25
ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de sa pertinence Rapport public thématique Synthèse Octobre 2014

LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES

LA GRANDE VITESSEFERROVIAIRE :

un modèle porté au-delà desa pertinence

Rapport public thématique

Synthèse

Octobre 2014

Page 2: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

�� AVERTISSEMENT

Cette synthèse est destinée à faciliter la lecture et

l’utilisation du rapport de la Cour des comptes.

Seul le rapport engage la Cour des comptes.

Les réponses des administrations et des organismes

figurent à la suite du rapport.

Page 3: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

SOMMAIRE

3

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5

1 Les limites d’une réussite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7

2 Un processus de décision qui conduit inéluctablement à la réalisa-tion de lignes nouvelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15

3 Un coût non soutenable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21

Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25

Page 4: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion
Page 5: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

INTRODUCTION

5

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

L’histoire de la grande vitesse ferroviaire en France est celle de la rencontre, il ya 30 ans, entre une technologie d’avant-garde et un large public. Nombre deFrançais ont eu en effet l’occasion de profiter du confort et de la vitesse d’unmode de transport qui est de surcroît considéré par les villes desservies commeune marque indispensable de modernité.

À mesure que le réseau de lignes à grande vitesse (LGV) s’est étendu, la perti-nence du modèle et ses bénéfices pour la collectivité se sont progressivementréduits : les nouvelles lignes sont de moins en moins rentables, le nombre trèsimportant de dessertes devient contradictoire avec la notion même de grandevitesse, la marge dégagée par cette activité dans son ensemble diminue et cou-vre chaque année un peu moins le déficit des autres activités ferroviaires de laSNCF.

Cette enquête complète plusieurs travaux de la Cour consacrés au transport fer-roviaire : transport express régional en 2009, Transilien en 2010, entretien duréseau ferré national en 2012, comptes et gestion de RFF en 2013, trains d’équi-libre du territoire (TET) en 2014.

Elle met en lumière trois faits qui conduisent à remettre pour partie en cause lemodèle actuel et qui constituent les trois chapitres du rapport :

• les bénéfices de la grande vitesse ferroviaire pour la collectivité sont moin-dres qu’escomptés et l’investissement très lourd qui a été consenti s’est fait audétriment de l’entretien du réseau classique ;

• le processus de décision pour la réalisation d’une LGV se présente de façonrationnelle mais, dans la pratique, il reste très dépendant de paramètres sub-jectifs et politiques ;

• les ressources financières affectées à la construction des infrastructurespermettent aujourd’hui tout juste de financer les lignes en cours de construc-tion.

Page 6: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Deux questions majeures restent ouvertes :

- celle de l’arbitrage entre la hausse des péages dus par la SNCF qui réduisentles profits de la grande vitesse mais sont indispensables pour rénover et moder-niser le réseau classique ;

- le choix d’une ressource pérenne de substitution à l’écotaxe pour que puissentêtre réalisées d’ici 2030, à la fois les nouveaux projets, notamment ceux retenuspar la commission « Mobilité 21 », et d’autres infrastructures qualifiées de prio-ritaires par les pouvoirs publics, tels que le canal Seine-Nord Europe.

INTRODUCTION

6

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

Page 7: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

7

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

1Les limites d’une réussite

Succès technique, le TGV estaujourd’hui en France la composantedominante du système de transportferroviaire de voyageurs sur longuedistance. Sa faculté de desservir toutle territoire à partir du réseau clas-sique outre les lignes à grandevitesse, lui confère un attrait particu-lier. Cette image positive ne doitocculter ni les limites de cette réus-site, ni ses effets négatifs sur le restedu système ferroviaire.

Un modèle français caractérisé parun matériel spécifique, roulant aussisur le réseau classique pour desservirdes destinations plus nombreusesque dans tout autre pays

Vingt ans après la mise en service en1964 du Shinkansen au Japon, la SNCFdevenait le pionnier de la grandevitesse ferroviaire en Europe, en met-tant en service les premiers tronçonsde ligne à grande vitesse (LGV) sur laliaison Paris-Lyon. Le succès initial decette liaison a conduit les pouvoirspublics à favoriser le développementd’un réseau de LGV. Ces lignes étaientconçues initialement pour des trainsroulant jusqu’à 270 km/h, vitesse por-tée à 300, puis 320 km/h sur les lignesles plus récentes. Le réseau atteintaujourd’hui 2 036 km avec uneperspective d’extension à 2 700 kmd’ici 2018, lorsque les quatre lignesactuellement en construction serontachevées.

