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IDRIS ELBA NAOMIE HARRIS
UN FILM DE JUSTIN CHADWICKSupp
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Près de vingt ans après leur publication, « Un long chemin vers la liberté », les Mémoires de Nelson Mandela font l’objet d’une formidable adaptation produite par le Sud-Africain Anant Singh, réalisée par le Britannique Justin Chadwick, et littéralement portée par l’acteur Idris Elba. Récit épique et intime qui court sur deux heures et demie, le fi lm, en salle le 18 décembre, retrace l’incroyable destin personnel et public du leader de la lutte anti-apartheid. L’Obs est partenaire de cette très belle aventure cinématographique et humaine.
La liberté au bout du chemin
« Les journaux constituent un bien plus précieux pour les prisonniers politiques que l’or ou le diamant, plus désiré que la nour-riture ou le tabac », écrit Nelson Mandela dans ses Mémoires. Il dévora longtemps « Le Courrier », la revue de l’Unesco, seule publi-cation agréée par les autorités carcérales de Robben Island tant elles étaient convain-cues qu’il s’agissait d’une lecture anodine. Privés de presse, y compris des feuilles de chou locales, Mandela et ses compagnons étaient autorisés à étudier, et donc à recevoir des publications concernant leur cursus. Le mensuel lui arrivait de Paris, livrant sa mois-son de nouvelles et de sujets de réflexion, précieuse source d’informations pour des hommes auxquels on tentait d’imposer le vide
de la pensée. Ce fut le premier lien, aussi ténu qu’indéfectible qui unit le futur lauréat du prix Houphouët-Boigny (en1991) et futur ambassadeur de bonne volonté (en 2005) à l’institution, créée en 1945, et mandatée pour contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre les nations, afi n d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. Mandela et l’Unesco partagent les mêmes idéaux, symbolisés par le préambule de la Constitution de l’organisation: « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être
élevées les défenses de la paix. » Une phrase que l’ancien président sud-africain aurait pu signer. Une nouvelle page de l’attachement qui lie l’Unesco à Nelson Mandela s’écrit aujourd’hui. Nouveau chapitre d’amitié d’où le militantisme n’est jamais absent. Partenaire du fi lm de Justin Chadwick, la vénérable maison entend à nouveau porter haut et loin la voix du leader anti-apartheid. Un peu de paillettes – deux avant-premières, organisées l’une à Londres et l’autre à Paris –, mais d’abord et toujours un travail de fond. Les 9 800 écoles avec lesquelles l’institution est associée dans le monde, dont de nombreuses sont installées en Afrique, dans les zones de confl it et de pré-confl it, vont pouvoir découvrir « Mandela » et rêver à leur tour d’une Terre où la guerre serait absente. ■ M.-E. R.
L’Unesco et Mandela, un mariage de pensées
NELSON MANDELAUn cŒUR invaincU
Par Marie-Elisabeth RouchyDurant plus de soixante ans de lutte politique, Nelson Mandela accepta de sacrifi er sa vie intime sur l’autel de l’Histoire.
