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13 ANTHEMIS - LARCIER 627 13 La législation sur les insolvabilités dans le secteur financier à l’épreuve de la crise Laurent Fisch Laurent Fisch Luxlegal Franz F ayot Elvinger, Hoss & Prussen Maryline Esteves Elvinger, Hoss & Prussen Table des matières Titre 1 – Sursis de paiement 631 Chapitre 1 – Le sursis de paiement des banques et autres établissements détenant des fonds de tiers 631 Section 1 – Les conditions d’ouverture du sursis de paiement 633 Section 2 – Nature du sursis de paiement 634 Sous-section 1 – Un régime sui generis 634 Sous-section 2 – La continuité : élément essentiel du sursis 636 Sous-section 3 – Pertinence de la perspective du sursis 638 Section 3 – Effets du sursis de paiement 639 Sous-section 1 – Sur la gestion de l’établissement 639 Sous-section 2 – Effets sur les opérations bancaires 640 Section 4 – Modalités du sursis de paiement 648 Sous-section 1 – Fixation et modification des modalités du sursis 648 Sous-section 2 – Durée du sursis 649 Sous-section 3 – Possibilité de faire une restructuration dans le cadre du sursis de paiement 651 Droit bancaire et financier au Luxembourg 2014 – Volume 1 Larcier - © Groupe Larcier [email protected] / Elvinger, Hoss & Prussen / [email protected]

La législation sur les insolvabilités dans le secteur …...turation pour Kaupthing et une liquidation volontaire pour Glitnir. Ceci démontre que le sursis doit être considéré

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La législation sur les insolvabilités dans le secteur financier

à l’épreuve de la crise

Laurent FischLaurent Fisch Luxlegal

Franz FayotElvinger, Hoss & Prussen

Maryline EstevesElvinger, Hoss & Prussen

Table des matières

Titre 1 – Sursis de paiement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631

Chapitre 1 – Le sursis de paiement des banques et autres établissements détenant des fonds de tiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631

Section 1 – Les conditions d’ouverture du sursis de paiement . . . . . . . . 633

Section 2 – Nature du sursis de paiement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 634Sous-section 1 – Un régime sui generis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 634Sous-section 2 – La continuité : élément essentiel du sursis . . . . . . . . . 636Sous-section 3 – Pertinence de la perspective du sursis . . . . . . . . . . . . 638

Section 3 – Effets du sursis de paiement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 639Sous-section 1 – Sur la gestion de l’établissement . . . . . . . . . . . . . . . . 639Sous-section 2 – Effets sur les opérations bancaires . . . . . . . . . . . . . . 640

Section 4 – Modalités du sursis de paiement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 648Sous-section 1 – Fixation et modification des modalités du sursis . . . . 648Sous-section 2 – Durée du sursis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 649Sous-section 3 – Possibilité de faire une restructuration dans le cadre

du sursis de paiement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 651

Droit bancaire et financier au Luxembourg 2014 – Volume 1Larcier - © Groupe [email protected] / Elvinger, Hoss & Prussen / [email protected]

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VOLUME I

628 larcier - anthemis

Section 5 – Aspects internationaux du sursis de paiement . . . . . . . . . . . 653Sous-section 1 – Dans le cas d’une succursale établie dans l’Union

européenne – à l’exemple de la Belgique dans l’affaire Kaupthing . . 653Sous-section 2 – Dans le cas d’une succursale établie hors de l’Union

européenne – à l’exemple de la Suisse dans l’affaire Kaupthing . . . 654

Chapitre  2 – Le sursis de paiement d’organismes de titrisation, organismes relevant du secteur financier (Lifemark et ARM Asset Backed Securities) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 655

Titre 2 – Liquidation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 658

Chapitre 1 – Le mode de liquidation judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 658

Section 1 – Origine de la notion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 658Section 2 – « Règles régissant la liquidation de la faillite » et « règles

régissant la faillite » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 659

Section 3 – Le mode de liquidation de la BCCI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 661

Section 4 – Contenu du mode de liquidation de la BCCI . . . . . . . . . . . . 661Section 5 – Emprunts aux règles de la faillite et du droit commun des

liquidations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 662

Section 6 – Modes de liquidation évolutifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 666

Section 7 – Vérifications des créances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 667Sous-section 1 – Fixation d’une date limite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 667Sous-section 2 – Information des créanciers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 667Sous-section 3 – Vérification de chaque créance et inscription sur une

liste des créances admissibles ou sur celle des créances contestées 668Sous-section 4 – Chaque créance admissible est soumise aux autres

créanciers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 668Sous-section 5 – Les autres créanciers peuvent s’opposer à une

créance admissible en formant contredit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 668Sous-section 6 – Information des créanciers contestés ou contredits . . 669Sous-section 7 – Recours du créancier contesté ou contredit . . . . . . . 669Sous-section 8 – Rejet définitif en cas d’absence de recours . . . . . . . . . 669

Section 8 – Refus du tribunal de définir un mode de liquidation spécifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 669Sous-section 1 – Activités du professionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 670Sous-section 2 – Demandes pour une « liquidation ordonnée » . . . . . . 670Sous-section 3 – Appréciation du tribunal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 671

Chapitre 2 – Moyens et contraintes des liquidateurs et déroulement des opérations de liquidation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 671Section 1 – Obtenir et conserver une information fiable concernant

l’entité en liquidation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 672

Section 2 – L’arrangement amiable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 674

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Section 3 – La coopération internationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677

Section 4 – Les déclarations de créances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 680

Section 5 – La « bar date » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 681

Section 6 – Contrats en cours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 684

Chapitre 3 – L’office du juge-commissaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 686

Titre 3 – Perspectives d’avenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 689

Chapitre 1 – Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 690

Chapitre 2 – Les principaux changements qu’amènera la DRR en droit luxembourgeois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 691Section 1 – Une nouvelle autorité de résolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . 692

Section 2 – La phase de « préparation » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 692

Section 3 – L’intervention précoce (titre III, DRR) . . . . . . . . . . . . . . . . . 694

Section 4 – Instruments et pouvoirs de résolution (titre IV, DRR) . . . . . 695

Section 5 – Coopération entre les autorités nationales . . . . . . . . . . . . . . 698

Section 6 – Financement de la résolution bancaire . . . . . . . . . . . . . . . . 700

Chapitre 3 – Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 701

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Le Luxembourg n’avait pas connu de « faillite » de banque ni, à notre connais-sance, de PSF ou autre organisme du secteur financier, depuis le sursis, puis la liquidation, de la BCCI (Bank of Credit and Commerce International SA) en 1991 1. Après cette longue accalmie dans les années 1990 et 2000, qui coïnci-dait avec les années fastes de la place financière, le droit des insolvabilités est réapparu chez nous avec la crise financière mondiale, en octobre 2008. Notre pays a alors vu la mise en sursis de paiement des trois banques islandaises présentes à Luxembourg et de la filiale locale de Lehman Brothers. Depuis lors, un certain nombre d’autres organismes relevant du secteur financier devaient subir un sort similaire, sous l’emprise de la crise qui perdurait.La présente contribution a pour objet de faire le point sur la pratique du droit des insolvabilités dans le secteur financier à la lumière des cas les plus récents, en la confrontant aux enseignements de la jurisprudence plus ancienne. Nous distinguerons pour ce faire entre le régime du sursis de paiement et celui de la liquidation judiciaire. Si le sursis de paiement est et a été dans la plupart des cas le simple préalable de la liquidation, il en a été différemment dans deux cas récents, ceux de Kaupthing et de Glitnir, ayant débouché sur une restruc-turation pour Kaupthing et une liquidation volontaire pour Glitnir. Ceci démontre que le sursis doit être considéré comme un régime autonome fonc-tionnant selon des règles et répondant à des impératifs différents de ceux de la liquidation. D’autre part, nous nous pencherons sur les perspectives d’avenir dans cette matière. Le Conseil européen a en effet, le 28 juin 2013, trouvé un accord politique sur la proposition de directive Redressement et résolution des établissements de crédit et entreprises d’investissement (ci-après la « DRR ») 2. Cette directive, qui s’insère dans le vaste chantier de l’Union bancaire euro-péenne, changera en profondeur le cadre législatif pour le redressement et la résolution des banques en Europe.

1 Voy., au sujet de la liquidation BCCI, les articles de G. Baden et Y. Baden, « Diagonales en matière de liquidation des établissements de crédit et fonds d’investissement », Droit bancaire et financier au Luxembourg, Recueil de doctrine, édité par l’Association luxembourgeoise des juristes de banque, vol. 1, p. 180, Bruxelles, Larcier, 2004, et de P. Mousel et Chr. Kremer, « Le mode de liquidation des établissements de crédit », Droit bancaire et financier au Luxembourg, Recueil de doctrine, édité par l’Association luxembourgeoise des juristes de banque, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 215.2 Texte de proposition finale sous http://www.consilium.europa.eu/pdf/en/13/st11/st11148-ne01.eu13.pdf.

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titre 1

Sursis de paiement

chapitre 1

Le sursis de paiement des banques et autres établissements détenant des fonds de tiers

Une question préliminaire se pose au sujet du champ d’application personnel du sursis « bancaire ».C’est la partie IV (article 60 et suivants) de la loi sur le secteur financier du 5 avril 1993 (LSF) qui prévoit les deux régimes applicables en vue de l’assai-nissement ou de la liquidation de certains professionnels du secteur financier, à savoir le sursis de paiement et la liquidation. Ces articles ont transposé, en outre, en droit luxembourgeois la directive 2001/24/CE du Parlement euro-péen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquida-tion des établissements de crédit, qui comprend avant tout des règles de droit international privé.L’article 60-1 de la LSF dispose que : « La présente partie s’applique aux établis-sements qui ont la gestion de fonds de tiers. » 3

L’article 60 de la même loi, quant à lui, fournit une liste limitative des enti-tés qui seraient à considérer comme un « établissement ». Tombent ainsi dans le champ d’application de cette définition les établissements de crédit, les commissionnaires, les gérants de fortunes, les professionnels intervenant pour compte propre, les distributeurs de parts d’organismes de placement collectif qui acceptent ou font des paiements, les preneurs d’instruments financiers et les teneurs de marché.On a pu s’interroger sur l’inclusion d’une entité comme Lehman Brothers (Luxembourg) SA dans le champ d’application ratione personae des disposi-tions sur le sursis de paiement. En effet, cette entité ne détenait pas de fonds de tiers et ne fournissait pas de services d’investissement. La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a d’ailleurs soulevé, sans pour autant s’opposer formellement à l’octroi du sursis de paiement, des questions sur l’ap-plication du régime à cette entité en considérant que : « […] les professionnels effectuant du prêt de titres ne figurent pas dans la liste limitative du quatrième tiret de l’article  60 de la Loi, que par ailleurs la société anonyme Lehman Brothers (Luxembourg) SA ne peut être qualifiée de professionnel interve-

3 Article 60-1 de la LSF.

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nant pour compte propre, tel que défini à l’article 24-4 de la Loi et énuméré à l’article 60, quatrième tiret de la même loi, parce qu’elle ne fournit pas de service d’investissement, qu’en effet aux termes des travaux parlementaires de la loi du 19 mars 2004 introduisant la partie IV dans la Loi, sont assujettis à ladite partie non seulement les établissements de crédit, mais également les entreprises d’investissement qui ont la gestion de fonds de tiers. Or, Lehman Brothers (Luxembourg) SA n’est pas une entreprise d’investissement. […] » 4.Il semblerait donc que pour la société Lehman Brothers (Luxembourg) SA les juges luxembourgeois ont pris une décision d’opportunité 5 et n’ont pas appli-qué le texte de loi stricto sensu.Il serait à notre avis opportun de tirer les leçons de cet épisode, qui démontre une tendance naturelle des tribunaux à soumettre des entités surveillées du secteur financier à un régime de pré-insolvabilité spécial, et d’adopter un régime modernisé commun à tous les professionnels du secteur financier (PSF) et aux autres entités surveillées (OPC, SICAR et organismes de titrisa-tion) qui ne tombent pas dans le champ d’application de la Directive 2001/24/CE et de la partie IV de la LSF.Notons encore que la pratique récente a révélé un certain nombre de faiblesses et de lacunes dans l’application des différents régimes prévus dans les lois spéciales relatives aux OPC, FIS, SICAR et organismes de titrisation, tous inspirés plus ou moins fidèlement du régime issu de l’ancienne loi du 25 août 1983 relative aux organismes de placement collectif. Ces défauts sont préju-diciables non seulement à une surveillance efficace par le régulateur à un moment critique dans la vie d’une entité surveillée du secteur financier, mais également à la sécurité juridique pour toutes les parties prenantes. Par ailleurs, il existe entre ces différents régimes s’inspirant de la loi de 1983, malgré leur origine commune, des disparités ou des incertitudes parfois comblées par la jurisprudence, mais qui sont source, elles aussi, d’insécurité juridique. Il en est ainsi, par exemple, de la possibilité pour le procureur d’État de demander au Tribunal la dissolution et la mise en liquidation d’une entité sur base de l’ar-ticle 203 de la loi du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales telle que modifiée (LSC). En outre, plus fondamentalement encore, l’orientation et la logique sous-jacente aux diverses procédures existant dans le secteur finan-

4 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 3 octobre 2008, no 1162/08, la procédure de sursis de paiement s’est soldée par une liquidation judiciaire prononcée par le Tribunal d’arrondis-sement de et à Luxembourg, jugement du 1er avril 2009, no 451/09.5 Pour une étude plus détaillée sur ce sujet, le lecteur se référera à l’article de Me M. Elvinger, « Enseignements jurisprudentiels récents en matière de sursis de paiement dans le secteur finan-cier », ALJB, Bulletin Droit et Banque, no 43.

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cier sont parfois différentes d’un cas à l’autre. Ainsi, si la partie IV de la LSF, qui fait expressément allusion aux mesures d’assainissement et de liquidation, s’inscrit non seulement dans le contexte d’un retrait administratif d’une entité de la liste officielle des professionnels autorisés tenue par la CSSF, par exemple en raison d’une violation d’une disposition réglementaire, mais également dans le contexte d’une insuffisance d’actifs, la loi de 1983 et les régimes qui s’en inspirent ignorent, quant à eux, entièrement l’hypothèse d’une insuffi-sance d’actifs et celle des difficultés financières mettant en péril la continuité de l’entité. Ce qui autorise la conclusion que les procédures collectives de droit commun ont potentiellement vocation à s’appliquer également aux OPC et autres organismes soumis à un régime du type inspiré par la loi de 1983 6.

section 1

Les conditions d’ouverture du sursis de paiement

L’article 60-2 (1) de la LSF dispose que le sursis de paiement ne peut intervenir que dans trois cas d’espèce, à savoir lorsque (a) le crédit de l’établissement est ébranlé ou lorsqu’il se trouve dans une impasse de liquidité, qu’il y ait cessa-tion de paiement ou non, (b) l’exécution intégrale des engagements de l’éta-blissement est compromise ou (c) l’agrément de l’établissement a été retiré et que cette décision n’est pas encore définitive.Seuls la CSSF ou l’établissement concerné peuvent demander au Tribunal d’arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale (ci-après le « Tribunal ») de prononcer le sursis de paiement en vertu de l’article 60-2 (2) de la LSF.Ainsi, le Tribunal a pu justifier dans les termes suivants, inspirés du sursis de droit commun, les circonstances pouvant donner lieu au bénéfice du sursis dans l’hypothèse de l’article 60-2 (1) a) : « […] au débiteur qui, tout en cessant temporairement ses paiements, a des biens suffisants pour satisfaire tous ses créanciers en principal et intérêts. Le banquier malheureux et de bonne foi peut échapper à la liquidation judiciaire définitive par l’obtention d’un sursis de paiement. En effet, si la défaillance n’est que temporaire et si la concession d’un délai peut permettre au commerçant, en l’occurrence à la Banque, de s’ac-quitter intégralement envers ses créanciers, il faut que la loi protège ce débi-teur en lui assurant le répit nécessaire au redressement de ses affaires. […] » 7.

6 En ce sens, M. Elvinger, précité, note de bas de page 7.7 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1315/08.

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Il convient de noter que, dans toutes les affaires de 2008 8, le sursis de paie-ment a été ouvert sur base des cas prévus à l’article 60-2 (1) a) et b), c’est-à-dire pour difficultés de liquidité, avec ou sans insolvabilité.

section 2

Nature du sursis de paiement

sous-section 1

Un régime sui generis

Le sursis de paiement prévu dans la LSF a pour objectif de permettre la conti-nuité de l’activité de l’établissement qui y est soumis, tout en assainissant sa situation financière, sinon de rendre possible sa restructuration en vue de la poursuite de son activité, suite à une impasse de liquidité compromettant l’exécution intégrale de ses engagements.À cette fin, l’établissement « malheureux » est temporairement dispensé de toute obligation de paiement  – aucun actif ne peut sortir du patrimoine de l’établissement sous réserve de certains cas spécifiques ou de dispositions légales contraires.Cette caractéristique rapproche le sursis bancaire du sursis de droit commun régi par le Code de commerce luxembourgeois dans son Livre  III, Titre  IV (articles 593 et suivants). Le sursis de droit commun est en effet accordé au commerçant qui « par suite d’événements extraordinaires et imprévus, est contraint de cesser temporairement ses paiements, mais qui, d’après son bilan dûment vérifié, a des biens ou moyens suffisants pour satisfaire tous ses créanciers en principal et intérêts. Le sursis de paiement pourra également être accordé si la situation du commerçant, bien qu’actuellement déficitaire, renferme des éléments sérieux de rétablissement de l’équilibre entre l’actif et le passif. »Le sursis bancaire sous le régime de la LSF va cependant au-delà du régime de droit commun, puisque l’exécution intégrale des engagements peut être compromise, comme en matière de gestion contrôlée sous l’arrêté grand-ducal du 24 mai 1935, ce qui n’est pas le cas du sursis de droit commun.La question qui s’est posée dans la pratique récente était de savoir si ces deux régimes étaient complémentaires ou si le législateur a voulu expressément

8 Kaupthing Bank Luxembourg SA, Landsbanki Luxembourg SA, Glitnir Luxembourg SA et Lehman Brothers (Luxembourg) SA.

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exclure l’application des règles régissant le sursis de droit commun dans le cadre du sursis prévu par la LSF 9.La conclusion que le sursis de droit commun ne s’applique pas en matière bancaire pourrait se déduire de l’article 61(18) de la LSF qui exclut expressé-ment l’application du droit commun des procédures collectives aux établisse-ments au sens de la LSF.Il faut toutefois soulever que cet article figure au chapitre 2 de la Partie IV de la LSF relative à la liquidation, et non au chapitre 1 de la Partie IV de la LSF sur le sursis de paiement.La question s’est posée à plusieurs reprises, notamment dans le cadre d’une requête introduite par les administrateurs judiciaires de Kaupthing Bank Luxembourg SA visant l’admission par le Tribunal d’une procédure de vote à la majorité du passif concerné pour l’approbation d’une restructuration, par opposition à un vote unanime tel que l’aurait exigé l’application stricte du principe de traitement égalitaire des créanciers.Le Tribunal avait, dans des ordonnances précédentes rendues dans la même affaire, affirmé le principe que le sursis de droit commun s’appliquait de manière supplétive.Le Tribunal, probablement mû par une sorte de peur du vide, retint le même principe dans son jugement du 24 décembre 2008 10 au motif que « [À] défaut de texte légal, le tribunal ne saurait à travers les modalités du sursis de paie-ment imposer des remises de dettes ni à l’ensemble des créanciers ni à une catégorie de créanciers ».La Cour d’appel réforma cette décision par son arrêt du 28 janvier 2009 11 en disant pour droit que « […] [L]es appelants font valoir à bon droit que le sursis bancaire ne peut être assimilé au sursis de droit commun réglementé par les articles  593 et suivants du Code de commerce.  […] Les cas d’ouverture du sursis bancaire vont donc beaucoup plus loin, et ce sursis peut être accordé dans une situation financière valant révocation du sursis de droit commun. […] » 12.

9 Voy. l’article de M. Elvinger, précité, et celui de L. Fisch et S. Denayer, « Assainissement, restructuration et liquidation des professionn els du secteur financier en droit luxembourgeois », DAOR, 2008/88.10 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 24 décembre 2008, no 1571/08.11 Cour d’appel, arrêt du 28 janvier 2009, no 34351 du rôle.12 Voy.  l’analyse de M. Elvinger, précité, sur la conformité de cette position avec les travaux parlementaires de la loi du 10  août 1982 ayant introduit pour la première fois la procédure du sursis bancaire en droit luxembourgeois.

