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La gazette des cimes, Novembre 2020 La pandémie que nous subissons nous prive de toute visibilité pour les mois à venir. Il nous faut apprendre à vivre sans projets précis, sans escapades programmées, une réalité nouvelle et déstabilisante ! Puisque le futur se dérobe pour un temps prenons le temps d’embarquer vers le passé. Embarquer convient parfaitement puisqu’au départ de cette randonnée virtuelle à laquelle vous convie ce 4 ème numéro de la gazette il est question de bateaux. Je veux parler de ces goélettes et autres navires marchands qui ont pendant des siècles semé la terreur et la mort par les maladies infectieuses qu’ils disséminaient de port en port. Marseille et la Provence ont payé, à plusieurs reprises, un lourd tribut, victimes d’épidémies de peste, mais aussi de choléra, de dysenterie, charbon et autres fièvres jaunes. Chaque fois il a fallu s’organiser, se protéger, s’isoler, soigner les malades gérer le flux incessant des morts. Si la terreur inspirée par ces grandes pandémies n’est plus présente dans notre mémoire collective, il en reste des traces dans le paysage. En voici quelques-unes. Le sentier de Yersinia. Le responsable de la peste est une bactérie dont le nom de genre est Yersinia. La maladie peut prendre deux formes graves chez l’Homme : la peste bubonique et la peste pulmonaire, hautement contagieuse, qui se transmet par expectoration. Le bacille Yersinia pestis observé au microscope électronique. Ces bactéries sont les hôtes de l’intestin des organismes qu’elles infectent. Le genre Yersinia comprend de nombreuses espèces dont 3 sont des pathogènes de l’homme. Yersin fut le premier médecin Suisse qui a isolé le bacille de la peste sur l’Homme. La peste est, avant tout, une maladie des rongeurs qui se transmet à l’Homme par les puces. Dans la pulpe dentaire de cadavres présents dans les charniers de Marseille des chercheurs ont retrouvé de l’ADN des bactéries responsables de la grande peste de 1720. Le séquençage de ce matériel génétique désigne Yersinia pestis comme l’espèce impliquée dans l’épidémie de Marseille.

La gazette des cimes, Novembre 2020 - FFCAM et autres navires marchands qui ont pendant des siècles semé la terreur et la mort par les maladies infectieuses qu’ils disséminaient

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La gazette des cimes, Novembre 2020

La pandémie que nous subissons nous prive de toute visibilité pour les mois à venir. Il nous faut apprendre à vivre sans projets précis, sans escapades programmées, une réalité nouvelle et déstabilisante ! Puisque le futur se dérobe pour un temps prenons le temps d’embarquer vers le passé. Embarquer convient parfaitement puisqu’au départ de cette randonnée virtuelle à laquelle vous convie ce 4ème numéro de la gazette il est question de bateaux. Je veux parler de ces goélettes et autres navires marchands qui ont pendant des siècles semé la terreur et la mort par les maladies infectieuses qu’ils disséminaient de port en port. Marseille et la Provence ont payé, à plusieurs reprises, un lourd tribut, victimes d’épidémies de peste, mais aussi de choléra, de dysenterie, charbon et autres fièvres jaunes. Chaque fois il a fallu s’organiser, se protéger, s’isoler, soigner les malades gérer le flux incessant des morts. Si la terreur inspirée par ces grandes pandémies n’est plus présente dans notre mémoire collective, il en reste des traces dans le paysage. En voici quelques-unes.

Le sentier de Yersinia. Le responsable de la peste est une bactérie dont le nom de genre est Yersinia. La maladie peut prendre deux formes graves chez l’Homme : la peste bubonique et la peste pulmonaire, hautement contagieuse, qui se transmet par expectoration.

Le bacille Yersinia pestis observé au microscope électronique.

Ces bactéries sont les hôtes de l’intestin des organismes qu’elles

infectent. Le genre Yersinia comprend de nombreuses espèces

dont 3 sont des pathogènes de l’homme. Yersin fut le premier

médecin Suisse qui a isolé le bacille de la peste sur l’Homme. La

peste est, avant tout, une maladie des rongeurs qui se transmet

à l’Homme par les puces. Dans la pulpe dentaire de cadavres

présents dans les charniers de Marseille des chercheurs ont

retrouvé de l’ADN des bactéries responsables de la grande peste

de 1720. Le séquençage de ce matériel génétique désigne

Yersinia pestis comme l’espèce impliquée dans l’épidémie de

Marseille.

