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BELGIE-BELGIQUE P.B. 1/9352 BUREAU DE DÉPÔT BRUXELES 7 P006555 SEPT-OCT 2014 prix 1,50 euro | 58e année | septembre - octobre 2014 # 69

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La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire LCR, section belge de la Quatrième Internationale. www.lcr-lagauche.org

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BELGIE-BELGIQUEP.B. 1/9352BUREAU DE DÉPÔTBRUXELES 7P006555SEPT-OCT 2014

prix 1,50 euro | 58e année | septembre-octobre 2014#69

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Ont contribué à ce numéro: Sébastien Brulez, Pauline Forges, Denis Horman, Daniel Liebmann, Freddy Mathieu, Niel Michiels, Karim Saïd, Little Shiva, Daniel Tanuro, Guy Van Sinoy

La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.

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prix 1,50 euro | 58e année

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3 Edito par La Gauche

4 Stop à l’intox, à l’austérité! Répartition des richesses! par Denis Horman

6 Grand banditisme: main basse sur la sécurité sociale... par Guy Van Sinoy

8 Delhaize: entretien avec Delphine Latawiec, secrétaire nationale CNE par Guy Van Sinoy et Neal Michiels

10 FGTB: pactes et conciliabules vont bon train par Freddy Mathieu

Dossier spécial: PTB-GO!, stop ou encore? par la Direction de la LCR/SAP

11 Doel 4: un "sabotage" qui tombe à pic? par Daniel Tanuro

12 Gaza: plus jamais ça pour personne! par Daniel Liebmann

13 Pas de mission économique des Régions en Israël! par Neal Michiels

14 L'Irak... terre de désolation prête pour l'invasion par Karim Saïd

15 Rencontres internationales des jeunes: de retour de France, cap sur la Belgique! par Pauline Forges et Neal Michiels

16 En défense des émeutes de Ferguson par Robert Stephens II

18 Lectures

19 Agenda

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✒ par La Gauche

Plus de trois mois après les élections du 25 mai, à l’heure d’écrire ces lignes, les négociations pour former un gouvernement fédéral n’ont toujours pas abouti. Cependant, le fait qu’un gouvernement de droite dure sera mis en place ne fait pas l’ombre d’un doute. Les ballons d’essai lancés dans la presse ces dernières semaines montrent de quel bois se chauffe la future coalition  : réduction des cotisations patronales, mise au travail obligatoire des chômeurs de longue durée, etc. Bref, les Robin des Bois de la finance (qui prennent aux pauvres pour donner aux riches) comptent prendre dans la poche de la population près de 17 milliards d’euros dans les cinq prochaines années, notamment à travers les attaques contre la Sécu [lire notre article en page 6]. Pour ce faire, ils chercheront à affaiblir encore plus les syndicats. En même temps, ceux-là même qui nous pressent de nous serrer la ceinture annoncent que le remplacement des F-16 de l’armée belge représentera une ardoise de 4 à 6 milliards d’euros! Cela dit en passant, ces avions de chasse serviront probablement à aller "sécuriser" des pays comme l’Afghanistan, alors que la Belgique continue à expulser les demandeurs d’asile Afghans sous le prétexte que leur pays serait devenu "sûr". Pour couronner le tout, ces soldats zélés du capitalisme envisagent de prolonger nos plus vieilles centrales nucléaires et annoncent un probable black-out cet hiver. Ce sont les mêmes qui affirment que "le marché" capitaliste résoudra la crise écologique et énergétique.

Mais ne soyons pas dupes. "Les gou-vernements qui se mettront en place à tous les niveaux de pouvoir après les élections, quelle que soit leur composition, vont

mettre en œuvre

de

nouvelles attaques contre les travailleur.se.s, et parmi eux plus encore les femmes, les jeunes, les racisé.e.s, les personnes LGBTQI", écrivions-nous avant le 25 mai. Le futur gouvernement de droite néolibérale appliquera l’austérité, c’est certain, au fédéral comme en Région f lamande, où le mécontentement gronde déjà dans l’enseignement et le socio-culturel. Mais les gouvernements sociaux-libéraux en Wallonie et à Brux-elles feront de même. Il est illusoire de croire que "avec eux ce sera moins pire". Si nous ne disposons pas encore de budget pour l’instant, la Déclaration de Politique régionale (DPR) approuvée par le gouver-nement "orange-sanguine" en Wallonie et à Bruxelles annonce déjà la couleur: les mesures seront en effet sanglantes, mais pas "rouges" pour autant, loin de là.

La seule différence résidera dans le timing orchestré au niveau régional par le PS et le Cdh qui appliqueront les mesures par petites doses en essayant de convaincre qu’ils "conservent le pouvoir d’achat des familles". Ils annoncent d’ailleurs déjà le non-remplacement d’un fonctionnaire sur cinq à la Région et 140 millions d’euros d’économies en 2015 pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et même les patrons ne s’en cachent pas: "ça va faire mal", dixit l’administrateur délégué de l’Union wallonne des Entre-prises. Il serait donc illusoire d’attendre un quelconque "filet de protection" au niveau régional ou communautaire.

Face à cela, force est de constater que les organisations syndicales restent pour l’instant fort passives. Du côté de la FGTB, on préfère se concentrer sur les jeux de pouvoirs pour régler la succession d’Anne Demelenne [lire notre article en page 10]. Il est pourtant urgent d’organiser une résistance sociale à la hauteur des attaques qui viennent. Les élus PTB-GO! constitueront, certes, des porte-voix dans les assemblées parlementaires, mais le terrain décisif du

rapport de forces se situe dans la rue, les entreprises, les lieux d’études.

Un hold-up est en cours, à nous de préparer la

riposte! ■

éditoAustérité à tous les étages

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✒ par Denis Horman

Partis traditionnels, mandataires politiques, grands médias… on entend le même refrain: on n‘a pas le choix, il faut bien en finir avec le déficit budgétaire. La Commission européenne nous somme de retrouver l’équilibre budgétaire. Les Belges ont vécu au-dessus de leurs moyens. Il faut de la rigueur (il ne faut surtout pas parler d’austérité!)

"Nous sommes bien sûr favorables à la rigueur budgétaire", déclarait Elio Di Rupo, en mars 2011, neuf mois avant la formation du gouvernement "Papil-lon". Il ajoutait: "Nous devons respecter nos engagements par rapport à l’Union européenne; cela représente un effort considérable: 15 à 18 milliards d’ici 2015, et nous devons être très attentifs à la dette (…). Peu importe qui sera au pouvoir, tout le monde devra y passer lorsque nous aurons un gouvernement".(1) Premier ministre du gouvernement "en affaires courantes", il a tenu ses engagements en mettant le cap, avant tout sur une réduc-tion drastique des dépenses publiques dont

font d’abord les frais les couches de la pop-ulation déjà les plus fragilisées. A ce titre, une des mesures "phare" de ce gouverne-ment fut la dégressivité des allocations de chômage pour toutes les catégories jusqu’à un plancher inférieur au seuil de pauvreté, ainsi que l’exclusion du chômage, dès le premier janvier 2015, de dizaines de milliers de chômeurs (limitation des allo-cations dites d’insertion à trois ans).

Les négociateurs de la coalition "suédoise" (VLD, CD&V, N-VA et MR) pour le prochain gouvernement ont annoncé la

couleur: Plus de 17 milliards d’économie supplémentaires sur l’ensemble de la législature (2015-2019)! La coalition "papillon" a si bien préparé le terrain que la droite n’a pas besoin d’un tournant à droite trop brutal; elle peut se contenter d’un approfondissement dans la continuité.(2)

Maintien des mesures sur les chômeurs, renforcement des sanctions, concrétisation d’une idée qui a fait son chemin: imposer aux chômeurs des prestations d’util i té publique; nouveau coup de rabot à la norme de croissance des dépenses en soins de santé; augmentation du non remplacement de fonctionnaires dans la fonction publique; allongement la carrière effective; un saut d’index; prolongement du blocage des salaires; augmentation de la TVA, des accises; de nouveaux cadeaux aux entreprises (nouvelles diminutions des cotisations patronales à la sécurité sociale, etc.).  Cela, pour soi-disant soutenir la compétitivité, booster la croissance et favoriser la création d’emploi! Pour couronner le tout, des limitations au droit de grève, par l’instauration, par exemple, d’un service minimum à la SNCB! Voilà quelques ingrédients du plat épicé sur la table des négociateurs!

Où est passé l’argent?C’est le titre d’une brochure éditée

en mars 2011 par la FGTB Wallonne. "Modération salariale, austérité, privatisa-tion des services publics, attaques contre la Sécurité sociale… Les travailleurs payent la crise de leur côté. Pourtant, nous vivons dans un pays où les richesses produites par les travailleurs ne cessent d’augmenter(…). En 40 ans, la richesse créée, mesurée par le Produit intérieur brut (PIB) a été doublée. Mais les inégali-tés n’ont jamais été aussi importantes".(3)

Ce n’est pas un scoop, il suffit de consulter les chiffres de la BNB (Banque Nationale de Belgique: les Belges sont, collectivement, les plus riches d’Europe. Leur patrimoine financier (obligations, actions, comptes en banques, assurances-vie…) atteignait 981 milliards d’euros fin juin 2012(4). Quant à la répartition de cette

richesse, c’est une autre histoire: 20% des Belges se partagent plus de 60% du patri-moine (mobilier et immobilier); 10% des ménages possèdent ensemble quelque 44%

de la richesse totale. Philip Vermeulen, économiste à la Banque centrale Europée-nne signale, dans une récente étude, que le 1% des ménages belges les plus riches possède en moyenne 7 millions d’euros. Ensemble, ils détiennent ainsi 17% de la richesse totale du pays.

L’explication: la Belgique reste un paradis fiscal pour les plus riches (secret bancaire, pas de cadastre et pas d’impôt sur la fortune, pas de taxation sur les plus-values sur action, etc.) Et qu’en est-il des entreprises?

Prendre l’argent là où il est!Quelles sont les causes principales

du déficit budgétaire de l’Etat fédéral? Les Belges auraient-ils vécu au-dessous de leurs moyens? Les pouvoirs publics auraient dépensé sans compter?

Les dépenses publiques sont restées stables au cours des trente dernières années(6). L’explosion de la dette pub-lique, ces dernières années, est due au sauvetage des banquiers péculateurs (coût brut: 35 milliards d’euros entre 2009 et

Stop à l’intox, à l’austérité! Répartition des richesses!

Salaires bloqués et explosion des dividendes!

La FGTB de Verviers a mené une "Opération Vérité" sur l’ensemble des entreprises dont le siège social se trouve en Belgique. En épluchant les comptes des entreprises déposés à la Banque nationale, comptes se rapportant à l’évolution à la fois des chiffres d’affaires, des profits et celle des dividendes aux actionnaires, pour la période 2009 à 2012, la FGTB Verviers et Communauté germanophone a voulu "mesurer une réalité économique et singulièrement son évolution pour la confronter aux discours dominants sur l’emploi, sur les salaires, sur la compétitivité. L’expérience nous enseigne qu’il y a, dans le chef d’un certain nombre

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2013). Egalement au manque à gagner, pour le budget fédéral, dû aux différentes réformes fiscales, multipliant les cadeaux aux grandes entreprises, avec des déduc-tions fiscales frisant le 0% d’impôts! Ce qui explique l’engrenage de la dette, l’Etat étant contraint d’emprunter aux grandes institutions financières privées belges ou étrangères et leurs… actionnaires (coup double: cadeaux et pactole lié au rem-boursement du service de la dette, quelque 45 milliards d’euros chaque année, 13 milliards d’intérêts et le solde en rem-

boursement du capital!)(7) Sans oublier les milliards d’euros de réductions des cotisations patronales à la sécurité sociale, qui sont allés directement renflouer les dividendes des actionnaires (coût pour la sécu en 2012: 6 milliards d’euros!).

Une autre répartition des richesses repose sur deux axes essentiels, avancés, non seulement par les organisations poli-tiques de la gauche radicale, mais aussi par le mouvement syndical et bon nombre d’organisations sociales.

La justice fiscale!Où trouver les 17 à 20 milliards

d’euros pour résoudre le déficit budgétaire? Les alternatives aux mesures d’austérité existent! "En Belgique, une imposition des revenus mobiliers et immobiliers, similaire à ce qui existe pour la taxation des reve-nus du travail, engendrerait des recettes supplémentaires à hauteur de 8 milliards d’euros pour l’Etat. La seule réinstauration des tranches d’impôt sur les personnes physiques (IPP) à 52,5%, 55% et 65%, selon les tranches de revenus (progres-

sivité de l’impôt) rapporterait 615 millions d’euros supplémentaires pour les finances publiques. Une cotisation exceptionnelle de crise (donc un one shot!) sur le patri-moine pourrait, à elle seule, rapporter 10 milliards d’euros. La suppression des inté-rêts notionnels (3,5 milliards d’euros), la lutte contre la fraude fiscale (4 milliards d’euros) et la taxation des plus-values sur action (4 milliards d’euros) sont autant de mesures qui devraient permettre de rétablir l’équilibre dans la répartition des richesses entre le capital et le travail". (8)

Les salaires La prise de position de la FGTB wal-

lonne, lors de son congrès statutaire de mai 2012, reste d’actualité: "Nous réclamons que le niveau des profits non réinvestis chaque année par les entreprises soit rendu public et le droit, pour les organisa-tions syndicales, de négocier un plafond de rétribution des actionnaires. Il s’agit, pour les travailleurs, de récupérer la part des richesses qui a sur-rétribué les actionnaires pour financer l’augmentation des salaires bruts, financer la réduction collective du temps de travail, le rattrapage et la liaison au bien-être des allocations sociales"(9). Soit dit en passant, relever les salaires en faisant baisser la part des dividendes chez les actionnaires rentiers et spéculateurs ne pèserait ni sur l’investissement, ni sur la compétitivité.

Alors, il est grand temps de passer de la défensive (stop aux mesures d’austérité) à l’offensive sur un programme d’urgence sociale! ■

(1) Di Rupo: "On doit dire la vérité aux gens, il faut de la rigueur", Le Soir, 11 mars 2011.

(2) Daniel Tanuro: "Face au gouvernement de droite, continuer la lutte pour une alternative anticapitaliste", www.lcr-lagauche.org

(3) FGTB Wallonne: "Où est passé l’argent? www.danslapochedesactionnaires.be"

(4) Le Soir, 17/01/2013.

(5) Journal Le Jour, Verviers, 27/04/2012.

(6) Olivier Bonfond, Et si on arrêtait de payer?,  Ed. Aden/CADTM/CEPAG, 2012.

(7) Mémorandum de l’audit citoyen de la dette (ACIDe), Briser le cercle vicieux de la dette et de l’austérité, avril 2014, www.auditcitoyen.be

(8) Campagne A qui profite la dette?, CADTM/CEPAG/FGTB Wallonne et Bruxelloise. www.onveutsavoir.be

(9) FGTB Wallonne, Les solidarités, moteur de développement. Orientations, Congrès statutaire 11 et 12 mai 2010, Namur, p.40.

