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LA HURLEUSE

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Le prix Sidoine Apollinaire a pour but de resserrer les liens culturels, et particulièrement les liens littéraires, entre deux régions, en récom- pensant une œuvre inédite, remarquable par sa qualité et par la contribution qu'elle apporte à une meilleure connaissance de l'Au- vergne ou de Rhône-Alpes.

Jacques FONTAINE, Président de l'académie Sidoine Apollinaire,

journaliste à FR 3 Lyon, organisateur et membre du Jury

Sidoine Apollinaire.

Jean ANGLADE (écrivain) Président du Jury. Jacques SANTAMARIA (Directeur de la production Radio

Auvergne). Jean BERNARD (producteur radio). René BRAGARD (écrivain). Jean COHADE (directeur du C.R.D.P. de Clermont-Ferrand). Jean-Claude DELAYGUES (écrivain, journaliste à «La Mon-

tagne »). Bernard FRANGIN (écrivain, journaliste au «Progrès»). Joseph HORVATH (éditeur). Henri JEANBLANC (directeur du C.R.D.P. de Lyon). Annette POURRAT (écrivain). Jean BUTIN (professeur).

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GEORGES GAYTE

L A H U R L E U S E

É D I T I O N S H O R V A T H ROANNE / LE COTEAU

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© Editions Horvath, ZI les Etines, 42120 Le Coteau ISBN 2-7171-0264-7

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PREMIÈRE PARTIE

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C'est toujours en rentrant de la chasse que j'apprends les nouvelles, moi.

Je me pointe tranquille à la maison, le dos lourd du capucin qui me tire la veste, ou alors léger des alouettes au bec plein de sang — c'est comme ça qu'elles meurent, ces petites choses — et je retrouve ma ferme vivante, grouillante et bourdonnante.

Il y a toujours plein de poules dans la cour et des pigeons qui harcèlent les faitières de leur bleu mouvant au-dessus des hangars. Par-îci par-là, un outil à la traine que ce fainéant de valet n'a pas remis en place.

Dans un coin, près de l'écurie, rouille une vieille herse qui ne sert plus depuis des années et que je ferais aussi bien de foutre à la ferraille. Mais il paraît qu'il ne faut pas car c'est une antiquité brocanteuse et qu'un des ces jours, un naïf de la ville pourrait bien venir m'en proposer quelques billets de mille.

Alors elle est bien là, elle gêne personne et tant que Frida, ma chienne, ira dormir dessous, elle aura quel- que utilité avant d'aller encombrer un m'as-tu-vu qui voudrait jouer au glaneur dans son jardin de la préfecture.

Pour le reste, c'est une ferme comme les autres mais que tu vois de plus loin parce qu'elle est posée à flanc de coteau, entre des champs où je fais de tout, du maïs à l'avoine, et des vignes où je fais rien, vu qu'elles sont pas à moi.

De la cour, quand on tourne le dos aux bâtiments, on domine la Saône, enfin, on la surplombe, et cette

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vallée, je me lasserai jamais de la regarder, jusqu'à mon dernier jour, je crois.

Cette lente rivière qui s'étire tout doux entre ses rideaux de peupliers, elle me repose les yeux de son vert partout, dedans, autour, et jusqu'à perte de vision, derrière d'autres collines au sud, qui masquent l'horizon en direction de Chalon.

C'est mon bien supplémentaire que j'ai reçu en héritage avec la maison, quand les parents sont partis chez le Grand Laboureur, pour le dernier voyage.

C'est toujours quand je rentre de la chasse que j'apprends les nouvelles.

J'ai appris que j'avais une fille, il y a treize ans, retour d'une battue aux cochons, belle battue cré-vingt dieux, mon trophée faisait ses 220 livres, avec des grès comme des bois de daguet, et des sabots où on aurait mis le poing.

C'est retour de chasse que j'ai vu naître mon premier poulain, même que le vétérinaire m'a engueulé comme mauvais maître qui laisse pouliner sa jument sans lui flatter le naseau qui en aurait bien besoin pourtant ; et c'est un soir de massacre de canard qu'on a découvert mon valet pendu à la haute poutre de la grange, la langue verte et tordue comme une limace de printemps.

Les gendarmes m'en auraient fait perdre le goût de la poudre, tiens! avec leurs questions et leur air d'avoir une idée.

— Tu te doutais de rien, Fernand? Ton gars, l'était pas un peu bizarre, ces temps?

Qu'est-ce que vous voulez que je leur réponde, moi, aux pandores, que l'Arthur, calme au boulot, fort en gueule, vif aux jupons, il aurait p'tet' ben eu des fois, comment qu'on dit, une dépression fièvreuse, ou quèque chose comme çà?

Me crever sous mon toit, alors qu'il avait pas plus à se plaindre de mes traitements que tous les valets des environs, qui ont des maîtres civilisés, respectueux de

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l'ouvrier agricole, des jours de congé, la messe du dimanche où qui vont d'ailleurs pas, ces gens-foutre, et la gentillesse de la maîtresse, toujours trop bonne celle-là, avec ces «pauvres garçons qui sont de l'Assis- tance, qu'ont pas de foyer, que chez nous c'est un peu leur famille» et tout.

Bon il s'était pendu, un vrai suicide, ils ont dit finalement, mais des emmerdements, quoi !

C'est retour de la chasse que j'ai trouvé le mot sur la table, à la place des assiettes et de la soupe, comme d'habitude.

Ce mot qui m'apprenait que ma femme était partie.

II

Quand tu prends un coup pareil sur la gueule, tu regrettes d'avoir appris à lire. Je m'en serais bien aperçu tout seul, sans qu'elle l'écrive sur du papier que j'avais même jamais vu. On n'écrit pas souvent des lettres, par chez nous. Prendre la peine d'user une si belle feuille, et parfumée même, pour t'annoncer officiellement que t'es cocu, c'est pousser loin le raffinement, non?

Même pas le temps de poser le fusil que j'ai senti mon front bourgeonner hors-saison, mais çà aussi c'est des trucs qui ne respectent pas le cycle normal des choses.

