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Cahiers de nutrition et de diététique (2014) 49, 44—48 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com MÉDECINE ET NUTRITION La l-citrulline, un nouveau candidat dans la prise en charge du sujet âgé dénutri ? l-citrulline, a new candidate in the treatment of malnourished elderly? Charlotte Breuillard a , Christophe Moinard a,, Jean-Pascal De Bandt a,b , Luc Cynober a,b a Laboratoire de biologie de la nutrition, EA 4466, faculté de pharmacie, université Paris Descartes, Sorbonne-Paris-Cité, 4, avenue de l’Observatoire, 75270 Paris cedex 06, France b Service de biochimie, hôpitaux universitaires Paris Centre, AP—HP, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-St-Jacques, 75014 Paris, France Rec ¸u le 19 mars 2013 ; accepté le 12 juin 2013 Disponible sur Internet le 11 juillet 2013 MOTS CLÉS Citrulline ; Dénutrition ; Vieillissement ; Métabolisme azoté Résumé Avec l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, la dénutrition au sein de cette population est devenue un problème majeur de société puisqu’elle impacte directement la qualité de vie des sujets et elle est un facteur de morbi-mortalité. Or, l’une des caractéristiques de la personne âgée est qu’elle présente spécifiquement une résistance à la renutrition. Les causes en sont multiples, faisant intervenir en particulier une augmen- tation de l’utilisation splanchnique des acides aminés (AA), phénomène appelé séquestration splanchnique des AA. La citrulline, un acide aminé encore peu étudié pour ses propriétés nutri- tionnelles, échappe totalement à cette séquestration splanchnique et possède la propriété de stimuler la synthèse protéique musculaire. Cette activation de la protéosynthèse musculaire s’accompagne d’une accrétion protéique, d’une augmentation de la force musculaire et d’une augmentation de la motricité. La citrulline semble donc être un candidat particulièrement prometteur pour lutter contre la dénutrition chez la personne âgée. © 2013 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Citrulline; Malnutrition; Aging; Nitrogen metabolism Summary With the increasing population of frail elderly, malnutrition in the elderly has become a major public health concern because it directly impacts the quality of life of subjects and is a factor of morbidity and mortality. However, one of the characteristics of the elderly is to display a specific resistance to refeeding. The causes are multiple, involving in particu- lar an increase in splanchnic utilization of amino acids (AA), a phenomenon called splanchnic sequestration of AA. Citrulline, an amino acid yet poorly studied for its nutritional properties, Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Moinard). 0007-9960/$ see front matter © 2013 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2013.06.004

La l-citrulline, un nouveau candidat dans la prise en charge du sujet âgé dénutri ?

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ahiers de nutrition et de diététique (2014) 49, 44—48

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ÉDECINE ET NUTRITION

a l-citrulline, un nouveau candidat dans larise en charge du sujet âgé dénutri ?

-citrulline, a new candidate in the treatment ofalnourished elderly?

Charlotte Breuillarda, Christophe Moinarda,∗,Jean-Pascal De Bandta,b, Luc Cynobera,b

a Laboratoire de biologie de la nutrition, EA 4466, faculté de pharmacie, université ParisDescartes, Sorbonne-Paris-Cité, 4, avenue de l’Observatoire, 75270 Paris cedex 06, Franceb Service de biochimie, hôpitaux universitaires Paris Centre, AP—HP, hôpital Cochin, 27, ruedu Faubourg-St-Jacques, 75014 Paris, France

Recu le 19 mars 2013 ; accepté le 12 juin 2013Disponible sur Internet le 11 juillet 2013