Pour son premier jour d’école, Nelson Mandela raconte que son père avait dû couper un de ses pantalons pour le lui donner, lui nouant une fi celle autour de la taille afi n de l’ajuster à ses mesures. C’est un petit campagnard qui se rend à l’école de Qunu, où sa mère et lui ont échoué après que la famille a été dépos-sédée de ses terres. Forte tête, son père, descendant d’une famille royale régnant sur une partie du Transkei, a osé contes-ter l’autorité d’un magistrat blanc. Nelson Mandela prend-il déjà la mesure de l’in-justice ? Devine-t-il le destin qui l’at-tend ? « J’étais conscient qu’il me fallait faire mon chemin à partir de mes seules capacités et non de mon héritage », écrit-il. Etudiant brillant, il devient l’un des pre-miers avocats noirs de Johannesburg. Mandela possède déjà ce magnétisme qui fait mouche dans les prétoires et tourne la tête des femmes. Marié une première fois à la colérique Evelyn, il
s’est engagé dès 1944 dans les rangs de l’ANC (African National Congress), contre la domination des Blancs et la ségréga-tion raciale. Disciple de Gandhi, fervent partisan du pacifi sme, il s’y est lié d’ami-tié avec Walter Sisulu, marxiste convaincu, dont il est devenu le bras droit, épousant du même coup la doctrine communiste. Ce n’est qu’en 1960, après le massacre de Sharpeville, que Mandela se résoudra à prôner l’action armée et à entrer dans la clandestinité. « Quand on refuse à un homme de mener la vie dans laquelle il croit, il n’a pas d’autre choix que de devenir un hors-la-loi », écrit-il dans ses Mémoires(1). Je n’ai pas dit à Winnie com-bien mon absence durerait et elle ne me l’a pas demandé. C’était aussi bien puisque je ne connaissais pas la réponse. J’habitais dans des appartements vides, partout où je pouvais rester seul sans me faire remarquer. Ma femme et ma famille me manquaient terriblement. »Mandela a épousé Winnie en secondes noces début 1958. C’est une jeune tra-vailleuse sociale alors âgée de 22 ans. Ils se sont rencontrés à l’ANC et parta-gent les mêmes idéaux. Winnie ne lâchera jamais son homme, militant sans répit pour sa libération dès l’énoncé du verdict du procès de Rivonia. En 1990, alors que Mandela est enfi n relâché après 27 ans d’incarcération, il exige de sortir à son
bras. Sacrifi é sur l’autel de l’Histoire, leur couple, désor-mais marqué par les dissensions, reste un symbole. En prison, tout a été mis en œuvre pour briser le leader de la lutte anti-apartheid. Mandela et ses camarades n’ont pas plié. « Jamais les gardiens n’avaient vu un détenu aussi digne et sûr de lui que Nelson », raconte Walter Sisulu, qui partagea un temps sa cellule. En février 1990, cinq cent mille personnes viennent saluer leur héros à sa sortie. Mandela a maintenant 71 ans. Il a changé, consi-dérablement mûri et s’est résolu à poursuivre le combat sur un terrain plus intime. Dans la solitude de sa cellule de Robben Island, il a appris l’afrikaans, la langue des Blancs, et a puisé dans leur culture l’origine de leurs peurs. « Ce qui ancre tous mes rêves, écrit-il, c’est la sagesse collec-tive de l’humanité. Nous pourrions barrer nos drapeaux du mot “vengeance” et décider de répondre à la brutalité par la brutalité. Mais l’oppression déshumanise l’oppres-seur autant qu’elle fait souffrir l’oppressé. Imiter la barba-rie du tyran nous transformerait nous aussi en sauvages. Nous souillerions notre cause, nous nous avilirions si nous empruntions ses méthodes à l’oppresseur. Il ne faut pas que notre long sacrifi ce nous fasse un cœur de pierre. » La paix au bout de la connaissance plutôt qu’à celui du fusil…En 1994, l’apartheid aboli et Mandela devenu président, on prête à Madiba des vertus de sage qu’il s’obstine à nier. « Je n’ai jamais été un saint, même si l’on se réfère à la défi nition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer », écrit-il, amusé, dans « Conversations avec moi-même » (2). Arc-bouté contre la violence, Mandela ne prise pas davantage les images d’Epinal. Lorsqu’on lui demande les qualités qu’il admire chez les autres, il répond : « J’aime la combinaison du talent et de l’humilité, la facilité d’être à l’aise avec les pauvres et les puissants, les faibles et les forts, les gens ordinaires et les rois, les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, et la capacité à parler simplement à tous, sans distinction de race et d’origine. » Mais jurerait ses grands dieux qu’il ne s’agit pas là d’un autoportrait.
(1) « Un long chemin vers la liberté : autobiographie », de Nelson Mandela. Le Livre de poche. 767 pages. 9,20 euros.
(2) « Conversations avec moi-même : lettres de prison, notes et carnets intimes », de Nelson Mandela. Préfacé par
Barack Obama. Editions la Martinière. 290 pages. 19,90 euros.
