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I. La GRH en Tunisie : 1. La naissance du prolétariat : Le colonialisme désireux d’introduire certaines industries en Tunisie a créé des conditions économiques et politiques pour s’assurer en premier lieu une main d’œuvre abondante : expropriation des paysans, détérioration et ruine des corporations artisanales par l’encouragement de la consommation des produits industriels, d’où la prolétarisation des paysans et de la petite bourgeoisie. Le problème de gestion fondamentale à savoir attirer et retenir des travailleurs s’est posé particulièrement dans les mines de Gafsa. Les mineurs restaient avant tout des paysans et considéraient le travail dans les mines comme une activité d’appoint qu’ils négligeaient facilement quand la récolte était bonne. La direction des mines a alors développé une gestion visant à assurer la stabilité du personnel en combinat les politiques d’endettement des ouvriers, de sanction, de hauts salaires et d’intéressement par les primes d’assiduité, la distribution gratuite des terres voisines des zones d’exploitation en contrepartie de l’engagement des mineurs à fournir un nombre déterminé de jours de travail par an. 2. Indépendance et développement : La politique dirigiste des années soixante a œuvré sur deux volets : création d’entreprises publiques, encouragement de l’investissement industriel et découragement de celui dans le commerce.

La GRH en Tunisie

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Gestion de Ressources Humaines

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Page 1: La GRH en Tunisie

I. La GRH en Tunisie :

1. La naissance du prolétariat :

Le colonialisme désireux d’introduire certaines industries en Tunisie a créé des conditions

économiques et politiques pour s’assurer en premier lieu une main d’œuvre abondante :

expropriation des paysans, détérioration et ruine des corporations artisanales par

l’encouragement de la consommation des produits industriels, d’où la prolétarisation des

paysans et de la petite bourgeoisie.

Le problème de gestion fondamentale à savoir attirer et retenir des travailleurs s’est posé

particulièrement dans les mines de Gafsa. Les mineurs restaient avant tout des paysans et

considéraient le travail dans les mines comme une activité d’appoint qu’ils négligeaient

facilement quand la récolte était bonne. La direction des mines a alors développé une gestion

visant à assurer la stabilité du personnel en combinat les politiques d’endettement des

ouvriers, de sanction, de hauts salaires et d’intéressement par les primes d’assiduité, la

distribution gratuite des terres voisines des zones d’exploitation en contrepartie de

l’engagement des mineurs à fournir un nombre déterminé de jours de travail par an.

2. Indépendance et développement :

La politique dirigiste des années soixante a œuvré sur deux volets : création d’entreprises

publiques, encouragement de l’investissement industriel et découragement de celui dans le

commerce.

Cela a donné naissance à un tissu d’industries manufacturières produisant des biens de

substitution à l’importation et naturellement peu concurrentiels. La période des années 70-80

a été celle du déclenchement d’une politique de la libéralisation associée à la mise en place de

mécanismes incitant à l’ investissement notamment celui en partenariat avec des étrangers.

La loi promulguée en 1972 à cette fin a donné naissance à de nombre u s e s joint-ventures et

a placé les entreprises, peut-être pour la première fois, dans une logique de concurrence

internationale.

Mais depuis l’adhésion du pays à l’OMC et la signature des accords de création d’une zone de

libre échange avec l’ Union Européenne en 1995, l’enjeu de la concurrence internationale et

de la survie de l’entreprise s’est davantage affirmé. L’Etat intervient encore une fois sur deux

volets : celui de la stimulation de l’investissement privé notamment dans les nouvelles

Page 2: La GRH en Tunisie

technologies, et celui de l’incitation des entreprises à améliorer leur processus de gestion et la

qualité de leurs produits et services.

L’objectif est de soutenir la concurrence internationale de plus en plus rude dans un marché

national de plus en plus ouvert. A cet effet, l’un des principaux mécanismes mis en place est

celui du « Projet National de Mise à Niveau » qui apporte aux entreprises « éligibles » (selon

des critères définis par le comité de pilotage du PNMA) un soutien sur plusieurs volets :

soutien matériel et technique pour un diagnostic du processus de gestion en place, soutien

matériel pour moderniser les technologies utilisées, améliorer la qualification du personnel, en

particulier, par le recrutement de cadres.

