1186.
27
à la bombe contre un officier français, l’importance de ne pas communiquer sur ce type
d’attaques42
.
Henri Le Rond, jugeant l’action de Gratier, résumait ainsi son passage en Haute-Silésie :
Le Général Gratier a commandé, depuis la mise en vigueur du traité de Versailles, jusqu'au
mois de juillet 1921, les Forces alliées en Haute-Silésie. Il a continué à faire preuve dans ce
commandement des qualités d'ordre, de méthode, de soin pour le soldat, qui l'ont toujours
distingué, maintenant ainsi les Forces françaises en Haute-Silésie dans un état remarquable
de tenue, de discipline et d'instruction.
Il a, dans l'emploi de ses troupes, bien rempli les missions que lui a confiées la Commission
de Gouvernement et de Plébiscite sans que, par le liant et l'à propos toujours nécessaires à un
Commandement de troupes alliées, il ait pu être maintenu à la tête de ces troupes devenus de
plus en plus nombreuses. Ce qui ne diminue en rien ses excellentes aptitudes à exercer un
commandement en France43
.
Gratier reçu les honneurs de la Pologne. Il obtint la décoration de la « Virtuti Militari » et
l'ordre de Grand Commandeur de la « Polonia Restituta » en novembre 1922. De retour en
France, il prit en main la 3ème
Division d'infanterie à Amiens dès septembre 1921. A sa
demande, Gratier fut par la suite envoyé pour commander une Division à Alger à partir de
1922, avant de prendre sa retraite en 1925. Il décéda de mort naturelle à son domicile de la
Tronche, dans l’Isère, le 23 septembre 1956.
STANISLAS NAULIN
Le Général Stanislas Naulin fut nommé par la Ministre de la Guerre le 23 août 1921 pour
remplacer Gratier à la tête du Commandement Supérieur des Forces Alliées en Haute-Silésie.
Il semble qu’il reçut d’emblé les faveurs du Général Le Rond : Les diverses questions que
soulevaient au point de vue militaire l'augmentation des effectifs de l'armée de renforts ont
été réglées sans difficulté et à la satisfaction des commandements alliés. Elles m'ont donné
42
Télégramme du Général Henri Le Rond au ministère de la Guerre à Paris, 6 février 1921, S.H.D., 6N118. 43
Appréciation du Général Le Rond dans le dossier militaire du Général Gratier, s.d., S.H.D., 13YD1186.
28
l'occasion de faire jouer immédiatement au Général Naulin le rôle qui lui revient dans les
questions militaires et de confirmer aux yeux de tous son autorité44
.
Naulin possède un parcours à la fois atypique et exemplaire. Il naquit le 17 avril 1870 à Saint
Loup dans les Deux-Sèvres dans une famille modeste. Il était petit fils de fermier et fils de
gendarme, ayant 3 enfants à charge et sans aucune fortune. Ses facultés intellectuelles
impressionnantes lui permirent d’entrer à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr en 1888, se
classant deuxième sur 450 au concours d'entrée. Il en en sortit 2ème
sur 435 en 1890. A sa
sortie de l’école, il fut envoyé avec le grade de sous-lieutenant, puis lieutenant, au 2ème
tirailleurs Algériens. En 1896, il obtint son admission à l’Ecole Supérieure de Guerre d’où il
sortit deuxième sur 24 élèves en 1898.
Il excellait particulièrement dans le tir : il fréquenta l'école régionale de tir du camp de
Châlons de mars à juillet 1893 d'où il sort premier de sa promotion sur 78 élèves. Il s'y révéla
particulièrement doué pour sa connaissance théorique du tir, et pour ses aptitudes en tant
qu'instructeur et à la conduite du feu. Ses évaluateurs commentaient Naulin en ces termes:
S'est fait remarquer par son zèle, son travail et son intelligence. Rendra les plus grands
services dans toutes les branches de l'enseignement du tir. Mérite les plus grandes éloges45
.
Ses qualités lui permirent de progresser rapidement dans la hiérarchie. Il fut envoyé comme
Capitaine-stagiaire à l’état-major de l’armée en 1898. Ses travaux d’analyse lui valurent
plusieurs distinctions du Ministre de la Guerre. Il reçut les félicitations du ministère de la
Guerre pour deux études : un rapport sur la marine anglaise, qui selon le Ministre « dénote,
chez son auteur, de véritables qualités de jugement et d’intelligence ». La seconde étude,
intitulée « Le Pérou », fut élaborée suite à une mission dans ce pays de 1903 à 1905. Naulin
fit ses classes en Algérie et au Maroc. Au commencement de la guerre, il fut recruté pour
travailler à l’Etat-Major du Maréchal Foch. Naulin était aussi à l’aise comme officier
administrateur que comme homme de terrain. Pendant la Grande Guerre, il commit plusieurs
actions d’éclats, qui lui valurent les commentaires suivant : Excellent Officier d’Etat-Major ;
Officier de troupe remarquable ; s’est particulièrement distingué en Artois en 1915 à la tête
du 15ème
R.I. A Verdun (mars 1916) à la tête de la 303ème
Brigade – en Champagne (Avril
44
Télégramme du Général Henri Le Rond au ministère de la Guerre à Paris sur la situation des effectifs de
l'armée interalliée, 17 avril 1922, S.H.D., 6N118. 45
Evaluation de Stanislas Naulin à l'école régionale de tir du camp de Châlons, s.d., S.H.D., 13YD37.
29
1917, mai et juin 1918) avec 45ème
D.I. en Champagne encore (juillet à octobre 1918) à la
tête du 21ème
C.A.
Le Général Naulin est un chef capable, actif, instruit et résolu. Intelligent et vigoureux, il
possède un esprit net et précis et a fait preuve en toutes circonstances des plus belles qualités
qui lui ont été reconnues par tous ceux qui ont été appelés à le noter46
.
Il succéda à Gratier début septembre 1921, alors que le paroxysme des tensions avait déjà été
atteint, et que le sort des territoires était pratiquement joué. Son passage à la tête des forces
alliées demeura bref, mais durant ce laps de temps, il accompli sa fonction avec zèle, entretint
de bonnes relations avec le Général Le Rond et les autres officiers, qu’ils soient Anglais ou
Italiens. Pour son action en Haute-Silésie, Naulin reçu la « Croix des vaillants » de Pologne
ainsi que la décoration de Grand commandeur de la « Polonia restituta ».
Naulin continua par la suite à commander en Algérie, au Levant, au Maroc, avant d’être
intégré au Conseil Supérieur de la Guerre à partir de 1930. Il y siégea jusqu’à sa mort
intervenue le 3 Novembre 1932 en son domicile parisien.
PAUL MARIE JOSEPH SAUVAGE DE BRANTES
Le Général Paul Marie Joseph Sauvage de Brantes fut le Commandant des troupes françaises
en Haute-Silésie durant toute la période de l’occupation par la Commission de Gouvernement
et de Plébiscite. Il était issu d’une famille de la noblesse parisienne. Il naquit le 2 août 1864 à
Paris. Il était le fils de Roger Sauvage Marquis de Brantes, auditeur au conseil d'Etat, et de
Louise Marie Françoise Charlotte Lacuée de Cessac. Il obtint ses diplômes à l’Ecole spéciale
militaire de Saint-Cyr, où il entra en 1884 pour en sortir deux plus tard 101ème
sur les 397
élèves de sa promotion. Ses instructeurs lui reconnaissaient une tenue parfaite et une conduite
très bonne. Il était décrit comme un homme de belle prestance, grand, élégant, possédant une
excellente éducation et parlait couramment allemand et anglais. Il fit toutes ses classes en
France, particulièrement dans la cavalerie, dans des régiments de Hussards et de Dragons.
Durant cette période, il s’unit à une jeune Bourguignonne, originaire du Creusot, en Saône et
Loire : Louise Marie Constance Schneider, née le 30 décembre 1876, fille de Henri Adolphe
Eugene Schneider, maître des Forges député officier de la légion d'honneur, héritier de la
puissante famille industrielle Schneider. Leur descendance fut promise à un brillant avenir
46
Résumé des notes de 1914 à 1920 du Général Stanislas Naulin, s.d., S.H.D., 13YD37.
30
puisque leur petite-fille, Anne-Aymone Sauvage de Brantes, n’est autre que l’épouse de
l’ancien président de la République française de 1974 à 1981 : Valérie Giscard d’Estaing.
Lors de ses passages dans les différents corps de l'armée française qu’il intégra, les officiers le
notèrent comme un grand travailleur, très actif, possédant de brillantes qualités militaires. De
1914 à 1918, il participa aux principales opérations sur le front est de la France, notamment
les batailles de Verdun et du chemin des Dames. Le Général de Brigade Sauvage de Brantes
fut désigné le 9 janvier 1920 pour exercer le poste de commandant des Troupes françaises de
Haute-Silésie.
On en sait peu sur les faits et gestes de De Brantes durant la période. On peut le connaitre à
travers les nombreux rapports qu’il transmettait au Général Gratier et à Le Rond, ainsi qu’aux
membres de la Commission. Ceux-ci témoignent de l’esprit d’analyse, de la pondération et du
détachement du Général face aux évènements.
Le 13 novembre 1920, son supérieur hiérarchique, le Général Gratier commenta ainsi
l'officier de Brantes : Exerce depuis le 15 janvier 1920 le commandement de la 46è DI de
chasseurs et celui des Forces françaises en Haute-Silésie. S'est mis assez rapidement au
courant des procédés d'Instruction de l'infanterie et a pris un grand ascendant sur ses troupes
grâce à sa droiture de son caractère. A sa grande affabilité et à son souci constant du bien
être de ses hommes. Très vigoureux, fin et élégant cavalier, le Général De Brantes qui a de
très beaux services de guerre, qui a commandé un Régiment d'infanterie du 6/12/16 au 6/1/18
mérite à tous égards d'être titularisé dans son commandement actuel qu'il exerce avec
distinction. Le Général De Brantes qui réunit toutes les qualités du chef mérite à tous égards
d'être promu au grade de Général de Division47
.
La reconnaissance de ses services semble avoir été partagée par le Général Naulin : Officier
général doué des plus belles qualités intellectuelles et morales. S'est distingué au cours de la
guerre, d'abord dans son armé, puis à la tête d'un régiment d'infanterie. Exerce depuis près
de 2 ans le commandement des troupes françaises de Haute-Silésie, dont il s'est acquitté en
toutes circonstances avec un tact et un sang froid au dessus de toutes éloges, notamment au
cours de l'insurrection de Mai-juin 1921. A nommer général de Division le plus tôt possible48
.
47
Appréciation du Général Gratier dans le dossier militaire du Général de Brantes, s.d., S.H.D., 13YD790. 48
Appréciation du Général Naulin dans le dossier militaire du Général de Brantes, s.d., S.H.D., 13YD790.
31
Pour son action en Haute-Silésie, il reçut la croix de guerre des Théâtres d'opérations
Extérieures avec Palme par ordre du Ministre de la Guerre, le 9 juillet 1931. La citation dit : A
réussi, grâce à son tact, à son activité et à son ascendant sur ses troupes, à maintenir l'ordre
avec des moyens très réduits dans une zone très étendue, occupée par plus de 40 000
insurgés. N'a pas hésité, en vue de mettre fin aux hostilités entre les deux partis opposés, à
pénétrer dans les lignes et a, grâce à son sang-froid et à son courage, rempli heureusement,
dans des conditions périlleuses, la mission qui lui avait été donnée par le président du
Gouvernement Interalliée49
.
De la Pologne, il obtint le titre de chevalier de la « Polonia Restituta » pour son action en
Haute-Silésie. A son retour en France, il prit en main la 3ème
Division de cavalerie jusqu’en
1926, date de sa retraite. Le Général de Brantes décéda à son domicile d'Authon dans le
Loire-et-Cher, le 16 février 1950.
49
Citation du Général de Brantes, ordre numéro 24 du 15 novembre 1914, S.H.D., 13YD790.
32
LES FRANÇAIS ET LEURS ALLIES
L’entente entre Le Rond et ses adjoints au sein de la Commission interalliée était délicate,
puisque chacun représentait les intérêts de son Gouvernement respectif. Leur mandat
international et leurs obligations devant leur gouvernement rendaient par conséquent
inéluctable que les intérêts des capitales italiennes, françaises et anglaises biaisent le vœu
d’impartialité des commissaires au sein de la Commission de plébiscite et de Gouvernement.