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de "responsables", une propension à la culpabilisation des travailleurs accusés de ne pas chercher du travail, de ne pas en trouver, de coûter trop cher, etc." (texte de la conférence de presse de la FGTB de Verviers, 22 avril 2014).

Pour l’année 2012, le chiffre d’affaires total réalisé par l’ensemble des entreprises s’élève à 786 milliards d’euros: 44,4% réal-isé en Flandre, 30,1% à Bruxelles et 25,5% en Wallonie. Ce chiffre traduit une évolu-tion de 21% du chiffre d’affaires depuis 2009. Les bénéfices de l’exercice s’élèvent à 59 milliards d’euros: ces chiffres expriment un recul de 7,3% par rapport à 2009. Mais, les dividendes s’élevaient à 45,3 milliards d’euros, soit une progression par rapport à 2009 de…13,7%. Les chiffres d’affaires

des entreprises implantées en Wallonie ont augmenté de 17,8%, entre 2009 et 2012; les profits ont crû de 3,5% et les dividendes de 30%!

Ayant procédé à la même étude pour la région de Verviers, la FGTB a montré que la progression des dividendes y a été encore plus spectaculaire: entre 2009 et 2012, elle est passée de 205 millions d’euros à 509 millions, soit une progression de 148%. Sur la même période, le pouvoir d’achat des travailleurs de l’arrondissement de Verviers a régressé en moyenne de 0,36%.

Et que font les actionnaires avec cet argent? Dans sa brochure, la FGTB wallonne répond: "Des investissements dans l’économie? Non! Des emplois? Non! Des salaires? Non! De la spéculation

financière? Oui!"Ce qui fait dire à Daniel Richard,

secrétaire interprofessionnel de la FGTB de Verviers: "Le gouvernement, suivi par le patronat, nous bassine les oreilles en affir-mant que pour une meilleure compétitivité de nos entreprises, tout le monde doit se serrer la ceinture, ce qui explique selon lui les mesures de modération salariale. C’est un discours d’escrocs, de l’arnaque. La compétitivité, ce sont les travailleurs qui la payent, en augmentant la productivité et à travers les pertes d’emploi, alors que les actionnaires en touchent le bénéfice".(5) ■

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✒ par Guy Van Sinoy

Quatre hooligans s’apprêtent à piller les caisses de notre sécurité sociale. Ils sont bien connus des services de police car il s’agit des quatre présidents de partis occupés à mettre sur pied le prochain gouvernement kamikaze fédéral: Charles Michel (MR), Bart De Wever (N-VA), Gwendolyn Rutten (Open VLD) et Wouter Beke (CD&V). Si un voyou tentait de dérober votre portefeuille, vous ne réagiriez pas? Alors qu’attendez-vous pour réagir contre le pillage des caisses de votre sécurité sociale? Car il y a beaucoup plus d’argent dans les caisses de la sécu que dans votre portefeuille...

Un feu d’artifice ultra-libéralLa note de 170 pages que les

formateurs Kris Peeters (CD&V) et Charles Michel (MR) ont remis aux négociateurs des quatre partis en vue d’une coalition kamikaze est un véritable festival ultra-libéral. Elle recommande notamment: un blocage des salaires, la réduction de la durée des préavis, la pension anticipée après 45 ans de travail (au lieu de 40 ans), la non assimilation des crédits-temps non motivés (ex: le 4/5e temps) pour le calcul de la pension, l’instauration d’un service minimum en cas de grève dans les transports en commun, etc. Bien entendu on ne touche pas aux intérêts notionnels.

La Libre du 22 août 2014 écrit que cette note est "volontairement consensuelle" mais aussi que certains documents du MR veulent aller plus loin: "enquête sur les revenus des chômeurs", suppression du complément d’ancienneté, limitation à trois ans des allocations d’insertion, limitation dans le temps du chômage temporaire, relèvement de l’âge de la prépension de 60 à 62 ans, introduction d’une dégressivité des prépensions, allongement du stage d’attente et même suppression du paiement des allocations de chômage par les organisations syndicales! A quoi rime cette nouvelle chasse aux chômeurs puisqu’il n’y a de toute façon pas d’emploi pour chacun?

Faire pression sur les salairesContrairement à ce que beaucoup

croient, les allocations de chômage ne représentent que moins de 10% des dépenses de sécurité sociale [voir tableau]. La chasse aux chômeurs ne vise pas donc à faire baisser drastiquement les dépenses sociales (d’autant plus qu’une partie des exclus du chômage iront vers les CPAS dont le montant des subventions devra augmenter). Elle vise avant tout à jeter sur le marché du travail des chômeurs privés de ressources et prêts à accepter n’importe quel emploi à n’importe quelle condition. Autrement dit, cette chasse aux chômeurs vise à faire pression sur les salaires en vue de les tirer vers le bas.

On comprend que Pieter Timmermans, patron de la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB) jubile et félicite le MR (L’Écho, 16/08/2014). Il en rajoute même en plaidant pour un nouveau saut d’index! (La Libre, 29/08/2014). D’une manière générale dans le monde patronal, depuis l’annonce d’un probable gouvernement kamikaze, des djihadistes ultra-libéraux piaffent d’impatience pour appliquer à la louche des mesures de régression sociale. Robert de Mûlenaere, patron de la Confédération de la construction affirme: "Il faudrait revenir à la semaine des 40 heures" (L’Écho, 01/08/2014). Denis Pennel, directeur général de la Confédération internationale des services privés pour l’emploi estime que "le contrat à durée déterminée n’est plus adapté à son temps" (La Libre, 29/07/20114).

En un coup d’œil sur les statistiques des dépenses de sécurité sociale, on voit que les dépenses de chômage constituent moins de 10% de l’ensemble, que les pensions et les soins de santé représentent ensemble plus de 75%. Autrement dit, si quatre malfrats puisent dans la caisse de la sécu, qui paiera votre pension quand vous serez âgé et vos soins de santé quand vous serez hospitalisé?

Derrière le rideau de fumée provoqué par le feu d’artifice ultra-libéral de la Bande des Quatre, le principal danger est une baisse drastique et linéaire des cotisations patronales à la sécurité sociale. D’abord parce que les ultra-libéraux ont beau faire de la musculation en salle; ils ne seront pas en mesure d’imposer en bloc leur catalogue de mesures d’austérité sous peine de voir bientôt deux millions et demi de syndiqués dans la rue. Ensuite parce qu’après avoir suscité l’inquiétude avec une batterie de mesures tapageuses (ex: "l’enquête sur les revenus des chômeurs") une nouvelle baisse des cotisations patronales à la sécurité sociale passera relativement inaperçue car elle ne touche pas le salaire-poche. Et pourtant, c’est du salaire!

Les cotisations à la sécu, c’est du salaire!

Il est bon de rappeler que les caisses de la sécurité sociales sont alimentées principalement et avant tout par les cotisations sociales (retenue de cotisation sociale sur le salaire brut des salarié.es + cotisation patronale). Les cotisations

Grand banditisme: main basse sur la sécurité sociale...

Dépenses de sécurité sociale en 2012 (Rapport du SPF Sécurité sociale)

Soins de santé 25.000.000.000 €

Incapacité de travail (maladie, invalidité,

accident du travail, maladie professionnelle, handicap) 3.800.000.000 €

Indemnités de chômage 6.200.000.000 €

Pensions (de retraite, de survie, pécule de vacances, Grapa) 29.961.000.000 €

Allocations familiales 6.040.000.000 €

Subventions aux CPAS pour l’aide et l’intégration sociale 1.157.000.000 €

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patronales représentent donc une part du salaire dû à chaque salarié mais au lieu d’être versée individuellement au salarié à la fin du mois cette cotisation est versée à la sécu. Elle permet de payer une indemnité à celles et ceux qui ne sont pas ou plus en état de travailler (chômeurs, malades, invalides, pensionnés) et aussi d’assurer une couverture des dépenses sociales (soins de santé, allocations familiales).

Il s’agit donc d’un véritable salaire indirect versé par chaque employeur à la collectivité du monde du travail. Les cotisations patronales à la sécu c’est donc du salaire. C’est pourquoi la gestion des caisses de sécurité sociale devrait être du seul ressort exclusif des organisations du mouvement ouvrier (syndicats, mutuelles) au lieu d’une gestion aujourd’hui tripartite (patronat / mouvement ouvrier / pouvoirs publics). Historiquement c’est le mouvement ouvrier qui a initié les embryons de cette protection sociale sous la forme de "caisses de secours" avant que les négociations entre patrons et syndicats ne débouchent sur la création de la sécurité sociale après la Deuxième Guerre mondiale.

Quand le patronat manipule le vocabulaire

Les charges sociales ça n’existe pas dans les textes de lois! Il s’agit de cotisa-tions à la sécurité sociale. Pour faire avaler plus facilement la baisse des cotisations patronales (c’est-à-dire pour voler une partie de notre salaire!) le monde patronal a inventé le concept de "charges" sociales. Car une charge c’est quelque chose de pénible qu’il faut porter et qui entrave votre marche. Alors pourquoi vous encombrer d’une charge? Il s’agit donc d’une perver-sion du langage par le monde patronal qui vise à donner une connotation négative à un pilier fondamental du financement de la sécurité sociale. A l’inverse, le patronat s’est appliqué à donner au mot "collabo-rateur" une connotation positive alors que dans les années quarante cela désignait ceux qui collaboraient avec les nazis.

Une baisse linéaire des cotisations patronales? Pas question!

Les gouvernements successifs ont accordé à plusieurs reprises des baisses de cotisations patronales sous prétexte de créer de l’emploi pour des "groupes cibles": travailleurs âgés, demandeurs d’emploi de longue durée, premiers engagements, jeunes travailleurs, bas salaires, salaires élevés, travailleurs qui bénéficient d’une réduction collective du temps de travail ou

de la semaine de quatre jours (coût: plus de 4 milliards € par an). Mais dans les faits aucun employeur n’a jamais engagé un salarié s’il n’en a pas besoin. Autrement dit ces baisses de cotisations patronales n’ont pas créé d’emplois mais ont contribué à favoriser une tournante des contrats: pour continuer à bénéficier des réductions de cotis, l’employeur ne renouvelle pas le contrat du travailleur ouvrant le droit au bonus cotisations sociales et en engage un autre pour continuer le même bonus.

Les négociateurs en vue de former le gouvernement kamikaze ont maintenant dans leur dossier une proposition de baisse linéaire et généralisée des cotisations patronales de 33% (théorique car il y a déjà de nombreuses exceptions) à 25%. Coût: 2 milliards € par an (en plus des 4 milliards annuels déjà octroyés). Jusqu’à présent l’octroi de baisses de cotisations patronales était conditionné à la mise au travail de groupes cibles. Mais le projet de baisse linéaire des cotis patronales (de 33% à 25%) n’est soumis à aucune obligation d’embauche! C’est un peu comme si les quatre présidents de partis candidats au kamikaze s’installaient devant un Bancontact et distribuaient l’argent de la sécu aux patrons faisant la file.

Appel pour une action en justice contre ceux qui dilapident le patrimoine de la sécu

Le monde du travail ne peut pas laisser passer une telle attaque sournoise (car peu visible) contre la sécurité sociale. La première forme d’action pourrait être le lancement, par des syndicalistes, d’un appel (sous la forme d’une pétition nationale) adressé aux responsables du mouvement ouvrier (syndicats, mutuelles) pour porter plainte en justice pour abus de biens sociaux contre les auteurs du projet de loi (s’il arrive au stade de projet) d’instaurer une baisse linéaire des cotisations patronales à la sécu. Car, répétons-le, il s’agit d’un vol: il s’agit de distribuer au patronat les fonds destinés à payer principalement les dépenses de santé et les pensions.

Une pétition nationale (et même une plainte en justice) permettront-elles d’arrêter les ultra-libéraux? Probablement pas. Mais une telle action aurait l’immense mérite de faire sortir de la pénombre les nouvelles tractations de démantèlement de la sécu et de focaliser l’attention sur ce hold-up. C’est alors en pleine connaissance de cause que nous pourrons mener le combat contre les pilleurs de notre sécu. ■

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✒ propos recueillis par Guy Van Sinoy et Neal Michels

La Gauche a rencontré Delphine Latawiec, secrétaire nationale CNE et responsable du secteur commerce, pour évoquer la situation sociale chez Delhaize où la direction a annoncé, peu avant l’été, son intention de supprimer 2.500 emplois (790 emplois en fermant 14 magasins, 1.600 dans les autres magasins, et 50 emplois dans les services centraux) et de revoir la politique salariale vers plus de flexibilité. Spontanément le personnel était parti en grève pendant plusieurs jours dans un certain nombre de magasins. Les négociations doivent s’ouvrir après l’été.

L’annonce de la restructuration importante est-elle une surprise totale ou bien était-ce dans l’air depuis quelque temps?

Syndicalement je ne suis le dossier Delhaize que depuis une année. Dès les premières réunions auxquelles j’ai par-ticipé, la direction Delhaize se plaignait qu’il y avait un problème de coût salarial, qu’il fallait peut-être revoir certaines con-ventions collectives.

Pour la direction, est-ce que ces 2.500 emplois sont un objectif à atteindre absolument ou est-ce un chiffre avancé pour se donner une marge de manœuvre dans les négociations avec les syndicats?

On ne s'attendait pas à un tel car-nage. Je peux me tromper mais j’ai un peu l’impression qu’ils ont annoncé un chiffre aussi élevé pour créer un choc. Et probablement tenter de réviser à la baisse les conditions de travail en échange d’un certain nombre d’emplois qui seraient "sauvés" sur les 2.500 annoncés. S'ils procédaient réellement à un nombre aussi élevé de licenciements, il est diffi-cile de concevoir comment des magasins pourraient continuer à fonctionner. Il est probable que Delhaize compte réengager d'autres personnes, mais avec des nou-veaux contrats plus précaires et flexibles.

A l’annonce de la restructuration, beaucoup de travailleurs ont réagi vite. Et pas nécessairement dans les magasins menacés de fermeture. Car il y a depuis des mois et des mois beaucoup de tensions dans les Delhaize. On mettait des notes aux dossiers pour n’importe quoi, on voyait qu’il y avait de moins en moins de person-nel. On sentait que cela allait exploser.

Cette réaction massive du personnel a été quelque chose d’inédit car malgré une tradition syndicale, il n’y a pas une longue tradition de grève chez Delhaize. Les responsables syndicaux et les délégués ont donc été favorablement surpris de l’ampleur des actions qui ont éclaté et qui ont duré plusieurs jours dans un certain nombre de magasins.

C’est maintenant à l’automne que la bataille va se jouer?

A l’annonce du plan de restructura-tion, en juin, le personnel était vraiment en colère et déterminé. On verra maintenant, après la période de congés, l’état d’esprit exact des travailleurs. Beaucoup estiment sans doute que Delhaize ne sera désormais plus comme avant. Mais surtout, nous ne connaissons pas encore le mode opération-nel de la restructuration. Jusqu'ici, dans les réunions avec la direction nous n'avons entendu qu'une langue de bois. Il faudra attendre le Conseil d'entreprise (CE) du 8 septembre pour en savoir plus.

