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9 7 7 1 2 2 0 6 3 5 0 0 6 I S SN 1 2 2 0 - 6 3 5 0 3 (281) / 2011 3 (281) / 201 1 La littérature migrante de Eugen Simion Literatura român "migrant " ă ă de Gisèle Vrãnceanu Vanhese, Pierre Brunel, Alexandra , Danilo de Salazar, Richard Thomas Kidder, Annafrancesca Naccarato, Roberta de Felici

La littérature migrante Literatura română migrant ă

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La littératuremigrante

de Eugen Simion

Literatura român"migrant "

ăă

de Gisèle

Vrãnceanu

Vanhese,Pierre Brunel,

Alexandra ,Danilo de Salazar,

Richard Thomas Kidder,Annafrancesca Naccarato,

Roberta de Felici

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3/2011

FRAGMENTE CRITICE

Eugen SIMION: La littérature migrante (I) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

LITERATURA ROMÂNÃ "MIGRANTÃ"

Gisèle VANHESE: Dans la houle des migrantes paroles. Poésie et exil chez

Benjamin Fondane et Paul Celan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Pierre BRUNEL: L'étranger et l'étrange d'une litterature de l'emigration. . . . . . . . . . . . . . 18

Alexandra VRÃNCEANU: Teme specifice literaturii migrante în proza

lui Dumitru Þepeneag . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Danilo DE SALAZAR: „Cresc înapoi". Agalja Veteranyi: Regressus ad uterum

ºi premisele unei sinucideri. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Richard Thomas KIDDER: «Like a prisoner in a cage»: Aspects of poetic language

and the condition of writing in Andrei Codrescu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

Annafrancesca NACCARATO: Benjamin Fondane et le gouffre de la parole . . . . . . . . . . 58

Roberta DE FELICI: La comparaison rhétorique dans Dina de Felicia Mihali . . . . . . . . . . 69

1

CUPRINS

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2

Acest numãr a apãrut cu sprijinulPrimãriei Sector 2 - Bucureºti,

primar Neculai Onþanu

În numerele 3 ºi 4 ale revistei noastre publicãm lucrãrile colectivului organizat de Universitatea din Callabria în colaborare cu Institutul "G. Cãlinescu"

al Academiei Roimâne ºi Fundaþia Naþionalã pentru ªtiinþã ºi Artã. Tema colectivului este "Literatura românã migrantã".

Redacþia "Caietelor Critice" þine sã mulþumeascã Dnei profesoare Gisèlle Vanhese, ºef de catedrã de românã

la Universitatea Consenza (Callabria) care a organizat acest colocviu.Dna Gisèlle Vanhese coordoneazã împreunã cu Acad. Eugen Simion

volumele.

Redacþia

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Il n’y a pas longtemps, j’ai participé à unColloque sur la littérature migrante, organ-isé par Gisèle VANHESE, Professeur de lit-térature française et roumaine à l’Universitéde Cosenza (en Calabre). Littérature mi-grante ou migratrice ? Je débats de cettehésitation avec les « roumanistes » là pré-sents (Rodica Zafiu et Alexandra Vrãncea-nu), mais on ne parvient pas à une solutionunanimement acceptée. Ce qui est sûr, c’estque la littérature migrante ne s’identifieaucunement à la littérature de l’exil ou à lalittérature en exil. Cette dernière, et là je faisune tentative de tirer cette question au clair,comporte une dimension politique, alorsque la littérature migrante a, de par ses orig-ines, d’autres raisons d’être. Des raisons his-toriques, sociales et, surtout, existentielles.

De toute façon, il s’agit d’un concept, rel-ativement récent et, lorsque j’essaie dem’édifier davantage sur sa nature esthé-tique, je constate que les définitions, déter-minations, enfin, commentaires faits à ce

jour par les comparatistes sont, théorique-ment, approximatifs. D’aucuns le compar-ent à « la coolitude » (coolie est le terme –péjoratif à l’origine – donné aux ouvriersindiens obligés à travailler sur l’îleMaurice), qui, à son tour, est mis en liaisonavec la « négritude » (terme, concept inven-té par le poète martiniquais Aimé Césaire etaccepté, de nos jours, par l’histoire de la cul-ture). « La négritude à l’indienne » donc, àcela près que le phénomène ne se limite pasà un peuple, une race ou une certaine reli-gion, mais englobe un espace spirituel etimplicitement géographique, indéterminé,id est universel. Autrement dit, « la cooli-tude » s’affirme partout en Europe, enAfrique, aux Etats-Unis et, certes, en Asie…La revue « Missives », coordonnée parJosette Rasle, a dédié en 2004 un numéro à« la coolitude » et, à lire les textes là repro-duits, j’en infère que les descendants desIndiens de l’île Maurice se sont éparpillésentretemps partout dans le monde et,

3

Fragmentecritice

Eugen SIMION*

La littératuremigrante (I)**

In the first part of his article, the author relates a few impressions about the colloquium about the"Migrant Romanian Literature" organized between the 27th and the 28th of May 2010 at theCalabria University from Cosenza. In the second one, he speaks about a photo, which is eloquentfor the subject matter of the above mentioned theme. We refer to the picture mad in the PlaceFürstenberg (Paris, 1977), with Mircea Eliade, E. M. Cioran and Eugène Ionesco. The three leftthe native country and obtained consecration.

Keywords: Romanian Migrant Literature, Place Fürstenberg (Paris, 1977), Mircea Eliade, E. M.Cioran, Eugène Ionesco.

Abstract

* Academia Românã** Prezentãm în numãrul de faþã lucrãrile Colocviului "La letteratura romena migrante", organizat de

Universita della Calabria (Italia) în zilele de 27 ºi 28 mai 2010.

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lorsqu’ils deviennent écrivains, ilsexploitent l’imaginaire collectif où semélangent les histoires, les cultures, lesexpériences individuelles et linguistiques…Une forme, pourrait-on dire, de multicul-turalisme ou de transculturalisme manifestédans des langues de circulation universelle,surtout en anglais. « La coolitude est la forcepolitique que j’attendais », avoue Césaire en1997, qui – nous sommes avertis – avaitdéchiffré un élément « coolie » aussi dans sapoésie, de même que Saint-John Perse(Alexis Saint-Léger)… I. M. G. Le Clézio,qui se considère lui-même comme « unerrant de la littérature » (né à Nice de père« mauricien »), observe, dans une préface auroman de V. S. Naipaul (écrivain représen-tatif pour le phénomène de la coolitude) quela littérature issue de ce milieu exprime undésespoir intelligent et amer, est ironique etsarcastique (un sarcasme, dit-il, sombre et,en même temps, comique, enfin, l’ironie etle sarcasme n’empêchent pas pour autantles mythes et les obsessions originaires de semanifester). « C’était comme si elle com-mençait en Inde – écrit le prosateur français– en faisant référence au peloton indien, leplus nombreux et le plus expressif à l’in-térieur de ce processus répandu sur tous lescontinents – mais une Inde compliquéeénormément, comprimée, ramenée à ladimension d’une île »…

Ainsi donc : mythes, désespoir, sarcasmeténébreux, ironie intelligente, jeu de mots,une note de rancune, roublardise et, fatale-ment, désir de revanche… En quelle langue,je me demande, un auteur de la sphère de lacoolitude exprime-t-il cette expérience ? Et,surtout, quelles chances a-t-il de voir sa lit-térature s’imposer et, une fois encore, dansquel espace culturel ?...

*Prenons le cas des écrivains roumains

qui ont quitté la Roumanie au siècle dernier,pour une raison ou autre. Deux mots,d’abord, sur la génération des « gran-des dames » : Anna Elisabet de Noailles(Anna de Bibesco-Brâncovan), HélèneVacaresco et Marthe Bibesco, toutes enprovenance de l’aristocratie franco-rou-

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maine. Leur œuvre est écrite en français.Leur wagon Orient-Express est facilementdépistable. Anna de Noailles tient à Parisun salon que visitent, entre autres, Proust etValéry, et sa poésie, d’une grande sensibil-ité, tardivement romantique, exalte en tonspresque mystiques (ses commentateurs par-lent d’une sensualité extrême, voire d’unmysticisme de la nature !), les couleurs et lesparfums du réel…

Née et élevée en France, sa langue est lefrançais, de même que le français constituetout son état d’esprit. Seule son origineprincière est roumaine… Hélène Vacaresco(1866 – 1947), la nièce de Iancu Vacarescu –poète marquant les débuts du préroman-tisme roumain non encore détaché dessources classiques et byzantines de l’Orienteuropéen – écrit son œuvre poétique (LeRhapsode de la Dâmbovitza et Chants d’amour)en français et en tant que diplomate et fonc-tionnaire européen qui parle et écrit avec lamême élégance en français et en roumain.Comme Marthe Bibesco. En réalité, lewagon littéraire du train que nous venonsd’évoquer (le luxueux, déjà mythiqueOrient-Express), circule à sens unique, sur-chargé de bagages, cela est vrai pour ElenaVacarescu, de bon nombre de fantasmes etde tableaux idylliques du pays d’origine.C’est le moment où l’Europe intellectuellefonctionnait encore sur l’heure française, etl’aristocratie roumaine pense que l’univer-salité commence à Paris…

Et elle n’était pas la seule : les écrivainsde la génération 1848 (Vasile Alecsandri,Michaïl Kogalniceanu) avaient fait leursétudes en France et leur langue de commu-nication internationale était le français. Unegénération plus tard (la génération de TituMaiorescu et de Mihai Eminescu), l’alle-mand devient la culture de référence.Maiorescu écrit une large part de son jour-nal intime en allemand, comme IacobNegruzzi. Les symbolistes, leur avant-coureurs Macedonski en tête, s’oriententencore vers la France et, implicitement versles cultures de la latinité (Arghezi, Bacovia,Ion Pillat, Eugen Lovinescu), suivis par lesprosateurs modernes, fascinés par Gide etProust (Hortensia Papadat-Bengescu, Camil

Petrescu, Anton Holban, Mihail Sebastian,etc.). Blaga mise sur la philosophie et lalyrique allemande, Mircea Eliade va en Indeet, dans ses premiers exercices épiques,imite Gide, puis Joyce et, généralement, leroman anglo-saxon. Il n’abandonne paspour autant, dans sa littérature, le roumain.Ion Barbu fait ses études de mathématiquesen Allemagne, mais suit la filière françaisedans sa poésie, enfin, George Calinescu estitalianisant et tente de définir « l’espritnational » (roumain). Il écrit, comme ceuxcités auparavant, en roumain, uniquementen roumain. Obstination qu’on lui areprochée et qu’on lui reproche encore dansla critique roumaine parce que, certains l’af-firment, l’universalité ne peut être gagnéeen écrivant dans une langue de circulationrestreinte. Une dispute qui continue de nosjours encore, quand « la migration » est dev-enue, non seulement dans le domaine de laculture, un mode de vie.

Cette parenthèse historique fermée,revenons à la littérature migrante plusproche de nous. On cite, par exemple, le cas

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de B. Fundoianu (Benjamin Fondane) et Ila-rie Voronca qui, arrivés en France respec-tivement dans les années ’20 et ’30, ont écritdans la langue d’adoption après avoir laisséun œuvre remarquable en roumain (Voron-ca, ses poèmes imagistiques, qui avaientdéjà créé une petite école lyrique, et Fundo-ianu les essais, et, surtout, ses splendidespoèmes existentialistes de Paysages). Leprocessus s’amplifie après la Seconde Gue-rre Mondiale, pour des raisons politiquessurtout. Il y a plusieurs vagues de migrationintellectuelle, de Constantin Virgil Gheor-ghiu à Petru Dumitriu (1960), D. Tsepeneag,Virgil, Tanase, Paul Goma, Dorin Tudoran,Norman Manea, Bujor Nedelcovici, MateiVisniec, Gabriela Melinescu, etc. Je nesaurais les citer tous, ils ne me viennent pastous à l’esprit. Ce qui est sûr, c’est que, dansles années ’80, il y avait à Paris, par exem-ple, un nombre suffisant d’écrivains pourformer une Association des EcrivainsRoumains en Exil (ou quelque chose en cegenre). Nicolae Breban les rejoignit, qui, enrejetant les Thèses de juillet 1971, a été démisde sa fonction de directeur de la revue LaRoumanie littéraire. Il est resté un an enOccident, après quoi il revint au pays, encontinuant à écrire, avec certaines diffi-cultés, son œuvre. Après 1990, d’autresécrivains ont quitté la Roumanie, plusjeunes, autrement motivés. La « migration

culturelle » est devenue un phénomènecourant.

Quel est le statut réel de ces écrivains ? Ildiffère d’un cas à l’autre, en fonction de lalangue dont ils usent dans leurs écrits. Ce« passage » devient un thème épique dans leroman de D. Tsepeneag Le mot sablier (1984),écrit en deux langues (roumain et français).Il note ainsi, sur le vif, le drame du change-ment de l’écriture d’une autre manière etavec d’autres arguments que Cioran nel’avait fait quelques décennies plus tôt(Changement de langue = changement d’i-dentité). Après l’effondrement du régimecommuniste, une partie de ces écrivainsreviennent à la langue initiale. D. Tsepeneagcontinue à écrire ses proses expérimentaleset ses articles, tantôt en roumain, tantôt enfrançais. Au moment de noter ceci, il vientde publier un nouveau roman (Le camionbulgare), écrit à Paris en roumain et publiépar une maison d’édition de Iasi. Un autreprosateur important de la génération desannées ’60, Virgil Tanase, membre lui aussidu groupe onirique dans sa jeunesse, écritlui aussi, sans difficulté, en deux langues.Les éditions Gallimard viennent de publiersa biographie de Camus, après que, deuxans plutôt, elles avaient publié, toujours delui, une biographie de Tchékhov.

Une fois de plus : à quelle littératureappartiennent ces écrivains ? Quel est leur

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statut ? Mais celui de Herta Müller,représentante d’une population allemandedes environs de Timisoara, réfugiée enAllemagne et distinguée du Prix Nobel delittérature ? Mais les écrivains juifs deRoumanie qui, en débutant en roumain,sont partis en Israël où ils continuentd’écrire en roumain ? Vasko Popa a écrit et apublié ses premiers poèmes en roumain et apassé ensuite au serbe (langue officielle del’Etat où se trouvait sa province natale), endevenant le plus important poète serbe del’après-guerre ?! Mais Vintila Horia, distin-gué en 1970 du Prix Goncourt pour leroman Dumnezeu s-a nascut in exil (Dieu estné en exil) – prix qui ne lui fut pas remispour des raisons concernant ses optionspolitiques de jeunesse ? Le poète HoriaStamatu s’est réfugié après la Guerre enAllemagne et a continué à écrire des vers enroumain. Paul Celan a publié quelquestextes en roumain, immédiatement après laSeconde Guerre Mondiale, puis est parti enAllemagne Fédérale, où il devint un grandpoète d’expression allemande. Il s’est sui-cidé à Paris, en se jetant dans la Seine.Quelle est, je le répète, leur condition ?Entrent-ils ou non dans l’espace de la lit-térature migratrice ?...

Je ne m’empresse pas de donner uneréponse globale, ni catégorique. Chaquenom est une destinée et, puisqu’il s’agitd’écrivains, chaque destinée a derrière elleune langue ou plusieurs. En écrivant en uneautre langue, ont-ils automatiquementperdu leur identité ? La langue est-elle l’u-nique critère, lorsqu’il s’agit d’établir l’ap-partenance d’un écrivain à une littératureou autre ? Réponse : la langue est le critèreessentiel, mais non pas le seul. D’autres ter-mes entrent dans cette équation, comme lespoints de référence, la vision, le style et,surtout, ce que l’on appelle la patrie imagi-naire de l’écrivain. Une fois de plus : toutécrivain important présente un cas à étudi-er séparément. D’aucuns sont en exil,d’autres sont des réfugiés temporaires dansun autre espace culturel, voire dans uneautre langue, certains sont des dissidents,d’autres des opposants du régime totalitaireet, pour échapper aux représailles, choisis-

sent l’exil. Plus d’un se hâtent de changerd’identité, mais écrivent de la littératuredans leur langue d’origine (le roumain),comme Mircea Eliade, d’autres écriventdans leur langue d’adoption, sans essayerd’annuler leur identité. Il est des cas(Cioran, par exemple) qui, avec la langue,changent radicalement d’identité.

Quelle est la différence, je me demande,entre un écrivain en exil et un écrivainmigrateur ? Différence qui n’est pas desplus claires. Elle peut être déterminée parles raisons de l’exil, et la durée de l’exil estvariable. Les raisons sont brutalement poli-tiques dans le cas de l’écrivain en exil. Lechangement du régime politique hostile deson pays ne dépend nullement du poète oude l’essayiste en exil. Dans le cas de lamigration (du syntagme littérature migratriceque nous examinons ici), les causalités sontvariées, et les étapes et les formes de lamigration sont tout aussi imprévisibles. Unphénomène complexe de toute façon, tran-sculturel qui tend à s’amplifier en ce débutde siècle. Il engage non seulement lechangement de l’écriture, mais, éventuelle-ment, de l’identité culturelle et existentielle,mais aussi tout un système de références,religions, fantasmes, mythes à l’intérieur dela littérature. N’importe, si le XXe siècle peutêtre nommé, de ce point de vue, un siècle del’exil, le siècle qui vient de commencer s’an-nonce comme un siècle de la migration. Desmillions d’Européens de l’Est se sont instal-lés, après la chute du régime communiste,dans les pays plus riches de l’Ouesteuropéen. Ils emportent leur culture (y com-pris leur religion) et entrent dans une autreculture, tout en gardant, pour la plupart, debonnes relations avec leur pays d’origine.Quel sera le résultat, dans le temps, de cesaventures spirituelles, drames existentiels,révoltes désespérées et impuissantes ? Il està supposer que, à l’avenir – une ou deuxgénérations après, parmi les descendants deces individus établis ailleurs (pour desraisons économiques le plus souvent) – ilapparaisse des écrivains qui embrasseront,peut-être, les drames profonds, sur le planhumain, de l’immense processus du pas-sage d’une culture à une autre, à l’époquede l’informatique.

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Il existe un portrait visionnaire deBenjamin Fondane que Victor Baruner aréalisé en 1931. Un visage au cou tranchéd’où s’écoulent des flots de sang se détachesur un fond obscur. Unique autre élémentdans l’espace pictural, un “arbre dénudé etdécharné, aux racines apparentes etdesséchées”1 qui reposent sur le sol alorsque les branches s’étendent dans l’air. Dansson étude sur cette peinture, CamilleMorando relie ce dernier à l’Arbre de Vieainsi qu’à la Kabbale juive et en tire commeconclusion que “la tête décapitée et laprésence de cet arbre témoignent de larecherche d’une identité, roumaine et juive,humaine et mythique”2. Mais ne peut-ondiscerner aussi dans ce portrait toute la ten-sion entre l’enracinement et le déracinementque révèle l’œuvre française du poète? Têtedécapitée, privée de son corps (resté où? en

Roumanie?) d’où jaillit, malgré le sourire,une larme de sang. Eau stymphalisée parexcellence, eau du malheur, le sang coulerabien plus tard des yeux des Vignerons dansun poème de Paul Celan (Die Winzer). Arbrequi est aussi, surtout quand ses racines sontapparentes, le premier symbole du sol, dulieu natal. Il reviendra dans plusieurspoèmes de Paul Celan mais, cette fois, ren-versé car ses racines resteront dans les airs,image tragique de la Shoah.

Parlant de la phénoménologie de l’exil,Nicolae Balotã reconnaît que “l’archétypemême des drames de l’exil reste pour nous,pour notre culture, l’exil babylonien, ladéportation et la captivité du peuple juif”3.Même s’il avait choisi librement de partirpour la France, Fondane restera sensibletoute sa vie à la souffrance de l’émigrant oùil condense la douleur du destin juif qu’il

Literaturaromânã

"migrantã"

Gisèle VANHESE*Dans la houle des migrantesparoles. Poésie et exil chez

Benjamin Fondane et Paul Celan

Even though he had chosen freely to leave in France, Fondane feeled until his death the sufferanceof the immigrant, of a destiny inscribed in the biblical matrix of the babylonic exile and of theulyssian journey. Pertaining to the generation who left Romania because of the communist regime,Paul Celan passed through the labyrinth of the exile, where all paths gather. Their poems aknowl-edge, in different degrees, about the conflictual relations between the identity and the alterity.

Keywords: Benjamine Fondane, Paul Celan, exile, identity, alterity.

Abstract

* Université de la Calabre1 C. Morando, Le Portrait de Benjamin Fondane par Victor Brauner, «Cahiers Benjamin Fondane», n° 13, 2010,

p. 15.2 “Brauner fait sans doute référence au Livre de l’Arbre de Vie [Sefer Ets Hayym], dans lequel le rabbin et

kabbaliste du XVIe siècle, Isaac Louria, développe les enseignements de la Kabbale et décrit l’arbre desdix Sephiroth qui représentait la structure de l’homme et de l’univers ainsi que les interactions entrel’être infini et la création” (C. Morando, op. cit., p. 16).

3 N. Balotã, Exil linguistique et exil métaphysique, «Euresis», Exil et littérature. Écrivains roumains d’expressionfrançaise, n° 1-2, 1993, p. 12.

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Dans la houle des migrantes paroles

inscrira dans la matrice biblique de l’exilbabylonien et dans la matrice mythique dupériple ulyssien. Appartenant à la généra-tion qui quitta la Roumanie avec l’avène-ment du régime communiste, Paul Celan aconnu, lui, les vicissitudes de l’exil, espacelabyrinthique où se recoupent toutes lesroutes que le voyageur a suivies dans satraversée de l’existence. À des degrésdivers, leur poésie témoigne du rapportconflictuel de l’errance et du nostos, de l’in-familier et du familier, de l’altérité et de l’i-dentité car paradoxalement, comme l’ob-serve Balotã, “c’est dans l’exil que nousavons la révélation de l’ailleurs et que ladistance nous fait mieux voir nos sourceselles-mêmes situées dans un au-delà”4.

1. Benjamin Fondane. Exil et poétique de l’eau tristeUlysse, Titanic, L’Exode.... autant de titres

de recueils qui disent le départ, même sic’est bien souvent celui d’un “voyageentravé”5. Le périple du voyageuremprunte le plus souvent la voie de l’eaumortelle, bien que Fondane ait vu dans laroute de l’Exode le symbole absolu de l’er-rance migratoire6. En fait, la puissance del’eau tragique et mélancolisante est si fortequ’elle va constamment s’opposer à un élé-ment essentiel de la thématique exilique – lavoie désertique – pour la transformerfinalement en un fleuve. “L’atroce, l’infinie,l’âcre route” (p. 165) est parcourue par tousceux qui fuient les pogroms, la misère ou,comme dans le recueil fondanien de l’Exode,la guerre avec la fuite des soldats et descivils français devant les troupes alleman-des en juin 1940. À la différence du navire-arche, la route met en évidence, par sonaridité, la solitude et la déréliction del’homme. Elle provoque la soif qu’aucuneeau visible ne peut apaiser ni rédimer: “quidonc nous a trompés de soif / afin de nousvoler la vie / et nous jeter, transis, aux paysde la mort?” (p. 174).

Dans son analyse de la genèse complexedu recueil, Monique Jutrin observe que “leterme Exode désigne la sortie d’Égypte desHébreux, mais aussi l’émigration en massed’un peuple. Dans un sens plus restreint, ilest associé à la fuite des populations civilesdevant l’offensive allemande en 1940. Sil’Exode est l’événement fondateur du peu-ple juif, le sous-titre Super flumina babylonisrappelle l’expérience amère de l’exil baby-lonien. Le poème tout entier est animé de cemouvement antinomique, réunissant dansun même souffle l’exode et l’exil”7. L’exil

4 N. Balotã, op. cit., p. 21.5 Expression reprise à M. Todosin, Le Voyage entravé chez Benjamin Fondane et Blaise Cendrars, «Cahiers

Benjamin Fondane», n° 10, 2007, pp. 206-209. 6 B. Fondane, Le Mal des fantômes, Paris, Verdier, 2006. Toutes les citations de ce volume seront suivies

directement de la page. 7 M. Jutrin, “L’Exode. Super flumina Babylonis”: les phases d’une gestation, «Cahiers Benjamin Fondane», n°

13, 2010, p. 20.

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Gisèle Vanhese

prédomine nettement dans la vision fon-danienne (“Est-il un seul pays [...] / qui nem’ait pas chassé un jour?” p. 167) sur lemouvement de retour à la Terre promiseauquel se référait le terme biblique.

La poésie de Fondane témoigne de cebouleversement de l’espace où, pour lespopulations chassées, se perd tout repère,comme le révèle au même moment la poésieyiddish de l’anéantissement et de l’extermi-nation8. L’auteur va reprendre à la Bible unematrice formelle et spirituelle pour y couler,dans la réactualisation du schémaarchaïque, l’événement historique présentet l’énoncer en français. Le premier exilbiblique incarnera désormais tous les exils àvenir comme Fondane l’évoque, par uneimage bouleversante dans un brouillond’Ulysse rédigé en 1941. La route y est sub-stituée par les trottoirs, ceux de Paris où lepoète lui-même –“farine noire passée parles blutoirs” – est traqué:

Et nous fuyons toujours sur les trottoirs, le long des siècles, et le long des routes, farine noire passée par les blutoirs9.

Dès le sous-titre de L’Exode, Super fluminaBabylonis, reprise de la lamentation exiliquedu Psaume 137, Fondane lie les structuresarchétypales du déplacement tragique àl’eau triste telle que l’a définie GastonBachelard:

Sur les fleuves de Babylone nous noussommes assis

et pleurâmesque de fleuves déjà coulaient dans notre

chairque de fleuves futurs où nous allions pleurerle visage couché sous l’eau (p. 163).

Catherine Grün trace le net partage entrela marche et l’écoulement, “différences duesen premier lieu à la différence de degré de«participation» que ces deux gestes exigent

de la part du sujet: si le marcheur, lui, vainctour à tour la résistance de la matière ter-restre et sa propre inertie, la substance liq-uide, au contraire, entraîne elle-même l’êtredans son flux irrésistible”10. L’imaginaire del’eau, sous-tendant toute l’œuvre fondani-enne, semble se refléter dans l’extraordi-naire portrait que fit Victor Brauner deFondane, où domine l’eau des larmes et dusang. La présence obsédante, chez Fondane,du Fleuve et de son écoulement thématiseemblématiquement la diaspora juive.Comme l’affirme Catherine Grün, “le fleuveest le lieu d’identification d’un peuple dontl’histoire s’inscrit non pas dans l’espace,puisque cet espace se refuse à lui, mais dansla fluidité dangereuse du Temps”11.