Ainsi des facteurs exogènes venaient perturber les relations entre les différents représentants
alliés.
Selon l’idée véhiculée traditionnellement, il semble que d’un côté aurait existé une entente
entre les populations polonaises et le contingent français, lequel était perçu comme le garant
de l’indépendance de la Pologne face à l’impérialisme allemand. A l’inverse, les Italiens et les
Anglais ne masquaient pas leur sympathie et leur soutient vis-à-vis des populations
allemandes. Les représentants anglais et les italiens au sein de la Commission avaient pour
objectif de garantir un résultat favorable au rattachement de la Silésie au Reich allemand,
tandis que les Français agissaient dans le même sens, mais au profit des Polonais50
. De ces
prises de positions découlaient les conflits entre les Français et leurs homologues d’Italie et
d’Angleterre.
Ces constatations ne sont pas sans fondement et possèdent des éléments factuels qui les
étayent. Il nous semble cependant que l’analyse est trop manichéenne et souligne
insuffisamment les mécanismes qui engendraient les querelles. Ce parti pris élude également
les points de convergence entre les Etats membres au sein de la Commission de Plébiscite et
de Gouvernement de Haute-Silésie.
Les Relations franco-anglaise : l’entente non cordiale ?
A leur arrivée, en 1921, les troupes anglaises furent cordialement accueillies par le Général
Gratier. Cette marque de sympathie sembla d’ailleurs trouver un écho favorable auprès du
Général anglais Wauchope, laissant présager d’une « entente cordiale » franco-anglaise :
Je vous remercie beaucoup pour votre aimable lettre complimentant les troupes sous mon
commandement sur leur tenue et leur apparence lors de votre récente inspection. Cela me fait
un grand plaisir de savoir que vous avez si bonne opinion de mes hommes et je vous assure
50
J. Przewlocki, Stosunek …, op. cit., p. 27-28.
33
que nous efforcerons d’exécuter vos ordres du mieux de nos capacités pendant le temps que
nous resterons sous votre autorité. J’ai fait circuler votre lettre dans les unités sous mon
commandement pour être communiquée aux troupes sachant que cela leur fera grand
plaisir51
.
Mais cette amabilité, sincère ou protocolaire, ne résista pas longtemps aux antagonismes
politiques et personnels. Au mois de juin 1921, Gratier vint se plaindre auprès du Général Le
Rond de l’attitude des fonctionnaires anglais nouvellement arrivés, leur reprochant leur
indiscipline et leur irrespect depuis leur arrivée. Les deux officiers français envoyés donner
leurs ordres de mouvement aux commandants britanniques afin de mettre dans l'ambiance les
officiers nouvellement arrivés, et pour leur donner les explications complémentaires qu'ils
désiraient, furent reçus, selon les termes du Général Gratier, par un « aréopage de
fonctionnaires », présentant toutes sortes d'objections, ce que le Général prenait pour une
immixtion inconvenante de fonctionnaires civils dans des opérations exclusivement
militaires52
.
L’insurrection de mai-juillet 1921 laissa éclater de profondes divergences sur les moyens à
mettre en œuvre pour gérer la crise. La compétence de Gratier à diriger les troupes
internationales fut régulièrement remise en cause par les autorités britanniques. Celui-ci était
accusé de ne pas appliquer les décisions prises par la commission53
.
Le président français de la Commission de Plébiscite et de Gouvernement de Haute-Silésie
n’échappait pas non plus aux tensions internes avec ses homologues anglais. La cohabitation
avec le colonel Percival s’apparentait à un constant bras de fer entre les deux hommes. Les
accusations de l’officier anglais portaient notamment sur la partialité du Général Le Rond, qui
selon lui n’agissait qu’en fonction des intérêts de la France54
. De son côté, Le Général français
reprochait à Percival ses entraves au rétablissement du calme lors de l’insurrection55
. Du reste,
51
Correspondance du Général A.G. Wauchope au Général Gratier, s.d., A.E.O., Commandement Superieure des
Forces Allies…, dossier 74. 52
Rapport du général Gratier au général Le Rond, 3 juin 1921, S.H.D., 4N101. 53
Correspondance du Général Le Rond au Général Gratier, 28 juillet 1921, A.E.O., Commandement Superieure
des Forces Allies…, dossier 61. On peut par exemple y lire : Les Représentants de la Grande-Bretagne et de
l’Italie se sont vivement plaints de la discordance entre vos ordres et les décisions de la Commission. Autre
exemple : Correspondance du Général Gratier au Général Le Rond, 11 juin 1921, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 56. Dans ce document, Gratier se défend contre une lettre rédigée par
Heneker, où ce dernier critique et remet en cause l’autorité de Gratier. Les divergences portent avant tout sur des
questions de stratégie et de conduite des troupes françaises et anglaises. Les correspondances contenues dans ce
même dossier donnent d’autres exemples de ces relations difficiles. 54
F. Dessberg, op. cit., paragraphe 7. Voir aussi : J. Przewlocki, Międzysojusznicza …, op. cit., p.55. 55
Télégramme de Percival au Foreign Office à Londres, 29 mai 1921, S.H.D., 6N249.
34
les pouvoirs anglais firent pression sans succès pour renvoyer Le Rond de la Commission de
Haute-Silésie56
.
Suite au départ de Percival de la Commission, officiellement pour raisons de santé, le
gouvernement anglais dépêcha un représentant plus expérimenté et surtout plus agressif : le
général Stuart … Le nouveau commissaire britannique Sir Harold Stuart est un personnage
très autoritaire et qu’il s’est immédiatement révélé dans la commission tout à fait hostile à la
politique française en Haute-Silésie. Bien qu’il ne soit ici que depuis 4 jours, l’antipathie
marquée qu’il a manifesté à l’égard du Général Le Rond ne permet pas de douter qu’il ait
reçu de son gouvernement le mandat de combattre la politique française. […] Il me paraît
difficile qu’ils puissent rester ici tous les deux ensemble57
.
Anglais et Français s’accusaient mutuellement de soutenir l’un ou l’autre des partis. Les
Anglais s’irritaient des sympathies entre les soldats et officiers français vis-à-vis des
populations polonaises, tandis que les Français reprochaient aux Anglais leur parti pris pour
les Allemands. Alors qu’il apprit, le 2 juin 1921, l’arrestation d’un officier français par des
civils armés et un policier allemand, Gratier commenta l’incident en ces termes : Le Major
anglais qui pratique l’entente, en montant les Allemands contre les Français, doit être
recherché et éloigné immédiatement de Silésie, ainsi que de nombreux collègues qui se livrent
à la même besogne. C’est à ce prix que le calme sera rétabli58
.
Les soldats étaient en proie à la pesanteur de l’atmosphère qui régnait au sein des populations
locales. Leurs contacts avec ces dernières permettaient d’observer différents comportements,
allant de l’antagonisme entre alliés à la solidarité, en fonction des dangers auxquels ils étaient
confrontés. Les gouvernants de la commission étaient tout à fait conscients du jeu des
répulsions des Allemands vis-à-vis des Français, et des Polonais à l’encontre des Anglais et
des Italiens. Les alliés parvenaient tout de même à contourner les oppositions en associant ou
dissociant leur action en fonction des nécessités particulières. Pour répondre au rejet allemand
de négocier avec les Français, on confiait la tâche aux généraux anglais. Le crédit que leur
56
F. Dessberg, op. cit., paragraphe 6. Voir aussi : J. Przewlocki, Międzysojusznicza …, op. cit., p.153. 57
Télégramme secret du Général de Marinis au Ministre des Affaires étrangères à Rome, s.d., S.H.D., 6N249.
Selon Jan Przewlocki, l’arrivée de Stuart correspondait plutôt à un rapprochement entre anglais et français.
Celui-ci était, selon l’auteur, plus objectif sur la situation de la Haute Silésie que Percival : Nowy Przedstawiciel
Anglii, Sir Harold Stuart, rozpoczynający swe urzędowanie w Opolu, w Dniu 4 czerwca, cieszył sie opinia
bardziej obiektywnego polityka uwzględniającego w większym stopniu faktyczny stan rzeczy na Górnym Śląsku,
niż czynił to pułkownik Percival … J. Przewlocki, Międzysojusznicza …, op. cit., p.131. 58
Rapport du lieutenant Gamerdinger, 3 juin 1921, avis du général Gratier, A.E.O., Commandement Superieure
des Forces Allies…, dossier 56.
35
apportait la position de leur gouvernement donnait probablement aux Allemands le sentiment
d’avoir en face d’eux une oreille plus favorable à leurs revendications. Ce mode opératoire fut
par exemple employé lors des négociations pour la création d’une zone neutre entre les
milices allemandes et polonaises en juin 1921. Les généraux Stuart ou Heneker menaient les
tractations avec le commandant des troupes irrégulières allemandes, le Général Hoefer. La
réussite de cette attitude pragmatique de Le Rond, qui acceptait de se mettre en retrait pour
faciliter le dénouement des négociations se traduisit par des concessions allemandes,
notamment le retrait des troupes de Hoefer sous la condition qu’elles soient remplacées
uniquement par les contingents anglais, puisqu’il ne faisait pas confiance aux troupes
françaises. Lors de ces tractations, un observateur français était présent et le rapport qui en
résultait était contresigné par le Général anglais, puis transmis à Gratier et Le Rond59
. Quand
Hoefer se rendait auprès des généraux anglais sans prévenir, une note était transmise aux
Français : J’ai l’honneur de rendre compte que le Général Hoefer est venu à mon État-major
hier après-midi. Je lui ai demandé s’il serait préparé à se retirer de la tête de pont Est de
l’Oder, y compris l’Annaberg. […] J’attirai son attention sur l’avantage qu’il y aurait à ce
que tout le pays soit nettoyé par des moyens pacifiques, lui demandait de consulter une fois de
plus ses collègues politiques, de faire un sacrifice d’amour propre et de considérer la chose à
nouveau. […] Le Général Hoefer vint me voir de nouveau ce matin et après beaucoup de
discussions dit qu’il consentirait à ce que ses troupes évacuent le terrain tenu par lui [..] à
condition que le pays évacué soit occupé par des troupes britanniques et italiennes pour la
protection de la population civile60
. Certaines correspondances des Généraux britanniques
laissaient entrevoir qu’ils n’étaient pas forcément les complices des Allemands, et que les
positions politiques de l’Angleterre n’entravaient pas systématiquement la conscience des
Généraux sur le besoin primordial de maintenir la stabilité en Haute-Silésie pour régler au
mieux le conflit61
. C’est ainsi que, lors de l’insurrection de 1921, Stuart, loin de soutenir les
Allemands, tentait plutôt de contenir leur bellicisme : Je télégraphie à l’Ambassadeur à
59
Rapport du Capitaine de Robien au Général Gratier, 21 juin 1921, S.H.D., 4N101. 60
Note secrète de Heneker major commandant des troupes britanniques en Haute-Silésie à Gratier, 15 juin 1921,
S.H.D., 4N101. 61
J. Przewlocki, Miedzysojusznicza …, op. cit., p.153. L’auteur écrit : Do narastania tego konfliktu przyczyniali
się przede wszystkim Anglicy swa jawnie proniemiecka i antypolska polityka. L’auteur fait certainement ici
référence aux nombreux discours du premier ministre Lloyd Georges qui prodigua tout au long de la période de
nombreux discours discréditant les insurgés et leur chef Korfanty. Lloyd Georges s’opposait ouvertement dans
ses déclarations à la cession de la Silésie ou partie de celle-ci à la Pologne.
36
Berlin d’insister auprès du gouvernement allemand pour qu’il use de son influence sur le
Général Hoefer, afin qu’il arrête son expédition et se retire sur ses anciennes positions …62
.
Le rôle des rumeurs
Il est certain qu’à l’instar de la sympathie affichée par les Polonais à l’égard des Français, les
soldats anglais bénéficiaient de la bienveillance des populations allemandes. Elles assimilaient
les tensions politiques internationales entre les dirigeants des deux pays et les « bruits »
véhiculés par la presse locale, notamment allemande, comme le signe d’une sensibilité
commune avec les Anglais. Outre l’influence de la politique extérieure sur l’opinion des
populations locales, la volonté des troupes irrégulières allemandes, relayée par la presse, de
diviser les forces françaises et leurs alliés, Italiens et Anglais, constituait un vecteur de
dissensions.