Le personnel de Delhaize dépend de la commission paritaire (CP) 202. Est-il techniquement possible qu’à l’issue d’une négociation le personnel soit rétrogradé dans une commission paritaire plus défavorable?

Non mais il faut savoir que les conventions collectives conclues en com-missions paritaires sont un minimum. Et chez Delhaize on a pu obtenir au fil du temps des conditions qui allaient au-delà de ce qui est prévu en commission paritaire: des quarts d’heure payés, des barèmes propres à l’entreprise. La direction voudra sans doute profiter du désarroi pro-voqué par la restructuration pour remettre en cause pas mal "d’acquis maison". Par exemple, la flexibilité des horaires des anciens et tout ce qui dépasse seront des primes au mérite liées aux objectifs.

Delhaize: la bataille ne fait que commencer

CP 201 CP 202.01 CP 311 CP 202 CP 312Qui? Magasins de moins

de 20 travailleurs ou non alimentaire de 20 à 50 travailleurs

Commerce alimentaire de 20 à 50 travailleurs

Commerce non alimentaire de plus de 50 travailleurs

Commerce alimentaire à succursales multiples de plus de 25 travailleurs

Carrefour Hyper Cora Hema

Temps plein 38h 36h30 35h 35h 35h

Enseignes Franchisés, indépendants

Franchisés H&M, Décathlon, Ikea, Plan-it, Trafic

Delhaize, Aldi, Colruyt

Contrats minimaux 13h 15h 18h 20h 18h

Prestation journalière 3h minimum 3h minimum 4h minimum après 5 ans d'ancienneté

4h minimum après 5 ans d'ancienneté

4h minimum après 5 ans d'ancienneté

Horaire en 4 jours? Non Non Oui si contrat < 23h Oui si contrat < 23h Oui si contrat < 23h

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Pour beaucoup de consommateurs Carrefour et Delhaize sont les deux grandes enseignes en Belgique. Ces deux chaînes de magasins appartiennent pourtant à des commissions paritaires différentes: la CP 312 pour Carrefour, la CP 202 pour Delhaize. La condition du personnel est-elle meilleure en CP 312?

Carrefour et Cora sont des hyper-marchés qui appartiennent à la CP 312. Historiquement c’était la commission paritaire des grands magasins où les con-ditions de travail étaient les meilleures. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La comparai-son est difficile à faire: ici on a une prime, ailleurs on a un quart d’heure de repos payé. Mais on constate que les conditions sont parfois plus favorables chez Delhaize ou chez Aldi en fonction des conventions d’entreprises.

Cette fragmentation dans des commissions paritaires différentes n’est-elle pas un frein à la solidarité et à une action collective de tout le secteur commerce?

C’est un problème récurrent. En novembre 2008, Carrefour voulait ouvrir un hypermarché en franchise à Bruges.

Ce qu’il a fait en fin de compte mais avec des conventions pour lesquelles nous nous sommes battus. A l’époque, la question de l’harmonisation des conditions de travail dans les différentes commissions paritaires du secteur est venue sur la table. Le problème est que chacun a sa vision de l’harmonisation: les syndicats veulent tirer les conditions de travail vers le haut, les patrons vers le bas, du style 201 (commerce de détail). Toutefois lorsque l’on négocie un accord national pour le secteur, les trois grandes commissions du secteur (312, 202, 311) négocient ensemble. Par contre, les commissions 202.1 et 201 ont chacune un accord distinct.

Quel pourcentage du personnel travaille à temps partiel?

Quand on pose la question à la direc-tion de Delhaize, elle répond: "moitié, moitié". Sauf que les cadres font tous temps plein. En magasin, (rayons, caisses) les temps partiels sont majoritaires.

Les négociations avec la direction de Delhaize vont bientôt reprendre?

Je pense que ces négociations vont durer quelques mois. Nous avons reçu de la direction un long document et la discussion de ce document va probablement occuper plusieurs réunions car les questions sont nombreuses et les

réponses parfois peu précises. Nous ne voulons pas commencer les négociations sur le plan social. Nous souhaitons d’abord envisager toutes les possibilités pour chercher d’autres pistes. Et là nous aurons besoin du rapport de forces.

Je dois dire qu’en juin, c’était très encourageant de voir les magasins débrayer les uns après les autres, de voir aussi des comités de quartier organiser des actions de solidarité mais chacun y allait de son action, bien souvent sans concertation. Il sera important, dès que la mobilisation reprendra, d’organiser des réunions de coordination avec les comités de quartier ou de clients. Un collègue me rappelait il y a peu que dans une autre enseigne, par exemple, les travailleurs en lutte avaient demandé aux clients de ne pas venir faire leurs courses le vendredi. Cela désorganise complètement le travail car les produits frais (ex: le poisson) ne pourront être vendu les jours suivants.

Comment la direction a-t-elle perçu les actions de grève de juin?

Je pense qu’elle a pris, pour la pre-mière fois, la mesure du mécontentement et qu’elle a compris que la restructuration ne passera pas comme une lettre à la poste. D’autant plus que la direction a constaté que dans certains magasins nous avons dû persuader les travailleurs de suspendre la grève en attendant la vraie bataille à la rentrée. Delhaize espère certainement terminer le conflit avant décembre qui est le mois où le chiffre d’affaires est le plus élevé dans l’ensemble du secteur. ■

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wE R R A T U M Dans l ’ a r t i c l e d e D e n i s Horman, "Les candidat-e-s LCR/SAP sur les listes PTB-PVDA-GO!: des voix qui ne sont pas tombées du ciel", paru dans La Gauche n°68, nous avons oublié de men-tionner les résultats de la camarade Michèle Dehaen, ancienne déléguée principale CGSP des hôpitaux Iris à Bruxelles, candidate d’ouverture sur la liste PTB-PVDA-GO! au parlement bruxellois qui, bien qu’étant placée en 66e position (sur 72!) sur la liste, a obtenu 313 voix de préférence. Bravo pour ce résultat et toutes nos excuses pour l’oubli! –La rédaction

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✒ par Farid Khalmat

La FGTB tiendra son congrès en octobre(1). La période préparatoire se déroule donc en simultané avec la mise en place, lentement mais sûrement, d’un gouvernement "des droites". Celui-ci ne fait pas mystère de ses intentions d’imposer des mesures d’austérité drastiques aux travailleurs et aux allocataires sociaux. Pour faire taire les réactions que cela engendrera, il doit donc attaquer de front les organisations syndicales, ou au minimum essayer de les museler.

Pendant ce temps là...Malgré cela, on n’entend peu de

réactions syndicales. Dans les instances, ce sont les discussions sur les "successions" qui occupent l’essentiel des réunions. Et dans les coulisses, les conciliabules vont bon train depuis l’annonce officielle de la décision de sa secrétaire générale, Anne Demelenne, de ne pas demander le renouvellent de son mandat en octobre. Mais cela faisait plusieurs mois que des noms circulaient pour la remplacer. On a même évoqué des scénarios avec plusieurs arrivées et plusieurs départs. Des "missions exploratoires" de dirigeants de Centrales avaient même testé plusieurs hypothèses de candidatures (notamment en provenance du puissant syndicat des employés - SETCa) mais ne firent pas l’unanimité, loin de là. Un appel aux candidatures était officiellement lancé dans l’organisation.

Le 10 juillet le Bureau de l’Interrégionale wallonne (BIW) "a acté la fin du dépôt des candidatures officielles pour la succession de la Secrétaire générale de la FGTB fédérale et Présidente de la FGTB wallonne, Anne Demelenne". C’est en effet au niveau wallon qu’une première étape doit être franchie: le "parrainage" des candidatures.

Parrainage(s)Anne Demelenne élue du côté franco-

phone, c’est un.e candidat.e francophone qui doit la remplacer au sein du Secré-tariat fédéral pour conserver la parité. Au 10 juillet, trois candidatures étaient

enregistrées(2). Ce qui plaçait les wallons dans une situation "inhabituelle", il est en effet rare que le consensus sur un nom, et les "compensations" qui vont de pair, ne se concrétisent pas avant cette étape.

Fin août, le candidat de la CGSP, Laurent Pirnay, a retiré sa candidature. Pendant les vacances les téléphones ont chauffé, les restaurants discrets ont été le théâtre de plus d’une discussion pour sortir du poto-poto. Les "responsables" ont fait fonctionner les calculettes pour "modéliser" les majorités possibles, mettant "leurs affiliés" dans la balance. Mais aucun de ceux-ci n’a été consulté sur la question. Des "pactes" et des "protocoles spéciaux" sont concoctés entre "sages". Et malheureusement cette ambiance pourrie des guerres de clans, diffuse son venin à tous les étages du syndicat, les lignes politiques s’estompent, chacun se rangeant derrière "l’intérêt" de sa Centrale, sa Régionale.

"Dormeurs, réveillez-vous..."Quant à l’essentiel, se mobiliser

pour contrer les attaques de la droite, on est toujours en attente. Anne Demelenne a bien laissé, en cadeau d’adieu, une interview dans Le Soir(3) où elle pose quelques balises que le futur gouvernement ne devrait pas dépasser, mais on est loin d’un plan de bataille. Si le gouvernement de droite durcit encore de plusieurs crans les politiques austéritaires initiées dans les gouvernements précédents avec participation socialiste, la FGTB, tout comme la CSC, semblent se contenter pour l’instant d’une réponse verbale.

C’est qu’aux niveaux wallon et communautaire, le PS est aux affaires et prend lui aussi des mesures d’austérité et se prépare à gérer au Sud dans les carcans budgétaires que lui imposeront le niveau fédéral et l’Union Européenne. Les sociali-stes sont mal placés pour contester les lignes ultra-libérales qu’ils ont contribué à mettre en place. D’ailleurs certains de leurs responsables le disent en catimini: "Dans les Régions, des réformes du même type sont envisagées. On ne peut pas se permettre de les fusiller au fédéral pour les prendre ensuite à Namur". (4)

Et à ce niveau, les syndicats indiquent même leur satisfaction... Quand Le Soir pose la question: "la déclaration de politique régionale wallonne (DPR) vous satisfait-elle?", à Marc Becker (Secrétaire national et numéro un de la CSC wallonne) il répond sans sourciller: "Il faut chercher loin pour débusquer des mesures qui ne nous agréent pas: un catalogue de bonnes intentions"(5). Le Projet de Rapport d’Orientations pour le congrès de la FGTB wallonne est lui aussi une sorte de "catalogue de bonnes intentions" dans lequel le syndicat "accompagne" le repli wallon et les ruptures de solidarité qui résultent des réformes de l’Etat négociées en début de la précédente législature.

Il est temps que la gauche syndicale affirme ses lignes pour sortir le syndicat de l’impasse où il s’est coincé entre l’absence de perspectives au niveau fédéral, un certain radicalisme verbal sans effets et un réformisme économique inopérant au niveau wallon. ■

1) Ce Congrès se tiendra les 2, 3 et 4 octobre et sera précédé du Congrès de la FGTB wallonne le 18 septembre afin de "parrainer" les candidatures au Secrétariat fédéral.

2) Le communiqué du BIW précise: "Les noms des candidats sont: Estelle Ceulemans, actuelle directrice du service d’études de la FGTB fédérale; Marc Goblet, Président de la Centrale générale de Liège et actuel Président de la FGTB Liège-Huy-Waremme; Laurent Pirnay, actuel Secrétaire général adjoint de la CGSP wallonne. Par ailleurs, Jean-François Tamellini, actuel Secrétaire fédéral francophone et candidat à sa propre succession, n’est pas contesté dans le cadre de sa réélection".

3) Anne Demelenne (FGTB): "La suédoise est un gouvernement plus à droite que centre-droit" – Le Soir, 23 août 2014.

4) "Suédoise: pourquoi le PS se tait" – Le Soir, 27 août 2014.

5) "Des émeutes pourraient éclater" – Le Soir, 28 août 2014.

FGTB: pactes et conciliabules vont bon train

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II supplément à la gauche #69 septembre-octobre 2014

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✒ par la Direction Nationale de la LCR-SAP, le 24 août 2014

1. Comment la LCR apprécie-t-elle le résultat des listes PTB-GO lors des élections du 25 mai 2014? Que signifie ce résultat, comparé à ceux d’autres élections dans le passé?

Le seuil de l’éligibilité au parlement fédéral belge se situe à 5% et les circon-scriptions ont été élargies au niveau provincial. Les seuils pour accéder aux parlements régionaux sont parfois plus élevés (sauf où un dispositif particulier permet le groupement technique de listes

pour contourner le seuil de 5%). Cela rend l’élection d’un.e premier.e parlementaire plus difficile que dans d’autres pays et con-tribue à expliquer que la Belgique était un des seuls pays européens sans élu-e de la gauche radicale.

Depuis le tournant néolibéral du début des années 1980, en dépit de nom-

breuses luttes sociales contre l’austérité (cogérée par le PS et Ecolo), aucune liste ou organisation à gauche du PS n’a approché de près ou de loin le seuil de l’éligibilité. Les résultats de la gauche oscillaient entre 0,5 et 2%. Lors des élec-tions européennes de 1994, par exemple, la liste Gauches Unies (LCR, PC et indépen-dants) recueillait 1,7% et le PTB 1%.

On a senti un frémissement lors des élections fédérales de 2010. C’est alors que le PTB a pris la première place. Du côté francophone, il recueillait 2,07% des voix et la liste Front des Gauches 1,15% (LCR, PC, PSL et indépendants). Mais le changement qualitatif s’est produit deux ans plus tard. Lors des élections communales d’octobre 2012, en effet, le PTB est passé de 15 à 47 élus communaux, avec des scores qui le plaçaient au niveau des partis établis dans les grandes villes et dans certaines communes ouvrières, en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles. Dès lors, une percée centrale au niveau des parlements devenait possible.

Cette percée s’est produite le 25 mai dernier, lors des élections simultanées pour le parlement fédéral, les parlements régionaux et le parlement européen. Deux candidats du PTB entrent à la Chambre, deux au parlement wallon et quatre au parlement bruxellois. Tou.te.s ont été élu.e.s sur des listes PTB-GO! (Gauche d’Ouverture) en Wallonie, et sur une liste bilingue PTB-PVDA-GO! à Bruxelles. Ces listes rassemblaient autour du PTB des personnalités indépendantes, la LCR et le PC. Elles bénéficiaient en outre de la sympathie, voire du soutien, de secteurs syndicaux.

Du côté flamand, le PTB a jugé qu’il n’y avait pas de partenaires pour une ouverture du même type. Son résultat à Anvers est excellent (4,52%, plus de 8% dans la ville), mais il ne décroche pas le siège de député qu’il espérait pour Peter Mertens, son président national. Au-delà de cette déception, il reste que la Belgique n’est plus une exception en Europe: la gauche radicale est entrée dans les assemblées élues.