Le réseau français se caractérise par la« grande vitesse mixte » où des ramesspécialement conçues pour la grandevitesse, les TGV, roulent à la fois sur lesLGV ouvertes à ce seul trafic, maispeuvent aussi emprunter le réseauclassique. En moyenne, une rame deTGV roule environ 40 % de son tempssur le réseau classique, à la vitessepropre à ce réseau, soit inférieure à220 km/h. De cette mixité résulte unespécificité du modèle français : la des-serte d’un grand nombre de destina-tions, plus de 230 au total, composéesaussi bien d’arrêts intermédiaires quede dessertes en bout de ligne. Cetteparticularité a des répercussions tantsur la vitesse moyenne des TGV quesur leur rentabilité.

Considérant les investissementsconsidérables nécessaires pourconstruire les LGV et acheter le maté-riel roulant, la grande vitesse ferro-viaire doit en effet constituer un modede transport de masse, c’est-à-diresatisfaire un trafic élevé, obtenu pardes rames de grande capacité et defort taux de remplissage. Elle seradonc d’autant plus rentable qu’elledessert des bassins de populationimportants avec des fréquences éle-vées (23 allers-retours par jour entreParis et Lyon ou Paris et Nantes, parexemple). Or la France souffre déjàd’un déséquilibre entre sa capitale etle faible nombre d’autres grandesmétropoles. Le fait de multiplier les

Page 8: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

8

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

esLes limites d’une réussite

dessertes entraîne nécessairement demoindres fréquences et surtout unplus grand parc dont l’achat, l’entre-

tien et le renouvellement pèsent surles comptes.

Dessertes et destinations du TGV

Source : Guide TGV, SNCF (juin 2014)

Page 9: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

9

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

Les limites d’une réussite

La « zone de pertinence » de lagrande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion est com-prise entre une heure trente et troisheures de trajet

Quatorze pays dans le monde prati-quent la grande vitesse ferroviaireavec des modèles très différents. EnAsie, la Chine et le Japon possèdentles deux premiers réseaux mondiaux,avec des lignes totalement séparéesdu réseau classique. Plusieursmodèles coexistent en Europe :l’Espagne (premier réseau européen)et la France pratiquent une mixité par-tielle. D’autres pays, comme l’Italie,ont un réseau à grande vitesse exclu-sif. L’Allemagne présente l’originalitéd’avoir une mixité intégrale : sonréseau grande vitesse est limité et ilest emprunté par des convois clas-siques roulant à vitesse normale, ce

qui limite d’autant les plages où lagrande vitesse peut être utilisée. Lapriorité a en fait été donnée dans cepays à la rénovation du réseau clas-sique afin de le désengorger au béné-fice du transport du fret Nord/Sud.

Cette hétérogénéité a deux consé-quences. Il est tout d’abord difficile detirer les leçons des expériencesmenées dans les pays voisins, à l’ex-ception d’une seule : le TGV n’est vrai-ment compétitif par rapport à la voi-ture et à l’avion, en termes de parts demarché du trafic total entre deuxvilles, que pour des durées de trajetcomprises entre une heure trente ettrois heures, soit des distances de 350à 600 ou 700 km. En deçà, la voiturel’emporte, au-delà, c’est l’avion.

Page 10: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Les limites d’une réussite

10

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

Carte des lignes à grande vitesse en Europe

Source : L’Europe de la Grande Vitesse, RFF, 2014

Il est ensuite difficile de parler de « réseau TGV européen » tant sontdiverses les pratiques des différentspays du continent en la matière. Dèslors, l’argument d’un réseau européenest rarement pertinent pour justifierla réalisation d’une ligne nationale. Sile TGV Paris-Londres est pertinent,Paris-Barcelone ne l’est pas, comptetenu de la distance, et Lyon-Turin nonplus, au regard de son coût.

En France, le TGV a stabilisé le déclindu trafic voyageur de la SNCF. Il resteminoritaire dans les déplacements etn’est pas utilisé à titre principal parceux qui font du gain de temps unepriorité. Il se heurte par ailleurs à denouvelles formes de concurrence

Dans sa zone de pertinence, le TGVentraîne à la fois une augmentationdu trafic total et un report modal del’avion et de l’automobile au profit duTGV. Ces reports cumulés atteignentainsi 67 % des gains de trafic totauxpour le TGV Méditerranée et 55 %

Page 11: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Les limites d’une réussite

11

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

pour les TGV Atlantique et Est - pre-mière phase.

Le trafic en 2013 était de 53,8 Md devoyageurs-km1. Il stagne depuis cinqans. Ce niveau a été atteint au détri-ment des modes de dessertes clas-siques longue distance par les trainsIntercités, dont la fréquentation a été

divisée par cinq en trente ans et quiont vu la suppression de nombreusesdestinations. Le trafic des trains deproximité (TER) a en revanche aug-menté parallèlement à celui des TGV,posant ainsi la question de la réparti-tion de dépenses entre réseau grandevitesse et réseau classique.