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Ceci confirme que le sursis bancaire est clairement un régime dérogatoire au régime de sursis de droit commun : « […] Le sursis de paiement réglementé par l’article 60-2 de la loi du 5 avril 1993 est une procédure collective à l’instar de la gestion contrôlée, instituant différentes mesures analogues, dont la possibi-lité donnée au juge de charger le ou les administrateurs de l’élaboration d’un plan de redressement, lequel est en somme l’équivalent du projet de réorgani-sation prévu par l’article 6 de l’arrêté grand-ducal du 24 mai 1935. […] »

sous-section 2

La continuité : élément essentiel du sursis

Tel qu’indiqué ci-dessus, le principe est celui de la continuation de l’activité de l’entité faisant l’objet d’une procédure de sursis de paiement. La direction de la banque n’est d’ailleurs pas dessaisie de la gestion quotidienne, bien que tous les actes doivent être approuvés par l’administrateur judiciaire, conformément à l’article 60-2 (15) de la LSF, et ce, à peine de nullité.Par ailleurs, la banque reste, pendant le sursis, sous la surveillance de la CSSF, ce qui tend aussi à démontrer que l’optique de ce régime est plus celle d’une gestion contrôlée que d’une quasi-faillite.Une illustration de ce principe de continuité de l’activité se retrouve, par exemple, dans la continuation des contrats en cours : sous réserve de dispo-sitions contractuelles spécifiques et à condition de ne pas porter atteinte au principe de suspension du paiement des dettes par l’établissement et en ayant égard au fait que les recours (autres que conservatoires) par les contractants sont suspendus pendant la durée du sursis, les contrats en cours demeurent valables (contrats de travail, contrats de dépôt, etc.)Ainsi, le Tribunal a jugé 13 que les dépôts à terme devaient être renouvelés dans la mesure où ils n’ont pas été résiliés par le client, alors qu’il ressort des conditions générales de la banque que seul le client peut s’opposer à leur renouvellement automatique 14. Dans la mesure où ces dépôts constituaient des sommes d’argent, donc des biens fongibles étant entrés dans le patrimoine de la banque, les déposants n’ayant qu’un droit de créance sur la banque, et la banque ne pouvant pas décaisser les sommes placées en dépôt, la seule ques-tion qui se posait vraiment était celle du taux d’intérêt applicable.Les dépôts à terme qui arrivaient à maturité et qui ne prévoyaient pas de renouvellement automatique donnaient lieu à une position en compte courant

13 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1314/08.14 Ce qui est contesté par certains auteurs, voy. Me M. Elvinger, précité, no 57.

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du client, sauf instruction contraire donnée par le client à la banque de renou-veler le dépôt.La question du taux d’intérêt s’est résolue par l’application d’un nouveau taux d’intérêt déterminé d’après le contrat de dépôt qui avait été conclu avec le client avant la date d’ouverture du sursis de paiement, et ce, afin de permettre à la banque de s’aligner sur les taux d’intérêt qui étaient appliqués sur le marché à l’époque.Notons encore que, d’après une jurisprudence du Tribunal, mal inspirée sur ce point par la référence au sursis de droit commun, le sursis de paiement ne s’appliquerait qu’aux obligations non encore honorées sous les contrats en cours antérieurs à la date d’ouverture de sursis de paiement, « […] de sorte que les obligations nouvellement contractées ne sont pas soumises au sursis et leur exécution n’est pas suspendue. Toutefois, ces nouvelles créances ne sont pas privilégiées. Il s’en dégage que seuls les contrats utiles à la conservation du patrimoine de la Banque, respectivement à son redressement, sont à conclure ou à continuer, et ce, à condition que l’actif soit suffisant pour en honorer le paiement. En effet, si tel n’est pas le cas, le sursis n’atteignant pas son but, il convient d’en cesser les effets. […] » 15.En effet, et de manière classique, les nouveaux contractants ne subissent pas les effets du sursis de paiement, faute de quoi le régime serait inopérant. Par contre, les créances nouvelles qui viennent ainsi à exister ne sont pas privi-légiées, rappelle le Tribunal dans son jugement précité du 31  octobre 2008. La jurisprudence du Tribunal est critiquable en ce qu’elle est rendue dans l’optique d’une parenté entre le sursis bancaire et le sursis de droit commun, optique qui a été censurée par la Cour d’appel dans son arrêt du 28  janvier 2009, comme on l’a vu. Il nous semble que dans le cadre d’un régime inspiré des solutions de la gestion contrôlée, tourné vers une reprise des affaires, une plus grande liberté devrait être accordée dans le choix des contrats à continuer ou à conclure nouvellement.Une autre illustration du principe de continuité était la possibilité, sous la réserve du principe de non-décaissement (sauf quelques exceptions), de réuti-liser les fonds issus des titres en compte détenus par les clients auprès de la banque, dans le cadre d’un contrat de gestion de portefeuille. Ces avoirs étaient considérés comme constituant des avoirs fiduciaires, et donc hors  bilan et hors masse. Par conséquent, avec l’instruction du client la banque a pu procé-der à des opérations de marché en utilisant les revenus issus de titres.

15 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 31 octobre 2008, no 1349/08.

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Une question qui se pose à cet égard est de savoir si, et dans quelle mesure, le principe de continuité est en conflit avec le principe d’égalité de traitement.Le problème d’une continuation de l’activité, même si elle est limitée, est celui de la compatibilité avec le principe d’égalité, principe issu du droit des faillites et rendu applicable dans les sursis bancaires de 2008 16. De manière évidente, une continuation de l’activité est parfaitement incompatible avec le respect du principe d’égalité. De deux choses l’une : soit on est dans une procédure collective et dans une optique de distribution des avoirs aux créanciers de l’établissement « failli », soit on ne l’est pas, et on doit alors pouvoir conti-nuer normalement les affaires de l’établissement, sans égard au traitement des créanciers dans l’éventualité d’une faillite ultérieure. Ceci est vrai surtout dans le contexte d’une banque : ne pas pouvoir faire le moindre paiement est rédhibitoire pour une banque, qui fait par essence le « commerce de l’argent ». C’est d’ailleurs le parti pris dans le projet de loi sur la « préservation des entre-prises », largement inspiré de la loi belge de 2009 sur la continuation des entre-prises.La tension entre ces deux principes, irréconciliables, est le problème majeur dans la gestion d’un sursis de paiement et est sans doute responsable de l’inef-ficacité du régime.

sous-section 3

Pertinence de la perspective du sursis

Dans le contexte d’un sursis de paiement, la perspective de restructuration ou, au contraire, de liquidation n’est pas indifférente. Notamment pour ce qui est de la détermination ou de la modification des modalités du sursis, le Tribunal prendra logiquement égard à la direction dans laquelle évolue l’établissement. Il aura tendance à laisser moins de marge de manœuvre aux administrateurs et à la direction de la banque, notamment dans la poursuite des affaires, si on se dirige vers une liquidation. Si, par contre, une restructuration avec un sauvetage possible de tout ou partie de la banque est envisageable, le Tribunal aura naturellement tendance, dans le cadre de son large pouvoir « créateur », à accorder plus de latitude à l’établissement.

16 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 31 octobre 2008, no 1349/08.

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Effets du sursis de paiement

sous-section 1

Sur la gestion de l’établissement

§ 1. Sursis de paiement (article 60-2 (6), LSF)

Sur base d’une interprétation extensive de l’article 60-2 (6) de la LSF, combinée avec l’application stricte du principe d’égalité, la pratique du sursis bancaire luxembourgeois veut que l’établissement frappé de cette mesure s’abstienne de tous paiements et de toute sortie de liquidités au bénéfice des clients. À y regar-der de plus près, le principe est contestable et sa base légale peu solide : l’ar-ticle 60-2 (6) concerne la période entre « le dépôt de la requête ou […] la signifi-cation de la requête » et la date d’une « décision définitive sur la requête ». C’est pendant cette période que l’article 60-2(6) prévoit « sursis à tout paiement de la part de cet établissement et interdiction, sous peine de nullité, de procéder à tous actes autres que conservatoires, sauf autorisation de la CSSF ou disposi-tions légales contraires ». En revanche, ni ce texte ni aucune autre disposition de la LSF ne prescrivent de plein droit un principe de sursis de paiement aussi strict en dehors de cette période se situant entre la date du dépôt de la requête et la décision sur celle-ci. Il appartient donc au Tribunal de fixer, au titre des modalités du sursis, dans le cadre de l’article 60-2(10) de la LSF, les conditions et les modalités du déboursement d’argent. Dans un établissement qui est par hypothèse « dans le commerce de l’argent », imposer une interdiction de paiement à un établissement équivaut à signer son arrêt de mort. Tant que le sursis de paiement sera ainsi compris, tout redressement dans le contexte de ce régime sera, sauf dans des cas exceptionnels, impossible.

§ 2. Effets sur les organes de direction : approbation de tous actes et décisions par les administrateurs (article 60-2 (15), LSF)

En ce qui concerne les personnes autorisées à prendre les décisions à partir du jugement d’ouverture du sursis de paiement, il ressort de l’article 60-2 (15) de la LSF que le sursis de paiement n’entraîne pas le dessaisissement des organes de direction de l’établissement qui continuent d’exercer leurs fonctions sous réserve d’obtenir l’accord écrit du ou des administrateur(s) judiciaire(s). Toute-fois, le Tribunal peut limiter le champ des opérations soumises à autorisation. Les administrateurs judiciaires auront par ailleurs le droit de soumettre les décisions qu’ils estimeront opportunes à la délibération desdits organes sociaux, d’assister aux délibérations de l’assemblée générale des actionnaires, des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l’établissement.

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Ayant un rôle de contrôle, les administrateurs judiciaires ainsi nommés n’ont pas pour mission de gérer l’établissement, mais doivent en revanche, sous peine de nullité, approuver tout acte, sous réserve de certaines autorisations et flexibilités permises par un jugement du Tribunal fixant les modalités du sursis.Vu l’ampleur de la tâche  – n’oublions pas qu’un établissement en sursis de paiement est et reste opérationnel  –, il devient rapidement impraticable de soumettre toute décision journalière, même de très faible importance, au contrôle préalable des administrateurs.Ainsi, dans le cadre de Kaupthing Bank Luxembourg SA, le Tribunal a admis que les actes de pure gestion journalière sur des montants inférieurs à 3000 euros ne soient pas soumis à l’autorisation préalable des administra-teurs judiciaires, avec la précision que le remboursement d’un dépôt n’est pas à considérer comme un acte de gestion journalière. Le Tribunal n’a cependant pas accepté que les administrateurs judiciaires accordent des autorisations générales pour certains types d’actes et de décisions, notamment pour ceux relevant de la gestion journalière de la banque. Les administrateurs judiciaires avaient demandé une modification des modalités visant à introduire de telles autorisations, révocables à tout moment, soumises à un contrôle a posteriori, et souhaité que la banque leur fasse un rapport suivant les modalités fixées par les administrateurs. En effet, les juges estimèrent que ceci équivaudrait à une abdication de leur pouvoir rendant leur mission inutile 17.

sous-section 2

Effets sur les opérations bancaires

§ 1. Opérations sur titres

Les retraits de titres sont possibles pendant le sursis de paiement, sous réserve de réconciliation 18. Dans la pratique, du fait de l’existence de succursales, la mise en œuvre du retrait de titres a donné lieu à certains conflits de lois.Il en a été ainsi dans le cas de la succursale belge de Kaupthing Bank Luxem-bourg, où un sous-dépositaire d’instruments financiers a invoqué à un moment donné un droit de compensation sur base de dispositions de la loi belge. On constate ainsi que, malgré le principe d’universalité assuré au niveau européen par la Directive 2001/24/CE, il peut y avoir des interférences et des conflits avec des dispositions relevant du droit national de la succursale.

17 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 31 octobre 2008, no 1349/08.18 Sur base des articles 6 et 8 de la loi du 1er août 2001, sur la circulation des titres.

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De même, la vente de titres après la date d’ouverture du sursis de paiement n’a pas soulevé de difficultés particulières. Les ventes sont autorisées sous condition de (i) réconciliation de la situation active/passive du client envers la banque, (ii) que ce dernier n’ait aucune dette envers la banque et (iii) que les titres ne servent pas de garantie envers la banque en vertu soit de contrats de gage spécifiques, soit de compensation ou des conditions générales de la banque (ce qui exige donc une position positive du client envers la banque).

§ 2. Création d’une masse

Est-ce que le sursis de paiement sous la LSF crée une masse des créanciers ? Le Tribunal avait contesté l’existence d’une masse dans un jugement du 29 octobre 2008 19 en retenant que « […] le patrimoine de la Banque ne se cris-tallise pas en une masse le jour de l’ouverture de la procédure de sursis de paiement […] ». Il avait à nouveau consacré cette solution, par référence au sursis de droit commun, dans son jugement du 24 décembre 2008 20.

§ 3. Conséquences de la création d’une masse

La Cour d’appel, dans son arrêt du 28 janvier 2009, précité, reviendra sur cette position. La Cour retient dans son arrêt l’existence d’un concours dans le sursis bancaire, à l’instar d’ailleurs du sursis de droit commun et de la gestion contrôlée.Nonobstant l’existence d’un concours, et ceci résulte de la loi du 1er août 2001 sur la circulation de titres, les obligations et actions figurant en dépôt titres auprès d’un établissement sont hors bilan et ne font pas partie de la propriété de l’établissement.Ce principe a logiquement été reconnu par le Tribunal qui a considéré que « […] le dépôt  ne transfère pas au dépositaire la propriété des biens mis en dépôt, sous réserve des valeurs mobilières dont la propriété a été transférée à la Banque à titre de garantie et de celles mises en pension […] » 21.Mais qu’en est-il des intérêts courus sur ces titres ? Doivent-ils être isolés sépa-rément dans un compte spécial et donc ne pas se confondre avec les avoirs en compte ayant existé au jour du jugement d’ouverture pour ce client, ce qui permettrait de considérer le client comme un créancier de la masse (ce qui serait conforme au jugement rendu par le Tribunal d’arrondissement de

19 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1315/08.20 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 24 décembre 2008, no 1571/08.21 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29  octobre 2008, no 1315/08, voy.  aussi Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1314/08.

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Luxembourg en date du 16 octobre 1995 dans l’affaire BCCI 22) ou, au contraire, est-ce que les intérêts reçus par le client après la date du jugement d’ouverture du sursis sont à traiter comme tout autre dépôt en argent d’un client, et donc à considérer comme une créance dans la masse ?Les juges ont retenu 23 (en se basant sur les solutions rendues dans le cadre de liquidations judiciaires) que  : « […] les revenus des titres en dépôt n’ont pas intégré la masse d’une banque en liquidation, mais n’ont pu qu’accroître le patrimoine des déposants. Cette jurisprudence se situant dans le cadre d’une liquidation judiciaire forcée la solution se justifie d’autant plus dans le cadre d’une procédure de sursis de paiement […] ».Ainsi, les liquidités et fruits qui proviennent de titres déposés auprès de l’éta-blissement, dans la mesure où ils se substituent auxdits titres, sont soumis au régime qui est applicable aux titres et n’entrent pas dans la masse, mais sont au contraire hors masse. Le même raisonnement a vocation à s’appliquer pour « […] les titres nouvellement acquis en remploi des liquidités produites par la cession, respectivement celles payées par les émetteurs lors de l’échéance du titre. Ces liquidités remplacent le titre en dépôt et se substituent au principal dont elles suivent le même régime […] » 24.Le Tribunal a également eu l’occasion de clarifier le sort réservé aux trans-ferts de liquidités effectués après l’ouverture du sursis de paiement. Ainsi, dans un jugement du 29 octobre 2008, le Tribunal a considéré que les avoirs virés sur le compte d’un client après l’ouverture de la procédure de sursis de paiement seraient à considérer comme tombant dans la masse et ne donnent pas lieu à une créance sur la masse. Comme le souligne Marc Elvinger, cette solution est critiquable et artificielle, car il n’y a aucune raison de priver du statut d’avoir hors masse des apports nouveaux réalisés erronément après le début du sursis 25.

§ 4. Opérations en cours d’exécution au moment du prononcé du sursis

Certaines opérations furent commencées à une date antérieure au jugement prononçant l’ouverture de la procédure de sursis, mais n’ont pas pu être dénouées avant la prise d’effet de celui-ci. La question qui se posait en rapport avec ces opérations était de savoir si elles pouvaient être exécutées dans le

22 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 16 octobre 1995, no 539/95.23 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1315/08.24 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1314/08.25 M. Elvinger, article précité, nos 45-47.

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cadre du sursis, ou si, au contraire, elles devaient être annulées et recréditées, le cas échéant, sur le compte du client.Le Tribunal a estimé 26 27 que, si l’ordre de virement donné par un client avant l’ouverture de la procédure de sursis de paiement vers un compte externe n’avait pas pu être exécuté du fait du refus de la banque intermédiaire (faute de crédit suffisant de l’établissement en sursis) et n’avait pas donné lieu à une inscription au crédit du compte du client auprès de la banque bénéficiaire, il n’y avait pas dessaisissement du donneur d’ordre, puisque le compte du banquier du bénéficiaire n’avait pas été crédité et, dès lors, les virements en cours devaient être reversés et recrédités sur les comptes des clients concernés auprès de l’établissement en sursis.La même solution a été retenue dans ce même jugement en rapport avec des opérations sur titres « à cheval » entre une date précédant l’ouverture du sursis et la période suivant le début du sursis. Le Tribunal a en effet affirmé que, tant que la somme du prix d’achat des titres n’était pas parvenue au vendeur, voire au compte de son mandataire, et même si l’établissement avait commencé son exécution avant le jugement d’ouverture du sursis de la banque, tant que l’ordre d’achat n’avait pas été définitivement exécuté et dans la mesure où les fonds y relatifs n’avaient pas été crédités à la banque destinatrice, l’ordre de virement ne pouvait être exécuté. Les deux solutions, bien que vécues doulou-reusement par les clients concernés, sont logiques et fondées sur la théorie classique du virement.Un cas particulier s’est présenté dans le cadre du rachat de parts de fonds d’investissement ordonné par un client avant l’ouverture du sursis, mais dont le prix de rachat, en raison de la période de calcul de la valeur nette d’inven-taire qui était à une date ultérieure, ne pouvait être payé qu’après l’ouverture du sursis. Le Tribunal s’est rapporté à la date à laquelle le client n’était plus propriétaire des titres en question dans la mesure où « [C]onformément à la doctrine […], le virement n’opère pas, à lui seul, transfert de propriété qui reste réservé au consentement des parties. […]. En matière de rachat de parts, dès que l’ordre du détenteur de parts est émis et que le prix est déterminé suite au calcul de la valeur nette d’inventaire, il y a accord entre parties, eu égard au mécanisme du remboursement permanent […] » 28. Ainsi, il ressort dans le cas d’espèce que le client n’était plus le propriétaire des titres lors de l’ouverture de la procédure de sursis de la banque, mais ne détenait plus qu’un droit de créance contre cette dernière. Par conséquent, le paiement du prix de rachat

26 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1315/08.27 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1314/08.28 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 8 mai 2009, no 593/09.

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de ces titres devait être transféré sur le compte normal du client, et non pas sur un compte ségrégé, comme cela était le cas pour les liquidités et fruits dérivant de titres en dépôt auprès de la banque.

§ 5. Traitement des cartes de crédit

Dans un jugement du 29 octobre 2008 29, le Tribunal estima qu’il n’appartenait pas à l’établissement bancaire soumis à la procédure de sursis de régler par le débit du compte du client les dépenses ou retraits de ce dernier sur la carte de crédit. De même, le retrait d’espèces aux distributeurs pendant la durée du sursis de paiement constituerait une violation du principe d’égalité de traite-ment des créanciers et n’est dès lors pas possible.

§ 6. Paiements par cession de créance ou délégation à des fins d’apurement de dettes

Il n’est pas inhabituel dans les contrats financiers de prévoir une clause de cession afin de procéder au paiement d’une dette. Ainsi, le débiteur cède à son créancier une créance sur un tiers au lieu de payer directement sa dette.Dans une affaire soumise au Tribunal 30 dans le sursis Kaupthing Bank Luxembourg SA, la banque avait obtenu des prêts d’un tiers avec pour obliga-tion de prêter à son tour les montants ainsi empruntés à un emprunteur final, la banque étant rémunérée comme intermédiaire au moyen d’une commis-sion sur la marge. Afin d’éviter que le tiers prêteur en question ne soulève une clause résolutoire et que la banque ne perde sa marge, la banque souhai-tait céder ses droits sur les intérêts qu’elle percevait en rapport avec les prêts octroyés à l’emprunteur final, ainsi que les mensualités de remboursement, avec à charge pour le tiers prêteur de payer la marge à la banque et d’imputer les sommes ainsi perçues sur les montants lui étant dus par Kaupthing.Si certes la structure envisagée permettait à la banque de conserver sa marge, elle aurait néanmoins eu pour inconvénient un traitement inégalitaire des créanciers. En effet, du fait de ce transport de créance le tiers prêteur se serait vu rembourser son prêt. De l’autre côté, le patrimoine de Kaupthing Bank Luxembourg SA en aurait été diminué, puisque le remboursement du prêt octroyé par la banque aurait directement été payé au tiers prêteur et ne serait pas entré dans son patrimoine.

29 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1314/08.30 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 19 novembre 2008, no 1409/08.

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Le Tribunal a considéré que  « [En] principe, une cession ou une délégation de créance peut être analysée comme moyen de paiement lorsqu’elle a pour but d’apurer une dette existante. Pendant la durée du sursis, tout paiement, y compris le paiement “par transport”, ne peut être fait qu’à tous les créanciers, proportionnellement à leurs créances […] ».