2. Comment expliquer le déblocage des possibilités électorales pour la gauche radicale?

La raison principale du blocage résidait dans le fait que la social-démocratie a longtemps conservé une réelle base sociale populaire. En Flandre, la plus grande partie de cette base a quitté la social-démocratie il y a plusieurs années, mais pour aller vers l’extrême-droite, puis vers les nationalistes. Le champ politique est tellement dominé par la droite que le vote "utile" pour les socialistes (et surtout pour les Verts, qui sont dans l’opposition à tous les niveaux) apparaît comme un moindre mal. Cette situation se répercute dans la partie francophone où le PS (et les Verts) sont majoritaires et appliquent la politique néolibérale, mais en se présentant malgré tout comme le rempart contre la droite et contre "les Flamands" ("Sans nous ce serait pire"). Pendant près de 30 ans, la social-démocratie a ainsi pu garder le monopole électoral de la gauche, malgré le fait qu’elle menait au gouvernement une politique de droite et que certains de ses dirigeants étaient éclaboussés par des scandales de corruption.

Ce mécanisme a commencé à se fissurer après la longue crise politique consécutive aux élections fédérales de 2010. Au terme de celle-ci, en effet, le président du PS a enfin pu concrétiser son ambition de devenir premier ministre. Le fait que son gouvernement fédéral n’avait pas de majorité en Flandre, et était atta-qué par les libéraux nationalistes de la NVA (qui avaient percé comme premier parti) a conduit Di Rupo à appliquer la politique néolibérale avec un zèle tout particulier. De janvier 2012 à mai 2014, il a imposé une "thérapie du choc" dans l’espoir de permettre à la droite classique flamande (CD&V, Open VLD) et au Sp.a de regagner une majorité contre la NVA. Son calcul était que le PS aurait ainsi toutes les chances de rester au gouvernement.

C’est le monde du travail qui a payé la facture de ce calcul politicien, et elle a été salée. Les syndicats ont été poussés dans le

Et maintenant?La LCR, le PTB, la gauche syndicale et les perspectives après les élections du 25 mai

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IIIsupplément à la gauche #69 septembre-octobre 2014

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coin, les salaires ont été bloqués pour deux ans, la carrière a été allongée, Maggie De Block a eu carte blanche pour serrer la vis aux demandeurs d’asile, aux sans-papiers et aux étrangers, la politique sécuritaire des SAC (Sanctions administratives communales) a été imposée envers et contre tout. Pour boucher le trou creusé par le sauvetage des banques sous le gouvernement Leterme, 22 milliards d’euros d’économies ont été imposés à la hussarde, sur le dos notamment des chômeur.euse.s, des allocataires sociaux et du secteur public.

Cette politique a suscité un mécon-tentement d’autant plus profond qu’elle était menée sous la houlette d’un premier ministre PS. C’est la première raison du déblocage des possibilités électorales pour la gauche, et la plus importante. Au cours de la campagne, sur le terrain, les militant.e.s s’en sont rendu compte: une partie de la base sociale traditionnelle du PS a voulu punir celui-ci et exprimer son désir d’une alternative sociale.

La deuxième raison est le ton général de la campagne PTB-GO! (et PVDA+ en Flandre). Le discours tenu, les arguments avancés, les revendications concrètes proposées, la manière de s’exprimer devant la masse des gens: tout cela "collait" assez bien au niveau actuel de radicalisation. Le mérite en revient principalement au PTB, et pas seulement à ses porte-parole. En effet, ce discours et ce ton sont le produit de la centralisation de l’expérience de terrain des membres du PTB dans les quartiers, les entreprises, les associations. Alors que des militant.e.s, dans les années ’90, baissaient les bras devant l’offensive idéologique néolibérale, le PTB a maintenu l’idée de construire un parti pour contester la social-démocratie dans sa propre base sociale populaire, et cette persévérance est aujourd’hui récompensée. Quelles que soient les critiques à faire au programme, à l’idéologie et au fonctionnement du PTB, c’est une leçon pour toute la gauche.

La troisième raison est l’image de rassemblement créée du côté francophone par la "Gauche d’Ouverture" (la LCR, le PC, les personnalités) et ses importants appuis syndicaux. Des années ’70 jusqu’à récemment, toute la gauche belge avait été contaminée peu ou prou par le sectarisme outrancier du PTB, qui est sa principale composante. Grâce au "GO", l’électeur.trice de gauche a eu le sentiment que les vieilles querelles étaient en train d’être dépassées, de sorte que le vote pour les listes PTB-GO! lui permettrait d’exprimer simplement

son adhésion à des mots d’ordre, des principes et des valeurs fondamentaux de toute la (vraie) gauche tels que la justice sociale, la justice fiscale et la solidarité. Malgré ses manques ou ses imperfections, PTB-GO! était la seule réponse à l’appel lancé le premier mai 2012 par la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut, qui demandait un rassemblement anticapitaliste afin de présenter une alternative politique au PS. C’est pourquoi les autres listes de gauche présentes dans ces élections (le MG, VEGA, le front "Gauches Communes" du PSL et du PH) ont été complètement marginalisées.

3. Le succès est-il dû avant tout au rassemblement?

Non, les trois éléments d’explication ont joué et les deux premiers sont décisifs. Mais il est indiscutable que les sond-ages ont décollé tour de suite après la conférence de presse de présentation du "GO", fin janvier. L’impact de cette con-férence de presse a été très important. Les membres du Comité permanent de la FGTB de Charleroi y étaient présents, non pour appuyer le PTB (comme la presse l’a dit), mais pour se féliciter qu’un premier pas soit fait dans le sens de leur appel du premier mai 2012. Cette intervention de Daniel Piron et de ses camarades a eu un poids énorme, non seulement dans les médias mais aussi et surtout à la base, dans les entreprises.

Vu le score atteint en province de Liège, il est fort probable que Raoul Hede-bouw aurait été élu même sur une liste PTB+, sans l’appoint du rassemblement concrétisé dans la "Gauche d’Ouverture". Mais il est certain que, sans la dynamique du "GO", il n’aurait pas été rejoint par Marco Van Hees. En effet, la liste PTB-GO! pour la Chambre dans le Hainaut ne dépasse le seuil d’éligibilité que de 1300 voix environ. Or, les deux candidat.e.s de la LCR amènent 2500 voix à la liste, et celui du PC près de mille en plus. Surtout, c’est dans cette province que la gauche syndi-

cale s’est mouillée le plus explicitement, et elle l’a fait parce qu’il y avait ouverture.

Deux semaines avant le vote, les 150 membres du comité de la MWB Hainaut-Namur (métallos FGTB) votaient une résolution qui se terminait par ces mots: "La gauche au pouvoir à force de composer, s’est décomposée et s’est diluée dans la droite (…). Après une législature marquée par l’austérité et le démantèlement des droits sociaux, il est temps d’amorcer un virage à 180 degrés à gauche: la vraie gauche anticapitaliste porteuse d’espoir pour le monde du travail". Ce texte a été diffusé par de nombreuses délégations d’entreprise (c’est une des causes du score étonnant des listes PTB-GO! en province de Namur: 4,86% !). Dans le Hainaut occidental, les métallos de la FGTB ont carrément porté la campagne PTB-GO!, notamment en organisant le 25 avril un débat public avec Marco Van Hees et Raoul Hedebouw (PTB), Freddy Mathieu (LCR) et François d’Agostino (PC). Un soutien moins visible mais réel a été apporté par d’autres syndicalistes, notamment des militant.e.s de la CNE qui avaient organisé avec la FGTB de Charleroi la réunion pour une alternative anticapitaliste à la Géode, en mars 2013.

4. Le PTB était à l’origine une organisation mao-stalinienne très sectaire, farouchement anti-trotskyste et dirigée de manière autoritaire. Le voici devenu un vrai petit parti politique avec quelques milliers de membres. Mais n’est-il pas en train de suivre la trace du SP des Pays-Bas, qui n’est plus anticapitaliste et participe à des coalitions avec le parti libéral? D’autre part, le "GO" n’a-t-il pas permis au PTB de se dédiaboliser à bon compte, sans rompre explicitement avec son passé?

Le passé du PTB est en effet jalonné de prises de posi t ion ef frayantes : la mobilisation contre "le social-impér ia l i sme sov ié t ique , ennemi principal des peuples"; la dénonciation de Cuba comme "cinquième colonne" de cet "impérialisme"; le soutien aux crimes de Staline, des Khmers rouges, de Karadzic, de Kim Il Sung, etc. Sans compter les zigzags impressionnants sur l’attitude face aux syndicats: né en-dehors du mouvement ouvrier, le PTB à l’origine était violemment antisyndical.

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IV supplément à la gauche #69 septembre-octobre 2014

Et m

aint

enan

t?Mais le PTB vient du mao-stalinisme,

ce qui n’est pas tout à fait la même chose que le stalinisme proprement dit. La référence maoïste explique notamment l’attachement du PTB au travail de masse dans les couches populaires (par le biais des maisons médicales où les patients sont soignés gratuitement grâce à un système d’abonnement) et sa capacité à mener des enquêtes pour "rectifier" ses erreurs.

Au début des années 2000, constatant qu’elle ne perçait pas électoralement en dépit des succès de ses campagnes et de ses "médecins du peuple", notamment, la direction du PTB a mené une enquête qui l’a conduite à rectifier son image pour la rendre moins sectaire et moins "extrémiste". En même temps, la secrétaire générale a impulsé une tentative de percer par le biais de listes pilotées par le PTB mais élargies et qui ne portaient plus le sigle du parti. Lors des élections de 2003, une liste "Resist" a ainsi été déposée en alliance avec la Ligue arabe européenne. Comme ce fut un échec cinglant, un conflit aigu éclata entre la secrétaire générale et le président-fondateur, Ludo Martens. La première fut écartée mais le second tomba gravement malade, puis mourut.

Les cadres du parti ont alors élaboré une nouvelle orientation. Adoptée en 2008, elle est portée en grande partie par une nouvelle génération, dont plusieurs figures sont des enfants de cadres histo-riques du PTB. Les éléments clés en sont le maintien d’une image non sectaire et non extrémiste, axée sur des revendica-tions immédiates très concrètes, un gros effort de communication pour profiler le PTB en tant que tel dans les médias (la parenthèse des listes "Resist" et autres est refermée), une pratique "unitaire" dans les mouvements sociaux, l’absence de toute critique publique des grandes organ-isations (notamment des bureaucraties syndicales) et une grande prudence dans la propagande de masse face aux "ques-tions qui fâchent" (racisme, immigration, sans-papiers, homosexualité, etc.) – ce qui ne signifie pas que le PTB se taise sur ces questions ou soit absent des mobilisations.

Cette transformation a permis au PTB de recruter de plus en plus largement des affilié.e.s et des militant.e.s, qui ont eux et elles-mêmes renforcé les campagnes de masse (pour la baisse de la TVA sur l’énergie, par exemple). Celles-ci se sont appuyées sur le travail d’un bureau d’étude efficace, l’attention des grands médias a été attirée, et la percée politique s’est amorcée.

Au cours de la campagne, certains ont reproché à la LCR de "se coucher devant le PTB" et de participer à une "aventure post-stalinienne". Plutôt que de mener campagne avec le PTB, on nous a exhortés à construire quelque chose comme le Syriza grec ou le Bloc de Gauche portugais. Or, Syriza est une création du Synaspismos, l’aile eurocommuniste et droitière du Parti communiste grec: ce mouvement est donc né d’une "aventure poststalinienne". Quant au Bloc de Gauche, sa principale composante à la création était l’UDP maoïste, parti-frère du PTB à l’époque… Soit dit en passant: la plupart des organisations qui viennent du stalinisme ou du mao-stalinisme n’ont jamais fait un bilan en profondeur du stalinisme, des conditions de sa victoire et de ce qu’il aurait fallu faire pour le combattre. Cela ne les a pas empêchées d’évoluer de telle manière que la collaboration devienne possible et même nécessaire.

En réalité, nombreuses parmi les personnes qui ont dénoncé la LCR étaient celles qui pensaient que pas d’élus de gauche valait mieux que des élus du PTB. Certains ont tenté de pousser le PTB à l’écart de la dynamique ouverte par l’appel de la FGTB de Charleroi, et même d’instrumentaliser cet appel pour qu’il serve seulement à regrouper les "antistaliniens" et à les renforcer face au PTB. La LCR a combattu ces idées et ces tentatives. Nous avons estimé au contraire que le PTB nouveau avait un rôle clé à jouer dans la dynamique, et que sa participation était décisive pour que l’appel des syndicalistes de Charleroi débouche sur l’élection de parlementaires à gauche du PS et d’Ecolo.

Cela n’élimine ni nos désaccords avec le PTB, ni les questions que nous nous posons sur sa rupture avec son passé mao-stalinien. Mais les conjonctures changent, les organisations évoluent. La politique n’est pas un jeu de copier-coller atemporel mais une activité concrète basée sur l’analyse des situations concrètes dans leur possible évolution. Il y a des moments où il faut appliquer la maxime de Napoléon: on s’engage et puis on voit… Par conséquent, sans pour autant oublier le passé, nous avons décidé de juger le PTB sur ce qu’il dit et fait aujourd’hui.

Quant au futur, il semble clair que le PTB s’est inspiré de l’expérience de son ancien parti-frère, le SP hollandais. Mais il est trop tôt pour dire qu’il évoluera tout à fait dans le même sens que celui-ci. Le contexte belge est fort différent, du

fait notamment du poids spécifique du mouvement syndical en général, et du mouvement syndical socialiste en particu-lier. D’autres possibilités semblent donc ouvertes, dont certaines pourraient être plus intéressantes pour la gauche. Sur la scène internationale – en Grèce, au Por-tugal, aux Philippines, par exemple – les trajectoires d’autres organisations de la mouvance mao-stalinienne montrent une grande diversité.

5. Maintenant que la LCR ne juge plus le PTB sur son origine idéologique, comment voit-elle les points forts et les points faibles du PTB actuel, y compris de son régime interne?

La réponse découle de ce qui a été dit plus haut. Les points forts: la volonté de construire un parti, plusieurs milliers d’adhérent.e.s, quelques centaines de cadres dévoués, des revendications immé-diates concrètes, un bureau d’études produisant des analyses de qualité, un tra-vail de terrain souvent remarquable (dans les quartiers, les entreprises), une commu-nication efficace, de bons porte-parole, un investissement réel dans les mouvements sociaux, un vrai effort d’appréhension de la question écologique, un discours qui cherche à rassembler sur les valeurs de la gauche… Sur plusieurs de ces points, nous avons beaucoup à apprendre.