Source : Cour des comptes (d’après le SOeS et les bulletins mensuels des transports)Note : Les km de LGV correspondent à l’échelle de droite (carrés pleins pour les lignes opéra-tionnelles, grisé pour celles en construction)

Km de LGV en service et fréquentation des TGV et autres trains longues distances (envoyageur-km) (1980-2020)

Contrairement à une idée reçue, leTGV n’est pas majoritairement utilisépar ceux dont le gain de temps est lapriorité, c’est-à-dire les voyageurs à

titre professionnel : les motifs profes-sionnels comptent seulement pour untiers dans les motifs de déplacement.

1 Voyageur-kilomètre : unité de mesure qui équivaut au transport d'un voyageur sur une distance d'un kilomètre

Page 12: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Les limites d’une réussite

12

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

Utilisation des TGV suivant les motifs : privés à 63,8 % et professionnels à 36,2 %(en milliers de déplacement)

Source : Cour des comptes après traitement des données de l‘enquête nationale transports etdéplacements

De plus, les usagers du TGV figurentparmi les déciles les plus élevés derevenus (contrairement aux trans-ports régionaux ou à l’automobile parexemple). Ce double constat sur lesrevenus et les motivations des usa-gers du TGV conduit à s’interroger surla pertinence d’un modèle fondé enpartie sur la desserte par des TGVd’extrémités de ligne par voie clas-sique. Le confort d’un trajet sans rup-ture de charge doit être mis enbalance avec des taux d’occupationsplus faibles et la mobilisation d’unparc important de rames coûteusesdès lors qu’elles ne sont pas utilisées àplein et à pleine vitesse sur l’ensemblede leur parcours.

Enfin, s’il est avéré que le TGV, dans saphase initiale de développement, aconquis une part du marché (souventsupérieure à 60 %) sur l’avion et l’au-tomobile grâce au seul facteur

« vitesse », la période récente a vuapparaître un changement de com-portement d’une partie des consom-mateurs, pour qui le prix devient plusimportant que la durée du trajet.Compte tenu, entre autres, de la dis-parition d’un grand nombre de liai-sons ferroviaires longue distance clas-siques (Intercités/TET), la clientèletend à s’éloigner du ferroviaire au pro-fit des autres modes de transport,autocar ou covoiturage, qui sont deve-nus, au même titre que l’aviation à basprix (low cost) de redoutables concur-rents. La SNCF est encore protégéepar les restrictions qui existent enFrance sur le transport par autocarsur de longues distances mais cettesituation de monopole de fait n’estpas appelée à durer.

Page 13: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Les limites d’une réussite

13

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

Les arguments concernant l’impactsur l’environnement, le développe-ment de l’économie ou l’égalité desterritoires sont à nuancer

Le TGV bénéficie d’un a priori favora-ble en ce qui concerne son impact surl’environnement, qui est à nuancer :l’efficacité énergétique, par personetransportée, dépend par définition dutaux d’occupation. Si ce taux est net-tement supérieur pour le TGV à celuides modes concurrents pour les lignesles plus fréquentées, il chute nette-ment, dès lors que les TGV roulent surdes lignes classiques. Le même raison-nement s’applique aux émissions deCO2 par passager : si le taux d’occupa-tion du TGV est inférieur à 50 %, lebilan CO2 du TGV n’est pas meilleurque celui de l’autocar. En outre, cesémissions dépendent aussi de l’originede l’électricité utilisée. Par des achatssur le marché, la SNCF en importe unepartie nettement plus « carbonée »que la moyenne française, qui estremarquablement basse en raison deson origine nucléaire. Ceci peut, sui-vant les méthodes de calcul retenues,dégrader encore le bilan en CO2.

Par ailleurs, la phase de constructiondes lignes à grande vitesse (LGV) estelle aussi fortement productrice deCO2 : ainsi, un bilan carbone completde la LGV Rhin-Rhône (branche Est) afait apparaître que si l’on met enbalance l’ensemble des émissionsentraînées par la construction d’uneligne avec les émissions économiséesgrâce au report modal des transportsen faveur du TGV, ce n’est que 12 ansaprès sa mise en service que la lignedeviendrait neutre en carbone.

Au final, le coût de la tonne de CO2« évitée » grâce aux LGV, critère depertinence environnemental des pro-jets, reste incomparablement plusélevé que le cours du marché carboneet même que la valeur tutélaire ducoût public de la tonne de CO2 évitéefixée à 32 € en 2010, et évaluée à100 € en 2030.

En ce qui concerne le développementéconomique, il existe un contrasteentre l’opinion générale suivantlaquelle une LGV est toujours un fac-teur positif de développement écono-mique et les quelques études scienti-fiques qui dressent un bilan plus neu-tre. Selon ces dernières, une régiondéjà dynamique le reste, avec ou sansLGV. Une région en difficulté le resteaussi et les exemples d’activités qui sedéveloppent autour des infrastruc-tures ferroviaires nouvelles corres-pondent plus à des déplacements qu’àdes créations nettes.