8 R. Ertel, Dans la langue de personne, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 52. 9 Cité par M. Jutrin, Du mal d’Ulysse au mal des fantômes, «Cahiers Benjamin Fondane», n° 11, 2008, p. 125. 10 C. Grün, Le Symbolisme fluvial dans la poésie de Benjamin Fondane, «Cahiers Benjamin Fondane», n° 7,

2004, p. 99. 11 C. Grün, op. cit., p. 102. La critique ajoute que “l’image du fleuve est capable de polariser toutes les fig-

ures de l’eau («larmes», «sang», même la «mer», dans Ulysse, sont souvent remplacés par le fleuve)”.

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Dans la houle des migrantes paroles

À travers les multiples hypostases de lamer, du fleuve et des pleurs, l’eau est “l’élé-ment mélancolisant”12 par excellence: “Desfleuves nous touchaient fleuves de soli-tude” (p. 139). L’eau, affirme Gilbert Du-rand, est une “grande épiphanie de laMort”13. Le processus de “stymphalisation”éclaire pourquoi l’eau peut devenir lamatière même du désespoir. L’eau quis’alourdit – écrit Jean Libis – “«précipite»,au sens chimique, toutes les obscurités del’être, tout ce par quoi l’être quotidien-nement se défait, et notamment le jeu de lamémoire”14. Et lorsque, dans Ulysse, levoyageur se souvient, c’est à la rencontred’Ombres qu’il s’avance: “je suis encore làmais je parle aux fantômes” (p. 19) recon-naît Fondane, nouvel Ulysse d’une nekuyaterrible. Un Ulysse qui se spectralisera dansla vision finale: “Est-ce ton ombre – ou toi –qui s’est assise à ma table?” (p. 65). Lapoésie devient, chez Fondane, le “Mal desfantômes”, en une recréation fantasmatiquedu pays et des êtres perdus sur le modeexilique de l’ombre15. On retrouvera, chezCelan, ce même mouvement vers uneIthaque mémorielle et spectrale, rendueplus tragique encore par les morts de laShoah où le destin a assigné à Fondane lui-même une place inéluctable.

Déjà évoqué dans Ulysse comme “ville depetits Juifs accrochés à l’air” (p. 25) auxrésonnances chagaliennes en violente oppo-sition aux villes tentaculaires que le poèteconnaîtra au cours de ses migrations, le lieunatal se transmute, dans le cycle Radio-graphies de Titanic, en une “terre lointainetrempée par les étoiles” (p. 127). Plusieurspoèmes, évoquant la vie dans le Shtetl, mar-quent un retour vers la mémoire et versl’enracinement:

Les cloches dans les pures carafes des vil-lages

versaient le vin du soir (p. 214).

La maison sommeillait emplie de lavandesonore. J’écoutaisles lèvres s’amasser au secret de l’amande,et le passé dans les portraits (p. 216).

L’imparfait, ce temps de l’exil – selonProust – nous y présente “la vie commequelque chose d’éphémère à la fois et depassif, qui, au moment même où il retracenos actions, les frappe d’illusion, les anéan-tit dans le passé, sans nous laisser comme leparfait, la consolation de l’activité”16.Fondane retrouve ici le paysage naturel ethumain des Priveliºti, mais obsédé cette foispar le désespoir et la douleur. L’exode seprésente, chez lui, comme le retour impossi-ble à Ithaque, lieu natal ou nouvelle terrepromise (Amérique, Amérique p. 54). Sous lamalédiction du “long Dimanche de l’his-toire”, le voyage devient tragiquementfuite, persécution, déportation.

L’eau s’ouvre alors sur un horizonfunèbre, Fondane retrouvant le schèmearchétypal de la navigation mortelle, de lamort considérée comme traversée. “La Mortne fut-elle pas le premier Navigateur?” sedemande Bachelard. “Tout un côté de notreâme nocturne s’explique par le mythe de lamort conçue comme un départ sur l’eau”17.Unissant l’appel de Baudelaire dans LeVoyage et le Bateau ivre de Rimbaud, Fon-dane assimile le poème à un bateau fantômeet l’écriture à l’ultime navigation. L’eaus’hypostasie en frontière de l’Au-delà;Ulysse coïncide, comme l’affirme Jean Libis,avec ce “nautonnier, insaisissable, quiobsède la culture occidentale”18:

Le temps est fini. On commenceun autre voyage. Mais là

12 G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Paris, Corti, 1979, p. 123.13 G. Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Parigi, Dunod, 1984, p. 104.14 J. Libis, L’Eau et la mort, Figures Libres, Dijon, EUD, 1993, p. 75.15 Consulter É. Freedman, qui donne une autre acception à cette expression complexe, dans “Le Mal des

Fantômes”: interprétations d’un titre, «Cahiers Benjamin Fondane», n° 7, 2004, pp. 113-115. 16 M. Poust, Pastiches et mélanges, dans Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, “Bibliothèque de la Pléiade”,

1971, p. 170.17 G. Bachelard, op. cit., p. 103.18 J. Libis, op. cit., p. 114.

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nous voyageons ensembledans un poème dont je suis le piloteen un temps, en un temps où il n’y a pas de

temps (p. 247).

Fondane retrouve, par ailleurs, le senspremier du terme hébreu (ivri) qui se réfère,selon André Néher, à une expérience depassage et se somme ainsi à la significationprofonde du mythe homérique19. Chez lui,Ulysse va en fait coïncider avec le Juiferrant, équation spirituelle que propose levers: “Juif, naturellement, tu étais juif,Ulysse” (p. 20). “Le Juif Errant – note JeanBrun dans Les Vagabonds de l’Occident – estainsi l’image même de l’homme qui, surl’horizontalité du monde, ne trouve jamaisque l’ombre de ce qu’il cherche. À chaqueinstant il fait l’épreuve de l’Incommen-surable, l’épreuve qu’il n’y a pas ici-bas deport possible. Il est celui en qui s’incarne, defaçon privilégiée, cet être de la diaspora per-pétuelle que l’homme ne cesse d’être”20. Lemythe subit ici une mutation irréversible,Fondane récusant la circularité de l’erranceulysssienne qui s’inscrit “dans la visiongrecque de l’univers selon laquelle lemonde est clos et pour qui finitude est syn-onyme de perfection”21. Il prend alors actequ’un nostos n’est plus possible:

la sortie de l’Égypte n’était-elle qu’une figurede cette fuite éperdue le long de l’histoire

future,et Jérusalem n’était-il que symbole et que

fablede ce havre qu’on cherche et qui est introu-

vable? (p. 33)

Le silence de Dieu et la solitude del’homme – deux thèmes fréquents dans lapoésie de Fondane – ponctuent l’échec duvoyage, en particulier dans Titanic, où lesmétaphores du naufrage représentent, sur

le mode apocalyptique, la déréliction duMoi et de l’être. L’exil devient alors onto-logique comme l’avait pressenti Baudelaire,la rupture géographique ouvrant sur unerupture métaphysique:

Et je pense à l’effroi de ma propre existenceà la fuite éperdue qui me ramène à moi,à ce goût du voyage dont je reviens plus

pauvre,à cette soif des hommes dont je reviens

gelé... (p. 126).

2. Paul Celan. Le Méridien et la Colchide

Lorsqu’en 1947 Paul Celan quitteBucarest pour émigrer à Vienne et ensuite àParis, il ne reverra plus jamais la Roumanie.Malgré la tragédie de la Shoah, où sa famillea été déportée et anéantie en Transnistrie, ilse souviendra toujours avec passion de sonlieu natal, “une contrée où vivaient deshommes et des livres”22, comme il le dira dansle Discours de Brême. Cette contrée se con-fondra pour lui avec la Colchide mythique,espace de sortilèges et de hantises, en unetransfiguration de la Roumanie perdue.

Dans une lettre de 1962, il demande àPetre Solomon de dire à leur ami communSperber “que je me trouve, avec mon méri-dien – parent du tien, Petricã – exactementlà d’où je suis parti”23. Mais c’est surtoutdans son important discours Le Méridienque Celan éclaire le sens profond et subjec-tif de ce terme. Comme dans le Discours deBrême, il revient sur l’“endroit natal” qu’ilassocie explicitement à l’enfance bucovini-enne: “Je recherche également, puisque, ànouveau, j’en suis au début, le lieu de maprovenance. Je les recherche d’un doigt malassuré, parce qu’anxieux, sur la carte – carted’enfant, à dire vrai, la seule que je pos-

19 Cité par M. Bilen, Le Sujet de l’écriture, Paris, Édition Greco, 1989, p. 89.20 J. Brun, Les Vagabonds de l’Occident, Paris, Desclée, 1976, p. 22. 21 J. Brun, op. cit., p. 19.22 P. Celan, Ansprache anläßlich der Entgegennahme des Literaturpreises der Freien Hansestadt Bremen. Discours

de Brême, dans P. Celan, Poèmes, Traduits et présentés par J. E. Jackson, suivis d’un essai sur la poésie dePaul Celan, Paris, José Corti, p. 193.

23 Lettre en roumain publiée dans P. Solomon, Paul Celan. Dimensiunea româneascã, Bucureºti, Ed.Kriterion, 1987, p. 218.

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sède”. L’écrivain se penche ainsi sur unecarte géographique imaginaire à larecherche d’une topographie secrète etrévèle, en conclusion, ce qui relie le poème àson substrat originaire. Chez Celan, leMéridien – ici roumain – est ce lieu fantas-matique dont les textes gardent les vestigescomme en un palimpseste:

Je découvre ce qui lie, et finalement amène, lepoème à la Rencontre. Je découvre quelque chose– à l’instar de la parole – immatériel, mais ter-restre, de ce sol, chose ayant forme de cercle, etqui, passant de pôle à pôle, fait sur soi retour etintersecte – posément – tous les tropes –: jedécouvre... un Méridien24.

La géographie intérieure de l’auteurapparaît comme irrémédiablement scindéeentre la Bucovine natale et l’Occident –Vienne puis Paris – où Celan s’établira défi-nitivement. Loin de disparaître et d’êtreremplacé par les mirages de la Ville-Lu-mière, le pays natal va resurgir de manièrespectrale dans toute son œuvre. Il a fallu,écrit Giuseppe Bevilacqua, que le poète tra-verse la mort et la tragédie du génocidepour retrouver le seuil inoublié de la pre-mière existence, “l’Itaca che è stata inghiot-tita dal mare della storia”25. Le critique par-lera aussi de “struggenti tarde rievocazionifantastiche”26 de la patrie perdue, sanstoutefois les repérer et les analyser.

C’est le recueil Von Schwelle zu Schwelle(De seuil en seuil), dédié à Gisèle deLestrange, qui éclaire exemplairement l’os-cillation significative du poète entre deuxseuils, synecdoques de ses deux patries:d’un côté, le seuil français où, avec sa jeunefemme, il va édifier une nouvelle famille et,de l’autre, le seuil roumain, qu’il ne reverraplus mais qui hantera toute son œuvre.C’est ainsi que dans Mit wechselndemSchlüssel (D’une clé qui change), le Tu – dou-ble du poète – possède une clé changeante

qui lui permet d’ouvrir l’ancienne demeureen Roumanie et la nouvelle qu’il veut bâtiren France. Construite sur les cavernes duMoi, que John E. Jackson assimile à la“mémoire des morts”27, cette demeurenatale contient une neige silencieuse. Neigequi reste toujours, pour Celan, associée à ladisparition maternelle et qui devient, pourlui, comme le chiffre absolu du deuil et de lamort.

Chez Celan, chaque mot a une histoirespécifique et rassemble plusieurs valeurscomme le révèle, dans sa lettre du 23novembre 1967 écrite en français à PetreSolomon resté à Bucarest, son commentairedu recueil Atemwende, qui vient de paraître.Il se réfère d’abord au poème Aschenglorie(Gloire de cendres) et ensuite à Coagula:

Page 68 de Atemwende, c’est quelque chosecomme l’anamnèse de Mangalia; page 79, lesbisons roumains aperçus par Rosa Luxembourgà travers les barreaux de sa prison convergentavec les trois mots du Médecin de campagne deKafka – et avec ce nom: Rosa. Je coagule, j’essaiede faire coaguler – Paris, où est-ce?28

La tension entre le lieu natal (la Rou-manie présente métonymiquement dans letoponyme Mangalia, une ville sur la Mernoire) et le lieu d’exil (Paris), entre le passéde la jeunesse et le présent de la maturité,est médiatisée par un verbe utilisé à la pre-mière personne du singulier et à l’infinitifpour indiquer la coagulation. Coagula-tion personnelle, plaie intérieure où le sangse fige, et coagulation poétique, où l’auteurtente de faire transmigrer – dans le poèmeCoagula – son Moi le plus profond et sesexpériences les plus douloureuses:

Und das Hörnerlicht deinerrumänischen Büffelan Sternes Statt übermSandbett [...].

24 P. Celan, Der Meridian. Le Méridien, traduit par A. du Bouchet, dans P. Celan, Strette, Paris, Mercure deFrance, l971, p. 196 et p. 197.

25 G. Bevilacqua, Introduzione, dans P. Celan, Di soglia in soglia, Torino, Einaudi Ed., 1966, p. XIII.26 G. Bevilacqua, Eros-Nostos-Thanatos, dans P. Celan, Poesie, Milano, Mondadori Ed., 1998, p. XIX.27 J. E. Jackson, La Question du moi. Un aspect de la modernité poétique européenne. T. S. Eliot, Paul Celan, Yves

Bonnefoy, Neuchâtel, À la Baconnière, 1978, p. 163.28 P. Solomon, op. cit., p. 238.

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Et la lumière des cornes de tesbuffles roumainsau lieu d’étoile au-dessusdu lit de sable [...]29.

La Roumanie natale (en opposition,comme il le souligne dans la lettre, à Paris)est doublement présente dans ces vers.Explicitement avec l’adjectif “rumänischen”et implicitement avec l’évocation d’une con-stellation thématique associant les buffles,la Roumanie et l’étoile. Que peuvent avoirde spécifique ces “buffles roumains”? Ils’agit pour nous d’une référence cryptique àl’urus (zimbru, bour), descendant de l’aurochqui a vécu dans les forêts roumainesjusqu’au XIXe siècle. Quand il porte uneétoile sur le front, il est considéré comme unanimal mythique. Il joue un rôle importantdans les légendes liées à la fondation de laMoldavie, dont le blason reprend soneffigie. Il apparaît par ailleurs dans plus-ieurs poèmes d’Eminescu, en particulierdans Povestea codrului (La Légende de la forêt):“Bouri nalþi cu steme-n frunte” (“De grandsaurochs avec une étoile sur le front”)30.

La preuve que, dans Coagula, Celan seréfère à l’urus, est offerte par le terme qu’ilutilise en français pour traduire, dans sa let-tre à Solomon, Büffel, non le normal “buffle”mais bien le terme “bison”. Un tel choixindique clairement qu’il pensait non à l’ani-mal commun mais bien à l’animal mythi-que. Aucun critique n’a encore jusqu’àprésent relevé (et restitué en traduction) cesens de “Büffel”, absence qui amoindritainsi fortement toute la tension contenuedans la “coagulation” célanienne, coagula-tion qui porte aussi sur la lumière entre lescornes qui se transmute en étoile31.

En fait, le motif de l’urus est relié, chezCelan, à la thématique bucovinienne etfonctionne en quelque sorte comme unesynecdoque, la pars pro toto, le tout étant icil’enfance, la mère, le pays natal. Par laprésence de l’étoile, il s’inscrit aussi dans lagrande constellation thématique des mortsde la Shoah qui fonde toute la poésie célani-

29 P. Celan, Atemwende. Renverse du souffle, Traduit de l’allemand et annoté par J.-P- Lefebvre, Paris, Édi-tions du Seuil, 2003, p. 93.

30 M. Eminescu, Poezii, Bucureºti, Ed. Minerva, 1975, p. 85. Citons la traduction italienne de Rosa DelConte: “uri snelli, la stella in fronte” (M. Eminescu, “La Leggenda del bosco”, Poesie, a cura di R. DelConte, Modena, Mucchi Editore, 1989, p. 31).

30 “L’impératif «coagule» porte également sur Hönerlicht («lumière des cornes»)” (J.-P- Lefebvre, op. cit.,p. 168).

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enne. L’urus nous a permis, dans un essaiprécédent, d’éclairer d’autres poèmes qui,sans lui, resteraient incompréhensibles,comme Entwurf einer Landschaft (Esquissed’un paysage) du recueil Sprachgitter (Grillede parole) ou Le Périgord composé en 1964,durant un séjour en Dordogne. Par le mêmemouvement d’anamnèse, l’évocation del’animal légendaire ranime, dans l’exil, lesouvenir de la famille et de l’enfance.Constellation sémantique qui passe d’untexte à l’autre, “cercle” qui s’identifiera auMéridien final.

Avec Coagula – et Solve qui le précèdedans Atemwende – Celan dévoile le doublemouvement de dissolution de l’identité et derecentrement autour d’un noyau existentielirréductible qui coïncide, d’une part, avec lemonde des disparus de la Shoah dont lamémoire doit conserver les “noms” et, del’autre, avec la Roumanie inoubliée. Laremémoration/coagulation a donc lieu et àtravers le souvenir et à travers l’écriture poé-tique. Comme Celan le souligne dans sa let-tre à Petre Solomon, l’exilé coaguleintérieurement et fait coaguler sa souffrancedans le poème. Certainement, le deuil del’exil s’est sommé chez lui à d’autres deuilsencore plus fondamentaux: celui de ses par-ents assassinés et celui des Juifs de la Shoah.De nombreux textes célaniens tracent unparcours dont la plaie, le sang, la blessuresont les emblèmes les plus tragiques commece poème de Atemwende, où Celan compareses quarante ans à quarante troncs d’arbresdécortiqués (Die schwermutsschnellen hin-durch, Par les rapides de la mélancolie).

On sait que Paul Celan s’est suicidé dansla nuit du 19 au 20 avril 1970 en se jetantdans la Seine du Pont Mirabeau32, un lieuhautement symbolique pour lui. Traducteurd’Apollinaire, il a été fasciné par Le Pont

Mirabeau et Les Colchiques, deux poèmes quise sont fondus dans sa mythologie person-nelle. Fleur célanienne par excellence, lecolchique rayonne au cœur d’une constella-tion thématique spécifique. Dès Mohn undGedächtnis (Pavot et mémoire), Erinnerung ausFrankreich (Souvenir de France) propose unvers “Le ciel de Paris, le grand Colchiqued’automne” (“der Himmel von Paris, diegroße Herbstzeitlose”)33 où surgit la fleurvénéneuse qui reparaîtra encore dans unpoème du recueil posthume Schneepart:Largo. Fidélité extrême à quelques mots – età quelques thèmes – essentiels.

Pour Celan, le colchique emblématise lalutte contre l’oubli. C’est la Fleur “hors dutemps” (“Zeitlose”). Sous l’influence dupoème d’Apollinaire, et en particulier desvers “Ils cueillent les colchiques qui sontcomme des mères / Filles de leurs filles etsont couleur de tes paupières”34 elle actu-alise une véritable inversion du passé et secharge de connotations maternelles. Valeurssymboliques que condense Die Silbe Schmerz(Les Syllabes douleur):

die Zeit-lose im Aug, die Mutter-Blume,

le colchiquedans l’œil, hors-temps, la fleur -mère35.Surtout le terme “colchique” renvoie à

une région mythique pour l’imaginairecélanien: la Colchide, liée à la mère commedans Im Schlangenwagen (Dans le chariot àserpents) d’Atemwende, où le train de ladéportation maternelle se transforme dansle char tiré par des dragons emportantMédée. Il termine le poème Und mit demBuch aus Tarussa (Et avec le livre de Tarussa)par “Kolchis” (“Colchide”): “Crimée de

32 Toutes les informations biographiques proviennent de “Chronologie”, dans P. Celan et G. Celan-Lestrange, Correspondance, Éditée et commentée par B. Badiou avec le concours d’É. Celan, Paris, Édi-tions du Seuil, 2001.

33 P. Celan, Mohn und Gedächtnis. Pavot et mémoire, Traduit de l’allemand par V. Briet, Paris, ChristianBourgois Éd., 1987, pp. 56-57. On consultera avec profit C. Perels, Zeitlose und Kolchis, “Germanisch-Romanische Monatsschrift”, n° 29, 1979, pp. 47-74.

34 Apollinaire, Alcools, Paris, Gallimard, “Poésie”, 1988, p. 33. 35 P. Celan, Die Niemandsrose. La Rose de personne, Traduction de M. Broda, Paris, Le Nouveau Commerce,

1979, pp. 132-133.

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Mandelstam, lieu de l’exil d’Ovide (tousdeux écrivirent des Tristia)”36 remarqueMartine Broda. La Colchide englobait, pourCelan, non seulement la patrie de Mandel-stam, son double fraternel, mais aussi laRoumanie perdue, la Roumanie inoubliée.Et le fait d’avoir choisi, pour son suicide,justement le pont lié à Apollinaire noussemble hautement significatif pour expri-mer sa souffrance et sa solitude d’exilé dansun Paris qui était désormais très loin de laVille-Lumière de ses débuts et qu’il qualifi-ait de “grotte” pleine d’épines dans Einge-jännert (Enjanvié) de Schneepart. Dans soncommentaire du poème, Jean-Pierre Lefe-bvre note que “la forme composée [Einge-jännert] suggère une sorte d’enfermement,voire d’incarcération”. En ce qui concerne lemot Balme (grotte), “associé à bedornt,l’ensemble évoque une cage de torture”37:

Eingejännertin der bedorntenBalme. (Betrink dichund nenn sie Paris).

Enjanviédans la balmeornée d’épines. (Saoule-toiet appelle-laParis)38.

Dans Und mit dem Buch aus Tarussa, Celanavait déjà associé le Pont Mirabeau au sui-cide huit ans avant son geste fatal, ce quiprouve de manière évidente l’importancequ’il attribuait non seulement au PontMirabeau, mais à la constellation symbol-ique personnelle unissant Pont Mirabeau –Apollinaire – Colchique – Colchide –Roumanie – Mère:

Von der Brücken-quader, von derer ins Leben hinüber-prallte, flüggevon Wunden, – vomPont Mirabeau

De la dalledu pont, d’où il a rebonditrépassé dans la vie, volantde ses propres blessures, – du Pont Mirabeau39.

Bachelard a montré comment l’attirancefatale pour l’eau est provoquée par unerêverie de dissolution, de réintégrationdans l’ordre cosmique qui cache sans douteaussi un désir de renaissance. C’estpourquoi la mort par l’eau est à la fois “red-outée, en tant qu’elle crée un maléfice spéci-fique, et désirée, en tant qu’elle impliqueune persistance paradoxale”40. Elle est,comme il l’écrit, la “plus maternelle desmorts”41. En se jetant du Pont Mirabeau,associé chez lui à Apollinaire et donc auxColchiques, Paul Celan entreprenait la tra-versée vers l’au-delà. Il indiquait aussi quece voyage pour lui était en fait un retour, unretour vers son Méridien42.

À travers les années d’exil, à travers l’en-fer de la folie, persistera au cœur de lapoésie célanienne cet “unique cercle” quidésigne à la fois le Méridien originaire qui“intersecte tous les tropes” et aussi la patrieinoubliée qu’il avait tenté de reconstruireavec la parole de poésie. Les vers situés à lafin du poème Es wird etwas sein, später (Il yaura quelque chose, plus tard) du dernierrecueil posthume Zeitgehöft (Enclos dutemps) condensent à jamais cette hantise:

36 M. Broda, Dans la main de personne, s. l., Éd. du Cerf, 1986, p. 49.37 J.-P. Lefebvre, Notes, dans P. Celan, Schneepart. Partie de neige, Traduit de l’allemand et annoté par J.-P.

Lefebvre, Paris, Éditions du Seuil, p. 116.38 P. Celan, Schneepart. Partie de neige, op. cit., p. 29. 39 P. Celan, Die Niemandsrose. La Rose de personne, op. cit., pp. 148-149.40 J. Libis, op. cit., p. 224.41 G. Bachelard, op. cit., p. 100.42 Ajoutons que le 19 avril 1970 était la veille de Pessah, une fête dédiée à la famille, au souvenir des par-

ents et grand-parents. Comme il l’écrit dans Le Méridien, «le poème parle ! De la date qui est la sienne,il préserve mémoire» (P. Celan, Der Meridian. Le Méridien, op. cit., p. 190). En choisissant cette date et celieu, Celan a voulu faire parler non plus cette fois le poème mais sa propre mort.

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Aus dem zerscherbtenWahnsteh ich aufund seh meiner Hand zu,wie sie den eineneinzigenKreis zieht.

du verre brisé de la folieje surgiset regarde ma main,tracer l’un,l’unique cercle43.

Max Bilen a établi un parallélisme entrela condition artistique et la “condition dias-porique”. Pour lui, “les épreuves de la con-dition diasporique peuvent paraître simi-laires à la mise en condition particulière àl’écriture: étrangeté, marginalité, affirma-tion de la différence, déperdition de soi,errance, malaise, séparation”44. PourMaurice Blanchot, l’œuvre – par la trans-mutation qu’elle provoque chez celui quil’écrit – n’est-elle pas déjà exil et ne trans-forme-t-elle pas l’écrivain en “l’errant, letoujours égaré, l’étranger, dans l’écart, exiléde la cité”45? Dans cette perspective, parlantdu processus de la migration, Max Bilenaffirme encore:

Qu’il s’agisse de la création d’une œuvre,“migration du recommencement infini”, ditBlanchot, ou de migration millénaire, l’expéri-ence paraît identique. Elle tend à réaliser unchangement de condition à la faveur duquel,dans les deux cas, monde sacré et monde profane

se reconnaîtront même au terme de la dispersionet de la traversée du désert. Chez l’un commechez l’autre, le changement d’état est consacrépar la fidélité à un retour, la vie prenant sensdans cette vocation46.