J'ai regardé autour de moi, comme un con, pour faire semblant de ne pas comprendre, pour faire croire au buffet que j'avais un coup dans l'aile, de pinard, pas de désarroi. Et puis l'horloge, qui marquait une heure du soir, je sais même plus laquelle, et qui brillait avec son disque en cuivre, comme la lune. Moi aussi, j'étais comme la lune, je me suis vu dans la glace du fond, où je me mets vite fait le coup de peigne, le matin quand je sors du lit.

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Je me suis reconnu, c'est ça le plus beau ! J'aurais dû me faire peur, je me suis seulement surpris à être là, tout seul, les yeux grands ouverts, la lèvre d'en bas encore plus basse, la casquette bien plantée sur les crins, et l'air de rentrer des champs comme un jour normal, sans rien de spécial à marquer sur le livre où on note les choses à faire ou les événements.

J'ai bien dû rester là dix minutes ou trois jours, j'en sais rien, tellement je commençais à ne pas comprendre.

J'ai lu et relu sa lettre une quarantaine de fois et à chaque fois les mots étaient nouveaux. Le docteur m'a dit plus tard, quand il est venu, que je subissais «l'effet de kaléïdoscope des mots toujours les mêmes mais qu'ils me paraissaient différents à chaque fois comme si une autre lumière les éclairait et que j'avais oublié leur couleur précédente». Inutile de dire que depuis, je pense qu'il est fou et que la prochaine fois que j'aurais mal aux pieds, je le ferai pas venir.

Et puis je me suis réveillé. Plus besoin de lire, j'avais compris, cette fois. J'ai posé le fusil, pas à sa place, mais va te faire foutre, plus personne pour m'engueuler, je me suis assis à la table et j'ai commencé à compter les carreaux du dessus de l'évier. Un jeu. Comme tous les jeux, ça fait passer le temps. Ça aide à ne pas penser qu'il passe pour rien, qu'on l'use parce qu'on a peur qu'il s'arrête quand ça va mal, et que c'est toujours ça de gagné sur le malheur.

La Géraldine, ma fille, enfin notre fille, elle m'a trouvé endormi sur la table, la bouteille vide, le verre vide, le ventre vide ; j'avais que les yeux pleins quand je les ai ouverts, il paraît. De larmes.

Elle a été drôlement chouette, la môme. Elle m'avait jamais vu comme çà, affalé, plein de vin.

Je pense qu'elle avait eu le temps de lire la lettre. Elle m'a aidé à me déshabiller et m'a foutu au lit comme elle l'aurait fait à son petit. Enfin, quand elle en aura un.

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III

La Géraldine, c'est ma poule, ma chevrette, ma biche douce et vigoureuse. C'est ma poupée que j'aurais pas eue en étant petit si j'avais été une fille.

D'ailleurs, quand elle est née, comme j'ai dit, j'étais pas là, mais ça n'aurait rien changé, parce qu'elle était fille depuis neuf mois, et moi je voulais un garçon.

Un gars qui puisse un jour m'aider à l'exploiter, la ferme, c'est notre capital à nous, la terre, et des bras propriétaires, c'est plus fort que des bras loués, tout le monde vous le dira.

J'aurais eu un matrus, je lui aurais tout appris. De l'aiguisage de la faux à la pose du piège à renard, en passant par le sens du langage du vent dans les peupliers, celui qui te dit si tu fais bien de semer maintenant ou plus tard, et qui te conseille de rentrer les foins avant demain si tu veux pas qu'ils se mouillent et te pourissent la grange.

Mais voilà, j'ai foutu la graine ♀ comme on dit dans l'Almanach Milan, et c'est une gueuse qu'est venue. Preuve que ce jour-là, je l'avais pas bien écouté, le vent dans les ramures des grands peupliers.

N'empêche, j'ai pas le regret. Elle a poussé comme une reine-marguerite, sans faire d'histoire pour rien, et ce que j'aurais appris à un galopin, elle l'a trouvé toute seule ou avec les pisseux de son âge dans les chemins et les layons de notre vallée.

Quand on s'est réveillés, le lendemain matin, j'ai cru voir sa mère dans l'encadrement de la porte. Pendant un petit moment, oh ! rien, j'ai oublié ce que j'avais oublié.

J'étais dans mon lit, la tête labourée par une charrue à trois socs et 350 chevaux qui tiraient le tout.

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J'avais aussi oublié d'avoir froid de dormir tout seul, comme quoi ma biture m'avait tenu chaud et compa- gnie, ce qui est une leçon à retenir.

Mais quand elle a parlé, j'ai fini de réveiller tout mon conscient et la migraine avec, ce qui fait que dans la glace où je me suis foutu le coup de peigne, j'ai vu une ombre grise comme le plumage des ramiers et ces deux points rouges au milieu de ma tête faisaient comme les trous de sang qu'ils ont quand le plomb a mis un terme à leur voyage.

Une gueule de lendemain de cuite, je n'avais jamais vu comme c'était moche.

En me voyant, elle n'a pas eu peur. Elle n'a rien dit non plus, sauf que son café fumait dans les bols et qu'elle était jolie et proprette comme... putain!, comme sa mère.

Alors tout est revenu. Je n'avais plus d'excuse pour paraître inconscient, plus de raison de fuir devant le vrai du jour qui se levait, et en buvant ce café qu'elle me faisait pour la première fois à la place de sa mère, je me suis mis à recompter les carreaux à l'envers, comme pour faire repartir la vie dans l'autre sens.

On m'aurait dit que ça servait à rien, j'aurais même pas répondu. D'ailleurs rien ne sert à rien, mais faut y passer pour le savoir. Quand tu sauras la suite, enfin, ce qui s'est passé après et après, et encore bien plus tard, tu verras bien que tu peux toujours causer, personne peut se mettre à ta place, et que tous les parleurs ne te font que du courant d'air.

La petite, elle n'a rien dit. Non qu'elle n'avait sur la patate qu'une violette qui cherchait le printemps, mais elle sentait que tous les mots du dictionnaire n'auraient servi qu'à me renvoyer au fond.