67 ANS DE LUTTE EN DATES1918.Naissance à Mvezo en Afrique du Sud.
1939.Etudes de droit à l’université de Fort Hare, seul établissement à accepter les Noirs.
1944.Mandela rejoint les rangs de l’ANC.
1951.Premier avocat noir à plaider à Johannesburg avec Oliver Tambo.
1952.Elu président de l’ANC du Transvaal et vice-président national.
1958.Divorce et remariage avec Winnie Madikizela.
1960.Le Conseil des Nations unies condamne le massacre de Sharpeville et invite le gouvernement sud-africain à abandonner ses politiques d’apartheid et de ségrégation raciale. Albert Lutuli, président de l’ANC, obtient le prix Nobel de la paix.
1961.Nelson Mandela condamne la stratégie non violente de l’ANC et fonde le MK (Umkhonto we Sizwe) qui prône l’action armée.
1962.Arrêté après 17 mois de clandestinité, Nelson Mandela est condamné à 5 ans de prison.
1963.Début du procès de Rivonia après l’arrestation de plusieurs dirigeants de l’ANC. Jugés coupables de sédition et condamnés à la détention à perpétuité, Nelson Mandela et ses compagnons sont emprisonnés dans l’île-prison de Robben Island.
1971.L’assemblée générale des Nations unies déclare l’apartheid « crime contre l’humanité ».
1976.Les émeutes de Soweto constituent une nouvelle étape dans la contestation et la répression. Agé de 12 ans, Hector Pieterson devient le symbole de la répression aveugle du régime.
1982.Nelson Mandela est transféré à la prison de Pollsmoor, dans la banlieue du Cap.
1988.600 millions de téléspectateurs assistent à la retransmission du concert donné en son hommage à l’occasion de ses 70 ans.
1990.Nelson Mandela est libéré après 27 ans de captivité.
1991.Le Parlement sud-africain vote la suppression des dernières lois d’apartheid.
1993.Frederik De Klerk et Nelson Mandela reçoivent conjointement le prix Nobel de la paix.
27avril1994.Nelson Mandela est élu président de la République d’Afrique du Sud avec 62,6 % des suffrages. Il reste au pouvoir jusqu’en 1999. P
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A bientôt 41 ans, Idris Elba s’im-pose parmi les très grands ; d’un charisme et d’une présence inouïs dans le rôle de Nelson Mandela – « le rôle de [sa] vie », dit-il. Carrure de colosse (1,90 m), démarche de boxeur et douceur d’enfant, celui que le magazine « GlamMag » vient de réélire « homme le plus sexy de l’année », promène sur l’événement le regard paisible des gens de cœur. « Incarner un tel personnage confère des responsabilités », dit-il gravement. A des années-lumière du mafi eux intello de « The Wire » (« Sur écoute ») ou du fl ic tourmenté et toujours sur le fi l du rasoir de « Luther », les séries policières bri-tanniques qui l’ont fait connaître à partir de 2002, l’acteur anglais a joué son va-tout. Immergé en Afrique du Sud durant plusieurs
mois pour travailler son personnage, il s’est littéralement identifi é au prix Nobel de la paix, mais n’oublie jamais de redescendre sur terre. A Londres, où démarrait la promotion du fi lm, casquette de rappeur et shetland bleu nuit, il a repris son autre passion, DJ, et son pseudo, Big Driis. Rencontre. TéléObs. Comment avez-vous réagi lorsqu’on vous a offert d’interpréter Nelson Mandela ? Idris Elba. J’ai pensé aussitôt que ce serait la chose la plus diffi cile que j’aurais à faire de toute ma vie. Mais ce personnage arrivait à un bon moment dans ma carrière : j’avais besoin de me colleter à un héros de cette taille. Aviez-vous lu ses Mémoires, « Un long chemin vers la liberté » ?Non. Je n’ai découvert le livre qu’au moment de la préparation ; un ouvrage très long qui ne m’a pas quitté sur le plateau. Il m’en disait beaucoup sur les pensées et les sentiments de Mandela.Dans « Quelques jours en avril », de Raoul Peck, très beau téléfi lm consacré au génocide rwandais, diffusé en 2008, vous interprétiez