MOTS CLÉSCitrulline ;Dénutrition ;Vieillissement ;Métabolisme azoté

Résumé Avec l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, la dénutritionau sein de cette population est devenue un problème majeur de société puisqu’elle impactedirectement la qualité de vie des sujets et elle est un facteur de morbi-mortalité. Or, l’unedes caractéristiques de la personne âgée est qu’elle présente spécifiquement une résistanceà la renutrition. Les causes en sont multiples, faisant intervenir en particulier une augmen-tation de l’utilisation splanchnique des acides aminés (AA), phénomène appelé séquestrationsplanchnique des AA. La citrulline, un acide aminé encore peu étudié pour ses propriétés nutri-tionnelles, échappe totalement à cette séquestration splanchnique et possède la propriété destimuler la synthèse protéique musculaire. Cette activation de la protéosynthèse musculaires’accompagne d’une accrétion protéique, d’une augmentation de la force musculaire et d’uneaugmentation de la motricité. La citrulline semble donc être un candidat particulièrementprometteur pour lutter contre la dénutrition chez la personne âgée.© 2013 Société francaise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSCitrulline;Malnutrition;Aging;Nitrogen metabolism

Summary With the increasing population of frail elderly, malnutrition in the elderly hasbecome a major public health concern because it directly impacts the quality of life of subjectsand is a factor of morbidity and mortality. However, one of the characteristics of the elderlyis to display a specific resistance to refeeding. The causes are multiple, involving in particu-lar an increase in splanchnic utilization of amino acids (AA), a phenomenon called splanchnicsequestration of AA. Citrulline, an amino acid yet poorly studied for its nutritional properties,

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Moinard).

007-9960/$ — see front matter © 2013 Société francaise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2013.06.004

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nic sequestration and has the property to stimulate muscle pro-on of muscle protein synthesis is associated with protein accretion,and motricity. Citrulline seems a particularly promising candidaten in the elderly.

nutrition. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La l-citrulline, un nouveau candidat dans la prise en charge

totally escapes the splanchtein synthesis. This activatiincreased muscle strength

for fight against malnutritio© 2013 Société francaise de

Avec l’augmentation continue de l’espérance de vie, lenombre de personnes âgées ne cesse de croître. Cettepopulation est particulièrement exposée à un risque dedénutrition et à des pathologies qui peuvent être accen-tuées par la dénutrition. Cette dernière est caractériséepar un bilan énergétique négatif, avec des apports protéi-noénergétiques inférieurs aux besoins de l’organisme [1]. Sila dénutrition ne touche que 4 à 10 % des personnes âgéesvivant à domicile, elle affecte environ 30 % des personnesâgées vivant en institution et jusqu’à 70 % des patients âgéshospitalisés [1]. La dénutrition chez les personnes âgées estun facteur très péjoratif car elle augmente le risque dedépendance et favorise l’installation et/ou l’accentuationd’une perte de masse, voire de fonction musculaire.

La dénutrition et la sarcopénie, terme qui a été introduiten 1989 par Rosenberg pour désigner cette diminution de lamasse musculaire liée à l’âge, sont deux phénomènes inti-mement liés puisque la sarcopénie est une des principalesconséquences de la dénutrition, et que cette dernière estaggravée par la sarcopénie [2]. Toutefois, la sarcopénie estun phénomène physiologique avec l’avancée en âge et peutexister en l’absence de dénutrition.

Cependant, la définition de la sarcopénie ne tient pascompte de la perte de fonction (dynapénie) et ne permetpas de détecter les patients atteints de sarcopénie dans lecadre d’une pratique clinique en gériatrie. Récemment, unconsensus européen [3] a défini la sarcopénie comme étantun syndrome caractérisé par une perte progressive et géné-ralisée de la masse musculaire squelettique avec des risquesde conséquences négatives comme la perte d’autonomie,une diminution de la qualité de vie, voire la mort. Ce consen-sus précise qu’il faut tenir compte de la diminution de la