C’est dans cette tension entre décen-trement et recentrement, exil et retour ques’inscrivent les œuvres de BenjaminFondane et Paul Celan. Une même eaubrûlée de l’invisible hante Le Méridien deCelan comme la Préface que Fondane rédi-gea, en 1942 dans l’urgence, pour sondernier livre: “un bateau m’attend quelquepart”47. Sans doute cet ultime navire est-il lepoème dont il est “le pilote” (p. 247), navire-fantôme d’une pérégrination infinie, quicoïncide avec la bouteille à la mer de Vignyou avec celle que Paul Celan jette “dans lahoule des mots qui cheminent”48 pour êtrerecueillie un jour sur une terre, “sur la plagedu cœur peut-être”49. Les poèmes “sont enchemin: ils font route vers quelque chose” etce quelque chose est un “toi invocable”50.Pour Benjamin Fondane comme pour PaulCelan, le destinataire inconnu devient para-doxalement la “nova terra” que cherchaitl’Ulysse dantesque. L’errant – qui a traversétant de “cités sans levain où la prière s’ef-fondre” et porté “l’interminable deuil oùbâtir sa maison”51 – atteint ainsi cet espacegerminatif, espace du cœur: “langage de laproximité pour la proximité, plus ancienque celui de la vérité de l’être – que proba-blement il porte et supporte –, le premierdes langages, réponse précédant la ques-tion, responsabilité pour le prochain”52.

43 P. Celan, Zeigehoft. Enclos du temps, traduit par M. Broda, Paris, Clivages, 1985, s. p.44 M. Bilen, Le Sujet de l’écriture, Paris, Éd. Greco, 1989, p. 86. 45 M. Blanchot, Le Livre à venir, Paris, Gallimard, 1971. Cité par M. Bilen, Le Mythe de l’écriture, Orléans,

Paradigme, 1999, p. 34.46 M. Bilen, Le Sujet de l’écriture, op. cit., p. 91.47 B. Fondane, Baudelaire et l’expérience du gouffre, Bruxelles, Éditions Complexes, 1994, p. XII.48 “In der Dünung wandernder Worte”. P. Celan, Sprich auch du (Toi aussi parle), dans Von Schwelle zu

Schwelle. De seuil en seuil, Traduit de l’allemand par V. Briet, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1991, p. 105. 49 P. Celan, Ansprache anläßlich der Entgegennahme des Literaturpreises der Freien Hansestadt Bremen. Discours

de Brême, op. cit., p. 194. 50 P. Celan, op. cit., p. 194 et p. 195. 51 Les expressions sont reprises à P. Guyon, Le Testament d’Abel, Fontenay le Comte, XPH, 2008, p. 127 et p. 85.52 E. Levinas, Paul Celan / De l’être à l’autre, dans Noms propres, Paris, Fata Morgana, 1976, p. 50.

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Lors de mon premier voyage enArgentine, le professeur Nicolàs de Rosaaujourd’hui disparu, qui m’avait invité àl’Université d’Etat de Buenos Aires en 1976,la UBA, me présenta comme le successeurdans la chaire de littérature comparée de laSorbonne de Fernand Baldensperger, né àSaint-Dié en 1871. C’était me faire beaucoupd’honneur et ignorer qu’entre la générationde Baldensperger, qui occupa cette chaire de1925 à 1935 et la mienne il y avait eu celle demon maître, Charles Dédéyan (1910-2003),dont nous avons célébré en 2010 le centièmeanniversaire de la naissance. La thèse prin-cipale de Charles Dédéyan intitulée Mont-aigne chez ses amis anglo-saxons (1943) estdans le droit fil des travaux de FernandBaldensperger, même si elle fut dirigée par

Jean-Marie Carré, né en 1887 dans lesArdennes, au pays de Rimbaud, qui dirigeaaussi la thèse d’Etiemble, autre grand com-paratiste de la Sorbonne, sur Le Mythe deRimbaud. Jean-Marie Carré mourut en 1958,la même année que Baldensperger, celle oùj’entrai à l’Ecole Normale Supérieure etm’orientai déjà, quoique formé aux lettresclassiques, vers le comparatisme.

Pour moi, Fernand Baldensperger se per-dait, sinon dans la nuit du comparatisme,du moins dans les premiers temps de la lit-térature comparée proprement dite enSorbonne1, quand tout récemment j’acquisl’un de ses livres, une rareté, non pas sonGoethe en France de 1904, qui n’était pas sathèse, consacrée cinq ans plus tôt à Gott-fried Keller, écrivain suisse de langue alle-mande, non pas ses Orientations étrangèreschez Balzac (Honoré Champion, 1927), queCharles Dédéyan me proposa comme mod-èle pour ce qui aurait pu être des Orienta-tions étrangères chez Claudel, mais un vol-ume, publié aux éditions Flammarion en1913, et intitulé La Littérature. – Création, suc-cès, durée. Fidèle à Goethe, il lui empruntaitla citation placée en épigraphe :

« La littérature n’est qu’un fragment de frag-ments. De ce qui a été fait ou dit, une infime par-tie fut écrite ; de ce qui fut écrit, une infime par-tie a été retenue. »

Cette réduction peut sembler à l’opposéd’une autre grande idée de Goethe, tardiveil est vrai puisqu’il ne l’a exprimée qu’en1827 dans ses Conversations avec Eckermann,l’idée d’une Weltliteratur, d’une littératuremondiale qui n’avait pas il est vrai lesdimensions de la littérature universelle pro-posée par Etiemble aux comparatistes dansson livre de 1974, Essais de littérature (vrai-ment) générale, et encore dans celui de 1988,Ouverture(s) sur un comparatisme planétaire.

Le comparatisme de Baldensperger étaittout différent : certes, il s’ouvrait aux littéra-tures étrangères, celles des grandes littéra-tures européennes presque exclusivement,

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We still wait to abolish the stereotype about theother, both aborigine and colonizer. Time willnot clean up the stranger who every one of uscarries in him. The studies about mentalitiesare indispensable for a rational knowledge.Literature aims to approach the foreign civi-lizations, in order to communicate with them.Thus, each outsider will reconcile with hisown fears. Keywords: comparative literature, culturalstudies, mentalities, alterity, aborigines, colo-nizers.

Abstract

1 Voir Monique Dubar « Fernand Baldensperger », dans Relire les comparatistes français, numéro spécial dela Revue de littérature comparée, juillet-septembre 2000, p. 325. Auparavant Baldensperger avait occupéles chaires de littérature comparée de Lyon (1902) et de Strasbourg (1919).

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mais pour revenir au national, à ce que nospolitiques d’aujourd’hui appellent demanière insistante l’ « identité nationale ».Dans le livre II de La Littérature. – Création,succès, durée, se succèdent deux chapitresdont l’un, le chapitre III, est intitulé « Lerecours au passé national », l’autre, lechapitre IV, « L’appel à l’étranger ». Il croit,comme le grand poète irlandais W.B. Yeatsqu’il cite (p. 152), que « nul ne peut écrireparfaitement, quand sa toile est tissée de filsqui viennent de plusieurs contrées » et ilmet en garde contre les « dangers » et les« limites » du « cosmopolitisme littéraire ».

Tout aussi bien, contre toute littératurenée de l’émigration. Sur ce point le Goethedes Conversations avec Eckermann finissaitpar paraître suspect à Baldensperger : « cevieillard », écrivait-il, « s’appliquait à goûterles produits populaires des nations les pluséloignées, se disant que pour connaîtrel’homme, c’est l’humanité qu’il fallait étudi-er. Il s’ingéniait à retrouver, dans un romanchinois vieux de quelques siècles, des élé-ments d’émotion ou de beauté analogues àceux que pouvaient offrir Hermann etDorothée [une œuvre de Goethe lui-même]et les récits de Richardson » (p. 173). Ce quisuit, dans la même page, permet de passerd’un reste de méfiance à l’égard de l’é-tranger à une conception péjorative de l’é-trange :

« Mais il faut bien l’avouer : il est un pointoù la curiosité de l’hétérogène cesse de comporterune telle valeur d’émulation et de ferment, et nesaurait dépasser le goût du folklore, de l’étrangeet du lointain. »

Etranger doublement étrange donc :parce qu’il est l’autre et parce qu’il en estdistant. D’où ce mouvement de repliqu’opérait Baldensperger, à la veille de laPremière Guerre mondiale, vers la « littéra-ture nationale ». La conclusion de l’ouvrage,exemples à l’appui, confirme cet attache-ment et ce retour :

« Tolstoï s’est indigné que le culte deShakespeare, c’est-à-dire d’un auteur sans appli-

cation évidente et d’un créateur suprême de« formes », fût une « influence épidémique »dont nul bienfait ne pouvait résulter pour l’hu-manité gémissante. Il oubliait que ces affabula-tions sans apparente moralité et sans altruismeimmédiat ont aidé des publics entiers à prendreconscience de leur nationalité, en voyant leursfastes historiques se réincarner dans des piècesmodelées sur le type shakespearien. Dans sa pro-pre patrie, les misères ou les gloires de la « sainteRussie » ont souvent trouvé des annonciateursque n’aurait sans doute pas suscités unemédiocre variété de dramaturgie. Des pièces àthèse humanitaire n’ont pas manqué de s’appuy-er, à l’occasion, et de fonder leur agencementscénique sur ce grand précédent théâtral.Ailleurs, c’est Dante servant longtemps depatrie idéale à un peuple morcelé, ou Goetheoffrant un patrimoine commun à des hommesdivisés par les antiques fatalités du sol et del’histoire (p. 325). »

Voilà donc Dante ouvrier déjà de l’unitéitalienne, Goethe, avant Bismarck, travail-lant pour l’unité allemande, et Balden-sperger offrant son livre de 1913 à uneFrance prête à affronter l’ennemi étranger.Reprenant le problème en 1989, presque auterme de ce siècle que Nietzsche avaitannoncé comme devant être « le siècle de lacomparaison » (das Jahrhundert der Ver-gleichung), Yves Chevrel commençait pardéfinir « l’étranger » en évitant de le con-fondre avec « le barbare », mais en partantde cette distance que maintenait Balden-sperger :

« L’étranger est d’ailleurs. Il est établi, leplus souvent, dans un autre pays (allemandausländlich) et s’exprime dans une autrelangue, il peut être un voisin mais sans « être dupays » (normand Horsain), et un sens récent del’anglais alien le situe même en dehors de l’e-spèce humaine. La langue française, de plus,connaît le doublet étranger/étrange : l’étrangersuscite volontiers interrogation, incompréhen-sion, inquiétude2. »

Appartenant à la troisième génération decomparatistes (il est né la même année que

2 La Littérature comparée, Presses Universitaires de France, Que sais-je no. 499, 1989, p. 8.

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moi, en 1939), Yves Chevrel dépasse vitecette crainte en remontant jusqu’à l’AncienTestament (les prescriptions divines quetransmet Moïse au peuple juif dans l’Exode),mais aussi à cette sorte d’ancien testamentde la littérature comparée que constituel’œuvre de Jean-Jacques Ampère (1800-1864), pionnier, après Claude Fauriel (1772-1844) et avec Frédéric Ozanam (1813-1853)de la discipline au XIXe siècle quand il n’é-tait encore question que de l’enseignementde « littérature étrangère » à l’Université. Telétait le nom de l’unique chaire en Sorbonne,dont le premier titulaire fut Fauriel, avecpour suppléants Jean-Jacques Ampère puisOzanam. Le 12 mars 1830, parlant de « l’his-toire de la poésie » à l’Athénée de Marseille,Jean-Jacques Ampère avançait deux for-mules décisives : « Il faut (…) pour goûterun poète se dépayser entièrement » et les« chefs-d’œuvre de tous les temps nousappartiennent ».

Il y a beaucoup à tirer de ces deux for-mules, sans les restreindre à leur sens strict.Se dépayser, quand il s’agit de lire un poète,ne signifie pas seulement passer du pays dulecteur au pays de l’auteur : mais l’œuvredu poète elle-même, par sa singularité, estun monde à part, un pays singulier danslequel il faut savoir pénétrer pour le com-prendre. Nul peut-être ne l’a mieux sentique Rainer Maria Rilke, nul ne l’a mieuxexprimé que lui dans les Cahiers de MalteLaurids Brigge (1910) où le jeune Danois,sans être un émigré, découvre à Paris uneterre étrangère :

« Pour écrire un seul vers, (…) il faut pou-voir repenser à des chemins dans des régionsinconnues, à des rencontres inattendues, à desdéparts que l’on voyait longtemps approcher3. »

Quant à la nouvelle formule, YvesChevrel l’explicite parfaitement quand ilécrit pour la commenter que « toute œuvreétrangère peut être nôtre, à condition d’ac-cepter de sortir de son propre espace, elleest même la condition qui permet de com-prendre vraiment cet espace ». Je n’irai pas

jusqu’à la phrase qui suit (« L’étranger estindispensable pour définir et comprendre lenational ») car elle risque, comme le livre deBaldensperger, d’inciter à revenir à cetteidentité nationale dont, à mon sens, le com-paratiste ne peut se contenter et dont il doitse défier, car elle le priverait, entre autres,de la précieuse littérature d’émigration dontles Russes (Tourguéniev, Nabokov), lesRoumains (Ionesco, Cioran, Voronca), lesChinois (François Cheng) nous ont laissé deriches exemples.

Fernand Baldensperger, Jean-MarieCarré étaient originaires de l’Est de laFrance et tournés dans leurs recherches lit-téraires vers l’Allemagne. Germanistes deformation, ils avaient aussi fait, surtout lesecond, une place importante à la littératureanglaise. Mais, dès le XIXe siècle, les chairesde littérature étrangère étaient en quelquesorte des chaires tournantes où alternaientl’étude de la littérature anglaise, celle de lalittérature allemande, celle de la littératureitalienne et celle de la littérature espagnole,sans aller jusqu’à l’Amérique latine. Lesprogrammes d’enseignement d’Ozanam,qui succéda à Fauriel en Sorbonne, sontexemplaires à cet égard.

Jean-Jacques Ampère occupa dès 1833une chaire de littérature française auCollège de France, sans renoncer à la « cri-tique voyageuse » qui l’entraînait du côté del’Italie. C’est à Edgar Quinet (1803-1875),venu de l’Université de Lyon où il avaitenseigné les littératures étrangères, que futconfiée en 1841, au Collège de France, unechaire de littératures comparées du midi del’Europe dont l’histoire fut pleine de rup-tures et de soubresauts, surtout à partir dumoment où il voulut joindre à l’étude deslittératures celle des institutions. Essentiel-lement tourné vers la Grèce et vers l’Italie, ilpublia un livre sur Les Roumains en 1856 (safemme était d’origine roumaine) et s’in-téressa à la littérature espagnole.

En Sorbonne Frédéric Ozanam, à la finde sa trop courte carrière, interrompue parsa mort prématurée en 1853, avait travaillé

3 Traduction de Maurice Betz, Emile- Paul, 1947, p. 21.

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sur les origines de la littérature espagnole,rassemblant une vaste documentation àl’automne de 1852 et faisant un voyage àBurgos d’où il rapporta le long texte siattachant intitulé Un pèlerinage au pays duCid.

L’espagnol, il faut bien l’avouer, a étépendant longtemps le parent pauvre descomparatistes français. Paul Hazard (1878-1944), autre grand maître de la premièregénération du XXe siècle, avait consacré sathèse à La Révolution française et les lettresitaliennes (1789-1815), Hachette, 1910. Ilpublia deux livres relativement modestessur Don Quichotte l’un en 1931 et l’autre en1940. Du moins cherchait-il à placer le chef-d’œuvre de Cervantès sous le tripleéclairage « national, européen et humain ».Pour ce spécialiste de la littérature italienne,l’intitulé de la chaire du Collège de Franceoccupée jadis par Quinet fut modifié en« histoire des littératures comparées del’Europe méridionale et de l’Amériquelatine ». Il ouvrit la Revue de littérature com-parée, qu’il avait fondée avec FernandBaldensperger en 1921, à de grands his-panistes comme Jean Sarrailh et MarcelBataillon, qui devait lui succéder et auCollège de France et à la direction de laRevue de Littérature comparée. Présenté par leduc de Broglie, qui le reçut à l’AcadémieFrançaise en 1940, comme un « promeneuramusé qui veut errer à l’aventure », il avaitdécouvert le Chili en 1924. Des numérosspéciaux de la RLC furent consacrés auxOrigines du Romantisme au Brésil (1927), auxRomantiques français au Mexique (1930), àl’Espagne (1936), au Portugal (1937).

Paul Hazard ne s’enfermait ni dans lenational ni dans le nationalisme. D’ailleursle nationalisme allemand, non sans raison,lui fit peur un moment où l’ascension duTroisième Reich semblait irrésistible et ilrésista au « mirage allemand ». Telle qu’il l’aconçue, l’ « histoire comparée des littéra-tures » est celle des passages, du jeu com-plexe des échanges :

« (…) suivre la genèse des œuvres, en tenantun compte particulier des facteurs étrangers quientrent dans leur production ; considérer la lit-térature comme un organisme vivant, toujoursen devenir ; se tenir aux frontières de l’histoirelittéraire, pour y surveiller les échanges ; mesur-er, s’il est possible, les modifications que subis-sent les sentiments, les images, et leur expres-sion, chaque fois qu’il y a passage d’une nation-alité à une autre ; suivre les grands courants depensée qui se forment par moments, et semblententraîner des générations entières dans leurimpulsion ; bref, être attentif à tous les effets queprovoquent les pérégrinations des idées et desformes, telle est la tâche de l’histoire comparéedes littératures. »

Peut-être, s’il avait vécu au-delà de 1944,aurait-il été donné à l’auteur de La Crise de laconscience européenne, étudiée au XVIIIe siè-cle, d’aller jusqu’au XIXe siècle, qui futencore pour de nombreux pays le siècle dela colonisation, et jusqu’au XXe siècle con-fronté au problème de la décolonisation.Dans les deux cas se posait à la consciencede l’écrivain et du penseur le problème del’émigration. Mais je crains fort qu’à l’ex-ception d’Etiemble, peu de comparatistes sesoient posé ce problème, même si le com-paratisme gagna du terrain du côté del’Espagne et de l’Amérique latine avecMichel Berveiller, auteur d’une thèse sur lecosmopolitisme de Borges et d’un livre surle Pérou, avec Daniel-Henri Pageaux, long-temps directeur de l’UFR de littérature com-parée à Paris III, sachant aller et revenir sanscesse d’un continent à l’autre ou – dans uneaire et une époque plus restreintes – avecDidier Souiller, professeur de littératurecomparée à l’Université de Dijon.

Marcel Bataillon (1895-1977) fait figured’exception. Cet agrégé d’espagnol s’étaittrès tôt proposé avec son ami Jean Pommierde faire ensemble de la littérature com-parée4. Ils se retrouvèrent au Collège deFrance, l’un pour la littérature française,l’autre pour la littérature espagnole, et dis-posés à mener de front « l’étude de la créa-

4 Voir la lettre de Jean Pommier à Marcel Bataillon, écrite en 1915, et citée par Didier Souiller dans Relireles comparatistes français, p. 373.

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tion littéraire (en général) », Pommier ensuccesseur de Paul Valéry, Bataillon en com-paratiste actif et critique à la fois, désireuxde « tuer en nous le vieil homme » et dedépasser ce que certains ont appelé l’ « occi-dentalo-centrisme » : « Nous trouvonsnaturel que les Cubains lisent Sartre, que lesétudiants vénézuéliens s’occupent d’AndréBreton », écrivait-il en rendant compte dusecond Congrès de la Société Internationalede Littérature comparée tenu à Chapel Hillen septembre 1958, « mais », ajoutait-il,(nous Français), « nous ne connaissons niJosé Marti, ni Romulo Gallegos »5.

Pour une réflexion véritablement mod-erne sur de tels problèmes, on revientaujourd’hui de loin.

A relire par exemple le livre d’AndréSiegfried (1875-1959), Amérique latine, quidate de 1934, on se rend compte de lamanière où, plus latin que les Latins, il envient à considérer comme étrangères cer-taines composantes dont certaines sontpourtant autochtones. Pourtant ce grandvoyageur, auteur de Voyage aux Indes (1951)et de La Géographie poétique des cinq conti-nents (1953), cet économiste élu au Collègede France en 1933, ne semblait pas devoirconserver un regard franco-français.

Pour lui, « si la civilisation sud-améri-caine doit se faire un jour », alors qu’ellen’est pas faite au moment où il écrit, « sapersonnalité ne sera complète que lorsquel’Amérique latine se sera donné elle-mêmeune culture, tenant compte harmonieuse-ment du sol et de l’histoire, lui permettantd’édifier, dans le Nouveau Monde, une Citélatine, au sens où Fustel de Coulanges aparlé de la Cité antique ».

Mais ces pays brillants seraient « déré-glés » parce qu’ils admettent en leur seindes éléments étrangers à ceux qui les ont

colonisés et en grande partie peuplés.« Pour se maintenir dans son axe, que l’his-toire a déterminé pour elle », écrit AndréSiegfried, « il lui faut évidemment résister àbien des tentations, éviter bien des attrac-tions centrifuges. Qu’elle penche, dans cer-taines régions écartées, vers l’indianisme, etce serait la civilisation occidentale elle-même qui risquerait de péricliter ;qu’ailleurs elle laisse le sang noir prendreun ascendant excessif, et l’on risquerait den’avoir plus effectivement qu’une Afriquederrière la façade, encore séduisante, d’uneEurope coloniale ; qu’elle s’américanise, ausens de Detroit ou de Chicago, et l’on voitsans doute tout ce que le progrès matériel,le rendement social y pourraient gagner,mais on ne peut se défendre, si l’on estfrançais, de quelque mélancolie, à la penséede ce qu’y perdrait cette conquête si belled’un effort millénaire, le raffinementlatin »6. Siegfried se montre plus inquietencore quand il insiste sur la question,essentielle pour lui, qui est « de savoir sil’Amérique du Sud restera romaine », - carce qui lui importe le plus est le maintien dela religion catholique dans cette région dumonde, où paradoxalement, l’émigré étaitdevenu le colonisateur. Il redoute les« influences exotiques qui risqueraient de lacorrompre », et il ajoute ces phrases, insup-portables et insoutenables aujourd’hui :

« Du fait de la présence nègre et indienne eneffet, des germes corrupteurs rôdent autour delui et sont même au travail dans son sein.Partout où il y a des nègres – le protestantismenoir aux Etats-Unis n’échappe pas à ce péril -, ily a des velléités de spiritisme, de magie, defétichisme. ; le christianisme, au Brésil, estpénétré de ces superstitions, que la « couleur »entretient. »

Il y aurait beaucoup à dire et à redire surun tel vœu de pureté qui est une autre

5 Publié dans la Revue de Littérature comparée, vol. XXXV, 1961, p. 290-298, cité ibid., p. 379. José Marti (1853-1895), le poète cubain mort sur un champ de bataille à l’orée d’une guerre d’indépendance qu’il avaitappelée de ses vœux, Romulo Gallegos (1884-1969), romancier vénézuélien qui fut président de sonpays durant quelques mois en 1949 sont choisis à dessein pour leur personnalité, leur action, mais aussipour leur œuvre.

6 André Siegfried, Amérique latine, Armand Colin, Choses d’Amérique, 1934, chapitre IV, « LaCivilisation ».

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forme d’ultraïsme et comporte le risqued’incompréhension, sinon d’inintelligence.Comment comprendre par exemple, avecde tels présupposés, le vaudou haïtien, dontl’histoire a commencé avec l’arrivée des pre-miers contingents d’esclaves à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIesiècle ? Comme l’a expliqué Alfred Métrauxdans son ouvrage sur le sujet, c’est « unensemble de croyances et de rites d’origineafricaine qui, étroitement mêlés à des pra-tiques catholiques, constituent la religion dela plus grande partie de la paysannerie etdu prolétariat urbain de la République noired’Haïti »7. Michel Leiris, dans la préfacequ’il a écrite pour ce livre, rappelle que,selon Jean Price-Mars (1876-1969), le porte-parole et l’analyste du mouvement culturelindigéniste, cet ensemble de croyances et depratiques représenterait, en Haïti, la vérita-ble religion « nationale ». Mais que dired’une religion « nationale » qui se situe auxconfins de l’africanisme et de l’américan-isme et qui est, toujours selon Leiris, « unétrange carrefour où se mêlent, dans uncadre antillais, non seulement les apports del’Afrique noire traditionnelle et ceux dumonde chrétien, mais religion, magie,médecine, théâtre, musique, danse et artsplastiques » ?

A la fin du XVIe siècle, Montaigne avaitl’esprit plus ouvert. Il avait su pratiquer lecomparatisme des ressemblances. Ainsidans l’ « Apologie de Raimond de Sebon-de », et dans la célèbre page de ce très longchapitre XII du Livre II des Essais où il faitdécouvrir à son lecteur « les similitudes etconvenances de ce nouveau monde desIndes occidentales avecques le nostreprésent et passé, en si estranges exemples ».Et il ajoute :

« Je me suis souvent émerveillé de voir, enune tresgrande distance de lieux et de temps, lesrencontres d’un grand nombre d’opinions popu-laires, monstrueuses, et des mœurs et créances

sauvages, et qui par aulcun biais ne semblenttenir à nostre naturel discours. C’est un grandouvrier de miracles que l’esprit humain8. »

J’ai un goût tout particulier pour cechapitre des Essais. Il y a à cela une raisontoute personnelle, mais aussi sentimentale.Dès la première page Montaigne racontecomment un certain Pierre Bunel, human-iste toulousain et « homme de grande répu-tation de savoir en son temps » (il mouruten 1546), ayant passé quelques jours dans lamaison de son père, lui fit présent à sondépart (« au déloger »), d’un livre intituléTheologia naturalis ; sive, Liber creaturarummagistri Raimondi de Sebonde9. Rendre hom-mage à ce livre, pour Michel de Montaigne,c’était donc rendre hommage à son père, etil avait en quelque sorte hérité de ce traitéde théologie naturelle qui lui imposait undevoir de mémoire.

Raimundus Sabundus, de son vrai nomRamon Sibiuda, était Espagnol, même s’ilavait exercé la médecine à Toulouse quelquedeux cents ans avant que Michel deMontaigne ne se vît confier le soin detraduire son livre, que son père avait retrou-vé par hasard, quelques jours avant sa mort,« sous un tas d’autres papiers abandon-nés ». La traduction lui parut d’ailleursaisée, car « ce livre est bâti d’un Espagnolbaragouiné en terminaisons Latines ».