Les rumeurs, l’exagération et l’instrumentalisation d’incidents réels ou imaginaires constituait
l’arsenal des deux partis, qu’ils soient polonais ou allemand, pour dissocier l’entente au sein
de la commission.
Une note secrète de l’Etat Major de l’armée française à Paris offre un éclairage intéressant sur
les relations entre les officiers français et leurs collègues britanniques. Celle-ci faisait suite à
plusieurs incidents qui avaient provoqué la démission de trois contrôleurs de cercle anglais à
l’automne 1920, pour protester selon eux contre la partialité française au moment de la
seconde insurrection d’août 1920. L’inquiétude de Paris au sujet des tensions conduit à la
production d’une note tentant de retracer la genèse et les raisons des discordes entre Français
et Anglais au travers des télégrammes transmis par Le Rond et évoquant ses relations avec ses
collaborateurs :
Antérieurement aux troubles de Kattowitz – 17-25 août 1920 aucun renseignement n’était
parvenu à l’Etat-Major de l’Armée sur des dissentiments entre les membres de la mission
interalliée. Au contraire, en février 1920, le Général Le Rond avait fait état dans sa
correspondance de « l’unité de vues absolue qui existait entre les représentants des 3
puissances ».
Contrairement aux affirmations réitérées de la Presse allemande, cette unité ne se démentit
pas ...
62
Télégramme secret de Stuart à l’Ambassadeur britannique à Paris, 5 juin 1921, S.H.D., 6N249.
37
Par la suite, le document évoque les griefs faits par le Général aux fonctionnaires anglais et à
leur gouvernement au moment où l’insurrection d’août 1920 battait son plein : l’absence de
troupes britanniques parmi les forces d’occupation et la susceptibilité de ses collègues
étrangers. Les contrôleurs anglais lui reprochaient la façon dont s’opérait le désarmement de
la population.
L’action de la presse locale sur l’amplification et la déformation des incidents permet de saisir
encore un peu mieux son rôle d’élément déstabilisateur. Alors que, suite à sa démission, un
contrôleur de cercle transmet un rapport à son gouvernement sans en informer la commission,
la presse allemande s’est emparée aussitôt de l’incident des démissions. Elle fait état d’un
faux tendant à prouver la partialité du Général Le Rond et des troupes françaises (9
septembre). Le Neuen63
du 17 septembre déclare que des documents saisis sont en
contradiction directe avec les assurances du général Le Rond suivant lesquelles la
commission interalliée agirait avec la plus grande énergie et la plus entière partialité. Enfin
la presse allemande du 21 septembre annonce la démission collective de la commission
anglaise.
Toujours dans cette note secrète de l’Etat Major français, le rapporteur constate qu’à Londres,
le 10 septembre 1920, un aide-mémoire fut transmis aux fonctionnaires anglais en Haute
Silésie qui insistait sur « la nécessité de tenir la balance entre Polonais et Allemands ».
Le rapport conclut par l’analyse suivante : Les incidents actuels sont la suite d’une campagne
de presse commencée déjà en février 1920 et qui tend à discréditer la mission française et le
Général Le Rond en particulier. Elle semble avoir pour but d’amener le remplacement de cet
officier général par un représentant allié… constatation qui rejoint les propos du Général
français se plaignant le 6 juin 1920 que « l’effort de dissociation entre les Alliés est plus
énergiquement tenté que jamais »64
.
Les Anglais aussi ne manquaient pas de manifester leur étonnement, voire leur irritation vis-à-
vis des rumeurs. Par exemple, un an plus tard, on pouvait encore lire les justifications du
Général Heneker au Général Naulin : J’ai l’honneur de faire remarquer que les journaux
publient continuellement les détails d’incidents qui auraient eu lieu dans mon secteur, et dont
63
Journal allemand. 64
Note secrète de l’Etat-Major de l’armée française, Ministère de la Guerre, 2ème
Bureau, 22 septembre 1920,
S.H.D., 7N2349.
38
les rapports sont entièrement sans fondement. Comme demandé tous les incidents feront
l’objet de compte-rendus65
.
A une époque où la propagande était une pratique banalisée, où la désinformation faisait
partie intégrante des luttes militaires ; les rumeurs, l’exagération d’incidents, exacerbaient les
tensions. Un fait imaginé de toutes pièces, relayé par la presse, favorisait l’idée de la haine
réciproque et envenimait les divisions entre les alliés, donnant un terreau propre à faire naitre
de réels incidents. On entrait alors dans un cercle infernal où rumeurs et faits divers
s’alimentaient mutuellement pour produire un climat de méfiance, n’offrant plus qu’une
maigre place à la pondération des esprits. Il arriva par exemple que lors d’une attaque de la
police allemande sur des insurgés, les assaillants vinrent directement à la rencontre des
troupes britanniques afin de leur demander leur appui, ce que celles-ci refusèrent66
. Alors que
l’insurrection battait son plein mi mai 1921, on put par exemple voir des véhicules de la
police allemande traverser Opole en arborant un drapeau anglais67
. Ces derniers exemples
peuvent laisser supposer, que l’action de la propagande conduisait les deux camps à se
persuader eux-mêmes de la sympathie de l’une des délégations de la Commission interalliée.
Il semble que les irréguliers allemands n’hésitaient pas à mettre en scène la division franco-
anglaise. Il arrivait que des soldats français se fassent intercepter et retenir par des troupes
irrégulières allemandes, au prétexte d’ordres reçus par les officiers anglais68
.
Le scepticisme des généraux anglais face à ces incidents nuance encore l’idée d’une collusion
systématique entre les officiers allemands et anglais. On peut par exemple lire, dans une
correspondance du Général Stuart à l’Ambassadeur du Royaume Uni au sujet de l’arrestation
de soldats français par des troupes irrégulières allemandes :
Je doute que les Allemands aient dit qu’ils ne rendraient les prisonniers que sur l’intervention
d’un officier britannique. Le Général Hoefer a fait ses excuses au général Gratier et
l’incident a été clos à la satisfaction des Français69
.
65
Télégramme du Général Heneker au Commandant des Forces Interalliées en Haute-Silésie, 14 septembre
1921, A.E.O., Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 36. 66
Correspondance du Général Gratier au Général Le Rond, 4 juin 1921, A.E.O., Commandement Superieure des
Forces Allies…, dossier 56. 67
Télégramme du Général Gratier au Général Le Rond, 14 mai 1921, S.H.D., 4N94. 68
Télégramme du Général Gratier au Général Le Rond, 29 mai 1921, S.H.D., 4N94 ; Rapport du Lieutenant
Raoult, commandant le 24ème
B.C.A., « Au sujet d’un incident qui s’est produit le 7 juin à Kalinow », A.E.O.,
Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 56. 69
Télégramme secret de Stuart à l’Ambassade d’Angleterre à paris, 14 juin 1921, S.H.D., 6N249.
39
Il est très vraisemblable que de tels faits pouvaient nourrir la confusion dans les esprits des
troupes alliées. On ne peut hélas quantifier dans quelle mesure les campagnes de
déstabilisation des alliés pouvaient intervenir directement dans l’avènement de tel ou tel
incident, quand il s’agissait d’un malentendu, d’une maladresse, ou bien d’une action
délibérée ou même préméditée. Si les campagnes de presse ont pu influer sur la collaboration
entre les officiers de la Commission, personnel éduqué, possédant en théorie le recul et le
détachement leur permettant de pondérer leurs actes et d’agir avec sang froid, que pouvait-t-il
en être des soldats sur le terrain, qui eux étaient quotidiennement confrontés à une atmosphère
étouffante, violente, et qui ne possédaient pas le niveau d’éducation de leurs supérieurs, ni
même leur expérience de la stratégie militaire ? Sans pouvoir y donner une réponse par
l’absence de moyen de mesures de ce phénomène, il nous semble utile de poser cette
réflexion.
Les Généraux, français comme anglais, avaient conscience que la division des troupes alliées,
déjà insuffisantes numériquement, ne pouvait que les mettre plus en danger alors que leur
mission était de contenir les combats entre Polonais et Allemands. Il était vraisemblablement
plus utile pour eux de s’unir que de se diviser face aux rebelles de chacun des deux camps.
Pour tenter de maintenir l’entente entre les troupes et démentir les rumeurs sur leur désunion,
les Généraux prenaient l’initiative d’organiser des rassemblements communs, comme à
Krapkowice, avec le but d’afficher devant les populations l’unité des soldats italiens, anglais
et français70
.
Pour parer aux attaques armées des Allemands sur les Français et à celles des Polonais sur les
Anglais, on employait des barrages mixtes franco-anglais afin de mettre en avant les troupes
françaises en cas de rencontre avec des insurgés polonais et inversement lorsqu’il s’agissait
d’assauts allemands, c’étaient les Anglais qui calmaient la situation. Les soldats britanniques
n’étaient d’ailleurs pas exclus des agressions des irréguliers allemands. Par exemple, début
août 1921, un détachement anglais était attaqué dans le district de Rosenberg suite à une
perquisition d’armes qu’il effectua dans une maison allemande. Après avoir essuyé les tirs des
irréguliers qui les encerclèrent, ils ne purent que leur remettre les prisonniers et le matériel de
guerre saisi.
70
Télégramme secret de Heneker à l’Ambassade britannique à Paris, 2 août 1921, S.H.D., 6N249. Il écrit
notamment : C’est seulement en montrant en public, devant les Allemands et les Polonais que la confiance et
l’amitié existent entre les alliés que nous pourrons maintenir le calme dans le pays.
40
Pour procéder aux opérations d’évacuation des combattants polonais et allemand en vue de
mettre en place une zone neutre à la fin du mois de juin 1921, on instaura 6 délégations de
contrôle composée chacune de 3 officiers alliés, dont trois délégations chargée de veiller au
respect de l’accord par les Polonais et 3 autres de celui des Allemands71
. Cela permettait
probablement de donner un crédit aux fonctionnaires de ces missions et de ne pas se faire
taxer de partialité envers tel ou tel parti.
De surcroît, si on se plait à citer les exemples de tensions entre anglais et français, on en oubli
les actes de solidarités. Ce n’est par exemple que grâce à l’aide d’un officier anglais que
Gratier dû son salut alors qu’il était bloqué et menacé par des policiers allemands lors d’un
déplacement à Kozle (Cosel) en mai 192172
.
La place de l’Italie
Le commissaire italien De Marinis partageait tout autant que ses homologues français et
anglais l’irritation face à l’action de la presse : La presse locale reçoit des notes concernant
des projets, traités, discussions, regardant la Haute-Silésie et émanant des divers journaux
des Capitales de l’Europe. Ces notes n’ont rien à voir avec les communications officielles et
leur publication, en excitant l’opinion publique rend extrêmement difficile le rétablissement
de l’ordre73
.
Il remarquait que dans les journaux italiens ramenés par ses troupes de retour d'Italie, il
relevait des fausses nouvelles reproduites d'après la presse allemande et polonaise. Selon lui,
la presse de Berlin, pour influencer l'opinion publique anglaise « répandait des bruits les plus
invraisemblables »74.
L’Italie occupait une position intermédiaire entre la France et l’Angleterre, avec toutefois une
tendance à aligner sa politique sur les intérêts britanniques. De Marinis assumait pleinement
son rôle entre ces deux pôles : Il ne m’est pas difficile de répondre à ces deux tendances
contraires : je me borne à adopter une attitude intermédiaire75
. Il semble que les relations
71
Instruction relative à la constitution de délégations de contrôle pour la vérification du repli des insurgés
polonais et des formations allemandes, 23 juin 1921. S.H.D., 4N101. 72
Télégramme du Général Gratier au Général Le Rond, 11 mai 1921, S.H.D., 4N101. 73
Télégramme secret du Général de Marinis au Ministère des affaires étrangères italien à Rome et à la
Conférence des Ambassadeurs à Paris, 30 mai 1921, S.H.D., 6N249.
74 Télégramme secret du Général De Marinis à la Conférence des Ambassadeurs à Paris, 12 juin 1921, S.H.D.,
6N249. 75
Télégramme secret du Général de Marinis au ministère des Affaires étrangères à Rome, 8 juin 1921, S.H.D.,
6N249.