Et puis d'ailleurs je ne sais même pas ce qu'elle sentait à ce moment-là, et si seulement elle avait quelque chose à dire. On était tous les deux tout seuls dans son coin de vie, avec un poids aux pieds qu'on

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traînait comme la glaise des labours frais, et notre impossibilité à chacun de faire une conversation.

Le docteur du kaléïdoscope m'a dit que c'était «la pudeur des adultes devant les grandes douleurs, qui est faite du respect et de la crainte qu'inspire une situtation dramatique ».

Va courir, la crainte, j'en ai vu d'autres. Et c'est pas ma mignonne qui allait m'impressionner. Alors expli- que-moi pourquoi ce matin là on n'avait rien à se dire, on n'osait pas se regarder ? Qui prenait l'autre pour quoi ? Comment veux-tu que je te dise ?

Fallait quand même bouger, merde, c'était pas di- manche et même ce jour là, toute façon, les bêtes mangent et l'herbe pousse.

— Fameux, ton café, la fille ! — C'est du bon, du tout frais. Tu en veux encore ? — Donne-moi plutôt la bouteille, ça finira de me

réveiller. Sans broncher, comme une reine, elle m'a apporté la

blanche qu'on sort que les grands jours. Et je me suis enfilé un de ces coups de gnole que mon plus grand chêne en aurait frémi jusque dans ses racines, s'il l'avait vu passer.

Quand j'ai été seul, la mignonne partie ramasser les œufs crus du jour, je me suis mis la tête dans les mains comme j'ai vu faire à la télé le gars qui réfléchit, et j'ai laissé remonter ce qui me venait à fleur de mémoire.

Alors j'ai revu nous deux Rolande dans le lointain brumeux de nos vingt ans, comme si la vie commençait là, un voyage qu'on avait débuté de façon bizarre, et qui nous avait menés à ce matin où tout d'un coup j'ai réalisé qu'on avait vécu côté à côté des années et des années durant, mais, qui sait, peut-être pas ensemble.

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IV

La Rolande, j'allais dire Ma Rolande, feu de Dieu, je l'avais connue entre la luzerne et un saule, un jour que j'allais relever des nasses pour capturer des goujons de friture.

Elle avait bien ses dix-sept ans et moi mes dix-neuf, et on avait tous les deux la figure pleine de boutons, que ma braguette et son soutien-gorge étaient bourrés à craquer de bonnes intentions.

D'ailleurs elle en avait même pas de soutien-gorge, ce jour-là, preuve qu'elle était déjà à la page. A la page dix, quand moi j'étais qu'au début. Pour certaines choses, elle a toujours eu un gros bout d'avance sur moi. Dans le pays, comme on est trop loin de la ville, on a guère l'occasion d'acheter des maillots de bain, surtout en ce temps-là. On se baigne en chemise, ce que font la plupart, ou à poil, ce que ne font que les plus hardis.

Elle en était. Quand je l'ai vue, de loin, j'ai commencé à me dire

qu'il y avait du dérangement dans mes projets et qu'une emmerdeuse allait m'empêcher de terminer ma pêche. Point gênée par sa tenue quand j'ai été plus près, elle m'a regardé venir comme un promeneur ordinaire, sans rien faire pour se protéger ou reprendre l'attitude que la bienséance commande aux jeunes filles.

Elle n'avait déjà pas froid aux yeux ni aux seins, et je me demande comment elle ne s'est pas fait bouffer par les loups à jouer à la nymphe sur les bords déserts des rivières du département.

Bien sûr, c'est elle qui a commencé. — Bonjour, fait beau, hein ! — Bonjour... Je savais pas quoi lui dire, j'en avais trop plein les

yeux, de ses deux jumeaux qui me dardaient leurs

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pointes plus fort que le soleil qui commençait à me chauffer.

— T'est toute seule par ce temps, dans les prés? — Ouais, j'aime bien me baigner dans la rivière, il

fait chaud, c'est bon. Tu te baignes ? De fait, l'après-midi était à sa plus grosse chaleur et

le pré bourdonnait de tout le dedans de sa vie. Autour de nous les sauterelles jaillissaient à pleines pattes mais les oiseaux terrassés n'avaient même plus la force d'aller gober ces trop faciles aubaines.

Quant à moi, j'avais pas trop envie de lui dire ce que je venais faire, vu que je la connaissais pas et qu'elle aurait été des fois la fille du garde-pêche, j'en étais pour mes nasses, mes goujons et une amende à me faire botter le cul par mon père.

— Non, je me balade, je cueille par-ci par-là quèque pissenlits.

La bourrique, elle était pas tombée de la dernière cascade, celle du moulin qui retient l'eau, à cinq cents mètres en amont :

— Des fois que tu cueillerais des goujons, moi aussi j'aime bien la friture.

Du coup, malgré que je rougisse, j'ai réussi à lui lacher les seins pour la regarder dans les yeux.

De l'eau, claire comme les torrents pour l'iris, et un peu rouges pour le blanc. Forcément, elle devait nager les yeux ouverts sous l'eau, et elle avait vu mon fourbi.

Plus moyen de moyenner, et si t'es pris tant pis, ça fait partie des risques du métier.

— Ah bon ! t'es au courant, tu as vu mes nasses ? Tu dois être une bonne nageuse.

J'essayais de changer la conversation, quoi, lui faire oublier sa vision par une flatterie, parler d'autre chose.

— Sûr, je nage bien, et longtemps sans respirer même. T'es venu relever ?

Je ne pouvais pas dire non, vu qu'à cet endroit, à part se baigner ou braconner, y a rien à faire. Ce long de rivière était bordé de haies et de saules, en

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contrebas de la route, et il fallait le connaître spéciale- ment pour y venir.

— Ouais, J'hésitais encore. — C'est vrai, tu aimes la friture ? Autant la compromettre jusqu'au bout, si elle avait

une mauvaise intention elle était complice, comme ça c'était part à deux les ennuis.

Elle prenait son temps pour répondre, elle me regardait d'un drôle d'air qui me foutait des frissons jusque dans les pieds.