Le livre de Sebond offrait à Montaignel’occasion d’une réflexion sur foi et raison et,comme l’a expliqué Claude Lévi-Strauss,grand admirateur de Montaigne, « pourvenir à bout de ceux qui prétendent prouverla religion par des raisons spéculatives », ilen vient à « refuser à la raison tout pou-voir »10. Mais je suis surtout frappé, dès lespremières pages de cet immense chapitre parla présence du mot et du concept d’« étrangeté ». Ainsi dans cette mise en garde :

« Nous devrions avoir honte, qu’ès secteshumaines il ne fut jamais partisan, quelque dif-

7 Alfred Métraux, Le Vaudou haïtien, Gallimard, 1958, rééd. tel n°20 avec la préface de Michel Leiris, 1977,p. 11.

8 Montaigne, Les Essais, éd. dirigée par Jean Céard, Librairie Générale Française, La Pochothèque, 2001, p.889.

9 Ibid., p. 691-692. Jean Céard traduit : Théologie naturelle, ou livre de créatures, de maître Raimond de Sebonde.10 Claude Lévi-Strauss, Histoire de Lynx, Plon, 1991, rééd. Agora, 2009, p. 282.

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ficulté et étrangeté que maintînt sa doctrine, quin’y conformât aucunement ses déportements etsa vie : et une si divine et céleste institution nemarque les Chrétiens que par la langue11. »

Et ce constat d’étrangeté, précisément,incite à la comparaison dès les lignes quisuivent :

« Voulez-vous voir cela ? Comparez nosmœurs à un Mohométan, à un Païen, vousdemeurez toujours au-dessous : Là où au regardde l’avantage de notre religion, nous devrionsluire en excellence, d’une extrême et incompara-ble distance : et devrait-on dire, sont-ils si justes,si charitables, si bons ? Ils sont donc siChrétiens. »

Montaigne, plus rudement, se voit con-traint de le constater : « Notre religion estfaite pour extirper les vices : elle les couvre,les nourrit, les incite » (p. 698). La compara-ison, qui devait tourner du côté des préten-dus civilisés, tourne à leur désavantage. Ilsse révèlent plus étranges que ceux qu’ilsconsidéraient comme des étrangers. D’où leregard nouveau qu’il nous invite à jeter surle prétendu nouveau monde, sur « cesnations, que nous venons de découvrir » etqui sont aussi « abondamment fournies deviande et de breuvage naturel » que les nô-tres (p. 717). Et tout aussi bien de ce langageet de cette raison dont nous sommes si fiers.

N’était-ce pas plutôt le conquérantespagnol qui se montrait déraisonnable,lors de la nouvelle conquête des Indes, enpayant une solde aux chiens et enpartageant avec ces animaux le butin deguerre (p. 731) ? N’était-ce pas là choseétrangère plus qu’ordinaire (les deux motspassent dans la même page) ?

Certes l’étrange est de ce monde, et« c’est une carte blanche préparée à prendredu doigt de Dieu telles formes qu’il luiplaira d’y graver » (p. 789). Mais précisé-ment il faut accepter l’étrange et l’étranger.L’important est moins dans les choses quedans les relations entre les choses. « C’estune même nature qui roule son cours » (p.

731), et « Nous sommes part du monde » (p.826).

L’autre chapitre important pour ce sujetest le chapitre VI du Livre III, « DesCoches » (le motif était déjà présent dansl’Apologie de Raymond de Sebonde, p.726). Montaigne y enchaîne trois grandsdéveloppements, sur les chars étrangementattelés par certains empereurs romains(« des autruches de merveilleuse grandeurpour l’empereur Firmus), sur les fêtessomptueuses que d’autres empereurs, telGalba, offraient au peuple de l’Urbs, enfin, -et c’est le développement le plus long -, surle Nouveau Monde.

Montaigne se place déjà dans une per-spective planétaire, et il fait observer quemême les plus curieux n’ont du mondequ’une connaissance « chétive et raccour-cie » (p. 1422). Il sait par la célèbre Historiade las cosas notables del gran Reynon de laChina (1585) de Juan Gonçalez de Mendoza,qu’il a lue dans la traduction française de1588, que les Chinois avaient inventé milleans avant les Européens des inventionsdont ceux-ci se targuent (l’artillerie, parexemple), mais c’est surtout la découvertede l’Amérique qui l’incite à se lancer dansune grande leçon de relativisme à la suite deDe Natura rerum de Lucrèce et avec d’autresexemples.

Le départ de ce développement estcélèbre :

« Notre monde vient d’en trouver un autre(…) non moins grand, plein, et membru, quelui : toutefois si nouveau et si enfant, qu’on luiapprend encore son a, b, c. Il n’y a pas cinquanteans qu’il ne savait, ni lettres, ni poids, nimesure, ni vêtements, ni blés, ni vignes. Il étaitencore tout nu, au giron, et ne vivait que desmoyens de sa mère nourrice. Si nous concluonsbien, de notre fin [c’est-à-dire de la fin de notremonde], et ce Poète [Lucrèce] de la jeunesse de cesiècle, cet autre monde ne fera qu’entrer enlumière, quand le nôtre en sortira. L’universtombera en paralysie : l’un membre sera perclus,l’autre en vigueur (p. 1423-1424). »

11 Essais, p. 695-696 : « Déportements » a le sens de « comportements ».

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Ce Nouveau Monde un jour se sub-stituera donc à l’Ancien Monde. Mais cetenfant promis à devenir adulte aura été unenfant gâté. Montaigne n’emploie pas lemot « colonisation », mais un mot bien pire,« contagion ». « Bien crains-je », continue-t-il, « que nous aurons très fort hâté sa décli-naison [son déclin] et sa ruine, par notrecontagion : et que nous lui aurons bien chervendu nos opinions et nos arts ». Et pour cequi est de la dévotion et de la morale, ils enavaient plus par cet avantage, et vendus, ettrahis eux-mêmes ».

Dès le livre I des Essais, dans le chapitreXXX, « Des Cannibales », Montaigne qui dèsce moment-là avait lui les récits d’AndréThevet et de Jean de Léry (Histoire d’un voy-age fait en la terre du Brésil, 1578), mais aussil’Histoire générale des Indes de Lopez deGomara, qui décrivait la réception de Cortèspar Monctezuma et la grandeur du roi duMexique, ironisait sur la prétendue inférior-ité des hommes ainsi découverts : « Maisquoi ? ils ne portent point de hauts-de-chausses » (p. 333).

Dans le chapitre « Des Coches » il revientsur ces mêmes hommes, dépossédés etinvités à « promptement vider leur terre, carils n’étaient pas accoutumés de prendre enbonne part, les honnêtetés et remontrancesde gens armés, et étrangers ». Les plus puis-sants de leurs rois furent soumis ou mêmetués : celui du Pérou, l’Inca Atahualpa, cru-ellement supplicié le 29 août 1533 ; le roi deMexico, Cuanhtémoc, successeur de Mocté-suma et dernier empereur aztèque, exécutéau terme du siège de Mexico, en 1521.

Ce ne sont ni les Incas ni les Aztèquesque Montaigne désigne par le terme de« barbares » (p. 1429), mais les Espagnols,ces bouchers, ces bourreaux, acharnés àfouiller ces terres pour en tirer plus derichesses qu’elles n’en recélaient, à « faire demisérables esclaves, pour l’ouvrage et serv-ice de leurs minières » (leurs mines). Certesles rois de Castillel ont parfois puni cesexcès, certes Dieu a précipité dans les flotsde l’Océan la recette de certains de cesgrands pillages.

Montaigne se garde bien de prophétiserla suite de l’Histoire. « Retombons à noscoches », mais le dernier exemple est encorel’attelage du dernier roi du Pérou « portésur des brancards d’or, et assis dans unechaise d’or, au milieu de sa bataille » et toutprès de périr (p. 1432). Le chapitre « DesCoches » s’achève sur cette vision étrange,qui n’a fait qu’attiser la cupidité et la cru-auté des étrangers » venus d’Espagne.

L’étranger absolu est comme absent à cemonde. Il ne connaît, comme l’Etranger deBaudelaire, que « les nuages, les mer-veilleux nuages ». Jim Harrison, l’auteur deLa Route du retour (The Road Home), romandont la traduction a paru aux éditionsChristian Bourgois en 1998, rappelait, lorsd’une interview, cette réflexion de CharlesOlson : « Je considère l’espace comme le faitcentral en Amérique »12. Et cela, expliquait-il, parce qu’aux Etats-Unis, « la dimensionla plus frappante [du] malaise contempo-rain est l’absence d’appartenance au lieu ».Son personnage, Nelse, est un nomade, unémigré de l’intérieur en quelque sorte, quiaspire à trouver un lieu où être pleinementvivant et finit par le trouver, mais aprèsavoir longtemps douté de l’existence de celieu. Il ressemble beaucoup à Jack Kerouac,et le titre même du roman rappelle celui dulivre le plus célèbre de Kerouac, On the Road(Sur la route), et ce que Jim Harrison, qui l’arencontré plusieurs fois, appelle « sonnomadisme effréné ».

Jim Harrison dit, au cours du mêmeentretien, qu’il a suivi de nombreux coursde littérature comparée à l’Université etque, très tôt, il s’est pris de passion pour lesécrivains américains, - russes, français, ital-iens, allemands, espagnols, anglais en parti-culier. C’est une autre forme de nomadisme,intellectuel celui-ci. Et il me paraît signifi-catif que ce nomade en littérature, qui peutpasser pour l’une des figures du compara-tisme, résiste devant des cas d’enracine-ment. C’est aussi ce qui peut expliquer qu’ildise n’aimer pas du tout le nationalismedans le domaine de l’art. « Personne n’en a

12 Jim Harrison, « Entretien avec Brice Matthieusent », dans Dire le monde, Gulliver n°1, Librio, 1998, p. 11-17.

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rien à faire », ajoute-t-il. « Nous lisons pourobtenir une transfusion sanguine ».

Etranger, j’imagine qu’Arthur Rimbaudle fut, déjà à Charleville, sa ville natale, àParis même, qu’il avait désiré, et plus tard àAden ou à Harar, où il avait choisi d’émigr-er, mais en laissant derrière lui toute littéra-ture. Alfred Ilg, l’ingénieur suisse qui étaitau service de Ménélik, en a témoigné : ilétait « taciturne, renfermé, ne cherchantaucune compagnie ». Jean Teulé a placécette citation en épigraphe d’un livre paruen 1991, l’année du centenaire de la mort,Rainbow pour Rimbaud13. Il fait d’Ilg un col-lègue de Rimbaud, ce qui est abusif, et,divisant en douze strophes cette sorte depoème en prose, il présente douze stations àtravers le monde, de Charleville-Mézières(première strophe) au petit cimetière deTarrafal, dans les îles du Cap-Vert, trèsexactement au nord de l’île de Sao Tiago, laplus grande de l’archipel, là où, « pendanttrois siècles, les Portugais ont coupé tous lesarbres de Sao Tiago pour construire desbateaux qui, aujourd’hui, pourrissent aufond de la mer », sans jamais en replanterdans ces dix îles dévastées, caillouteuses etdésolées. Rimbaud, qui n’y est jamais allé,aurait pu y mourir et aurait dû mourir peut-être dans un semblable paysage plutôt quedans une chambre confinée de l’hôpital dela Conception à Marseille. Il aurait dû ytrouver, dans la pierre aride et dans le vent,une tombe qui lui ressemble plus que celle,banale et bourgeoise, du cimetière deCharleville, - mesquine même, « étriquée,sociale, avare », selon Yves Bonnefoy14. Et eneffet, dans la dernière page du livre deTeulé, alors que deux touristes chinois pas-sent, à petits pas, dans l’allée du cimetièrede Tarrafal, passe dans le ciel, par-dessus lapetite tombe imaginaire de Rimbaud, « unnuage d’innocence », l’un de ceux qu’aimaitl’Etranger de Baudelaire :

« En passant par-dessus le Cap-Vert, il prendmomentanément la forme échevelée d’une tête de

poète adolescent. Puis il s’arrondit et redevientun nuage qui bascule, au-dessus de la mer.

Bien plus loin, selon les dépressions, il serapluie ou bien air.

Son passage fait onduler les fleurs et le feuil-lage de l’arbre et du buisson.

Du cliquetis végétal, on croit entendre troisphrases :

- Mon pauvre amour, bruisse l’arbre.- Mon pauvre amour, fleurit le buisson.- Mes pauvres enfants, dit le vent. »

On a pu lire, encadrée dans la premièrepage du Monde des livres daté du vendredi12 mars 2010, cette citation de VladimirNabokov, qui émigra de Russie en France,aux Etats-Unis et finalement en Suisse :

« Gogol était une créature étrange, mais legénie est toujours étrange ; ce n’est quel’écrivain médiocre, plein de santé, qui apparaîtaux yeux du lecteur reconnaissant comme unsage et vieil ami, exposant avec finesse les pro-pres opinions du lecteur sur la vie. »

Gogol lui-même en avait eu conscience,puisqu’à la veille de ses vingt ans, il s’étaitainsi défini : « Je suis pour tous une énigme,nul ne m’a entièrement deviné ». MichelNiqueux cite cette phrase dans sa récenteédition des Nouvelles complètes de NicolasGogol15, et Thomas Wieder la reprend dansle compte rendu qu’il a donné au mêmenuméro du Monde des Livres sous le titre « le‘mille-feuille’ de Gogol ».

Sainte-Beuve déjà, dans son article de1845, jugeait « dures et sauvages » les scènesreprésentées dans Tarass Boulba. La nouvelleappartient au premier des deux temps dis-tingués dans l’œuvre de Gogol par Eugène-Melchior de Vogüé, l’auteur du célèbre livresur Le Roman russe publié en 1886. Il étaitalors un jeune Ukrainien fasciné par l’épo-que des Cosaques et habité par les légendesdes steppes. Mais plus étrange encore est lesecond Gogol, un éternel déraciné, débarquéà Saint-Pétersbourg à l’âge de vingt ans etincapable d’y trouver sa place. Cet étrange-

13 Julliard, 1991, rééd. 10/18 no. 2251.14 Yves Bonnefoy, Rimbaud par lui-même, éd. du Seuil, Ecrivains de toujours, 1961, rééd. Rimbaud, 1994,

p. 169.15 Gallimard, Quarto, 2010.

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là naît de ce qu’on pourrait appeler l’é-trangéité de Gogol, se sentant étranger danscette grande ville qui est pour lui « un désertplus inclément que sa steppe natale ».

Ce sentiment d’étrangéité générateurd’étrange est la dominante des Nouvelles deSaint-Pétersbourg. Comme le poète polonaisAdam Mickiewicz, Gogol en parlait commed’ « une ville construite par Satan », c’est-à-dire, commente Thomas Wieder, « une terred’aliénation, désertée par les génies et gan-grenée par les médiocres ».

On peut être étranger au monde danslequel on se trouve, comme Meursault enAlgérie dans L’Etranger d’Albert Camus. Onpeut se sentir étranger dans le monde où ona été transplanté, comme Gogol à Saint-Pétersbourg ou, - bien pire encore -, commeCarlos Liscano quand, le 14 mars 1972, cejeune homme de vingt-cinq ans fut arrêtépar des militaires dans la ville deMontevideo, incarcéré par la junte alors aupouvoir en Uruguay, et emprisonné pen-dant treize ans dans un prétendu « péni-tencier de la Liberté ».

Le Monde des livres du 12 mars 2010 a con-sacré un autre long article, signé cette fois deFlorence Noiville, à celui qui découvrit l’écri-ture en prison, mais qui, au cours de cetteexpérience, se découvrit étranger à lui-même. Pour l’auteur de La Route d’Ithaque,du Fourgon des fous, de Souvenirs de la guerrerécente, c’était retrouver le sens, ou du moinsl’un des sens de la formule célèbre de Rim-baud : « Je est un autre ». Il l’est d’autant plussi, comme l’émigré d’un lieu à un autre, d’unpays et même d’un continent à un autre.

Et c’est précisément sous le titreL’Ecrivain et l’autre qu’a paru en 2010 chezBelfond un autre livre de Carlos Liscano,traduit pour la première fois en français parJean-Marie Saint-Lu. « J’ai le sentimentd’avoir construit un personnage qui est unécrivain », constate l’auteur, mais « derrièrece personnage, il n’y a rien ». Celui qui écrits’est peu à peu emparé de tout et a écrasél’autre ». Ou bien il est l’autre, l’intrus, l’é-tranger qui étrangement a écrasé le moi.

L’écriture, dont il attendait la vie, une autrevie, risque de la tuer.

L’image du désert revient chez l’écrivainuruguayen, prêt à conclure qu’ « écrire, c’estêtre attaché à un poteau au milieu du désertet vivre une inquiétude sans limite ». EtFlorence Noiville de se demander :

« Pourquoi Liscano a-t-il inventé Liscano ?Pourquoi a-t-il besoin de s’enchaîner à cet Autre,qui lui prend son oxygène, l’empêche de goûterde plain-pied aux plaisirs minuscules, passe sontemps à se demander s’il a raison d’écrire et ledroit de le faire, est pris de Vertige devant la van-ité de toute chose et se résout, abattu, à l’idéequ’il n’y a pas de paix dans les mots ? »

Je pense à ce poète équatorien, AlfredoGangotena (1904-1944) qui né et élevé àQuito suivit à Paris sa famille, installée pen-dant huit ans, de 1920 à 1928, au 157 de larue de la Pompe, tout près de la rue oùj’habite. Ecrivant et publiant d’abord enlangue espagnole, il publia dès l’âge devingt ans ses premiers poèmes en français,dont certains sont dédiés à Paul Claudel(« Provinces éoliennes »), à Jules Supervielle,à Jean Cocteau, à Henri Michaux qui l’ac-compagna quand il regagna l’Equateur endécembre 1927 et lui a consacré une présen-tation en février 1934 dans les Cahiers du sud.

Ce qui a frappé Michaux, c’est que ce quiaurait dû paraître familier à son ami« Gango » lui semblait étranger, à com-mencer par ce pays natal qu’il retrouvait, laterre bouleversée d’Orogénie, son recueil de1928, écrit et publié en français où « omni-forme est l’épouvante ». Et ceci dès le pre-mier poème qui s’ouvre ainsi :

« Ores qu’une force étrange me fait claquerdes dents,

Qu’un sifflement océanique de trombe mebrise les yeux,

Dans mon âme vente l’écho d’une voix pro-fonde.

Solitudes d’un monde abstrait,Solitudes à travers l’espace mélodique des

cieux,Solitudes, je vous pressens16. »

16 « Carême », dans Orogénie, publié le 22 mars 1928 par La NRF. Repris dans Alfredo Gangotena, Poèmesfrançais II, édition établie par Claude Couffon, Orphée La Différence, 1992, p. 31.

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C’est l’Amérique qui lui devient étran-gère, les Andes qui « s’exhalent en unevapeur chargée d’insectes, fiévreuse etempestée », l’Inca Tupac-Yupanqui qui re-vient « enguirlandé de plumes et de pal-mes », les poussières même qui « cherchentensemble / Une route d’ombre, / Sans par-venir à la trouver »17. « La terre fauve exhaleune odeur de boue » lors même qu’elle secouvre de ses pas, et il s’interroge lui-mêmem sur le sentiment d’étrangéité qu’iléprouve sur un vol qui ne devrait pas luiêtre étranger :

« Or dites-moi, qu’y-a-t-il d’étrange,De suspect, d’abrupt, au fond, sous ces

apparences charnelles ?Et qui m’empoigne, et m’arrache de mon

socle,Et me saisit par le dru faisceau de mes

veines ?18 »

C’est en lui que s’ouvrent et se déploientdes paysages inquiétants, des antichambresde la mort comme l’antique pays desCimmériens dans le chant XI de l’Odyssée etdans les délires rimbaldiens d’Une saison enenfer (Dans l’Apologie de Raimond deSebonde, Montaigne, parlant de ces mo-ments où il semble que l’âme se retire,écrivait : « Plus et moins, ce sont toujours lesténèbres, et ténèbres Cymmériennes »19) :

« O pourpre éclosion du vide. O terresd’Amérique,

L’édifice s’écroule à l’ombre de ma foi !Purifiez ce qu’il y a de permutable en moi,Frères, amis, éclairez donc les savanes, les

corridors,O frères, pour que mieux je connaisse le vol-

ume de la mort20. »

Il est aisé de tirer l’étrange du côté du

fantastique et de céder à ce que Louis Vax aappelé La séduction de l’étrange21. La littéra-ture hispano-américaine en fournirait biendes exemples. Et ce n’est pas un mince prob-lème non plus qu celui de L’étrangeté dutexte, sujet d’un essai de Claude Lévesquesur Nietzsche, Freud, Blanchot et Derrida22.Même dans ce cas « l’étrange expérience[qui] se constitue comme l’expériencemême de l’étrangeté » est moins différentequ’on ne pourrait le penser que celle qui,née de l’histoire, est transposée dans lestextes littéraires. « Peut-être », écrit ClaudeLévesque, « n’a-t-on pas suffisammentréfléchi à la violence réductrice qu’exercespontanément la pensée à l’égard de l’autre,dont l’apparition, dans l’horizon rassurantde ce qui nous est familier, est toujourssaisie comme une effraction dangereuse-ment menaçante ? ».

Encore aujourd’hui il demeure des tracesdu « ressentiment des colonisés », tel que l’aanalysé Marc Ferro23.

Il faudra encore du temps pour abolirdans l’imaginaire collectif la vision stéréo-typée de l’Autre, aborigène ou colonisateur.Le passé pèse sur le présent. Et le temps neparviendra pas à effacer complètement cetétranger que chacun peut être porte ennous. L’étude des mentalités est inséparabled’une étude du mental. Si la littérature com-parée s’est donné pour mission de mettre enregard des littératures prétendumentétrangères et de les faire communiquer, lalittérature en elle-même explore ce qu’il y ad’étrange en l’homme, dans son histoire etdans son devenir. Elle lui permet peut-êtreaussi de réconcilier avec cet étranger qu’illui est arrivé de craindre de porter en lui.

17 Absence, chez l’auteur, à Quito, ibid., p. 135, 139.18 Nuit, publié à Bruxelles dans les Cahiers des poètes catholiques en 1938, ibid., p. 180-181.19 Essais, II, XII, p. 921.20 « L’Homme de Truxillo », dans Orogénie, p. 65.21 Louis Vax, La Séduction de l’étrange. – Essai sur la littérature fantastique, Presses Universitaires de France,

1965, rééd. 1987.22 Claude Lévesque, L’étrangeté du texte, Union Générale d’Editions, 10/18, 1978, p. 94.23 Marc Ferro, Le ressentiment dans l’Histoire. – Comprendre notre temps, Odile Jacob, 2007, p. 171 sqq., où

l’auteur analyse en particulier le « ressentiment des colonisés » en Amérique indienne « depuis la sim-ple exigence de réparation, chez les Mapuches du Chili, jusqu’au terrorisme révolutionnaire du Sentierlumineux, au Pérou ».

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Literatura exilului românesc din ultimaparte a secolului XX este bogatã ºi se leagãdin punct de vedere tematic de comunismºi, ca spaþiu privilegiat, de cultura francezã.Parisul rãmâne un loc preferat de scriitoriiromâni ce fug de regimul ceauºist, deºi înaceastã perioadã se poate vorbi ºi desprescriitori români care îºi gãsesc un loc în cul-tura Statelor Unite, cum ar fi NormanManea sau Andrei Codrescu. Dupã cãdereacomunismului în 1989, termenul de litera-turã de exil devine însã impropriu pentru a

descrie activitatea unor scriitori pe carecondiþiile social-politice nu îi mai împiedicãsã revinã în þarã. Autorii români care trãiescºi scriu în afara graniþelor, uneori schim-bând þãrile sau limbile, nu sunt singurii carepun probleme de definire criticilor ºi isori-cilor literari. În ultimele decenii, termenulde scriitor migrant ºi-a fãcut apariþia tocmaipentru a descrie statutul ambiguu, darfoarte des întâlnit al celor care, prin felul încare trãiesc ºi scriu, transgreseazã graniþeleunei singure culturi naþionale. În paginile ur-mãtoare mã voi referi la câteva teme carac-teristice literaturii migrante care apar în ro-manele lui Þepeneag. Pentru aceasta voi în-cepe prin a expune pe scurt termenul recentde literaturã migrantã, punându-l în relaþie cuacela de literaturã a exilului. Dupã aceea, mãvoi opri asupra a douã romane scrise deDumitru Þepeneag, Porumbelul zboarã ºiMaramureº, ca ºi a unor fragmente din con-vorbirile scriitorului, pentru a identificafelul în care defineºte el raportul sãu proble-matic cu limbile în care ºi-a scris romanele ºicu literaturile de care ar vrea sã aparþinã.

1. Literaturã de exil sau literaturã migrantã ?

Prima distincþie care ar trebui fãcutã sereferã la aceea dintre literatura migrantã ºiliteratura exilului. Este vorba despre o difer-enþã importantã, este legatã de condiþiilesociale ºi politice ale lumii contemporane:dacã literatura de exil se defineºte prinexcluderea dintr-un spaþiu originar, undescriitorul nu se poate întoarce deoarece esteameninþat de închisoare sau de alte formede represiune ºi cenzurã, literatura mi-grantã nu se defineºte printr-o excludereexplicitã a scriitorului din spaþiul natal, ciprintr-un raport ambiguu, dar complicatîntre „acasã” ºi „lume”. Dificultatea de a de-fini literatura migrantã se leagã de aceastãrelaþie problematicã ºi complexã pe carescriitorul o are atât cu spaþiul de prove-nienþã, în care nu se simte acasã, cât ºi cuspaþiul unde trãieºte, fãrã a se simþi însã pe

AlexandraVRÃNCEANU*

Teme specificeliteraturii

migrante în prozalui Dumitru

Þepeneag

The aim of this paper is to identify and analyzea few characteristics theme concerningmigrant literature in Dumitru Tepeneag’snovels. Firstly, we explain succinctly therecent term of "migrant literature", compar-ing it with the notion of "the exile’s litera-ture". Secondly, we focus on two of thewriter’s books, "Porumbelul zboara" ("TheDove Flies") and "Maramures" and on someexcerpts from his dialogues in order to high-lights the manner in which he defines the rela-tion with the foreign languages to whom hewants to pertain.

Keywords: migrant literature, literature ofthe exile, Dumitru Tepeneag, "Porumbelulzboara" ("The Dove Flies"), "Maramures",foreign languages, cultural identity.

Abstract

*Universitatea din Bucureºti

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Alexandra Vrãnceanu

deplin integrat. Scriitorul migrant nu esteobligat sã rãmânã departe de casã/spaþiulde provenienþã, cum se întâmplã cu scrii-torul exilat, dar el nu se întoarce, deºi nimicnu îl ameninþã. Motivaþia scriitorului mi-grant de a rãmâne departe poate fi de ordineconomic, dar se poate lega ºi de faptul cãpreferã sã rãmânã într-un oraº interna-þional, cum ar fi Parisul sau New Yorkul,pentru a intra mai uºor în circuitul literarmondial. Aceasta ar fi diferenþa cea maiimportantã dintre literatura de exil ºi litera-tura migrantã, o motivaþie extraliteratrã,dar cu repercusiuni explicite asupra stiluluiºi tematicii operelor ce fac parte din aceastãcategorie.