§ 7. Créances de fournisseurs / prestataires de services

En vertu de l’article 60-2 (23) de la LSF, les honoraires des administrateurs et les frais occasionnés par la procédure de sursis de paiement sont à charge de l’établissement et sont à considérer comme des frais d’administration, et donc sont à prélever en vertu de la loi sur l’actif avant toute distribution de deniers. Le Tribunal a fait une application stricte du texte de loi, et il appert donc de vérifier au cas par cas si les dépenses ont été occasionnées par la procédure 31.Par ailleurs, rappelons qu’au vœu d’une jurisprudence critiquable rendue par référence au sursis de droit commun, un établissement en sursis ne peut payer les arriérés relatifs aux obligations contractées avant la date d’ouverture du sursis de paiement, même s’il d’agit de contrats vitaux pour la procédure de sursis de paiement et même au risque de voir les fournisseurs invoquer l’ex-ception d’inexécution 32.Pour ce qui est des fournisseurs et prestataires de services dont la créance est postérieure au sursis, il ne fait pas de doute que leurs créances peuvent être payées.

§ 8. Les frais et commissions

Il résulte d’un jugement rendu en date du 29 octobre 2008 (précité) dans le cadre du sursis de Landsbanki Luxembourg SA que les frais, intérêts et autres commissions liés à la tenue d’un compte bancaire sont à « […] porter au débit de ce compte, en vertu de l’article 17.2 des conditions générales qui autorise la compensation, d’autant plus que cette créance de la Banque est née du même contrat que le dépôt du client. […] Ce contrat continue à s’exécuter aux condi-tions normales […] ». Ainsi, nul besoin pour le client de la banque de transférer des fonds extérieurs afin de permettre le paiement des frais de compte.

31 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 10 février 2009, no 183/09.32 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 31 octobre 2008, no 1349/08.

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§ 9. Sûretés et garanties financières

A Compensation légale

Sur base de l’article 20(4) de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, il ne fait pas de doute que la mise sous sursis de paiement d’un établissement ne fait pas obstacle à l’exécution des contrats de garantie finan-cière 33.Ainsi, l’article 18 de la loi du 5 août 2005 reconnaît en droit luxembourgeois la compensation de droit commun dans le secteur financier : « Les compensa-tions entre avoirs, opérées en cas de mesures d’assainissement, de procédure de liquidation ou de toute autre situation de concours, sont valables et oppo-sables aux tiers, aux commissaires, aux curateurs et aux liquidateurs ou autres organes similaires, quels que soient les dates d’exigibilité, leurs objets ou les monnaies dans lesquelles elles sont libellées, à condition qu’elles résultent d’opérations qui font l’objet de conventions ou de clauses de compensation bilatérales ou multilatérales entre deux ou plusieurs parties […]. »L’article 19 de la même loi, quant à lui, dispose qu’entre autres les clauses de connexité entre avoirs ainsi que les clauses de compensation avec déchéance du terme et toutes autres clauses stipulées pour permettre les compensations visées à l’article 18 précité sont valables et opposables aux tiers, aux commis-saires, aux curateurs et aux liquidateurs ou autres organes similaires.Comme le rappelle le Tribunal dans son jugement en date du 29  octobre 2008 34  : « […] Tant que dure la procédure de sursis de paiement, la société anonyme Landsbanki Luxembourg SA n’est pas en liquidation judiciaire et aucun des effets de cette procédure ne peut l’atteindre. L’avis du Conseil d’État (doc. parl. no 5153, page 7, articles 61-12 et 61-14) précise qu’afin de maintenir un niveau optimal de confiance dans les opérateurs, il convient évidemment d’assurer la validité des conventions de compensation et de novation et de permettre la compensation de droit commun, c’est-à-dire non fondée sur une convention expresse, sauf le cas de fraude.[…] »Ainsi, outre la compensation légale (dettes réciproques, liquides et exigibles), la compensation contractuelle est admise sous réserve de fraude.Concrètement, les clients des banques qui étaient débiteurs envers la banque en raison d’un contrat de prêt ou d’une ligne de crédit et qui étaient également créanciers de cette dernière sur base de sommes en compte ordinaire de dépôt ont pu profiter du mécanisme de la compensation légale, à condition que les

33 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 31 octobre 2008, no 1349/08.34 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 29 octobre 2008, no 1314/08.

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prêts, du fait de leur terme, voire du fait de l’ordre transmis par le client à la banque d’affecter des fonds en compte au remboursement de prêts, aient été exigibles avant la date d’ouverture de la procédure de sursis de paiement. Par ailleurs, même si les contrats de prêts devenaient exigibles après l’ouverture du sursis de paiement, les conditions générales des banques prévoyaient géné-ralement une clause d’unicité de compte, qui était reconnue comme effective même sous le sursis de paiement.

B. Compensation conventionnelle

Dans le cadre du sursis de paiement de Landsbanki Luxembourg SA, il ressort clairement du jugement précité du 29 octobre 2008 que la compensation légale et contractuelle est admissible dans le cadre de la procédure de sursis sur base des articles 18 et 19 de la loi du 5 août 2005 sur les garanties financières. Des clients de la banque, dont la dette envers la banque n’était pas encore arri-vée à échéance, avaient demandé, en se fondant sur les conditions générales applicables de la banque, de pouvoir utiliser leurs avoirs en compte afin de rembourser de manière anticipée par compensation leurs contrats de crédit.Le Tribunal retint que les conditions générales qui gouvernent la relation des clients avec la banque prévoyaient expressément une clause d’unicité de compte et fit droit à la demande des clients.

C. Gage : Réalisation d’un gage par l’établissement en sursis – marge de couverture insuffisante

Lorsque la marge de couverture accordée à un client dans le cadre d’un contrat de prêt descend en dessous du seuil convenu, la banque est assez logiquement en droit, en vertu des dispositions contractuelles conclues entre la banque et le client, d’exécuter le contrat de gage afin de garantir l’emprunt accordé. Ceci ressort clairement du jugement précité rendu dans Landsbanki Luxembourg SA en date du 29 octobre 2008.

D. Libération des garants de la banque pour remise de dette en raison de la restructuration de Kaupthing Bank Luxembourg SA ?

La question qui a été soulevée et qui peut légitimement se poser est celle de savoir si, en vertu de l’article 1287 Code civil, la remise ainsi accordée par les créanciers interbancaires restructurés à la banque (débiteur principal) libé-rerait les cautions. Le Tribunal répondit par la négative 35 en disant que ne

35 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 22 juin 2009, no 840/09.

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peut constituer une véritable remise de dette que celle consentie « librement et volontairement ». En effet, conformément à l’arrêt de la Cour d’appel du 28 janvier 2009, le plan de redressement ne prévoyait pas une indemnisation complète et immédiate des « créanciers restructurés », le plan de restructu-ration voté, mais non à l’unanimité, s’imposant à tous, par conséquent seule la banque peut en bénéficier et « […] les cautions, garants et autres personnes ayant constitué des sûretés de tout type au bénéfice d’un créancier restructuré en rapport avec tout ou partie de la dette restructurée ne peuvent s’en préva-loir […] ».

section 4

Modalités du sursis de paiement

sous-section 1

Fixation et modification des modalités du sursis

Les dispositions de la LSF sur le sursis de paiement sont succinctes. En effet, le chapitre 1 de la partie IV de la LSF qui leur est consacré ne contient que les quelques articles 60-2 à 60-7, ce qui laisse une grande liberté au Tribunal et l’oblige à déterminer les modalités du régime de sursis de paiement.Les articles  60-2 (10) et 60-2 (19) de la LSF disposent que les conditions et modalités du sursis de paiement sont fixées par le jugement d’ouverture et que, à la demande de la CSSF, de l’établissement ou des administrateurs, lesdites modalités peuvent être modifiées.Conformément à l’article 60-2 (14) de la LSF, les administrateurs judiciaires auront pour mission de  contrôler la gestion du patrimoine de l’entité mise sous la protection du régime de sursis de paiement. Cette formulation étant extrêmement large, la question se pose de ce que recouvre concrètement cette mission.Ainsi, il résulte du jugement d’ouverture de procédure de sursis de paiement de Landsbanki Luxembourg SA (et, en partie, celui de Glitnir Luxembourg SA) que les juges ont donné pour mission aux administrateurs judiciaires, et ce, pour une durée limitée à 6 mois conformément à l’article 60-2 (10) de la LSF, de contrôler la gestion du patrimoine de l’entité mise sous la protection du régime de sursis de paiement. Le jugement Landsbanki Luxembourg SA a en outre retenu les missions spécifiques suivantes :– dresser un état de la situation active et passive de l’entité concernée ;– déterminer si un redressement ou une restructuration de l’entité s’avère

possible et, dans l’affirmative, établir un projet de redressement tout en tenant compte du rang des privilèges et hypothèques ;

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– assurer la publicité adéquate du projet de redressement ;– solliciter l’adhésion des créanciers audit projet, un tel projet de redres-

sement devant être considéré comme approuvé et liant les créanciers si plus de la moitié des créanciers représentant plus de la moitié du passif ont marqué leur accord, étant entendu qu’un tel projet sera soumis à l’homologation du Tribunal.

Le jugement d’ouverture de Kaupthing Bank Luxembourg SA étant silencieux sur la mission des administrateurs a dû être complété à cette fin par des juge-ments ultérieurs le 31 octobre 2008 et le 22 juin 2009 36, ainsi que par un arrêt de la Cour d’appel de Luxembourg en date du 28 janvier 2009 37.

sous-section 2

Durée du sursis

L’article 60-2 (10) de la LSF est de prime abord clair : « Le jugement détermine, pour une durée ne pouvant dépasser six mois, les conditions et les modalités du sursis de paiement. »En effet, la procédure de sursis de paiement doit permettre à l’« établissement » de figer sa situation financière, afin de déterminer si oui ou non cet établisse-ment peut être redressé ou si aucune alternative autre que la liquidation ne se présente à lui. On peut estimer que cette question peut être réglée rapidement dans la quasi-totalité des cas, ce que confirme d’ailleurs la pratique : la plupart des établissements soumis à un sursis de paiement entrent en liquidation bien avant l’expiration des six mois.La question s’est posée dans un seul cas : les administrateurs judiciaires de Kaupthing Bank Luxembourg SA ont dû saisir le Tribunal à deux reprises afin de modifier les modalités du sursis de paiement concernant la durée du sursis. Le Tribunal a ainsi, dans cette affaire, accordé deux extensions de la durée de la procédure de sursis de paiement, successivement pour une durée approxi-mativement de 2  mois 38, puis pour une durée plus courte allant jusqu’au 10 juillet 2009 à 24 heures 39, et ce, sur base de l’article 60-2 (10) et 60-2 (19) de la LSF. Le prolongement du sursis de paiement était en effet nécessaire afin de permettre l’aboutissement des négociations et la mise en place de la reprise et de la restructuration de Kaupthing Bank Luxembourg SA.

36 Tribunal d’arrondissement de à Luxemgourg, 31 octobre 2008, no 1349/08 ; Tribunal d’arron-dissement de et à Luxembourg, 22 juin 2009, no 840/09.37 Cour d’appel, arrêt du 28 janvier 2009, no 34351 du rôle.38 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 2 avril 2009, no 453/09.39 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 8 juin 2009, no 767/09.

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Si le prolongement du sursis de paiement n’est certes pas prévu par le texte de loi, il n’est pas non plus expressément proscrit. On peut estimer qu’il est dans l’esprit du régime de sursis de paiement, qui est d’aboutir à un redres-sement de l’établissement chaque fois que cela est possible, d’admettre le prolongement du sursis de paiement dans la mesure où il est nécessaire pour autoriser un redressement.Cette possibilité est d’ailleurs évoquée par les travaux préparatoires de la loi du 10 août 1982 qui a initialement introduit en droit luxembourgeois l’insti-tution du sursis bancaire 40. En effet, l’article  60-2 (10) de la LSF trouve son origine dans l’article 7 (8) de ladite loi portant organisation, entre autres, du sursis de paiement, de la gestion contrôlée et de la liquidation des établisse-ments de crédit.En outre, l’arrêté grand-ducal du 24 mai 1935 complétant la législation rela-tive aux sursis de paiement, au concordat préventif de la faillite et à la fail-lite par l’institution du régime de la gestion contrôlée (dont les dispositions ont été appliquées par la Cour d’appel de Luxembourg dans son arrêt rendu le 28 janvier 2009) dispose, dans son article 6, que les commissaires doivent établir dans le délai fixé par le Tribunal soit un projet de réorganisation du commerce du requérant, soit un projet de réalisation et de répartition de l’actif. L’article  9 dudit arrêté grand-ducal dispose que  « [S]i le Tribu-nal estime ne pouvoir approuver le projet des commissaires, il rejette la requête ou assigne aux commissaires un bref délai dans lequel sera dressé un nouveau projet ». Ce texte admet dès lors également le principe d’une prolongation de la gestion contrôlée lorsqu’un nouveau projet peut être dressé et adopté.Le Tribunal a, dans l’affaire Kaupthing Bank Luxembourg SA, en se basant sur les travaux parlementaires mentionnés ci-dessus, reconnu que la durée initiale de 6 mois pourrait « […] être adaptée en fonction des besoins de la cause […] », à savoir la réussite du plan de redressement, ce qui serait dans l’intérêt de tous les créanciers, puisqu’il permettrait une chance réelle de reprise de l’établisse-ment 41. Cette solution est conforme à l’approche de nos pays voisins, à savoir

40 Projet de loi no 2548 sur le sursis de paiement, la gestion surveillée et la liquidation des banques et établissements de crédit, page 12, article 7  : « […] Il peut en effet s’avérer nécessaire que certaines modalités de ce jugement telle que, par exemple, la durée du sursis doivent être adaptées à l’évolution de la situation. […] »41 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 2 avril 2009, no 453/09.

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la Belgique dans le cadre de la gestion contrôlée 42 et la France dans le cadre de la procédure de sauvegarde 43.

sous-section 3

Possibilité de faire une restructuration dans le cadre du sursis de paiement

L’adoption d’un plan de redressement se heurtait à première vue au « principe d’égalité des créanciers, principe ancien et permanent dans les procédures collectives » 44.En effet, dans la mesure où il implique un traitement inégalitaire entre créan-ciers chirographaires, il n’était pas clair qu’un tel plan pouvait être imposé aux créanciers concernés de l’établissement sans avoir recours à un accord unanime de leur part. Il s’agissait, dans l’affaire Kaupthing Bank Luxembourg SA, des créanciers interbancaires de la banque.C’est grâce à un arrêt de la Cour d’appel du 28  janvier 2009, précité, que la restructuration de Kaupthing Bank de Luxembourg SA fut rendue possible. La Cour d’appel a dû réformer un jugement de première instance du 24 décembre 2008 45 pour arriver à cette solution. Les administrateurs judiciaires avaient demandé à titre principal le droit de solliciter uniquement l’adhésion des créanciers pour lesquels le plan de redressement ne prévoyait pas un rembour-sement complet et immédiat au moyen d’un vote positif des créanciers restruc-turés représentant plus de la moitié du passif, étant entendu que le silence équivaudrait à un vote positif. À titre subsidiaire, les administrateurs deman-daient de voir le plan de redressement approuvé si plus de la moitié des créan-ciers restructurés représentant ensemble plus de la moitié du passif représenté par des créances restructurées marquaient leur adhésion au plan.Dans le silence de la loi, et en refusant l’application des règles similaires exis-tant sous le régime de la gestion contrôlée, les juges de première instance

42 Arrêté royal du 15 octobre 1934 instituant la gestion contrôlée (tel que complété par l’arrêté royal du 7 décembre 1934) qui permet, à son article 6, que la durée de la gestion contrôlée soit déterminée par le tribunal dans son jugement d’ouverture de la gestion contrôlée qui fixe le délai dans lequel le commissaire établit soit un projet de réorganisation du commerce, soit un projet de réalisation et de répartition de l’actif.43 Article L 621-3 du Code de commerce, qui dispose que la durée initiale de la date d’obser-vation lors d’une procédure de sauvegarde est de 6 mois, cette période pouvant être renouvelée une fois pour une nouvelle période de 6 mois par décision motivée du tribunal à la demande du débiteur, de l’administrateur ou du ministère public, étant à noter qu’il est toujours possible pour le tribunal de décider d’une prolongation exceptionnelle de 6 mois en vertu de l’article R 621-9 du Code de commerce, et ce, à la demande du procureur de la République.44 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 31 octobre 2008, no 1349/08.45 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 24 décembre 2008, no 1571/08.

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avaient estimé que l’adhésion à un plan de redressement impliquant des abat-tements de créance ne pouvait tirer sa force obligatoire que d’une déclara-tion de volonté individuelle de ceux auxquels il était demandé d’y participer. Cette déclaration de volonté n’ayant aucun caractère collectif, aucune règle de majorité ne saurait s’y appliquer. Le Tribunal a par conséquent estimé qu’il ne pouvait, dans le cadre du sursis de paiement, imposer à travers ses moda-lités des remises de dettes ni à l’ensemble des créanciers ni à une catégorie de créanciers. De l’avis des premiers juges, contrairement au régime de la gestion contrôlée, le sursis de paiement ne crée pas une masse des créanciers dont les droits sont cristallisés au moment de l’ouverture de la procédure. La consé-quence en est qu’en l’absence d’une masse de créanciers le patrimoine du débi-teur constitue le gage général de ses créanciers, ce qui n’autorise pas le droit de limiter les droits de certains créanciers.La Cour d’appel a, quant à elle, estimé que le sursis de paiement prévu par la LSF ne saurait être assimilé au sursis de droit commun prévu aux articles 593 et suivants du Code de commerce. La Cour reconnaît ainsi la spécificité du sursis bancaire par opposition au sursis de droit commun.Elle retient en outre le principe important mais constant, notamment en matière de liquidation, selon lequel le législateur a laissé aux tribunaux le droit de déterminer, voire de modifier, les conditions et modalités du sursis de paie-ment 46. La Cour d’appel ne voit sur cette base aucune raison qui empêcherait de s’inspirer du régime de la gestion contrôlée dans la mesure, par ailleurs, où un projet de réorganisation est requis par l’article 6 de l’arrêté grand-ducal du 24 mai 1935 sur le régime de la gestion contrôlée.La Cour d’appel admet également une entorse au principe d’égalité : en se référant à la doctrine et à la jurisprudence en la matière, elle rappelle que le principe d’égalité de traitement des créanciers n’est pas un principe absolu qui ne permettrait pas une dérogation, pour autant que celle-ci soit dans l’intérêt général de tous les créanciers.Si le plan de restructuration de Kaupthing Bank Luxembourg SA a permis le sauvetage de la banque, une autre chambre du Tribunal siégeant en matière commerciale a, ab initio, inséré dans la mission de l’administrateur judi-ciaire de préparer un projet de redressement et d’en solliciter l’adhésion par les créanciers, projet de redressement qui serait considéré comme approuvé si plus de la moitié des créanciers représentant plus de la moitié du passif ont marqué leur accord 47.

46 Article 60-2 (10) et article 60-2 (19) de la LSF.47 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, jugement du 8 octobre 2008, no 1182/08.

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La procédure de sursis de paiement a permis d’aboutir à une procédure de liquidation volontaire de la banque, évitant ainsi l’application des règles lacu-naires de la liquidation judiciaire, que nous traiterons au point II ci-après, et permettant ainsi l’application de règles flexibles prévues par la loi du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales.

section 5

Aspects internationaux du sursis de paiement

La procédure de sursis de paiement a un effet universel, conformément à l’article 60-3 (3) de la LSF 48. Ainsi, les mesures prononcées au Luxembourg devraient être applicables à l’étranger, et ce, également aux succursales des établissements luxembourgeois concernés.L’article ne distingue pas entre les succursales établies dans les États membres de l’Union européenne et celles établies hors de l’Union européenne, mais il est évident que le principe d’unité et d’universalité de la procédure ne s’im-pose de manière contraignante qu’aux États liés par la directive 2001/24/CE.Le principe est donc celui de l’application de la loi du pays d’origine 49 tel qu’il ressort du considérant (16) de la directive 2001/24/CE : « L’égalité des créan-ciers exige que l’établissement de crédit soit liquidé selon des principes d’unité et d’universalité qui postulent la compétence exclusive des autorités adminis-tratives ou judiciaires de l’État membre d’origine et la reconnaissance de leurs décisions qui doivent pouvoir produire sans aucune formalité, dans tous les autres États membres, les effets que leur attribue la loi de l’État membre d’ori-gine, sauf si la directive en dispose autrement. »

sous-section 1

Dans le cas d’une succursale établie dans l’Union européenne – à l’exemple de la Belgique dans l’affaire Kaupthing

Ainsi, sur base du principe d’universalité la succursale belge de Kaupthing Bank Luxembourg SA s’est vue soumise au régime du sursis de paiement conformément à la loi luxembourgeoise.En pratique, la direction de la banque, sous le contrôle de ses administrateurs judiciaires, a gardé la mainmise sur la succursale belge. Les administrateurs

48 « Le sursis de paiement a un effet universel ; il s’applique aux succursales et aux avoirs de l’éta-blissement situés à l’étranger. »49 Pour une illustration du principe, le lecteur se référera à l’article de Me L.  Fisch et Me S. Denayer, précités, DAOR, 2008/08.