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Les points faibles: la relative mise en sourdine du discours socialiste, la sous-estimation des revendications anti-capitalistes pour jeter un pont entre les objectifs immédiats et le changement de société (les 32 heures/semaine ne figu-raient pas au programme électoral du PTB, la nationalisation de tout le secteur finan-cier non plus), le caractère trop timoré de certaines revendications immédiates (1.000 euros/mois minimum, c’est insuf-fisant pour lutter contre la pauvreté) et le suivisme vis-à-vis des bureaucraties syn-dicales. Ce dernier point est clé: le PTB ne semble pas voir qu’il y a un combat entre gauche et droite dans le syndicat. En tout cas, il fait comme si ce combat n’existait pas, comme si le PTB était l’expression politique de tout le mouvement syndical. Selon nous, c’est une erreur.

Un autre point crucial est que le PTB ne semble pas vraiment mesurer l’importance des luttes féministes et LGBT. Cette sous-estimation est apparue clairement dans la campagne, notamment à travers la composition des listes. L’enjeu se situe à plusieurs niveaux. Au niveau des luttes et des programmes, parce que les femmes sont en première ligne des attaques d’austérité. Au niveau des formes d’action, car l’auto-organisation des femmes s’impose pour lutter contre l’oppression spécifique. Au niveau idéologique, parce que la régression sociale va toujours de pair avec la restauration des valeurs réactionnaires. Au niveau du projet de société, enfin, parce que le combat contre l’oppression patriarcale devra se poursuivre dans une société non capitaliste. On sent le PTB réticent sur toutes ces questions qu’il semble percevoir comme des facteurs de division. Et en effet, les luttes des femmes (comme celles des LGBT, mais aussi celles des nationalités opprimées) mettent en cause la vision monolithique du combat de classe, donc aussi la vision monolithique du parti, qui sont deux caractéristiques du stalinisme.

Il s’agit en outre de ne pas oublier les questions internationales. Il en a été peu question pendant la campagne mais elles sont évidemment d’une très grande importance. Bien qu’il ait rompu avec la Corée du Nord, le PTB reste fortement marqué par une vision du monde en noir et blanc, qui consiste à estimer que les ennemis de nos ennemis sont forcément, sinon nos amis, du moins nos alliés. A la LCR, nous pensons que cette vision simpliste ne permet pas de s’orienter correctement. Nous luttons en

priorité contre notre propre impérialisme, mais sans choisir automatiquement de soutenir "le camp" d’en-face. Notre camp, c’est celui des exploité.e.s et des opprimé.e.s. Nous pensons que l’évolution de la situation internationale nous donne raison. On le voit en Ukraine, en Syrie et en Irak, par exemple. Ce n’est pas parce que les USA bombardent l’Etat islamique que la gauche doit se ranger "dans le camp" de l’Etat islamique, qui est une organisation criminelle.

Quant au régime interne du PTB, nous ne tenons pas à nous y immiscer. Nous constatons que le PTB n’est plus une organisation monolithique et que l’ambiance dans ses activités publiques est ouverte et sympathique. Il semble régner une grande liberté de discussion, et même d’action. Mais ces éléments positifs ne sont pas nécessairement incompatibles avec le cloisonnement et le verticalisme.

6. La campagne de la FGTB de Charleroi pour une alternative politique de rassemblement à la gauche du PS a-t-elle joué un rôle pour amener le PTB à accepter la coopération avec deux organisations beaucoup plus petites comme le PC et la LCR/SAP?

Le premier mai 2012, la FGTB de Charleroi (102.000 affilié.e.s) a dénoncé la politique néolibérale de la social-démocratie et appelé à un rassemblement afin de construire une alternative politique anticapitaliste, à gauche du PS et des Verts. C’est un événement historique, sans précédent dans l’histoire de notre mouve-ment ouvrier. Ce n’est pas la première fois qu’un secteur syndical en Belgique rompt avec le PS, mais c’est la première fois que des responsables sortent du "syndicalisme pur" pour agir sur le terrain politique dans l’intérêt de leurs affilié.e.s, tout en mainte-nant leur indépendance syndicale.

La position de Charleroi est intéres-sante car elle renverse les rôles entre le social et le politique, entre les mouvements sociaux et les partis. Pour peu qu’elle s’accompagne d’un combat en faveur de la démocratie syndicale la plus large – et c’est le cas à Charleroi, cette concep-tion nous semble porteuse de pratiques émancipatrices (au sens où Marx disait que "l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes").

Il est important de souligner que la FGTB de Charleroi ne s’est pas contentée d’un "coup de gueule". Ses instances

exécutives ont discuté et adopté deux docu-ments programmatiques qui ont été tirés en brochures à dix mille exemplaires. L’une de ces brochures est une explication pédagogique des raisons pour lesquelles le syndicat devrait agir ouvertement sur le terrain politique, sans renoncer à son indépendance vis-à-vis des partis (cette stratégie est opposée explicitement à celle de "l’aiguillon" sur les "amis politiques"). L’autre est un programme anticapitaliste d’urgence, en dix objectifs.

Sur ces deux documents, la FGTB de Charleroi a organisé, en collaboration avec la CNE, une assemblée ouverte qui a réuni quatre cents militants de tous horizons. De plus, elle a convoqué toutes les organisations politiques qui soutiennent son initiative à se réunir dans un comité de soutien, dont elle a présidé et animé les travaux.

Non seulement le PTB, mais toutes les organisations de gauche ont été mises face à leurs responsabilités. Le mouvement syndical garde un poids considérable dans notre pays, de sorte que l’Appel de la FGTB de Charleroi a suscité partout un espoir et un enthousiasme certain. Celles et ceux qui étaient là le premier mai 2012 ont eu l’impression qu’une brèche s’ouvrait enfin dans le contrôle que la social-démocratie exerce sur le syndicalisme. Celles et ceux qui ont cru pouvoir aller aux élections comme si de rien n’était, en snobant pour ainsi dire la FGTB de Charleroi, ou en voulant dicter eux-mêmes les conditions du rassemblement, ne pouvaient que se casser la figure.

Plutôt que de spéculer sur les débats internes soulevés au sein du PTB par l’initiative des syndicalistes, nous préférons mettre l’accent sur notre bilan en tant que LCR: 1°) nous avons constaté que cet appel allait tout à fait dans le sens de notre "lettre ouverte aux syndicalistes" rendue publique trois mois plus tôt;

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VI supplément à la gauche #69 septembre-octobre 2014

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t?2°) nous avons soutenu immédiatement et de toutes nos forces l’appel des syndicalistes de Charleroi; 3°) nous avons considéré que le PTB était incontournable pour commencer à avancer concrètement dans le sens de cet appel; 4°) les rapports des forces nous ont amenés à conclure à la nécessité d’un rassemblement autour du PTB, dans lequel ce parti jouerait forcément un rôle décisif. Le PTB étant ce qu’il est, nous avons donc écarté toute idée de liste alternative, mais aussi toute idée de cartel avec le PTB ou de liste unitaire sous un nom spécifique. C’est ainsi que nous avons collaboré activement à mettre sur pied ce qui allait devenir "PTB-GO".

Dans la pratique, ce rassemblement sui generis n’a pas toujours été confortable pour la LCR. Le PTB a par exemple imposé un nombre maximum de candidat.es LCR et PC par liste et a décidé seul de leur place. Cependant, les choses se sont en gros bien déroulées. Surtout, l’essentiel à nos yeux était de faire en sorte que l’appel du premier mai 2012 trouve au moins un début de concrétisation, afin que la gauche syndicale sorte renforcée de l’épreuve. La social-démocratie spéculait sur un échec, la droite syndicale aussi. Il est d’une importance stratégique cruciale que ces forces aient été battues et la LCR a pris ses responsabilités pour cela, sans s’effacer pour autant.

7. La LCR/SAP, tout en militant pour le PTB-GO!, avait au sein de cette alliance le droit de faire circuler son propre matériel, de mettre ses accents propres dans la campagne électorale. Quel ont été le profil et l’apport spécifique de la LCR/SAP dans la campagne électorale commune?

En fait, il y a eu fort peu de campagne commune. En particulier, il n’y a pas eu de plateforme commune. Le seul document commun a été l’appel "Il est des rendez-vous à ne pas manquer", lancé par le comité de soutien aux listes PTB-GO. Le programme que le PTB a édité sous le label PTB-GO! n’engageait ni les indépendants, ni la LCR, ni le PC. Cette situation était en partie le résultat du manque de temps, en partie le résultat du fait que le PTB se considérait comme seul dirigeant du GO. C’est le revers de la médaille.

L’autre aspect, c’est que nous avons eu toute liberté de mener notre propre campagne sur notre propre programme, avec notre propre matériel et en appelant

à voter pour nos propres candidat.e.s. Nous l’avons fait dans les deux parties du pays, y compris en Flandre où, quoiqu’il n’y ait pas eu de "GO", nous avons néanmoins présenté des candidat.e.s sur les listes du PTB (PVDA en néerlandais).

Notre profil a été plus radical que celui du PTB: anticapitaliste, féministe, écosocialiste et internationaliste. Nous avons notamment défendu les 32 heures/semaine sans perte de salaire, la nationalisation sans indemnités du secteur bancaire et de l’énergie, défendu un programme féministe conséquent,

etc. Nous n’avons pas agi ainsi dans un esprit de surenchère, mais parce que ce programme radical est objectivement nécessaire pour relever les défis de la période. C’est d’ailleurs aussi ce que dit la FGTB de Charleroi, dont nous avons appuyé explicitement les "10 Objectifs".

Le point fort de notre campagne a été notre meeting à Bruxelles, avec Olivier Besancenot (NPA), Aurélie Decoene (tête de liste PTB à l’Europe), plusieurs personnalités du "GO" et une série de nos candidates et candidats. Il faut préciser que tous les apports de la LCR n’ont pas été visibles: nous avons notamment joué un rôle discret mais considérable pour que le "GO" soit possible, pour amener des personnalités et des syndicalistes à soutenir ce rassemblement.

8. Quel est votre bilan de la campagne électorale et de la coopération au sein de PTB-GO? Avez-vous pu renforcer votre présence publique et médiatique, multiplier vos contacts, tisser des liens de camaraderie avec des militants du PTB et du PC, gagner de nouveaux membres?

En trois mois de campagne, la LCR a été davantage présente dans les médias

qu’au cours des dix années précédentes. Le bilan de ce point de vue-là est très positif.

Nous avons noué des liens de camaraderie avec des membres du PTB, et même avec des responsables de cette organisation. Mais nous n’avons pas pour objectif d’aller à la pêche aux membres dans les rangs du PTB, ni de faire de "l’entrisme" dans cette organisation. Si des membres du PTB veulent venir chez nous, ils et elles sont bienvenu.e.s, mais sur base de l’adhésion à notre programme et à notre stratégie. Etre mécontents de tel ou tel aspect du fonctionnement du PTB n’est pas une raison suffisante.

Dans la gauche en général, on l’a déjà dit, notre décision d’opter pour un rassemblement autour du PTB n’a pas été unanimement appréciée. Certains sont restées très sceptiques, d’autres ont été carrément hostiles. Mais beaucoup de militant.e.s de gauche ont adhéré à notre démarche. S’exprimant sur notre site, une responsable syndicale nous a remerciés de lui offrir la possibilité de voter à la fois selon son cœur et sa raison. Son commentaire résumait bien l’état d’esprit de nombreuses personnes qui ont fait le pas de militer avec la LCR dans cette campagne.

Du fait de la possibilité de décro-cher des élu.e.s, la campagne sortait de la sphère de la propagande pure. Grâce à sa présence dans PTB-GO!, la LCR a participé à un combat social et politique concret. Nous l’avons mené à notre façon, c’est-à-dire à partir de notre ligne – la nécessité d’un nouveau parti de classe – et à partir de notre analyse - sur l’importance majeure de la lutte entre gauche et droite dans le syndicat et de l’engagement de la gauche syndicale dans l’arène politique. C’est une de nos spécificités.

Peu de personnes qui ne nous con-naissaient pas ont pris contact avec nous sur base de notre matériel de propagande. Par contre, des dizaines de personnes qui nous connaissaient ont mené ce combat avec nous et veulent continuer à le mener. Cela nous ouvre des possibilités de ren-forcement, dont certaines se sont déjà concrétisées en nouvelles adhésions.

L’élément de bilan le plus important concerne nos liens avec la gauche syndicale. Au cours de la campagne, nous avons confirmé le statut de la LCR comme une organisation qui prend ses responsabilités dans l’intérêt du renforcement de cette gauche, parce que c’est en dernière instance l’intérêt de toutes les travailleuses, de tous les travailleurs, de tou.te.s les opprimé.e.s. Le fait que nous

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ayons maintenu ce cap, même dans une période électorale, est très apprécié. Des relations de confiance et de collaboration se sont renforcées. Cela ne se mesure pas nécessairement en nombres d’adhérent.e.s, mais c’est décisif pour l’avenir.

9. La coopération avec le PTB se poursuivra-t-elle au niveau du travail extra-parlementaire, des mobilisations, des meetings publics, des débats communs?

Nous plaidons en ce sens, et les personnalités du "GO" également. Le PTB n’y semble pas vraiment opposé, mais met fortement l’accent sur sa propre construction ainsi que sur le front social le plus large dans la lutte contre l’austérité. Nous sommes évidemment pour ce large front social, mais il faut, en même temps, continuer la lutte pour une alternative politique anticapitaliste, dans le sens de l’appel de Charleroi. Pour cela, il faut consolider la Gauche d’Ouverture avec le PTB, montrer ensemble que nous voulons continuer. Certains craignent que le PTB cherche à noyer le poisson, à refermer la porte du rassemblement parce qu’il considère que ses élu.e.s, et les résultats financiers de la victoire électorale, n’appartiennent qu’à lui. On y verra plus clair dans quelques semaines ou mois.

Il est très important que chacun anal-yse soigneusement la nouvelle situation politique. Il est probable que se mette en place un gouvernement fédéral de droite homogène. La social-démocratie tentera de redorer son blason dans l’opposition, en misant sur le fait qu’une partie des électeurs qui l’ont quittée reviendront au bercail du "moindre mal", ce qui pour-rait faire perdre les élus PTB-GO. Au Nord du pays, la social-démocratie est absente de tous les niveaux de pouvoir, les Verts également. Il est clair pour nous que cette situation renforce la nécessité de pour-suivre dans la voie du rassemblement du côté francophone, et incite à ouvrir un débat sur la possibilité d’un rassemble-ment du côté flamand également. C’est d’ailleurs ce que souhaite la gauche syn-dicale: tout au long de la campagne, ses représentants ont déclaré qu’ils ne soute-naient pas le PTB, que PTB-GO! était un premier pas dans le sens de leur appel, et qu’il en faudrait d’autres par la suite.

10. Quelle perspective s’ouvre pour de prochains pas sur le chemin de la construction d’un parti à vocation de masse pour défier la social-démocratie sur

sa gauche et créer un instrument politique capable de défendre les intérêts des salariés et de tous les opprimés?

Les pas en avant dans cette direction dépendront essentiellement du développe-ment de la gauche syndicale, de sa capacité – ou non – de se lier à d’autres mouve-ments sociaux et de la capacité – ou non – des organisations politiques de gauche et des intellectuels indépendants de favoriser ce développement et d’interagir avec lui.