Termenul de migrant literature porneºtede la câþiva scriitori britanici cu mare vizi-bilitate în spaþiul britanic ºi american, cumar fi Salman Rushdie, care preferã termenu-lui impropriu de exilat pe acela de migrant.Într-un articol în care urmãreºte transfor-marea condiþiei scriitorului exilat în scriitormigrant, Carine Mardorossian observã:

Over the last decade or so, some exiled post-colonial writers have reconfigured their identityby rejecting the status of exile for that of mi-grant. Both Salman Rushdie and BharatiMukherjee, for instance, have adopted the term«(im)migrant» to describe both their literaryproduction and their personal experience oftransculturation1.

Preluat de critici ai fenomenului post-colonialist, cum ar fi Homi Bhabha, care îlexplicã ºi defineºte, termenul de migrantliterature începe sã fie folosit din ce în ce maimult în spaþii multiculturale, cum ar fi celcanadian, pentru a defini producþia literarãcontemporanã a unor scriitori de originechinezã, indianã, africanã, turcã ce scriu înenglezã, francezã, italianã, germanã etc.Începând din anii 90 bibliografia criticã pri-vitoare la literatura migrantã se multiplicãîn proporþie geometricã, deoarece scriitorulmigrant are un raport ambiguu ºi proble-

matic atât cu spaþiul natal, unde nu se maisimte acasã, cât ºi cu acela unde trãieºte ºiscrie. Tocmai acest raport problematic apareuneori în temele pe care le trateazã ºi caresunt integrate într-o naraþiune de tipul auto-ficþiunii. Faptul cã scriitorul migrant nu esteexplicit exclus de nici un spaþiu geografic,nici cel de provenienþã, nici de cel sau celeunde se fixeazã, dar cã nu are starea de aaparþine nici unuia, este un sentiment cecaracterizeazã aceste texte, indiferent cã eleaparþin unui scriitor de origine românã cescrie la Paris, de origine indianã ce scrie laLondra, sau de origine chinezã care scrie laMontreal.

Într-o celebrã conferinþã cu titlul TheWorld and the Home, pe care o þine la Har-vard ºi o publicã apoi în revista «SocialText», Homi Bhabha îºi începe dicursul cu ofrazã în care avertizeazã pe cei ce se ocupãde literaturã, numiþi metaforic locuitori aicasei ficþiunii, cã trebuie sã gãseascã un modde a-i integra pe aceºti migranþi:

In the House of Fiction you can hear, today,the deep stirring of the “unhomely.” You mustpermit me this awkward word - the unhomely -because it captures something of the estrangingsense of the relocation of the home and the worldin an unhallowed place. To be unhomed is not tobe homeless, nor can the “unhomely” be easilyaccommodated in that familiar division of sociallife into private and the public spheres2.

The deep stirring descrie o miºcare pro-fundã, ºi care poate fi tradusã în românãatât prin „a agita“, cât ºi prin „a amesteca“.Discuþia care pune în relaþie the home ºi theworld este plinã de consecinþe pentru felul încare definim canonul literar, atât cel naþio-nal, cât ºi cel al literaturii universale. Terme-nul unhomely, pe care îl inventeazã ºi explicãBhabha în acest pasaj, derivã de la home,„acasã“, ºi descrie tocmai aceast raport pro-blematic între ceea ce scriitorul vede dreptacasã ºi lume. Faptul cã Homi Bhabha credecã the House of Fiction spaþiu imaginar ce îi

1 Carine M. Mardorossian, From Literature of Exile to Migrant Literature, «Modern Language Studies», Vol.32, nr. 2, Autumn, 2002, pp. 15-33

2 Homi Bhabha, The World and the Home, «Social Text», nr. 31/32, Third World and Post-Colonial Issues, 1992,p. 141.

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Teme specifice literaturii migrante

include atât pe scritori, cât ºi pe critici sauistoricii literari - trebuie sã-i ia în discuþie pescriitorii migranþi a avut un efect importantîn tematica lucrãrilor colocviilor ºi cerce-tãrilor din ultimele douã decenii.

În cultura canadianã discuþiile legate deliteratura migrantã s-au dovedit foarte fer-tile, iar criticul Daniel Chartier observã cãscriitura migrantã (l’écriture migrante) adevenit una dintre emblemele literaturii dela sfârºitul secolului al XX-lea ºi cã ea seînscrie prin hibriditatea culturalã în curen-tul postmodern3. Chartier diferenþiazã scrii-tura migrantã de alte categorii, cum ar fi lit-eratura etnicã sau literatura exilului defi-nind-o astfel: „la littérature migrante, qui sedéfinit par des thèmes liés au déplacementet à l’hybridité et par des formes partic-ulières, souvent teintées d’autobiographie,et qui est reçue comme une série dans la lit-

térature.“4 Pentru istoricii literari dinQuebec problema scriiturii migrante sepune tocmai din cauza faptului cã literatura„naþionalã” canadianã conþine numeroaseopere produse de scriitori veniþi din altespaþii culturale.

ªi Cristopher Prendergast considerã cãscriitura migrantã este noua modã, the newbuzz, în universul globalizat în care se pro-duce ºi se recepteazã literatura: “Spaceinflected by time, moreover, yields a geog-raphy that is fluid rather than fixed. As bor-ders blur, nation-states implode and the’world’ both speeds up and contracts,‘migration’ has become the new buzz-word”5. Christofer Prendergast observã înpasajul citat mai sus cã toate categoriilegeografice pe care ne-am obiºnuit sã lefolosim pentru a descrie ºi cataloga scrierileliterare s-au transformat mult în urma glob-alizãrii. Unul dintre aspectele esenþiale aleacestor modificãri se leagã de felul în careconcepem literatura naþionalã ºi de rolul pecare îl acordãm prin urmare scriitorilormigranþi/multiculturali/exilaþi, care scriu înmai multe limbi ºi trãiesc în mai multe þãri.

Un alt comparatist care a studiat acesteaspecte, Timothy Brennan observã într-unarticol intitulat The national longing for formcã paradigma exilului ºi cea a naþionalismu-lui corespund unor poli aflaþi în conflict :

How could the most universally legitimatepolitical ideology of our time fail to become atopos in postwar fiction? And how could itsexistence be ignored, or replaced by the topos ofexile, nationalism’s opposite? [….] Exile andnationalism are conflicting poles that correspondto more traditional aesthetic conflicts: artisticiconoclasm and communal assent, the uniquevision and the collective truth. In fact, manywords in the exile family divide themselvesbetween an archaic or literary sense and a mod-ern, political one: for example, banishment vs.deportation; émigré vs. immigrant; wanderer vs.refugee; exodus vs. flight. The division between

3 Daniel Chartier, Les origines de l’écriture migrante. L’immigration littéraire au Québec au cours des deuxderniers siècles, «Voix et Images», vol. 27, nr. 2, (80) 2002, p. 304.

4 Chartier, op.cit., p.305.5 Christofer Prendergast, Negotiating World Literature, «New Left Review», 8, mar.-apr. 2001, p.8

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Alexandra Vrãnceanu

exile and nationalism, therefore, presents itselfas one not only between individual and group,but between loser and winner, between a mood ofrejection and a mood of celebration6.

Voi porni de la divizarea profundã pecare criticii o fac între scriitura migrantã ºicanonul literar naþional, pentru a descrietrauma profundã pe care o resimte scriitorulcare aparþine mai multor universuri geo-grafice ºi culturale ºi care, mai ales, scrie înmai multe limbi.

2. Dumitru Þepeneag, de la literatura de exil la

la literatura migrantãTrecerea subtilã de la literatura de exil la

literatura migrantã se poate observa înromanele lui Dumitru Þepeneag, scrisecând în românã, când în francezã, când înambele limbi simultan. Dumitru Þepeneagera un scriitor cunoscut în România lasfârºitul anilor 70, când rãmâne la Paris.Numele lui era legat de acela al onirismuluiliterar, iar romanele sale, în stilul practicatde Le Nouveau Roman, în special AlainRobbe-Grillet, cunoscuserã aprecierea criti-cilor ºi a cititorilor. În 1975 Þepeneag pleacãla Paris, unde intenþioneazã sã fondeze orevistã destinatã scriitorilor din estulEuropei, Les Cahiers de l’Est, când aflã cãNicolae Ceauºescu i-a retras cetãþeniaromânã. Aflat într-o situaþie neaºteptatã ºinedoritã de apatrid, Þepeneag se vede con-strâns sã rãmânã la Paris, unde pentruînceput publicã mai multe romane în tra-ducerea francezã a lui Alain Paruit. Lamijlocul anilor 80, considerând cã nu va maiprinde momentul cãderii comunismului înRomânia, Þepeneag începe sã scrie treptat

în francezã, la început cu un roman experi-mental scris în românã ºi francezã, Le motsablier, ºi apoi doar în francezã.

Þepeneag mãrturiseºte cã nu a suferitprea mult de a fi fost obligat sã rãmânã laParis, oraº pe care îl iubeºte, dar cã exilulpentru el a însemnat renunþarea la limbaromânã ºi excluderea din circuitul literarromânesc7. Întrebat într-un interviu dacã i-afost dor de locurile natale, DumitruÞepeneag rãspunde:

Nu pot sã spun c-am suferit prea mult denostalgie, de dor dupã locurile natale. AdorParisul, care e cel mai frumos oraº din lume.Patria pentru mine înseamnã limba românã, delimba românã mi-a fost dor. Mai mult chiar ºidecât de prieteni. ªi mai era ceva, specific scri-itorului. Cuvintele mele erau sortite sã disparã,înghiþite de cuvintele traducãtorului meu. Câttimp am scris în românã am suferit la gândul cãde fapt eu nu existam decât ca un simplu nume(greu de pronunþat !) pe copertã. Ca un cap fãrãcorp. Acesta dispãrea într-un costum de împru-mut. Dacã mai mulþi ani n-am mai publicat ºiam preferat sã joc ºah sau sã scriu (în francezã)articole ºi cãrþi de ºah a fost ºi din cauza asta: numai suportam sã-mi fie ucise cuvintele. În anii80 m-am apucat sã scriu în francezã8.

Þepeneag publicã trei romane în france-zã, Le mot sablier, 1985, Roman de gare, 1986,Le pigeon vole, 1989 sub pseudonimul EdPastenague ºi mãrturiseºte: “A scrie în fran-cezã a fost o experienþã interesantã, pasion-antã chiar. Dar ºi chinuitoare…”9.

Dupã 1990 Þepeneag va reîncepe sã scrieîn românã, publicându-ºi romanele simul-tan în România ºi la Paris în francezã în tra-ducerea lui Alain Paruit, continuând sã trã-iascã la Paris, dar vizitând constant Româ-nia, unde, totuºi nu se simte cu adevãrat

6 Timothy Brennan, The national longing for form in «Nation and Narration», coord. Homi K.Bhabha,London, Routledge, 1990, p.60-61.

7 „Dupã ce mi s-a retras cetãþenia românã, în 1975, cãrþile mele au fost interzise (de fapt chiar mai înainte),numele meu pus la index, tabuizat, de parcã eram diavolul. Am fost expulzat nu numai din þarã, dar ºidin literatura românã. Ceea ce e mai grav, mai greu de suportat: nu s-a mai scris despre mine, am fostuitat, generaþia urmãtoare de scriitori – faimoºii optzeciºti – au putut pretinde cã nici nu m-au citit ( caºi cum cãrþile mele franþuzeºti nici nu ar fi existat).“ (Dumitru Þepeneag, Rãzboiul literaturii încã nu s-aîncheiat. Interviuri. Ediþie îngrijitã de Nicolae Bârna, Bucureºti, Editura Allfa, 2000, p.95)

8 Þepeneag, op.cit., p.20.9 Þepeneag, op.cit., p.129.

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Teme specifice literaturii migrante

acasã. Acest destin literar este un exempluinteresant pentru a observa transformareatreptatã a scriitorilor exilaþi în scriitorimigranþi deoarece Þepeneag, scriitor meta-referenþial ºi autor de proze poetice ºi exper-imentale, reflecteazã constant asupra con-diþiei scriitorului prins între douã culturi ºimai ales între douã limbi.

Comentariile asupra raporturilor dintrelimbi apar frecvent în scrierile lui Þepeneag,atât în romane cât ºi în interviuri sau eseuri.Le pigeon vole, publicat sub pseudonimul EdPastenague în 1988 ºi tradus dupã aceea deautor în românã, este un roman unde meta-textul ocupã un rol important ºi unde voceapersonajelor, numite Edmond, Edouard,Edgar, ceea ce trimite la pseudonimul auto-rului, se confundã cu vocea naratorului. Ac-þiunea are loc într-un Paris descris în stiluloniric ce caracteriza romanele lui Þepeneagscrise în românã, iar tema porumbeluluicare zboarã trimite simbolic la exil ºi la cãlã-torie. Una dintre temele care apare frecventîn discuþia dintre personaje este aceea aamestecului de limbi. Naratorul comentea-zã o scrisoare pe care o primise de laEdouard:

Aº vrea sã discut cu tine între patru ochi.Aºa, în scris, nu mã simt capabil sã rãspund lao întrebare ca aceasta: “Cui aparþine limbafrancezã?” Întrebare bizarã ºi stângace care paresã fie ecoul unor discuþii ale noastre din liceu.Provocator, Edgar pretindea cã franceza avea sãdisparã…

-Precum latina!-Strãbunii noºtri galii, zicea Edmond, nu-ºi

puneau probleme de felul acesta: vorbeaulatineºte cum auzeau.

-Adicã prost…-Asta a dus la ceea ce numim azi limba

francezã…-Viitorul aparþine creolei, se hlizea Edouard10.

Pentru a-ºi calma neliniºtea legatã defaptul cã fac prea multe greºeli în francezã,personajele reflecteazã la evoluþia viitoare aunei limbi care, precum latina, va da naºtere

la alte limbi “mai moderne”. Discuþia privi-toare la limbi revine dupã câteva pagini, totîn dialogul dintre Edouard ºi narator.Edouard îl sunã pe narator la telefon ºi în-cepe brusc discuþia cu întrebarea:

„cui aparþine limba francezã?” Îl las sã per-oreze, la telefon n-am nici aplomb, nici replicã.Mã simt niþel ridicol. În timp ce el, mamã, ce-imerge gura! Se poate oare vorbi de un locuitorproprietar în virtutea dreptului de preemþiunepe care þi-l dã naºterea?

– Cum?Þipã în telefon:– Am supt limba francezã o datã cu laptele

mamei!– E un citat?11

Apartenenþa sau mai curând non-aparte-nenþa la limba francezã este un aspect asu-pra cãruia personajele din Porumbelul zboarãrevin frecvent.

Motivul acestei reflecþii asupra aparte-nenþei la limba ºi cultura francezã se leagãde faptul cã Þepeneag începe sã scrie înfrancezã doar când se simte exclus din liter-atura românã pentru motive politice. Dupãrevoluþia românã ce duce la cãderea comu-nismului în 1989, el abandoneazã clubulscriitorilor francofoni, chiar dacã nu pãrã-seºte Franþa. Publicã în aceºti ani o trilogieHotel Europa, Pont des Arts, Maramuresh,unde apar temele literaturii migrante. Ro-manul Maramureº este centrat în jurul cãlã-toriei în varianta ei comicã ºi postmodernã,nu mai este vorba despre fuga exilatului,dar nici, ca în Întoarcerea huliganului de Nor-man Manea, de întoarcerea sa angoasatã înlocul de care fugise. Maramureº are o struc-turã de roman picaresc rescris în cheie post-modernã: un numãr mare de personaje,printre care ºi un personaj auctorial cu iden-titatea ambiguã ºi multiplã întreprind ocãlãtorie de la Paris cãtre Maramureº, oca-zie cu care întâlnesc un japonez, Matsumo-to, un fotograf pasionat de satele tradi-þionale, un american, Silberman, un neamþ,Fuhrmann ºi mai mulþi români migranþi,

10 Dumitru Þepeneag, Porumbelul zboarã, Bucureºti, Editura Univers, 1997, p.61-62.11 Þepeneag, op.cit., p.86

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Gore, Ana, Gicã, printre care un personajambiguu, numit Ion. Personajele romanuluicãlãtoresc spre Maramureº fãrã o motivaþieprecisã, probabil pentru a-ºi petrece va-canþa. Romanul se încheie surprinzãtor cu onuntã între douã personaje marginale, Gicã,un escroc român paralitic, emigrat la Paris ºio tânãrã de origine mixtã, turcã, irakianã,francezã, pe nume Amina. Nunta lui Gicã ºia Aminei, organizatã dupã obiceiul mara-mureºan, nu este rezultatul unei intrigicomplexe; ea apare la sfârºitul romanului caun fel de deus ex machina ironic.

Personajele pleacã de la Paris cu maºinaºi trec prin Viena ºi Budapesta, ocazie de acomenta diferenþele dintre þãri ºi a face oserie de observaþii cu tentã imagologicã. Elediscutã în pãrþile metatextuale ale romanu-lui, la fel ca în Don Quijote, despre romanulcare este pe cale de a se scrie ºi despremeritele sau lipsurile diverselor formulenarative, printre care ºi romanul picaresc.Un narator de persoana I care se amestecãîn acþiunea personajelor comenteazã eveni-mentele. Planurile ficþionale se amestecãfrecvent, iar personajele fac constant aluziela evenimente care s-au petrecut în HotelEuropa ºi Le Pont des Arts, primele douãromane ale trilogiei din care face parte ºiMaramureº. În aceastã trilogie apar maimulte discuþii ce privesc literatura ºi limbadiverºilor romancieri, iar personajele, une-ori haios de inculte, dar cu dorinþa snoabãde a pãrea mai culte decât sunt, fac referirela scriitori, de pildã Kafka sau Camus, dar ºiPastenague, vechiul pseudonim al lui Þepe-neag. Personaje discutã despre efectele glo-balizãrii, ºi anume faptul cã în Franþa roma-nele de succes sunt cele traduse din englezã.

Romanul Maramureº începe cu o discuþiela telefon ce aminteºte de exemplul comen-tat din Porumbelul zboarã. Discuþia se poartãîntre un Cititor ºi Autor pe teme legate delimbã, traducere ºi alte aspecte narative.Cititorul îl sunã pe Autor pentru a-i cereveºti despre soarta personajelor din roman-ul Le Pont des Arts, pe care tocmai l-a citit ºiar vrea sã ºtie unde se va petrece urmãtorul

roman al acestei trilogii. În acest context,Autorul se prezintã ca scriitor român, ceeace pune anumite probleme Cititoruluifrancez, care cumpãrase Le Pont des Artsdatoritã comentariului de pe coperta a patraa romanului, unde literatura era comparatãcu un pod. Când aflã cã acest comentariuaparþine traducãtorului ºi cã în plus Auto-rul, cu care tocmai discutã, este român, areun ºoc:

- Sunteþi român aºadar.- Da, sunt ºi român. Iar de câtva timp scriu

din nou în româneºte- Nici nu ºtiam cã existã scriitori în România.- Existã totuºi. Uitaþi-vã, scrie pe pagina de

gardã: traduit du roumain.- Da, sigur, dar cine se uitã pe pagina de

gardã. Dstrã însã locuiþi la Paris, nu-i aºa?- Da, locuiesc la Paris de vreo treizeci de ani.- A, sigur, atunci se explicã...- Ce anume?- Locuiþi la Paris de mic copil...- Nu chiar aºa de mic12.

Dialogul introduce douã mituri impor-tante ale literaturii migrante: mitul ameste-cului de limbi, Babel, ºi mitul oraºului mul-ticultural compus dintr-un amestec depopoare, Babilon. Cititorul, care va cãpãtaspre sfârºitul discuþiei ºi un nume, dr.Wolk,îl sunã pe Autor pentru cã voia sã-i su-gereze scriitorului sã-ºi ambienteze viitorulroman la New York, iar discuþia dintre celedouã personaje dezvoltã apoi mitul oraºuluibabilonic, al cãrui reprezentant este maicurând New York-ul decât Parisul. Dr.Wolkva deveni, la fel ca Cititorul din Dacã într-onoapte de iarnã un cãlãtor de Italo Calvino, unpersonaj al romanului, un personaj careporneºte în cãlãtorie spre Maramureº. Mitulturnului Babel (amestecul de limbi) apare înMaramureº ºi în dialogul personajelor, careau naþionalitãþi diferite ºi ale cãror limbi decomunicare sunt, alternativ, franceza, engle-za ºi româna.

Jocul cu identitatea ia la Þepeneag formeironice ºi meta-textuale: naratorul romanu-lui are mai multe identitãþi, între care tre-

12 Dumitru Þepeneag, Maramureº, Cluj Napoca, Editura Dacia, 2001, p.8.

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Teme specifice literaturii migrante

cerea se face fãrã semne explicite. Existã pede o parte jocurile dintre naratorul-personajºi alte mãºti auctoriale, cum ar fi de exem-plu scriitorul Pastenague, pseudonimul subcare Þepeneag13 a publicat mai multeromane în francezã. Într-unul din pasajelemetatextuale, naratorul mãrturiseºte cã seplictiseºte ºi se întreabã dacã n-ar trebui sã-l caute pe Pastenague, de la care nu maiavusese de mult nici o veste, de când acestaîi propusese sã-i traducã noul roman, celcare urmeazã dupã Pont des Arts, adicã toc-mai Maramuresh. Urmeazã un dialog în carePastenague îi cere naratorului informaþiidespre romanul pe care îl scrie:„- Cum îizice?“, întreabã Pastenague.

- Habar nu am...Încã nu are titlu. ªi-apoi,stai niþel, nici n-am scris mare lucru [...] Nuºtiu dacã se face sã-l împopoþonez cu un aseme-nea titlu. Deja numele autorului nu e prea...Oricât i-ar atrage titlul cãrþii, când încearcã sãciteascã numele autorului le trece pofta sã maideschidã cartea, s-o rãsfoiascã. [....]

- Dar de ce? a insistat Pastenague, de ce atâtadescurajare?

Descurajarea naratorului romanului Ma-ramuresh se leagã de imaginea României înFranþa, care complicã ºi mai mult prezenþasa pe scena culturalã frnacezã. În afara nu-melui de nerostit, crede naratorul, publiculnu va cumpãra un roman scris de un român:„Înþelegi? Mineri zurbagii, þigani borfaºi,þãrani cerºetori, intelctuali antisemiþi, copiibolnavi de SIDA, leproºi. Asta-i imagineaRomâniei în lume.»14 Angoasa cã numele luie greu de pronunþat ºi cã din acest motivcititorii francezi vor evita romanele luiapare frecvent în romanele lui Þepeneag, iarîn Maramuresh într-o formã ironicã:

- Cum îl cheamã pe autor? întrebã dr.Wolk?Se referea bineînþeles la cartea în care era descrissindromul acela îngrozitor.

- I-am uitat numele, recunoscu dr. Lewis.- E un nume de trei silabe, susurã Pierette.- Nu e un nume francez, adãugã dr.Gachet.

Mã rog, vreau sã zic cã nu e un nume francez debaºtinã... Nu e Dupont. Nu e nici Sartre... niciCamus.

- Care Camus?15

Or, identitatea naratorului cu nume greude reþinut se leagã, în primul rând, de faptulde a scrie ºi de a fi citit:

Un gând pune încet-încet stãpânire pemintea mea, de fapt, nici nu ºtiu dacã poate finumit gând sau idee sau dracu ºtie cum [...] nusunt deloc sigur cã e vorba de mine. Asta e celmai groaznic! Sã nu fii sigur de propria ta iden-titate. Acum când gândesc ºi scriu exist,bineînþeles, dar am existat oare ºi înainte de ascrie ce scriu? ªi sub ce formã?16

Deºi jocurile cu identitatea naratoruluisunt similare cu cele folosite de naratoriipostmoderni, unde tehnicile metatextualedizolvau frontiera dintre universul ficþionalºi cea realã, la Þepeneag reflecþia asupraidentitãþii ºi asupra actului scriiturii se aso-ciazã tematicii scriiturii migrante. În timpulcrizei de sciaticã, naratorul bea multã hor-incã, sperând cã îi va trece durerea ºi cugetã:

Sper sã nu lecuiascã doar reumatismul dar ºibolile sufletului, ori mãcar sã le aline, sã leîmpiedice sã devinã mortale, boala depeizãrii depildã, care n-are nici o legãturã cu locul în carete afli, ci cu nãravul de a te gândi pe tine însuþica pe un individ rupt de colectivitate, oricare arfi aceasta, individ izolat ºi mãcinat de dorurifãrã adresã. Vreau sã spun cã nici aici, înMaramureº, nu mã simt mai acasã decât pemeleaguri strãine; poate cã pentru mine nici numai existã un acasã, deºi dincolo de aria de cir-culaþie a limbii materne înstrãinarea e resimþitãºi mai puternic17.

În acest pasaj ce pare transpunerea înroman a observaþiei lui Homi Bhabha

13 D.Þepeneag a publicat sub acest pseudonim romanul Le pigeon vole. În Maramureº personajele discutãdespre Pastenague, întrebându-se unde a dispãrut.

14 Þepeneag, op.cit., p.41.15 Þepeneag, op.cit., p.102.16 Þepeneag, op.cit., p.69. 17 Þepeneag, op.cit, p.300.

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comentatã la începutul acestui studiu, thedeep stirring of the unhomely, se simteangoasa scriitorului care, deºi nu mai esteexilat, nu mai are un „acasã“. Raportul din-tre centru ºi periferie se modificã radical întrecerea de la literatura exilului la scriituramigrantã: pentru cã, dacã exilatul sedefineºte faþã de un centru pe care l-a pier-dut, dar de care îi e dor, în schimb scriitorulmigrant nu îºi mai defineºte universul înfuncþie de un centru anume, ci trãieºte într-un spaþiu amorf, compus din unitãþi simi-lare între care cãlãtoreºte înstrãinat. Ideeadin pasajul citat mai sus revine într-un in-terviu, unde Þepeneag afirmã: „Se pot umplepagini întregi despre exil, despre acest microcos-mos care, din punct de vedere social ºi psiholo-gic, rãsfrânge trãsãturile macrocosmosului, cares-a rupt, accentuându-le. În ce mã priveºte, amajuns la un moment dat în situaþia de-a fi exilatîn exil.“18 Motivaþia pentru acest „exil înexil“ pe care îl mãrturiseºte aici scriitorul segãseºte în felul în care defineºte raportuldintre limbã-istorie literarã-spaþiu geogra-fic-naþiune.