masse musculaire mais également de la perte de fonctionassociée pour établir le diagnostic de sarcopénie. À cettefin, il a été proposé, pour les sujets de plus de 65 ans,une démarche diagnostique simple (Fig. 1) débutant par untest de vitesse de marche (les muscles des membres infé-rieurs étant les premiers touchés par la sarcopénie [4]). Sila vitesse de marche est supérieure à 0,8 m/s, une mesure dela force de préhension (test de hand grip) est proposée. Si laforce des muscles des bras est suffisante, la sarcopénie estécartée. En revanche, dans le cas où la force des membressupérieurs est trop faible et/ou la vitesse de marche infé-rieure à 0,8 m/s, la masse musculaire est mesurée. Si cettedernière est dans la norme, on considère alors qu’il n’ya pas de sarcopénie. En revanche, si la masse musculaireest faible, le diagnostic est posé. Parmi les différentesméthodes courantes de mesure de la masse musculaire, lesplus fiables sont certainement l’impédancemétrie (BIA) cou-plée à l’absorptiométrie biphotonique à rayons X (DEXA).

La sarcopénie est un facteur aggravant de la dépendanceet qui impacte durablement la qualité de vie. En effet, laperte de masse musculaire est associée à une altération desgrandes fonctions vitales, à une fragilité et à une augmen-tation de la morbidité en favorisant infections, escarres,retards de cicatrisation. . . [3,5].

Sujets âgés

(> 65 ans)

Mesure de vi tesse

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Figure 1. Algorithme permettant d’affirmer le diagnostic de sar-copénie chez les personnes âgées.D’après Cruz-Jentoft et al. [3].

Les causes de la sarcopénie sont multiples [6] avec unecomposante nutritionnelle très importante. En effet, aucours du vieillissement, il existe de profondes modificationsde l’homéostasie azotée conduisant à un déficit de la syn-thèse protéique musculaire en période postprandiale. Cedernier résulterait, notamment, d’une utilisation accrue,au niveau splanchnique (intestin, foie), des acides aminés(AA) absorbés, phénomène appelé séquestration splanch-nique des AA [7]. En effet, avec l’avancée en âge, il estobservé que les AA provenant de l’alimentation sont rete-nus en plus grande proportion par l’aire splanchnique et

apparaissent donc en quantité plus faible dans la circulationsystémique, entraînant ainsi une diminution des concen-trations plasmatiques postprandiales en AA, et donc deleur disponibilité en périphérie (ce phénomène a pu êtremontré spécifiquement chez des personnes âgées sainespour la leucine [8] et la phénylalanine [9]). Or, cetteaugmentation de l’aminoacidémie (en particulier de la leu-cinémie) au décours de la prise alimentaire est un signalimportant pour activer la synthèse protéique musculaireet restaurer les protéines qui ont été dégradées au coursde la phase post-absorptive. Plus encore, il a été montréque la relation leucinémie—synthèse protéique musculaireétait dose-dépendante [10]. Chez un adulte sain, ce sys-tème est à l’équilibre : la stimulation de la synthèseprotéique musculaire postprandiale permet d’équilibrer lespertes observées en situation post-absorptive. Chez la per-sonne âgée, la séquestration splanchnique des AA, enlimitant l’augmentation de leurs concentrations plasma-tiques, entraîne une moindre activation de la synthèse desprotéines musculaires. Ce phénomène est aggravé par lefait qu’il existe, chez le sujet âgé, une résistance à l’actionanabolique de la leucine [10].

Clairement, on peut affirmer qu’il existe une rupture del’homéostasie azotée car les pertes protéiques en période

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Par ailleurs, la séquestration splanchnique des AA obser-ée chez les personnes âgées contribue certainement àeur résistance à la renutrition. En effet, la personne âgéerésente une récupération plus lente après un épisode deénutrition. Ainsi, chez des patients âgés dénutris renourrisar nutrition entérale, en complément d’une alimentationrale, la prise de poids, et l’amélioration des marqueurse dénutrition (transthyrétine et transferrine plasmatiques)ont plus faibles que chez des patients adultes [11,12].