Il y a plusieurs aspects à la question. Un aspect géographique d’abord: l’appel de Charleroi a reçu trop peu de soutien dans d’autres régions, et rien de semblable ne bouge dans le mouvement syndical en Flandre. Un aspect intersyndical en suite: au début, les responsables les plus lucides de la FGTB de Charleroi avaient favorisé les contacts et la collaboration avec des syndicalistes chrétiens de la CSC, notamment ceux de la Centrale nationale des employés (CNE). Ainsi, ils montraient clairement leur volonté de porter un projet pour l’ensemble de la classe ouvrière. Malheureusement, ils ont dû reculer devant les préjugés sectaires et la logique d’appareil de certains de leurs propres collègues. Ces deux dimensions – géographique et intersyndicale – sont liées, en particulier en Flandre où le syndicat chrétien est majoritaire et lié organiquement au parti social-chrétien (CD&V), de sorte que la question du prolongement politique se pose de façon très spécifique.

Mais le développement le plus important concerne l’investissement de la base syndicale. L’appel de la FGTB de Charleroi a été lancé par les instances du syndicat. Il l’a été sur base de nombreuses discussions en assemblées syndicales, où le besoin d’une alternative politique se faisait sentir, et les deux brochures ont été débattues dans des instances comptant de nombreux.ses délégué.e.s d’entreprises. Cependant, le combat a été pris en charge essentiellement par les secrétaires. Parmi ceux-ci, certains ont reculé à l’approche de l’échéance électorale, sans que cette marche arrière réponde nécessairement à une demande de leurs affilié.e.s et de leurs délégué.e.s. D’une manière plus générale, la pression de la droite syndicale bureaucratique est très forte.

Ces difficultés ne peuvent être surmontées que si la base s’organise pour s’emparer de la question stratégique, la lier à ses luttes, et faire en sorte que le

débat ait lieu à tous les étages et dans toutes les centrales professionnelles. La question "Comment élargir la brèche politique ouverte le 25 mai?" (on pourrait même dire: "Comment empêcher que le PS la referme?") se ramène en fin de compte à cette autre: "Comment élargir la gauche syndicale?".

Toute la gauche est interpellée. En particulier le PTB, dont la responsabilité est proportionnelle à sa force. Quelle sera son orientation? D’une part il compte de nombreux syndicalistes combatifs, ce qui le met en mesure de jouer un rôle dirigeant. D’autre part il se présente systématiquement comme le relais politique des syndicats en général et évite toute critique publique des appareils (même quand la répression bureaucratique frappe ses propres membres)… ce qui risque de l’entraîner sur une pente glissante que d’autres ont dévalée avant lui et qui mène à la social-démocratie. Un investissement actif de la base syndicale sera le meilleur moyen de l’encourager à faire le bon choix, ce qui serait dans l'intérêt de toute la gauche anticapitaliste, sociale et politique. ■

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e.r. André Henry, 20 rue Plantin 1070 Bruxelles

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Doel 4: un "sabotage" qui tombe à pic?✒ par Daniel Tanuro

Electrabel a des soucis: ses prix sont trop élevés, ses parts de marché diminu-ent et l’avenir de sa filière nucléaire est menacé. Depuis Fukushima, l’opinion publique est de plus en plus méfiante, voire hostile. La découverte de milliers de "microfissures" dans les cuves des réacteurs de Tihange 2 et de Doel 3 n’a fait qu’exacerber ses craintes. Votée en 2003 sous le gouvernement "arc-en-ciel", la loi Deleuze de sortie du nucléaire en 2025 apparaît comme insuffisante à une frac-tion croissante de la population. A juste titre, si on songe que, suite à la catastro-phe au Japon, le gouvernement d’Angela Merkel a décidé en 2011 que les centrales allemandes seraient mises au rebut au plus tard en 2022.

Dans ce contexte, il ne sera pas facile à Electrabel et à l’Agence Fédérale de Con-trôle du Nucléaire (AFCN) de convaincre l’opinion que la relance des réacteurs est indispensable et ne présente aucun danger. La coalition de droite en formation au niveau fédéral est certes pro-nucléaire, elle appuiera donc la décision. Mais les dirige-ants d’Electrabel savent que l’éventuelle prolongation de la vie des centrales ne serait que du bois de rallonge: le nucléaire est en perte de vitesse partout ; tôt ou tard, un nouvel accident interviendra quelque part sur la planète – peut-être très près de chez nous, qui mettra enfin un point final à l’utilisation de cette technologie d’apprentis sorciers.

L’argument massue d’Electrabel et des pro-nucléaires en général est la sécu-rité de l’approvisionnement en électricité. Selon eux, les sources renouvelables de permettraient pas de la garantir, parce qu’elles sont intermittentes (le vent ne souffle pas en permanence et le soleil ne brille pas tous les jours). On ne pourrait donc pas se passer de leurs bonnes vieilles bécanes atomiques, qui fonctionnent par tout temps.

En réalité, il est techniquement pos-sible d’assurer l’approvisionnement sans recourir ni aux énergies fossiles ni au

nucléaire, en concevant un système éner-gétique moins gaspilleur, plus efficient, plus souple et décentralisé. Mais ce système ne peut pas être mis en œuvre tant qu’on ne décide pas de sortir du nucléaire, qui implique gaspillage, inefficience, rigidité et ultra-centralisation: les deux logiques sont antagonistes.

Le vrai motif d’Electrabel n’est pas la sécurité de l’approvisionnement mais celle des actionnaires.

Les centrales étant amorties depuis belle lurette, l’entreprise empoche, en plus de son profit "normal", un surprofit que la Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz (CREG) estimait en 2011 à deux milliards d’euros par an. C’est la poule aux œufs d’or. Au plus la vie des centrales est prolongée – avec la complicité active du pouvoir politique – au plus elle pond. L’affaire est d’autant plus juteuse que le produit de la ponte échappe presque totalement à l’impôt des sociétés. En 2011 Electrabel a payé 12,5 millions d’impôts sur un bénéfice de 1,229 milliard d’euros (en hausse de 48% par rapport à l’année précédente), soit un taux d’imposition de 1,02%.

On comprend l’angoisse des dirige-ants de l’entreprise. Le 31 juillet dernier, le quotidien français Les Echos faisait savoir que l’arrêt de Doel 3 et Tihange 2 aurait chaque mois un impact négatif de 40 millions d’euros sur le résultat net de GDF-Suez, qui contrôle Electrabel. Pauvres actionnaires! En avril, la presse faisait savoir que les résultats des tests sur la sécu-rité de Tihange 2 étaient "plus mauvais que prévus". En juillet, elle évoquait une "fermeture définitive pour Tihange 2 et Doel 3". On s’acheminait clairement vers un grand débat "pour ou contre le nuclé-aire", un débat qu’Electrabel abordait dans des conditions défavorables, avec une image de marque exécrable.

L’arrêt de Doel 4 a changé complète-ment la donne. Simple erreur ou sabotage, toujours est-il que, le 5 août, dans la partie non nucléaire des installations, une vanne qui devait rester fermée a été ouverte. En

conséquence, 65 mille litres d’huile se sont écoulés et une turbine qui a surchauffé a été endommagée au point que la produc-tion est arrêtée au moins jusqu’à la fin de l’année. Le parc nucléaire ne fonctionne plus qu’à 50% de sa capacité. Or, la vanne ne s’est pas ouverte toute seule. Une enquête a été confiée au parquet.

N’étant pas des adeptes de la théorie du complot, nous n’insinuerons pas que M. Mestrallet, grand patron de GDF-Suez, a commandité le sabotage de sa propre usine… L’hypothèse est pourtant amusante et elle mériterait d’inspirer un auteur de romans policiers. Car le fait est là: depuis le 5 août, on ne parle plus ni des microfissures, ni du risque de catastrophe nucléaire, ni du double scandale de la rente et du taux d’imposition d’Electrabel, ni des tarifs de l’électricité. Tous ces débats ont été éclipsés par le spectre d’un black-out du réseau cet hiver. Pourra-t-on importer assez de courant? A quel prix? Sinon, tout le pays sera-t-il plongé dans le noir ou pourra-t-on limiter la casse? Voilà les questions qui font dorénavant la une des médias… ■

Consultez la version longue de cet article sur le blog de Daniel Tanuro: www.lcr-lagauche.org/category/ nos-blogs/blog-daniel-tanuro

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✒ par Daniel Liebmann

La récente offensive israélienne contre Gaza s’est achevée avec l’instauration d’une trêve entre Israël et le Hamas, au prix de milliers de morts palestiniens et avec le maigre bénéfice d’un allégement partiel du blocus qui étouffe la population de Gaza. La résistance palestinienne, son unité retrouvée et la solidarité internatio-nale ont imposé à l’agresseur israélien de mettre fin au massacre.

Comme par le passé, les dirigeants israéliens et leurs partisans à travers le monde ont tenté de faire passer l’idée d’une guerre défensive menée par un Etat victime de l’hostilité de ses voisins, et singulièrement du fanatisme du Hamas voué à sa destruction. De moins en moins crédible face à l’opinion publique mondi-ale, notamment du fait de la disproportion flagrante entre les forces en présence et du nombre de victimes de part et d’autre, cette lecture des événements reste celle à laquelle croient la majorité des citoyens juifs israéliens, baignés dans l’idéologie sioniste dès la naissance.

"Nous ne pardonnerons jamais aux Arabes tout le mal qu’ils nous obligent à leur faire", disait déjà Golda Meïr. Cet aveu qui sert à blâmer les victimes, les dirigeants israéliens successifs, de "gauche" comme de droite et aujourd’hui d’extrême droite, l’ont tous répété à leur manière. Si les bombes israéliennes ont tué tant de civils, ce ne serait selon le gouvernement israélien pas à cause de la stratégie militaire choisie par Tsahal (les mal nommées Forces de "Défense" israéliennes) mais du fait du Hamas qui utiliserait sa propre population comme "bouclier humain".

Mais les crimes réels d’Israël se doublent d’un crime symbolique: l’instrumentalisation de l’histoire juive et en particulier de la destruction des Juifs d’Europe. C’est au nom des six millions de victimes juives du nazisme qu’Israël assassine impunément des milliers de Palestiniens, parce que le slogan "plus jamais ça" se traduit dans

l’idéologie sioniste en "plus jamais ça pour nous, les Juifs" dans une volonté de transformer le peuple juif en une nation comme les autres, entendez: comme les autres nations impérialistes. Plutôt que de lutter contre le racisme, le sionisme veut arianiser les Juifs. La gauche se doit de dénoncer clairement cette idéologie atroce, qui fait le lit des négationnistes et

antisémites de tous poils.C’est pourquoi nous saluons ici le

courage et la lucidité des quelques 360 survivants et descendants de victimes du génocide nazi qui, en plein massacre de Gaza, ont publié l’appel ci-dessous dans le New York Times (23/08/2014) en réponse à l’idéologue sion ste Elie Wiesel.■

Gaza: plus jamais ça pour personne!

"C O M M E S U R V I VA N T S e t descendants de survivants juifs et des victimes du génocide nazi, nous condamnons sans équivoque le massacre de Palestiniens dans la bande de Gaza, l'occupation continue et la colonisation de la Palestine historique. Nous condamnons en outre les États-Unis qui fournissent à Israël le financement nécessaire pour mener à bien l'attaque, et les pays occidentaux, plus généralement, pour l'utilisation de leur poids diplomatique pour protéger Israël de la condamnation. Un génocide commence par le silence du monde.

Nous sommes alarmés par la déshumanisation extrême et raciste des Palestiniens dans la société israélienne, qui a atteint un paroxysme. En Israël, des politiciens et des experts ont appelé ouvertement au génocide des Palestini-ens dans le Times of Israël et le Jerusalem Post et des Israéliens de droite adoptent des insignes néo-nazis.

En outre, nous sommes dégoûtés et scandalisés par l’usage que fait Elie Wiesel de notre histoire dans [les] pages [du New York Times] pour justifier l'injustifiable: la tentative d'Israël de détruire massivement Gaza et l'assassinat de plus de 2.000 Palestiniens, dont des

centaines d'enfants. Rien ne peut justifier le bombardement de refuges de l'ONU, de maisons, d’hôpitaux et d’universités. Rien ne peut justifier de priver les gens d’électricité et d’eau.

Nous devons élever nos voix collectives et utiliser notre pouvoir collectif pour mettre un terme à toutes les formes de racisme, y compris le génocide en cours du peuple palestinien. Nous demandons la fin immédiate du siège et du blocus de Gaza. Nous appelons au boycott économique, culturel et académique d'Israël. "Never again" doit signifier PLUS JAMAIS CA POUR PERSONNE!" ■

Faute de place, nous ne reproduisons pas ici les noms des 360 signataires de cet appel international qui a surtout circulé aux Etats-Unis. La liste complète est disponible sur le site de l’International Jewish Anti-Zionist Network: http://ijsn.net/gaza/survivors-and-descendants-letter/

Certains signataires vivent en Belgique, leurs noms méritent d’être cités: Henri Wajnblum, Edith Rubinstein, Jacques Bude, Victor Ginsburgh, Marianne van Leeuw Koplewicz et Joeri Puissant.

360 survivants et descendants de survivants et de victimes du génocide nazi condamnent sans équivoque le massacre de Palestiniens à Gaza

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✒ par Neal Michiels

En décembre, les trois Régions flamande, wallonne et bruxelloise pro-gramment une mission économique en Israël. Déjà maintenant, les Régions dispo-sent de bureaux commerciaux à Tel Aviv pour développer l'échange économique.

Le PTB était le premier à réagir contre le projet de cette mission et a lancé une pétition(1) avec deux exigences: l'annulation de la mission économique et la fermeture des bureaux commerciaux belges en Israël.

Cette initiative des élus PTB-GO! Fré-déric Gillot (Parlement wallon) et Youssef Handichi (Parlement bruxellois) a déjà permis la médiatisation de cette mission économique, en plein milieu de l'offensive terroriste israélienne à Gaza. Les partis au pouvoir ont été poussés à réagir. La nouvelle secrétaire d'État bruxelloise en charge du commerce extérieur, Cécile Jodoigne (FDF), a réagi de manière néga-tive et communiqué qu'une annulation n'est "pas à l'ordre du jour".

Dans la même période, la solidarité internationale avec Gaza a pris une ampleur importante avec la mise en place d'une plate-forme Urgence Gaza qui a su mobiliser en total plus que 10.000 personnes pour condamner les frappes israéliennes et l'occupation de la Palestine. La résistance palestinienne et la solidarité internationale pendant ces 51 jours de terreur ont infligé une défaite politique partielle à l'État d'Israël. Mais les exigences légitimes de la résistance palesti-nienne n’ont pas été pleinement satisfaites et le prix payé par la population gazaouie est très lourd.

Ce qui peut rendre l'espoir aux Pal-estiniens est sans doute la montée des campagnes BDS (boycott, désinvestisse-ment, sanctions) dans le monde entier. Aussi en Belgique, les campagnes BDS – déjà existantes par le travail à longue durée de nombreuses associations – ont reçu de nouvelles impulsions d'énergies militantes. Même des personnalités qui ne s'étaient encore jamais exprimées sur la question du BDS comme le professeur

connu de relations internationales Jona-than Holslag (VUB) appellent aujourd'hui au boycott d'Israël.