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Marseille, port marchand depuis l’antiquité, a été la porte d’entrée et le théâtre de nombreuses épidémies, en particulier la Peste noire en 1348, mais aussi la grande peste qui a débuté en Mai 1720.

➢ Marseille garde en mémoire les heures sombres des grandes épidémies.

Notre escapade débute sur la plage des catalans.

L’anse des catalans se nommait jadis anse de Saint Lambert. Elle abritait un port appartenant à l’abbaye de Saint Victor. Au moyen âge l’arrivée croissante de voyageurs dans les ports impose une étape essentielle : la quarantaine. La ville fit édifier sur ce site en 1558 un établissement

sanitaire (un lazaret) destiné à mettre en quarantaine

surveiller et soigner les personnes débarquées des

bateaux et suspectées d’être atteintes d’une maladie

contagieuse comme la lèpre, la peste ou le choléra.

On y traitait aussi des marchandises contaminées.

Le lazaret des catalans en 1891

On voit sur cette photo, à

l’extrémité de l’actuelle plage

des catalans, un édifice ancien.

Il s’agit de la tour Paul. C’est

tout ce qui reste du 2ème

lazaret édifié à Marseillle.

(Du premier lazaret édifié en

1526, et qui fonctionna

pendant près de 2 siècles, il ne

reste rien.)

Lorsque ce 2ème lazaret devint

désaffecté, l’infirmerie servit de lieu

d’hébergement pour un groupe de

pécheurs venu de Catalogne. C’est

ainsi que le quartier hérita du nom de

« Catalan ». La ville construisit un 3ème

établissement pour l’accueil des

marins malades : le lazaret d’Arenc. Il

n’en reste rien mais le quai d’Arenc, à

la Joliette, matérialise son

emplacement d’alors.

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De ce lieu appelé « infirmerie vieille » il ne reste aujourd’hui que la tour Paul, longtemps laissée à

l’abandon, L’édifice va faire l’objet d’une rénovation prochaine.

Quelle est l’origine du mot « lazaret ?

On associe généralement le mot lazaret à la parabole de l’évangile selon Saint Luc où un pauvre

lépreux nommé Lazare rencontre un riche qui le chasse sans ménagement. Il semble que cette

interprétation soit fausse ! Le terme de lazaret viendrait du mot italien « lazzaretto » qui serait une

déformation du mot Nazareth. En effet, sur un ilot de la lagune de Venise nommé Santa Maria di

Nazareth, fut édifié en 1423, le premier établissement destiné, en Europe à soigner les pestiférés.

Tournons le dos à la plage des catalans pour diriger nos pas vers le Vieux Port et emprunter le quai

du port. Ce dernier nous conduit à l’esplanade de la Tourette, lieu où s’illustra Nicolas Roze.

En 2019, suite à des travaux, une partie

des fondations de l’infirmerie vieille et de

l’hôpital des galères a été mise à jour.

Le buste de Nicolas Rose, plus connu sous le nom de

chevalier Rose nous renvoie à un épisode dramatique

de la cité phocéenne : la grande peste de 1720

Le 25 mai 1720, le Grand Saint Antoine , piloté par

le Capitaine Chataud, arrive en rade de Marseille

porteur du bacille de la peste. Suite à une série de

négligences la maladie se déclare dans la ville et

coûtera la vie à plus de 40 000 marseillais, soit la

moitié de la population en quatre ans.

Face à l’épidémie qui gagne rapidement du terrain,

Nicolas Roze se met à la disposition de la ville, boucle

le quartier de Rive-Neuve, fait creuser 5 fosses,

organise la distribution des secours et du

ravitaillement. Le 16 septembre 1720, Roze dirige une

compagnie d'environ 150 soldats et forçats,(galériens)

équipés de tombereaux, de pinces et de râteaux,

enlèveront plus de mille deux cents cadavres

amoncelés sur l'esplanade de la Tourette.

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Si l’état s’est impliqué dans la lutte contre la grande peste, en mettant en avant une personnalité

comme Nicolas Roze, l’Eglise elle aussi a apporté son soutien à la population sous l’impulsion d’un

homme : François-Xavier De Belzunce, évêque de Marseille. Ceci nous conduit tout naturellement à

l’esplanade de la cathédrale de la Major.

source : R Ferrus Source : le blog de Patrice Leterrier

Monseigneur De Belzunce laisse l’image d’une personne très dévouée qui n’hésita pas à se rendre

au plus près des malades mourants pour leur porter secours et réconfort moral.