41
entre le Commissaire italien et Le Rond étaient parfois houleuses. On a pu également parler
de haine mutuelle entre les deux hommes76
. A l’image des contentieux entre Le Rond et les
officiers anglais, De Marinis reprochait à Le Rond son inaction et sa réticence à mettre un
terme aux contentieux entre les partis allemands et polonais77
. Il critiquait, tout autant que son
homologue anglais, le parti pris de Le Rond pour la cause polonaise et évoquait même une
coalition franco-polonaise, basée sur l’union des relations futures entre les deux pays78
. Sa
coopération avec le Général Gratier n’était semble-t-il pas non plus des plus efficaces. Le
Général français fit état, à plusieurs reprises, de son irritation des contre-ordres donnés, tant
par De Marinis, que par le Commandant des troupes italiennes, le colonel Salvioni79
. Le
Général de Marinis se percevait comme le médiateur, juste milieu arbitrant les querelles
françaises et anglaises : Les Français et les Anglais observent une ligne de conduite tout à fait
opposée tandis que ma conduite, rendue difficile par ces heurts continuels, est toujours
droite80
. Les antagonismes franco anglais étaient, selon lui, la cause de l’amoindrissement de
l’autorité de la Commission devant les populations silésiennes81
.
Ce rôle donnait au général italien l’avantage de faire pencher la balance lors des conflits entre
Le Rond et les généraux anglais. Il était par conséquent l’objet des attentions de chacun des
membres de la commission, ce qui lui laissait une certaine marge de manœuvre pour
accomplir la mission confiée par le Gouvernement italien : Sir Harold Stuart m’a fait des
déclarations empreintes d’une grande cordialité et le Général Le Rond, de son côté,
rappelant les récentes manifestations d’amitié franco-italiennes, ne cesse de faire appel à ma
solidarité82
. En avril 1921, on vit par exemple le Général Le Rond multiplier, sans succès, les
avances auprès du Commissaire italien afin de le rallier à sa cause alors que les trois délégués
76
Télégramme secret du Général Niessel au Maréchal Foch et au ministère de la Guerre, 3 mai 1921, S.H.D.,
4N100. 77
Télégramme secret du Général de Marinis au Ministère des affaires étrangères italien à Rome, 22 juin 1921,
S.H.D., 6N249. 78
Télégramme secret du Général de Marinis au ministère des Affaires étrangères à Rome, 14 mars 1921, S.H.D.,
6N249. 79
Note anonyme avec mention « personnelle », adressée au Général Le Rond, 6 juin 1921, S.H.D., 6N118. Voir
aussi, J. Przewlocki, Międzysojusznicza … op. cit., p. 115. 80
Télégramme secret du Général de Marinis à l’Ambassadeur d’Italie à Paris, 26 décembre 1920, S.H.D.,
6N249. 81
Télégramme secret du Général de Marinis à l’Ambassadeur d’Italie à Paris, 8 juin 1921, S.H.D., 6N249. Voir
aussi : J. Przewlocki, Międzysojusznicza …, op. cit., p.56. L’auteur affirme pour sa part que les Italiens et les
Anglais agissaient de concert et de façon systématique pour contrecarrer l’action du Général Le Rond au sein de
la Commission de Plébiscite et de Gouvernement de Haute-Silésie : Na każdym kroku musiał [Henri Le Rond]
wałczyć z opozycją wlosko-angielską, poparta odpowiednimi deklaracjami i posunięciami obozu niemieckiego ... 82
Télégramme secret du Général de Marinis à l’Ambassadeur d’Italie à Paris, le 8 juin 1921, S.H.D., 6N249.
42
français, anglais et italiens étaient en désaccord sur l’interprétation des résultats du
plébiscite83
.
Tout comme les Anglais, les troupes italiennes étaient l’objet d’attaques répétées des insurgés
qui voyaient en eux des soutiens des Allemands au sein de la Commission84
. C’est surtout lors
de la troisième insurrection que les soldats italiens furent régulièrement victimes d’attaques
polonaises, notamment à Pszczyna et Rybnik85
. Les tensions atteignirent un tel degré que les
convois de ravitaillement destinés aux troupes italiennes étaient placées sous la protection
française pour empêcher les insurgés de les prendre systématiquement pour cible86
. Aussi
paradoxal que cela puisse paraître, il semble que des insurgés polonais tentaient de gagner à
leur cause les Italiens et n’hésitaient pas à venir demander leur appui contre les Allemands87
.
Dans un télégramme du 19 mai adressé à son Ambassadeur en poste à Paris, de Marinis
affichait clairement les directives d’apaisement et de neutralité absolue vis-à-vis des
populations qu’il transmettait à ses troupes, ce qui semblait se traduire par un relâchement de
l’étreinte qu’ils subissaient à tous les niveaux : Depuis les derniers évènements, des
manifestations de sympathie nous ont été prodigués [sic] ; des excuses des Polonais nous sont
parvenues, ainsi que des témoignages de satisfaction des Allemands. Du côté des Alliés, les
démonstrations de sympathie ont été vives du côté des Français, quant à la cordialité qui
règne entre les fonctionnaires anglais et nous, je n'ai pas besoin de vous la répéter88
.
La coopération militaire franco-italienne connaissait des hauts et des bas, mais dans
l’ensemble, elle demeurait empreinte de solidarité et les exemples d’entre-aide des deux
armées sont multiples. Ce sont par exemples des soldats italiens qui vinrent au secours de
français attaqués par une vingtaine d’irréguliers allemands alors qu’ils se rendaient depuis
Zabrze à Kandrzin, accompagnés de prisonniers allemands89
. En octobre 1921, c’est
simultanément que les soldats et officiers français affrontaient la foule à Raciborz. Alors que
le Général Naulin venait de suppléer Gratier, démissionnaire à son poste de Commandant
83
J.Przewlocki, Miedzysojusznicza … op. cit., p. 103. 84
J.Przewlocki, Międzysojusznicza …, op. Cit., p.55-56. L’auteur semble également peu apprécier de Marinis,
dont il définit ses analyses de la population polonaise en Haute-Silésie dans les termes suivants : W jego bardzo
skrajnej opinii ludność polska stanowiła rzekomo niewielka grupę narodowości… 85
Télégramme secret du Général de Marinis au ministère des Affaires étrangères à Rome, 3 mai 1921, S.H.D.,
6N249. 86
Télégramme secret du Général de Marinis au ministère des Affaires étrangères à Rome, 12 mai 1921, S.H.D.,
6N249. 87
Télégramme secret du Général de Marinis à l’Ambassadeur d'Italie à Paris, 12 mai 1921, S.H.D., 6N249 ;
télégramme secret du Général de Marinis au ministère des Affaires étrangères, 14 mars 1921, S.H.D., 6N249. 88
Télégramme secret du Général de Marinis à l’Ambassadeur d'Italie à Paris, 19 mai 1921, S.H.D., 6N249. 89
Télégramme secret du Général Heneker à l'Ambassadeur du Royaume Uni à Paris, 28 juillet 1921, S.H.D.,
6N249.
43
supérieur des Troupes Alliées de Haute-Silésie, il fut assailli. C’est grâce à l’intervention de
carabiniers italiens qu’il put se réfugier dans les locaux du commissaire italien, alors que la
foule s’en prenait au drapeau français qu’elle tentait d’arracher de son véhicule. Peu de temps
après, ce furent les soldats et le drapeau italiens qui furent sifflés et menacés par la foule, se
rassemblant pour manifester sa colère devant le poste de commandement italien90
.
Finalement, les Italiens n’échappaient pas au jeu des influences. Ils étaient poussés vers les
Allemands pour des raisons conjoncturels, dans un effet de repoussoir que nous avons déjà
développé précédemment. Une note des services de renseignement français semble cerner de
façon objective leurs relations avec les Français et les populations locales. Dans un document
intitulé : « Impressions d'un soldat italien des troupes d'occupation en Haute-Silésie », on
pouvait y lire : Les Polonais détestent les Italiens du corps d'occupation. Par contre, les
Allemands cherchent tous les moyens de se les concilier. Ils aiment les Italiens autant qu'ils
haïssent les Français et ne perdent aucune occasion de leur manifester cette sympathie. Les
soldats italiens, sans méfiance, l'acceptent bon jeu bon argent. Ils admirent le pays et son
développement économique. Ils sont heureux d'être abondamment chauffés et parlent avec
enthousiasme des trains de charbon qui partent de Silésie pour l'Italie. Volontiers ils trouvent
que les Français sont trop durs pour les Allemands et leur cherchent trop facilement noise91
.
90
Rapport du Colonel Commandant des Troupes italiennes, Salvioni, au Général Commandant supérieur des
Forces Alliées en Haute-Silésie, 27 octobre 1921, A.E.O., Commandement Superieure des Forces Allies…,
dossier 36. 91
Note des services de renseignement français à Paris, 5 janvier 1921, S.H.D., 7N3022.
44
LES RELATIONS AVEC LES POPULATIONS
LOCALES
La haine mutuelle que se vouaient les populations allemandes et les troupes françaises
était patente. Ce sentiment se manifestait de toutes les manières possibles, de l’indifférence
dédaigneuse, en passant par le refus de coopérer et plus grave, à l’attaque physique. A
l’opposé de ces rapports conflictuels avec les Allemands, les Français disposaient de la
sympathie affichée de la population polonaise, sentiment qui rencontra régulièrement des
manifestations de réciprocité. On ne peut cependant se contenter de constater la défiance ou
l’empathie de l’un et l’autre en égrenant les faits divers de toute nature. Cette posture est bien
trop confortable et nuit au bon discernement devant des schémas aussi inextricables qu’ils
étaient finalement compréhensibles, si du moins on ose se risquer à se saisir du ressenti que
pouvaient avoir chacun devant des évènements d’une violence et d’un tragique incontestables.
En prenant ce parti, on parvient à élargir notre champ de vision, à dépasser l’aspect factuel et
comprendre pourquoi les différents partis agissaient ainsi. Dès lors, le caractère
d’inextricabilité de la situation des rapports entre Français, Polonais et Allemands devient
saillant, et on constate que les erreurs étaient mutuelles et partagées, qu’il n’y avait pas de
« bons » ni de « mauvais », mais des individus conditionnés par un fonds culturel, une
histoire, un contexte. Chacun entendait sa cause comme vraie et légitime et employait des
moyens, plus ou moins légaux, plus ou moins pacifiques, pour se justifier de sa position.
RELATIONS AVEC LES POPULATIONS ALLEMANDES
Les autorités allemandes semblaient tenir des relations correctes avec les Français, mais sans
aucune sympathie réciproque. Aucune bonne volonté de la part des autorités locales
officielles, qui profitent de toutes les occasions pour établir des plaintes contre les troupes
d’occupation et contrecarrer notre action. […] La population allemande se tient à l’écart et
continue à nous ignorer, elle semble indifférente à tout ce qui intéresse les troupes
d’occupation ; il est à signaler toutefois qu’elle ne manifeste plus aussi ouvertement son
hostilité que par le passé, bien que l’on se rende très nettement compte qu’elle nous déteste
cordialement92
.
92
Rapport du Général de Brantes, à l’intention du Général Le Rond, 12 novembre 1920, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 4.
45
Les Allemands percevaient l’occupation par des Français de ce qu’ils concevaient comme
« leur territoire », celui où ils étaient nés, comme une humiliation. Pour comprendre les
racines de la haine viscérale qu’entretenaient les Français et les Allemands à cette époque, il
faut prendre en compte que depuis des décennies déjà, les deux peuples se vouaient l’un pour
l’autre une haine féroce qui imprégnait les générations dès leur naissance, et ceci dans les
deux pays. La Première Guerre mondiale, à peine achevé, fut le théâtre d’une propagande et
d’un conditionnement des masses encore jamais vu, et qui diffusait partout l’idée d’un choc
des cultures, où chacun se considérait comme le tenant de la civilisation contre la barbarie de
l’adversaire. Cette cristallisation de la haine des peuples par la diffusion massive de ces
stéréotypes avait pour but de les mobiliser dans ce que l’on désignait : « l’effort de guerre ».