La séquestration splanchnique des AA est donc respon-able, d’une part, de la sarcopénie et, d’autre part, de laésistance à la renutrition. Concrètement, ce phénomèneermet d’expliquer que, s’il est indispensable d’assurer enriorité un apport couvrant les besoins protéiques de laersonne âgée, cela ne permet pas de restaurer un sta-ut nutritionnel satisfaisant, comme le montrent des étudesxpérimentales [13] ou cliniques [11]. Ainsi, différentestratégies nutritionnelles ont été proposées pour améliorer’efficacité de la renutrition et/ou lutter contre la sarco-énie [14], mais force est de constater que les résultats’avèrent décevants (i.e. complémentation en leucine effi-ace en aigu mais pas à long terme) [15], ou difficilementransposables dans la vie quotidienne des personnes âgéesivant à domicile (i.e. régime pulsé qui consiste à adminis-rer 80 % de l’apport protéique quotidien au cours du repase midi) [16].

Un autre AA, la citrulline, pourrait être intéressant danse contexte. Ses propriétés nutritionnelles ont été igno-ées jusqu’à ces dix dernières années car il n’entre pasans la composition des protéines et était considéré commen simple intermédiaire du cycle de l’urée. Cependant, laitrulline a une caractéristique métabolique unique : ellechappe à l’extraction splanchnique car elle n’est ni dégra-ée dans l’intestin, ni captée par le foie. Par ailleurs, commeous le verrons plus loin, elle est capable d’activer la syn-hèse protéique dans le muscle et donc d’augmenter leontenu protéique musculaire.

ref rappel du métabolisme de la citrulline

a citrulline est un AA non essentiel qui tient son nom auait qu’elle a été découverte originellement dans la pas-èque (Citrullus vulgaris). Il s’agit d’un AA neutre pourequel il n’existe pas d’ARNt ; il n’est donc pas utilisé poura synthèse protéique, même s’il peut être retrouvé danses protéines du fait de modifications post-traductionnellese ces dernières (déimination de l’arginine en citrullineia l’action d’une arginine déiminase) [17]. Chez l’Homme,a concentration plasmatique de citrulline est d’environ0 �mol/L [18]. Cette dernière provient de deux sources :’apport alimentaire (qui est souvent inexistant car la citrul-ine n’est retrouvée en quantité significative que dans laastèque) et la synthèse endogène, l’essentiel de la citrul-ine circulante provenant d’une néosynthèse intestinale àartir de l’arginine et de la glutamine [19]. En effet,ans l’entérocyte, une partie de l’arginine apportée par’alimentation est métabolisée par l’arginase pour donnere l’ornithine ; de même, une partie de la glutamine, appor-ée tant par l’alimentation que par le sang portal, estatabolisée en ornithine par la glutaminase et l’ornithineminotransférase. L’ornithine est à son tour métabolisée

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C. Breuillard et al.

igure 2. Carrefour intestinal arginine-ornithine-citrulline. OAT :rnithine aminotransférase ; OCT : ornithine carbamoytransférase ;SS : argininosuccinate synthase ; ASL : argininosuccinate lyase.’après Cynober et al. [19].

n citrulline par l’ornithine carbamoyltransférase [17]. Laitrulline passe ensuite dans la circulation sanguine où elle’est pas captée par le foie, mais principalement par leein (environ 83 % de la citrulline produite par l’intestin)Fig. 2).

Une fois dans le rein, la citrulline est métaboliséear les argininosuccinate synthase et lyase pour donnere l’arginine. Cette dernière représente environ 80 % de’arginine circulante [20]. La formation de citrulline à par-ir de l’arginine alimentaire permet donc d’éviter que toute’arginine absorbée ne passe directement dans la circula-ion portale et ne soit largement captée par le foie pour laormation d’urée [21].

omplémentation en citrulline : étudesxpérimentales

artant du fait qu’il existe une déplétion en citrulline dans leyndrome du grêle court [22], notre équipe [23] a démontré

ue l’enrichissement de la nutrition entérale en citrulline1 g/kg par jour) chez des animaux ayant subi une résec-ion de 80 % de l’intestin grêle permettait de restaurer leilan azoté et d’augmenter la concentration plasmatique enrginine en comparaison d’une nutrition standard ou mêmenrichie en arginine.