un militaire hutu marié à une Tutsie qu’on réquisitionne avec son fi ls pour éradiquer la population tutsie ; déjà un réquisitoire contre la violence et la discrimination. « Quelques jours en avril » est une expérience qui a beaucoup compté pour moi. Mon personnage, un Hutu modéré, devait à la fois affronter son frère, extrémiste, et se résoudre soit à tuer sa femme soit à trahir les siens. Comme pour « Mandela », c’était l’occasion d’incarner un rôle extraordinaire dans un projet dont la mission dépassait largement le cadre du cinéma. Sauf que là, il s’agissait de jouer 50 ans d’une vie. Comment prépare-t-on un pareil rôle? Il me fallait comprendre l’Afrique du Sud – l’ancienne et la nouvelle. J’ai passé beaucoup de temps là-bas, à parler aux gens, comprendre leur langue, leur culture et leur histoire. Les membres de la fonda-tion Mandela se sont montrés très amicaux. Ahmed Kathrada, qui était détenu avec Mandela et qui fourmille d’anecdotes, m’a beaucoup aidé. Et je suis allé à Robben Island où j’ai passé une nuit. On m’en avait donné l’autorisation.
La prison est fermée depuis longtemps.Personne n’y avait plus été enfermé depuis la fi n des années quatre-vingt. J’y suis entré à 19h le soir, j’en suis sorti à 7h le lendemain matin. Incroyable. Croyez-le ou non, Robben Island est une prison han-tée : trop de gens y ont vécu des choses terribles et y sont morts. Je suis un acteur, je n’y ai passé qu’une nuit mais j’ai pu ressentir ce que Mandela et ses camarades ont vécu. On ne peut l’imaginer avant d’y être entré et d’y avoir été enfermé. Cette expérience a été déterminante pour comprendre Mandela. Vous l’incarnez à partir de l’année 1944, date à laquelle il rejoint l’ANC et contracte son premier mariage, jusqu’à son élection à la présidence en 1994.C’était comme une sorte de voyage dans le temps, il fallait étudier chaque changement. La voix de Mandela, sa gestuelle ne sont évi-demment pas les mêmes quand il a 26 ans ou 80. Ses vingt-sept années ans passées en prison l’ont modifi é en profondeur. Et, quoiqu’il garde une intonation très particu-lière, Mandela ne s’exprime pas de
IDRIS ELBAnOUvel aMBaSSadeUR de la PaiX
Propos recueillis par Marie-Elisabeth Rouchy
AEpoustoufl ant dans la peau de Nelson Mandela, qu’il incarne de 1944 à 1994, Idris Elba impose sa présence magnétique.
la même façon en public et en privé, je devais jongler avec toutes ces nuances. Sa voix, notamment, était un souci : né dans la banlieue de Londres, il me fallait me débarrasser de mon accent cockney. Combien de temps vous fallait-il pour changer d’apparence ?Quatre heures de maquillage. J’arrivais sur le plateau à 4 h du matin. On démarrait à 9 h. Le fi lm a-t-il été tourné chronologiquement ? Malgré nos efforts dans ce sens, c’était malheureusement impos-sible. Donc, un jour, j’étais Mandela jeune et le lendemain j’avais trente ans de plus. La seule manière de ne pas me sentir déstabilisé était de me tenir au plus près de ses pensées, de devenir Mandela. Je ne lui ressemble pas physiquement mais j’ai le sentiment d’avoir percé son cœur. Vous n’avez pas cherché, en effet, à cultiver une quelconque ressemblance avec lui.C’aurait été courir le risque de distraire le spectateur. Je vou-lais rendre son mystère et son épaisseur. A partir du moment où