— Je te l'ai dit. Mais dis donc, pour les sortir, faut te mettre à l'eau !

— J'y va. Mais j'allais pas me foutre à poil devant elle, moi,

j'avais pas son culot. Elle l'a compris. — Tu veux que je plonge te les chercher, je suis déjà

mouillée, ça t'évitera de tremper ta chemise. Elle était gentille au fond. C'était un bon service.

J'allais pas oser me foutre cul-nu devant elle, et fallait bien les remonter, mes nasses !

— Ben, si tu veux ! Elles ont vite été au sec sur le pré, et ma donzelle de

nouveau à se faire sécher. Pendant qu'elle s'était levée pour plonger, j'avais bien

eu le temps de la regarder, de dos. Misère, j'en avais le cœur dans la gorge, en la regardant marcher. Qu'est-ce qu'une fille pareille foutait par-là, cré vingt dieux, et que je la connaissais même pas. Elle n'était pas du village, je les connaissais toutes, pardi, alors d'où?

Fallait causer un peu, je pouvais pas partir comme ça, et puis ses seins qui me regardaient et me disaient de rester ; j'avais un tambour dans la tête.

— T'es pas du pays ? — Non, mais je viens souvent par là, à vélo. C'est

drôlement tranquille pour se baigner, y a personne. Tu parles, que nous deux, et moi qui sentais de plus

en plus la chaleur me brûler partout. J'avais l'impres-

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sion que mes cheveux se collaient tout seuls sur mon front tellement elle me faisait transpirer.

Quand elle parlait, je regardais ses lèvres, et dès qu'elle se taisait mes yeux retombaient un peu plus bas. J'en pouvais plus, fallait partir ou mourir. Je me suis levé, face à elle, et elle a vu la bosse.

— Alors, tu m'en donnes, des goujons? Comment refuser, c'est elle qui les avait sortis de

l'eau. Je bégayais, j'avais déjà oublié. — Oui, tu... tu... à un... un sac? Et je lui vidais une demie-nasse dans un bout de

journal qu'elle avait amené pour lire et qui dormait à côté.

— Tu es gentil... J'ai jamais vu un calme pareil. Elle s'accordait avec

l'eau lente qui coulait plus bas et le silence de l'air autour de nous.

— Je veux te remercier, viens. Moi, je la regardais mais je la voyais plus. J'avais la

tête qui tournait comme le jour où l'oncle m'avait fait boire le mousseux, pour ma communion.

— Touche, je vois bien que t'en as envie... Fernand, l'empoté, il ne comprenait plus ce qui lui

arrivait, il ne bougeait pas. Alors elle a pris ma main doucement, l'a attirée et

posée sur son sein... gauche. J'étais paralysé, j"avais dans ma main une douceur, un oiseau chaud et palpitant que j'ai vraiment cru tourner de l'œil. Elle ne m'avait pas lâché et comme pour m'apprendre, elle s'est mise à se caresser avec ma paume posée sur elle, tout lentement, en me fixant de ses yeux gris clair sans fond.

Ça a duré un petit moment. Elle avait l'air d'aimer ça parce que son bout est devenu tout dur et moi je bandais comme un cerf au brame.

Et tout d'un coup c'est parti. J'en ai eu plein mon slip, de larmes de bonheur

brûlantes, qui me giclaient par saccades en me faisant mal aux reins tellement c'était bon.

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qui le serait déjà si elle n'avait pas été retrouvée par Fernand. Son âme est torturée, son esprit perturbé, et seule sa nature profonde de bête solitaire lui a permis de garder son sang-froid, expression de l'instinct de conservation au milieu du danger qu'elle sent rôder autour d'elle.

Elle se lève sans bruit, comme lorsque la forêt résonne du cri des chiens, et que la bête de chasse doit ruser, forlonger, reposer puis repartir en ne laissant derrière elle que le plus discret signe de son passage. Contre la porte où elle s'arrête avant de s'engager, elle pose son oreille et tente de percevoir et identifier ce qui peut sourdre de la cuisine. Le souffle chargé de ronflements de Fernand tonitrue comme en une nuit de gloire, de fête bacchique. Il dort à sa place habituelle, sur une chaise posée contre la table, où son bras et parfois sa tête roulent, entraînés par son sommeil pesant.

Entre deux vrombissements, elle n'enregistre rien d'autre qu'un parfait silence, vide noir propice et complice de ses intentions. Elle s'habille en hâte de quelques vêtements sombres, puis, d'un geste précis, ouvre la porte qui l'isolait encore et, d'un pas inaudible, entre dans la cuisine.

Fernand continue de tapisser la nuit de ses longs soupirs. Rolande profite de l'un d'eux, plus bruyant que les autres, et ouvre prestement la porte qui donne sur la cour, sur la nuit, sur son espoir.

Un courant d'air vif et froid se glisse entre ses jambes, la laissant imperturbable, tout instinct braqué sur des gestes très courts, très brefs, décidés. Elle est dehors, porte refermée sans plus de bruit, talons bloqués sous elle, jarrets tendus dans un effort de légèreté. L'air la cueille enfin à quelques mètres, presque au milieu de la cour. Elle éprouve alors un vertige, un roulement dans sa tête qui lui semble soudain tourner, lentement d'abord, puis de plus en plus vite à mesure qu'elle se hâte de rejoindre un abri,

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où elle sera certaine de pouvoir reprendre souffle un instant.

Elle n'est pas sortie depuis près d'un mois, donnée qu'elle avait oubliée, et cette brusque échappée à l'air libre, amplifiée par ses sentiments violents, fait bouil- lonnner son sang, lui provoque un malaise. Elle s'ap- puie au mur de l'étable, se réconforte un peu de la chaleur qui s'en dégage, et les spirales de l'intérieur de sa tête commencent à réduire leur amplitude.