Ce concept d’amélioration du bilan azoté par l’apporte citrulline a ensuite été étendu à une autre situation deupture de l’homéostasie azotée : le vieillissement (cf. pré-édemment). Ce travail [24] a été mené dans un modèle deénutrition-renutrition [25] : le rat âgé dénutri par une res-riction alimentaire à 50 % de ses ingesta spontanés pendant2 semaines, puis renourri (90 % des ingesta spontanés) pen-ant une semaine avec une complémentation en citrulline à

g/kg par jour ou avec une alimentation standard isocalo-ique et isoazotée. Cette étude a démontré que la synthèserotéique dans le muscle tibialis augmentait de facon plusmportante (+90 %) lorsque la renutrition s’accompagnait’une complémentation en citrulline. Cette augmentatione la synthèse protéique était associée à une augmenta-ion du contenu protéique de ce même muscle (+20 %). Cesésultats particulièrement impressionnants laissaient sup-oser qu’un tel effet sur la synthèse protéique n’était pasié à une simple augmentation de la disponibilité en azote

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citrulline n’avait aucun effet. Ces résultats ne sont pas sur-prenants car les travaux expérimentaux [24] ou cliniques[37] montrent une action spécifique sur le muscle, mais pas

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mais à une action spécifique de la citrulline sur la synthèseprotéique musculaire.

Cette hypothèse a été confirmée par le travail récentde Le Plénier et al. [26] chez des rats adultes. En effet,l’apport en bolus de 1,8 g/kg de citrulline chez des ratssoumis à un jeûne de 18 h permet d’augmenter le taux desynthèse protéique musculaire à un niveau similaire à celuide rats nourris, et cela, par un mécanisme mettant en jeul’activation de la voie mTOR.

Par ailleurs, dans le modèle de dénutrition protéinoéner-gétique chez le rat âgé déjà mentionné, Faure et al. [27]ont démontré que la citrulline permettait d’augmenter lamasse musculaire et que cette augmentation de la trophi-cité musculaire était corrélée à une augmentation de laforce musculaire et de l’activité motrice des animaux dénu-tris. Des résultats complémentaires utilisant une approcheprotéomique [28] montrent que l’action de la citrullineest ciblée car elle augmente l’expression des principauxconstituants des myofibrilles, notamment les différents iso-formes d’actine et de myosine alors qu’elle diminue celledes protéines impliquées dans la dépolymérisation des fila-ments d’actine, augmentant ainsi la proportion de protéinesnécessaires à la contraction du muscle. De plus, la citrul-line pourrait également agir sur la protéolyse en diminuantl’expression d’une protéine activatrice de cette dernière(sous-unité 1 du complexe activateur du protéasome), ce quientraînerait donc une diminution du catabolisme protéiquemusculaire [28].

En tant que telle, la quantité des protéines musculairesne suffit pas à conditionner la fonctionnalité de ces der-nières, et donc du muscle. En effet, les protéines peuventsubir des altérations, en particulier oxydatives, qui modi-fient leur structure et donc leur activité. C’est le cas dela carbonylation des protéines musculaires qui entraîne unedésorganisation et une incapacité des fibres musculaires àse contracter [29]. Or le vieillissement s’accompagne d’uneaugmentation de la carbonylation des protéines, notammentmusculaires [30,31]. Toujours l’étude de Faure et al. [28], ila été démontré qu’une complémentation en citrulline chezle rat âgé entraînait une diminution de la carbonylation desprotéines du tibialis anterior.

Ces effets de la citrulline sur le contenu protéiquemusculaire ont également été retrouvés après une complé-mentation avec de la citrulline pendant trois mois chez des