Mandela est envoyé en prison, il devient un autre homme, se met à penser différemment, étudie la culture afrikaner pour mieux com-prendre les pensées et les peurs de ses ennemis. Pour moi, c’est en faisant ça qu’il a accompli son meilleur travail. En déchiffrant les peurs de ses ennemis. Partagez-vous ses positions pacifi stes ?Si mon voisin et moi nous nous bat-tons et qu’au cours de la bagarre je détruis sa maison, il détruira la mienne à son tour. A quoi ça nous avancera puisque lui et moi habi-tons ces maisons ? Le dialogue est une arme autrement plus effi cace et c’est ce que le fi lm nous rappelle : je n’ai pas à aimer mon voisin mais lui et moi devons réussir à vivre ensemble et à nous respecter. Avez-vous pu rencontrerNelson Mandela ?Malheureusement pas. Il était déjà trop malade. Et Winnie Mandela ? Je ne l’ai vue qu’une fois le fi lm ter-miné. Nous avons dîné ensemble. Une femme très charmante, formi-dable. Elle m’a beaucoup parlé de
Mandela, en insistant sur sa drôle-rie, son coté séducteur, sa sévérité parfois. Elle était heureuse que le fi lm ait montré ses aspects qu’elle trouvait absents des autres fi ctions qui ont été consacrées à son mari. Elle ne souhaitait pas évoquer les différends politiques qui les ont opposés ; plutôt les choses intimes, son caractère. Mandela insiste beau-coup dans son livre sur le fait qu’il est un homme complexe, aux mul-tiples facettes. Tout le monde pense que c’est un saint mais ce n’en est pas un : quoiqu’il fasse partie des quelques personnes qui ont marqué le siècle, c’est un homme bien réel. Vous évoquiez les autres fi lms qui ont été réalisés sur Mandela. Les avez-vous visionnés ? Non. Je ne voulais pas courir le risque d’imiter Danny Glover et Morgan Freeman qui l’avaient interprété (1).Comment quitte-t-on un tel personnage?Je n’en suis pas encore sorti. C’est un rôle tellement énorme ; un tel privilège de l’avoir interprété et une telle responsabilité. On se pose des questions. Qu’ai-je fait, moi, petit acteur, pour changer le monde ?
Est-ce que le fait d’avoir incarné un homme pareil peut rendre meilleur ? Je l’espère. Les jeunes sont-ils toujours aussi marqués que leurs aînés par Mandela ?Ils savent et apprécient ce qu’il a fait pour le pays. Et éprouvent encore aujourd’hui un immense respect pour lui, même si tous ne parta-gent pas absolument ses idées. Sur le plateau, beaucoup d’entre eux étaient là pour faire de la fi guration. Ils m’ont énormément encouragé : leur enthousiasme était contagieux. Avez-vous des projets? « The Gunman », un fi lm de Pierre Morel sur les enfants soldats. J’y interpréte-rai un commandant qui encourage les enfants à s’enrôler dans ses rangs et à se battre. Un type affreux. C’est aussi ça, la vie d’un acteur. Vous menez une carrière internationale. Où avez-vous posé vos valises ? Nulle part. Je n’ai plus de maison, je vis dans une caravane. Elle est garée en bas, près de l’hôtel. Je suis un citoyen du monde.
(1) Dans « Mandela » en 1987 et
dans « Invictus » en 2009.
REPÈRES 1972.Naissance à Londres.2002-2004.Série « The Wire » (« Sur écoute »).2005.« Quelques jours en avril », de Raoul Peck (téléfi lm).2009.Série « The Offi ce ».2010-2013.Série « Luther ». 2011.« Thor ». 2012.« Prometheus », de Ridley Scott.