Enfin elle y voit clair, son cœur se calme et sa respiration retrouve un rythme normal. D'un regard acéré, elle examine ce qui l'entoure, nuit, froid, silence, ombres fondues dans l'ombre. Elle retrouve sa ferme après cette aussi longue absence, intacte, immuable, alors qu'il s'y est passé tant de choses. Elle ne veut pas trop réfléchir, s'attarder ou s'apitoyer sur un détail, cette herse où dort parfois Frida, ce puits qui ne sert plus depuis qu'on a mis l'eau, ce pigeonnier plein d'œufs et de crottes d'oiseaux. Elle est là pour autre chose, elle attend !

Elle est maintenant tout à fait prête, remise de l'émotion, de l'épreuve de cette première sortie. Elle se décolle du mur de l'étable et, sur la pointe des pieds, s'avance de nouveau vers le milieu de la cour, en direction de la haie qui fait frontière avec le voisin.

A travers les branches nues de la charmille, elle voit une fenêtre éclairée et des va-et-vient qui s'y profilent en ombres chinoises. Son cœur se remet à battre plus fort, ses mâchoires se serrent, ses doigts se crispent. Elle se coule le long de la haie et entreprend de la descendre jusqu'au bout, pour la franchir et entrer chez Parsus. Dans le noir, ses pieds ne cherchent pas. Elle avance en silence, l'œil tourné vers cette lumière qui bientôt disparait. Elle est au fond, à la limite des deux propriétés. Elle tourne alors un dernier regard vers sa propre maison, où dorment ses deux amours innocents et solitaires comme elle, mais eux reposant dans leur quiétude. D'un bond, elle traverse la haie où s'accro-

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chent quelques cheveux qu'elle dégage doucement, et observe de nouveau ce qui l'entoure.

L'aube pâlit le plafond noir du monde, et l'instant le plus froid de la nuit la fait tressaillir. C'est le moment où le soleil arrive au ras de l'horizon, celui que choisissent, pour leur malheur, les canards qui dénichent et reprennent leur course folle au-dessus des marais et des étangs brumeux. Cet instant de la nuit qui n'est plus vraiment noire et du jour qui déchire l'immense drap et pénètre par la lucarne de l'Orient. Si la nuit est humide, c'est à cet instant précis que se forme la gelée blanche, ce manteau scintillant qui fait craindre pour les arbres fruitiers.

Rolande se raidit, mordue par ce froid dur et pénétrant, brutal, sans que rien ne l'annonce que cette quotidienne renaissance du jour.

Elle est derrière la ferme de Parsus. Elle marche encore un peu afin d'atteindre un coin de la maison d'où elle pourra observer ce qui se passe dedans, et si possible dans la cour. Elle est là pour agir, mais si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera demain ou plus tard, qu'importe, elle va agir, c'est tout!

Et soudain son cœur bondit, mais cette fois de joie. Il est là, elle le voit, il marche, il existe, il est vivant. Cet homme qu'elle n'a revu qu'une fraction de seconde quelques semaines auparavant, avant de lui asséner sur la tête un billot de bouleau cueilli au hasard, cet homme qu'elle connaît depuis si longtemps, qu'elle croisait tous les jours sur les chemins de leur deux domaines, cet assassin de petite fille est là, à portée de sa haine. Elle va le tuer.

Elle le regarde agir, entrer dans l'ombre, faire du bruit, puis sortir de nouveau à la lueur de l'aube qui pâlit de plus en plus. Il faut faire vite ! Il est sur son tracteur, phares allumés, il attèle une charrue, il va partir au champs !

Rolande se recule pour ne pas être vue, se courbe, se fond à l'ombre de la maison, et sans plus un regard

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pour cet homme qui lui tourne le dos, s'enfuit à toutes jambes dans le sens opposé où elle pourrait pourtant l'affronter.

Les sillons s'alignaient, quatre à quatre, sur quelque huit cents mètres de long. De la ferme à l'autre bout du champ ceinturé d'une haie épaisse de trois mètres, le tracteur de Parsus faisait ses va-et-vient allègres, moteur hurlant, roues cahotant contre les mottes, heurtant un gros caillou ou mordant durement dans la terre presque gelée. La machine allait bon train, le travail se déroulait derrière elle à la vitesse de ce puissant tracteur que Parsus chevauchait crânement, obstiné à tenir son pari qu'il aurait fini pour midi. Le jour n'était pas encore entièrement levé et il avait déjà fait le quart de son travail. A la haie du fond, il fit une première halte et, au lieu d'exécuter son demi-tour comme d'habitude, stoppa le tracteur tout près des branchages. Deux besoins urgents manifestaient leur impatience.

Il soulagea le premier contre la haie, et Rolande vit ce sexe hideux déverser presque sous ses yeux la première macération du petit déjeuner de l'ordure.

— C'est ça que tu voulais foutre à ma petite, salopard, assassin, pourriture damnée...

Elle eut envie de se ruer sur cette excroissance maudite, cet appendice violet de froid, et l'arracher de ses griffes pour le jeter aux corbeaux, toujours avides de chair pourrie. Elle se retint pourtant, jugeant l'instant encore inopportun à l'accomplissement de sa justice.

Cette basse besogne accomplie, Parsus soupira d'aise et, retournant au tracteur, alluma sa première cigarette. Décidément, la vie était belle !

Il rêva un instant sur cette pensée profonde en regardant le jour se lever de plus en plus. Puis, soudain repris par l'urgence de son travail, il remonta sur le

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siège et manœuvra pour repartir. Le tracteur prit de plus en plus de vitesse, roulant et fendant la terre en direction de sa ferme.

Il ne prit garde à l'ombre qui le suivait, puis le rattrapait, que lorsque celle-ci fût à un mètre devant lui, courant contre son attelage à longues et puissantes foulées. Cette image frappa sa rétine comme un cauche- mar subsiste après le réveil. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Quelqu'un courait à côté de lui, plus vite que lui, et il allait l'écraser avec son tracteur si cette ombre faisait le moindre faux pas, chutait devant lui. Il releva le pied de l'accélérateur pour ralentir, s'arrêter, éviter au moins l'accident stupide que cet imprudent ne pouvait manquer de provoquer par son comportement.