Il en résulte qu’une LGV a un effetambivalent sur l’aménagement du ter-ritoire. Contrairement à l’idée d’unTGV pour tous qui mettrait les terri-toires à égalité, le TGV a plutôt ten-dance à accentuer la polarisationautour des grandes métropoles, sin-gulièrement des plus grandes d’entreelles, Paris au premier chef, et à des-servir les zones moins urbanisées.

Face à ce bilan en demi-teinte, il sem-ble nécessaire de revoir le modèlefrançais, de deux points de vue aumoins :

Page 14: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Les limites d’une réussite

14

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

- technologique tout d’abord : alorsque la France a réellement été unepionnière en matière de grandevitesse ferroviaire, elle n’a pas réussi àimposer son modèle au plan interna-tional, à deux exceptions près. De sur-croît, les paramètres des nouveauxappels d’offres internationaux requiè-rent des vitesses commerciales supé-rieures à 350 km/h, que l’offre fran-çaise n’est pas en mesure de satisfaire.Pour pallier ce retard, un « TGV dufutur » figure parmi les 34 projets duplan de la « Nouvelle FranceIndustrielle » annoncé en juillet 2013.- politique ensuite, qui consiste àmieux articuler la grande vitesse et lesautres modes de transport ferroviaire.À cette fin, plutôt que de considérer leTGV comme le seul marqueur de la

modernité et s’enfermer dans lacontradiction « TGV partout, arrêtspartout », il est urgent de définir uneoffre, entre TER et TGV, qui, sur unréseau classique mais rénové, proposedes dessertes à vitesse rapide maisinférieure à 220 km/h. De même, l’arti-culation entre le ferroviaire et les liai-sons routières modernisées (covoitu-rage, autopartage par exemple) doitêtre considérée comme une prioritéde la politique du transport de voya-geurs.

Page 15: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

15

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

2Un processus de décision quiconduit inéluctablement à laréalisation de lignes nouvelles

L’investissement dans les LGV estsoumis à une évaluation socio-éco-nomique dont les résultats, mêmenégatifs, s’effacent fréquemmentdevant des processus de décisionconduisant à des réalisations dont lapertinence est parfois contestable.Cette tendance est renforcée par unrecours croissant aux financementsdes collectivités territoriales. Cesinterventions appellent des contre-parties pouvant aller à l’encontre dela rationalité de l’investissementdans la grande vitesse, comme l’illus-trent les projets les plus récents.

L’analyse socio-économique des pro-jets est perfectible mais reste indis-pensable

Parmi les projets de nouvelles LGV outoute autre infrastructure de trans-port, il convient de distinguer les plusprofitables pour la société et ceux quile sont beaucoup moins. L’analysesocio-économique est la méthode laplus employée au niveau internationalpour l’évaluation de ces investisse-ments. En ramenant à un critèreunique de nature monétaire des don-nées disparates (valeur du temps,valeur d’une tonne de carbone, etc.),elle permet de calculer les gains pourla société résultant d’un investisse-

ment public en soustrayant les coûtsinduits et en tenant compte aussi de ladurée de vie de l’infrastructure aumoyen du taux d’actualisation. Lerésultat de cette somme pondérée, lavaleur actualisée nette (VAN), commele rapport entre la VAN et les créditspublics (soit la VAN par euro investi),sont des paramètres importants decomparaison entre projets. Le taux derendement interne ou TRI, qui corres-pond au taux d’actualisation quiannule la VAN, est lui discriminant :tout projet dont le TRI est inférieur àune certaine valeur, 4 %, est en prin-cipe éliminé.

L’analyse multicritères, qui constituel’autre méthode d’évaluation, estmoins technique, et répond mieux à laquestion de solutions alternatives(une voie ferrée plutôt qu’une route)mais présente l’inconvénient de lais-ser une large place à la subjectivitédans la pondération des critères.

En France, la loi d’orientation destransports (LOTI) de 1982 prescrit dejoindre un bilan socio-économique etenvironnemental au dossier d’en-quête publique des plus importantesopérations d’investissement dans ledomaine des transports. L’ensembledes investissements publics civils sont

Page 16: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

16

soumis à une analyse de ce type envertu de la loi du 31 décembre 2012de programmation pluriannuelle desfinances publiques. Pour les plus grosprojets, une contre-expertise indépen-dante est désormais imposée.

Au terme de l’analyse socio-écono-mique conduite actuellement, l’avan-tage dominant des infrastructures fer-roviaires réside dans le gain de tempsqu’elles permettent. Cette analyserencontre toutefois plusieurs limites.

Tout d’abord, les contre-expertisesindépendantes sont rendues difficilespar la réticence de la SNCF à commu-niquer les données du trafic par ligne,en raison du secret des affaires. Cesdonnées sont pourtant indispensablesaux évaluations et aux contre-exper-tises.