Des formules de recrutement dans le cadre de contrats à durée déterminée ont été

promulguées par le Ministère de la Formation Professionnelle et de l’Emploi. Dès 1980 il a

été institué un système de contrat emploi-formation en vue d’encourager à l’emploi des

jeunes, sans contrainte d’insertion dans l’entreprise pour un emploi stable, puis en 1987 et

1988 ont été introduits les stages d’initiation à la vie professionnelle ‘SIVP, une autre formule

d’emploi flexible qui, de plus est financé en partie par l’Etat sous forme de contribution au

salaire (150D) et d’exonération de charges sociales.

3. Les orientations actuelles :

Plusieurs recherches récentes s’accordent sur le fait que la gestion des R.H. n’occupe pas une

place stratégique dans la gestion des entreprises tunisiennes.

Rares sont les entreprises qui ont une stratégie sociale, au contraire c’est la gestion corrective

qui domine, l’intervention en GRH est guidée par l’apparition de problèmes, sinon le désir de

cultiver une image positive de l’entreprise.

Souvent l’introduction de l’informatique, l’adoption de formules organisationnelles telles que

les cercles de qualité, l’organisation de programmes de formation ne sont pas faites pour

répondre à une nécessité mais constituent souvent des actions entreprises sous l’effet

d’incitations émanent d’agent extérieurs (fournisseurs, partenaires étrangers, experts,

législation). L’environnement de la GRH reste caractérisé par une centralisation des décisions

et un style de commandement autoritaire.

Néanmoins le contexte économique et social tunisien (vue l’importance du syndicat après la

révolution) renferme des indicateurs susceptibles de provoquer un regain d’intérêt pour la

GRH. Pour cela il faudra faire appel à des techniques avancées de GRH mais aussi tenir

compte d’un contexte culturel particulier sans quoi toute imitation aveugle est vouée à

l’échec.

Page 3: La GRH en Tunisie

Références bibliographiques

Ben Ferjani M. (1998), Nouveau contexte de l’entreprise tunisienne et pratiques de GRH: cas

de quelques entreprises «performantes», in La gestion des entreprises, contextes et

performances. Tunis, Centre de Publication Universitaire.

Zghal R. (2005), « La question des ressources humaines en Tunisie », in YANAT Z.,

SCOUARNEC, A. (éd) Perspectives sur la GRH au Maghreb, Paris : Vuibert. 165-174.webmanagercenter.com - 26 Août 2008

Articles relatifs à l’évolution de la GRH en Tunisie

La gestion des ressources humaines en Tunisie

Par Imededdine BOULAABA

          

La mondialisation s’applique-t-elle aussi à la gestion des ressources humaines (GRH) ?

Autrement dit, les pratiques en vogue au sein des services RH des différents holdings du

monde occidental, comme l’évaluation des performances ou le salaire au mérite,

s’appliquent-elles de plus en plus uniformément ou, au contraire, les usages RH restent-

ils essentiellement influencés par la culture locale ? Est-ce que le management des

ressources humaines en Tunisie s’uniformise, surtout sous l’influence d’une

délocalisation européenne opérée en masse dans le pays ? En fait, il ya un peu des deux

dans les pratiques actuelles : certaines manières de faire se sont répandues, d’autres

restent très locales.

 

Standardisation en cours

 

Avec le démantèlement progressif de l’industrie lourde un peu partout dans le monde et

l’essor vertigineux du secteur des services, l’appartenance aux syndicats et la

symbolique des luttes collectives ont perdu, au niveau individuel, en importance, ce qui

a permis au modèle anglo-saxon des pratiques RH de se propager, de se positionner en

leader dans le domaine des techniques de la sélection du personnel et de s’exporter en

véhiculant les valeurs de l’individualisation des rapports de travail, le principe du

développement du potentiel des collaborateurs à travers la formation continue, tout en

mettant l’accent sur la communication et la participation pour voir les performances

s’améliorer tout au long de la vie professionnelle.

 

Page 4: La GRH en Tunisie

«Désormais, devant la montée des nouvelles réglementations liées à la bonne

gouvernance, on remarque, dans les pays du Nord, l’augmentation du potentiel

stratégique des départements RH au niveau des PME et des grandes sociétés, ce qui a

favorisé une meilleure qualification des services du personnel et une

professionnalisation du métier avec l’engagement de diplômés en droit, en psychologie

et en gestion», nous souligne M. Chiheb Eddine Driss, consultant en management, qui

met l’accent sur les techniques de plus en plus sophistiquées (tests psychotechniques,

assessments, etc.) utilisées dans le monde du travail anglo-saxon pour le recrutement de

la bonne personne au bon endroit.