La plate-forme BDS Belgique(2)

regroupe un grand nombre d'organisations souscrivant à l'appel BDS. On y trouve parmi d'autres l'Association Belgo-Palestinienne (ABP), Intal et l'Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB), qui ont été très actives dans les mobilisations Palestine de cet été. Parmi les organisations politiques on retrouve le PTB, Comac, la LCR et les JAC. C'est au sein de cette plate-forme qu'une mobilisation large et visible contre la mission économique des Régions en Israël pourrait se construire. Nous voulons y contribuer avec un objectif très clair: l'annulation de cette mission honteuse! ■

(1) www.ptb.be/articles/le-ptb-lance-une-petition-pour-annuler-la-mission-economique-belge-en-israel

(2) www.bds-campaign.be/fr/content/ bds-belgium

Pas de mission économique des Régions en Israël!

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✒ par Karim Saïd

La situation catastrophique de l'Irak après deux mandats d'al-Maliki est le résultat d'un échec complet du projet américain de construire un Etat démocra-tique et moderne en Irak à la place de la dictature sanguinaire de Saddam Hussein.

Un budget de l’État qui dépend à plus de 95% des recettes pétrolières, conjugué à une transformation rapide de l'économie via une privatisation globale et accélérée, ont plongé beaucoup d'Irakiens au-dessous du seuil de pauvreté (environ 20% selon les statistiques officielles).

S'ajoutent la corruption (au troisième rang mondial depuis de nombreuses années), le déchirement du tissu social, l'insécurité quotidienne, des explosions qui affectent chaque jour et sans inter-ruption depuis 2003 les plus démunis de la communauté chiite, la discrimination sectaire envers les pauvres de confession sunnite de la part de toutes les institutions gouvernementales.

Le nombre de détenus a atteint des dizaines de milliers de personnes sans procès, dont cinq mille femmes, avec de nombreuses accusations de torture et de viol ; une dégénérescence de tous les services, en particulier l'électricité dont les projets de rétablissement grèvent le budget en vain.

L'organisation du "Califat islamique" en a rêvé... l'administration américaine, toutes les puissances régionales et al-Maliki l'ont fait

La progression rapide de l'organi-sation du "Califat islamique"(1) est due en grande partie à la faiblesse des adversaires censés l'affronter et aux contradictions qui existent entre eux, et même à leurs illu-sions quant à la possibilité de l'utiliser face à d'autres adversaires.

Les forces d'occupation américaines ont posé la première pierre de cette con-struction fragile dont a bénéficié le "Califat islamique". En effet, elles ont privilégié pour la construction du pouvoir une struc-ture basée sur les composantes religieuses et nationalistes plutôt que de s'appuyer sur le principe de citoyenneté égalitaire: la présidence de la République est revenue aux Kurdes, celle du Parlement aux sun-nites arabes tandis que le poste du Premier ministre a été accordé aux chiites arabes.

Quand les premiers escadrons de djihadistes arabes en provenance d'Afghanistan se sont rendus en Irak, leur mission a été facilitée par l'Iran puisqu'ils allaient combattre l'ennemi commun, à savoir les forces d'occupation américaines, en vertu de l'adage "l'ennemi de mon ennemi est mon ami".

Après leur l'arrivée, ils ont bénéficié des facilitations syriennes: des centaines de kamikazes arabes qui sont venus en Irak et qui ont été arrêtés par les forces gouvernementales ont reconnu qu'ils étaient passés par la Syrie et qu'ils avaient été formés dans des camps du ressort des services de renseignement syriens.

Il faut ajouter en outre la tolérance du gouverne-ment turc, qui garde un œil vigilant sur la région du Kurdistan au niveau de ses frontières du Sud-Est, et enfin il faut prendre en con-sidération l'énorme soutien

financier en provenance des pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite et le Qatar.

Le dernier exemple de ces cal-culs à courte vue est la position de l'administration de la région du Kurdistan, dont la capitale Arbil se trouve à seulement 80km au sud-est de Mossoul. Elle pensait pouvoir rester hors du danger du "Califat islamique", tout simplement parce que la priorité de celui-ci était d'aller à Bagdad. Mais dès que leur avancée a été bloquée à une soixantaine de kilomètres de Bagdad, ils ont commencé à rechercher d'autres victimes. C'est alors qu'ils ont attaqué 15 villes chrétiennes aux alentours de Mos-soul, avant d'attaquer Sinjar ou Chengal, le centre des kurdes yézidis, deux mois environ après la prise de Mossoul.

La suite des tragédies est bien connue, mais il faut préciser que les femmes de Sinjar ont payé un lourd tribut à cette invasion, subissant l'esclavage sexuel et le choix entre la mort ou le changement de confession.

Combattre le terrorisme de cette organisation – mais également la terreur des milices adversaires soutenues par le gouvernement qui procèdent à des bombardements à l'aveuglette qui font principalement des victimes chez les civils – est le devoir du peuple de l'Irak, mais aussi des peuples de toute la région, comme la Syrie et la Turquie, et doit dépasser tout cadre nationaliste ou confessionnel.

Et ce par l'organisation des masses elles-mêmes dans les villes et dans les dif-férents quartiers, au sein de comités et de conseils populaires armés, démocratiques, qui assurent une participation populaire efficace en garantissant l'expression politique pour tous les individus et en empêchant l'utilisation de ces conseils comme cache-sexes de partis politiques ayant des projets totalitaires. De même que cette tâche exige une large campagne de solidarité internationale avec toutes les victimes de ce terrorisme sans discrimina-tion confessionnelle ou nationaliste. ■

1. Aussi appelée "organisation de l'Etat islamique".

L'Irak... terre de désolation prête pour l'invasion

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✒ par Pauline Forges et Neal Michiels

Les 31èmes Rencontres interna-tionales des jeunes de la Quatrième internationale ont eu lieu du 3 au 9 août en France, en Auvergne. L'organisation française avait trouvé un bel endroit dans la nature où nous étions coupés du monde pendant une semaine (pour l'anecdote, le hasard de la géographie a même fait que nous n'avions ni réseau gsm ni accès inter-net!). La délégation belge était constituée de jeunes de la LCR, de Jeunes Anticapi-talistes ( JAC) et de sympathisant.e.s. Une délégation mixte qui comptait aussi plu-sieurs militant.e.s de mouvements sociaux (Union syndicale étudiante, Collectif des Afghans,...), ce qui a permis des discus-sions politiques intéressantes au sein de notre délégation.

Au-delà des formations et meetings en plénière et des ateliers en plus petits groupes qui portaient chaque jour sur un thème différent (crise économique, mouvements sociaux, patriarcat, écosocialisme, racisme et stratégie révolutionnaire), une place était réservée au mouvement autonome des femmes et aux luttes LGBTQI (lesbiennes, gays, bisexuel.le.s, trans, queer, intersexes). L’objectif des espaces femme et LGBTQI, dans lesquels se tenaient des réunions quotidiennes, est de favoriser l’"empowerment" (le fait de se retrouver en communauté permet de développer son pouvoir d’action face à des groupes dominants, au sein d’une société patriarcale et hétéronormée), tout en visibilisant ces questions à travers l’ensemble du camp. Parmi les moments forts de ce camp, on se souviendra du meeting sur la situation en Palestine avec l'expert et militant très actif Julien Salingue, d’une intervention d'Alain Krivine sur mai 68, des fêtes femmes et LGBTQI et de l'adoption d'une motion de solidarité avec la Palestine par l'ensemble des organisations présentes(1).

Comme chaque année, ce qu’on retient du camp c’est avant tout les rencontres, les échanges qu’on a tout au long de la semaine et la découverte d’autres contextes de lutte. Entre deux ateliers, le temps d’un repas ou autour d’un verre, c’est souvent dans ces moments-là qu’on apprend le plus. Les réunions inter-délégations, où l’on se réunit entre deux pays, font partie de ces échanges privilégiés. Cette année, nous avons ainsi eu l'occasion d'échanger avec les délégations grecque, philippine, danoise et italienne et avec des militants égyptien et vénézuélien. Des expériences de lutte multiples, des organisations parfois très différentes des nôtres qui montrent la richesse des possibilités qui s’offrent à nous pour combattre, ici ou là-bas, notre ennemi commun: le système capitaliste.

Si on ajoute à cet aperçu du camp les bons moments festifs qui l’ont ponctué et l’ambiance conviviale qui est sa marque de fabrique, on peut dire que le camp de cette année était un grand succès. A refaire l'année prochaine... en Belgique! ■

(1) Palestine: Solidarité internationaliste du camp des jeunes de la IV www.lcr-lagauche.org/palestine-solidarite-internationaliste-du-camp-des-jeunes-de-la-iv/

Rencontres internationales des jeunes: de retour de France, cap sur la Belgique!

Le prochain camp sera organisé par la LCR et les JAC et aura lieu du 26 juillet au 1er août 2015 à Kasterlee (en Campine). Un thème central sera sans doute celui du changement climatique et de l'écosocialisme en vue du COP21 qui se réunira à Paris en décembre 2015. Après l'échec de la COP19 à Varsovie, les ONG environnementales ont claqué la porte des négociations et ont décidé de reprendre la rue. En Belgique, l'initiative "Climate Express" prend en main la mobilisation et s'est donné pour objectif de mobiliser 10.000 personnes. Avec les différentes luttes contre l'austérité qui se construisent en Belgique (étudiant.e.s, travailleur.euse.s, associations socio-culturelles, artistes, chômeur.euse.s, sans-papiers, etc.), le camp sera aussi l’occasion d'en faire un état des lieux et d'échanger ces expériences de terrain avec des centaines de jeunes de dizaines de pays. Le camp se prépare dès maintenant et aura besoin d'un engagement énergique des militant.e.s et sympathisant.e.s de la LCR et des JAC! ■

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✒ par Robert Stephens II

Le week-end dernier [le 9 août 2014, ndlr], la police de Ferguson – une ville de l’Etat du Missouri – a assassiné Michael Brown, un adolescent noir. Alors que les détails ne sont encore publiés qu’au compte-goutte, il est clair que lors d’une confrontation avec une voiture de police, à un pâté de maisons du logement de la grand-mère de l’adolescent, un agent de police a ouvert le feu et l’a tué au milieu de la rue alors qu’il était désarmé. Selon les témoins, Brown tentait d’échapper au pol-icier et avait les mains en l’air au moment même où le policier l’a pris pour cible.

Ferguson est une ville caractérisée par une large concentration de Noirs pauvres sous le contrôle d’institutions dominées par des Blancs. Ce meurtre a immédiate-ment touché une corde sensible. Des rassemblements et manifestations ont éclaté à mesure que les habitants sont descendus dans la rue, jusqu’à atteindre le stade de véritable émeute. D’abord ras-

semblée pour une veillée aux bougies à l’endroit même où Brown avait trouvé la mort, la foule a ensuite brûlé plusieurs commerces et jeté des cocktails Molotov au cours de confrontations avec la police. Comment en sommes-nous arrivés là?

Loin de constituer une foule violente et abrutie, les habitants de Ferguson se sont engagés dans un processus concerté de sensibilisation politique, menant à l’insurrection. Une vidéo réalisée sur place donne à voir plusieurs agitateurs politiques parlant à la foule, transformant une indignation momentanée en unité politique. Un orateur en particulier, un jeune homme noir, offre une analyse politique convaincante qui fait de l’injustice de la brutalité policière un sous-produit de la marginalisation économique de la communauté.

"Nous continuons à donner notre argent à ces petits Blancs, à rester dans leurs logements, et nous ne pouvons obtenir justice. Aucun respect. Ils sont prêts

à vous foutre dehors si vous ne payez pas le loyer. Il y a de quoi en avoir ras-le-bol".

Les émeutes, comme d’autres formes d’action politique, peuvent construire de la solidarité. Elles peuvent créer de forts sentiments d’identité commune. L’indignation ressentie à Ferguson a rapidement attiré des personnes marginalisées de toute la région. La présence de ces "exclus" a davantage révélé le pouvoir magnétique du moment politique qu’elle ne l’a délégitimé.

Depuis le début, les rassemblements anti-police qui ont précédé les émeutes avaient une claire dynamique "eux contre nous". A un moment au cours du ras-semblement, une femme équipée d’une caméra dit: "Où sont les voyous? Où sont les gangs quand nous avons besoin de vous?". Et la foule a commencé alors à appeler les différents gangs à abandon-ner la violence des Noirs contre les Noirs ("black-on-black") et à s’unir dans la lutte contre l’oppression. La communauté était unifiée et prête à s’engager dans l’action.

Défense des émeutes de Ferguson

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La police constituait le problème, et elle devait être stoppée.

La foule n’était ni irrationnelle ni apolitique. Les personnes rassemblées cherchaient à utiliser cette opportunité pour poser la question de leurs besoins politiques au sens large. Ils savaient que la violence interraciale au sein de la com-munauté constituait aussi un problème, et que dans la plupart des cas, les auteurs des violences sont leurs propres enfants, cous-ins, amis et voisins. Bien que beaucoup prétendent que les Noirs se fichent de la violence au sein de leurs propres commu-nautés, les appels de la foule pour l’unité des gangs démontrent que les révoltes contre la police fournissent des opportu-nités uniques d’unir les gens dans le sens d’une résolution de problèmes anciens tels que la violence des gangs.

Suite à l’insurrection, les participants ont continué à discuter de la révolte en termes politiques. DeAndre Smith, qui était présent lorsque le QuikTrip a été incendié, a affirmé à la presse locale: "Je crois qu’ils sont trop embêtés par ce qui arrive à leurs magasins, à leurs commerces et tout ça. Ils ne se souviennent pas du meurtre". Un deuxième homme ajoute: "Je pense juste que ce qui s’est passé était nécessaire, pour montrer à la police qu’ils ne dirigent pas tout". Smith conclut alors: "Je pense que ce n’est pas allé assez loin".

Dans une deuxième interview, cette fois avec Kim Bell du St. Louis Post-Dispatch, Smith a développé son opinion selon laquelle l’émeute constitue une stratégie politique viable. […] Smith saisit ce que tant de prétendus antiracistes et de personnes de gauche ne parviennent pas à comprendre, à savoir que le racisme n’est pas un problème de vertu morale. Il reconnaît que l’ordre économique au sens large facilite et profite de l’assujettissement racial, et il cherche donc des manières d’intervenir et d’interrompre ce processus. Il ne s’agit pas seulement d’une analyse plus pertinente que ce qui est souvent offert à gauche, mais agir à partir de cette analyse est la seule manière d’éradiquer la hiérarchie raciale établie.