Par ailleurs, la survalorisation dutemps gagné a tendu à effacer l’évolu-tion du comportement des consom-mateurs en faveur des transports pluslents mais moins chers. Elle a surtoutjustifié la réalisation d’un nombre delignes toujours plus important audétriment de l’entretien du réseauclassique, créant un déséquilibre dontles conséquences sont aujourd’huisérieuses.

Malgré ces imperfections, la Courestime que l’analyse socio-écono-mique doit conserver sa prééminence– si les travers évoqués ci-dessus sontcorrigés –, dans la mesure où le critèrede rentabilité reste déterminant pourjustifier d’un emploi optimal des res-sources publiques. Le débat demeure

néanmoins vigoureux entre les parti-sans de cette approche et ceux quiestiment que des motifs extra-écono-miques (égal accès des territoires à lagrande vitesse, par exemple) doiventêtre intégrés dans les paramètres deschoix. Ce débat est d’autant plusactuel qu’une nouvelle instructionministérielle de juin 2014 institue uneapproche multidimensionnelle desévaluations pour les transports, sansciter l’évaluation socio-économiquedans son cadre. Or, dans la pratique,l’évaluation socio-économique s’effa-çait déjà souvent devant des proces-sus de décision moins rationnels. Lanouvelle instruction risque d’amplifiercette tendance.

La prise de décision est en principefondée sur des étapes successivesmais dans les faits elle est irréversi-ble dès le départ

La durée de réalisation des infrastruc-tures de transport s’est considérable-ment rallongée en raison de la multi-plication, en amont du projet, d’étapesdont la participation des citoyens audébat public est devenue un élémentessentiel. Cette participation a sur-tout pour but de faire adhérer lescitoyens à la réalisation du projet.

La protection de l’environnement aaussi ajouté des étapes préalables à ladécision, de même que la protectiondu patrimoine pendant la phase deréalisation. Aujourd’hui, il faut comp-ter de 14 à 18 ans entre les premièresesquisses et l’ouverture commercialed’une ligne.

Un processus de décision qui conduit inéluctablement à la réalisation de lignes nouvelles

Page 17: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

17

Un processus de décision qui conduit inéluctablement à la réalisation de lignes nouvelles

En France, en principe, l’étape-clé duprocessus de réalisation d’une infra-structure de transport est la déclara-tion d’utilité publique (DUP) quiconditionne la réalisation du projet. Orl’expérience montre que cette étapeest noyée dans le processus d’ensem-ble où les effets d’annonce successifsfinissent par valoir décision.

Cette observation s’est vérifiée pour leprojet de ligne Tours-Bordeaux (SudEurope Atlantique), où les déclara-tions successives du Premier ministreet du ministre des transports en jan-vier et février 1994, concernant l’asso-ciation des régions Aquitaine, Centreet Poitou-Charentes à la réalisation duprojet, ont valu décision. De même, ladéclaration du Premier ministre demars 2004 concernant la lignePoitiers-Limoges a valu décision alorsmême qu’aucune étude préalablen’avait été engagée.

Au-delà des effets d’annonce, lamultiplication des « petits pas » finitpar ancrer un projet dans la réalité.Certes, « débats préalables » auxétudes, « études techniquespréliminaires », « avant-projet som-maire », sont prévus par des textes etvalidés par des décisions ministé-rielles. Mais ces étapes déclenchentdes dépenses dont l’addition finit parjustifier la réalisation du projet.Comme les collectivités territorialesintéressées participent à ces dépenseset marquent ainsi leur implicationfuture dans la réalisation proprementdite du projet, il devient progressive-ment irréversible.

Ce point est d’autant plus importantqu’il a justifié l’émergence d’unconcept de « co-construction » pourles lignes issues du « Grenelle de l’en-vironnement », consistant à mener defront études préalables et concerta-tion, en réduisant d’autant l’impor-tance des premières au profit de laseconde. Cela s’est particulièrementvérifié pour le projet Poitiers-Limoges.

Dans ces conditions, la déclarationd’utilité publique (DUP) entérine lesconclusions du débat public autantque les dépenses induites par lesphases préalables et cesse d’être ledéclencheur de la décision.

Enfin, le financement, en dépit de soncaractère essentiel, ne constitue pasun élément central de la décision.Dans le cas de Tours-Bordeaux, laprocédure de DUP s’est déroulée en2006 et le choix du concessionnaire en2010, le montage financier ayant prisenviron quatre ans, pour un total de8,8 Md€. Pour la ligne Poitiers-Limoges, alors même que l’enquêtepublique est achevée, le financementn’est pas déterminé, ni même envi-sagé.