Devant la recrudescence de maladies infectieuses, notamment de fièvre jaune, Marseille va élargir

son dispositif de quarantaine et de soins aux voyageurs contaminés par une série de réalisations sur

les iles du Frioul. Il nous faut donc prendre la direction du vieux port et embarquer sur une des

nombreuses navettes ce qui nous offre l’opportunité d’une petite halte au musée de l’histoire de la

ville de Marseille, situé dans les locaux du centre bourse face au port antique. En effet y sont

exposées la maquette du grand saint Antoine ainsi que son ancre.

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➢ Le lazaret des iles.

Dès 1627 le port de l’ile de Pomègues et sa capitainerie sont utilisés pour la mise en

quarantaine de bateaux et équipages suspects.

A partir de 1822 le dispositif se renforce grâce à la digue Berry qui réunit les iles Pomègues et

Ratonneau.

L’année suivante, sous l’impulsion de Michel-Robert Penchaud est construit sur l’ile de

Ratonneau l’hôpital Caroline. (Il porte le prénom de la duchesse de Berry, Caroline de Bourbon-

Siciles).

L’hôpital Caroline. (Source : madeinmarseille.net)

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L’hôpital en cours de rénovation. (Source : madeinmarseille.net)

L’hôpital et les deux iles forment ce qu’on appelait à l’époque le complexe du « lazaret des

iles » considéré comme le plus vaste et le meilleur de Méditerranée.

Le rôle de cet hôpital était d'accueillir les voyageurs arrivant sur Marseille et qui étaient mis

en quarantaine, notamment lors de soupçons d'épidémie de fièvre jaune. Spécialement

conçu pour recevoir ce type de malades cet hôpital bénéficie de l’air du large, de la mer

pour les communications et de l’isolement que lui confère l’ile.

L’hôpital servira jusqu’en 1941 à l’occasion d’une épidémie de typhus dans les prisons.

Fortement endommagé par des bombardements à la libération il fait l’objet d’une

réhabilitation et abrite aujourd’hui différentes manifestations.

Ici ou là, dans l’arrière-pays marseillais on retrouve des témoins des grandes épidémies. Qui

connait le petit oratoire des Trois-Sautets à Aix en Provence ?

Il fut édifié après la terrible peste de

1720 et positionné en bordure de

chaussée, près du pont des Trois-

Sautets. Ne le cherchez pas à ce jour

car il a été la victime (collatérale...)

d’un accident de la route. Il

reviendra !

Un autre vestige discret, qui se

situerait place Gambetta à

Cavaillon. On le salue au passage car

notre randonnée fictive nous

conduit dans la Vaucluse !

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➢ Le mur de la peste.

Bien que de sévères mesures de restriction de circulation aient été prises pour limiter l’épidémie de la grande peste à la seule ville de Marseille, la maladie s’étend dans l’arrière-pays. En mars 1721 les territoires pontificaux d’Avignon et le comtat Venaissin décidèrent de se protéger en érigeant un mur de pierres ainsi que des barrières entre la Durance et le mont Ventoux. Cet ouvrage, construit en pierres sèches par des habitants réquisitionnés, avait 2 mètres de haut et 60 cm de large sur 27 km de longueur. Le mur était gardé par les troupes françaises et papales 24h/24.et des guérites encore visibles aujourd’hui abritaient les gardes.

Source : Vaucluse-visites-virtuelles

Source : ventouxprovence.fr

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Source : terrarando.com

Malgré ce mur l’épidémie poursuivit sa progression, à raison d’environ 45km par mois.

Des chemins de randonnées permettent d’approcher le mur entre Cabrières-d'Avignon et Lagnes,

ainsi qu'à Murs.

La grande peste fit en Provence 126 000 mort dont 50 000 morts à Marseille,

Quelques sites intéressants :

http://mistraletnoroit.free.fr/spip.php?article1 (pour son excellente carte interactive.)

les lazarets de Marseille (univmed.fr) (article très complet qui donne beaucoup de détails sur les lazaret de

Marseille, en particulier sur celui d’Arenc )

Le chevalier Roze : entre mythe et réalités (univmed.fr) (pour en savoir plus sur le Chevalier Rose.)

http://luberon.fr/tourisme/balades/randonnees/annu+balade-du-mur-de-la-peste+1688.html

(Un site parmi d’autres proposant un itinéraire de randonnée permettant de découvrir le mur de la

peste. Il est proposé par l’association « pierres sèches ».)

Ici prend fin notre sentier de Yersina.

A bientôt. R.Ferrus