3. Apartenenþa la un spaþiu literar: literatura naþionalã

Când dupã 1990 Þepeneag reîncepe sãscrie în românã ºi îºi publicã romanele,iniþial publicate în Franþa, în traducere înRomânia, el cautã sã-ºi redefineascã identi-tatea pentru a reintra în canonul literarromânesc, iar faptul cã este definit ca unscriitor în exil îl iritã:

Nu pretind cã exilul n-a influenþat literaturape care am fãcut-o în toþi aceºti ani. Aºa cumbineînþeles ºi limba francezã, frecventarea ei zil-nicã prin vorbã sau prin scris a lãsat urme înscriitura mea. Dar exilul e un accident biograficnu o «matcã stilisticã» (Blaga). Dacã deveneamciung sau altfel handicapat, dacã mã îmbol-nãveam de o boalã gravã, ºi asta mi-ar fi influ-

enþat literatura, dar asta nu înseamnã cã trebuiesã recãdem în biografism numai pentru cã amobosit sã fim structuraliºti, iar vântul modei ºi-a schimbat direcþia19.

Acest pasaj descrie perfect angoasa scri-itorului care nu se mai recunoaºte în struc-turile ce definesc the House of Fiction a tim-purilor noastre globalizate. Felul în care arvrea sã reducã exilul la un accident biogra-fic aratã neîncrederea lui Þepeneag în posi-bilitatea gãsirii unui spaþiu literar simbolicdiferit de acela al literaturilor naþionale, carea caracterizat sistemul literar pânã acum.Pentru a descrie apartenenþa culturalã la unspaþiu Þepeneag acceptã un singur criteriu,limba:

Apartenenþa la o literaturã e în funcþie delimba în care se scrie, nicidecum de criteriietnice sau rasiale. Dar poate cã nu e de ajuns. Afi într-o literaturã înseamnã a fi omologat caatare de istoria literarã. N-am vãzut-o în nici oistorie a literaturii franceze pe Iulia Haºdeu. Le-am vãzut în schimb pe Anne de Noailles ºi peMarthe Bibesco. Literatura franco-românã?Care e elementul decisiv în încruciºarea asta?Desigur limba, adicã limba francezã. (Nu suntmulþi francezi care emigreazã în România ºiscriu în limba românã!..) Dacã Matei Viºniec vareuºi sã înveþe cum se cade franceza va scrie înfrancezã în aºa fel încât sã poatã fi socotit scri-itor francez20.

Acesta este motivul pentru care el va re-începe sã scrie în românã, deoarece nu credeîn posibilitatea existenþei pe termen lung aunui spaþiu intermediar, aflat între douãlimbi ºi douã culturi : „exilul românesc nupoate evita soarta rezervatã oricãrui exil - sãdevinã o diasporã. Sã se dilueze încetul cuîncetul ºi pânã la urmã sã disparã din conºti-inþa þãrii. Exilul nu are cum sã se menþinãnici ca entitate literarã, nici ca una politicã“21.

Întoarcerea lui Þepeneag la limba ro-mânã se leagã de influenþa pe care a exerci-

18 Þepeneag, Dumitru Þepeneag, Rãzboiul literaturii încã nu s-a încheiat. Interviuri. Ediþie îngrijitã deNicolae Bârna, Bucureºti, Editura Allfa, 2000, p. 21

19 Þepeneag, op.cit., p.197.20 Þepeneag, op.cit., p.192.21 Þepeneag, op.cit., p.97.

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Teme specifice literaturii migrante

tat-o judecata criticului Ion Negoiþescuasupra sa. Când Þepeneag îi trimite lui Ne-goiþescu romanele sale scrise în francezã,acesta refuzã sã le ia în consideraþie ºi sãscrie despre ele: „Forþa argumentãrii luiNego stã în simplitatea ei: limba e singurulcriteriu pentru determinarea unei litera-turi”22. De aceea dupã 1989 Þepeneag, carenu crede în viabilitatea unei literaturi înafara spaþiului naþional, se întoarce la limbaromânã. Este interesant de observat cãrefuzul unei literaturi transnaþionale aparela el un din ignoranþã, ci dintr-o rezervã descriitor care crede în spiritul limbii, deromancier care a scris prozã poeticã:

Refuzul lui Nego de a scrie despre romanelemele franþuzeºti mi-a adus aminte de cruzimeacu care G.Cãlinescu îl îmbrânceºte pe PanaitIstrati în afara literaturii române. E, desigur, oatitudine dicutabilã ºi, în plus, mai ales la

Cãlinescu, circumstanþiatã istoric. Are însãmeritul de a fi limpede. Altfel, se poate argu-menta împotriva ei, mai ales de când conceptulde literaturã s-a cosmopolitizat, iar recepþia e pecale sã devinã mondializantã. Dar nu ºtiu dacãaceastã mondializare este chiar un progres…Care e þinta? Desfiinþarea literaturilor naþio-nale? Toatã lumea va scrie în englezã ? Pentrumine, aceastã mondializare a artelor, precum ºi aartei literare, e un semn de crizã, cel puþin con-ceptualã : noþiunea de artã (dar ºi de literaturã)s-a lãrgit ºi se va lãrgi într-atât încât minþiinoastre îi vine din ce în ce mai greu sã o con-ceapã, s-o realizeze23.

Dupã cum se vede din acest pasaj, pen-tru Þepeneag spaþiul literaturii naþionaledefinit de limba de expresie este singuruldestinatar al literaturii, iar ideea unui uni-vers literar cosmopolit populat de scriitorimigranþi de origini diferite ºi circulând spre

22 Þepeneag, op.cit., p.218.23 Þepeneag, op.cit., 219.

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destinaþii diverse îi pare de neconceput.Þepeneag este perfect conºtient de efecteleglobalizãrii ºi de asemenea de dispariþialiteraturii de exil24, dar nu pare pregãtit sãintre în noul univers literar globalizat.

4. Existã categorii ale sistemuluiliterar în afara spaþiului simbolic

al literaturii naþionale?Dupã cum se vede din afirmaþiile lui

Þepeneag comentate pânã acum, poziþia saîn cadrul unui sistem literar este o problemãimportantã, iar apartenenþa sa la o categorieimprecisã aflatã în afara sistemelor literarenaþionale îl nemulþumeºte. Dispariþia cate-goriei intitulatã „literatura de exil“, care ca-racteriza opera unor scriitori emigraþi întimpul regimului comunist, pune problemeîn momentul în care trebuie sã clasãmoperele unor scriitori care aparþin mai mul-tor spaþii culturale. Rolul istoriei literare, alecãrei repere teoretice au fost puse în discuþieîn ultimele douã-trei decenii, este acela de aconceptualiza o nouã categorie, care sãdefineascã scriitorii ce aparþin prin limbã ºiculturã mai multor spaþii geografice. Între-barea care se pune nu ar mai trebui sã fie:aparþine Salman Rushdie mai curând Indieisau Marii Britanii?, ci în ce mod aparþineambelor culturi.

Studiul scriitorilor migranþi sau exilaþieste în mod particular relevant pentru lite-ratura românã deoarece ei apar, mereu într-o poziþie marginalã, începând chiar de laoriginile literaturii române. Într-o lucrarededicatã exilului românesc Eva Behringpropune o periodizare a scriitorilor de origi-ne românã care au ales sã plece din Româ-nia ºi au publicat apoi în diverse alte limbi.

În capitolul introductiv, unde defineºte ca-tegoria de scriitor al exilului25, Eva Behringîi include printre predecesori pe boierii cãr-turari Ureche, Costin sau Cantemir, care aucunoscut exilul fie în tinereþe, fie la sfârºitulvieþii lor ºi, de asemenea, pe scriitorii ro-mantici de la 1848. Dupã ce prezintã o tipo-logie a scriitorilor care au pãrãsit Româniaîn perioada comunistã, Eva Behring observãcã istoricii literari români au integrat târziuºi cu dificultate literatura exilului în spaþiulliteraturii naþionale, ºi cã atât în articolele decriticã literarã, cât ºi în dicþionarele de lite-raturã, scriitorii exilaþi sunt înregistraþi cascriitori români ºi doar cu operele publicateîn România înainte de plecare.

Atât timp cât istoria literarã este conce-putã în jurul delimitãrii unui „specific na-þional” scriitorul exilat sau migrant nupoate fi definit decât drept un caz aparte.Dacã privim însã lucrãrile scriitorilor careaparþin mai multor spaþii geografice ºi cul-turale din perspectiva studiilor postcolo-niale ºi a istoriilor literare postmoderne,atunci operele scriitorilor migranþi nu maipar marginale ºi dificil de încadrat, ci, dim-potrivã, se vãdesc a fi o categorie esenþialãpentru a descrie epoca globalizãrii. Studiulliteraturii migrante devine relevant mai alespentru cultura contemporanã, care se con-fruntã cu o crizã a vechilor concepte ce de-scriau ºi clasau literatura în funcþie de curen-te literare ºi spaþii geografice. O crizã caretransformã nu doar felul în care este vãzutãliteratura aparent marginalã a scriitorilorexilaþi sau migranþi, ci chiar felul în care esteconceputã istoria literarã naþionalã.

În articolul introductiv la numãrul cutema Immigrant Fictions din revista «Con-temporary literature»26, articol intitulat The

24 Discutând despre statutul scriitorului emigrat dupã 89, Þepeneag observã: „Nu cred cã se mai poatevorbi azi de un exil. Mai degrabã de o diasporã. Scriitorul din emigraþie, din fostul exil, nu mai einterzis, poate publica orice în România. Vreau sã spun cã nu mai putem vorbi de anonimat, de mar-ginalizare, de uitare… în cuºca în care artistul intra pentru a demostra «lumii» capacitatea sa deîndurare. Scriitorul emigrant e mai degrabã un privilegiat acum. […] Eu continui sã fiu într-un exil sãzicem etnic, atenuat însã de cosmopolitismul Parisului.“,Þepeneag, op.cit p.163.

25 „Asuprire, urmãrire politicã, discriminare, închisoare ºi ameninþare cu închisoarea, interdicþie de pub-licare ºi cenzurã – cu alte cuvinte, motive politice ºi cultural-politice pentru expulzare sau pentru a luapropria decizie de pãrãsire a þãrii – toate acestea mi se par determinante indispensabile pentru definirea«exilului»“, Eva Behring, Scriitori români din exil 1945-1989. O perspectivã istorico-literarã, Bucureºti,Ed.Fundaþiei Culturale Române, Bucureºti, 2001, trad.Tatiana Petrache ºi Lucia Nicolau, p.12

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Teme specifice literaturii migrante

transnational book and the migrant writerRebecca Walkowitz porneºte de la ideea cãlocul unde se produce literatura nu mai estesuficient pentru a o defini27. Articolul ei sebazeazã pe teoria pe care Homi Bhabha oexpune în The Location of Culture, unde ob-servã cã transmiterea consensualã ºi con-tiguã a tradiþiilor istorice, comunitãþileetnice organice ºi cultura naþionalã omo-genã sunt concepte ºi realitãþi aflate într-unprofund proces de redefinire28. Faptul cãceea ce odinioarã era considerat drept cul-turã naþionalã se dovedeºte a fi, la o analizãmai atentã, un ansamblu eterogen conducela necesitatea de a studia literatura în reþelecare pun în relaþie operele atât la nivelultemelor, cât ºi la acela al proceselor sociale.Ideea este susþinutã ºi de alþi critici, cum arfi de exemplu David Damrosch în What isWorld Literature?29, sau Haun Saussy în Com-parative Literature in an Age of Globalization30.De aceea Rebecca Walkowitz considerã cã înepoca globalizãrii studiul literaturii contem-porane este în bunã mãsurã un studiu com-paratistic, deoarece operele circulã ºiaparþin mai multor sisteme literare înacelaºi timp, ceea ce atrage necesitatea ca elesã fie interpretate în cadrul mai multortradiþii naþionale31.

Cercetãtorii observã cã textele scriitorilormigranþi destabilizeazã concepþia despre

istorie literarã, construitã în jurul ideii denaþiune32 ºi subliniazã necesitatea de gãsi unsistem pentru a analiza textele care aparþinmai multor sisteme literare, ºi care astfeltransgreseazã limitele istoriei literare naþio-nale33. Asistãm la un fenomen pe care cer-cetãtorii îl leagã de circulaþia care caracteri-zeazã scriitorii, operele ºi sistemele de anali-zã ale epocii globalizãrii. Ei observã cã mi-graþia scriitorilor duce la modificarea dininterior a sistemului literar care se baza peparadigmele tradiþiei ºi limbii. Aceste obser-vaþii au un efect critic profund deoarece a ac-cepta aceastã transformare pe care o aducesistemului literar naþional, respectiv accep-tarea scriitorilor migranþi cere ºi revizuireaistoriilor literare scrise pânã acum.

Epoca globalizãrii are un efect profundnu doar asupra asupra scriitorilor migranþisau asupra felului în care se scrie istoria lit-erarã, ci ºi asupra felului în care definimfuncþia socialã a literaturii. Pornind de laobservaþia cã studiul literaturii universaleeste analiza felului în care ne recunoaºtemîn proiecþia alteritãþii, Bhabha considerã cãtransmiterea tradiþiilor naþionale, care eradomeniul de studiu privilegiat al literaturiiuniversale, ar putea fi înlocuit de studiereaistoriilor transnaþionale ale migranþilor, col-onizaþilor sau a refugiaþilor politici34. Legã-

26 Rebecca Walkowitz, The transnational book and the migrant writer, «Contemporary Literature», XLVII, 4,2006.

27 Walcowitz, op.cit., p. 52728 „The very concepts of homogenous national cultures, the consensual or contiguous transmission of his-

torical traditions, or ‘organic’ ethnic communities—as the grounds of cultural comparativism—are in aprofound process of redefinition”, Homi K.Bhabha, The Location of Culture, London, Routledge, 1994,p.5.

29 David Damrosch, What is World Literature?, Harvard, Harvard University Press, 2003.30 Haun Saussy (coord.), Comparative Literature in an Age of Globalization, Baltimore, The Johns Hopkins

University Press, 2006, vezi în special articolul introductiv al lui Haun Saussy, «Exquisite CadaversStiched from Fresh Nightmares: Of Memes, Hives, and Selfish Genes», p.3-42

31 Walcowitz, op.cit, p. 529.32 Wen Jin crede cã circulaþia ficþiunilor migrante destabilizeazã concepþiile despre istoria literarã, Wen

Jin Transnational Criticism and Asian Immigrant Literature in the U.S.: Reading Yan Geling’s Fusang and ItsEnglish Translation, «Contemporary Literature», XLVII, 4, 2006, p.570-600.

33 Vezi Walcowitz, op.cit., p. 533. Vezi de asemenea cap. 2, Origines et pérennité de la transculture (p.71- 106)din cartea lui Simon Harel, «Les passages obligés de l’écriture migrante», Montréal, XYZ Editeur, 2005.

34 „The study of world literature might be the study of the way in which cultures recognize themselvesthrough their projections of “otherness”. Where the transmission of “national” traditions was once themajor theme of a world literature, perhaps we can now suggest that transnational histories of migrants,the colonized or political refugees - these border and frontier conditions – may be the terrains of WorldLiterature. The center of such a study would neither be the “sovereignty” of national cultures, nor the“universalism” of human culture, but a focus on those “freak displacements” – such as Morrison and

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Alexandra Vrãnceanu

tura dintre scriitorii migranþi ºi literaturatransnaþionalã35 este profundã deoarece tex-tele concepute pentru a fi tipãrite, traduse ºicitite în mai multe spaþii literare, cum estede exemplu cazul romanelor lui Þepeneagdiscutate mai sus fac parte dintr-o familiemai mare de texte, care reuneºte scriitori deorigine indianã care scriu în englezã, scri-itori maghrebini care scriu în francezã, scri-itori turci care scriu în germanã etc.

Miºcarea profundã pe care the unhomely,cei care nu se simt acasã, scriitorii migranþi,o produc în sistemul literar mondial, theHouse of Fiction, are ca efect o schimbare deparadigmã în analiza literaturii. Aceastacere o modificare de perspectivã atât la ni-velul metodologiei filologice, adicã în felulîn care utilizãm explicaþia de text, care sedovedeºte mai utilã ca niciodatã, cât ºi, evi-dent, la nivelul ideologiei literare.

Modificarea de perspectivã asupra felu-lui în care se face istoria literarã ºi a roluluisãu în cadrul disciplinelor umaniste nu emotivatã doar de apariþia unui numãr marede scriitorii migranþi. Ea porneºte în anii 90cu texte fundamentale cum ar fi lucrarea luiDavid Perkins Is Literary History Possible?36,unde teoreticianul observã cã istoria literarãconceputã ca o naraþiune explicativã, aºacum se fãcea în secolul al XIX-lea ºi în primajumãtate a secolului al XX-lea pare depãºitãîn cultura postmodernã. Existã mai multeproiecte de istorii literare transnaþionale,toate fiind rezultatul unor proiecte cecuprind numeroºi specialiºti din multe þãriºi care se întind pe mai mulþi ani. Unul din-tre ele, care se referã ºi la cultura românãeste cel coordonat de Marcel Cornis-Pope ºiJohn Neubaeur37 intitulat The History of theLiterary Cultures of East-Central Europe:Junctures and Disjunctures in the 19th and

20th Centuries, unde autorii proveniþi dinzone cultural diverse ºi cu specializãridiverse îºi propun sã defineascã instituþiileculturale din aceastã zonã privindu-le dinpuncte de vedere cât mai diverse. Un altproiect de amploare care îºi propune sãofere o alternativã este Studying Transcul-tural Literary History, coordonat de GunillaLindberg-Wada, unde numeroºi specialiºtiîn literaturã îºi propun sã gãseascã un modde a depãºi limitãrile istoriilor literare na-þionale. Alãturi de lucrãrile teoretice dejadevenite clasice ale unor Bhabha sau Saidcare discutã idelogia aflatã în spatele cano-nului literar, alãturi de numeroasele cer-cetãri ce privesc operele unor scriitori mi-granþi, aceste istorii literare transnaþionalearatã cã istoricii literari sunt gata sã schimbesistemul îngust de clasare care caracterizaistoriile literare naþionale ºi sã gãseascã oparadigmã literarã mai potrivitã epociitransnaþionale în care trãim. Aceºti cercetã-tori nu cred cã istoria literarã este moartãsau imposibilã, aºa cum pare a sugera titlullucrãrii lui David Perkins, ci doar cã s-a pro-dus o schimbare profundã de perspectivãasupra modului în care ea este fãcutã. Noileistorii literare abat atenþia de la specificulnaþional pe care, începând cu secolul al XIX-lea, sistemul herderian îl punea în centrulpreocupãrilor ºi cer o deschidere mai mare,care sã includã ºi categorii marginale, cumar fi de exemplu scriitorii migranþi.

Aceste cercetãri ce propun o viziunenouã asupra istoriei literare ar putea puneîn luminã una dintre trãsãturile caracteris-tice ale culturii române, care a „exportat“numeroºi scriitori în diverse culturi ºidiverse perioade. O astfel de perspectivã sedovedeºte în orice caz utilã în analiza opereiunor scriitori cum este Dumitru Þepeneag.

Gordimer display – that have been caused within cultural lives of postcolonial societies.», Bhabha,op.cit., p.145-146.

35 Vezi grupajul de articole cu tema Literature in Circulation din volumul «Studying Transcultural LiteraryHistory», Gunilla Lindberg-Wada (coord.), în special articolul lui Mads Rosenthal Thomsen, MigrantWriters and Cosmopolitan Readers, p.244-250.

36 David Perkins, Is Literary History Possible?, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1992, veziºi Richard Rorty, «Looking Back at Literary History», in Saussy (coord.), op.cit., p. 63-67.

37 Marcel Cornis-Pope, John Neubauer, «Towards a History of the Literary Cultures in East-CentralEurope: Theoretical Refl ections», ACLS Occasional Paper, No. 52., 2002.

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„Dacã cineva mã întreabã cum mã chea-mã, trebuie sã spun: Întrebaþi-o pe mama”2.Este concentratã în aceastã frazã dramaexistenþei Aglajei Veteranyi, povestitã încartea sa de debut, De ce fierbe copilul înmãmãligã, un roman autobiografic în carediscursul se articuleazã pe nivele diferite.Ca ºi cum în fragmentul citat al textului,

unei ipostaze realiste (evitarea dezvãluiriiidentitãþii, pentru a nu fi „trimisã înapoi” înRomânia) i s-ar suprapune în mod constanto semnificaþie simbolicã mai adâncã.Atenþia trebuie sã fie focalizatã pe carac-terul imediat al „cuvântului-imagine”, pen-tru a descoperi mesajul ascuns în numeroa-sele reverii ale protagonistei, mesaj carepoate rãmâne neînþeles de cititorul decep-þionat, care se opreºte la aspectele superfi-ciale ºi-ºi neagã posibilitatea de a participaideal la naraþiune. O participare care nu tre-buie sã fie interpretatã drept o identificarecu povestea Aglajei, sau drept o împãrtãºirea emoþiilor sale, ci mai degrabã ca o posibili-tate pentru cititor sã se lase „rãpit” de cu-vântul pur, sã simtã ºi sã fixeze imaginea înminte, în mod spontan ºi imediat.

În acest mod vor putea fi completatespaþiile albe pe care scriitoarea a vrut sã lelase pe foarte multe pagini; ºi cele în care osingurã frazã, fie ºi scrisã cu litere mari, estesuficientã pentru a transmite forþa expresivãa unei tãceri lungi, dureroase, de moarte.„SUNTEM DE MAI MULTà VREMEMORÞI DECÎT VII”3: iatã, poate, sensulacelor spaþii albe lãsate, în care porþiunilereduse de text sunt parcã doar o invitaþie lao reflecþie asupra scurtelor noastre vieþi. Oviaþã pe care Aglaja Veteranyi a hotãrât s-oscurteze ºi mai mult, alegând moartea ca„þintã” a unui drum, în care momentele du-reroase le depãºesc pe cele fericite, în careabsenþa punctelor de referinþã a influenþatdramatic construcþia personalitãþii protago-nistei.

Aglaja este o nomadã, crescutã într-ofamilie de artiºti de circ ºi, de aceea, con-strânsã la o continuã peregrinare prin lume.Aceasta se reflectã mai puternic în planulsufletesc, aºa cã imposibilitatea de a trãiîntr-o „casã proprie”, în care se pot fixaamintirile ºi în care se poate gãsi un refugiu,un loc protejat ºi protector, va contribui laconfigurarea unei adevãrate angoase exis-tenþiale pentru protagonistã, care va încer-

Danilo DESALAZAR*

„Cresc înapoi"1.Aglaja Veteranyi:

Regressus ad uterumºi premisele

unei sinucideri

This paper is centred on Aglaya Veteranyi’sautobiographic novel "Warum das Kind in derPolenta kocht" ("Why Is the Childe Boiling inthe Maize Porridge"). Aglaja is a nomad,grown in a family of circus artists and thus isconstraint to a continuous pilgrimage around.This infinite journey impedes her to have andlive in an own home, in which she might keephis memories and find a shelter, a protectedand protective place. Consequently, the protag-onist would try to build her own world, anartificial paradise. The book represents thestory of a traumatized childhood and adoles-cence. The parents would become the reflexionof her fears and sufferance.

Keywords: Aglaja Veteranyi, "Warum dasKind in der Polenta kocht" ("Why Is theChilde Boiling in the Maize Porridge"), auto-biography, infinite pilgrimage, identity, shel-ter, home, artificial paradise.

Abstract

*Università della Calabria1 A. Veteranyi, De ce fierbe copilul în mãmãligã, trad. N. Iuga, Iaºi, Polirom, 2003, p. 147. 2 Op. cit., p. 51.3 Op. cit., p. 62.

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Danilo de Salazar

ca, singurã, sã-ºi construiascã „propriul colþde lume”. De ce fierbe copilul în mãmãligã estepovestea durã a unei copilãrii ºi a unei ado-lescenþe trãite sub semnul violenþelordomestice, al alcoolismului, al incesturilor,al degradãrii fiecãrui punct de referinþãnecesar. Chiar figurile pãrinteºti vor deveni,simbolic, o reflectare a tuturor spaimelor ºisuferinþelor, care nu vor gãsi o altã soluþiedecât sinuciderea. Aceastã idee a însoþit-oparcã pe Aglaja de-a lungul vieþii ºi a fost

anunþatã ºi în prima ei carte: „Cel mai multmi-ar plãcea sã fiu moartã”4.

Discursul intim al romanului De ce fierbecopilul în mãmãligã se desfãºoarã în douãdirecþii5 ale imaginarului: pe dominanta po-ziþionalã se plaseazã imaginea tatãlui, asoci-atã în mod constant celei a lui dumnezeu;pe cea digestivã se plaseazã mama, pivotultuturor reveriilor copilãreºti ale protagonis-tei, ale cãrei angoase se vor manifesta defi-nitiv în ceea ce Jung a definit drept „Com-plexul lui Iona”. Fãcând o distincþie întrecele douã regimuri ale imaginarului simbo-lic, Gilbert Durand afirmã: „Le «RégimeDiurne» concerne la dominante posturale, latechnologie des armes, la sociologie du sou-verain mage et guerrier, les rituels de l’élé-vation et de la purification”6, în timp ce „le«Régime Nocturne» se subdivise en domi-nantes digestive et cyclique, la premièresubsumant les techniques du contenant etde l’habitat, les valeurs alimentaires et di-gestives, la sociologie matriarcale et nourri-cière”7. Aceastã schemã oferã bazele nece-sare pentru a trasa un parcurs simbolic care,în cazul lui Veteranyi, va lua trãsãturile „cã-derii”, isomorfe fie ale „murdãriei morale”8,fie ale unui tragic „regressus ad uterum”.

1. Coruperea simbolurilor ascen-sionale: Dumnezeu-tatã

ºi înger-câineÎn reveriile Aglajei Veteranyi se întrevede

necesitatea de a-ºi stãpâni propriile frici9, acãror forþã va fi minimalizatã prin eufemi-zare sau prin alte procese, care vor afecta ºisimbolurile ascensionale, contrapuse teme-

4 Op. cit., p. 32.5 În introducerea la Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Gilbert Durand scrie: „[…] les person-

nages parentaux se laissent singulièrement classer dans les deux premiers groupes de symboles défi-nis par les réflexes posturaux et digestifs. Le redressement, l’assiette posturale sera le plus souventaccompagnée d’un symbolisme du père avec toutes les harmoniques […], tandis que la femme et lamère se verront annexer par le symbolisme digestif […]”, G. Durand, Les structures anthropologiques del’imaginaire, Paris, Dunod, 1992, p. 56.