Les soldats français en Haute-Silésie avaient été conditionnés pendant tout le conflit mondial
par des clichés manichéens, représentant les Allemands comme des barbares, violeurs de
femme, tueurs d’enfants, dévastateurs des villes et villages français. La même rhétorique
s’appliquait en Allemagne au sujet des Français. Cette propagande se prolongeait en Haute-
Silésie. On pouvait trouver, par exemple, dans une école de Gliwice, ce genre d’affiche : Nos
ennemis acharnés, les Français, sont chez nous, Nous devons garder notre calme et notre
dignité. Tout bon Allemand sait quelles cruautés ont déployées nos ennemis sur les champs de
bataille et nous avons appris à connaître le sens de leurs « Nettoyeurs de tranchées. » Nous
connaissons la cruauté brutale des Français noirs (Sénégal) envers nos pères et nos sœurs
des pays Rhénans.
Nous avons bien connu aussi pendant notre séjour sur la terre des Français toutes les
maladies morales et physiques de ce peuple …93
.
Plusieurs éléments permettent de comprendre que les mesures prises par la Commission
interalliée pouvaient être perçues comme vexatoires par les Allemands. L’installation des
troupes alliées en Haute-Silésie fut précédée par l’affichage d’une proclamation officielle,
datée du 24 janvier 1920, rédigée par le Général Le Rond, et placardée dans les endroits
réservés aux actes officiels auparavant utilisés par l’ancien Gouvernement allemand. Cette
proclamation expliquait :
93
Rapport des services de renseignements fournis par le 6éme
B.C.A., 27 mars 1920, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 59.
46
En exécution du Traité de Versailles, l’évacuation de la Haute-Silésie par les troupes
allemandes et son occupation par les troupes alliées se poursuivent du 31 janvier au 1 février
[sic], de la manière suivante :
« Au fur et à mesure qu’une zone sera occupée par les troupes alliées, cette zone sera placée
sous le régime provisoire de l’occupation militaire, qui sera maintenu jusqu’à la prise de
pouvoir de la Commission interalliée.
Les zones encore occupées par les troupes allemandes continueront à dépendre de
l’administration allemande, auprès du chef de laquelle un représentant de la Commission
Interalliée sera détaché pour s’assurer de l’exécution des mesures convenues et de la marche
régulière des services et des évacuations.
La Commission Interalliée fixera le moment de sa prise de pouvoir et la promulguera par une
proclamation… »
Les troupes alliées viennent en Haute-Silésie pour maintenir l’ordre et assurer à tous les
habitants, sans distinction, la sécurité et la tranquillité nécessaire au bien du pays94
.
En se plaçant du côté des Allemands, qui résidaient sur ces territoires où ils naquirent, où ils
étaient accoutumés, depuis des générations, à administrer le territoire, cette proclamation
signée par un étranger, le Général français Henri Le Rond, qui avait combattu l’Allemagne et
avait participé à l’élaboration du traité de Versailles, accord qui était perçu par l’Allemagne
comme une humiliation, l’évocation de « l’occupation » par des moyens militaires et de la
dépossession de leur pouvoir, ne pouvaient raisonner comme une manifestation de justice.
Cette proclamation officialisait la prise en main d’attributs de souveraineté et de la gestion du
territoire où ils étaient nés par l’ennemi héréditaire français. Les mesures qui suivirent ne
pouvaient que contribuer à accroître cette haine allemande vis-à-vis des Français.
Dès mars 1920, à la demande du directeur du Département militaire, le Lieutenant-colonel
Caput, les locaux de la Sicherheitspolizei étaient accaparés par la Commission de plébiscite
pour la raison suivante : cette dernière était trop bien logée en comparaison des soldats
français. Lucide, le Général Le Rond, tout en partageant le point de vu de son officier
supérieur, n’exécuta pas immédiatement cette suggestion, puisque les tensions existantes à
l'arrivée des français menaçaient la stabilité locale et aurait pu créer de fortes rancœurs contre
94
Proclamation du Général Le Rond aux populations de Haute-Silésie, 24 janvier 1920, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 27.
47
les troupes françaises95
. La refonte de la sicherheitspolizei fut un succès mitigé si on s’en tient
au fait. Une fois dissoute, la police de plébiscite qui la remplaça reprit ses anciennes
méthodes. Lors de la seconde insurrection, les forces de l’ordre se rangèrent contre les
insurgées sous couvert de son autorité policière. Elle semblait recevoir des armes depuis
l'Allemagne et elle les employait contre la population polonaise, ou bien elle armait les civils
allemands96
. Même s’il était inévitable et indispensable de procéder à cette réforme, puisque
les forces de l’ordre allemandes étaient un instrument de répression à l’encontre des Polonais,
elle comportait intrinsèquement le caractère de dépossession d’un attribut de souveraineté
important aux yeux des Allemands. Les propos relevés par le Général Gratier suite à son
interpellation par des combattants allemands nous semblent révélateurs du caractère que
prenait leur rancœur vis-à-vis des Français. Alors que le général demandait pourquoi ses
agresseurs ôtaient le fanion français apposé sur son automobile, on lui répliqua : C’est à la
France que nous faisons la guerre parce que c’est vous qui voulez donner la Silésie à la
Pologne97
.
Les membres de la Police allemande n’entendaient pas se faire enlever un levier majeur dans
leur lutte pour la conservation de la Haute-Silésie face aux insurgés. Les réunions des
employés des forces de l’ordre étaient des lieux de résistance d’où suintait la haine contre les
occupants et les Polonais :
2/ Aucun employé ne veut faire de service avec des éléments polonais, ou sous les ordres
d'Officiers français ou polonais.
3/ Éventuellement, il sera fait usage d'armes contre ces éléments ou contre les troupes de
l'entente.
4/ Tous les représentants ouvriers ainsi que tous les corps de métier sont étroitement derrière
nous.
5/ Chaque employé s'engage à faire son service, jusqu'à ce qu'il soit empêché par la force des
armes98
.
95
Télégramme du Lieutenant-colonel Caput au Général Gratier, 18 mars 1920, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 28. 96
Rapport du Lieutenant-colonel Thomes, contrôleur du cercle de Gleiwitz au Préfet du Département de
l'Intérieur, s.d., S.H.D., 4N102. 97
Correspondance du Général Gratier au Général Le Rond, 11 mai 1921, S.H.D., 4N94. 98
Rapport des services de renseignement de la Commission de Gouvernement et de Plébiscite de Haute-Silésie
pour la Département militaire, s.d., S.H.D., 4N102.
48
Tous les moyens étaient bons pour parasiter l’action française et plus généralement celle de la
Commission interalliée. Les contrôleurs de cercle se plaignaient régulièrement de la résistance
passive des fonctionnaires allemands (maire, juge, policiers, …) pour parasiter ou retarder les
actions et décisions de la Commission99
. Les communications étaient des cibles privilégiées
des sabotages, particulièrement lors de la troisième insurrection. Les câbles étaient
régulièrement coupés, les batteries d’appel mises hors service. Lorsque la grève des postes
éclata début mai 1921, les directeurs firent tout pour retarder ou empêcher le rétablissement
des communications par les techniciens alliés. A Opole, le sous-officier téléphoniste français
venu rétablir les communications extra-urbaines, coupées par les milices allemandes, se vit
tout simplement renvoyé par le directeur100
.
Les provocations des milices allemandes étaient fréquentes. L’école de la Malaparnerstrasse,
à Opole, transformée en caserne de police, était décrite par les soldats et officiers français
comme un lieu où on affichait ouvertement son soutien à la cause allemande et son rejet des
Français. Des récits d’officiers dénonçaient régulièrement l’attitude hostile de la Police de la
Malapanerstrasse, où les employés côtoyaient les hommes de la milice allemande de la
Selbstschutz et refusaient presque systématiquement de saluer les officiers français101
. Les
provocations continuelles des fonctionnaires entrainaient l’irritation croissante des soldats et
officiers français et la multiplication des incidents. On vit par exemple des policiers allemands
se rendre devant la caserne Solferino, où étaient cantonnées les troupes françaises à Opole, et
entonner leur hymne national, en tendant leur poing fermé en direction des soldats français
qui observaient la manifestation depuis leur fenêtre102
. C’est sans doute pour mettre un terme
aux incidents entre soldats français et policiers allemands que le Général Le Rond interdit, à
partir de la fin du mois de mai 22 mai 1921, tout déplacement des troupes entre la
Malapanerstrasse et la Place de la Gare103
.
Opole, pourtant ville où siégeait la Commission interalliée, était décrite, fin mai 1921, comme
un lieu de non droit : les brigades irrégulières allemandes circulaient librement en ville sans
saluer les troupes françaises, les policiers passaient leurs journées allongées devant leur
99
Rapport du Contrôleur de Cercle de Tost-Gleiwitz au Lieutenant-colonel Caput, 20 novembre 1920, S.H.D.,
4N102. 100
Correspondance du Général Gratier au Général Le Rond, 20 mai 1921, S.H.D., 4N101. 101
Note du Lieutenant-colonel Mauche, major de garnison, au Général Gratier, 3 juin 1921, S.H.D., 4N101. 102
Rapport de l’Adjudant Roux de l’État-major des Polices de Haute-Silésie au Général Gratier, 7 mai 1921,
S.H.D., 4N94. 103
Note du Général Le Rond, 22 mai 1921, S.H.D., 4N101.
49
caserne, narguant les officiers français. Des camions arborant le drapeau allemand circulaient
en ville, d’où on pouvait entendre des « Deutschland »104
.
Les manifestations d’hostilités pouvaient prendre des aspects beaucoup plus violents. Les
altercations et attentats étaient réguliers. L’uniforme de soldat ne garantissait pas pour autant
la sécurité, au contraire, il pouvait se révéler être un vecteur d’insécurité, particulièrement
pour les individus isolés. Il arriva que des soldats français soient battus par des policiers
allemands105
, ou encore un officier français attaqué par la foule alors qu’il se rendait à sa
caserne en bicyclette à la sortie d’Opole106
. Alors qu’il avait franchit par erreur la frontière et
se trouvait, sans le savoir, en territoire allemand, un soldat français fut enlevé et maltraité par
la population locale107
.
Certains incidents prenaient des tournures dramatiques. Lors de la perquisition d’un dépôt
d’armes clandestin d’une milice allemande, suite à l’arrestation d’un irrégulier qui avait
constitué un dépôt d'armes dans la crypte d’une chapelle située dans le cimetière de
Königlische Hütte108
, les soldats français tombèrent dans un piège. Alors qu’ils se saisissaient
des caisses de grenades dans le dépôt d'armes, un dispositif installé en cas de saisie des armes
par les troupes alliées explosa. Au total, onze hommes furent tués et dix autres blessés. Les
dépôts d'armes de Gliwice avaient été minés sur ordre de Satzek, un chef de guerre allemand
local, qui était déjà impliqué dans d’autres attentats contre les troupes alliées109
.
Les attaques ciblaient aussi les officiers français, jusqu’au général Le Rond lui-même, victime
d’un attentat à la bombe le 9 septembre 1920110
. Le Général Gratier fut, pendant l’insurrection
de mai-juillet 1921, plusieurs fois l’objet d’agressions111
.
C’est avec un certain fatalisme que le Général Le Rond reconnaissait la situation d’insécurité
permanente des troupes françaises et alliées en Haute-Silésie. En février 1921, suite à un
attentat à la bombe sur la voiture d’un officier français qui se rendait depuis Opole à Bytom,
104
Correspondance du Général Gratier au Général Le Rond, 30 mai 1921, S.H.D., 4N101. 105
Retranscription d’une conversation téléphonique entre l’Etat-Major de la 46ème
D.I. et le Général Gratier, 6
novembre 1921, A.E.O., Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 48. 106
Compte-rendu du Chef de bataillon Montalègre, commandant du 27ème
Bataillon alpin de chasseurs à pied, 4
mai 1920, A.E.O., Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 29. 107
Notes d'une réunion de la Conférence des Ambassadeurs, tenue au quai d'Orsay le 28 Avril 1922. Annexe du
document : télégramme du Général Le Rond à destinataire inconnu, 29 avril 1922, S.H.D., 4N80. 108
Aujourd’hui : « Chorzow ». 109
Notes du secrétaire prises au cour d'une réunion tenue au quai d'Orsay le 28 Avril 1922, S.H.D., 4N80. 110
Télégramme du Général Le Rond au ministère de la Guerre, 6 février 1921, S.H.D., 6N118. 111
Télégramme secret du Général de Marinis à l’Ambassadeur d'Italie à Paris, 11 mai 1921, S.H.D., 6N249 ;
Lettre du Général Gratier au Général Le Rond, 14 mai 1921, S.H.D., 4N101 ; Lettre du général Gratier au
Général Le Rond, 15 mai 1921, S.H.D., 4N101.