 

Le profil de la Tunisie 

 

«Notre pays a adopté, après l’indépendance, plus précisément dans les années soixante

du siècle passé, le modèle social-démocrate allemand fondé sur les vertus de la bonne

planification au travail, mesure à même d’engendrer de grandes incidences sur le

rendement des employés, l’efficacité organisationnelle de l’acte productif et l’équité

dans la répartition de l’effort», indique de son côté M. Aissa Baccouche, secrétaire

général de l’U.G.E.T à l’époque pour qui la standardisation des modes de

fonctionnement dans la gestion des ressources humaines est un véritable mythe car les

différents praticiens, dit-il, tout en gardant les grandes lignes conductrices comme la

performance doivent savoir que pour y arriver, les moyens déployés divergent d’un pays

à un autre d’où la notion du management de la diversité, en vogue dans certaines

capitales du sud de l’Europe, généralement rétives à la prépondérance du modèle outre-

Atlantique.

 

Il est clair qu’actuellement, en Tunisie, insiste notre vis-à-vis, avec le maillage

entrepreneurial en cours et l’internationalisation du tissu industriel du pays, plusieurs

grandes sociétés investissent réellement du temps pour penser le développement des

compétences, faire évoluer les collaborateurs, réfléchir à la politique salariale et mettre

le capital humain de l’entreprise en avant dans l’agenda des conseils d’administration.

Par contre, au niveau du secteur public, dont le nombre des fonctionnaires dépasse les

400.000 affiliés, la responsabilité des décisions touchant le personnel (rétribution,

formation, recrutement…) appartient le plus souvent au département concerné, «à la

ligne» comme on dit, avec la bénédiction bien entendu des services communs, véritables

Etat dans l’Etat.

EVOLUTION DE LA FONCTION RESSOURCES HUMAINES EN TUNISIE

Page 5: La GRH en Tunisie

Synthèse élaboré par Radhia H.CHEBBI (ARFORGHE-Tunisie)

RÉSUMÉ :

Promue dans le cadre de la libéralisation économique engagée par l’Etat dès 1996, la fonction

RH se trouve confrontée à une double contrainte. D’une part la fonction est liée à l’héritage

colonial de la GRH, d’autre part elle est liée aux représentations culturelles du travail (sens

attribué au travail, traditions et valeurs qui lui sont rattachées…).

Or la fonction RH doit relever un certain nombre de défis: Indépendance / Industrialisation /

modernisation / mondialisation ; et cela en un temps très court soit 40 ans alors que la GRH

européenne affronte ces mêmes défis depuis plus d’un siècle.

Cette situation a développé des pratiques chargées d’ambiguïtés et de paradoxes, souvent

sources de dysfonctionnements générateurs d’une gestion du « flou », d’une autorité

paternaliste et du recours aux relations d’appartenance.

ABSTRACT

Promoted within the context of the economic liberalization movement initiated by the State in

1996, the HR function faces constraints that are twofold. On the one hand, the function is

linked to a colonial heritage, on the other hand it is linked to the cultural representation of

work (work values, traditions). Due to these factors the HR function faces certain challenges

such as Independence /Industrialization / modernization / globalization all over a very short

period of time; i.e. 40 years, whereas the European HR function has been facing these

challenges for over a century now. This situation has resulted in the development of practices

that are ambiguous and paradoxical and which are often at the origin of malfunctions, creating

a management that is unfocused, an authority which is paternalistic and the use of contacts

and acquaintances.

1. CONTEXTE GÉNÉRAL ET DÉFINITION DE LA FRH EN TUNISIE

La Fonction RH en Tunisie ne peut être considérée sans prendre en compte les

bouleversements et les mutations rapides que l’entreprise tunisienne a connues depuis

l’indépendance (1956). Une littérature de plus en plus abondante portant sur l’évolution

récente de la GRH témoigne du souci de contribuer à une meilleure connaissance des

contraintes et des défis auxquels la FRH a toujours été confrontée. La plupart des recherches

effectuées, soit dans le cadre universitaire, soit à partir des observations sur le terrain, révèlent

des pratiques de GRH dominées par l’approche administrative du personnel. La persistance de

ces pratiques relèverait de la pesanteur historique de l’entreprise publique qui a été créée dans

Page 6: La GRH en Tunisie

la foulée de l’édification de l’Etat national et dont les caractéristiques managériales ont

marqué et marquent encore profondément la gestion des hommes et des femmes au travail.