L’évaluation de la rentabilité atten-due des TGV est le plus souvent opti-miste

En principe, Réseau ferré de France(RFF), sur qui repose in fine la réalisa-tion des lignes à grande vitesse, « nepeut accepter un projet d’investisse-ment que s’il fait l’objet d’un finance-ment propre à éviter toute consé-quence négative » sur ses comptes. En

Page 18: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

18

Un processus de décision qui conduit inéluctablement à la réalisation de lignes nouvelles

d’autres termes, RFF ne peut investirau maximum que le montant netactualisé de ses recettes sur la duréede vie de la ligne, estimée à 50 ans. Or,là aussi, l’expérience montre qu’enjouant sur les paramètres qui définis-sent les recettes nettes actualisées, onpeut orienter les conclusions dans unsens optimiste.

Ainsi, les recettes attendues sontétroitement liées aux prévisions detrafic. Dans le cas de Tours-Bordeaux,tronçon concédé pour son exploita-tion, RFF ne touchera par définitionaucun péage. En conséquence, sacontribution financière à ce projetdépend du supplément de recettesenvisagé sur la partie non concédée,lequel dépend à la fois du niveau detrafic et du niveau de péage. Dans lesdeux cas, les évaluations préalablesfont apparaître un biais fortementoptimiste.

De même, le taux d’actualisationretenu, selon qu’il est plus ou moinsélevé, sera un obstacle ou une incita-tion à la réalisation des projets deLGV. Ainsi, les participations de RFF àdifférentes LGV ont été calculées avecdes taux d’actualisation variablesd’une ligne à l’autre : 7,5 % pour laligne Est en phase un, 4 % pour Rhin-Rhône Est en phase un, 8 % pourTours-Bordeaux. Enfin, même en utili-sant des hypothèses optimistes, cer-tains projets ne parviennent pas à unseuil minimum de rentabilité pour lacollectivité. A titre d’exemple, pourPoitiers-Limoges, les résultats desétudes n’ont jamais dépassé un taux

de rentabilité interne (TRI) de 3,3 %,qui justifierait de ne pas poursuivre leprojet.

La construction de LGV non renta-bles est facilitée par le recours crois-sant aux financements des collectivi-tés territoriales

En raison, à la fois des demandes del’État et de leur poids croissant sur lespolitiques d’aménagement du terri-toire, les collectivités territoriales par-ticipent de plus en plus au finance-ment des projets. Elles ne le font bienentendu que si elles y trouvent descontreparties. Ces conditions peuventdétériorer la rentabilité des projets.

La LGV Est a constitué un premierexemple puisque 16 collectivités ontparticipé non seulement à son finan-cement, mais également à l’aménage-ment du réseau classique pour assu-rer la desserte de 16 destinations horsTGV. Ces cofinancements ont induitdes choix contestables : présence dedeux gares (TGV Lorraine, MeuseTGV) sans interconnexion avec leréseau de transport régional, créationde dessertes coûteuses à la pérennitéincertaine, multiplication des arrêts àpartir de Reims.

Le cas de Tours-Bordeaux est encoreplus emblématique car il implique 58 collectivités territoriales pour unmontant total de 1,3 Md€. Outre lacomplexité d’un montage financiercomprenant autant de participants,sans d’ailleurs que ceux-ci ne soientvraiment coordonnés, les collectivités

Page 19: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

19

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

Un processus de décision qui conduit inéluctablement à la réalisation de lignes nouvelles

ont subordonné leur participation àl’obtention d’avantages multiples etd’un calendrier aussi resserré que pos-sible.

L’exemple le plus connu est celui de laparticipation des collectivités de Midi-Pyrénées à la ligne Tours-Bordeaux,subordonnée à la décision de réaliserla ligne Bordeaux-Toulouse dont lecaractère prioriaire et la rentabilitésont sujettes à interrogations.D’engagements de desserte en amé-nagements d’autres parties du réseauferroviaire, on est passé d’un projetTours-Bordeaux stricto sensu de

300 km et 5,6 Md€ (valeur en juin2006) à un projet Sud EuropeAtlantique (SEA) de plus de 850 km et14 Md€ (valeur juin 2006).

Quant à la LGV Poitiers-Limoges, pourlui assurer une rentabilité minimale,même faible, il est nécessaire dereporter sur la ligne SEA une partie dutrafic de la ligne classique Paris-Orléans-Toulouse (POLT). Ce projet deréduction de onze à quatre allers-retours par jour seulement a fait vive-ment réagir certains élus locaux, desorte que cette hypothèse a été finale-ment abandonnée.

Page 20: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion
Page 21: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

21

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

3 Un coût non soutenable

Trois raisons expliquent que le coûtdu modèle français de grande vitesseferroviaire soit devenu désormaisnon soutenable : les lignes existantessont de moins en moins rentables,les nouveaux projets ne sont pasfinancés faute de ressources et lesprofits de la grande vitesse ne suffi-sent plus à assurer un résultat positifpour l’ensemble SNCF.