6 Op. cit., p. 59.7 Ibidem.8 Vezi: Op. cit., pp. 129-130.9 “[…] figurer un mal, représenter un danger, symboliser une angoisse, c’est déjà, par la maîtrise du cog-

ito, les dominer. Toute épiphanie d’un péril à la représentation le minimise. À plus forte raison touteépiphanie symbolique”, G. Durand, op. cit., p. 135.

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Aglaja Veteranyi: Regressus ad uterum

lor pe care Durand le descrie ca „homo-logues antithétiques des visages dutemps”10: „Le schème ascensionnel, l’arché-type de la lumière ouranienne et le schèmediaïrétique semblent bien être le fidèle con-trepoint de la chute, des ténèbres et de lacompromission animale ou charnelle”11.Simbolurile ascensionale, în sine, sunt lega-te de conceptele de luminã, înãlþime, mã-reþie ºi se fac purtãtoare de valori ca justiþia,dreptatea, puritatea, asimilabile în acea„pteropsihologie”12, schiþatã de Gaston Ba-chelard, în care converg simboluri ca aripa,elevaþia, sãgeata, puritatea ºi lumina.

Mircea Eliade, vorbind despre divinitã-þile cereºti, explicã: „«Le très haut» devient,tout naturellement, un attribut de la divinité[…] Le «haut» est une dimension inaccessi-ble à l’homme comme tel; elle appartient dedroit aux forces et aux êtres surhumains”13;aºadar, dupã Durand, ar putea sã fie expli-cat caracterul de „gigantism” al divinitãþii14,care adunã în sine elevaþie ºi forþã15. Înreveriile solitare ale fetiþei Aglaja, în schimb,un dumnezeu „înfometat” se aflã subpãmânt: „Dumnezeu e un bucãtar, locuieºteîn pãmînt ºi mãnîncã morþi. Cu dinþii luimari poate sã roadã toate sicriele”16, sau încã„În fiecare oraº nou sap o gaurã în pãmîntîn faþa vagonului în care locuim, îmi vîrmîna înãuntru, apoi capul ºi aud cumrespirã Dumnezeu sub pãmînt ºi mestecã.Uneori aº vrea sã mã scufund, în ciuda friciimele, pînã acolo, ca sã mã las muºcatã de

el”17. Acest aspect antropofag se pierde înevaziunile imaginare în care dumnezeu îºiredobândeºte localizarea sa „convenþion-alã” (cerul), dar îºi vede reduse dimensiu-nile, în ciuda acelui „gigantism” despre carese vorbeºte în istoria religiei: „Îmi imaginezcerul. E atît de mare, încît adorm imediat casã mã liniºtesc. Cînd mã trezesc, ºtiu cãDumnezeu e un pic mai mic decît cerul.Altfel ar trebui, cînd ne rugãm, sã adormimîntruna de fricã”18.

Procese similare afecteazã ºi figuratatãlui: un proces de diminuare, „TATA EMIC CA UN SCAUN”19; ºi pe lângã aceastao evidentã degradare: „NU, TATA NU ETRIST. E CLOVN. DA”20, unde imaginea„clovnului” este contrapunctul unui simbolascensional puternic ca „suveranul”, re-prezentând „l’envers de la médaille, le con-traire de la royauté: la parodie incarnée”21.În reprezentarea tatãlui, poate fi recunoscutun alt contrast dintre cele citate mai sus, celdintre lumina uranicã ºi tenebre: „TatãlAnduþei se numeºte Herr Finster”22, o afir-maþie care ne duce spre ceea ce Durandcheamã „compromitere carnalã” (opusãschemei diairetice), dacã o contextualizãmºi o raportãm la o altã frazã, apropiatã întext, în care referinþele la molestãrile sexualesunt ºi mai explicite: „Tatãl Anduþei pipãiedes pãpuºa pe sub fustã. Atunci face ochi depeºte. ªi respirã ca apa”23. Dacã ne oprim laipostaza realistã a imaginii, descoperimconsecinþele pe care le au aceste întâmplãri

10 Ibidem.11 Ibidem.12 Vezi: G. Bachelard, L’air et les songes, Paris, Librairie José Corti, 1943.13 M. Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Payot, 1949, pp. 46-47.14 G. Durand, Op. cit., p. 150.15 “Que le simple fait d’être «élevé», de se trouver «en haut», équivaut à être «puissant» (au sens religieux

du mot) et à être comme tel saturé de sacralité – l’étymologie même de certains dieux en témoigne”, M.Eliade, op. cit., p. 47.

16 A. Veteranyi, op. cit., p. 73.17 Op. cit., p. 74.18 Op. cit., p. 9.19 Op. cit., p. 44.20 Op. cit., p. 50.21 J. Chevalier, A. Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Paris, Ed. Seghers, 1974, vol. 2, p. 55.22 A. Veteranyi, op. cit., p. 114. „Herr Finster” (trad. „Domnul Întuneric”). Anduþa este numele unei

pãpuºi, care în acest pasaj devine imaginea Aglajei. Mai încolo în text, ca ºi în citatul urmãtor, se vavorbi despre „pãpuºa Anduþei”. Îi lãsãm psihanalistului sarcina de a explica transferarea sinelui într-un obiect. Nouã ne rezultã deja clarã referinþa lui Veteranyi la condiþia sa dramaticã.

23 Op. cit., p. 115.

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Danilo de Salazar

pentru sexualitatea Aglajei, care va declara,de pildã: „Vreau sã fiu violatã de doi deo-datã”24. Urmãrind, însã, parcursul trasat decãtre Gilbert Durand25, în care compro-miterea carnal-sexualã este asociatã schemei„cãderii”, se va dezvãlui drumul interior allui Veteranyi, care se va prãbuºi într-un abisspre „mama-moarte”, ºi care va fi reprezen-tatã prin imaginea coruptã a „îngerului”.

ªi în simbolul îngerului se manifestãdrama existenþialã a scriitoarei: în afarã desexualitatea violatã ºi, într-un fel, negatã26,în De ce fierbe copilul în mãmãligã, se observãimediat o caracterizare „pãmânteascã” a în-gerului care, nefiind capabil sã zboare, estelipsit de dimensiunea sa moralã, „puritateacereascã”27. Lipsã care este hiperdetermi-natã prin asocierea sau, mai exact, printr-oadevãratã uniune cu simbolul câinelui, ani-malul care i-e foarte drag fetiþei Aglaja: „Unînger s-a travestit în cîine”28; în aceastã aso-ciere ºi îngerul devine mesager al unui sen-timent de moarte, „[…] cîinele decapitat, în-gerul împãiat. Îngerul îºi aratã colþii. Înge-rul meu rîde cu sînge”29. Nu mai surprinde,acum, descoperirea cã „Il n’est sans doutepas une mythologie qui n’ait associé lechien […] à la mort”30 ºi cã, dupã Chevalierºi Gheerbrant, „Le première fonction mythi-que du chien, universellement attestée, estcelle de psychopompe, guide de l’hommedans la nuit de la mort, après avoir été son

compagnon dans le jour de la vie”31. Urmãrind izomorfismul elementar din-

tre somn ºi moarte, vedem cum dobândeºteo valoare mai profundã amintirea „domes-ticã” menþionatã de protagonistã, semnulunei copilãrii tulburate, în care deja se între-vede o atracþie spre „somnul etern”:„Aveam o servitoare pe care o chema Veta ºicîinele cel mare, Mãrþiºor, dormeam cu el încoºul lui ºi voiam sã mãnînc din aceeaºistrachinã”32. Sentimentul este reluat în ulti-mele pagini ale cãrþii, când Aglaja ºi câinelesãu (Boxi), travestiþi în „îngeri”, danseazãîmpreunã în ceea ce pare a fi chiar un „dansal morþii” („Boxi […] are aripi de înger rozîn gurã […] Îmi pun aripile ºi þopãi cu Boxipînã la pomul de ploaie. […] Îngerul ºi Boxidanseazã pe cîntecul trist al lui Dumne-zeu”33), într-un decor unde tristeþea capãtãun caracter cosmic ºi se rãspândeºte înfiecare lucru: „Un cîntec la vioarã e atît detrist, încît cîmpiile, florile ºi pomii din grãd-inã se întristeazã. Directorul circului apareºi spune cã gardul, fereastra, uºa ºi chiarmãmãliga încep sã plîngã”34.

2. La crainte du tempsºi îngheþarea clipei

Nu se întrevede vreo speranþã de renaº-tere, de reînnoire, în sufletul scriitoarei, mo-tivul pentru care ºi „pomul”, simbol ciclic

24 Op. cit., p. 141.25 Vezi: G. Durand, op. cit., p. 130.26 „L’ange est l’euphémisme extrême, presque l’antiphrase de la sexualité”, G. Durand, op.cit., p. 162.27 „La pureté céleste est donc le caractère moral de l’envol […] toute élévation est isomorphe d’une purifi-

cation parce qu’essentiellement angélique”, G. Durand, op.cit., p. 148.28 A. Veteranyi, op. cit., p. 168.29 Op. cit., p. 168.30 J. Chevalier, A. Gheerbrant, op. cit., vol. 2, p. 18.31 Ibidem. Gilbert Durand scrie: „En effet, le doublet plus ou moins domestique du loup est le chien, égale-

ment symbole du trépas”, (G. Durand, op. cit., p. 92). ªi încã Chevalier ºi Gheerbrant: „[…] le chien,auquel l’invisible est si familier, ne se contente pas de guider les morts. Il sert aussi d’intercesseur entrece monde et l’autre”, (J. Chevalier, A. Gheerbrant, op. cit., vol. 2, p. 18).

32 A. Veteranyi, op. cit., p. 15633 Op. cit., p. 186. Dacã analizãm aspectul nocturn al câinelui, descoperim cã, în diferite tradiþii, el este,

prin antonomasie, simbolul impuritãþii: aºa Islam-ul care „fait du chien l’image de ce que la créationcomporte de plus vil” (J. Chevalier, A. Gheerbrant, op. cit., vol. 2, p. 23), fãcând sã devine imposibilã, defapt, coexistenþa dintre câine ºi înger; sau, ºi mai interesant, în gândirea popoarelor asiatice, fiind câinele„[…] à la fois esprit protecteur et bénéfique, et support de la malédiction divine” (J. Chevalier, A.Gheerbrant, op. cit., vol. 2, p. 26), el însuºi devine „par excellence l’ange déchu” (J. Chevalier, A.Gheerbrant, op. cit., vol. 2, p. 26).

34 A. Veteranyi, op. cit., p. 185

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elementar, ia o conotaþie negativã, fiind aso-ciat unei „ploi”, care nu fertilizeazã ci, înschimb, „întristeazã” pãmântul; aceastãploaie, de fapt, nu vine din cer, pare nãscutãdin pomul însuºi, ca un fel de lacrimi alesale ce impregneazã cu tristeþe existenþaAglajei ºi „cântecul” lui Dumnezeu (tatãlprotagonistei), care cântã la vioarã: „În grã-dina bunicii, care locuieºte la þarã, spune el,existã un pom sub care plouã mereu. Pe ur-mã se vede tata în chip de Dumnezeu ºe-zînd sub pom. DUMNEZEU E TRIST. CÎN-Tà UN CÎNTEC UNGURESC LA VIOA-RÃ!”35. Pomul participã la drama protago-nistei, o adevãratã teroare în faþa fugii tim-pului, hiperdeterminatã în visuri prin pre-zenþa „câinelui” (Bambi): „Îl visez tot tim-pul pe Bambi. […] Mama îmi dãruieºte uncîine. E înfãºurat în hîrtie de ziar. Cîndvreau sã-l despachetez mã muºcã de deget.Degetul spune: de ce mã decapitezi? / Numai vreau sã dorm. / Vreau doar sã mã grã-besc”36. „Muºcãtura câinelui” ne aduce înminte „muºcãtura timpului distrugãtor”37,trecerea lui inexorabilã, care sporeºte neli-niºtea lui Veteranyi: „Tot timpul vreau doarsã mã grãbesc”38. Mãsura acestei angoaseeste senzaþia de frig39, care marcheazã uneledintre momentele cele mai dramatice ale ro-manului. A congela pentru a întrerupe pro-cesele organice ale materiei; aici este mate-ria imaginativã cea care congeleazã, într-un

soi de „îngheþare existenþialã”:

Tata n-o lasã pe mama sã iasã singurã, deaceea mã lua regulat cu ea la Armando. […] M-a dus într-o camerã care arãta ca o salã deaºteptare la medic. […] aveau o scurtã discuþiedespre ceva important. […] În timp ce aºteptamîi gãuream ochii lui Micky Maus, pe cel drept ºipe cel stîng.

[…]Afarã se întunecase.În camerã prinse sã ningã.Sofaua a îngheþat.Pereþii au îngheþat.Mîinile ºi picioarele mele au îngheþat.Ochii mei.Zãpada m-a acoperit40.

Timpul, dramatic, se opreºte („DIE ZEITFRIERT”41), se dilatã („Cãlãtoria cu maºina adurat mai mulþi ani”42) într-un proces în careºi simbolurile ciclice (copacul ºi mama) îºipierd trãsãtura caracteristicã regeneratoare(„Copacii îºi împachetaserã frunzele, cumîmpachetase mama rochiile noastre”43),anunþând ideea unei cãlãtorii ireversibile(„Vroiam sã-mi fixez în minte drumul, ca sãmã întorc. Dar cu cît mã sileam mai mult, cuatît mai asemãnãtoare deveneau toate, deparcã cineva ar fi ºters peisajul. […] Stradape care ne adusese maºina dispãruse”44), ocãdere rece spre un abis de moarte45:

35 Ibidem.36 Op. cit., p. 170.37 „Il y a donc une convergence très nette entre la morsure des canidés et la crainte du temps destruc-

teur”, G. Durand, op. cit., p. 93.38 A. Veteranyi, op. cit., p. 170.39 „Malgré beaucoup de recherches, nous n’avons pu jusqu’à présent constituer un dossier suffisant

pour étudier objectivement l’imagination du froid.[…] Le froid est, à notre avis, un des plus grandsinterdits de l’imagination humaine. Alors que la chaleur fait en quelque manière naître les images, onpeut dire qu’on n’imagine pas le froid” (G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 2004,p. 296).

40 A. Veteranyi, op. cit., pp. 162-163.41 A. Veteranyi, Warum das Kind in der Polenta kocht, München, 2008, p. 90. Preferãm sã citãm versiunea

originalã, în germanã, pentru cã în traducerea românã se pierde sensul de „a îngheþa” al verbului frieren(„VREMEA TREMURÃ DE FRIG”, A. Veteranyi, op. cit., trad. N. Iuga, p. 90), care, în schimb, se menþineºi în traducerea italianã a Emanuelei Cavallaro: „IL TEMPO GELA” (A. Veteranyi, Perché il bambino cuocenella polenta, trad. E. Cavallaro, Ferrara, Luciana Tufani Editrice, 2005, p. 88).

42 A. Veteranyi, op. cit., p. 81.43 Ibidem.44 Ibidem.45 Bachelard explicã raportul direct ºi imediat dintre frig ºi moarte: „Le froid cadavérique forme barrage

pour l’imagination. Pour l’imagination, rien n’est plus froid qu’un cadavre. Il n’y a pas un au-delà dufroid de la mort”, G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 296.

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Cãdea zãpada.Maºina ºerpuia pe înãlþimi.

Acum maºina era cît pe ce sã cadã în prã-pastie.

[…]N-am vrut sã-mi pun jos geamantanul46.

3. În „pântecul cald al mamei”:„Complexul lui Iona”

Analizând dominanta ciclicã, ne aflãm,de fapt, în Regimul Nocturn al imaginilor,unde „la chute s’euphémise en descente etle gouffre se minimise en coupe”47. Luând înconsideraþie ceea ce Durand descrie ca„feminizarea cãderii”, ne va apãrea ºi maifireascã deplasarea cãtre dominanta diges-tivã, pe care este situatã imaginea „mamei”,o figurã în care de senzaþia „cãderii materi-ale”48 se leagã coborârea intimã a protago-nistei în pântecul matern. Criza de identi-tate foarte puternicã va duce la o proiectaretotalã a Aglajei în figura mamei sale: „Ma-ma intrã ºi iese cînd vrea din mine. Arãt cafotografia mamei. Arãt ca fãrã mine”49. Ar figreu sã înþelegem forþa acestor imagini fãrão analizã mai profundã: Jung, reluândimaginea biblicã a lui Iona, explicã un com-plex care se naºte din dorinþa de a fiabsorbiþi în mama arhetipicã, dar cu risculde a fi devoraþi de ea. Chiar printr-o întoar-cere la mamã, în interiorul ei, Veteranyi în-cearcã sã se gãseascã pe sine însãºi („AMFOST CINEVA DOAR ÎNAINTE DE A MÃNAªTE”50) ºi sã îºi construiascã o apãrare,

care mereu i-a lipsit, faþã de lumea exte-rioarã, un fel de contra-univers sau acel„univers du contre” despre care vorbeºteBachelard51.

Imaginaþia materialã trebuie acum sãinvestigheze instanþele subconºtiente maiadânci, gãsind, dincolo de imaginile mani-feste, toate acele imagini care semnaleazãprezenþa unui „Iona ascuns”52. Chiar dacãîntr-o manierã implicitã, complexul lui Ionase regãseºte în toate figurile refugiului53, car-acterizate printr-o stare de bunãstare dulceºi primitivã („C’est un véritable absolu d’in-timité, un absolu de l’inconscient hau-reux”54), hiperdeterminatã, în cazul acesta,prin întoarcerea în pântecul matern. Ar finaiv sã credem cã vorbele protagonistei,referitoare la lumea prenatalã, oferã numaidescrierea, într-un ton copilãresc, a unui locnecunoscut; spontaneitatea care caracter-izeazã naraþiunea ne permite sã descoperimtoate amãnuntele ºi nuanþele pe care le uti-lizeazã imaginaþia materialã ca sã constru-iascã o coerentã schemã simbolicã.

Desigur, nu sunt produsul unei fanteziipuerile imaginile care reproduc cele maiintime frici ale fetiþei Aglaja („La mama înburtã nu existã un bãrbat cu care sã te poþimãrita”55), comprehensibile doar dacã lepunem în legãturã cu frecventele violenþesexuale suportate ºi cu incesturile dinpartea tatãlui la care ea a asistat mai multsau mai puþin direct. Va fi marcatã, tragic,existenþa unei fete care va declara în modobsesiv ºi delirant: „ªi nu vreau copii”56,recunoscând valoarea teribilã a declaraþiei

46 A. Veteranyi, op. cit., p. 81.47 G. Durand, op. cit., p. 224. Aici, cupei i se va substitui un simbol izomorf al ei, „pântecul matern”, pro-

ducând un fel de regressus ad uterum. 48 Mama Aglajei fãcea un numãr de acrobaþie în timpul cãruia stãtea suspendatã în aer de pãr. În cartea

De ce fierbe copilul în mãmãligã, sunt foarte multe pasaje în care se vorbeºte despre teama Aglajei decãderea ºi moartea mamei sale.

49 A. Veteranyi, op. cit., p. 17050 Op. cit., p. 2351 G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 128.52 Bachelard vorbeºte despre „Jonas cachés” în G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 181. 53 Bachelard, gãsind un „Iona ascuns” în povestea lui J. E. Rivera, Perdus dans l’Enfer des Forêts, afirmã:

„L’archétype du Jonas est si essentiel qu’il s’attache aux images les plus diverses”. P.18954 G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 169.55 A. Veteranyi, op. cit., p. 28.56 Op. cit., pp. 116-117.

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materne, „Der Mann ist ein Schwein”57.Amintirile tinerei protagoniste se încarcã desemnificaþii profunde: „În burtã e ca într-ocasã cu un pat sau o baie cu apã caldã”58.Reverie de „instalare domesticã”59 ce întã-reºte teza lui Durand, care explicã: „La mai-son constitue donc, entre le microcosme ducorps humain et le cosmos, un microcosmesecondaire”60. Intimitatea casei „va se re-doubler et se surdéterminer comme àplaisir. Doublet du corps, elle va se trouverisomorphe de la niche, de la coquille, de latoison, et finalement du giron maternel”61.În afarã de prezenþa apei, care produce ohiperdeterminare a sensului de regenerareevocat deja de pântec62, caracteristica ceamai izbitoare este senzaþia de cãldurã pecare aceastã reverie o emanã, element calita-tiv foarte relevant pentru un studiu al imag-inii profunzimii: „L’intérieur rêvé estchaud, jamais brûlant. La chaleur rêvée esttoujours douce, constante, régulière. Par laChaleur, tout est profond. La chaleur est lesigne d’une profondeur, le sens d’une pro-fondeur”63; ºi încã „La vie commence bien,elle commence enfermée, protégée, toutetiède dans le giron de la maison”64. Aceastãimersiune în adâncuri ne permite sã intrãmîn contact cu intimitatea lucrurilor ºi sub-stanþelor: „C’est en rêvant à cette intimitéque l’on rêve au repos de l’être, à un reposenraciné, à un repos qui a une intensité et

qui n’est pas seulement cette immobilitétout externe qui règne entre les chosesinertes”65; ºi care refugiu este mai bun decâtpântecul matern, refugiul ideal, unde tesimþi protejat, la cald?

Urmãrind izomorfismul imaginilor odih-nei, Bachelard ne sugereazã o schemã în carese aflã grota, casa, pântecul, simboluri„claustromorfe” în care este uºor sã serecunoascã o eufemizare a mormântului66.Se stabileºte o conexiune fireascã între odih-nã ºi moarte, de care este conºtientã ºi pro-tagonista, care declarã: „Sã fii mort e ca ºicum ai dormi”67. „La mort, le sommeil, c’estla même mise en chrysalide d’un être quidoit se réveiller et resurgir rénové”68, obser-vã Bachelard. Ce funcþie ar avea, deci, în-toarcerea în pântecul matern decât de a faceposibilã regenerarea? Aºa cum Iona iese dininteriorul balenei, toate imaginile care evocãacest complex prevãd un destin de renaºteresau înviere. Meritã amintit faptul cã „înghiþi-toarea” primordialã ºi supremã este marea,ºi cã „C’est l’abyssus féminisé et maternelqui pour de nombreuses cultures est l’arché-type de la descente et du retour aux sourcesoriginelles du bonheur”69: se contureazã acelizomorfism în care convieþuiesc umedulpântec matern ºi moartea, care dobândeºteaºa o conotaþie nu total negativã.

Doar în aceastã perspectivã se pot înþe-lege dorinþele Aglajei care, poate în mod

57 A. Veteranyi, Warum das Kind in der Polenta kocht, München, 2008, p. 157. ªi aici am preferat sã citãmtextul original, în limba germanã, în care fraza îºi asumã o valoare universalã care se va pierde în tra-ducerea românã („Tipul ãla e un porc, spune mama”, A. Veteranyi, op. cit., trad. N. Iuga, p. 154), ci carese menþine în traducerea italianã: „L’uomo è un porco”, (A. Veteranyi, op. cit., trad. E. Cavallaro, p. 150).

58 A. Veteranyi, op. cit., p. 28.59 Vezi: G. Bachelard, pp. 205 ºi urmãtoarele.60 G. Durand, op. cit., p. 277.61 Op. cit., p. 278.62 Bachelard reia o teorie lui Jung ºi scrie: „[…] l’union rénovatrice se fera dans les eaux d’un utérus, «in

die Amnionflussigkeit des graviden Uterus»”, G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 165.63 Op. Cit., p. 63.64 G. Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 2005, p. 26. Bachelard ne oferã ºi o altã imagine suges-

tivã ºi interesantã cu privire la senzaþie de cãldurã care se produce prin evocãrii casei natale: „Quandon rêve à la maison natale, dans l’extrême profondeur de la rêverie, on participe à cette chaleur pre-mière: à cette matière bien tempérée du paradis matériel. C’est dans cette matière que vivent les êtresprotecteurs”. Op. cit., p. 27.

65 G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 11.66 Vezi: G. Durand, op. cit., pp. 272 ºi urmãtoarele.67 A. Veteranyi, op. cit., p. 60.68 G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 183.69 G. Durand, op. cit., p. 256.

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inconºtient, cautã în moarte un refugiu pen-tru ea însãºi ºi pentru mama sa: „Cel maimult mi-ar plãcea sã fiu moartã”70 ºi „CELMAI FRUMOS AR FI DACà MAMA ARDORMI TOT TIMPUL”71. Este ca în momen-tul înmormântãrii, în care moartea ºi mamaregãsesc funcþiile lor originare care le suntcomune: protecþia, odihna ºi principiulrenaºterii. Înmormântarea capãtã o val-orizare pozitivã în perspectivã, fiindcã serealizeazã în pãmânt, elementul materncare promite o regenerare prin contactul cuforþele sale ºi pierde aspectul sãu „mor-tifère” în sens definitiv. Imaginaþia materi-alã nu va întârzia sã recunoascã valoareaacestor reflecþii, care vor gãsi o confirmareîn cuvintele lui Veteranyi: „Mã gîndeam cãmama ar trebui sã moarã pe loc, ca s-oîngropãm în grãdinã, sub fereastra noastrã.La varã cãpºunile vor avea gustul mamei”72.

4. Casa în râuÎn reveriile protagonistei, aceastã forþã

regenerativã ºi transformatoare îi este acor-

datã ºi unui alt element: apa. În apã nu semoare definitiv, se menþine vie mereu posi-bilitatea de a renaºte, de a învia. AglajaVeteranyi vorbeºte despre spaima care ocuprindea când mergea la baie, ºtiind cãmama ei, mai întâi, aruncase în closet rã-mãºiþele unui pui, spaima cã animalul s-arputea recompune ºi reîntoarce la suprafaþã:„Ce nu se pune în supã se aruncã la closet.Mi-e fricã de closet, noaptea fac pipi înlavoar; acolo gãinile moarte nu ies la su-prafaþã”73. O angoasã ce ne aduce în mintetoate acele legende în care fiinþe înspãimân-tãtoare se nasc din fântâni ºi din puþuri;poveºti care se bazeazã pe puterea tau-maturgicã ºi regeneratoare a apei, ºi pe sen-timentul necunoscutului, trezit de profunzi-mea apei, ºi accentuat, în acest caz, de cãtreelementul nocturn.