CHENNOUFI A.(1) relève 3 types de stratégies de GRH correspondant à 3 moments forts de

la politique économique du pays depuis l’indépendance jusqu’à nos jours :

Une stratégie de salut public correspondant au soucis de l’entreprise de la première

période post coloniale d’assurer les services publics vitaux (électricité, chemin de fer,

eau…) et de stimuler la croissance économique nationale (création d’emploi, distribution

des salaires…). Cette stratégie s’appuyait sur une logique de service public (Etat

transporteur, Etat agriculteur…) l’entreprise publique s’étant attribué un rôle social :

recruter massivement sans se préoccuper des dépenses ni du profit.

Une stratégie de minimisation des coûts (années 70, 80, et début des années 90) qui

atteint en priorité le coût de la main d’oeuvre : gel des recrutements, compression du

personnel… Cette stratégie n’a pas été accompagnée de l’utilisation des moyens de

développement des R.H. en place : systèmes de motivation, de formation,

d’individualisation des salaires…

L’époque actuelle est caractérisée par un « éveil » à l’ajustement

Ressources/Besoins et à l’optimisation des R.H.

L’auteur souligne cependant que « pendant près d’un demi siècle, les R.H. étaient considérées

comme étant des éléments constitutifs des coûts de production », la fonction RH ne disposant

pas de stratégie. Ce constat est partagé par l’ensemble des auteurs qui se sont penchés sur la

question.

Analysant les facteurs influant sur la configuration de la GRH dans les entreprises

tunisiennes, ZGHAL R. (2) met en exergue l’importance à la fois de la politique volontariste

d’industrialisation et de modernisation impulsée par l’Etat mais aussi des facteurs culturels «

endogènes » et « exogènes » qui guident et imprègnent le « comportement organisationnel »

(des acteurs en présence). Selon l’auteur, le problème de la période post-coloniale était moins

la disponibilité de la main d’œuvre (paysanne) que l’adaptation de celle-ci à de nouvelles

conceptions du temps, de l’espace et de l’autorité. En effet, jusqu’à nos jours, la GRH semble

tiraillée entre les contraintes persistantes des représentations culturelles du travail (sens

attribué au travail, traditions et valeurs qui lui sont rattachées…) et les défis auxquels elle se

trouve sans cesse confrontée : Indépendance / Industrialisation / modernisation /

mondialisation ; et cela en un temps très court soit 40 ans (les défis qu’affronte la GRH

européenne depuis plus d’un siècle !). Cette situation aurait développé, selon R. ZGHAL (à

l’instar de plusieurs autres observateurs), des pratiques chargées d’ambiguïté et de paradoxes

(H.CHEBBI R(3)), souvent sources de dysfonctionnements et de contre-productivité,

Page 7: La GRH en Tunisie

générateurs d’une gestion du « flou », d’une autorité paternaliste et du recours aux relations

d’appartenance (4)…

En dépit du développement de modèles proches de l’O.S.T. et du processus entamé de

modernisation des structures de l’entreprise tunisienne (du moins dans ses aspects formels), la

GRH demeure, selon ZGHAL R(5), pour une grande part :

Dépendante des caractéristiques personnelles du « chef »

Dominée par la gestion corrective (selon l’apparition des problèmes) caractérisée par la

centralisation des décisions et la persistance des formules traditionnelles du travail

flexible : travail occasionnel et heures supplémentaires…

Handicapée par un faible degré de professionnalisation de la fonction RH

Face aux contraintes de la compétitivité et aux défis de la mondialisation, l’Etat a signé, dès

1996, un accord avec l’Europe pour la création d’une zone de libre échange.

Un programme de financement important soutenu par la CEE a été mis en œuvre pour

permettre la mise à niveau des entreprises, ainsi que des mécanismes d’appui et

d’accompagnement visant tous les secteurs et tous les domaines, parmi lesquels se place en

priorité la mise à niveau de la GRH :

Révision du Code du Travail introduisant la flexibilité de l’emploi CDD et CDI,

complétant ainsi les réformes mises en place dès les années 70 en matière de législation

de travail.

Mesures d’incitation et d’encouragement à l’emploi et à l’investissement : emploi

flexible (SIVP1, SIVP2) financé par l’Etat sous forme de contribution au salaire et de

moyen d’exonération des charges sociales.