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judiciaires luxembourgeois avaient procédé par délégation de pouvoir à un représentant local.L’article 60-4 de la LSF a toutefois prévu un mécanisme d’information entre la CSSF et les autorités du pays d’accueil de la succursale (en l’espèce, la CBFA).Nonobstant ces dispositions, notons que, dans le cadre de la restructuration de Kaupthing Bank Luxembourg SA, la CBFA a dû donner certaines autorisa-tions requises selon le droit belge en vue du transfert de tous les droits et obli-gations liés aux comptes des clients private banking de la succursale à l’issue de la restructuration.

sous-section 2

Dans le cas d’une succursale établie hors de l’Union européenne – à l’exemple de la Suisse dans l’affaire Kaupthing

La Suisse connaissant un système basé sur le principe de territorialité des procédures d’insolvabilité, l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (la « FINMA ») ne manqua pas de soustraire la succursale suisse à la procédure judiciaire commencée au Grand-Duché de Luxembourg.La FINMA (à l’époque la Commission fédérale des banques (CFB)) décida, avec effet au 17 novembre 2008, de retirer l’autorisation de la succursale suisse et d’ordonner la liquidation (par voie de faillite) en appliquant le droit suisse et en nommant deux liquidateurs. La CFB avait préalablement ordonné des mesures protectrices dès le 9 octobre 2008 en nommant des chargés d’enquête pour la succursale suisse.En se basant uniquement sur le droit suisse, les autorités suisses considérèrent donc la procédure de sursis de paiement comme une procédure autonome, sans lien avec la procédure luxembourgeoise. Cette attitude ne devait pouvoir se démentir tout au long du sursis de paiement.Le conflit de lois entre la loi ayant vocation à application universelle et la loi territoriale ne fut jamais résolu. Il a eu pour conséquence, par moments, de mener à un traitement inégalitaire entre les déposants luxembourgeois et belges par rapport aux déposants de la succursale suisse.Si tous les déposants ont pu faire appel à leur système de garantie, il est à noter que, en se basant sur le droit suisse, les chargés d’enquête (nommés sur base de la décision de la FINMA) remboursèrent rapidement les déposants suisses disposant d’une créance totale exigible de 5000 francs suisses (vers les 16 et 17 octobre 2008) à partir des liquidités disponibles de la succursale suisse, alors que, par application des règles luxembourgeoises, la procédure de sursis de paiement fige (à quelques exceptions près) la situation comptable de

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l’établissement concerné. La situation mena dès lors en fait à la constitution de deux patrimoines distincts pour une seule et même banque.Une autre conséquence de la mise en faillite prématurée de la succursale suisse était que les clients suisses ne pouvaient plus bénéficier du cours des intérêts, dans la mesure où le droit suisse prévoit l’arrêt automatique du cours des intérêts en cas de mise en faillite.

chapitre 2

Le sursis de paiement d’organismes de titrisation, organismes relevant du secteur financier (Lifemark et ARM Asset Backed Securities)

À la requête du ministère public, la société de titrisation agréée Lifemark SA, sous administration provisoire, a été déclarée, sur base de l’article 39 (1) de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation, en liquidation judiciaire, par un jugement rendu le 11 mai 2012 50.Préalablement à la mise en liquidation, un administrateur provisoire avait été nommé en date du 18 novembre 2009 à la requête de la CSSF par le Tribunal sur base de l’article 25 (2) de la loi sur la titrisation. Cette nomination, d’une durée initiale de 3 mois, a été prolongée à maintes reprises pour des durées plus ou moins longues.Les cas d’ouverture pour la nomination d’un administrateur provisoire sont évoqués à l’article 25 de la loi sur la titrisation et, notamment, lorsque la CSSF « constate qu’un organisme de titrisation agréé n’observe pas les dispositions de la présente loi, du règlement de gestion, des statuts ou des contrats d’émis-sion de valeurs mobilières ou que les droits attachés aux valeurs mobilières émises par celui-ci risquent d’être compromis, elle peut mettre l’organisme de titrisation en demeure de remédier à la situation constatée dans le délai qu’elle fixe ».En ce qui concerne la mission de l’administrateur, comme en matière de sursis de paiement, la nomination de ce dernier n’implique pas le dessaisissement du conseil d’administration de la société de titrisation. Le conseil d’administra-tion doit toutefois informer au préalable l’administrateur provisoire de toute décision future, et ce, sous peine de nullité. Il ressort du jugement de nomi-nation de l’administrateur judiciaire que, si ce dernier a été nommé pour une période de trois mois avec une mission de contrôle, d’initiative et d’enquête,

50 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 11 mai 2012, no 748/2012.

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il a également reçu pour mission d’élaborer, en coopération avec le conseil d’administration de la société, une solution durable aux problèmes actuels de la société. Le Tribunal relève que la mesure de nomination d’un administra-teur provisoire « ne se situe pas dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité telle que la faillite, la gestion contrôlée, le sursis de paiement ou la liquidation judiciaire » 51.Par jugement rendu par le Tribunal en date du 11 février 2010, prononçant une nouvelle prolongation du mandat de l’administrateur judiciaire, il a finalement été procédé à un dessaisissement du conseil d’administration, et ce, au profit de l’administrateur judiciaire.Lifemark fut finalement mise en liquidation judiciaire.La société de titrisation ARM Asset Backed Securities SA fut mise sous le régime du sursis à tout paiement et à l’interdiction, sous peine de nullité, de procéder à tous actes autres que conservatoires, sauf autorisation du commis-saire de surveillance, sur base de l’article 28 de ladite loi en vertu d’un juge-ment en date du 10 novembre 2011 52. Selon la CSSF, cette décision s’imposait de plein droit du fait du refus de la CSSF d’inscrire ARM Asset Backed Securi-ties SA sur la liste officielle des organismes de titrisation agréés. La position de la CSSF a été contestée par la société, qui considérait qu’il ressort de la lecture de l’article 28 de la loi relative à la titrisation que c’est le retrait (et non le refus) par la CSSF de ladite liste qui seul justifierait l’application du régime prévu aux articles 28 et suivants.Le Tribunal considéra sur base des travaux parlementaires que « le mécanisme de l’article 28 […] a été mis en place pour éviter qu’après la décision de retrait de la liste et avant la mise en liquidation de la société, les dirigeants de l’orga-nisme concerné ne vident celui-ci de son contenu et rendent ainsi illusoire ou sans objet toute liquidation et que, si les rédacteurs du texte n’ont pas prévu que l’article 28 s’applique à une société à qui l’agrément a été refusé, il en est ainsi parce qu’ils ont pris pour acquis qu’une telle société n’a ni commencé son activité ni collecté de fonds et n’encourt dès lors aucun risque de disper-sion de fonds justifiant une mesure de sauvegarde […] » et constata, par consé-quent, que, en dépit du fait qu’ARM Asset Backed Securities SA ne soit pas une société de titrisation agréée, la société s’était pourtant comportée comme telle, ce qui justifiait sa soumission au régime de l’article 28 de la loi relative à la titrisation.

51 Cette affirmation sera réitérée lors des diverses prolongations de durée de mandat et mise en avant par la CSSF, voy. à cette fin les communiqués de presse de la CSSF du 19 novembre 2009, 15 février 2010, 18 août 2010, 15 février 2011, 13 mai 2011, 2 novembre 2011 et 1er février 2012.52 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 10 novembre 2011, no 1243/11.

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Notons qu’en principe, et sauf remplacement, c’est la CSSF qui exerce la mission de commissaire de surveillance, mission qui, comme le terme l’in-dique, n’est pas une mission de gestion, mais bien de surveillance. « La mission du commissaire s’entend comme une mission de surveillance (et non de gestion), le commissaire devant principalement et essentiellement veiller à ce que les actifs de la société soient conservés et les intérêts des investis-seurs respectés et préservés. » 53 Ainsi, le commissaire de surveillance pourra, comme en matière de sursis de paiement bancaire, soumettre à la délibéra-tion des organes sociaux toutes propositions qu’il juge opportunes, assister aux délibérations des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l’organisme.L’article  30 de la loi dispose, comme en matière de sursis de paiement, que l’autorisation écrite du commissaire est, à peine de nullité, pour tous les actes et décisions. Une différence par rapport au régime du sursis bancaire ressort de l’article 30 qui prévoit expressément qu’en matière de sociétés de titrisation le Tribunal peut limiter le champ des opérations soumises à l’autorisation des commissaires de surveillance.Les recours administratifs exercés par ARM Asset Backed Securities SA contre les décisions de la CSSF réaffirmant le refus d’inscription sur la liste officielle des organismes de titrisation de ARM Asset Backed Securities SA furent également rejetés.La Cour administrative raisonne par analogie aux organismes de placement collectif et à la loi du 25 août 1983 qui distinguait entre les décisions de refus d’agrément et de retrait d’agrément, le régime de sursis ne s’appliquant qu’au retrait d’agrément.Telle que mentionnée ci-dessus, cette distinction de régime se justifiait par ce que le législateur estimait que, dans l’hypothèse d’un refus, l’organisme de placement collectif n’avait pas encore commencé son activité, alors que dans l’hypothèse d’un retrait, il importait « […] d’éviter qu’après la notification de la décision de retrait de la liste, les dirigeants de l’organisme concerné vident celui-ci de son contenu et rendent ainsi illusoire ou sans objet licite toute liquidation […] » 54.Ainsi, ARM Asset Backed Securities SA avait déjà exercé son activité en commençant à collecter des fonds en émettant des obligations dès 2006, alors que la demande d’agrément ne fut introduite qu’en 2009, et s’était comportée comme ayant un agrément. Elle était dès lors dans une « situation comparable

53 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 10 novembre 2011, no 1243/11.54 Cour administrative, 21 août 2013, numéro de rôle 31952C.

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à celle d’une société à qui l’agrément a été retiré, si bien que la mise en place de mesures de protection des actifs est justifiée à son égard au même titre qu’elle le serait à l’égard d’une société à qui l’agrément a été retiré ».

titre 2

Liquidation

chapitre 1

Le mode de liquidation judiciaire

La notion du « mode de liquidation » figure aujourd’hui à l’article 61 (7) de la LSF traitant de la liquidation judiciaire des établissements financiers et qui a la teneur suivante :« (7) En ordonnant la liquidation, le Tribunal nomme un juge-commissaire ainsi qu’un ou plusieurs liquidateurs. Il arrête le mode de liquidation. Il peut rendre applicable, dans la mesure qu’il détermine, les règles régissant la fail-lite. Dans ce cas, il peut fixer l’époque à laquelle a eu lieu la cessation des paie-ments à une date précédant de six mois au maximum le dépôt de la requête visée à l’article 60-2(3). Le mode de liquidation peut être modifié ultérieure-ment soit d’office, soit sur requête des liquidateurs ou de la CSSF ».

section 1

Origine de la notion

Comme mentionné ci-avant, les règles de liquidation des banques et PSF ont été définies en dernier lieu par une loi du 19 mars 2004 transposant en droit national la directive 2001/24/CE concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit 55. La notion de mode de liquidation arrêtée par le Tribunal figurait déjà à l’identique dans la version précédente de la LSF 56 et

55 Loi du 19  mars 2004 portant transposition dans la loi modifiée du 5  avril 1993 relative au secteur financier de la directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (http://www.legilux.public.lu/rgl/2004/A/0708/1.pdf)56 Article 42, (2), de la LSF du 27 novembre 1984 (telle que modifiée), Mémorial A, 2 mai 1986, no 36 (http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/1986/0036/a036.pdf#page=2) : « En ordonnant la liquidation, le Tribunal nomme un juge-commissaire ainsi qu’un ou plusieurs liquidateurs. Il arrête le mode de liquidation. Il peut rendre applicables, dans la mesure qu´il détermine, les règles

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s’est forgée au fil de la législation financière 57. Georges Baden et Yann Baden situent, dans leur article « Diagonales en matière de liquidation des établisse-ments de crédit et fonds d’investissement » les origines de la formule du mode de liquidation défini par le Tribunal à l’arrêté grand-ducal du 22  décembre 1972 ayant pour objet le contrôle des fonds d’investissements et pour lesquels le Tribunal pouvait prononcer la dissolution et la liquidation du fonds « selon les modalités qu’il fixera » 58.Vint ensuite la loi du 10 mai 1978 instaurant l’article 203 de la loi sur les socié-tés commerciales en vertu duquel le Tribunal peut, sur demande du procureur, prononcer la dissolution judiciaire d’une société luxembourgeoise contreve-nant gravement aux lois 59.Le libellé final de l’article 203 LSC provient de la plume du Conseil d’État 60.

section 2

« Règles régissant la liquidation de la faillite » et « règles régissant la faillite »

À bien y regarder, l’article 61 (7) de la LSF diverge de l’article 203, LSC, en ce qu’il omet la référence aux « règles régissant la liquidation de la faillite » et vise génériquement « les règles régissant la faillite ». Cette différence de texte existe, peut-être avec plus de pertinence encore, aussi entre l’article 61 (7) de la LSF et les règles s’appliquant aux organismes de titrisation (loi du 22 mars

régissant la faillite. Dans ce cas, il peut fixer l’époque à laquelle a eu lieu la cessation de paiement à une date précédant de six mois au maximum le dépôt de la requête visée à l´article 38. Le mode de liquidation peut être modifié ultérieurement, soit d´office, soit sur requête des liquidateurs. »57 G. Baden et Y. Baden, « Diagonales en matière de liquidation des établissements de crédit et fonds d’investissement », précité.58 Mémorial A, 29  décembre 1972, no 80, pp.  2112 et  s., http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/1972/0080/a080.pdf#page=859 Le projet de loi proposait initialement le libellé suivant : « […] En ordonnant la liquidation, le tribunal pourra en arrêter les modalités et nommer un juge commissaire ainsi qu’un ou plusieurs liquidateurs. Dans ce cas, la procédure, notamment en ce qui concerne la déclaration et la vérifi-cation des créances, la publicité et les opérations de liquidation, se fera comme en matière de fail-lite […] » pour aboutir finalement à un texte différent toujours en vigueur aujourd’hui : « […] En ordonnant la liquidation, le tribunal nomme un juge-commissaire ainsi qu’un ou plusieurs liqui-dateurs. Il arrête le mode de liquidation. Il peut rendre applicables, dans la mesure qu’il déter-mine, les règles régissant la liquidation de la faillite. […] »60 Le Conseil d’État dit s’être inspiré d’une proposition de texte du Commissaire au contrôle des banques faite dans le cadre de l’arrêté grand-ducal du 22 décembre 1972 (avis complémentaire du Conseil d’État du 28 février 1978).

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2004 relative à la titrisation) et aux OPC qui s’inspirent toutes, à l’origine, de l’article 203, LSC.Faut-il maintenant attacher une grande importance à cette divergence de texte ? Est-ce que les pouvoirs du Tribunal pour définir le mode de liquidation sont différents en matière d’établissements de crédit et en matière d’OPC, par exemple ?Il n’est, pour commencer, pas excessivement clair de déterminer quelles sont les « règles régissant la liquidation de la faillite » : en effet, le titre Ier du Code de commerce traitant de la faillite comporte deux chapitres se référant à la liquidation de la faillite 61.Même si l’on retient les articles 528 à 536 du Code de commerce comme étant le réel siège de la matière 62, des problèmes d’interprétation subsistent : (i) en pure logique, voir une signification dans la divergence des libellés peut mener à des conclusions aberrantes, puisque le Tribunal aurait l’option de rendre appli-cables, dans la mesure qu’il détermine, toutes les règles de la faillite s’agissant d’un PSF, et que les articles 528 à 536 du Code de commerce s’agissant d’un OPC ou d’un véhicule de titrisation ; et (ii) les abondants travaux parlemen-taires auraient certainement approfondi la portée voulue des règles régissant la liquidation de la faillite et des règles régissant la faillite, quod non 63.Il est dès lors probable (et certainement souhaitable) de voir dans les deux versions de texte (« règles régissant la liquidation de la faillite » et « règles régissant la faillite ») un même principe qui assure au Tribunal la liberté de définir, au cas par cas, un régime de liquidation adapté et flexible. Cette liberté inclut le droit, mais non l’obligation, d’emprunter des règles au droit de la fail-lite ou d’ailleurs à toutes autres sources existantes.

61 Le chapitre III (du titre Ier du Livre III du Code de commerce) est intitulé « De l’administra-tion et de la liquidation de la faillite » et vise les articles 455 à 495 du Code de commerce, tandis que le chapitre VI porte comme titre « De la liquidation de la faillite » et vise les articles 528 à 536 du Code de commerce.62 L’article 528 du Code de commerce dispose, entre autres, que les « […] [curateurs] […] procé-deront à la liquidation de la faillite ; ils feront vendre les immeubles, les marchandises et effets mobiliers, et liquideront les dettes actives et passives […] ».63 À noter que, dans le jugement de la BCCI, le tribunal de commerce se réfère par erreur aux règles régissant la liquidation de la faillite en invoquant l’article 42, (2), de la [LSF], puisque ce texte mentionnait les « règles de la faillite ».

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section 3

Le mode de liquidation de la BCCI

Le mode de liquidation « à la carte » qui nous intéressera plus particulière-ment ici à raison de l’importance qu’il a eue pour les liquidations du secteur financier ultérieures fut élaboré par le Tribunal dans le cadre de la défaillance de la BCCI 64.Un arrêt de la Cour d’appel du 2 juillet 1987 précisa la portée de la notion de mode de liquidation et, par la même occasion, les pouvoirs larges du Tribunal :« […] les pouvoirs du tribunal vont au-delà de la détermination des simples questions procédurales ou techniques. Cette juridiction est investie d’une mission de surveillance active sur l’ensemble des opérations de la liquida-tion, ce qui lui permet de trancher toutes les questions et solutionner tous les problèmes de forme et de fond devant être résolus dans l’intérêt d’une prompte et équitable liquidation. […] » 65

Depuis plus de 20 ans, le jugement de liquidation de la BCCI fait donc figure de modèle de mode de liquidation des établissements financiers et assimilés. Sa structure et une grande partie de ses règles ont notamment été reprise ou ont servi de modèle dans les modes de liquidation de Landsbanki Luxem-bourg SA 66, de Lehman Brothers (Luxembourg) SA 67 et même de l’organisme de titrisation Lifemark SA 68.

section 4

Contenu du mode de liquidation de la BCCI

Hormis les règles empruntées à la faillite et au droit des sociétés, le jugement de la BCCI définit, dans sa version actuelle 69, très schématiquement, le mode de liquidation suivant :– affirmation du principe de l’universalité et de l’unité « de la faillite appli-

cable à la liquidation de la BCCI » ;

64 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 3  janvier 1992, Droit et banque, 19/1992, pp. 45 et s.65 Pour une analyse détaillée de la notion de « mode de liquidation », voy. G. Baden et Y. Baden, « Diagonales en matière de liquidation des établissements de crédit et fonds d’investissement », pp. 184 et s., précité ;66 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 12 décembre 2008, no 914/08.67 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 1er avril 2009, no 451/09.68 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 11  mai 2012, no 748/2012 publié dans le dossier de la société tenu par le registre de commerce et des sociétés sous le numéro B113616.69 Jugement modifiant le mode de liquidation du 26 octobre 2007.

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– exclusion des avoirs des clients déposés à titre fiduciaire du patrimoine de la BCCI ;

– arrêt du cours des intérêts des créances non privilégiées à partir du juge-ment d’ouverture ;

– les créanciers ordinaires n’ont pas droit à des intérêts de retard s’ils sont payés après d’autres créanciers à raison du déroulement normal des opérations de liquidation,  de leur défaillance de fournir promptement leurs coordonnées bancaires aux liquidateurs, à raison d’obstacles juri-diques de lois étrangères ou de l’existence de dettes de ces créanciers envers d’autres entités du groupe BCCI ;

– interdiction de compenser, sauf dettes connexes ;– institution d’un Comité des créanciers ;– date  limite et procédure détaillée de déclaration et de vérification des

créances 70 ;– pouvoirs importants du juge-commissaire ;– obligation des liquidateurs de fournir un rapport périodique au juge-

commissaire ;– exclusivité des liquidateurs en matière de voies d’exécution et d’actions

en justice ;– les liquidateurs doivent dresser un inventaire des avoirs de la société

dissoute et ont des pouvoirs larges pour liquider et réaliser les effets de la société ; et

– distribution et répartition aux créanciers.

section 5

Emprunts aux règles de la faillite et du droit commun des liquidations

Le mode de liquidation de la BCCI ainsi défini par le Tribunal est complété par des emprunts importants aux règles de la faillite du Code de commerce et aux règles de droit commun sur la liquidation des sociétés commerciales prévues dans la LSC.Le tableau qui suit met côte à côte ces règles empruntées au régime de la faillite pour trois procédures importantes de liquidation d’établissements bancaires ou de PSF : celles de la BCCI 71, celle de Lehman Brothers (Luxembourg) SA et

70 Le traitement des créances dans la liquidation de la BCCI est déterminé successivement par les jugements des 20  mars 1992, 11  avril 1995, 27  mars 1996, 29  mars 1996, 20  mai 2005 et 26 octobre 2007.71 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 3 janvier 1992.

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celle de Landsbanki Luxembourg SA. On remarque tout de suite que quasi les mêmes règles de la faillite s’appliquent aux trois procédures 72.

Tableau I – Règles du Code de commerce et de la LSC rendues applicables aux modes de liquidation de la BCCI SA, de Lehman Brothers (Luxembourg) SA et de Landsbanki Luxembourg SA.

Article du Code de commerce

Concerne BCCI Lehman Brothers Luxembourg

Landsbanki

444 C . Com Dessaisissement du failli

(« combiné à l’article 61-8 » [de la LSF])

445 Nullités d’actes en période suspecte

446 Annulabilité d’actes

447 Inscriptions d’hypo-thèques et privilèges

448 Nullités des actes faits en fraude

449 Lettres de change et billets à ordre

450 Exigibilité des dettes

451 Arrêt du cours des intérêts

452 Suspension des poursuites contre le débiteur

453 Saisies

454 Suspension des voies d’exécution contre le débiteur

463 Rôle, mission et pouvoirs du juge-commissaire

72 Pour mieux voir de quelles règles il s’agit, un résumé imparfait suit les références aux articles du Code de commerce et de la LSC.