Mandela, un long chemin vers la liberté • 54 • Mandela, un long chemin vers la liberté
Il a de faux airs de Yasser Arafat. Même barbe et même moustache drues et clairsemées, mêmes yeux globu-leux, même regard noir intense : une tête de leader. Casquette de base-ball vissée sur la tête, Anant Sigh est un personnage de roman. Issu de la troisième génération d’immigrants indiens d’Afrique du Sud et désigné à ce titre comme « citoyen de cou-leur » par le gouvernement de l’apar-theid, il parle couramment le magahi et n’a jamais transigé sur ses objec-tifs. Engagé très jeune dans la lutte anti-apartheid, il s’est mobilisé pour faire entendre la voix des cinéastes sud-africains dans le monde – dont la plus connue, celle de Darrell Roodt, avec « Place of Weeping » (1986), « Sarafi na ! » (1992) et « Pleure ô pays bien aimé » (1998). Premier produc-teur à dénoncer la situation politique de son pays, il est aussi le premier à s’être frayé un chemin à Hollywood en
tissant des liens puissants avec les studios et en se faisant depuis peu l’ambassadeur des Cape Town Film Studios dont il est copropriétaire. A la tête d’un catalogue de plus d’une soixantaine de fi lms, codirecteur d’une station de radio (Smile FM), l’homme est bardé de titres honorifi ques – lau-réat du Crystal Award du Forum écono-mique mondial et du Lifetime Founder Member Award, du Nelson Mandela Children’s Fund, docteur honorifi que des universités de Durban-Westville et Port-Elizabeth, récompensé en 2006 par le Word Visionary Award pour sa
contribution au cinéma international et ses productions engagées –, la liste est infi nie, comme les fonctions mul-tiples qu’il occupe en Afrique du Sud et ailleurs. On l’a compris, il pèse son poids d’infl uence et de mystère. Anant Singh situe le début de l’aven-ture de « Mandela, un long chemin vers la liberté » à la fi n des années quatre-vingt. A 30 ans, producteur
depuis peu, il brûle de consacrer un projet à celui dont la libération semble désormais quasi certaine. « Je lui ai écrit à la prison de Pollsmoor, dans la banlieue du Cap où il était alors incarcéré, en évoquant la pos-sibilité de tirer un fi lm de son histoire, raconte-t-il. Madiba m’a répondu par l’intermédiaire d’un ami : “Pensez-vous que quelqu’un aurait envie de voir un fi lm sur moi ? ” Son humilité est incroyable. » Le producteur sait-il déjà que Mandela rédige ses Mémoires ? Singh ne s’étend pas. L’ancien militant aime
cultiver ses jardins secrets et réserve à tous le même discours. « Pour les combattants que nous étions, Mandela était une icône. »Il va le rencontrer début avril 1990, six semaines après sa libération. L’entrevue se déroule chez Fatima Meer, activiste anti-apartheid comme lui, et auteur d’une biographie sur Mandela – « Higher than Hope ». Les
deux hommes se plaisent, devien-nent amis. Quatre ans plus tard, Anant Singh sera l’un des premiers auxquels Mandela montre le manuscrit de ses Mémoires – « Un long chemin vers la liberté ». Et le seul à obtenir, l’année suivante, en 1995, les droits d’en tirer une adaptation, une fois le livre publié. La bataille a été rude, les enchères conséquentes, mais Singh a eu le der-nier mot. « Nelson Mandela considérait que seul un Sud-Africain était à même de mettre son histoire en images. Il avait vu mes fi lms, les avait appréciés et me donnait sa confi ance. »Pour s’en montrer digne, cet homme pressé a dû apprendre à réfréner sa nature et adopter la vitesse du diesel. Quel genre de fi lm faire ? Avec quels moyens ? Il lui faudra seize ans pour trouver les réponses. « La biographie de Mandela s’arrête en 1994 lorsqu’il est élu président. Comment conden-ser quatre-vingts ans d’une vie ?, dit-il. Je ne voulais pas seulement montrer le leader politique, je souhaitais parler du Mandela intime et expliquer l’inci-dence de l’histoire sur son propre des-tin. Mandela est un être complexe. Il insistait beaucoup sur le fait qu’il ne souhaitait surtout pas être présenté comme un héros. “Je suis comme tout le monde, j’ai des forces et aussi beau-coup de faiblesses”, me répétait-il. »