rats âgés sains [32], suggérant un effet de cet AA sur lelong terme. Il a également été montré dans cette étudeque la citrulline permettait de corriger les modificationsde la composition corporelle liées au vieillissement avecune augmentation de la masse maigre et une diminutionde la masse grasse cutanée et viscérale. L’action de lacitrulline sur la masse grasse a également été mise en évi-dence par une étude in vitro [33] qui démontre que lacitrulline augmente la libération d’acides gras par les adi-pocytes et diminue la glycéronéogenèse. Cela va dans lemême sens que les résultats de l’étude protéomique [28]qui montrent que l’administration de citrulline permettraitde minimiser les altérations du métabolisme du glucoseobservées lors du vieillissement, en modifiant l’expressiondes protéines impliquées dans le métabolisme énergétique.En effet, l’expression protéique des enzymes de la gly-cogénolyse et de la glycolyse est augmentée, alors quel’expression de celles impliquées dans le cycle de Krebs estdiminuée dans les muscles des rats ayant recu de la citrul-line. La citrulline permettrait donc de restaurer, au moinsen partie, les expressions protéiques altérées lors du vieillis-sement.

ujet âgé dénutri ? 47

Qu’en est-il des études chez l’Homme ?

Tout d’abord, il a fallu évaluer la pharmacocinétique et latolérance de la citrulline chez l’Homme. Pour cela, plu-sieurs études ont été menées dont deux chez l’Homme sain[34,35]. Dans la première étude, des doses de 1,5 à 6 g/jont été utilisées. Elle montre que la citrulline est très bientolérée et qu’elle augmente l’argininémie plasmatique plusque ne le fait l’administration d’arginine elle-même. Dans laseconde, les quantités utilisées étaient deux fois plus impor-tantes (de 2 à 15 g/j). Il a été observé que la concentrationmaximale et l’aire sous la courbe de la concentration encitrulline augmente avec la dose de citrulline ingérée. Parailleurs, une étude récente chez la personne âgée (> 75 ans)a évalué la tolérance et la pharmacocinétique de la citrul-line (prise orale de 10 g). Il apparaît que cette dernière esttrès bien tolérée (Moinard et al., données non publiées).

Concernant les effets de la citrulline sur le métabo-lisme azoté, il a été démontré, chez l’homme sain, qu’unecomplémentation en citrulline de 0,18 g/kg par jour, soitenviron 12,5 g/j, divisée en cinq prises, pendant une jour-née, entraîne une augmentation du bilan azoté, reflet d’uneaccrétion azotée [36]. Mais ce résultat ne permet pas dedéterminer si la citrulline augmente la synthèse protéique,diminue la protéolyse ou les deux à la fois. Une étude plusrécente [37] a démontré que l’ingestion de citrulline entraî-nait une augmentation de la synthèse protéique musculaireen situation de carence protéique. Pour cette étude, dixsujets adultes sains ont été nourris avec un régime hypo-protéique (8 % de l’apport total) pendant trois jours, puisont recu soit de la citrulline (10 g), soit un mélange isoazotéd’AA non essentiels, en bolus, toutes les 30 minutes pen-dant huit heures. Ces effets étaient bien distincts des effetsde ceux induits par l’insuline puisque les concentrationsplasmatiques de cette dernière n’étaient pas modifiées.Cependant, une troisième étude [38] réalisée chez l’Hommesain n’a pas retrouvé les effets de la citrulline sur le méta-bolisme azoté. Dans cette étude, des volontaires sains ontrecu de la citrulline (0,18 g/kg par jour) durant sept jours,et le bilan azoté et la synthèse protéique corps entier ontété mesurés à la fin de la période de complémentation. La

d’action au niveau corps entier.Il n’existe cependant pas de données d’études interven-

tionnelles chez la personne âgée dénutrie. Deux PHRC sonten cours sur ce sujet (référencée sur le Clinicaltrials.govsous les numéros NCT00714675 et NCT01599676).

Conclusion

La citrulline est un acide aminé (AA) doué de propriétésanaboliques de par sa capacité à stimuler la synthèse pro-téique musculaire. Cette action a pour conséquence uneaugmentation de la masse musculaire qui s’accompagned’une amélioration de la fonctionnalité du muscle. La citrul-line semble donc être un bon candidat pour lutter contre ladénutrition chez la personne âgée car c’est une stratégiefacilement utilisable dans la pratique clinique.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs sont actionnaires de la société Citrage®.

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