50
le Président de la Commission commentait avec résignation l’incident devant le Ministre de la
Guerre : Ce sont des incidents auxquels les fonctionnaires de la Commission de
Gouvernement sont exposés dans ce pays112
.
Les soldats français combattaient contre une armée souvent invisible. La chose n’était que
trop nouvelle pour eux, habitués aux combats en rang, face à un ennemi identifiable et qui
combattait selon le code militaire traditionnel. Ils vivaient donc dans un environnement où la
menace était permanente et peu identifiable. Cette insécurité entrainait un état de nervosité
propice aux dérapages.
Les exactions des Français envers les populations germanophones locales existaient. Les
autorités françaises recevaient régulièrement des plaintes d’Allemands contre des officiers et
soldats français pour maltraitance et humiliation. Même s’il est difficile de donner un crédit
absolu à toutes ces déclarations, certaines étant réalisées certainement à des fins de
déstabilisation113
, il est certains qu’un certain nombre d’entre elles n’étaient pas sans
fondement. Il suffit de se retourner vers les rapports des officiers et les notes de services ou
rappels à l’ordre provenant des autorités françaises au sujet de la conduite de certains soldats
pour s’en faire une idée114
. Elles étaient cependant systématiquement suivies d’enquêtes et les
traductions devant le conseil de guerre et les renvois de l’armée étaient visiblement appliqués
par la hiérarchie militaire française au sein de la Commission interalliée115
.
Le Rond était conscient de cet état de fait et des tensions qui voyaient le jour entre les deux
partis. Alors que les altercations de toute nature s’amplifiaient, le Président de la Commission,
soucieux du maintien de l’ordre et dans le but d’éviter que la situation ne dégénère, prit les
mesures afin de rappeler à l’ordre les troupes françaises. Dès avril 1920, il rédigea une note
interne où, reconnaissant l’insolence de la Sicherheitspolizei vis-à-vis des soldats français et
le manque d’énergie dans la répression des manifestations et mouvements populaires hostiles
aux troupes. […] Des observations énergiques ont été faites aux chefs de la Sicherheitspolizei
qui sans nier complètement les faits incriminés les expliquent par la façon dont les officiers
des troupes d’occupation traitent les employés de la Sicherheitspolizei.
112
Télégramme du Général Le Rond au ministère de la Guerre, 6 février 1921, 6N118. 113
Télégramme secret du Général de Marinis au ministère des Affaires étrangères à Rome, 18 mars 1921,
S.H.D., 6N249. De Marinis y indique que les Allemands exagèrent la portée des incidents dont ils sont la victime
afin de se portée en victime et donc pour légitimer leurs attaques. 114
Les dossiers 33 et 35 du fonds Commandement Superieure des Forces Allies…, A.E.O., offrent plusieurs
exemples appuyant cette affirmation. 115
On retrouve plusieurs cas d’exactions diverses de soldats français sur les policiers où des civils, qui furent
suivis d’enquêtes et de punitions dans le fonds Commandement Superieure des Forces Allies…, A.E.O., dossiers
: 32, 33, 35, 38.
51
De nombreux faits ont été cités tels que :
- insultes grossières proférées par les Officiers alliés traitant, par exemple, les employés de
« Schwein116
».
- appréciation à haute voix d’officiers alliés sur la mollesse de la Sicherheitspolizei dans la
répression des troubles.
- manière brutale d’interpeller les employés de la Sicherheitspolizei lorsqu’ils sont en défaut
ou saluent mal ; certains même auraient été conduits aux postes de police pour prouver leur
identité.
Ces reproches faits aux Officiers des troupes alliées ne sont pas non plus sans fondements.
Dans un intérêt politique évident, il convient d’éviter toute friction avec la Sicherheitspolizei
et les Officiers alliés doivent donner l’exemple de la correction et s’abstenir rigoureusement
de toutes manifestations ou appréciations désobligeantes à l’égard de la Sicherheitspolizei.
[ …] Si des manquements ou des fautes sont relevés contre elle, il en sera rendu compte au
Département Militaire qui fera prendre les sanctions nécessaires contre les employés pris en
faute117
.
Finalement, un incident nous semble être représentatif des mécanismes qui engendraient les
échauffourées entre les Allemands et les Français. Il nous montre en effet comment
l’atmosphère de méfiance entre Français et Allemands, couplée avec l’insécurité et la
nervosité ambiante, pouvait transformer une querelle en un fait divers tragique : le mardi 13
avril 1920 au soir, dans un café d’Opole, un chasseur français, suite à une querelle avec des
Allemands, se sentant sous leur menace, tua l’un d’entres eux et en blessa deux autres. En
représailles, des manifestants allemands organisèrent une chasse aux hommes des troupes
françaises, blessant dix français dont trois grièvement, puis se rendant devant la présidence de
la commission interalliée ils entonnèrent leur hymne national, le « Deutchland Uber
Alles »118
.
LES RELATIONS FRANCO-POLONAISES
116
En français : « cochon ». 117
Note du Général Le Rond au Général Gratier, 23 avril 1920, A.E.O., Commandement Superieure des Forces
Allies…, dossier 29. 118
Rapport du chef de bataillon Montalègre, commandant du 27ème
B.A.C.P., 14 avril 1920, A.E.O.,
Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 53.
52
Les manifestations d’amitié entre les soldats Français et les insurgés polonais étaient
vraisemblablement fréquentes, même si elles n’étaient pas systématiques119
. Elles soulevaient
les critiques de la part des Anglais, des Italiens, et des Allemands. Le Rond était taxé de
partialité, et les soldats français de collusion avec les insurgés.
Parmi les principaux facteurs qui guidaient ces sentiments, c’étaient la position diplomatique
de la France vis-à-vis de la Pologne, ainsi que l’aide apportée à la Pologne pour son
rétablissement politique pendant et après la Première guerre mondiale. Le rapprochement
politique franco-polonais poussait donc les populations polonaises à ne manquer aucune
occasion pour montrer leur sympathie aux Français120
.
A l’image des relations que les Allemands entretenaient vis-à-vis des Français, Anglais et
Italiens, le phénomène s’inversait du côté des Polonais. La sympathie pour les Français était
assortie de haine pour les Italiens et les Anglais : L’Anglais et l’Italien représentent au
contraire, l’ennemi, en raison de la politique de leurs gouvernements respectifs ; les combats
qui se sont produits entre Italiens et Polonais ont aggravé ce sentiment : si les chefs de
l’insurrection font leurs efforts pour les ménager, la masse, elle, ne cache pas la haine
véritable qu’elle éprouve à leur égard […] L’attitude très digne et correcte des troupes
britanniques dans la zone qui s’étend de Gross-Strehlitz121
à l’Oder contribue déjà à modifier
ces sentiments dans un sens meilleur122
.
L’attraction franco-polonaise semblait également résulter d’un effet de repoussoir vis-à-vis
des Allemands. Alors que les Français étaient reçus avec hostilité par les populations
allemandes, qu’ils subissaient des campagnes de presse violentes, ils recevaient un accueil
bienveillant de la part des Polonais, ce qui suffisait à les orienter vers ceux-ci123
. Dans les
faits, cela se traduisait parfois par des marques de soutient explicites des Français aux
119
J. Przewlocki, Międzysojusznicza …, op. cit., p.115. 120
Rapport d’activité des troupes françaises pour le mois de décembre 1920 établit par le Général de Brantes,
A.E.O., Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 4 ; Rapport d’activité des troupes françaises
pour le mois de août 1920 établit par le Général de Brantes, A.E.O., Commandement Superieure des Forces
Allies…, dossier 4. 121
Aujourd’hui « Strzelce Opolskie ». 122
Rapport d’activité des troupes françaises pour le mois de mai 1921 établit par le Général de Brantes, A.E.O.,
Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 4. 123
Rapport d’activité des troupes françaises pour le mois d’octobre 1921 établit par le Général de Brantes,
A.E.O., Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 57.
53
Polonais, tel que par exemple l’apposition de petits drapeaux polonais dans un poste
français124
.
Cette partialité accentuait et nourrissait la teneur des relations franco-polonaises et franco-
allemandes, puisqu’elles donnaient de la matière tangible à la propagande et la désinformation
et renforçait les clivages ou les collusions. On pouvait par exemple lire dans la presse
allemande des rumeurs selon lesquelles la seconde insurrection était « l’œuvre des Polonais
soutenus par la France »125
, tandis que la presse polonaise répandait des rumeurs racontant
qu’un soldat aurait reçu des félicitations publiques du Général de Brantes et une montée en
grade devant ses confrères pour avoir tué un Allemand126
. La propagande allemande se servait
abondamment des manifestations de sympathie franco-polonaise dans ses efforts de
déstabilisation des relations interalliés. Une photographie prise de soldats français aux côtés
d’insurgés en plein soulèvement et détournée de son contexte servit par exemple d’illustration
à des brochures allemandes critiquant violemment les soldats français et qui furent distribuées
aux soldats italiens127
. L’enquête menée à la demande urgente du général Le Rond aboutit à
une suspension de 15 jours des deux soldats qui avaient posé auprès des insurgés. Elle
concluait à leur maladresse : ils devaient s’entretenir avec des insurgés au sujet du maintien de
l’ordre dans le secteur où ils se trouvaient. Naïvement, ils se seraient laissés photographier en
leur compagnie lors d’une cérémonie religieuse qui se tenait au moment des faits128
.
Le mécanisme des répulsions et des rapprochements s’autoalimentait continuellement, sans
que les Généraux français ne puissent y trouver un remède. Le seul moyen dont ils disposaient
pour lutter contre les sentiments et les passions de leurs troupes étaient des notes de service
exhortant à la plus stricte neutralité. Mais les mots ne pouvaient que difficilement peser
devant la réalité du terrain alors que les hommes évoluaient dans un contexte permanent de
passions et de danger, où l’instinct de survie primait parfois certainement sur la pondération.
124
Note du Directeur du Département Militaire au Général Gratier, 23 octobre 1920, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 31. 125
Note de l’Etat-Major de l’Armée française sur les incidents de Kattovitz et de Breslau, 8 septembre 1920,
S.H.D., 7N2349. 126
Correspondance du Général de Brantes au Général Gratier, 17 juin 1920. De Brantes y explique que
contrairement à ce qu’a imprimé la « Gazeta Ludowa » dans son N°117, du 9 juin 1920, il est faux :
1°) Que le chasseur qui a tué l’Allemand HEIDE ait été nommé caporal. Ce chasseur est toujours chasseur de 2°
classe.
2°) Et par suite qu’il ait reçu ses galons devant la troupe, et ait été félicité par le Général de Brigade…, A.E.O.,
Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 30. 127
Correspondance du Général Le Rond au Général Naulin, 26 septembre 1921, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 61. 128
Correspondance du Général Le Rond au Général Gratier, 28 juillet 1921, A.E.O., Commandement Superieure
des Forces Allies…, dossier 61.
54
Ce schéma mental, où entrait en considération le comportement irrationnel de l’homme
confronté à des situations extrêmes était bien compris par les collègues du Général Le Rond :
une attaque de l’autre et les rumeurs même les plus fausses peuvent suffire à précipiter l’un
d’eux dans une action inconsidérée. La peur est mauvaise conseillère et peut conduire à la
violence …129
Si les soldats français ne se rendaient pas forcément compte de l’ampleur que pouvait prendre
leurs actes, les Généraux tentaient d’empêcher comme il le pouvait ces démonstrations qui
affaiblissaient la crédibilité de la Commission interalliée, et donc son autorité, déjà fort mise à
mal par les positions des Etats impliqués dans les affaires silésiennes : Ces petits groupes [de
soldats français], sont choyés par les habitants et c’est ce qui fait taxer les troupes de
partialité. Une instruction sur l’emploi des troupes calquée sur l’instruction Ministérielle du
20 août 1907, a été approuvée par la Commission de gouvernement et il faut espérer que sa
mise en vigueur mettra fin à ces abus130
.
Dès 1920, Le Rond rappelait leur devoir se neutralité aux hommes des troupes interalliées en
ces termes : Il ressort de renseignements certains qui sont parvenus à ma connaissance que
quelques Officiers de la garnison de Beuthen ne montrent pas dans leurs relations toute la
discrétion désirable et fréquentent en particulier l’Hôtel Lomnitz où les membres agissants du
Comité de Plébiscite Polonais.