C'était ce qu'attendait Rolande. Le tracteur roulait maintenant tout doucement. Elle

ralentit elle aussi, s'arrêtant presque, et regarda Parsus de son air le plus terrifiant, le plus envoûtant.

Il ne la reconnut pas tout d'abord, tant elle avait changé depuis ces derniers mois. Elle était sombrement vêtue, les cheveux éparpillés par la course, le visage encore creusé par les semaines de famine. Ses yeux d'onde rapide avaient maintenant la couleur de l'écume blanche qui mousse à la crête des vagues, à la chute d'eau des moulins. Il se sentit terrifié par cette vision d'apocalypse, cette présence fantomatique auprès de lui dans ce champ désert.

Et soudain, comme dernier attendu à son Jugement, Rolande poussa le cri qui avait déchiré les nuits des fermes un mois auparavant, et Parsus comprit. Comprit tout ! C'était elle, la hyène, la louve, nul ne savait, cette bête sauvage à l'instinct de mort qui venait rôder, porter la terreur jusque dans son lit, à lui, pourquoi lui.

Et il la reconnut. La mère, c'était la mère de cette gamine qu'il avait voulue, qu'il avait agressée, projet dans lequel il avait échoué et reçu le plus magistral coup de poing de sa vie, dont il ne s'était nulle part vanté.

La Rolande, la diablesse.

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Il écrasa la pédale sous son pied droit, faisant rugir et bondir son mastodonte de fer, en proie à une peur liquide dont il ignorait jusqu'à cet instant l'existence. Il n'eut pas le temps d'analyser cette souillure de lui- même. Rolande avait bondi en même temps que le tracteur et se tenait maintenant droite sur le marche- pied, hagarde et menaçante, la main crispée sur la poignée. Il appuya encore plus fort, la semelle de botte plaquée à la tôle et d'un mouvement du bras essaya de la chasser, de la faire choir.

Il ignorait la force et la détermination de Rolande. D'un coup d'épaule d'une violence inouïe, il fût projeté hors de son siège, expulsé littéralement du tracteur. Il se raccrocha d'une main au volant et se sentit emporté, le corps traînant à l'extérieur comme un pantin lamenta- ble.

Du même élan, Rolande posa son pied sur l'accéléra- teur et mordit de toutes ses dents la main qui serrait désespérément le cercle de bakélite. Parsus ouvrit les doigts dans un hurlement qui se fondit dans ce désert glacé, dans ce linceul de brume de l'aube.

Sa chute fut brève et silencieuse, déjà presque invisible aux yeux de Rolande qui, à son tour, tenait fermement le volant à deux mains. Elle avait vu juste pour son plan, construit dans sa tête tous les actes de ce scénario dont elle était l'auteur, l'acteur, le metteur en scène...

Parsus mourut presque instantanément dans le ton- nerre glorieux du diesel rugissant, la tête et le corps hachés par la charrue aux quatres socs tirée par trois cents chevaux emballés.

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XXIX

Pour la première fois depuis des mois, Rolande prépara elle-même le petit-déjeuner de Fernand et de Géraldine. Cette humble joie intime l'emplit d'un bonheur simple et implacable. Quelle bonne surprise allait-elle leur faire, le café tout fumant sous le nez de Fernand, le chocolat chaud devant la chaise de la petite. Tout se prêtait à ce renouveau de son existence ; elle avait l'âme sereine, l'esprit en repos, le lever du jour semblait annoncer un soleil radieux. Elle se sourit à elle-même à l'idée de cette scène, perdue pour elle depuis si longtemps, puis acheva tranquillement devant sa cuisinière les préparatifs de cette petite fête. Elle avait déjà cueilli les œufs frais du jour, comme avant...

Quand Fernand s'éveilla, maugréant, s'étirant de son sommeil inconfortable, il bâilla bruyamment comme à son habitude, donnant ainsi le signal du réveil de la ferme, après les coqs, bien entendu.

Il fût surpris par les bruits inhabituels, ou plutôt si lointains dans sa propre mémoire qu'il les avait oubliés. Rolande lui sourit en lui disant bonjour, d'un regard tendre qu'il n'avait pas vu non plus depuis fort long- temps.

Campé dans sa détresse, il ne voulut pas y prendre garde, méfiant sitôt éveillé, replongé brutalement dans sa réalité quotidienne, alors que ses rêves l'emmenaient en des chemins où son esprit, à l'état de veille, refusait d'aller.

— Te v'là levée, de c'temps? — Comme tu l'vois, mon Fernand ! as-tu bien dormi ? — J'a ! mais qu'te fais donc debout, à c't'heure ? — Je me sentais bien, j'avais plus sommeil. Alors je

me suis levée. J'ai même fait les œufs ! Ça va d'mieux en mieux, tu sais !

Quelle attitude adopter ? Fernand ne le savait guère. — Ah bon !

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Il la regarda continuer de s'affairer, refaire tous les gestes d'avant... sans savoir quoi lui dire. Sa rancune, réveillée en même temps que lui, recommençait à lui griffer le cœur. Le hasard d'un regard le fit poser ses yeux sur les carreaux au-dessus de l'évier, ceux qu'il avait comptés dans les deux sens le premier soir de cette histoire, et le vertige du souvenir l'envahit, au point de lui tourner la tête. Sa soirée de la veille n'était pas non plus étrangère à ce malaise. Il s'accrocha des deux mains à la table, et Rolande s'aperçut aussitôt que quelque chose n'allait pas.

— Ça va pas, mon Fernand, t'es tout pâle? — Penses-tu, c'est la lumière ! Et puis arrête de

m'appeler « mon » Fernand ! J'vois pas c'que ça vient faire là...

— Pourquoi donc ? Je t'ai bien toujours dit comme ça ? — Avant oui, peut-être, mais plus maintenant. Je

suis Fernand, ici, Fernand tout court, point c'est tout ! Il fallait bien qu'un jour ou l'autre cela fût dit, afin

que les nouveaux rapports qu'il avait décidé d'établir entre lui et sa femme fussent clairs, sans équivoque. On n'est pas le quelqu'un de quelqu'un quand il vous a fait ça !