Des lignes de moins en moins rentables

Les coûts de construction des LGVn’ont pas cessé d’augmenter au coursdes 30 dernières années. De4,8 M€2003/km pour Paris-Lyon, on estpassé à 26 M€/km aujourd’hui. Cescoûts se partagent pour les lignes lesplus récentes entre 60/70 % pour legénie civil, 20/30 % pour le ferroviaire,10 % pour le foncier.

La dérive entre estimations et réalisa-tions a été en moyenne de 17 % entrela DUP et la mise en service pour lescinq LGV ayant fait l’objet d’un bilan aposteriori. De même, les coûts d’ex-ploitation tendent à être plus élevésque prévu, le double par rapport auxprévisions pour les LGV Nord ou bienRhône-Alpes Méditerranée.

Les prévisions de trafic sont rarementréalisées. En régime de croisière, sursix LGV ayant donné lieu à un bilan dece type, une seule, Paris-Lyon, a un tra-fic supérieur aux prévisions, cinq untrafic inférieur dont l’une, la LGVNord, un trafic inférieur de moitié. Enmoyenne, les prévisions sont tropoptimistes de 24 %.

Dès lors, la rentabilité est toujoursinférieure aux prévisions et a eu ten-dance à se dégrader à mesure que leslignes les plus profitables étaient réa-lisées.

Page 22: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Un coût non soutenable

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

22

Rentabilité1 des LGV présentées par date de construction

Source : Cour des comptes, à partir des données du CGEDD

__________________________2 Les rentabilités économique et socio-économique se définissent, la première comme la ren-tabilité financière de l’ensemble RFF+SNCF calculée en euros constants et hors frais financiers,la seconde en y ajoutant les surplus des autres acteurs (voyageurs, opérateurs d’infrastructuresconcurrentes, collectivités publiques, impact sur l’environnement) comme exposé dans leChapitre II. 3 Député du Calvados, président de l’AFITF.

Les nouveaux projets sont dans uneimpasse financière

Les projets inclus dans le projet deschéma national des infrastructuresde transport en 2011 représentaientune dépense de 107 Md€ dans ledomaine ferroviaire dont 60 Md€ pourles 2 500 km de LGV à construire.

En regard de ces dépenses, les sourcesde financement à la disposition del’agence de financement des infra-structures de transport (AFITF) sontinférieures à 2 Md€, tous projets ettous secteurs confondus (c’est-à-dire

y compris routes et infrastructuresmaritimes et fluviales).

Face à cette impasse, le gouverne-ment a chargé une commission dite« Mobilité 21 », présidée par M. Philippe Duron2, de répartir les dif-férents projets en fonction de leurdegré de priorité. L’emballement pourla grande vitesse s’oppose en effetaux coûts croissants de réalisation desLGV joints à leur rentabilité décrois-sante, les lignes les plus pertinentesayant été construites en premier. À lasuite des travaux de cette commis-sion, les pouvoirs publics ont choisi un

Page 23: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Un coût non soutenable

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

23

scénario encore ambitieux danslequel les dépenses ferroviaires s’élè-veraient à 23 Md€ d’ici 2030. Il résultede ce choix que, hormis les chantiersen cours de réalisation, les autres pro-jets ne sont pas financés en l’étatactuel des ressources existantes ouprévisibles de l’AFITF.

Les ressources disponibles sont envoie d’épuisement

Du côté de l’État, les capacités budgé-taires en matière d’investissementn’excèdent pas 700 M€ en 2013. Cescrédits sont portés par l’AFITF, dont laCour a eu l’occasion, par le passé, decritiquer l’utilité. Ses ressources pro-viennent de diverses taxes affectées,d’une partie des amendes des radarset d’une subvention d’équilibre del’État. Il était prévu que cette subven-tion disparaisse peu à peu à mesurede la montée en puissance de l’éco-taxe dont le produit en année pleinedevait avoisiner 870 M€. Or, la subven-tion de l’État a commencé à diminuerà partir de 2013, alors même que laperception de l’écotaxe était reportée,désormais sine die.

Dans ces conditions, non seulementl’AFITF a du mal à honorer ses enga-gements budgétaires actuels mais,faute d’une ressource nouvelle etpérenne, elle n’a plus de marge demanœuvre pour des dépenses nou-velles jusqu’à l’horizon 2030. À cetégard, l’affectation en 2015 derecettes issues de l’augmentation de

la TICPE sur le gazole(2 centimes/litre) ne sera probable-ment pas suffisante pour combler lemanque à gagner lié à l’abandon del’écotaxe. Le risque existe désormaisque les projets nouveaux soient lan-cés tout en étant sous-financés et quel’État fasse le pari à la fois d’un étale-ment dans le temps de la réalisationdes projets et d’une participationaccrue des collectivités territorialespour combler ce sous financement.Cette hypothèse est d’autant plus fra-gile que les collectivités territorialessont dans une situation financièreplus tendue. De surcroît, comme l’areconnu la commission « Mobilité21 », certains projets très lourds,comme le canal Seine-Nord Europeou la liaison ferroviaire Lyon-Turin,qu’elle n’a pas pris en compte, suffi-raient à eux seuls à assécher la totalitédes ressources de l’AFITF d’ici 2030s’ils étaient lancés.