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464 Rôle, mission et pouvoirs du procu-reur d’État

465-1° 3° et 5°

Exécution provi-soire des jugements rendus en matière de faillite

484 Obligation de véri-fier et de rectifier le bilan

485 Rôle, mission et pouvoirs du juge-commissaire (livres du failli)

487 Protection des droits du failli contre ses débiteurs par les curateurs

492 Modalités et condi-tions pour transiger

495 Extension de la faillite au dirigeants de fait ou de droit

73

495-1 Comblement du passif par les diri-geants sociaux de fait ou de droit

508 Déclarations de créances tardives

(en partie) (en partie)

528 Mission de liqui-dation, pouvoirs de représentation

537 Droit des créanciers en présence de coo-bligés en faillite

538 idem

73 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 10 juin 2011, no 810/11.

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13

539 Acomptes payés aux créanciers avant la faillite

540 Droits des cautions

542 Créanciers gagistes

543 Retrait des gages (JC)

544 Réalisation du gage

545 Créances de salaires

546 Revendication

547 Droits des créan-ciers privilégiés sur premiers deniers

548 Créanciers hypothé-caires et privilégiés

549 Répartitions suc-cessives et droits des créanciers hypothé-caires

550 "

551 "

552 "

562 Réserve pour créances non véri-fiées ou contestées non jugées

567-1 Réserve de pro-priété

74

74 Règle introduite par une loi postérieure.

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Art.

(LSC)

Matière BCCI Lehman Landsbanki

141 Société dissoute réputée exister pour les besoins de sa liquidation

144 Pouvoirs des liqui-dateurs

146 Appel du capital souscrit non libéré

147 Paiement des dettes exigibles et non exigibles

149 Liquidateurs respon-sables envers les tiers et l’établissement

section 6

Modes de liquidation évolutifs

Le mode de liquidation défini dans le jugement de la BCCI a été très évolutif, puisqu’il fut modifié à huit reprises à la demande des liquidateurs. Le juge-ment de liquidation initial de la BCCI en date du 3 janvier 1992 a été modifié et complété par les jugements du Tribunal rendus respectivement les 20 mars 1992, 11  avril 1995, 27  mars 1996, 29  mars 1996, 29  janvier 1999, 15  juillet 1999, 20 mai 2005 et, pour le plus récent, le 26 octobre 2007.

Le mode de liquidation du PSF Lehman Brothers (Luxembourg) SA ne fut retouché qu’à deux reprises 75, une première fois pour permettre aux liqui-dateurs d’adhérer aux principes du Cross-Border Insolvency Protocol et une deuxième fois pour rendre applicables les articles  495 et  495-1 du Code de commerce. L’intérêt de cette liquidation est probablement plus dans les faits (voy.  sub chapitre  2, Moyens et contraintes des liquidateurs et déroulement des opérations de liquidation) que dans le mode de liquidation.

75 Le jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 1er avril 2009, no 451/09, pour la liquidation de Lehman Brothers (Luxembourg) SA, a été modifié et complété par jugements du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg no 1363/09 du 6 novembre 2009 et no 810/11 du 10 juin 2011.

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En fin de compte, ce sont les règles concernant les déclarations et les vérifica-tions des créances qui ont eu beaucoup d’attention et qui sont reprises, quasi à l’identique, dans toutes les liquidations de PSF qui vont suivre jusqu’à ce jour.

section 7

Vérifications des créances

Le régime des vérifications des créances déclarées dans la procédure d’insol-vabilité de la BCCI a été forgé par de nombreuses années de pratique des liqui-dateurs et est devenu le standard pour toutes liquidations de PSF en matière de vérification des créances. Voici un rapide aperçu de ses traits les plus carac-téristiques et de la chronologie de la procédure de vérification des créances.

sous-section 1

Fixation d’une date limite

Le jugement de liquidation définit une date limite « pour laquelle les créanciers sont tenus de faire parvenir aux liquidateurs la déclaration de leurs créances ». À défaut de déclaration dans les délais, les défaillants ne seront pas compris dans les répartitions. Le jugement tempère cette règle par une variation de l’article 508 du Code de commerce conçu comme suit : « […] toutefois, ils [les défaillants] pourront déclarer et affirmer leurs créances jusqu’à la dernière distribution des deniers inclusivement. Leurs déclarations ne suspendront pas les répartitions ordonnées ; mais, si de nouvelles répartitions sont ordonnées après ces déclarations, ils y seront compris pour la somme qui sera provisoire-ment déterminée par le juge-commissaire et qui sera tenue en réserve jusqu’à ce que leurs créances aient été admises. Dans tous les cas, les frais auxquels la vérification et l’admission de ces créances auront donné lieu resteront à leur charge et ils ne pourront rien réclamer sur les répartitions ordonnées avant leurs déclarations ; mais ils auront droit à prélever sur l’actif non encore réparti les dividendes afférents à leurs créances dans les premières répartitions […]. »

sous-section 2

Information des créanciers

L’information des créanciers de l’existence de la date limite se fait par les liqui-dateurs par envoi d’une lettre circulaire et d’un formulaire de déclaration de créance, ainsi que par des publications par voie de presse au Luxembourg et à l’étranger.

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sous-section 3

Vérification de chaque créance et inscription sur une liste des créances admissibles ou sur celle des créances contestées

Les liquidateurs vérifient les créances déclarées au fur et à mesure du dépôt des déclarations de créance et en font rapport au juge-commissaire. Après discussion avec le juge-commissaire, les liquidateurs portent sur des listes les créances qu’ils estiment admissibles, respectivement, qui sont contestées.

sous-section 4

Chaque créance admissible est soumise aux autres créanciers

Les listes avec les créances déclarées admissibles sont publiées pendant un bref délai (10  jours) au greffe du Tribunal, où les créanciers déclarés et ceux portés au bilan peuvent en prendre inspection.

sous-section 5

Les autres créanciers peuvent s’opposer à une créance admissible en formant contredit

La réelle originalité du régime des vérifications des créances tel que défini par le Tribunal pour la BCCI est de permettre aux autres créanciers déclarés de connaître et de s’opposer (ou non) aux déclarations de créances faites et jugées admissibles par les liquidateurs.Cette opposition contre une créance portée sur une liste de créances admis-sibles peut être exprimée pendant 10 jours seulement. Après l’écoulement de ce délai, les créances déclarées admissibles non contredites sont admises défi-nitivement 76.Le jugement de liquidation de la BCCI arrête que le contredit doit être formé par une déclaration au greffe et qu’une mention en est faite par le greffier sur la liste en question. La mention comporte la date du contredit et l’identité de son auteur ainsi que, le cas échéant, du mandataire procédant à la déclaration de contredit. Ensuite, le contredit doit être réitéré, sous peine d’irrecevabi-lité, dans les trois jours, par lettre recommandée adressée aux liquidateurs. Il doit contenir, sous peine d’irrecevabilité, les qualités exactes de l’auteur du contredit, l’élection de domicile dans la commune de Luxembourg, les justifi-cations concernant sa qualité de créancier admis ou porté au bilan, ainsi que les moyens qui justifieraient un rejet de la créance contredite.

76 Les créanciers dont les créances ont été admises en sont informés individuellement par lettre simple des liquidateurs.

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sous-section 6

Information des créanciers contestés ou contredits

Les liquidateurs doivent bien entendu informer les créanciers dont les déclara-tions de créances ont été contestées ou fait l’objet d’un contredit.

sous-section 7

Recours du créancier contesté ou contredit

Ces créanciers doivent alors procéder par voie d’assignation dans un délai de 45  jours à partir de l’information par les liquidateurs. Le jugement précise que les contestations qui ne peuvent recevoir une décision immédiate sont disjointes. Celles qui ne sont pas de la compétence du Tribunal d’arrondis-sement de Luxembourg siégeant en matière commerciale seront renvoyées devant le tribunal compétent. Par ailleurs, le créancier qui procède par voie d’assignation doit obligatoirement élire domicile dans la commune de Luxem-bourg afin de faciliter le travail des liquidateurs.

sous-section 8

Rejet définitif en cas d’absence de recours

Les déclarations de créance contestées ou contredites pour lesquelles le créancier contredit ou contesté n’a pas assigné les liquidateurs ou le créancier contredisant sont définitivement rejetées.

section 8

Refus du tribunal de définir un mode de liquidation spécifique

Pour terminer, nous allons analyser une liquidation pour laquelle le Tribunal a refusé de faire un mode de liquidation sur mesure.Il s’agit de l’insolvabilité de l’organisme de titrisation Lifemark SA 77. S’il est vrai que l’article 39 (4) de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation diffère légèrement, en ce qui concerne le mode de liquidation, de la LSF, l’on suppo-sera que le Tribunal avait le choix, comme en matière de liquidation d’établis-sements financiers, d’appliquer les règles de liquidation de la faillite, celles du droit commun ou toutes autres règles de liquidation sui generis.

77 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 11 mai 2012, no 748/2012.

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Lifemark SA, longtemps sous administration provisoire 78 à la recherche d’un plan de restructuration, fut donc dissoute et mise en liquidation forcée en application de la législation spéciale s’appliquant à ces sociétés 79.

sous-section 1

Activités du professionnel

Lifemark SA avait pour objet la titrisation d’un portefeuille de polices d’as-surances-vie  américaines et l’émission en contrepartie de titres obligataires adossés à ces actifs (Senior Life Settlements (SLS) ou, plus prosaïquement, death bonds). Un SLS est une convention par laquelle une personne, générale-ment âgée entre 65 et 79 ans (le Senior), vend son contrat d’assurance-vie à un tiers investisseur, normalement moyennant l’entremise d’un courtier, pour un prix inférieur à la valeur nominale de la police, mais supérieur à sa valeur de rachat (cash surrender value) 80.Le tiers investisseur (Lifemark SA) devient responsable pour payer les primes et, au décès du Senior, perçoit les fruits (la valeur nominale) de la police d’as-surance. Lifemark SA émettait à son tour des obligations que des banques étrangères vendaient à leurs clients, des particuliers. Les polices d’assurance étaient gagées en faveur des obligataires par le biais d’une sûreté de droit anglais en faveur d’un trustee. La mécanique s’est grippée, et Lifemark avait des problèmes de liquidité chronique, quand un nombre important de Seniors ont défié les tables de mortalité et ont, cruellement dit, tardé à mourir.

sous-section 2

Demandes pour une « liquidation ordonnée »

La CSSF et la Financial Services Compensation Scheme (FSCS) anglaise, inter-venant au procès comme autorité de surveillance et organisme d’indemnisa-tion subrogé dans les droits des « petits porteurs » indemnisés avaient toutes deux souhaité une « liquidation ordonnée » de Lifemark SA, à l’opposé d’une « fire sale », « liquidation radicale immédiate ».La « liquidation ordonnée » souhaitée par la CSSF et la FSCS aurait eu comme traits caractéristiques une collaboration et une concertation entre

78 L’administration provisoire de Lifemark SA fut ordonnée le 18 novembre 2009 et prorogée à 7 reprises jusqu’au 11 mai 2012, date de la dissolution et mise en liquidation.79 Loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation.80 Cette définition figure sur le site de la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation), une agence gouvernementale américaine indépendante (http://www.fdic.gov/regulations/examina-tions/supervisory/insights/siwin10/senior.html).

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les liquidateurs judiciaires luxembourgeois, le security agent / trustee anglais et les représentants des obligataires. Surtout, néanmoins, elle aurait dû permettre à Lifemark SA de se procurer des financements extérieurs pour parer à la caducité des polices en cas de non-paiement des primes par Lifemark SA.

sous-section 3

Appréciation du tribunal

Face à cela, le Tribunal constate néanmoins qu’« [i]l apparaît donc que les […] risques majeurs mis en avant par la CSSF, à savoir l’absence de gains d’arbi-trage en raison de la longévité des assurés et la caducité des polices en raison d’une impossibilité de payer les primes, sont susceptibles de se réaliser en même temps, de sorte qu’une liquidation échelonnée engendrerait un risque incontrôlable. »Le Tribunal a donc pris en compte l’échec des tentatives de restructuration de Lifemark SA pendant l’administration provisoire, la situation précaire de Lifemark SA au moment de l’audience et l’existence d’un potentiel « risque incontrôlable » pour conclure qu’il était temps de stopper l’hémorragie  : « Il n’est dès lors pas indiqué que le liquidateur entre dans un protocole d’accord, sauf s’il devait constater des garanties et des avantages sérieux allant dans le sens de sa mission, de sorte que, sous réserve des modalités dérogatoires détaillées ci-après et sous réserve des modifications nécessaires au mode de liquidation à opérer le cas échéant ultérieurement, il convient d’appliquer les règles régissant la liquidation de la faillite. »

chapitre 2

Moyens et contraintes des liquidateurs et déroulement des opérations de liquidation

Nous abordons ici les outils concrets des liquidateurs et les contraintes pratiques dans une liquidation que l’on ne soupçonne pas nécessairement au début d’une mission de liquidateur judiciaire.Dans leur « boîte à outils », les liquidateurs attacheront beaucoup d’importance à obtenir un niveau d’information suffisant sur l’établissement au moment de sa dissolution. Si la liquidation judiciaire a été précédée par une période de sursis, les informations recueillies ou élaborées par l’administrateur provi-soire, rapports et notes, seront très utiles. L’absence d’informations fiables est un frein redoutable à l’avancement et au succès de la liquidation.

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Une fois que les faits sont raisonnablement établis, les arrangements amiables permettront aux liquidateurs de choisir leurs batailles en évitant les conten-tieux moins prometteurs.

L’outil de la « bar date » permet, à un moment donné, de tirer un trait sous le passif de la liquidation et d’envisager plus sereinement une distribution inté-rimaire aux créanciers.

La coopération internationale entre liquidateurs et la bonne répartition des rôles entre professionnels de l’insolvabilité a fait ses preuves dans les liquida-tions de la BCCI et de Lehman Brothers.

Les commentaires qui suivent sont tirés de la pratique des auteurs qui prient le lecteur d’excuser, ici ou là, l’absence de références précises.

section 1

Obtenir et conserver une information fiable concernant l’entité en liquidation

Dans un commerce, il peut suffire de mettre la main sur « la comptabilité » et les extraits bancaires pour se faire une idée précise de la situation.

L’information nécessaire pour comprendre les opérations et la situation d’un global player comme Lehman Brothers n’est pas dans un classeur ou dans une caisse : elle peut être tantôt juridique ou fiscale (quels sont la structure du groupe, les contrats en cours, les sûretés données et reçues, etc.), tantôt comp-table (engagements, dépôts, créances, dettes échues de l’établissement), tantôt opérationnelle (organisation du travail, flux, « business » de l’entité, contrôles internes, marché, concurrents, etc.) et tantôt boursière et financière (opéra-tions boursières, cours appliqués, enregistrement d’opérations).

Cette information peut être difficile à obtenir : il suffit pour cela de noter que les entités Lehman Brothers luxembourgeoises fonctionnaient largement sans comptes bancaires, sans mouvements de fonds, et que toutes les opérations furent enregistrées dans un système global et centralisé composé de dizaines de logiciels propriétaires 81. Pareillement, la gestion des contrats et la corres-

81 Si une facture d’un fournisseur local était réglée par une entité luxembourgeoise de Lehman Brothers (Luxembourg) SA, le paiement effectif pouvait être effectué par une entité Lehman Brothers à Londres, et Lehman Brothers (Luxembourg) SA pouvait se retrouver débitrice de Lehman Brothers aux États-Unis pour le montant payé. Les opérations de prêt de titres avec des tiers, qui était l’activité principale de Lehman Brothers (Luxembourg) SA, allait aussi s’opérer via ce système de gestion et de traitement de données centralisé de Lehman Brothers.

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pondance électronique avec les tiers étaient aussi largement centralisées dans quelques « hubs » du groupe.Lorsqu’un liquidateur demande copie ou accès « aux informations  qui concernent sa liquidation », il se heurte souvent à des refus de coopération en raison de la confidentialité de données. Ceci amènera souvent les liquidateurs à conclure des contrats de confidentialité avec d’autres entités du groupe et, souvent, à devoir accepter de rémunérer le personnel d’un autre liquidateur pour les consultations de bases de données.La majorité des informations et documents utiles aux liquidateurs sera donc contenue dans ce système global ou dépendra de lui. En obtenir un accès, comprendre ce que l’on cherche au juste et trouver des interlocuteurs qui veulent et peuvent aider les liquidateurs à consulter ces logiciels et bases de données est souvent une tâche fastidieuse. Ceci est d’autant plus vrai que les informations dans le système ne sont pas nécessairement totalement fiables : la circonstance que les systèmes informatiques de Lehman Brothers ont été interrompus au courant du mois de septembre 2008 avait pour conséquence que des routines comptables programmées pour la fin de mois et des « mises à zéro » de certains comptes n’ont pas pu être effectuées : il fallait donc complé-ter certaines routines manuellement, ce qui était parfois une source d’erreurs. La fin abrupte de Lehman Brothers allait aussi interrompre des transferts de fonds et des paiements en cours, ce qui va engendrer d’importantes animo-sités et un lourd contentieux entre plusieurs entités du groupe. Finalement, le fait qu’une partie importante des activités, clients, salariés et systèmes de Lehman Brothers a été cédée dans les premiers jours de la faillite de Lehman Brothers à d’autres banques, dont Nomura et Barclays Capital, allait s’avérer comme une complication importante pour tous les liquidateurs de Lehman Brothers.Les informations sont donc le plus souvent dématérialisées, c’est-à-dire existent, dans leur forme originelle, seulement sous un format informatique plus ou moins lisible et exploitable. Il ne sert donc souvent à rien de chercher des traces « papier » pour faire son travail. Les liquidateurs ont un intérêt à obtenir toutes les informations disponibles et à les sauvegarder au plus vite après leur nomination. Pour cela, le recours à des sociétés spécialisées peut s’avérer nécessaire.Le type d’information dépend et varie beaucoup en fonction de l’activité de l’établissement. Voici les informations qui se sont avérées utiles dans le cadre de la liquidation de Lehman Brothers (Luxembourg) SA :– bases de données et systèmes informatiques de l’établissement : il faut

s’assurer un accès et des copies de sauvegarde  de toutes les informa-

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tions (y compris les courriers électroniques) ayant existé au moment de la dissolution de la société ;

– identité des salariés et mandataires ayant le droit ou le pouvoir d’accé-der aux bases de données, réseaux et systèmes de l’établissement : il faut restreindre et contrôler les accès et surtout les droits d’écriture (et donc d’effacement de données) de l’ancienne équipe dirigeante comme corol-laire de leur dessaisissement au profit des liquidateurs ;

– souvent, il faut aussi restreindre ou du moins contrôler les contrôles à distance (par exemple de la maison mère) ;

– identité des prestataires de services informatiques et des personnes connaissant concrètement les systèmes IT de la société : il faut comprendre un minimum de l’architecture des systèmes pour pouvoir traiter les urgences dans le bon ordre (par exemple, continuer la location d’une ligne de transmission de données dédiée (que la maison mère a éventuellement résiliée).

section 2

L’arrangement amiable

La transaction (« settlement ») est, en droit luxembourgeois, un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contes-tation à naître. En pratique, c’est souvent l’outil de prédilection des liquida-teurs pour faire avancer les opérations de liquidation.L’on peut concevoir des transactions avec des créanciers de la liquidation dans une logique de réduction du passif. Tel est, par exemple le cas si des créanciers déclarent leurs créances sur plusieurs bases juridiques qui se chevauchent : la transaction emportera, par exemple, reconnaissance par les liquidateurs d’une base et renonciation de la part du créancier à toutes les autres bases et préten-tions.Le recours à la transaction pour des questions d’évaluation des droits contrac-tuels des créanciers, souvent juridiquement complexes et peu claires dans les faits, peut s’avérer utile : la transaction entre parties tranchera ces questions d’une manière acceptable sans débuter ou sans aller au bout d’une procédure devant les tribunaux.Les transactions avec des débiteurs de la liquidation peuvent servir une logique de récupération (plus) rapide des avoirs.Bien souvent, dans un contexte comme celui de la liquidation et réorganisa-tion du groupe Lehman Brothers, les entités du groupe sont à la fois créan-cières et débitrices l’une de l’autre. La transaction pourra dans ces cas servir à

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négocier un accord global portant sur tous les différends existant entre deux ou plusieurs parties, même si, souvent, ces différends ne sont que très modé-rément liés entre eux.Les principaux avantages des transactions pour les parties au contrat sont :– la rapidité avec laquelle elles peuvent être négociées et conclues, du

moins lorsqu’on compare la durée de la phase de négociation commer-ciale d’une transaction avec la durée moyenne d’un procès  82 ;

– les pourparlers confidentiels 83 entre parties cherchant un compromis s’entendent « sous toutes réserves » (« without prejudice », « Confidential settlement communication », etc.) et favorisent l’échange d’informations, ce qui, à son tour, rend ces pourparlers normalement plus constructifs que les préalables à un procès ;

– la possibilité, en cas d’échec des pourparlers, de continuer à s’engager dans la voie du contentieux ;

– les frais de conseil sont en principe moindres que les frais engagés dans un procès ;

– le caractère définitif du règlement amiable intervenu. En droit luxem-bourgeois, par exemple, les transactions ont entre les parties l’autorité de la chose jugée en dernier ressort (article 2055 du Code civil) ;

– en principe, aucune des parties qui transige n’apparaît comme le perdant, ce qui serait le cas dans une procédure d’adjudication classique ;

– le contrôle et l’accord du juge-commissaire, et l’approbation de la tran-saction par le Tribunal ;

– la responsabilité du liquidateur dans le cadre d’une transaction est quelque peu amoindrie, puisque l’accord définitif de la transaction intervenue est scellé par un jugement du Tribunal dans le cadre d’une procédure contradictoire ;

– parfois, l’accord ou le soutien des créanciers de la liquidation.Les concessions réciproques des parties sont le fondement de toute transac-tion : chaque partie trouve son avantage dans le sacrifice de l’autre, et le sacri-fice qu’elle fait lui apparaît en principe comme moins grave que sa possible condamnation par un Tribunal. Les concessions consenties par une partie ne sont pas nécessairement connues ou comprises de l’autre partie : ainsi, une

82 « […] The Parties are desirous of resolving all disputes and issues between [them] so as to avoid extensive uncertain and expensive litigation ; […]. »83 Le liquidateur judiciaire, même s’il est avocat, ne peut probablement pas invoquer la confi-dentialité des échanges avec un confrère représentant, par exemple, un créancier ou un débiteur de la liquidation. Il s’agit donc de prendre des précautions soit en mandatant un confrère pour mener les pourparlers, soit en insistant au préalable sur le caractère confidentiel et sous toutes réserves des négociations d’arrangement.