— Avant quoi? — Avant qu'tu foutes ton camp par les villes et j'sais

pas quoi ! si t'es r'venue au massif, t'as sûrement une raison, que j'veux même pas savoir. Moi, je t'ai ramenée là pour pas te faire tuer, j'ai fait mon devoir, ça va. Pour le reste, t'es impure ! et d'une impure, moi j'en veux pas !

— Ah ! Tu veux pas savoir pourquoi je suis allée au massif, tu veux pas? Et bien ! si c'est ça, j'ai plus qu'à y retourner, je crois même que ça risque d'être la seule solution, comme l'autre fois !

Fernand la regarda sans comprendre, l'œil glauque, creux.

Un charivari de moteur, de klaxons et de sirènes se fit entendre dans la côte qui mène à la ferme. Bientôt,

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ce ne fut que voix hurlantes, cris désordonnées et aboiements de chiens affolés. Ils échangèrent un regard surpris, interrogateur, et Fernand se tourna vers la cour.

— Qu'est-ce que c'est qu'ce bazar par chez nous, cré vingt-dieux !

Les véhicules de gendarmerie, l'ambulance, et la voiture du maire tournaient, manquant s'entrechoquer dans la cour du voisin. Fernand se précipita dehors, en sabots et chemise, sans prendre garde au froid encore vif et se dirigea vers la maison de Parsus. En appro- chant, il entendit crier:

— Un accident, vite, venez vite, c'est le tracteur qui s'est emballé... il est tombé...

La cour voisine était pleine de monde, gendarmes en uniforme, infirmiers en blouse blanche, et au milieu de tout cela, Caroline Parsus que l'on soutenait, en proie à une violente crise de nerfs.

Fernand se mêla au groupe épars qui déjà se dirigeait du côté des champs, les uns courant, les autres plus habitués marchant à pas prudents, portant une civière, vide pour le moment.

Les plus avancés arrivèrent les premiers vers la haie du bas qui clôture le champ de Parsus. Le tracteur y était planté, à moitié couché sur le flanc, retenu par les épais branchages. La vision qui s'offrit à leurs yeux les remplit d'horreur, et nombre des hommes présents détournèrent la tête avec une horrible grimace, certains au bord de la nausée.

Le corps décapité, presque déchiqueté de Parsus, gisait par morceaux éparpillés entre les sillons déjà creusés. Après sa mort, le tracteur avait continué sa route, emportant entre les socs des lambeaux de sa victime, puis toussant et cahotant s'en était allé finir sa course contre la haie, où le moteur avait calé.

C'était le premier passant du matin qui avait donné l'alerte...

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Fernand rentra à la ferme d'un pas titubant d'ivrogne, accablé de peur et de dégoût devant ce carnage. Il était encore plus livide que lors de son léger malaise, une heure plus tôt. Il apprit la «nouvelle» à Rolande d'une voix qui bégayait, en proie à une émotion incontrôlée, pris de tremblements d'horreur et d'angoisse.

Elle prit calmement la bouteille d'eau de vie et lui en remplit la moitié de son bol.

— Tiens, bois ça, tu vas en avoir besoin ! Il la regarda du même air qu'une heure auparavant,

ahuri, sans comprendre. Puis réalisant le sang-froid de sa femme, il reprit un peu ses esprits.

— C'est tout l'effet que ça te fait? — Bois, je te dis ! On était en train de parler, tout à

l'heure ! — Ben oui ! Mais qu'est-ce que ça a à voir ? Alors, prenant une profonde respiration, une sorte

d'élan de qui se précipite vers le danger, la fin des choses, Rolande articula ces mots :

— Parsus est mort comme l'Arthur, et c'est pas moi que ça va faire pleurer !

Fernand reçut cette déclaration comme une paire de gifles, un choc violent sur sa pauvre tête qui n'en pouvait plus de ne rien comprendre à ce qui se passait ici-bas autour de lui.

— Ça veut dire quoi, ça? Parsus, Arthur... qu'est-ce que c'est? je vois pas le rapport.

— Tu veux savoir pourquoi je suis partie, à l'autom- ne, tu veux, dis !

Elle avait agrippé sa chemise avec violence et le secouait en des gestes d'une étrange force, d'une diabolique énergie.

— Tu veux savoir, oui ou non ! Il tenta de se dégager, reculant devant cette furie

qu'il n'avait jamais vue, qui allait le dévorer tout vivant s'il ne disait rien.

— Mais tu es folle, arrête... Rolande posa sur lui son regard indescriptible et cessa

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de s'agiter. Elle se redressa et, reculant d'un pas pour lui montrer qu'il ne risquait plus rien, lâcha ces mots qui tombèrent comme un couperet:

— Parsus est mort comme l'Arthur, parce qu'ils ont essayé de nous violer, Géraldine et moi.

Fernand tituba sous ce nouveau choc, fit un pas lui aussi et s'assit à la table, devant le bol de gnole. Elle l'avait prévenu qu'il en aurait besoin, il ne réfléchit pas. D'un trait il en but la moitié, et regarda sa femme.

— Ça veut dire quoi tout ça? Ils sont morts pour- quoi ?

— Voilà ! Un jour que tu étais à la chasse, un après-midi, l'Arthur remisait du bois mort dans la grange, à la fourche et à la main. Quand il a eu fini, il est venu à la cuisine pour manger un morceau ou boire un verre, je sais pas. Je lavais le carreau à la serpillère, penchée sur ma bassine d'eau chaude...

Elle revoyait la scène et son regard devint plus blanc. — Je l'ai entendu rentrer, mais je n'ai pas fait

attention, tu sais bien, l'Arthur, pour ce qu'il était... Fernand écoutait, immobile, tout grand ouvert à ces

paroles... — J'ai senti qu'il me regardait. Alors je me suis

relevée parce que ça me gênait, cette position, devant un homme qui n'était pas toi. Il s'est approché et il m'a dit: «Maîtresse, y faut, y faut, j'peux plus...» Il a mis ses mains sur moi, les mains partout, et il s'est collé, le ventre dur...