Pour le scénario, Singh fait appel à William Nicholson qui cumule les casquettes d’écrivain, de réalisateur et de scénariste. Les deux hommes se connaissent et s’apprécient. Et, surtout, le producteur voit en lui l’opportunité de donner un impact international au projet. Nicholson se met au travail. Il lui faudra rendre cinquante fois sa copie avant de voir la satisfaction s’affi cher sur les traits de son commanditaire. Entre-temps, d’autres scénaristes et d’autres écrivains auront également mis leur science au service du pro-jet. « C’était le temps de gestation nécessaire », estime aujourd’hui le producteur qui, à la même époque, ferraille ferme pour trouver des fi nancements internationaux tout en gardant le contrôle du fi lm. En Europe, Pathé est l’un des premiers
à s’engager sur sa distribution – la France est le premier pays euro-péen où il sortira le 18 décembre. En négociations depuis 1999, la Weinstein Company en a acquis les droits pour l’Amérique du Nord, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le Sud-Africain a pensé, un temps, faire jouer le rôle de Mandela à Morgan Freeman – qui l’interpré-tera fi nalement dans « Invictus », de Clint Eastwood (2009). Mais fi n 90, l’acteur est déjà trop âgé pour pré-tendre incarner le leader de l’ANC à l’époque du procès de Rivonia. Ce sera fi nalement Idris Elba, repéré en 2005 dans un téléfi lm de Raoul Peck. Justin Chadwick , dont il a pro-duit en 2009 « The First Grader », l’histoire authentique d’un vieux vil-lageois du Kenya et ex-militant Mau Mau qui a lutté pour obtenir le droit
d’aller à l’école et bénéfi cier ainsi de l’éducation qu’il n’a jamais pu s’offrir, est nommé à la réalisation. Et la jolie Naomie Harris, également de l’aven-ture de «The First Grader », enrôlée pour jouer Winnie Mandela. Anant Singh aime s’entourer de fi dèles. La boucle enfi n bouclée, Singh a le triomphe discret. Dès les premiers jours du tournage, qui s’est étalé sur cinq mois, Nelson Mandela, auquel il montrait régulièrement les rushes, a
manifesté son contentement. Début novembre à Johannesburg, lors de l’avant-première, les deux femmes de l’ancien président et ses deux fi lles ont, à leur tour, plébiscité son projet. Les pièces du puzzle enfi n réunies, on pourrait penser Singh apaisé. Il pour-suit au contraire son travail de militant. Ces dernières années, il a consacré cinq nouveaux documentaires à l’apar-theid et à Mandela. Défi nitivement consacré. Toujours militant.
ANANTSINGHTiTan MiliTanT
Par Marie-Elisabeth Rouchy
Il fallait un producteur sud-africain d’une sacrée trempe pour réaliser l’impossible : condenser en seulement deux heures et demie l’incroyable destin du héros de la lutte anti-apartheid. Récit.
« Je ne voulais pas seulement montrer le leader politique, je souhaitais parler du Mandela intime (…) »
I
REPÈRES 1956.Naissance à Durban.1974.Acquiert une boutique de location de fi lms
en 16 mm et passe à la distribution vidéo en créant Videovision Entertainment.
1984.Création de sa maison de production avec Darrell Roodt.1986.« Place of Weeping », de Darrell Roodt. 1992.« Sarafi na! », de Darell Roodt. 2001.« Mr Bones », de Gray Hofmeyr.2004.« Yesterday », de Darrell Roodt, est nominé pour le César
du meilleur fi lm étranger ; « Red Dust », de Tom Hooper.2010.« Le Plus Vieil Ecolier du monde »
(« The First Grader »), de Justin Chadwick.