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partie peut être d’accord de payer un prix plus élevé si cette concession lui permet d’éviter une mauvaise presse ou un contretemps important dans la gestion de ses affaires ou la marche de sa liquidation.Bien souvent, il n’est pas possible de rendre le droit luxembourgeois appli-cable à une transaction, tout simplement parce que l’autre partie au contrat n’a aucune affinité avec ce droit et insiste sur l’application de son propre droit national (par exemple, État de New York et US Bankruptcy Law ou droit anglais). Les liquidateurs prennent dans ce cas soin de spécifier dans le contrat transactionnel que, pour les besoins de son approbation par le Tribunal, les parties entendent (aussi) conclure une transaction, au vœu des articles 2044 et suivants du Code civil 84.Les liquidateurs devront alors recourir à l’assistance et aux conseils d’un avocat étranger spécialisé dans le droit applicable à la transaction et au litige sous-jacent.Lorsque la liquidation judiciaire emprunte les règles de la faillite, la procé-dure d’approbation judiciaire (« l’homologation ») diffère un peu de la procé-dure que les tribunaux ont aujourd’hui tendance à définir dans les jugements de liquidations. Dans la procédure d’homologation, les curateurs assignent les cocontractants, le failli et le procureur d’État ; le Tribunal rend son juge-ment d’homologation et les délais de recours propres à la faillite commencent à courir en principe à partir de la signification du jugement d’homologation aux parties à l’instance. Il est loisible à ces parties de raccourcir cette attente en renonçant, après la date du jugement d’homologation, à l’opposition et aux voies de recours. C’est à partir de l’expiration des délais pour les voies de recours (ou de la renonciation de toutes les parties à ces voies) que la transac-tion est définitive.La date à partir de laquelle la transaction devient définitive intéresse au plus haut degré les parties.Dans la liquidation judiciaire, le jugement de liquidation ne définit souvent pas de règles détaillées concernant les situations, les critères ou les conditions dans lesquelles une transaction peut être conclue. Les liquidateurs et le juge commissaire peuvent suppléer à ce vide et convenir, par exemple, que la tran-saction signée par les liquidateurs sera soumise pendant une certaine durée

84 Par exemple, en incluant un libellé équivalent à « […] solely for the purposes of obtaining Luxembourg Court Approval this Settlement Agreement is intended to constitute a settlement (“transaction”) within the meaning of Section 2044 and following of the Luxembourg Code civil […] ».

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à l’avis et aux observations des créanciers ayant produit une déclaration de créance.Lorsque le cocontractant insiste sur le caractère confidentiel de la transac-tion (et ne souhaite donc pas que les créanciers consultés puissent dévoiler le contenu du document à des tiers), les liquidateurs peuvent, par exemple, adresser un résumé de la transaction à tous les créanciers et ne soumettre une copie complète de la transaction qu’aux créanciers acceptant de se lier par une clause de confidentialité. Les liquidateurs feront alors rapport au Tribunal des réactions recueillies de la part des créanciers et faire toutes autres observa-tions qui leur paraissent pertinentes.En pratique, seule une minorité de créanciers utilise la faculté d’adresser des observations aux liquidateurs.

section 3

La coopération internationale

Dans les liquidations internationales, l’on retrouve une multitude de profes-sionnels de l’insolvabilité dans un grand nombre de juridictions. Il y a bien entendu le ou les liquidateurs luxembourgeois, qui sont bien souvent des juristes, avocats ou notaires, ou des experts comptables 85. Au gré des situa-tions, et à côté des liquidateurs proprement dits, se trouvent encore des profes-sionnels de la restructuration, des gestionnaires ad hoc, de simples adminis-trateurs et directeurs. Toutes ces personnes sont amenées à se parler et, si possible, à s’intéresser les unes aux autres, notamment, pour bien comprendre leurs missions et contraintes respectives.La tentation est en effet grande de se concentrer sur « sa » liquidation et d’igno-rer celles des autres, surtout si les enjeux financiers et, du coup, la responsabi-lité des liquidateurs, sont importants, voire énormes.Lehman Brothers a été décrite comme la plus grande faillite de l’histoire avec plus de 613 milliards de dollars au passif et un actif dépassant 639 milliards dollars au moment de l’ouverture de la procédure de restructuration du Chap-ter 11 de la maison mère américaine de Lehman Brothers, la société Lehman Brothers Holdings Inc. (« LBHI »). Environ 80 filiales étrangères de Lehman Brothers ont été entraînées dans des procédures d’insolvabilité.

85 Dans la liquidation de Lehman Brothers, une partie des sociétés du groupe ont été dissoutes et mises en liquidation, d’autres sociétés ont été soumises à des systèmes protecteurs (chapitre 11 ou administration de droit anglais), tandis qu’un grand nombre de sociétés ont continué à fonc-tionner plus ou moins normalement en dépit de l’insolvabilité de la tête du groupe.

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En raison de la nature hautement intégrée de l’activité de Lehman Brothers, les négociations entre représentants de LBHI et des filiales du groupe ont commencé, au début de la procédure du Chapter 11, en vue d’établir un cadre dans lequel les questions transfrontalières pourraient être discutées et réso-lues. Après plusieurs mois de négociations, les représentants de plusieurs entités du groupe Lehman Brothers se sont accordés sur la forme d’un proto-cole d’insolvabilité internationale, le Cross-Border Insolvency Protocol For the Lehman Brothers Group of Companies du 9 mai 2009 (le « Cross-Border Insolvency Protocol »).L’objectif du Protocole est de faciliter la coordination des différentes procé-dures d’insolvabilité affectant les entités Lehman Brothers et de permettre aux représentants de coopérer plus facilement.Cet objectif est certes beaucoup moins ambitieux en termes d’intégration que le « Pooling Agreement » conclu entre les différentes entités luxembourgeoises, anglaises et des îles Cayman dans le cadre de la BCCI 86, mais les situations de départ des liquidations de la BCCI et Lehman Brothers sont aussi très diffé-rentes, notamment en raison de l’absence de fraudes ou d’actes de blanchi-ment d’argent perpétrés par Lehman Brothers.Pour Lehman Brothers, les liquidateurs luxembourgeois ont sollicité l’autori-sation du Tribunal d’accéder au Cross-Border Insolvency Protocol. Ils firent notamment valoir que la forte intégration financière, organisationnelle et économique du groupe de sociétés Lehman Brothers entraînait de graves problèmes dans la détermination de la masse de chacune des procédures d’in-solvabilité, les sociétés respectives constituant juridiquement des personnes juridiques distinctes. Le Tribunal a approuvé l’adhésion des liquidateurs au Cross-Border Insolvency Protocol par un jugement « complétant 87 » le mode de liquidation de Lehman Brothers (Luxembourg) SA 88 en ces termes :« Les liquidateurs sont autorisés à adhérer au Cross-Border Insolvency Proto-col daté au 12 mai 2009 et à suivre les principes de coopération et de liquida-tion y retenus dans la mesure où ces principes ne sont pas contraires aux règles d’ordre public luxembourgeois et sont conformes aux intérêts des créanciers. »

86 Le lecteur est invité à relire à ce sujet les intéressants développements de G.  Baden et de Y.  Baden dans les « Diagonales en matière de liquidation des établissements de crédit et fonds d’investissement », pp. 187 à 192.87 Le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg n’a en effet pas estimé que le Cross-Border Insolvency Protocol modifie les dispositions du jugement de liquidation arrêtant le mode de liqui-dation, et qu’ainsi, à défaut de tomber dans le champ d’application de l’article 61(12) de la LSF, il n’y aurait pas lieu d’en ordonner la publication.88 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 6 novembre 2009, jugement commercial II no 1363/09).

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L’initiative du protocole venait de Lehman Brothers Holdings Inc. qui a réussi à créer, autour du Protocole, une culture de communication et de partage entre les curateurs, liquidateurs et administrateurs des différentes juridictions concernées. Ceci a permis de créer un climat de confiance favorable à la réso-lution des nombreuses questions qui se posaient, notamment celle des innom-brables créances réciproques des sociétés du groupe.Les problèmes dans la gestion des procédures d’insolvabilité internationales d’un groupe bancaire comme Lehman Brothers sont en effet énormes et de plusieurs ordres, dont notamment :– la multiplicité des procédures d’insolvabilité dans les différentes juri-

dictions, allant de procédures liquidatives à des procédures de redresse-ment, de la faillite (Lehman Brothers (Luxembourg) Equity Finance SA) à la liquidation judiciaire sous la LSF (Lehman Brothers (Luxembourg) SA) ;

– la multiplicité des missions des liquidateurs et administrateurs dans les différents pays ;

– le traitement juridique ou comptable différent d’une même situation sous plusieurs droits nationaux ;

– le niveau de formalisme judiciaire plus ou moins élevé dans les diffé-rents pays ;

– les droits de décision et l’implication des créanciers dans les différentes juridictions ;

– les différences de culture juridique et les barrières linguistiques ;– le mélange « d’hommes de chiffres » et d’hommes de lettres parmi les

représentants ;– les coûts engendrés par les conseils et surtout les litiges.

Même s’il est impossible de chiffrer ou de vérifier, le Cross-Border Insolvency Protocol et les réunions de travail des membres du Cross-Border Insolvency Protocol ont probablement préservé, directement ou indirectement, plus de valeur pour les créanciers de Lehman Brothers et de ses filiales que n’importe quel autre effort entrepris par des liquidateurs ou administrateurs de Lehman Brothers, tout simplement en gommant une petite partie des divergences et problèmes normaux surgissant dans une insolvabilité transfrontalière.

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section 4

Les déclarations de créances

« La mission principale des liquidateurs consistera à satisfaire les créan-ciers » 89. C’est à travers la réalisation des actifs de la société en liquidation que les liquidateurs vont y arriver. Dans le cadre d’une large liquidation transfron-talière, il est très probable que les liquidateurs passeront beaucoup de temps à identifier, puis à déclarer des créances « intragroupe », donc contre d’autres entités du groupe déchu. Tel est, par exemple, le cas dans la défaillance du groupe Lehman Brothers.En pratique, la déclaration des créances peut s’avérer difficile pour plusieurs raisons.Avant de pouvoir déclarer une créance, il faut déjà l’avoir identifiée et évaluée provisoirement, tant quant à son principe qu’à son montant ; ceci suppose à son tour plusieurs choses qui, souvent, sont plus difficiles les unes que les autres :– l’existence et le contrôle d’une comptabilité fiable et à jour ;– une copie des contrats en cours, normalement régis par un droit natio-

nal étranger ;– une bonne compréhension de leur sort en raison de l’insolvabilité de

l’une et de l’autre partie au contrat et des effets, notamment en ce qui concerne la date de leur terme (souvent appelée la « termination date ») et la date à la laquelle il faut évaluer les droits respectifs des parties au contrat (la « valuation date ») ;

– l’accès à des professionnels qualifiés (avocats étrangers, comptables et experts dans la matière qui a donné naissance à la créance).

Une fois que la créance semble établie, les liquidateurs doivent la produire dans les formes et délais imposés par le droit de l’insolvabilité étranger. À nouveau, pour ce faire, il faut avoir recours à des avocats (étrangers) spécialisés dans les procédures d’insolvabilité et des avocats spécialisés dans les contrats qu’il s’agit d’évaluer. Lorsqu’une procédure d’insolvabilité importante est ouverte, les grands cabinets 90 sont pris d’assaut et recrutés par les importants créan-ciers, de sorte qu’à défaut de se hâter, il est très difficile de trouver un cabinet qui n’ait pas de conflit d’intérêts.

89 Doc. parl. no 2366 sur les OPC, Rapport du Conseil d’État, p.  61, cité dans le jugement de liquidation de la BCCI.90 Surtout les cabinets américains de l’État de New York, dans le cas de Lehman Brothers.

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section 5

La « bar date »

Le droit américain connaît la notion de la « bar date » qui représente, dans le contexte des déclarations de créances, le dernier moment possible auquel un créancier peut déclarer une créance contre une société insolvable. Il semble possible en droit américain, sous certaines conditions dont notamment la négligence excusable, d’obtenir l’autorisation du juge pour produire encore après l’avènement de la « bar date ». La « bar date » est normalement fixée par un jugement interlocutoire et non au moment de l’ouverture de la procédure.Le droit anglais reconnaît aussi ce concept et un tribunal anglais a notamment eu recours à la notion de la « bar date » pour permettre aux liquidateurs de Lehman Brothers International Europe (« LBIE ») de restituer ou de s’appro-prier certains avoirs (« trust assets ») à défaut d’une réclamation par un tiers avant la « bar date » 91. Il est à noter que la « bar date » retenue dans l’ordon-nance concernant LBIE renvoie à un moment précis, et non à une journée entière.L’intérêt de la « bar date » est de faciliter l’administration de la procédure de liquidation en obligeant les créanciers (ou plutôt tous ceux qui se sentent créanciers) à affirmer leurs prétentions. Dans un monde idéal, le passif de la liquidation serait dès lors connu et rien ne s’opposerait à une distribution inté-rimaire aux créanciers admis, par exemple.Malheureusement, la « bar date », surtout si elle est dure et sans appel (« hard »), peut amener des tiers à déclarer des créances tout à fait incertaines

91 Le libellé du jugement anglais est conçu comme suit (http://www.pwc.co.uk/assets/pdf/lehman-order-151209.pdf) :« […] It is hereby ordered and directed pursuant to […] the Insolvency Act 1986 and under the Court’s inherent jurisdiction that :1. having given not less than 6 weeks’ notice of the “Bar Date” referred to below, by :(i.) placing an announcement on the Lehman section of the PricewaterhouseCoopers LLP website (http://www.pwc.co.uk/ eng/issues/lehman_updates.html) in the form of the draft notice in Sche-dule 1 hereto (“Notice”) ;(ii.) sending a copy of the Notice by post or e-mail to all LBIE clients that the Joint Administrators believe have a claim to Trust Assets ; and(iii.) publishing the Notice in the Financial Times and the Wall Street Journal,if after 5pm GMT on 19 March 2010 (the “Bar Date”), to the extent that there exist no valid and enforceable Security Interests held by or on behalf of any third party in respect of the relevant Trust Assets, the Joint Administrators procure that LBIE does, and LBIE does :a. Distribute Trust Assets to those persons who, on the basis of the information available to LBIE and the Joint Administrators at the time of such distribution, are entitled to them ; and/orb. Appropriate such Trust Assets as LBIE is, on the basis of the information available to LBIE and the Joint Administrators at the time of such appropriation, entitled to Appropriate ; […]. »

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ou conditionnelles, ou, comme c’était le cas de la liquidation du groupe de sociétés Lehman Brothers, des créanciers vont déclarer leurs créances sous différentes formes pour minimiser leur risque de la déchéance de leurs droits. Ainsi, une même créance peut, même en toute bonne foi du créan-cier, avoir les apparences et remplir les conditions d’une créance intragroupe (« unsecured intercompany claim »), d’une créance résultant d’une opération bancaire (« trade claim »), voire d’une créance en restitution d’avoirs (« trust asset claim »). Le seul fait des déclarations de créances multiples a provoqué un important gonflement initial des dettes de la maison mère américaine de Lehman Brothers, LBHI. Un tel gonflement du passif est source de litiges et coûte finalement cher aux créanciers.Le droit luxembourgeois de la faillite précise à l’article  496 du Code de commerce que les créanciers du failli sont tenus de déposer au greffe du Tribu-nal la déclaration de leur créance avec leurs titres, dans le délai fixé au juge-ment déclaratif de la faillite. Ce délai n’est guère une « bar date », puisqu’il est « […] de doctrine et de jurisprudence que l’écoulement du délai prévu au jugement déclaratif ne constitue pas pour le créancier retardataire un cas de déchéance et qu’un tel créancier peut produire sa créance jusqu’à la clôture du procès-verbal de vérification sans encourir de déchéance 92 […] ».Lorsque le Tribunal définit le mode de liquidation, il lui est possible de passer outre aux règles de l’article 496 du Code de commerce, notamment, et c’est le cas du jugement de liquidation de la BCCI, (i) en ordonnant que « [L]a date limite pour laquelle les créanciers sont tenus de faire parvenir aux liquidateurs la déclaration de leurs créances est fixée au [30 juin 1992 93] » et (ii) en rendant applicable, comme tempérament à la rigueur de cette règle, l’article  508 du Code de commerce 94 en application duquel les retardataires pourront, à

92 Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 30 novembre 1984, no 34210 du rôle, publié par extrait sous l’article 469 du Code de commerce.93 Règle figurant dans le dispositif du jugement de liquidation de la BCCI.94 Art. 508. À défaut de déclaration et d’affirmation de leurs créances dans le délai fixé par le jugement déclaratif de la faillite, et prolongé en vertu de l’article  497, les défaillants connus ou inconnus ne seront pas compris dans les répartitions ; toutefois, ils pourront déclarer et affirmer leurs créances jusqu’à la dernière distribution des derniers inclusivement. Leurs déclarations ne suspendront pas les répartitions ordonnées ; mais si de nouvelles répartitions sont ordonnées après ces déclarations, ils y seront compris pour la somme qui sera provisoirement déterminée par le juge-commissaire, et qui sera tenue en réserve jusqu’à ce que leurs créances aient été admises. Dans tous les cas, les frais auxquels la vérification et l’admission de ces créances auront donné lieu resteront à leur charge, et ils ne pourront rien réclamer sur les répartitions ordonnées avant leurs déclarations ; mais ils auront droit à prélever sur l’actif non encore réparti les dividendes afférents à leurs créances dans les premières répartitions, s’ils justifient avoir été dans l’impossibilité de faire leur déclaration et affirmation dans le délai prescrit.

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certaines conditions, déclarer leurs créances jusqu’à la dernière distribution des derniers inclusivement.Cette solution s’avérant néanmoins compliquée à mettre en œuvre, les liquida-teurs de la BCCI ont demandé une modification du mode de liquidation consis-tant à supprimer la nécessité, prévue par l’article 508 du Code de commerce pour les créanciers retardataires, de justifier avoir été dans l’impossibilité de faire leur déclaration dans le délai prescrit.Le Tribunal est allé plus loin dans son jugement du 24 février 2010, par lequel il a modifié le mode de liquidation de Landsbanki Luxembourg SA en ces termes :« […] La date limite pour tous créanciers privilégiés ou chirographaires de déposer une déclaration de créance au greffe du Tribunal d’arrondissement du Luxembourg 15e section a été fixée au 14 mai 2010, sous condition qu’au moins quarante-cinq jours avant cette date limite, le liquidateur aura fait paraître dans les journaux nationaux et internationaux repris au dispositif du jugement un avertissement à tous les créanciers de Landsbanki Luxembourg SA en liquidation existant au jour de l’ouverture de la liquidation qui n’ont pas encore déposé leur déclaration de créance de faire valoir leurs droits, sous peine de ne pas participer au produit de la liquidation et d’être forclos de tous droits dans la liquidation.L’alinéa de l’article 508 du Code de Commerce “toutefois, ils pourront déclarer et affirmer leurs créances jusqu’à la dernière distribution de dividende” est supprimé. […] »Ainsi, le Tribunal a introduit dans cette liquidation une « hard bar date ».Dans le mode de liquidation de l’entreprise d’investissement H CTG SA (RCS B152360, jugement du 30 avril 2013, publié par extraits au Mémorial C (http://www.etat.lu/memorial/2013/C/Html/1119/2013059574.html)), le tribunal de commerce a élaboré des modalités particulières concernant la déclaration, mais aussi la vérification des créances. Cette liquidation a débuté le 30 avril 2013 et la date de « […] l’expiration du délai fixé pour former contredit […] » a été fixée au 31 octobre 2013, soit 6 mois plus tard. La publication (par dépôt au greffe) des déclarations déclarées admissibles devait avoir lieu entre le 1er et le 31 octobre 2013.À l’intérieur de cette période assez courte, les créanciers ont dû  déclarer leurs créances, le liquidateur les vérifier et les déclarer soit admissibles ou inadmissibles, les créanciers, le cas échéant, former contredit, assigner dans les 40  jours, etc. Une procédure de déclaration et de vérification très « rythmée » met donc en principe une assez grande pression sur les créan-ciers et sur les liquidateurs. Ceci marchera généralement bien si les créances

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déclarées sont peu nombreuses ou se ressemblent. En présence de créances complexes, une procédure de vérification plus souple, laissant de la place et du temps pour un dialogue et une négociation avec les créanciers, peut être plus appropriée.

section 6

Contrats en cours

Normalement, les liquidateurs sont amenés à prendre des avocats étrangers, puisqu’ils ont besoin de comprendre et d’agir en conformité avec les lois étran-gères qui s’appliquent, notamment, aux contrats en cours. Dans un contexte bancaire et financier, ces contrats sont très souvent soumis au droit anglais, au droit de l’État de New York, parfois au droit français ou au droit allemand, très rarement au droit luxembourgeois. Ces contrats varient évidemment en fonc-tion de l’activité de l’établissement défaillant : l’on va trouver, par exemple, des conventions de prêt de titres, des garanties, des sûretés, des contrats de dépôt et de gestion, des prospectus de cotation, etc.La majorité de ces contrats a été initialement rédigée et imposée par l’établisse-ment défaillant. C’est probablement pourquoi ces contrats ne comportent norma-lement aucune clause traitant de leur sort en cas d’insolvabilité de la banque.Les premières questions importantes qui se posent sont souvent celles de l’ef-fet de la dissolution et de la mise en liquidation de l’établissement financier luxembourgeois sur les contrats en cours. Ces questions sont décisives pour plusieurs raisons :– les liquidateurs ont une mission liquidative qui leur interdit en principe

de continuer des contrats en cours ;– les contrats en cours peuvent générer des pénalités très importantes ;– les contrats en cours peuvent ou ne peuvent pas se terminer automati-

quement à la suite de la faillite d’une partie au contrat.