Un éclair de haine et de dégoût zébra le regard de Rolande, et Fernand vit, pour la première fois, une louve apprivoisée ressembler à une louve sauvage. Son menton se fit pointu, son visage triangulaire et les yeux sans expression, froids et indifférents comme la mort.

— Il m'a touchée, tu comprends, il a osé poses ses mains sur moi, moi, ta femme...

Fernand se mit à trembler. Il commençait à compren- dre, à imaginer, il attendait la suite, pressé, inquiet !

— Alors ?

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— Je sais pas ce qui est arrivé. J'ai voulu le pousser pour l'éloigner, le faire arrêter, mais il a continué. Alors j'ai mis mes mains sur son cou et j'ai serré, serré... et puis il est tombé, tout raide, les yeux grands ouverts, la langue sortie, verte et tordue...

Fernand ne dit rien. Il lui semblait revivre une scène ancienne. Il revoyait l'Arthur pendu à la plus haute poutre de la grange, les yeux ouverts, la langue... comme elle disait.

— Mais... pendu... il s'est pendu ! Qu'est-ce que tu racontes ?

— Non, c'est MOI qui l'ai pendu. Quand j'ai vu qu'il était mort, j'ai eu peur de ce que je venais de faire. J'ai voulu le cacher, le brûler, l'enterrer ! Mais c'était pas possible, tu comprends ! Alors j'ai couru à la grange, j'ai accroché la corde à la poutre et le nœud à son cou, et je l'ai hissé en haut comme un sac de grains. Puis j'ai jeté l'échelle par terre, pour faire croire au pendu. Voilà !

Fernand vida l'autre moitié du bol de gnole sans un mot. Assommé comme il l'était, les idées se choquaient dans sa tête sans pour autant former un puzzle cohé- rant. Puis peu à peu il revint sur terre.

— Mais tu es partie ! ça m'explique rien, ton his- toire !

— Si. Tu te rappelles : les gendarmes sont venus pendant trois jours, toute la journée. Ils ont pas arrêté de poser des questions, comment qu'il vit, est-ce qu'il mange bien, est-ce qu'il travaille pas trop? et tout ça. A la fin, j'ai pris peur, j'ai cru qu'ils allaient découvrir l'affaire, alors je me suis enfuie. Mais je pouvais pas t'expliquer, mon Fernand. C'était trop dangereux...

— Et le Parsus, qu'est-ce que c'est encore, celui-là? Rolande retrouva ses yeux glacés, pensant à sa

Gérau, son amour de petite fille dans les mains de ce salopard.

— C'est lui qui a attaqué la petite, dans le bois un soir, tu te souviens !

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— Bien sûr, et alors ? — C'est moi qui l'ai assommé avec un arbre. Et c'est

moi, ce matin qui l'ai poussé du tracteur. Voilà, c'est tout !

Fernand avait retrouvé son calme, grâce à l'absor- ption de la gnole et à la sérénité de Rolande qui, meurtrière par deux fois, venait de lui faire le récit objectif et circonstancié de ses vengeances. La maîtrise, le sang-froid de sa femme lui avaient redonné assurance et lucidité, certitude et confiance. Pourtant, ces récits de violence le laissaient pantois sinon incrédule devant cette frêle femme insignifiante, qui venait de se déclarer capable, de ses mains, de ses seules forces, de tuer deux hommes. Il ne pouvait pas le croire.

— Mais comment tu as fait? c'est pas possible, ils étaient costauds, ces deux salauds !

Rolande se leva de sa chaise, sans un mot, et se dirigea vers la cuisinière en fonte où, depuis toujours, elle préparait les repas de sa famille. Elle glissa ses deux mains sous la barre de cuivre qui protège la ménagère de la brûlure et permet de faire sécher les torchons. La tête tournée vers Fernand, elle dit :

— Regarde. Sans effort apparent, elle décolla du sol les deux

pieds de devant de la cuisinière et les maintint en l'air à dix centimètres pendant plusieurs secondes. Puis elle reposa très délicatement les quelque cent cinquante kilos que représentait le fourneau de cuisine, et revint vers son mari les yeux pleins de joie et d'amour.

— Comment crois-tu que j'aurais pû vivre tout ce temps si je n'avais pas eu la force de me défendre. De tout ! Je t'ai bien raconté mon enfance... mais tout ça c'est fini. Je ne regrette rien, mon Fernand ; la petite et moi, on n'a que toi au monde.

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Cette nuit-là, la louve hurla, mais nul ne l'entendit sinon son loup, l'oreille collée à la bouche de son fauve ; plusieurs fois dans la nuit, peut-être comme autant d'étoiles qui se pouvaient compter à travers la minuscule lucarne de leur chambre qui jetait sur leur lit l'ombre d'une croix céleste.

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La fabrication de cet ouvrage a été réalisée

par l'Imprimerie Chirat, 42540 Saint-Just-la-Pendue

Achevé d'imprimer en novembre 1982 N° d'impression 5906

Dépôt légal novembre 1982

IMPRIMÉ EN FRANCE

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Georges GAYTE, issu d'une famille d'artistes amateurs, commence à écrire à l'âge de 10 ans des poèmes, puis par la suite des textes qui deviennent des chansons, grâce à son frère musicien et son meilleur ami Michel Didier.

«La Hurleuse », son deuxième roman, retrace une époque de la vie d'un couple qui vit à la campagne, de l'exploitation d'une ferme. La femme, Rolande, person- nage énigmatique, quitte un jour son mari «à cause d'un homme». Le mari, Fernand «bon gars de par chez nous», ne comprend rien à ce qui lui arrive. Il continue de vivre normalement avec sa fille jusqu'au jour où une bête sauvage vient hurler la nuit autour de sa ferme et celle de son voisin. Une « battue au sauvage » se déclenche alors et soudain tout s'éclaire dans l'esprit de Fernand.

Ce livre dépeint les sentiments contradictoires qui se heurtent dans la tête et le cœur d'un homme qui se sent bafoué par la femme qu'il aime...

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