Développement d’une politique de formation promotionnelle, accompagnée par la

mise à niveau de l’ensemble du dispositif Education- Formation (MANFORM)

Obligation pour l’Entreprise employant plus de 40 salariés de disposer d’une

commission consultative d’entreprise.

Existence d’un syndicat puissant « avec ancrage social fort » (souligné par ZGHAL R.)

avec lequel l’Etat s’est engagé dans une politique contractuelle depuis déjà fort

longtemps.

Cet arsenal de mesures, impulsé essentiellement par l’Etat devenu « acteur principal du

changement » ( ZGHAL R.), est en train, à l’heure actuelle, de mettre à l’épreuve les

pratiques issues du lourd héritage des périodes pré-coloniale et coloniale, fonctionnant sur une

trame agissante des représentations collectives culturelles traditionnelles patrimoniales, sur

lesquelles se sont greffés les modèles coloniaux du management de type tayloriste. Cette mise

Page 8: La GRH en Tunisie

à l’épreuve, rendue possible grâce au Programme National de Mise à Niveau, semble indiquer

(ceci est souligné par la plupart des observateurs) une reconnaissance officielle ainsi qu’une

prise de conscience importante chez les jeunes chefs d’entreprises et les jeunes cadres, du rôle

de la GRH dans la performance de l’entreprise. Celles-ci seraient-elles porteuses des

tendances futures de la FRH dans l’entreprise tunisienne ?

2. ETAT DES LIEUX DE LA GRH EN TUNISIE

Quatre enquêtes importantes ont permis d’établir un état des lieux de la GRH en

Tunisie. Il s’agit de :

1. L’enquête menée en 1994-1995 par l’équipe de recherche ERGE (Université de Sfax) dirigée

par ZGHAL R(6) qui a touché 18 entreprises (PTE& PME) ayant adhéré au PMN

2. L’enquête réalisée par BEN FERJANI M. & EZZRALI F. en 2000 sur les pratiques GRH

dans 45 entreprises (PME ) ayant adhéré au PMN (7).

3. Deux enquêtes menées par l’ERGE dans le cadre du réseau de recherche CRANET.

La première, réalisée en 1999-2000 a touché 64 entreprises dont 22 hôtels et 12 hôpitaux

publics ; La deuxième, en 2004, a concerné 150 entreprises industrielles (PME) engagées dans

le PMN.(8)

L’ensemble de ces enquêtes a ainsi touché un total de 277 entreprises, des PME pour la

majorité d’entre elles, relevant de secteurs industriels variés : textile, bâtiment, matériaux de

construction, papier - carton, agro – alimentaire… et adhérant au PMN.

La pertinence dans le choix de ces enquêtes réside dans le fait que leurs résultats permettent

de situer la GRH (fonction, pratiques, activités…) dans le contexte particulier de mise à

l’épreuve des entreprises tunisiennes par rapport à leur engagement dans le programme

national de mise à niveau (compris ici comme indicateur de taille dans l’appréciation de la

FRH et de son évolution au cours de ces dix dernières années).

Les résultats de ces enquêtes peuvent être résumés à travers les principaux indicateurs

suivants :

1. Position de la fonction RH dans l’entreprise

2. Formulation d’une stratégie RH

3. Processus et/ou activités RH

4. GRH & NTIC

2.1. Position de la GRH :

Page 9: La GRH en Tunisie

Entre 1994 et 2004, la FRH a connu une évolution notable. En effet, vers les années 80 et le

début des années 90, la fonction était, soit absente (dans 50% des entreprises interrogées en

1994), soit confondue avec le service du personnel (dans 30% à 40% des Entreprises) ou bien

confiée à un employé rattaché à une D.A.A.F (dans 17% des cas). Selon les enquêtes réalisées

pendant les années 2000 et 2004, environ 80% à 90% des entreprises disposent d’un

Responsable RH ou DRH. Le niveau de formation du Responsable RH a connu une nette

amélioration : on est passé du niveau bac+2 pour environ 40% des Responsables RH (quand

ils existent) au niveau > ou égal au bac+4 pour environ 70% des entreprises, selon les

enquêtes 2000 et 2004. Le nombre des personnes en charge de la FRH se situait entre 1 à 2

personnes pour arriver à 3, 5 et 10 personnes entre 2000 et 2004. La profession évolue

également progressivement vers une féminisation.