Enfin, l’activité TGV de la SNCF s’avèrede moins en moins rentable. Alors quele chiffre d’affaire stagne depuis 2012,la marge opérationnelle décroît sousl’effet croisé d’un plafonnement desrecettes et d’une hausse desdépenses. Du côté des recettes, onconstate que la SNCF est réticente,pour des raisons commerciales, à aug-menter le prix des billets, sachant quele TGV est un produit déjà perçucomme cher par l’usager. Du côté desdépenses, la hausse des péages estcertes un facteur important, mais ilest loin d’être le seul : la hausse des

Page 24: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

Un coût non soutenableSy

nthè

se d

u Ra

ppor

t pub

lic th

émat

ique

de

la C

our

des

com

ptes

24

coûts salariaux en est un autre, demême qu’une politique d’achat derames grande vitesse à l’incitation de

l’État en vue de soutenir le plan decharge industriel de la division trans-port du constructeur national.

Chiffre d’affaires, marge opérationnelle et taux de marge (% du CA) de TGV / France

Source : Cour des comptes, d’après les données du SOeS et de la SNCF

Or la SNCF a dans le même temps lesouci de maintenir dans l’activité TGVune marge élevée qui lui est indispen-sable face aux difficultés de certainesde ses autres activités ferroviaires(fret, TET). À cette fin, la SNCF résistede plus en plus aux hausses de péagesenvisagées pour permettre à RFF definancer la construction de lignes fer-roviaires nouvelles.

Cette résistance n’en constitue pasmoins un jeu à somme nulle puisque,

si RFF ne dispose pas des recettes depéage qui lui sont nécessaires pourrénover le réseau classique, l’établis-sement n’a d’autre choix que d’arrêtercette rénovation ou de la poursuivreen s’endettant. Comme par ailleurs ladette de RFF tend aussi à augmenterdu fait qu’il finance des LGV de moinsen moins rentables, il n’est pas surpre-nant que sa dette, qui atteint déjà34 Md€, continue d’augmenter de1,5 Md€/an.

Page 25: LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : un modèle porté au-delà de … · 2017. 6. 6. · La « zone de pertinence » de la grande vitesse ferroviaire par rap-port à la voiture et l’avion

RECOMMANDATIONS

Synt

hèse

du

Rapp

ort p

ublic

thém

atiq

ue d

e la

Cou

r de

s co

mpt

es

25

�mieux intégrer la grandevitesse aux choix de mobilité desFrançais en insérant le TGV dans uneoffre tirant parti de l’ensemble desmoyens de transport - ferroviairelongue distance alternatif à la grandevitesse (trains à 200 km/h, pendu-laires), ferroviaire de proximité, trans-ports collectifs (sur route et enaérien) et coopératifs (covoiturage,partage, location) - et en levant lesrestrictions à la concurrence desmodes de transport longues dis-tances routiers ;

�parallèlement, restreindre pro-gressivement le nombre d’arrêts surles tronçons de LGV et de dessertesdes TGV sur voies classiques et extré-mités de lignes, en ne conservant quecelles justifiées par un large bassinde population ;

�assurer la transparence et l’ac-cès aux données de la SNCF, en parti-culier la fréquentation par ligne ;

�faire prévaloir l’évaluationsocio-économique des projets deLGV annoncés pour avant 2030 etleur contre-expertise par le CGI, ycompris ceux ayant fait l’objet d’uneenquête d’utilité publique avant le23 décembre 2013 ;

�ne décider du lancement desétudes préliminaires qu’après :

- la définition d’un plan d’affairespour la ligne, associant le gestion-naire d’infrastructure et le ou lesopérateurs ferroviaires ;

- la prise en compte par une déci-sion interministérielle formelle desperspectives de financement du pro-jet d’infrastructure et la répartitionentre les acteurs (État, RFF, éventuel-lement collectivités territoriales) ;

�veiller au paiement par l’AFITFde ses engagements financiers vis-à-vis de RFF et clarifier rapidement laquestion des ressources de cetteagence ;

�concentrer en priorité lesmoyens financiers sur l’entretien duréseau par rapport aux projets dedéveloppement et améliorer le pilo-tage de la prestation d’entretien duréseau ferroviaire par le gestionnaired’infrastructure ;

�veiller à ce que la définition desfuturs ratios d’endettement du ges-tionnaire d’infrastructure présenteune stabilité dans le temps etconduise effectivement à ne pasfinancer des projets non rentables.