Cette attitude est en contradiction formelle avec les prescriptions de la lettre N°19/C du 3
novembre relative à la réserve qui s’impose, au point de vue politique, aux militaires des
Forces Alliées.
M. Le Général Commandant Supérieur des Forces Alliées en Haute-Silésie est invité à faire
appliquer de la façon la plus stricte les prescriptions de la dite lettre131
.
Suite à l’affaire des drapeaux polonais installés par des soldats français dans leur poste, Le
Rond rappelait à l’ordre ses troupes de manière énergique : Le président de la Commission de
gouvernement attire l’attention sur les graves inconvénients que peuvent avoir de telles
129
Télégramme secret du Général Stuart au Foreign Office à Londres, 19 juillet 1921, S.H.D., 6N249. 130
Compte rendu mensuel du Général Gratier au Maréchal Foch, relatif à la situation des Forces Alliées de
Haute-Silésie, 16 octobre 1920, A.E.O., Commandement Superieure des Forces Allies…, dossier 73. 131
Note du Général Le Rond au Général Gratier, 13 décembre 1920, A.E.O., Commandement Superieure des
Forces Allies…, dossier 32.
55
manifestations et il prie M. Le Général Commandant les Troupes Alliées de bien vouloir
prendre les sanctions nécessaires pour le fait relaté ci-dessus132
.
Le Rond sembla autant surpris qu’irrité lorsque lui parvient la nouvelle de l’insurrection en
août 1920. Les 20 et 21 août 1920, il précisait à la Mission militaire française à Varsovie sa
volonté d’empêcher toute action pouvant faire dégénérer une situation déjà catastrophique : Je
télégraphie d’autre part à monsieur de Panafieu en le priant de faire donner par (le)
gouvernement polonais (des) ordres sévères pour (une) surveillance plus efficace et en lui
signalant que nous sommes dans (la) nécessité (de) désarmer, interner toute force armée
polonaise qui pénétrerait dans (la) zone (du) plébiscite133
. Quelques heures plus tard il
insistait encore : à Myslovitz le détachement (de la) Sicherheit a été emmené de l’autre côté
(de la) frontière et n’a pas encore été rendu malgré les efforts du commandement militaire.
Tous les hommes appartenant aux formations armées polonaise venus de l’autre côté (de la)
frontière qui pourront être saisis seront désarmés et internés en Haute-Silésie. (la) Réaction
de ces nouvelles sur (la) population (de) Haute-Silésie peut être très grave et créer (un) état
insurrectionnel134
.
Alors que la troisième insurrection venait d’éclater, on commémorait en Pologne le centenaire
de la mort de Napoléon, célébré le 5 mai 1921. Tous les officiels français en résidence à
Varsovie, militaires et politiques étaient conviés (dont le chef de la Mission militaire française
en Pologne, le Général Niessel et le Ministre de France en Pologne, Hector de Panafieu). On y
affichait avec faste les liens entre les deux pays autour du personnage de Napoléon, symbole
de l’impérialisme français en Europe, notamment au détriment de l’Allemagne, mais aussi
symbole de la restauration de l’Etat polonais dépecé par son voisin germanique. On organisa
un banquet, une messe militaire, on fit le passage en revue des troupes par le chef de l'Etat, on
inaugura une « place Napoléon » (ancienne « place Warecki »), des notables varsoviens
donnèrent des discours en l'honneur de l'action de Napoléon en Pologne, on vit défiler des
troupes devant un buste de Napoléon, puis on organisa un gala à l'opéra dont le programme
était dédié à l'épopée napoléonienne, …135
Pour les populations locales, polonaises et
allemandes, la subtilité de la neutralité de la commission, présidée par un français, ne pouvait
132
Note du Directeur du Département Militaire à Gratier en date du 23 octobre 1920, A.E.O., Commandement
Superieure des Forces Allies…, dossier 31. 133
Télégramme du Général Le Rond à la Mission militaire française à Varsovie, 20 août 1921, S.H.D., 7N3022. 134
Télégramme du Général Le Rond à la Mission militaire française, 21 août 1921, S.H.D., 7N3022. 135
Correspondance du Général Niessel au Maréchal Foch et au Ministre de la Guerre, 6 mai 1921, S.H.D.,
7N2988.
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être que difficilement entendue, alors qu’à Varsovie les hommes politiques français et
polonais célébraient en grande pompe leur amitié.
Les commentaires du collaborateur du Président de la Commission de Gouvernement et de
Plébiscite de Haute-Silésie, le Général de Marinis, donnent un éclairage intéressant sur la
question des relations franco-polonaise en Haute-Silésie. Il dissocie en effet la propension à la
collusion des Officiers et soldats français et l’action du Général Le Rond : Tandis que les
fonctionnaires et les militaires français témoignent ouvertement de leur sympathie pour les
Polonais, et sont extrêmement hostiles aux Allemands, l’accueil réservé par les populations
allemandes aux troupes anglaises fait prévoir qu’il sera difficile à ces troupes de rester
impartiales. Le Général Le Rond voudrait bien intervenir pour réfréner l’attitude de ses
subordonnés, mais il est bien tard maintenant136
.
Les documents consultés lors des recherches effectuées tendent à montrer que la position
selon laquelle Le Général Le Rond et les autorités militaires françaises donnaient des
consignes internes pour ménager les insurgés et que les rappels à la neutralité publiés par le
Général français n’étaient que des documents destinés à calmer l’opinion publique allemande
et celle de ces alliés est difficilement tenable137
. Les préoccupations du Président de la
Commission sur la neutralité de ses troupes nous apparaissent être sincères de par la
récurrence des documents qui émanent du Général et de sa sévérité vis-à-vis des écarts de
conduite des soldats français. Outre les exemples précédemment cités, d’autres éléments
viennent appuyer cette idée. La position du Le Général français ne changea pas lors de la
troisième insurrection. Il continuait de prôner la plus stricte impartialité :
1°-Aucune relation ne doit exister entre les troupes alliées et les insurgés;
136
Télégramme secret du Général de Marinis au ministère des Affaires étrangères à Rome, 8 juin 1921, S.H.D.,
6N249. 137
J. Przewlocki, Miedzysojusznicza …, op. cit., p. 117. L’auteur écrit, après avoir mentionné une note de
service du Général de Brantes menacant les soldats sympathisant avec des insurgés de comparution devant le
tribunal extraordinaire que : Te oficjalne pisma i rozkazy byly obliczone na efekt zewnetrzny, na uspokojenie
opinii publicznej Wloch, Anglii i Niemiec. W dalszym ciagu obowiazywal przeciez poufny rozkaz naczelnego
dowodzwta fran,cuskiego o unikaniu starc zbrojnych francuskiego … Il ne cite aucune source attestant de cet état
des choses …
P. 116, l’auteur affirme que le Maréchal Foch publiait des notes ordonnant de ne pas réprimer trop durement les
insurgés. Nos recherches ne nous ont pas permis d’en trouver le document l’attestant. On peut citer seulement
Un télégramme conservé au Service Historique de la Défense à Vincennes, contenu dans le dossier 4N94, daté
du 7 mai 1921. Il fut adressé par Foch au Général Niessel, Chef de la Mission Militaire française en Pologne.
Foch indique que le ministère français de la défense est tenu au courant du point de vue du gouvernement en ce
qui concerne la Haute-Silésie. Des instructions ont été données à Le Rond sur la conduite à tenir, sans que cela
ne soit précisé dans le télégramme. Foch indique à NIESSEL dans le télégramme que ce dernier peut recueillir
toute info utile auprès de Mr. DE PANAFIEU. Nous allons donc tenter de présenter le point de vu du Ministre de
France dans les lignes à venir …
57
2°-Aucune autorisation de sortir des garnisons par les Alliés pour se rendre en territoire
insurgé ne doit être accordée;
3°-Au cas où des détachements sont amenés à traverser des territoires insurgés, soit pour
faire mouvement, soit pour escorte, l'attitude de tous doit à chaque instant témoigner
manifestement qu'il ne saurait y avoir de relation avec les insurgés138
.
Suite aux inquiétudes du Gouvernement français sur les accusations de collusion active et de
coopération entre des soldats et officiers français avec des insurgés lors de la troisième
insurrection, le Général Le Rond enjoint d’urgence ses subordonnés de diligenter une enquête
sur les faits suivants : Quel était l’officier français qui voyageait avec un officier polonais en
uniforme dans une automobile polonaise ? Pour quelle raison un officier français avait-il
accepté de voyager avec l’Officier polonais et comment se faisait-il qu’un camion français
avec des soldats français se trouvât au quartier général polonais ?139
Les autorités françaises à Paris et Varsovie s’inquiétaient des manifestations de sympathie
franco-polonaises puisque celles-ci affaiblissaient leur crédibilité et donc leur position lors des
tractations diplomatiques devant les Anglais et Italiens, ce qui, par ricochet, nuisait aussi aux
autorités polonaises dans leur dessein de recouvrer tout ou partie de la Haute-Silésie. Un
dossier contenu aux Service historique de la Défense à Vincennes (le dossier 4N100), contient
l’ensemble des relations d’Hector de Panafieu avec les autorités françaises et polonaises à
Paris et Varsovie. Les exemples d’injonctions au Gouvernement polonais pour stopper
l’insurrection y sont multiples. Un document qui intervient juste après l’éclatement de la
troisième insurrection donne un éclairage intéressant sur la question du soutien des autorités
françaises aux insurgés et à leur chef, Wojciech Korfanty. Le document, une correspondance
du Ministre de France à Varsovie, Hector de Panafieu, personnage influent dans les hautes
sphères politiques polonaises et intermédiaire direct entre Paris et Varsovie, nuance la thèse
de la bienveillance française devant les insurgés140
. Panafieu y indique avoir réitéré des
conseils très pressants au chef de l'Etat polonais, le Général Pilsudski, au sujet de la situation
en Haute-Silésie. Le télégramme répondait aux affirmations du gouvernement polonais qui
déclinait toute responsabilité dans l'insurrection et affirmait avoir renvoyé Korfanty de son
138
Note du Général Le Rond au Général Gratier, 21 mai 1921, S.H.D., 4N101. 139
Correspondance du Général Le Rond au Général Gratier, 23 mai 1921, A.E.O., Commandement Superieure
des Forces Allies…, dossier 61. 140
J. Przewlocki, Miedzysojusznicza …, op. cit., p. 113. On peut y lire : Wydaje się, iż zarówno Gratier i Le
Rond, zbliżeni przecież do francuskich kol wojskowych, nie sprzeciwiali się wybuchowi powstania.
58
poste de Commissaire dans les territoires plébiscitaires. Selon Panafieu, cette déclaration
servait seulement à excuser les Hauts-silésiens et à défendre leur attitude. Le Ministre de
France en Pologne signifia que malgré l'opinion publique, le gouvernement polonais devait
condamner l'insurrection en Haute-Silésie et empêcher toute collusion entre les polonais de
l'intérieur et les Hauts-silésiens. Lors d’un entretien avec le chef de l'état polonais, celui-ci lui
assura que dans 2 à 3 jours les Silésiens seraient rentrés dans l'ordre par manque de
ravitaillement. Panafieu s’entretint ensuite avec M. Dabski, Vice-ministre des affaires
étrangères, en lui faisant « marquer avec une grande énergie » et en répétant à plusieurs
reprises ses paroles que la Pologne devait prouver par un acte que le Gouvernement blâmait
l'insurrection en Haute-Silésie, d'éviter l'intervention des Polonais en Haute-Silésie, d'inviter
Korfanty à cesser toute agitation et de lui demander qu'il enjoigne ses compatriotes de rentrer
dans l'ordre et de reconnaître l'autorité de la Commission interalliée. Dabski envisagea alors
de publier un manifeste dans la presse s'inspirant des considérations que Panafieu lui
développa. Selon Panafieu, le gouvernement polonais fut surpris des agissements de Korfanty,
celui-ci voulant profiter du départ de Le Rond pour brusquer les choses et mettre les
gouvernements alliés en face du fait accompli. Il soupçonnait alors Korfanty d'être l'auteur du
faux télégramme de Berlin qui lui avait servit de prétexte pour lancer son manifeste, d'abord
la grève et ensuite l'insurrection141
.