2.2. Formulation d’une stratégie RH

Jusqu’aux années 90, les RH sont gérées en termes quantitatifs d’éducation, de formation et

de postes à pouvoir. Dans le contexte d’économie fermée et d’« Etat providence » qui

caractérise cette période, l’environnement est relativement stable, et la stratégie de

développement peu complexe. Nous sommes en présence d’une logique de gestion « au coup

par coup » ; et l’entreprise a pour objectif de développer ses prestations en contrôlant ses

ressources. La « culture de résultats » reste le critère prédominant. Sur le plan managérial, la

stratégie est élaborée au sommet, avec une forte centralisation de la prise de décision. La

priorité est au contrôle de l’activité, au traitement des problèmes quotidiens et à la bonne

exécution des décisions.

S’élaborent ainsi des systèmes de contrôle et de stimulation du personnel : rédaction des

règlements de travail ; développement d’une législation sociale ; protection des droits

syndicaux, instauration des conventions collectives. On demande au responsable des RH,

généralement chef du personnel ou DAF, de veiller à l’application de la réglementation en

vigueur. Cette approche administrative, centralisée-autoritaire, sera renforcée par la mise en

oeuvre des mesures restrictives imposées par la F.M.I. dans le cadre du P.A.S. Des mesures

qui n’ont pas manqué d’assèner des « coups durs » à la GRH : suppression des Fonds sociaux,

réduction des effectifs ; arrêt des recrutements dans les entreprises publiques « principal

employeur » ; tension sociale et crise syndicale (« l’émeute du pain », janvier 1983)

Avec l’ouverture de l’économie nationale et le lancement du PMN ; l’Etat tente de propulser

de nouveaux modèles d’organisation du travail, basés sur l’encouragement aux

investissements privés et sur la mise en oeuvre de plans de réformes législatives et

organisationnelles = introduction et généralisation des NTIC, démarche qualité, flexibilité de

l’emploi… Sur le plan managérial, l’enquête 2004 enregistre une participation croissante du

Page 10: La GRH en Tunisie

DRH à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise (28% des cas en 99, et 50% des cas en

2004). Toutefois, la logique de gestion prédomine encore aux dépens de celle de l’anticipation

; et les procédures informelles (la culture orale, le « non écrit ») pèsent encore lourdement sur

les décisions.

3. DIFFICULTÉS ET ENJEUX DE LA FRH DANS L’ENTREPRISE TUNISIENNE

La désignation « Fonction Ressources Humaines » de l’entité chargée de la gestion du

personnel dans l'entreprise tunisienne est ainsi très récente. Promue dans le cadre du processus

de libéralisation économique engagé par l’Etat en 1996 (suite aux accords de libre échange

avec la CEE, soutenus par le FMI), la fonction RH figure comme l'un des axes sur lesquels a

été articulé le programme national de mise à niveau des entreprises.

Entre 1995-2004 la fonction RH au sein des entreprises tunisiennes a connu une évolution

indéniable. Les enquêtes et les observations sur le terrain ont pu, ainsi, dégager certains

indicateurs significatifs que nous rappelons succinctement :

Une reconnaissance de la Fonction RH : la DRH se substitue aux DAAF, service du

personnel, etc.

Une amélioration du niveau de formation des DRH désormais diplômés de

l’université ; ainsi qu’une féminisation, certes encore timide, des personnes en charge de

cette fonction.

Une croissante participation des DRH à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise

(50 % des entreprises enquêtées en 2004)

Le recours à la flexibilité de l’emploi et à des techniques modernes de recrutement

(tests psychotechniques, entretiens, etc.)

Des efforts dans l'application des démarches qualité (procédures de normalisation)

L’utilisation de plus en plus généralisée de l’outil informatique

Une présence accrue des structures de concertation (95% des entreprises interrogées)

Toutefois, en dépit de ces avancées, la fonction RH demeure tiraillée entre les contraintes

imposées par les dynamiques internes de l’évolution sociétale, et l’impérieuse nécessité de

relever les défis d’une évolution à mille vitesses . Cette situation, devenue quasiment

chronique, semble peser lourdement sur l’état de la fonction et sur son devenir ; obstruant, en

quelque sorte, les possibilités du « compromis managérial » indispensable à une évolution

intégrée de la fonction RH.