En présence des contrats conclus à l’intérieur d’un groupe financier défaillant se posera la question de la chronologie des défaillances pour déterminer dans le cadre d’un contrat donné quelle partie était défaillante la première (event of default).Une situation dangereuse pour les liquidateurs sera celle où l’existence du contrat est ignorée ou le sort du contrat présumé par une partie sans en avoir la certi-tude. Cette situation s’est présentée dans le contexte de la liquidation de Lehman Brothers (Luxembourg) SA en relation avec un contrat de prêt de titres.Pour toutes ces raisons, il serait important d’inclure expressément dans le mode de liquidation initialement défini par le Tribunal la possibilité pour les

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liquidateurs de s’entourer des professionnels qu’ils choisiront pour évaluer, très rapidement, l’étendue de leurs droits et de leurs obligations en application des contrats en cours.Le mode de liquidation prévoit (pour Lehman Brothers (Luxembourg) SA) la possibilité aux « […] liquidateurs […], dans la mesure qu’ils jugeront néces-saire, [d’] avoir recours aux services de tous mandataires, agents ou collabora-teurs en vue de conserver et tenir les livres, registres et archives de la société anonyme Lehman Brothers (Luxembourg) SA et en vue de conserver et réali-ser les avoirs, et prendre toutes autres mesures qui leur paraîtront dans l’inté-rêt de la liquidation ».S’il est vrai que la formule couvre un très grand nombre de situations et donne beaucoup de libertés aux liquidateurs, elle peut être source d’incerti-tude et d’interprétation, notamment en ce qui concerne les « livres, registres et archives », donc la comptabilité de l’établissement insolvable.L’évaluation initiale des contrats en cours risque en outre d’être très onéreuse en raison de la complexité des questions de fait et de droit, mais aussi du recours forcé à des avocats anglo-saxons. Les liquidateurs prudents deman-deront l’autorisation formelle ou informelle du juge-commissaire avant de signer les « terms of engagement » et autres conditions générales et particu-lières. Souvent, les liquidateurs demanderont aussi l’avis et l’aval des princi-paux créanciers avant d’engager des dépenses importantes.Une manière d’encadrer ce processus de sélection serait éventuellement de soumettre, au titre des modalités de liquidation, le recours à des prestataires de services à l’aval du juge-commissaire 95. Cet aval serait donné sur un rapport des liquidateurs qui aborderait, par exemple, les questions suivantes :– l’intérêt du recours à un prestataire ;– les prestataires considérés ;– les raisons du choix d’un prestataire donné ;– le prix ou le budget approximatif offert par le prestataire ;– les conditions offertes qui méritent l’attention particulière du juge-

commissaire ;– au besoin, le soutien des créanciers.

L’existence de conflits d’intérêts d’une grande partie des cabinets anglais et américains connus peut, en outre, rendre le recours à des avocats américains ou anglais assez lent. Il est dès lors problématique de nommer des liquidateurs (ou de se faire nommer comme liquidateur) en l’absence de moyens financiers

95 Hors les cas d’urgence extrême.

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suffisants pour payer les avocats étrangers qui appliqueront leurs taux horaires normaux.Enfin, lorsque l’établissement n’a qu’une présence physique allégée (par exemple, des bureaux loués auprès d’un domiciliataire), il faudra aussi s’assu-rer que le domiciliataire ne puisse pas retarder l’entrée en fonctions effective des liquidateurs en faisant, par exemple, valoir des droits de rétention sur les documents comptables ou opposer son secret professionnel aux liquidateurs qui demandent copie des courriers électroniques sortants et entrants pendant la période suspecte.

chapitre 3

L’office du juge-commissaire

La LSF ne consacre que peu de place au rôle du juge-commissaire : l’ar-ticle  61  (7) de la LSF dispose que le Tribunal nomme un juge-commissaire, l’article 61 (12) prévoit que cette nomination est publiée et enfin l’article 61 (13) prévoit l’exemption des actes de procédure de tous droits de greffe et d’enre-gistrement en cas d’absence ou d’insuffisance d’actif constatée par le juge-commissaire. Il est clair que cette LSF n’entend pas réinventer la notion de juge-commissaire  et se réfère implicitement aux dispositions concernant le juge-commissaire sur les faillites contenues dans le Code de commerce.Cette absence de réglementation dans la LSF peut paraître étonnante, puisque les règles régissant la faillite ne s’appliquent aux liquidations judiciaires des établissements financiers qu’à titre subsidiaire et dans la mesure que le Tribu-nal détermine.Les jugements de liquidation récents vont ajouter quelques précisions à la mission du juge-commissaire  : (i) c’est devant le juge-commissaire que les liquidateurs prêteront le serment de bien et fidèlement s’acquitter de leurs fonctions, (ii) la vérification des créances se fera par les liquidateurs, mais l’admission fera l’objet d’un procès-verbal signé par le juge-commissaire et les liquidateurs, (iii) le juge-commissaire fera rapport au Tribunal si les liquida-teurs transigent sur des contestations ayant pour objet une valeur indétermi-née ou excédant 100 000 euros et (iv) après expiration du délai de dix jours pour former contredit, les créances déclarées admissibles et non contredites sont définitivement admises dans les procès-verbaux signés par les liquida-teurs et le juge-commissaire.C’est donc par la « petite porte » que les jugements de liquidation de banques ou de PSF rendent applicables, dans le cadre du mode de liquidation, les règles

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de la faillite par une référence pure et simple aux articles 463 et 485 du Code de commerce 96 qui chargent le juge-commissaire :i. d’accélérer la faillite ;ii. de surveiller les opérations, la gestion et la liquidation de la faillite;iii. de rapporter au Tribunal toutes les contestations que la faillite pourra

faire naître ;iv. d’ordonner les mesures urgentes nécessaires pour la sûreté et la conser-

vation des biens de la masse, etv. de présider les réunions des créanciers.

Dans le jugement de liquidation de la BCCI, le Tribunal avait, pour la première fois, donné des pouvoirs très larges au juge-commissaire, et notamment un droit de donner des « directives » aux liquidateurs :« […] La liquidation sera surveillée par le juge-commissaire qui aura en toutes circonstances un droit de regard et d’information illimités sur les affaires de la liquidation, pourra donner aux liquidateurs les directives qui lui sembleront être dans l’intérêt des créanciers et présidera les réunions des créanciers de BCCI SA […] »En pratique, que la mission du juge-commissaire soit plus ou moins diri-giste, il joue un rôle discret, mais important pour les liquidateurs : (i) le juge-commissaire est le magistrat qui connaît en principe bien le dossier de la liqui-dation, ses difficultés et ses risques : c’est vers lui que les liquidateurs pourront se tourner pour obtenir des conseils très utiles ; (ii) le juge-commissaire est le destinataire des rapports oraux et écrits des liquidateurs et il pourra apprécier et influencer ainsi la marche de la liquidation ; (iii) surtout, le juge-commis-saire est au-dessus des liquidateurs et les surveille pour le compte du Tribu-nal : ses vues, désirs, priorités, réserves et conditions formulées s’imposent donc nécessairement aux liquidateurs qui peuvent utilement les invoquer dans des négociations.On peut néanmoins se demander s’il est opportun que le juge-commissaire soit en même temps la présidente ou le président d’une chambre du Tribunal,

96 Art. 463. Le juge-commissaire est chargé spécialement d’accélérer et de surveiller les opéra-tions, la gestion et la liquidation de la faillite ; il fera, à l’audience, le rapport de toutes les contesta-tions qu’elle pourra faire naître ; il ordonnera les mesures urgentes nécessaires pour la sûreté et la conservation des biens de la masse, et il présidera les réunions des créanciers du failli.Les ordonnances du juge-commissaire sont exécutoires par provision. Les recours contre ces ordonnances seront portés devant le tribunal d’arrondissement siégeant en matière commerciale.Art.  485. Le juge-commissaire est autorisé à entendre le failli, ses commis et employés et toute autre personne, tant sur ce qui concerne la vérification ou la formation du bilan que sur les causes et circonstances de la faillite.

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comme cela est régulièrement le cas dans les liquidations forcées des établis-sements bancaires et autres PSF. La double qualité de président du Tribunal et de juge-commissaire peut en effet créer des situations un peu particulières pour les liquidateurs et pour les créanciers :– dans le cadre des procédures d’homologation de transactions devant

le Tribunal, le président et les deux premiers juges de chambre vont entendre et statuer sur le rapport du juge-commissaire, qui n’est autre que le rapport du président ;

– les recours contre les ordonnances du juge-commissaire sont portés devant le Tribunal.

S’il n’y donc pas un conflit entre les intérêts du juge qui cumule les fonctions de juge-commissaire et de président(e) de chambre, la mission du juge-commis-saire diffère de celle du Tribunal, et s’attendre à une plus grande indépendance entre les deux serait normal. La fonction de juge-commissaire inclut, chaque fois que le mode de liquidation inclut l’article  463 du Code de commerce, certains pouvoirs de surveillance et un pouvoir décisionnel. L’article 485 du Code de commerce lui attribue en outre un certain pouvoir investigatif vis-à-vis du failli et de ses organes. Le Tribunal, quant à lui, est avant tout compétent pour redéfinir le mode de liquidation, entendre et juger les recours contre les ordonnances du juge-commissaire et pour apprécier, en plus du juge-commis-saire et après l’intervention de ce dernier, certains actes des liquidateurs.Est-ce que la situation serait plus satisfaisante si le juge-commissaire était choisi parmi les premiers juges de la chambre sans être son président ? Pas réellement. Les juges de la chambre forment un collège et prennent leurs juge-ments à la majorité des voix, de sorte que l’on peut suspecter le même degré de solidarité de ce collège vis-à-vis d’un rapport ou d’une ordonnance d’un juge-commissaire  premier juge que d’un juge-commissaire  président. Une autre voie serait de choisir les juges-commissaires en dehors des juges composant la chambre chargée de la procédure de liquidation ou parmi les juges d’une autre chambre commerciale.Au final, la voie la plus prometteuse serait peut-être de redéfinir le rôle du juge-commissaire, au moins pour les liquidations des établissements finan-ciers. Comme c’est en pratique une bonne solution pour les liquidateurs et pour les créanciers de charger des présidents de chambres expérimentés du suivi de ces dossiers compliqués, pourquoi ne pas leur confier un rôle central par le biais du mode de liquidation ?Ainsi, les pouvoirs de juge-commissaire pourraient inclure, de manière expresse, la faculté d’autoriser un certain nombre d’actes des liquidateurs, comme les transactions, les renonciations, les ventes et les cessions, les

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dépenses importantes, le recrutement de personnel, la conclusion de contrats avec des prestataires de services, etc. Le juge-commissaire pourrait aussi, par voie d’ordonnance, donner suite, autoriser, préciser ou trancher toutes les questions que les liquidateurs, voire des créanciers, lui soumettront en rela-tion avec la gestion journalière de la liquidation. La répartition des rôles entre le Tribunal et le juge-commissaire se ferait un peu par analogie aux sociétés commerciales dans lesquelles l’assemblée générale a des attributions définies par la loi, et la gérance une vocation de s’occuper du reste.Les avantages d’une telle approche seraient nombreux  : (i) plus de transpa-rence pour les créanciers, dans la mesure où les requêtes des liquidateurs seraient, en règle générale, publiques et que les créanciers pourraient faire leurs observations ; (ii) les liquidateurs auraient un interlocuteur fort qui, dans le cadre de ce que le jugement a défini, prendrait des décisions finales qui ne requièrent pas une nouvelle intervention du Tribunal ; et (iii) le rôle actif et visible du juge-commissaire anticiperait les développements futurs d’une meilleure coopération entre les tribunaux ; (iv) le juge-commissaire serait l’or-gane du Tribunal et assurerait effectivement la mission de surveillance active du Tribunal sur l’ensemble des opérations de la liquidation.

titre 3

Perspectives d’avenir

Dans la suite de la crise financière mondiale de 2008, les dirigeants politiques ont, surtout dans le contexte du G20, adopté une série de réformes en matière de régulation financière qui continuent à ce jour à trouver leurs répercussions dans la législation européenne.Il en est ainsi notamment de la « gestion de crise » (crisis management) des banques, et particulièrement des banques systémiques. Les leaders du G20 ont adopté des résolutions dans cette matière à leur sommet de Pittsburgh et mandaté le Financial Stability Board (FSB) à réfléchir à des pistes pour une réforme de la réglementation des insolvabilités de banques 97. Le fil conducteur de ces réflexions est l’impératif de rompre le cercle vicieux entre banques et finances publiques, c’est-à-dire d’éviter que les banques, surtout les grandes banques systémiques (« too big to fail ») doivent être sauvées avec les deniers

97 http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2013/06/conseil-ecofin-resolution/index.html. Démarche aboutissant à l’adoption du document du FSB.

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publics dans une crise financière débouchant sur des crises de la dette souve-raine.Le texte qui « prévisiblement » trouvera le premier son chemin dans la légis-lation luxembourgeoise est la directive Redressement et résolution 98 (DDR) sur laquelle le conseil européen a trouvé un accord politique fin juin 2013. Ce texte, dans son état actuel, sera analysé dans cette troisième partie.Il est indissociable du contexte de l’Union bancaire et, à ce titre, on examinera également brièvement le « mécanisme de résolution unique » qui pointe déjà à l’horizon.Nous ne traiterons par contre pas du projet de loi no 6539 relative à la préser-vation des entreprises, déposé par le ministre de la Justice en février 2013. En effet, ce texte exclut expressément « les entreprises du secteur financier soumises à la surveillance prudentielle de la Commission de surveillance du secteur financier à l’exception des PSF de support » de son champ d’applica-tion et ne concerne dès lors pas directement les établissements du secteur financier.

chapitre 1

Introduction

Après d’âpres discussions portant notamment sur le financement des résolu-tions bancaires 99, le conseil ECOFIN a finalement, lors de sa réunion des 26 et 27 juin 2013, trouvé un accord politique sur une proposition de texte pour la DRR. La DRR est l’un des piliers de l’Union bancaire européenne (UBE) qui est en train de se construire en Europe 100 et la traduction en droit européen de l’une des résolutions du G20 de Pittsburgh de septembre 2009 recommandant

98 La proposition de directive européenne établissant un cadre pour le redressement et la réso-lution des défaillances d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement et modifiant les directives 77/91/CEE et 82/891/CE du Conseil ainsi que les directives 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE et 2011/35/UE et le règlement (UE) no 1093/2010 du Parle-ment européen et du Conseil (ci-après la « DRR ») ; version anglaise Interinstitutional FSB 2012, p. 50, (COD) du 28 juin 2013.99 Et notamment sur la question du « triangle de la résolution », c’est-à-dire l’équilibre entre bail-in, exigences de fonds propres et financement. Voy.  le document d’orientation générale du 19 juin 2013 de la présidence irlandaise (accessible sur le site du Conseil).100 Voy.  Fr.  Fayot, « Un nouveau moment de vérité ? L’Union bancaire européenne et la place financière du Luxembourg », Forum, mai 2013, version longue de l’article sur : http://www.fran-zfayot.lu/2013/05/27/un-nouveau-moment-de-verite-lunion-bancaire-europeenne-et-la-place-financiere-du-luxembourg/#sthash.DU5CdJX3.dpuf.

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une meilleure gestion de crise pour les banques systémiques et opérant dans un contexte transfrontalier. La proposition de DRR est d’ailleurs inspirée des recommandations du Financial Stability Board 101.Comme le rapportait le site « Europaforum » dans son article relatif à l’ac-cord politique du 27  juin,  « [L]’ambition du projet de directive établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d’établisse-ments de crédit et d’entreprises d’investissement est de rompre le lien entre banques et obligations souveraines en évitant à l’avenir que les contribuables aient à renflouer des banques en faillite, comme cela a dû être fait lors de la crise financière de 2008, avec le poids que cela a représenté pour les finances publiques de nombre de pays européens » 102.On se rappellera qu’au Luxembourg également l’État avait dû intervenir pour sauver les banques systémiques Dexia et Fortis en 2008. L’État luxembour-geois avait en outre permis le sauvetage de Kaupthing au moyen d’un prêt fait ensemble avec le gouvernement belge en juillet 2009. Si la participation dans BGL BNP de quelque 34 % s’est avérée être une bonne affaire pour l’État luxembourgeois, il n’en reste pas moins que ces engagements ont obéré les finances publiques luxembourgeoises.La DRR fera l’objet de discussions en « trilogue » avec le Parlement européen en vue d’un accord escompté jusqu’à fin 2013.

chapitre 2

Les principaux changements qu’amènera la DRR en droit luxembourgeois

Il est évident que la transposition de la DRR va profondément modifier l’archi-tecture législative et la pratique luxembourgeoise en matière de redressement et de résolution de banques et entreprises d’investissement.Il suffit pour s’en convaincre de passer en revue les mesures envisagées par la proposition de DRR dans les différentes phases que peut rencontrer un établis-sement en difficulté 103.

101 Financial Stability Board, « Key Attributes of Effective Resolution Regimes for Financial Insti-tutions », octobre 2011.102 http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2013/06/conseil-ecofin-resolution/index.html.103 Pour un résumé de la DRR : communiqué European Commission – IP/12/570 du 06/06/2012 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-570_fr.htm ? locale=en.

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section 1

Une nouvelle autorité de résolution

Un premier changement concernera l’autorité responsable de la résolution qui devra, aux termes de l’article  3, paragraphe 3, être choisie parmi les « auto-rités compétentes pour la surveillance aux fins des directives 2006/48/CE et 2006/49/CE, des banques centrales nationales, des ministères compétents, d’autres autorités administratives publiques compétentes ou des autorités investies de compétences administratives publiques compétentes, à condition que des dispositifs de gouvernance adéquats soient disponibles pour gérer tout conflit d’intérêts qui pourrait résulter du cumul des fonctions de surveillance prévues par les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE, ou des autres fonctions de l’autorité concernée, et des fonctions assignées aux autorités de résolution conformément à la présente directive, sans préjudice de l’échange d’informa-tions et des obligations de coopération prévues au paragraphe 4 ».Le Luxembourg devra donc désigner une autorité de nature administrative pour la résolution des banques dans les cas de figure prévus dans la DDR, ce qui tranchera avec le système actuel reposant sur un schéma classique du droit des faillites impliquant un administrateur ou un liquidateur judiciaire opérant sous le contrôle d’un tribunal. On pourrait s’attendre à ce que soit la CSSF, soit le ministère des Finances assume ce rôle. Dans la mesure où des déci-sions ayant des implications pour les finances publiques seraient à prendre, le ministère des Finances aurait une compétence naturelle. Par contre, dans tous les cas où tout ou partie d’un établissement pourra être liquidé selon le droit commun, rien n’empêche que le système actuel de la liquidation judiciaire soit maintenu.

section 2

La phase de « préparation »

Le titre II de la DRR prévoit une première phase de préparation et de préven-tion. Dans le contexte de cette première phase, le cadre exige des banques qu’elles élaborent des plans de redressement soit isolément pour des banques ne faisant pas partie d’un groupe soumis à une surveillance consolidée, soit sur une base de groupe. La question, si un plan individuel doit en outre être élaboré pour des établissements faisant partie du groupe, sera à déterminer si possible d’un commun accord entre le superviseur sur une base consolidée et les autorités compétentes des filiales (article 8, paragraphe 2, DRR). Ces plans devront décrire les mesures que prendront les établissements en cas de dégra-dation de leur situation financière, afin de rétablir leur viabilité.