Mandela, un long chemin vers la liberté • 76 • Mandela, un long chemin vers la liberté
TéléObs. Que représente Nelson Mandela pour vous ? Justin Chadwick. Il exprime l’espoir dans un monde chaque jour plus divisé par les inégalités. Ses convictions nous sont plus que jamais indispensables. Il me semblait que les nouvelles généra-tions devaient connaître son histoire. Vous aviez à peine 23 ans lorsqu’il a été libéré. Vous souvenez-vous de votre réaction ce jour-là? Avec mes camarades, nous bouillions de savoir à quoi il ressemblait après 27 ans passés en prison. Mais Mandela tardait à se montrer. Il y a trois ans, j’ai rencontré l’un des gardiens qui l’accom-
pagnait ce fameux 11 février 1991, et, enfin compris, grâce à lui, pourquoi nous avions attendu si longtemps pour le voir apparaître : Mandela refusait de sortir tant que Winnie ne serait pas arri-vée. En dépit des dissensions qui les animaient à ce moment-là, il refusait de sortir sans elle à son bras ! Or, Winnie était en retard… Cette anecdote m’a servi de déclic : leur relation était inex-tricablement liée à la lutte contre l’apar-theid. Elle devait être au cœur du film. Vous avez commencé par refuser le film… …Avant de me raviser très vite. Anant avait tissé des liens si forts avec l’en-tourage de Nelson Mandela qu’il m’a été facile de rencontrer à mon tour sa famille et ses compagnons de cap-tivité. J’ai pu interroger les gardiens qui l’avaient côtoyé, des policiers et des avocats. Dans chacun des camps, des hommes et des femmes m’ont aidé à forger l’histoire que je voulais raconter. Beaucoup de livres ont été consacrés à Mandela mais le contact que j’ai eu avec ces gens a beaucoup contribué à me rendre plus familier cet homme exceptionnel.
L’avez-vous rencontré? Oui et c’est un moment que je garde-rai toujours présent dans ma mémoire. Mandela a changé ma vie. Vous êtes né à Manchester. Vous sentiez-vous légitime pour retracer la lutte anti-apartheid ? J’avais un regard extérieur, j’étais sans a priori. J’ai passé une année à sillonner le pays, observer et écouter ses habitants en m’efforçant de cerner leur vérité au plus près. Il n’était pas question de les trahir : devant et derrière la caméra, des hommes et des femmes rejouaient leur histoire. Je voulais que le film leur res-semble ; qu’il leur soit fidèle. Vous avez également effectué des recherches dans les archives de la fondation Mandela. J’ai pu visionner des films dans lesquels on voit Winnie Mandela juste après qu’elle a été libérée, après dix-sept mois passés à l’isolement. Ce sont des images d’une violence incroyable qui témoignent des mauvais traitements dont elle a été victime. Winnie, à ce moment-là, est une femme brisée. Après avoir découvert ces archives, je l’ai regar-dée d’une façon tout à fait différente.
Quels changements avez-vous apporté au scénario de William Nicholson? William et moi sommes repartis de zéro en nous concentrant sur l’histoire d’amour qui lie Winnie et Mandela. Nous voulions montrer ce que la lutte anti-apartheid avait coûté à Mandela et à sa famille. Comment condenser les Mémoires de Nelson Mandela en 2h30 ? Impensable de privilégier une période en particulier ou de passer un évé-nement sous silence. Avoir un fil conducteur nous a beaucoup aidés : il s’agissait de coller au plus près de la réalité, d’être didactique sans virer à la leçon d’histoire. Vous faites passer, dans le film, un vrai sentiment d’urgence. Tourner en Afrique, c’est un peu partir à l’aventure. Les paysages y sont hors du commun et les gens ont une vitalité et une énergie que j’adore. « Mandela » est un film indépendant qui a l’ambi-tion d’un film hollywoodien et réussit à réunir l’épique et l’intime. J’ai espoir qu’il tienne tête aux blockbusters améri-cains. Il est capital de faire de la place à d’autres cultures dans les salles.
REPÈRES 1968.Naissance à Manchester.2008.« Deux sœurs pour un roi ».2010.« Le Plus Vieil Écolier du monde ».2013.« Mandela, un long chemin vers la liberté ».
JUSTINCHADWICK«Mandela a changé Ma vie»
Propos recueillis par Marie-Elisabeth Rouchy
En s’attaquant à l’adaptation d’« Un long chemin vers la liberté », après avoir retracé le destin d’un opposant kenyan dans « Le Plus vieil Ecolier du monde », Justin Chadwick ouvre un nouveau chapitre dans la lutte pour l’égalité.
8 • Mandela, un long chemin vers la liberté