De son côté, le Général Le Rond indiquait, deux semaines avant l’éclatement des violences,
qu'il s'était entretenu longuement avec Korfanty pour que celui-ci maintienne le calme qui
régnait alors en Haute-Silésie pendant et depuis le plébiscite. Il demandait à Korfanty que
celui-ci face le nécessaire pour que les milieux militaires en Pologne qui faisaient preuve de
nervosité et d'indiscrétion se calment. Il souhaitait surtout que les informations au sujet des
tractations économiques franco-polonaises ne soient pas ébruitées car cela donnerait de quoi
alimenter les accusations anglaises et nourrir donc leur opposition au rattachement de la
Haute-Silésie à la Pologne. Il précisait enfin que Korfanty était, cette fois-ci comme les autres,
disposé à suivre ses suggestions, et il s’était immédiatement décidé de se rendre à Varsovie
pour en conférer avec le Gouvernement auquel il comptait les faire accepter142
.
Alors que l’insurrection touchait à sa fin, le Ministre de France semblait toujours arborer la
même attitude. Hector de Panafieu insista énergiquement auprès de Dabski pour que les
insurgés renoncent immédiatement, et d'une façon définitive, à la lutte. Alors que Dabski lui
141
Télégramme d’Hector de Panafieu à destinataire inconnu, 6 mai 1921, S.H.D., 4N100. 142
Télégramme confidentiel du Général Le Rond à destinataire inconnu, 19 avril 1921, S.H.D., 4N100.
59
expliquait que la lutte armée des insurgés polonais se justifiait par l'irruption de bandes
allemandes dans des villages polonais isolés où ils massacraient vieillard, femmes et enfants,
Panafieu lui rétorqua que « de leur côté, les Allemands avaient les même griefs et les mêmes
craintes contre les Polonais et leur action, et que, si les partis restaient sur cette position, le
conflit n'aurait pas de fin et prendrait une extension de jour en jour plus grave. » Il rappela à
son interlocuteur polonais que le 1er juin une bande polonaise avait été arrêtée en territoire
allemand et que les autorités polonaises n'avaient toujours pas donné de résultats de l'enquête
demandée par la France à ce sujet143
.
Il est certain que les conséquences de la troisième insurrection correspondaient de facto aux
intérêts de la France et de la Pologne, et donc à ceux du Général Le Rond. A partir de là, il
existe une ambigüité difficile à surmonter, et on peut supposer que le Général français tira
profit de cette situation (inattendue ?) qui se présentait à lui. Affirmer la préméditation
française pour atteindre cet objectif semble exagéré, d’autant plus qu’avant l’insurrection,
l’état matériel des troupes interalliées montrait qu’elle n’était d’avance pas en mesure de
contrôler les événements à venir ni l’issue des combats entre les Polonais et les Allemands. Il
est cependant tout à fait vrai que le Général français menait des discussions secrètes avec
Korfanty, mais vraisemblablement au même titre que des négociations étaient menées entre
Hoefer et les Généraux anglais, puisque les autres commissaires semblaient au fait de celles-
ci144
. Le Général Niessel confiait pour sa part au Maréchal Foch que Korfanty prétendait
toujours auprès du gouvernement polonais agir d'accord avec le général Le Rond. Niessel
soulevait l’ambiguïté en affirmant « qu'il n'y avait pas d'accord entre eux mais seulement
échange de vues »145
.
La principale raison du manque de réactivité des troupes de l’alliance était l’insuffisance de
ses moyens humains et matériels comparée aux forces dont elles devaient contenir les excès
de violence. Il faut considérer que la force envoyée en Haute-Silésie était une force de
maintien de l’ordre et d’interposition. Elle n’avait pas pour mission de mener des opérations
militaires au sens de l’affrontement direct et frontal avec les bandes armées polonaises et
allemandes146
. Cette déficience conditionnait l’attitude des troupes françaises et alimentait,
143
Télégramme d’Hector de Panafieu à destinataire inconnu, juin 1921, S.H.D., 4N100. 144
Télégramme secret du Général de Marinis à l’Ambassadeur d'Italie à Paris, 11 mai 1921, S.H.D., 6N249. 145
Télégramme du Général Niessel au Maréchal Foch, 16 mai 1921, S.H.D., 4N100. 146
Télégramme secret du Général de Marinis au ministère des Affaires étrangères à Rome, 8 juin 1921, S.H.D.,
6N249. On peut y lire : D’ailleurs, même si les forces militaires étaient augmentées, celles-ci ne pourraient
60
sans doute à tort, certaines accusations de négligence complice dans la répression des
insurrections. Alors que l’armée française entamait sa restructuration, nécessaire après la fin
de la guerre, les compressions d’effectifs au sein de l’armée de l’intérieur, ainsi que les enjeux
plus importants pour elle sur sa frontière avec l’Allemagne l’obligea à restreindre ses effectifs
sur les théâtres extérieurs147
. L’insuffisance des moyens pour accomplir leur mission
d’interposition contraignaient parfois les Français à l’inaction. Dès le début de la troisième
insurrection, Percival se plaignait auprès de ses supérieurs à Londres du manque
d’équipement des troupes de la commission, soulignant notamment qu’ils ne disposaient que
de 9000 fusils148
. Pour pallier à ces déficits, le Général Le Rond ordonna de saisir des armes
appartenant aux milices allemandes démantelées ou à la Sicherheitspolizei. Le matériel
enlevé, des mitrailleuses lourdes allemandes en bon état, fut transporté en direction d’Opole, à
destination de la 92ème
Brigade149
. Ajoutée aux manœuvres de déstabilisation des irréguliers
allemands, la fatigue physique et nerveuse était très probablement un vecteur conduisant aux
erreurs d’appréciations, voire aux dérapages : Les troupes ballotés [sic] au gré du moindre
incident qui se passe sous les fenêtres de la Présidence et de toutes les fausses nouvelles que
les intéressés [les agences de fausses nouvelles allemandes] lancent à profusion ont, comme je
vous l‘ai déjà exposé, les nerfs tellement tendus que les fusils ne tarderont pas à partir tout
seuls150
.
Si on accepte le fait que les Français n’avaient pas assez de moyens matériels et humains, on
peut comprendre que parfois, ils n’étaient tout simplement pas en mesure de se confronter aux
insurgés :
Il n’est pas besoin d’insister autrement sur la disproportion qui existe entre les faibles
effectifs de ceux à qui incombe la mission de pacifier le territoire et l’importance des forces
armées qui sont engagées dans une lutte particulièrement meurtrière et qui disposent de
moyens matériels propres aux Armées régulières (canons lourds, minenwerfer, mitrailleuses,
autos et trains blindés, etc, ……)
intervenir dans le conflit qu’en altérant et en faussant le caractère de leur mission, qui est une mission de simple
surveillance… 147
Note confidentielle, auteur inconnu, 8 février 1920, S.H.D., 7N2331. Le document informe que l'Etat des
effectifs de l'armée française dans l'intérieur du pays est insuffisant et qu'il faut donc compresser les effectifs sur
les théâtres extérieurs afin d'augmenter les forces intérieurs. On comprend donc que l'envoi de troupes en Haute-
Silésie et l'envoi de renforts ne se fait que difficilement. 148
Télégramme secret du Colonel Percival à l’Ambassade britannique à Paris, 5 mai 1921, S.H.D., 6N249. 149
Correspondance confidentielle du Lieutenant-colonel Caput au Général Gratier, 19 mai 1921, S.H.D., 4N101. 150
Télégramme du Général Gratier au Général Le Rond, 14 mai 1921, S.H.D., 4N94.
61
Dès le début de l’occupation en Février 1920, les Troupes Françaises et Italiennes ont
eu à assurer une tâche quotidienne aussi pénible qu’ingrate.
Aux périodes où les passions populaires ont fait explosion (Avril – mai – Août –
Septembre 1920) cette tâche s’est aggravée de véritables périls que prouvent les pertes subies
à ces diverses époques. […] Obligés de garder les points vitaux du territoire, de courir
partout où les populations se trouvaient exposées à des massacres et des violences, de subir
en traversant les lignes ennemies des feux d’infanterie, de mitrailleuses et d’artillerie qui
parfois leur étaient réellement destinées, […] les contingents alliés, et plus spécialement le
contingent français ont eut [sic] à remplir une véritable mission de combat, avec une
constante infériorité d’effectif151
.
Les premières consignes transmises par le Général Gratier, le 5 mai 1921, donnaient l’ordre
aux troupes alliées de ne s’occuper que du maintien des points vitaux afin de se créer des
disponibilités pour désarmer les insurgés qui tenaient les campagnes. Le seul moyen de pallier
partiellement à l’infériorité numérique était de mettre en place des petites colonnes
« énergiquement commandées ». Le Général prônait le refus d’employer la force brutale,
principalement pour les raisons suivantes : Le 2 mai, les Silésiens polonais qui votèrent pour
la Pologne prirent les armes pour faire valoir leur vote ce qui entraina une réaction des
Silésiens ayant voté pour l'Allemagne. Les deux factions se renforcèrent de volontaires venus
de leur pays respectif. Les Allemands intégrèrent des élites, officiers et sous officiers de
l'ancienne armée régulière. Gratier estimait à environ 60 000 polonais et 40 000 allemands
armés et près à en découdre, avec une animosité extrême. Face à ce nombre, les troupes
alliées ne disposaient que d'au maximum 15 000 combattants, isolés à des milliers de
kilomètres de leur pays et à la merci des bandes armées pour leur ravitaillement et leurs
munitions. L'objectif ne pouvait qu'être d'empêcher l'escalade et que les deux parties n'en
viennent aux mains afin d'éviter une effusion de sang incontrôlable et ainsi faire conserver à
l'Europe le charbon silésien. Pour le moment c'était le prestige des troupes alliées qui faisait
qu'elles conservaient encore du crédit auprès des populations, c'est pourquoi elles se devaient
de garder la plus grande neutralité152
.
Ce qui a été pris pour des manifestations de bienveillance des autorités et des troupes
françaises vis-à-vis des insurgés, nous l’interprétons donc plutôt comme l’impuissance de la
151
Compte-rendu du Général Gratier au sujet des Troupes Alliées de Haute-Silésie, le 30 juin 1921, S.H.D.,
4N94. 152
Note de service du Général Gratier, 5 mai 1921, S.H.D., 4N100.
62
Commission face à ses difficultés humaines et matérielles. Elle n’avait de cesse de s’exprimer
dans les demandes très fréquentes de Gratier et de Le Rond sur toute la période de
l’occupation française. L’une de ces lettres est particulièrement révélatrice de cet état de fait :
Les évènements qui se sont déroulés en Mai et Juin derniers ont démontré d’une manière
frappante que la Commission Interalliée de Gouvernement et de Plébiscte de Haute-Silésie ne
disposerait pas d’effectifs suffisants pour remplir en Haute-Silésie le mandat qui lui a été
confié par le Traité de Versailles. Ce n’est qu’à grand peine que l’ordre a été maintenu dans
les principaux centres. Plusieurs villes comme Zabrze, Königshutte153
insuffisamment
occupées ont été le théâtre de troubles et de désordres ; d’autres comme Oberglogau154
,
Krzeuzbourg155
ont dû, faute de troupes disponibles, être dépourvues de toute garnison et
laissées au pouvoir des irréguliers. La plus grande partie est restée aux mains des insurgés
tant allemands que polonais et de nombreux actes de brigandage et de pillage ont été commis.
Actuellement une trêve vient de s’ouvrir, elle durera sans doute jusqu’à la décision du
Conseil Suprême mais il est à craindre que lorsque cette décision sera connue, les passions
contenues pendant quelques semaines éclateront avec plus de violence que la première fois ;
chacun des adversaires profitera de l’expérience acquise en Mai et Juin pour essayer de faire
mieux et l’ont peux [sic] par conséquent s’attendre aux pires éventualités.
Le Rond appuyait le constat de Gratier : L’insuffisance des effectifs des troupes d’occupation
n’a jamais fait de doute et a été constamment signalée depuis un an et demi. Les troupes
d’occupation auraient été incapables de rétablir l’ordre par la force et resteront impuissantes
devant une insurrection générale subite. Aussi le Gouvernement Interallié a-t-il dû depuis le
début régler sa politique sur cette situation de fait156
.
153
Aujourd’hui : « Chorzow ». 154
Aujourd’hui : « Glogowek ». 155
Aujourd’hui : « Kluczbork ». 156
Lettre du Général Gratier au Maréchal Foch, 28 juin 1921, S.H.D., 4N94.