Cette situation a pu être décrite par les enquêtes menées dans certaines entreprises, à travers

les observations suivantes :

Page 11: La GRH en Tunisie

Le contact direct et les relations informelles continuent à être privilégiés dans le contexte

du programme de mise à niveau, qui promeut les modèles de l’efficacité « impersonnelle

» et de la performance à travers la maîtrise des nouvelles technologies de l’information et

de la communication…

Le style de leadership reste fortement centralisé autour du chef, légitimé par une

image idéale du père exemplaire, soucieux des intérêts de ses employés… tandis qu’on

continue à discourir - et à investir - sur les nécessaires transformations à opérer dans le

sens des « certifications-qualité », de la normalisation, de l’approche compétence…

La motivation est principalement axée sur les avantages sociaux et matériels et le recours

aux heures supplémentaires reste un des éléments constitutifs de l’organisation du travail.

Un budget important est alloué à la formation à l’échelle nationale, avec un dispositif

institutionnel et législatif opérationnel, depuis les années 60 . La formation

professionnelle, qui constitue un des piliers fondamentaux de ce dispositif, se heurte

néanmoins à la difficulté d’une articulation aux objectifs de développement, à même de

mobiliser les savoirs collectifs nécessaires à l'entreprise "apprenante"

(H.CHEBBI.R(12) )

L’Etat apparaît comme étant le principal acteur du changement, au sein même de la

stratégie de libéralisation qu’il met en oeuvre.

En conclusion :

Le processus de modernisation de la GRH – bien que réel - semble s’inscrire dans un modèle

managérial, caractérisé par une centralisation des processus de décision, ainsi qu’une forme «

d’autoritarisme » qui empêcherait la FRH d’émerger en tant que levier de développement et

d’amélioration des performances de l’entreprise. En même temps qu'il en tire une certaine

légitimité, un tel registre alimente et tend à reproduire sous de nouvelles formes les pratiques

managériales ancestrales de type patriarcal. Les difficultés majeures auxquelles se heurtent la

fonction RH en Tunisie découleraient de ce paradoxe « autoritarisme / modernisation »

caractéristique des pratiques néo-patrimoniales (au sens webérien (10) du terme), génératrices

de la culture du "flou" (remarquablement décrite par ZGHAL R.). Face au nouveau contexte

de la mondialisation et de l'ouverture de l'économie tunisienne, la

Fonction Ressources Humaines représente en elle-même un véritable enjeu pour le devenir de

l'entreprise tunisienne. Cela suppose un repositionnement des visions du travail et de son

organisation à l’intérieur d’un contexte sociétal où la valeur de l’être humain reste encore un

des piliers fondamentaux sur lesquels s’articulent les relations sociales. Cela suppose

également qu’au coeur des enjeux de la fonction RH et, dans son accès à la modernité, il

Page 12: La GRH en Tunisie

demeure nécessaire de développer une nouvelle vision de l’Homme au travail, considéré

comme acteur à part entière du processus de production.

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

(1)- Channoufi A, « Stratégies de GRH dans l'entreprise tunisienne, de l'indépendance à ce

jour ». Publication ARFORGHE 2001

(2)- Zghal R.. La GRH en Tunisie, Actes de la 5ème univ d'été ARFORGHE 2000

(3)- Chebbi Halouani R. ; « Ambiguïtés et paradoxes des pratiques GRH dans l’entreprise

publique tunisienne », Actes 12ème congrès de L' AIPTLF, Presse - Université de Louvain

2001

(4)- Zghal R. ; « La culture de la dignité et le flou dans l'organisation » CERES - 1994

(5)- Zghal R ; « Globalisation et transformation de la GRH en Tunisie sous l'impulsion de

l'Etat », Symposium AGRH Euromed Marseille 2004

(6)- Ben Ferjani M ; « Enquête sur les pratiques GRH », Publication ARFORGHE

(7)- Ben Ferjani M .&.Ezzerelli F. ; « Enquête sur les pratiques GRH dans les entreprises

performantes » 2000

(8)- Zghal R. ; « Globalisation et transformation de la GRH en Tunisie » sous l'impulsion de

l'Etat, Symposium AGRH Euromed Marseille 2004

(9)- Cadin &, Guerin F & Pigeyre F ; « GRH, pratique et éléments de théorie ». Dunod Paris

1997.

(10)- Weber M. ; « Economie et société » 1995.

(11)- Camau M & Geisser ; « Le syndrome autoritaire », Sciences po 2004

(12)- Halouani Chebbi R ; « Enquête sur l’état de la formation dans les entreprises de

transport public » - Ministère du transport 1996