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Deuxièmement, les autorités chargées de la résolution bancaire ont l’obligation d’élaborer des plans de résolution, à nouveau, soit sur une base « stand alone » ou sur une base de groupe, avec des options pour gérer des banques qui sont dans une situation critique et ne peuvent plus être sauvées (notamment les modalités de mise en œuvre des instruments de résolution et les moyens d’as-surer la continuité des fonctions critiques).

Ces plans de résolution et de redressement s’apparentent aux « living wills », sortes de testaments qui sont censés faciliter la liquidation des banques et qui existent déjà dans certaines autres législations.

Troisièmement, si, lors de l’élaboration des plans, et dans le cadre de l’évalua-tion de la « résolvabilité », les autorités constatent l’existence d’entraves à la « résolvabilité », elles pourront contraindre une banque à changer sa structure juridique ou opérationnelle de façon à rendre sa résolution possible avec les instruments disponibles et sans que ses fonctions critiques ne soient compro-mises, que la stabilité financière ne soit menacée ni que le contribuable ne soit mis à contribution.

Toujours au titre des mesures préventives, la DRR prévoir la possibilité pour les groupes financiers de conclure des accords de soutien financier intragroupe (titre  II, chapitre  III, articles  16-22, DRR) pour enrayer le développement d’une crise et rétablir rapidement la stabilité financière du groupe dans son ensemble. Sous réserve de l’accord des autorités de surveillance et des action-naires de chacune des entités parties à l’accord, les établissements du groupe pourront ainsi fournir un soutien financier à d’autres entités du groupe en proie à des difficultés financières (sous forme de prêt, de garanties ou de mise à disposition d’actifs pouvant servir de sûretés dans leurs opérations). Deux précisions : l’accord de soutien intragroupe doit être mis en place « in tempore non suspecto » et n’est plus possible si l’une des entités concernées remplit les conditions d’une intervention précoce. Ensuite, il est intéressant d’observer que la DRR prévoit (article 16, paragraphe 1ter) que les États membres « lèvent tout obstacle juridique en droit national aux opérations de soutien finan-cier intragroupe » prévues à la DRR. On sait que notamment des garanties ascendantes ou entre sociétés sœurs peuvent soulever chez nous, en l’absence de reconnaissance juridique du groupe, des questions au regard de l’intérêt social, voire même de l’infraction d’abus de biens sociaux (article 171-1 de la loi du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales). Dans la mesure où la loi de transposition de la DRR dérogera spécifiquement à ces obstacles dans le contexte des groupes bancaires, il n’y aura pas lieu de légiférer autrement en la matière.

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section 3

L’intervention précoce (titre III, DRR)

Les autorités de surveillance pourront intervenir de manière précoce en réagissant aux difficultés financières dès que celles-ci apparaissent. Cette intervention se déclenchera dès lors qu’un établissement ne respecte plus ses exigences de fonds propres ou risque de ne plus les respecter dans un avenir proche. Dans un tel cas, les autorités pourront exiger de l’établissement qu’il mette en œuvre les mesures prévues par son plan de redressement et qu’il établisse un programme de mesures assorti d’un calendrier de mise en œuvre. Elles pourront imposer la tenue d’une assemblée générale des actionnaires afin d’adopter des décisions urgentes, exiger le remplacement de membres de la direction, obliger l’établissement à élaborer un plan de restructuration de sa dette avec ses créanciers, exiger une modification de la stratégie commerciale ou encore des structures juridiques ou opérationnelles et recueillir toutes les informations nécessaires pour préparer la résolution de l’établissement.En outre, les autorités de surveillance pourront, si « la situation financière d’un établissement se détériore de façon significative ou s’il se produit de sérieuses infractions » aux lois et règlements ou aux statuts, et si les autres mesures d’intervention précoce s’avèrent être insuffisantes, désigner un administrateur spécial pour l’établissement, mandaté pour une durée limitée. La DRR prévoit que ce sera l’“ autorité compétente », c’est-à-dire l’autorité de surveillance, qui devra déterminer le rôle, le pouvoir et les compétences de l’administrateur spécial. La fonction principale de cet administrateur spécial sera d’assainir la situation financière de la banque et de rétablir la gestion saine et prudente de ses activités. Ici comme ailleurs, la DRR envisage également la nomination d’un administrateur spécial au niveau d’un groupe si les conditions sont remplies en ce qui concerne une entreprise mère dans l’Union européenne. Si, par ailleurs, les autorités locales estiment qu’il y a un besoin de nommer un administrateur pour une filiale, une telle démarche fera l’objet d’une procédure de consulta-tion entre le superviseur du groupe et les autorités locales avec, en absence de décision commune, la possibilité pour chaque autorité de prendre sa propre décision. Une saisine de l’ABE est par ailleurs prévue en cas de désaccord d’une autorité compétente concernée avec une décision lui notifiée ou en l’absence de décision commune (article 25, paragraphe 2quater).Si l’on peut estimer que la liquidation judiciaire, telle que prévue dans sa forme actuelle, pourra être maintenue dans notre législation pour tous les cas de liquidation « de droit commun », il est par contre très probable que le régime du sursis de paiement bancaire n’aura plus de raison d’être et sera remplacé par les instruments d’intervention précoce, dont l’« administrateur spécial ».

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section 4

Instruments et pouvoirs de résolution (titre IV, DRR)

La résolution a lieu si les mesures préventives et d’intervention précoce ne permettent pas d’éviter que la situation se détériore au point que la banque fasse défaut ou menace de faire défaut. La mise en œuvre de la « tool box » de la résolution se justifie lorsque trois conditions cumulatives sont remplies (article 27, paragraphe 1, DRR) :

« a) l’autorité compétente ou l’autorité de résolution, après concertation avec l’autorité compétente, a établi que la défaillance de l’établissement est avérée ou prévisible ;

b) compte tenu des délais requis et d’autres circonstances pertinentes, il n’existe aucune perspective raisonnable qu’une autre action de nature privée ou prudentielle (notamment des mesures d’intervention précoce ou la dépré-ciation ou la conversion d’instruments de fonds propres conformément à l’ar-ticle 51, paragraphe 0bis) prise à l’égard de l’établissement, empêche la défail-lance de l’établissement dans un délai raisonnable ;

c) une mesure de résolution est nécessaire dans l’intérêt public au sens du paragraphe 3. »

La DRR précise ensuite, au paragraphe 2 du même article  27, ce qu’il faut entendre par « avéré ou prévisible » et, surtout, au paragraphe 3, ce qui consti-tue l’« intérêt public » permettant de recourir à une « résolution » par applica-tion d’un ou plusieurs instruments de la DRR (et non pas à une liquidation de droit commun) : « une mesure de résolution est considérée comme étant dans l’intérêt public si elle est nécessaire pour atteindre, par des moyens propor-tionnés, un ou plusieurs des objectifs de la résolution spécifiés à l’article 26, alors qu’une liquidation de l’établissement selon une procédure normale d’in-solvabilité ne le permettrait pas dans la même mesure. »

Ces objectifs étant les suivants :

« a) assurer la continuité des fonctions critiques (note : telle que cette notion est définie à l’article 2 de la DRR) ;

b) éviter les effets négatifs sérieux sur la stabilité financière, notamment prévenir la contagion et maintenir la discipline de marché ;

c) protéger les ressources de l’État par une réduction maximale du recours aux aides financières exceptionnelles des pouvoirs publics ; et

d) protéger les déposants couverts par la directive 94/19/CE ainsi que les investisseurs couverts par la directive 97/9/CE et protéger les fonds et actifs des clients. »

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Pour résumer, on peut donc retenir que la mise en œuvre de la résolution se justifie si l’un ou plusieurs des objectifs énumérés ci-dessus ne peut être atteint par une procédure d’insolvabilité normale.Les instruments et les pouvoirs de résolution harmonisés, associés aux plans de résolution préparés à l’avance tant pour les banques transfrontières que celles présentes dans un seul pays, dotent les autorités nationales de tous les pays de l’Union d’une boîte à outils et d’une feuille de route communes pour la gestion des défaillances bancaires. La limitation des droits des actionnaires et des créanciers que ces instruments impliquent est justifiée, aux yeux du légis-lateur européen, par la nécessité impérieuse de protéger la stabilité financière, les déposants et les contribuables. Les instruments de résolution prévoient en outre des garde-fous censés empêcher leur utilisation abusive.Il n’en reste pas moins que certains instruments de résolution, et notamment l’instrument de renflouement interne (bail-in) risquent de soulever des ques-tions de constitutionnalité dans certains pays, notamment au regard du droit de propriété 104.Les principaux instruments de résolution sont les suivants :– l’instrument de cession des activités (titre  IV, chapitre  III, section 2,

articles 32-33, DRR), qui permettra aux autorités de vendre à une autre banque l’ensemble ou une partie de la banque défaillante ;

– l’instrument de l’établissement  relais (bridge bank) (articles  34-35, DRR) : il s’agit d’identifier les actifs sains ou les fonctions essen-tielles de la banque, et de les séparer pour créer une nouvelle banque (banque relais) qui est cédée à une autre entité. L’ancienne banque, avec les actifs douteux ou les fonctions non essentielles, est ensuite liquidée dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité. La banque relais devra être constituée au Luxembourg sous l’égide de l’autorité de réso-lution ou d’une autre autorité publique ;

– l’instrument de séparation des actifs (article 36) s’apparente au modèle de la bad bank, solution classique dans les restucturations bancaires, qui permettra de transférer à une structure de gestion des actifs les actifs douteux de la banque, de manière à assainir le bilan de la banque. Afin d’éviter que cet instrument ne soit utilisé comme une simple aide d’État, le cadre prévoit qu’il doit obligatoirement être employé en conjonction avec un autre instrument (banque relais, cession des acti-vités ou dépréciation des créances). On garantit ainsi que, si la banque

104 « Résolution des crises bancaires. Trouver la bonne équation », dossier de la Revue Banque, novembre 2012.

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reçoit une aide, elle fait également l’objet d’une restructuration. Il existe à notre connaissance un seul exemple d’une telle structure au Luxem-bourg : c’est le cas de Pillar Securitisation, le véhicule constitué avec des avoirs de l’ancienne Kaupthing lors de la restructuration de celle-ci en juillet 2009 ;

– l’instrument de renflouement interne (« bail-in ») (article  37, qui va permettre aux autorités de résolution d’annuler ou de convertir en participations les titres des actionnaires et créanciers d’institutions en défaut ou sur le point de l’être). L’accord trouvé au Conseil le 27  juin 2013 prévoit que les dépôts des personnes physiques et des PME, ainsi que les engagements à l’égard de la BEI seront prioritaires sur les titres des créanciers ordinaires non prioritaires et sur les dépositaires de grandes entreprises. Le système de garantie des dépôts, qui protège les dépôts jusqu’à 100 000 euros, aura un rang privilégié par rapport aux dépôts éligibles.

Certains instruments financiers sont par ailleurs exclus de cet instrument de renflouement interne, à savoir les dépôts couverts, les passifs garantis, qui comprennent les obligations garanties, les engagements résultant de la déten-tion d’actifs ou de liquidités à titre fiduciaire ou autrement sous une législation protégeant le client contre les incidences d’une insolvabilité, les engagements envers les employés de l’établissement en défaut, les engagements provenant d’une participation à un système de paiement ayant une maturité inférieure à 7 jours, les dettes interbancaires hors groupe avec une maturité initiale infé-rieure à 7 jours, les dettes commerciales en lien avec des biens ou des services nécessaires au fonctionnement quotidien de l’établissement, et les engage-ments envers les autorités fiscales et de sécurité sociale considérées comme privilégiées sous le droit des faillites local.Par ailleurs, les autorités nationales de résolution auront la possibilité d’ex-clure à titre discrétionnaire de cet instrument de renflouement interne tout ou partie de certains engagements dans plusieurs cas de figure : s’ils ne peuvent être libérés dans un délai raisonnable, s’il est nécessaire d’assurer la conti-nuité de certaines fonctions critiques, pour éviter une contagion ou, enfin, pour éviter une destruction de valeur liée aux pertes portées par d’autres créanciers. Les pertes passeraient alors aux créanciers suivants, tant qu’aucun créancier ne se retrouve avec des pertes plus sévères que dans une procédure d’insolvabilité normale (principe de « no worse off »), même si les pertes étaient compensées par une contribution du fonds de résolution.

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section 5

Coopération entre les autorités nationales

Le principal désavantage pour le Luxembourg dans tout le dispositif de la DRR est le rôle primordial joué par les autorités de résolution des États membres dans lesquels sont établis les maisons mères des grands groupes bancaires (les États membres d’origine, ou « home states »). Or, les banques et entreprises d’investissement établies au Luxembourg sont avant tout des filiales de grands groupes bancaires. Bien qu’elles seront représentées dans les collèges des auto-rités compétentes (pour le redressement) et des autorités de résolution, les autorités luxembourgeoises subiront cependant le « lead » des autorités des États membres d’origine et, en cas de désaccord, risqueront de se retrouver isolées.Le cadre prévu table en effet sur la coopération entre autorités nationales à toutes les étapes de la préparation, de l’intervention et de la résolution des défaillances. Des collèges d’autorités de résolution, placés sous la direction de l’autorité de résolution du groupe et où siégera l’Autorité bancaire euro-péenne (ABE), seront institués. L’ABE est supposée faciliter la mise en place de mesures conjointes et assurera une médiation contraignante si nécessaire.Le grand enjeu est évidemment financier et concerne la résolution de groupes comprenant une filiale luxembourgeoise. Dans le dispositif de la proposition de DRR, l’article 98 de la DRR prévoit que : « 1. Les États membres veillent à ce que, en cas de résolution de groupe telle que prévue à l’article 83 ou 83bis, le dispositif de financement national de chacune des entités du groupe pour lesquelles une mesure de résolution est proposée contribue au financement de la résolution du groupe conformément au présent article.Aux fins du paragraphe 1, l’autorité de résolution au niveau du groupe, après consultation des autorités de résolution des établissements qui font partie du groupe, propose, au besoin avant l’adoption de toute mesure de résolution, un plan de financement dans le cadre du dispositif de résolution de groupe prévu aux articles 83 et 83bis. Le plan de financement est adopté conformément à la procédure de décision prévue aux articles 83 et 83bis. »Dans le contexte de l’article  83 de la DRR, il semble qu’une autorisation de résolution nationale bénéficie néanmoins d’une sorte de droit de veto si elle est en désaccord avec le dispositif de résolution de groupe ou si elle pense devoir prendre des mesures de résolution indépendantes. De ce fait, les pays « host » comme le Luxembourg sont assurés d’un certain confort en étant, du moins théoriquement, en position de pouvoir refuser de participer à un plan de réso-lution de groupe, par exemple si celui-ci menaçait la stabilité financière du pays. Mais le réconfort n’est sans doute que théorique, car se pose dans ce cas

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de figure la question de ce que fera l’autorité de résolution locale confrontée seule à un problème avec une filiale.Cette question risque encore de se corser avec le « mécanisme de résolu-tion unique » (« MRU ») qui pointe déjà à l’horizon dans le cadre de l’Union bancaire, et qui est un complément au « mécanisme de supervision unique » sous l’égide de la Banque centrale européenne.Le mode de fonctionnement du MRU serait le suivant 105 :– « La BCE, en tant qu’autorité de supervision, signalerait si une banque

dans la zone euro, ou établie dans un État membre participant à l’union bancaire, se trouvait en grave difficulté financière nécessitant de procé-der à sa résolution ;

– Un Conseil de résolution unique, composé de représentants de la BCE, de la Commission européenne et des autorités nationales concernées (les autorités des États dans lesquels se situent le siège de la banque, ses succursales et/ou ses filiales), préparerait la résolution de la banque. Il serait doté de vastes pouvoirs lui permettant d’analyser et de défi-nir l’approche à adopter pour la résolution d’une banque : quels instru-ments utiliser et quelle intervention du Fonds de résolution européen. Les autorités nationales de résolution seraient étroitement associées à ce travail ;

– Sur la base des recommandations du Conseil de résolution unique, ou de sa propre initiative, la Commission déciderait alors si la banque doit être soumise ou non à une procédure de résolution, et à quel moment, et mettrait en place un cadre pour l’utilisation des instruments de résolu-tion et du Fonds. Pour des motifs juridiques, la décision finale ne pour-rait appartenir au Conseil de résolution unique ;

– Sous la supervision du Conseil de résolution unique, les autorités natio-nales de résolution seraient chargées de l’exécution du plan de résolu-tion ;

– Le Conseil de résolution unique superviserait la résolution. Il surveille-rait l’exécution au niveau national par les autorités nationales de résolu-tion et, dans le cas où une autorité nationale de résolution ne se confor-merait pas à ses décisions, il pourrait adresser des ordres exécutoires directement aux banques en difficulté ;

– Un Fonds de résolution bancaire unique serait mis en place sous le contrôle du Conseil de résolution unique pour garantir qu’un soutien financier à moyen terme soit disponible pendant la restructuration

105 D’après un communiqué de presse du 10  juillet 2013 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-674_fr.htm.

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de la banque. Il serait approvisionné par des contributions du secteur bancaire, remplaçant les fonds de résolution nationaux des États membres de la zone euro et des États membres participants à l’Union bancaire, comme le prévoit le projet de directive sur le redressement et la résolution bancaires.

Le rôle de la Commission serait limité à la décision de déclencher la résolution d’une banque et à la décision concernant le cadre de résolu-tion, garantissant ainsi la compatibilité avec le marché unique et avec les règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État et préservant l’indépendance et la responsabilité de l’ensemble du mécanisme. »

Le fonds de résolution bancaire unique remplacerait donc, d’une part, les fonds de résolution nationaux tels que prévus sous la DRR. Sauf le déclenche-ment de la résolution d’une banque, la détermination et la surveillance de la mise en œuvre de la résolution seront de la compétence du fonds de résolu-tion unique, dans la gouvernance duquel les autorités nationales risquent de se trouver encore plus diluées.

section 6

Financement de la résolution bancaire

Sous réserve de la constitution d’un fonds de résolution bancaire unique sous le futur MRU, la directive prévoit que les États membres mettent en place des fonds de résolution ex ante afin d’assurer le bon fonctionnement des instru-ments de résolution. Ces fonds de résolution nationaux devront atteindre, d’ici 10 ans, un niveau équivalent au moins à 0,8 % des dépôts couverts de tous les établissements de crédit autorisés dans leur pays. Pour atteindre cet objectif, les établissements de crédit devront faire des contributions annuelles basées sur leurs engagements, desquels sont exclus les fonds propres.La directive prévoit une dérogation à cette règle afin de permettre aux États membres d’établir leur propre mécanisme de financement par des contri-butions obligatoires, sans mettre en place un fonds distinct. Mais les États membres devront toutefois lever dans ce cas la même somme et faire en sorte que ces fonds soient disponibles immédiatement sur demande de leur autorité nationale de résolution.Les États membres sont libres de fusionner ou bien de séparer leur fonds de résolution et leur système de garantie des dépôts. Quel que soit leur choix, le volume combiné de ces deux fonds doit atteindre l’objectif fixé, en sachant que les États membres s’étaient entendus en juin 2011 pour que le système de garantie des dépôts atteigne l’équivalent de 0,5 % des dépôts couverts. Les

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prêts entre fonds de résolution nationaux seront aussi possibles sur une base volontaire.Les fonds de résolution seront disponibles pour apporter un soutien tempo-raire à des établissements en cours de résolution par des prêts, des garan-ties, l’achat d’actifs, ou du capital pour des établissements relais. Ils peuvent aussi servir à compenser les actionnaires ou créanciers si leurs pertes en cas de renflouement interne dépassent les pertes qu’ils auraient subies selon une procédure normale d’insolvabilité.Par ailleurs, le compromis arraché au Conseil prévoit une marge de flexibilité qui permet aux autorités nationales de résolution d’exclure, selon des critères stricts et uniquement à titre exceptionnel, des engagements et d’utiliser le fonds de résolution pour absorber des pertes ou recapitaliser une institution.Cette possibilité est offerte à partir du moment où 8 % au moins des pertes sont assumées par les actionnaires et créanciers, ou bien, dans certaines circonstances, 20 % des actifs pondérés en fonction du risque d’une institu-tion, si le mécanisme de résolution a à sa disposition des contributions ex ante qui atteignent au moins 3 % des dépôts couverts.La contribution du fonds de résolution est par ailleurs plafonnée à 5 % maxi-mum des engagements de l’établissement.Dans les circonstances extraordinaires où ce plafond serait dépassé et où tous les engagements ordinaires et non prioritaires autres que les dépôts éligibles auraient contribué au renflouement, l’autorité de résolution pourrait cher-cher des financements alternatifs. Les commentaires qui ont suivi cet accord évoquent comme possibilité un ultime recours à l’European Stability Mecha-nism (ESM).

chapitre 3

Conclusion

On le voit, des changements substantiels s’imposeront dans un futur proche à notre pays dans cette matière rarement sollicitée, mais néanmoins importante pour la place financière.Ces changements feront, en partie du moins, table rase d’un système certes imparfait, mais qui, au gré des différentes affaires des dernières années, s’est construit une pratique et qui présentait l’avantage d’une certaine flexibilité.Il n’en reste pas moins que la nouvelle architecture qui sera introduite par la DRR est à saluer dans son principe, alors que les instruments de résolution qu’elle introduira sont indispensables à une résolution efficace des banques.

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