Généralement, quand des événe-ments comme la rébellion de Ferguson ont lieu, les bien-pensants s’empressent de condamner les participants. Au mini-mum, ils rejettent les émeutes au nom de leur caractère improductif et opportuniste – quelques pommes pourries gâchant la récolte. C’est précisément cette attitude que critiquait DeAndre Smith dans sa première interview. La plupart des détracteurs, dont

certains sont noirs eux-mêmes, cherchent à mettre de l’ordre dans ces communautés avec une "politique de la respectabilité" – un appel aux personnes dominées pour se présenter elles-mêmes d’une manière qui apparaisse acceptable à la classe domi-nante dans un effort pour obtenir quelques gains politiques.

Comme le politiste Frederick Harris l’a écrit dans un article paru l’an dernier: "Ce qui a commencé sous la forme d’une philosophie promulguée par les élites noires pour "élever la race" en corrige-ant les "mauvais" traits des Noirs pauvres s’est mué à présent en l’une des marques de fabrique de la politique noire à l’âge d’Obama, une philosophie de gouverne-ment qui se concentre sur la gestion du comportement des Noirs laissés pour compte par une société réputée pleine d’opportunités". Mais la politique de respectabilité a été présentée comme une stratégie émancipatrice au détriment de toute discussion sur les forces structurelles qui font obstacle à la mobilité des Noirs pauvres et des travailleurs.

Alors que les émeutes apparaissent comme des événements pouvant galvaniser la communauté et libérer une énergie politique collective dans des directions imprévisibles, la vieille politique de respectabilité ne mène qu’à davantage de marginalisation et de mise à l’écart. Dans l’immédiat, il est possible de nier l’utilité de l’insurrection. Mais cette réponse des communautés à la domination doit être discutée en termes politiques, et non simplement exclue d’emblée.

Nous vivons dans un contexte de suprématie blanche et de capitalisme néolibéral, où des politiques aveugles aux rapports de race sont utilisées pour maintenir l’exploitation de classe et la hiérarchie raciale, et toute tentative explicite d’agir contre le racisme est démantelée et méprisée. Ces politiques ne font qu’intensi f ier l ’exclusion économique et la pauvreté dont les marginalisés font l’expérience.

Domination raciale et capitalisme

Ce que les personnes interviewées par la presse locale et la foule rassemblée sur le lieu du meurtre ont semblé comprendre, c’est qu’ils devaient bouleverser l’intrication entre la domination raciale et le capitalisme. Ils ont senti qu’une marche, ou quelque forme acceptable que prendrait une indignation pacifique, ne permettrait pas de satisfaire leurs besoins

politiques – et ils n’ont pas tort.Beaucoup d’entre nous condamnent

à la hâte ce type de tumulte car nous nous satisfaisons en réalité de l’illusion post-raciale propre au néolibéralisme. Au QuikTrip incendié, quelqu’un a laissé une pancarte adressée à son "commerce de proximité", dans l’espoir que le commerce ouvre à nouveau: "Cher commerce de proximité, je regrette qu’ait eu lieu cet acte de cambriolage et de violence. S’il vous plaît, revenez bientôt. Je passe deux à trois fois par semaine".

En se considérant lui-même comme un consommateur ayant besoin de son "commerce de proximité" il est possible que cette personne ne se soucie à aucun moment des travailleurs ayant perdu leurs emplois – ses voisins réels – mais agisse par peur que sa routine de consommateur soit interrompue. Comme l’observait DeAndre Smith, nous nous identifions plus fortement à des fenêtres brisées qu’à des personnes brisées.

De la Boston Tea Party à la rébellion de Shays, la formation des Etats-Unis a reposé sur des émeutes, pour le pire ou le meilleur. Dans le passé, les émeutiers blancs ont eu accès au pouvoir institutionnel, ce qui a leur permis de légitimer certaines de leurs revendications et de les satisfaire politiquement, dans la limite de ce que permettait une société capitaliste. Dans le cas de la révolte de Ferguson, la solution consiste – comme dans tout moment politique éphémère – à transformer l’indignation et le tumulte en une organisation politique constructive. Plus facile à dire qu’à faire, mais cela vaut mieux que de rejeter en bloc les émeutes et, ce faisant, de rendre cette tâche politique insurmontable.

Malcom X a su nous rappeler à quel point les médias constituent un instrument décisif de domination dans la mesure où ils déterminent quelles actions sont respectables, ou au contraire extrémistes, donc illégitimes. Plutôt que d’accepter ce schéma, tordons le coup aux récits refusant aux émeutiers tout sens politique. Au-delà d’une simple critique du type de réponses qu’ils opposent à la violence sociale, tentons de porter un regard juste pour parler de leurs besoins politiques. ■

Texte initialement paru sur le site de la revue états-unienne Jacobin et traduit par Ugo Palheta pour Contretemps. Intertitres de la rédaction. www.jacobinmag.com www.contretemps.eu

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✒ par La Gauche

"On ne sortira donc pas de la longue dépression par un ''atterrissage en douceur'', l’avenir ne sera fait que de mouvements de reprises relevant du cycle d’affaires classique, suivies de nouvelles récessions, avec à la clé un développement continu du chômage, et des taux moyens de croissance à long terme beaucoup plus bas que ceux du boom d’après-guerre".

Ecrite au début des années ’90, cette phrase prophétique concluait la deuxième édition anglaise du livre d’Ernest Mandel, Les ondes longues du développement capitaliste: une interprétation marxiste. Considéré comme un des ouvrages les plus importants de Mandel, ce livre était jusqu’à présent inaccessible aux lecteurs francophones. Cette lacune sera bientôt réparée, grâce aux efforts conjoints de la Formation Léon Lesoil, des Editions Syllepse (Paris) et de M éditeurs (Québec).

Ce livre est une version développée et révisée de conférences prononcées à la Faculté de politique et d’économie de l’Université de Cambridge, auxquelles Ernest Mandel ajouta deux chapitres pour la seconde édition anglaise. L’édition française comporte une préface inédite de Daniel Bensaïd, une introduction par Francisco Louça et une postface par Michel Husson. Les éditeurs ont en outre ajouté une contribution passionnante dans laquelle Mandel dresse un premier bilan du débat international sur la théorie des "ondes longues".

Cette théorie considère qu’il y a, outre le cycle court d’expansions et de récessions économiques, des périodes longues au cours desquelles le capitalisme se porte plus ou moins bien. L’entre-deux guerres par exemple fut une période au cours de laquelle les récessions étaient plus sévères et les expansions moins vigoureuses, entraînant un taux de profit moyen plus bas. L’après-guerre par contre présente des caractéristiques opposées,

raison pour laquelle on parle des années 50 et 60 comme des "Trente glorieuses".

L’existence de ces périodes dans l’histoire du capitalisme a été mise en évidence avant Mandel, notamment par l’économiste russe Kondratief. Mais celui-ci croyait à une alternance rigoureuse, automatique, de périodes longues de crois-sance et de stagnation. Pour cette raison, il parlait de "cycles longs". L’originalité de la théorie de Mandel consiste à défendre l’idée que l’épuisement des périodes longes d’expansion est automatique – en ce sens qu’il est déterminé par des facteurs stricte-ment économiques – tandis que le passage d’une période de dépression à une période d’expansion dépend fondamentalement de facteurs extra-économiques. C’est pour-quoi Mandel parle d’ondes, pas de cycles.

Sa théorie des "ondes longues" en tant que périodes spécifiques au sein de l’histoire du capitalisme a permis à Mandel de prévoir le retournement de la conjoncture mondiale à la fin des années ’60-début des années ’70 et d’en donner une interprétation complexe. Loin d’être dû au "choc pétrolier", ce retournement signifiait en réalité, selon Mandel, la fin de l’onde longue expansive qui avait com-mencé en 1940 aux Etats-Unis et en 44-45 en Europe. Il en découlait que le retour à la bonne santé des affaires ne serait ni rapide ni automatique, et qu’il dépend-rait de la capacité du Capital d’infliger à la classe ouvrière une défaite historique de grande ampleur, analogue à celle des années ’30 (mais pas nécessairement dans les mêmes formes).

Plus de vingt ans après la fin des "Trente Glorieuses", Mandel ne distinguait aucun signe permettant d’espérer une nouvelle période longue d’expansion capitaliste. Au contraire. Analysant la croissance capitaliste comme la synthèse de la production et de la réalisation de la plus-value et pointant la profondeur des contradictions capitalistes, il défendait avec vigueur l’impérieuse nécessité de

sortir de ce mode de production pour éviter une catastrophe de grande ampleur.

Le message et l’analyse qui le sous-tend restent donc d’une grande actualité, ce dont témoigne la postface de Michel Husson. Mandel – c’est un de ses points faibles – ne parvient pas vraiment à y intégrer la question écologique qui constitue pourtant – on le voit clairement aujourd’hui – une donnée clé de l’équation. Mais ses développements sur les dynamiques du taux de profit, les obstacles à la régulation du système, les révolutions technologiques, et le lien entre "ondes longues" et lutte des classes sont passionnants (et, comme toujours chez lui, très accessibles). ■

Une offre de la Formation Lesoil

En tant que co-éditeur, la Formation Lesoil offre aux lecteurs de La Gauche la possibilité exceptionnelle d’acquérir l’ouvrage Les ondes longues du développe-ment capitaliste (240 pages) au prix de 20 euros au lieu de 25 (frais d’expédition compris). Réservez dès maintenant votre exemplaire en versant la somme de 20 euros sur le compte de la Formation Lesoil (IBAN BE09 0010 7284 5157) avec la mention Ondes Longues. Le livre vous sera envoyé par la poste dès sa parution (novembre). ■

Les ondes longues du développement capitaliste enfin accessible en français

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A lire✒ par La Gauche

Journaliste apatrideDogan ÖzgüdenAprès 57 années de métier, le journaliste professionnel Dogan Özgüden a décidé de mettre sur papier une partie de sa mémoire à partir de son exil

bruxellois qui dure depuis près de 40 ans. Ecrit en langue turque dans un style littéraire particulièrement agréable à lire, l'imposant ouvrage retrace le parcours très particulier d'un fils de cheminot passionné par le journalisme et la gauche radicale turque qui sera contraint de fuir la répression et la dictature militaire sans jamais renier son combat pour les valeurs qu'il veut défendre.

Le livre débute déjà par un constat de colère contre cet Etat turc, son appareil administratif, ses extrémistes nationalistes, ses fondamentalistes religieux, ses journalistes pro-régime et ses associations connexes qui ont tenté durant ces quarante dernières années d'utiliser tous les moyens pour saboter le travail d’Info-Türk (spécialisée sur la Turquie et les droits de l'Homme, les pressions sur les médias, la question kurde, les minorités, l'immigration) gérée par Dogan Özgüden et son épouse Inci Tugsavul.

Les poursuites judiciaires se multiplient à l'égard de ce couple de journalistes condamné à l’exil. Le livre rappelle ainsi la notification de la déchéance de leur nationalité turque, qui fut demandée par l'ex-Premier ministre Turgut Özal et envoyée par l'ambassade de Turquie à Bruxelles en 1998 au motif d'avoir perturbé une conférence de presse du Premier ministre turc de passage à Bruxelles. ■

Ed. ASP, Bruxelles, 2014, 628 pages 24,95 euros

Xenia Gérard MordillatXenia, c'est l'histoire de deux femmes, de deux héroïnes invisibles, de celles que l'on croise

tous les jours sans les voir, des femmes de ménage, des caissières, des vendeuses. C'est un face-à-face avec la précarité, un combat salutaire dans le monde du travail mené par des Thelma et Louise, ici et maintenant. Xenia (en grec "l'étrangère") a vingt-trois ans et un bébé de cinq mois. Pour survivre, elle enchaîne les ménages dans une entreprise de nettoyage industriel. ■

Ed. Hachette, 2014, 384 pages, 18,50 euros

conférencesOrganisées par la Formation Léon Lesoil Au Pianofabriek, 35 rue du Fort (Salle Catzand), 1060 Bruxelles (métro Parvis de St-Gilles)

Mardi 16 septembre 19h30 Le personnel n'est pas une marchandise avec Irène PÈTRE (CNE-Commerce)

AD Delhaize, Aldi, Carrefour, Colruyt, Cora, Delhaize, Match… Des enseignes commerciales que vous connaissez probablement car vous y allez parfois pour des raisons diverses (proximité, promotions…). Mais que savez-vous des conditions de travail du personnel de ces enseignes? Savez-vous qu’elles varient fort d’une enseigne à l’autre? A l’heure où Delhaize s’apprête à fermer 14 magasins et à mettre sur le pavé 2.500 travailleur.euse.s, savez-vous que la plupart travaille à temps partiel? Venez-vous informer sur les conditions de travail et de salaire dans ce secteur. Car le personnel de Delhaize devra compter sur la solidarité des client.e.s, des voisins, des militant.es d’autres secteur pour résister. Et avant de résister, il faut d’abord s’informer!

Mardi 14 octobre 19h30 Avec ou sans papiers, nous sommes des travailleurs.es! avec des militants syndicaux CSC sans-papiers.

Infos: [email protected]

La GaucheOù trouver La Gauche? En vente dans les librairies suivantes:

Bruxelles TropismesGalerie des Princes, 111000 Bruxelles

FiligranesAvenue des Arts, 39-401000 Bruxelles

Couleur du SudAvenue Buyl, 801050 Ixelles

VoldersAvenue Jean Volders, 401060 Saint-Gilles

Joli MaiAvenue Paul Dejaer, 291060 Saint-Gilles

CharleroiCarolopresseBoulevard Tirou, 133 6000 Charleroi

MonsLe Point du JourGrand'Rue, 727000 Mons

Couleur LivresRue André Masquelier, 47000 Mons

WavreLibrairie Collette DuboisPlace Henri Berger,101300 Wavre

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[email protected]/lcr.sap.4www.twitter.com/LcrSap4

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Enfin accessible en français!Offre aux lecteurs de La Gauche: commandez le livre dès maintenant au prix de

20 euros au lieu de 25(frais d’expédition compris). Réservez votre exemplaire

en versant la somme de 20 euros sur le compte de la Formation Lesoil (IBAN

BE09 0010 7284 5157) avec la mention Ondes Longues. Le livre vous sera

envoyé par la poste dès sa parution (novembre).

Considéré comme un des ouvrages les plus importants d’Ernest Mandel, Les

ondes longues du développement capitaliste: une interprétation marxiste

était jusqu’à présent inaccessible aux lecteurs francophones. Cette lacune sera

bientôt réparée, grâce aux efforts conjoints de la Formation Léon Lesoil, des

Editions Syllepse (Paris) et de M éditeurs (Québec).

Ce livre est une version développée et révisée de conférences prononcées à la

Faculté de politique et d’économie de l’Université de Cambridge, auxquelles

Ernest Mandel ajouta deux chapitres pour la seconde édition anglaise.

L’édition française comporte une préface inédite de Daniel Bensaïd, une

introduction par Francisco Louça et une postface par Michel Husson. Les

éditeurs ont en outre ajouté une contribution passionnante dans laquelle

Mandel dresse un premier bilan du débat international sur la théorie des

"ondes longues".

www. lcr-lagauche.org

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