În reveriile scriitoarei, apa îºi asumã ºi oproprietate catarticã: „Dar Dumnezeu nudoarme, din lacrimile sãracilor o sã se facã omare. Cînd o sã ajungem în cer o sã facembaie în ea. Pe urmã o sã ieºim din ea cu o

70 A. Veteranyi, op. cit., p. 32.71 Op. cit., p. 72.72 Op. cit., p. 83.73 Op. cit., p. 17.

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piele de 24 de carate!”74; o imagine atât deputernicã încât reuºeºte sã conjuge lacrimi-le, apa tristã prin antonomasie, cu sensulsuprem al reînnoirii, transformarea în aur.Lacrimile, picãturi triste care - dupãBachelard – îi conferã apei „la teinture de lapeine universelle”75, aici se schimbã în aur,într-o mare care îºi asumã conotaþiileathanor-ului alchimic, datoritã unei inversi-uni frecvente în reveriile poetice dintre cerºi apele pãmânteºti, prin care abisul capãtãpozitivitatea elementului ceresc. O rãsturn-are pe care scriitoarea o propune ºi într-unalt pasaj al romanului, printr-o povestire atatãlui:

Un strãin sadea ºi-a pierdut pantofii. I-alãsat în mijlocul casei ºi a aruncat casa în rîu.

Sau casa s-a aruncat singurã?Strãinul sadea a mers din rîu în rîu.Odatã a gãsit un bãtrîn sub apã care avea o

placã indicatoare atîrnatã de gît: AICI CERUL.Strãinul întrebã: Cum cerul?Bãtrînul dãdu din umeri ºi arãtã spre placa

indicatoare.Atunci casa se ridicã din nou la suprafaþã,

dar cu totul în alt loc. ªi probabil cã era alta, pentru cã nu-ºi

amintea de pantofii strãinului.Mai tîrziu casa ºi-a pierdut uºa.

Fracul a inventat povestea asta? Întreb. Nu,spune tata, asta e povestea noastrã76.

Aici, de sensul renaºterii se leagã hera-clitismul apei fluviale, care îl duce pe cititorcu gândul la existenþa nomadã a protago-nistei, caracterizatã printr-o reînnoire ciclicãa morþii ºi a renaºterii în locuri mereudiferite, o existenþã marcatã de o „moartecotidianã” ca „moartea apei”77. Pe plan per-

sonal, caracterul tragic este reluat prinimaginea casei, care participã la acþiune,conferindu-i o senzaþie de intimã instabili-tate, produsã prin imersiunea ºi relativa„dispersare” a locuinþei în elementul trecã-tor prin excelenþã, apa. Se vor crea premise-le necesare pentru a evoca ceea ce Bachelardnumeºte „Iona la puterea a doua”78, dacãluãm în consideraþie ºi un alt element,pantoful, care este simbolul cãlãtorului, ºicare aici îºi asumã o semnificaþie mult maiprofundã, datoritã asocierii sale cu imag-inea strãinului.

Pentru a înþelege pe deplin semnificatulsimbolic al acestor imagini, sunt utilecercetãrile lui Chevalier ºi Gheerbrant, carese întorc la tradiþia biblicã, citând o inter-pretare propusã de cãtre exegeþii Bibliei de laIerusalim: „Mettre le pied sur un champ ou yjeter sa sandale, c’est en prendre possession. Lachaussure devient ainsi le symbole du droit depropriété”79; o analizã confirmatã ºi de altetradiþii:

Jean Servier remarque aussi que Hermès,protecteur des limite et des voyageurs qui fran-chissent les limites, est un dieu chaussé, car il apossession légitime de la terre sur laquelle il setient. De même, ajoute l’auteur, en terre d’Islam,l’étranger doit franchir déchaussé le seuil de lamaison de son hôte, montrant par ce geste qu’iln’a aucune pensée de revendication, aucun droitde propriété à faire valoir80.

Nu avem decât trista confirmare cã po-vestea lui Veteranyi se contureazã ca po-vestea unui veºnic înstrãinat, care îºi aruncãsufletul în valuri, lãsându-l purtat de curen-tul unui râu, cãruia nu i se întrevede delta.

74 Op. cit., p. 12975 G. Bachelard, L’Eau et les Rêves, Paris, Librairie José Corti, 1942, p. 78.76 A. Veteranyi, op. cit., pp. 54-55.77 „La mort quotidienne n’est pas la mort exubérante du feu qui perce le ciel de ses flèches; la mort quo-

tidienne est la mort de l’eau”, G. Bachelard, L’Eau et les Rêves, op. cit., p. 13.78 Bachelard foloseºte aceastã expresie, împrumutatã din algebrã, ºi merge mai departe, identificând,

printr-un joc de „contenants”, ºi Iona la puterea a treia, (Jonas)3, ºi la puterea a patra (Jonas)4. G.Bachelard, La terre et les rêveries du repos, op. cit., p. 155. În acest caz, „Iona la puterea a doua” este pro-dusul unui proces de „înghiþire dublã”, unde pantoful (simbolul fiinþei) este aruncat în casã (simbolulintimitãþii), care, la rândul ei, s-a scufundat în apã (simbolul înghiþirii prin excelenþã).

79 J. Chevalier, A. Gheerbrant, op. cit., vol. 2, p. 231.80 Ibidem.

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The notion of multiculturalism does nothave a uniform meaning within North-American contexts. Nonetheless, this briefessay does not have as its purpose the ana-lytical delineation of the debates concerningthe concept of multiculturalism, but ratherthe exploration, through the analysis of avery restricted number of texts, certainaspects of the trajectory of the writer AndreiCodrescu, in his attempts to navigate thecultural and linguistic frontiers starting fromthe time of his exile from Romania in 1965.Codrescu abandons Romanian in order towrite in English, the language of his adopt-ed country, the United States of America,and having found success in doing so,returns then in the later part of his career tohis native Romanian. The career of Co-drescu, emblematic in many aspects of thediasporas that characterize the TwentiethCentury, is rendered all the more interestingand complex by questions of the relationsnot only between identity, language andmembership in a Nation–state, but also byhis very strong sense of belonging to a sortof transnational entity, that is to say, thecommunity of exiled Romanian writers andintellectuals who fostered the project ofmodern Romanian literature. Even thoughCodrescu feels himself to be more Americanthan European, nostalgia for the language ofhis origins as a writer seems to becomestronger and stronger as certain concretedimensions of the United States as an histor-ical, geopolitical entity take the upper handover that utopian and mythic place called« America » to which he arrived in 1966.

The senses of the term « multicultural-ism » indicate in fact two very different per-spectives in the North–American context.The Canadian notion refers to an active pol-icy of the promotion of cultural differenceon the part of both local and central institu-tions. In the U.S., on the other hand, multi-culturalism is generally seen as a local vari-ant of the traditional notion of pluralismthat is so deeply rooted in the cultural andlinguistic ground of the U.S., and thus not

Richard Thomas

KIDDER*«Like a prisoner

in a cage»: Aspectsof poetic languageand the condition

of writing in Andrei Codrescu

This brief essay does not have as its purposethe analytical delineation of the debates con-cerning the concept of multiculturalism, butrather the exploration, through the analysis ofa very restricted number of texts, certainaspects of the trajectory of the writer AndreiCodrescu, in his attempts to navigate the cul-tural and linguistic frontiers starting from thetime of his exile from Romania in 1965.Codrescu abandons Romanian in order towrite in English, the language of his adoptedcountry, the United States of America, andhaving found success in doing so, returns thenin the later part of his career to his nativeRomanian. The career of Codrescu, emblemat-ic in many aspects of the diasporas that char-acterize the Twentieth Century, is rendered allthe more interesting and complex by questionsof the relations not only between identity, lan-guage and membership in a Nation–state, butalso by his very strong sense of belonging to asort of transnational entity, that is to say, thecommunity of exiled Romanian writers andintellectuals who fostered the project of mod-ern Romanian literature.

Keywords: multiculturalism, Andrei Codres-cu, Romanian exiled writer, English language,change of the linguistic expression, Diaspora.

Abstract

*Università della Calabria

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subject to any active policy 1. If the project ofthe modern nation State consists in greatpart in ensuring cohesiveness and loyaltyon the part of its members through the cre-ation of an illusory map upon which thepolitical territory of the State coincides withan idealized linguistic and cultural map ofthe Nation, such that it then becomes possi-ble to constitute imagined originary com-munities, it was a difficult strategy to followin the New World where the State was cre-ated through successive waves of immi-grants of wildly diverse provenance2.

Even though the notion of the ‘melt-ing–pot’ is most often associated with the

U.S. policy of immigration from the end ofnineteenth through the beginning of thetwentieth century, the locus classicus of thenotion of the crucible, of the State asfoundry, together with all of its modernindustrial associations, is to be found asearly as 1782 in the third chapter of Lettersfrom an American Farmer entitled “What is anAmerican?” by St. John de Crevecoeur, justa few years after the Declaration ofIndependence of 1776:

What attachment can a poor European emi-grant have for a country where he had nothing?The knowledge of the language, the love of a fewkindred as poor as himself, were the only cordsthat tied him: his country is now that whichgives him land, bread, protection, and conse-quence: Ubi panis ibi patria, is the motto of allemigrants. What then is the American, this newman? He is either an European, or the descen-dant of an European, hence that strange mixtureof blood, which you will find in no other country.I could point out to you a family whose grandfa-ther was an Englishman, whose wife was Dutch,whose son married a French woman, and whosepresent four sons have now four wives of differ-ent nations. He is an American, who leavingbehind him all his ancient prejudices and man-ners, receives new ones from the new mode of lifehe has embraced, the new government he obeys,and the new rank he holds.

He becomes an American by being receivedin the broad lap of our great Alma Mater. Hereindividuals of all nations are melted into a newrace of men, whose labours and posterity willone day cause great changes in the world.Americans are the western pilgrims, who arecarrying along with them that great mass ofarts, sciences, vigour, and industry which beganlong since in the east; they will finish the greatcircle3.

1 For a discussion of the relationship between multiculturalism and the notion in the U.S. context in con-nection with Andrei Codrescu, see: C. Vanoaga-Pop, « De la condiþia scriitorului e(i)migrant la imag-inea e(i)migrantului în creaþia lui Andrei Codrescu », Annales Universitatis Apulensis. Series Philologica,no. 1 (2009), p. 171–79.

2 The notion of multiculturalism that informs this discussion depends greatly on the concept ofCulturalism developed by A. Appadurai in Modernity at Large: Cultural Dimensions of Globalization,Minneapolis, U of Minnesota Press, 1996.

3 J. Hector St. John de Crevecoeur, Letters from an American Farmer, reprinted from the original ed., pref-ace by W. P. Trent, introd. by Ludwig Lewisohn, reprint, 1782, New York, Fox, Duffield, 1904, p. 54–55

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Having ultimately his origins in WesternEurope, the new American subject wouldhave by the very identity of his originsensured cultural, ethnic and sexual homo-geneity, as well as the ambition of carryingout the historical mission of the “westernpilgrims”.

In the twentieth century, however, themovement of immigrants came to bestrongly characterized by the disastrousupheavals that afflicted great parts of theworld’s population during the course ofthat century. Under the pressure of wars,pogroms, and famine, movement along andthrough the frontiers of the Nation–statestook on the dimensions of so many diaspo-ras. The United States of America becamedeeply involved in the diasporas of thetwentieth century, especially around thetime of the Second World War, to the pointof becoming the goal and the refuge of per-sons coming from all parts of the globe.Thus the utopian sense of the term« America ». came increasingly to be con-founded with the geopolitical reality indi-cated by the term « The United States ». Thisfusion of the historical with the ideal isinvoked both at home and abroad by theautomatic and wilful reduction of that his-torical entity simply into the glowing tran-scendence of the City upon the Hill.

Thus it is in the context of the politicaloppression following the Second World Warand the continued anti–semitic politics ofthe Soviet–aligned regime, that the youngpoet Andrei Codrescu left Romania with hismother in 1965, beginning a bumpy journeythat would take him first to Naples, then onto Rome and Paris, before finally arriving inDetroit in the United States of America in

late winter of 1966. The Codrescus leftRomania, according to an interview givenby Andrei Codrescu, following the terms ofan agreement between Ceaºescu’s Roma-nian regime and the government of Israel,whereby the Israeli government paid twothousand dollars for every Jew releasedfrom Romania.4 Thus he left Romania afterhaving begun his university studies at theUniversity of Bucharest, from which he hadbeen expelled for having written poemscritical of the political situation in Romania,and because of which he was menaced withimprisonment. He published his first poemsunder the pseudonym of Andrei Steiu,which he then changed to Andrei Codrescuwhile still in Bucarest. And it is with thename of Andrei Codrescu that he becomes anaturalized citizen of the United States in1981.

Born Andrei Ivanovitch Perlmutter atSibu in Transylvania in 1946, Codrescuimmersed himself in the cultural life of theUnited States immediately upon arrival,participating in the Poets’ Workshop inDetroit, before moving to New York wherehe came quickly into contact with poets ofthe Beat Generation and their successors,among whom was Allen Ginsberg as well asyounger poets such as Anne Waldman andTed Berrigan. In 1970 Codrescu moved toSan Francisco and then to Baltimore on theeast coast towards the end of the 1970’swhere he would remain until the beginningof the 1980’s when he became professor ofEnglish Literature at Louisiana StateUniversity, from which he retired in 2009.

In the first volume of his memoirs, TheLife and Times of an Involuntary Genius, firstpublished in 1975, just nine years after hisarrival in the United States, he writes:

4 S. Talbot, « Interview with Andrei Codrescu », Romania—My old Haunts in Frontline World, October2002, (s.p.), Http://www.pbs.org/frontlineworld/stories/romania/interview.html (data di accesso 14febbraio 2010. These circumstances are not suggested in the principal autobiographical texts such as AnInvoluntary Genius in America’s Shoes (And What Happened Afterwards), contiene The Life and Times of anInvoluntary Genius (1975) and In America’s Shoes (1983), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 2001, eventhough these texts present themselves as novelized memoirs. The autobiographical texts, like thepoems, seem to enjoy a certain degree of indirection, as the poem “Biographical Notes” suggests:: “mybiography / in the absence of facts, / rests on shaky ground // every day / i add thousands of newentries / to my biography // without me / my biography / is your story // when made into a play / mybiography / speaks with an accent” from A. Codrescu, Alien Candor: Selected Poems 1970–1995, SantaRosa, Black Sparrow Press, 1997, p. 59.

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All kinds of people had gone, before him, toAmerica for specific purposes. Tourists, as arule, don’t go to America. Businessmen do.Emigrants do. Poets don’t. Poets leave America.So what kind of perverse destiny pushed himthere? he thought, as he listened to the threeYugoslavs behind him eating onions, wipingtheir mouths and saying every two seconds“America! America!” (These Yugoslavs were onthe wrong plane. They had missed their specialcharter flight and were going TWA instead.)Michaux had been to America. Cendrars starvedin New York for a while, just long enough towrite his great “Easter in New York.” But theyhad all been victims of historical circumstances.He was the first, as far as he knew, to go toAmerica because his girl friend wanted to get ridof him5.

Thus the figure of the young poet is nov-elized, becoming the unfortunate mal–aimé,in flight from Romania after a romantic set-back: but this is only part and parcel of per-missible poetic license in which details areskewed in order to make place for myth.

The narrator manages to distinguishhimself from his fellow emigrants from theBalkans by means of a grotesque and sar-donic representation of the humble immi-grant from whom he takes his distance. Theirony of the situation is emphasized by thebreaking of the isotopy of the stereotypedrepresentation in that the three fellow trav-ellers are placed, not in the lower decks ofan overcrowded ship, but on a TWA flight,since they had missed their more humblecharter flight. Whereas on the flight they areeating onions, presumably raw, they willsoon be feasting on the bread promised bySt. John de Crevecoeur. The third personnarrator, calls himself Andrei Goldmutter inthis text, a variant on the given name ofPerlmutter, or “mother of pearl” in whichthe precious material, pearl, is transformedinto gold in keeping with the development

of imagery throughout the text. The narra-tor imagines himself during the flight asarriving in the wake of two great Frenchlanguage poets, Blaise Cendrars and HenriMichaux, representatives of the historicalavant–garde and of surrealism. Codrescumaintains this line of descent, enriching ithowever throughout his writings with pre-cise and persistent references to exiledRomanian writers such as Tristan Tzara andEugen Ionescu, emphasizing the roles theyplayed in Western writing throughout thetwentieth century. Finally, in this passage,the narrating voice positions itself in respectto the mythic constellation known asAmerica, an imagined place, seen throughthe refracting lenses of textuality. Thisinvolves both the literary storiography thathas prepared the place of the encounter, aswell as the specifics of the story told by theimmigrant who moves towards a new lifewhile yet weighed down by the vestiges ofa tribal past.6

Later in his career as an English–lan-guage poet, Codrescu will write a tribute toBlaise Cendrars (1887–1961) in “Christmasin New York” that takes up title and moodof Cendrars’ “Pâcques a New York” from1912. As far as Henri Michaux (1899–1984)and Surrealism go, tired of being constantlylabelled a Surrealist, Codrescu writes in TheDisappearance of the Outside: A Manifesto forEscape:

I have often been labeled a surrealist by peo-ple who wouldn’t know a surrealist if one camesteaming out of their mouths at a French restau-rant, and not only by them. What people usual-ly mistake for surrealism is a different way ofspeaking. The metaphorical echoes of Romanianinto English sound surreal. By that token, any-one sounding strange to a listener is a surrealist:we are all each other’s surrealists. Given theincreasing strangeness of human voices com-pared to media voices, we are all becoming sur-

5 A. Codrescu, An Involuntary Genius in America’s Shoes (And What Happened Afterwards), contains The Lifeand Times of an Involuntary Genius (1975) and In America’s Shoes (1983), Santa Rosa, Black Sparrow Press,2001), p. 129.

6 On the relation between identity and textuality and the “imagined community” of the nation, see B.Anderson, « Exodus », Critical Inquiry 20, no. 2 (Winter 1994), p. 314-327, and B. Anderson, ImaginedCommunities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso, 1983.

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realists. In a world inhabited by involuntarysurrealists, silence becomes a real alternative.But I am not a surrealist: I am a Romanian, anexile. It is true that much of the European avant-garde between the wars was a creation of provin-cial Romanian Jews, chief among them SammyRosenstock, a.k.a. Tristan Tzara, but that is onlya by-product of Balkanism. Balkanic exilism isdistinguished by the fierce speed of its self-affir-mation in the midst of fragmentation: each frag-ment is still within the explosion. the art of“meditation in an emergency” is our art. Wespeak a language propelled everywhere by para-doxes, little vehicles really, modes of historicaltransportation we have had to evolve to survive,as Romanians, at the crossroads of Great Powerambitions, and as Jews, of course, at the cross-roads of anybody’s ambitions7.

In this text from 1990 Codrescu insists onthe parameters that determine his ownsense of identity: Jew, Romanian, exile,Modernist writer operating in the wake ofTristan Tzara.8 At the same time, however,he indicates his affinity to various strains ofpoetry from the United States, especially tothe so–called New York school whose pri-mary representative is Frank O’Hara(1926–1966), whose collection Meditations inan Emergency9 from 1956 echoes throughoutCodrescu’s poetic production. Poet, musi-cian, curator at the Museum of Modern Artin New York, O’Hara not only is part of theBeat Generation, (Jack Kerouac, AmiriBaraka, William Burroughs, Brian Gysin,and above all, Allen Ginsberg), writers forwhom Codrescu repeatedly affirms his ownsympathy and affinity, but he is also part ofthat poetic genealogy in the United States

that starts with Walt Whitman (1819–1892),and passes through, among others, WilliamCarlos Williams (1883–1963), Ezra Pound(1885–1972) and Charles Olson(1910–1970)10.

That Codrescu should identify withpoetic forms so strongly tied to the rhythmsof the spoken language is remarkable for anon–native speaker. His characterization ofthis strain of poetry as “multicultural”probably indicates his opening to andknowledge of the world beyond the bordersof the United States, and he articulates hisposition notwithstanding the persistentsearch for the local in the versification of theU.S. poets with which he identifies.

Codrescu’s conviction that the Romaniantradition has played a decisive role in thedevelopment of modern poetry remainscentral to his position, as does his belief thatit is possible to translate certain aspects ofthat tradition into North American poetry:

While European poetry (driven by the mod-ern genius of Romania through Tristan Tzara,the daddy of Dadaism, Gherasim Luca, theErotic spokesman of Surrealism, EugeneIonesco, the creator of the Theater of the Absurd,Isidore Isou, the redeemer of the Kabbalahthrough Lettrism, and E.M. Cioran, the reincar-nation of Montaigne) plunged headlong into themysteries of its own medium, American poetry,handicapped by third rate aesthetic politiciansnow forgotten, hobbled along painfully untilpast the middle of the century11.

In this way Codrescu eliminates fromconsideration U.S. poetry from the first halfof the century, obviously including poets

7 A. Codrescu, The Disappearance of the Outside: A Manifesto for Escape, With a new preface, reprint, 1990,St. Paul, Minn., Ruminator Press, 2001, p. 158.

8 For a discussion of the notions of identity and exile in Codrescu, see N. C. Marin, “« Rhetorical Readingson Exile and Identity in Eastern and Central Europe: Konrád, Codrescu, and Drakuliæ », Ph.D. diss.,University of Maryland at College Park, 1999.

9 F. O’Hara, Meditations in an Emergency, reprint, 1956, New York, Grove Press, 1957.10 « The poetics–talk connection came via Charles Olson / amphetamine. Charles Olson, via Pound, had

been insisting on “breath” as the measure for the line: one breath, one line. He composed, as did manyof the “Black Mountain” poets in the late 1950s, by venturing forth “in the field”, the field being any-thing the poet was capable of using to make sense of. The New York poets, like the Beats and the BlackMountain poets, redefined the cultural space of America by making it more like America itself: varied,complex, multicultural, nonacademic ». A. Codrescu, The Disappearance of the Outside, p. 180.

11 A. Codrescu, An Involuntary Genius in America’s Shoes, p. 208–9.

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such as T.S. Eliot, Marianne Moore, RobertFrost, Hilda Doolittle, and Wallace Stevens,not out of a lack of knowledge of their work,but in order to give more weight to the BeatGeneration that arrives on the scene afterthe Second World War and that opens thefield to the poets of his, the successive gen-eration.

The understanding of his belonging tothat generation is strongly conditioned byhis sense of having arrived in the UnitedStates in an historical moment that was notonly favourable but entirely propitious:

If I can ever be called lucky, it is because I wasan exact contemporary of my times. I came toAmerica in 1966 when there was sudden free-dom in the air on both sides of the Iron Curtain;one of the few times in history when a poet andforeigner could walk straight into the arms of awhole poetic generation in love with its“strangeness” and find the fulfillment of hisexpectations there. I pity the poor poet ofRomania arriving in the xenophobic, uptight,eco-cultural smog of the 1980s. [. . .] And I waslucky too to have experienced in my own self andwith my own body the sexual revolution inAmerica12.

Codrescu characterizes his efforts tobecome a competent user of the English lan-guage, a language that he did not knowbefore his arrival, in the prose poem“Bi–lingual”, published at the beginning ofthe 1970’s, just a few short years after hisarrival in the United States:

I speak two languages. I’ve learnt one of themin a trance, for no reason at all, in a very shorttime, on horseback, in glimpses, between silentrevolts. One is the language of my birth, aspeech which, more or less, contains my rationalmind because it is in this tongue that I findmyself counting change in the supermarket andfiling away my published poems. In a sense,these two languages are my private day andnight because what one knows without havinglearned is the day, full of light and indelicateassumptions. The language of the night is frag-

ile, it depends for most part on memory andmemory is a vast white sheet on which the mostpreposterous things are written. The acquiredlanguage is permanently under the watch of mynative tongue like a prisoner in a cage. Lately,this new language has planned an escape towhich I fully subscribe. It plans to get away inthe middle of the night with most of my mindand never return. This piece of writing in theacquired language is part of the plan: while thenative tongue is (right now!) beginning totranslate it, a big chunk of my mind has alreadydetached itself and is floating in space entirelyfree…13

The text suggests a reversal of the rolesbetween mother tongue and the acquiredlanguage inasmuch as the mother tonguecomes to play the role of interpreter of thepoetry written in the acquired language. Themother tongue seems to be relegated to analmost perfunctory secretarial role, inhabit-ing the rational space in which coins arecounted and published poems get archived.This implies that the language of poetry isirrational, spontaneous, and that in its mad-ness is held prisoner by the mother tongue,from which the newly acquired languagedesires to escape. This figurative stance to-wards the virtues of the mother tongue andthe acquired language seems to be in accordwith the notions of the nature of languagecurrent among the Surrealists and Beats, butat the same time it establishes a strong con-nection to the past of the exiled poet, forwhom writing in the mother tongue ex-posed him to the risk of imprisonment.

His feeling of having attained a highlevel of comfort with his adopted languageis witnessed by his later achievement as asuccessful novelist, as cultural commentatorfor National Public Radio, and certainly forhis continued production of poetic texts.His sense of intimacy with his adopted lan-guage becomes, however, in the long run, atrap:

In America, I’d felt immediately at home inthe life of the country, even though I didn’t know

12 A. Codrescu, An Involuntary Genius in America’s Shoes, p. 248–49.13 A. Codrescu, Alien Candor: Selected Poems 1970–1995, p. 105.

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a word of the language. Now, I was home in thelanguage but I felt more alien. I began to “losemy familiarity with myself,” as the narrator ofmy Life and Times noted toward the end of thebook. I began to splinter, mirroring the disinte-gration of hope around me. I began to lose myperspective as an Outsider. Which meant that Iput on America’s shoes, which were like the lit-tle red shoes in Grimm’s fairy tale: they lookedlike regular shoes but they were not. Sure, I saideveryday, I can take these shoes off any time Iwant, I can quit anytime, I can find my old selfin my new self, I can stop talking

I wondered what would have happened if,instead of coming to America, I had gone tothose other countries which had been potentiallywelcoming: Australia, New Zealand, Canada.Those places, untouched as they were by thebarefoot madness of America, would have neverprovided me the luxury of identifying with awhole generation, I would have stayed an immi-grant pure and simple, wearing those shiny,black, pointed shoes immigrants wear the worldover. I would have walked in those shoes throughschool, possibly a job that would have allowedme to buy more shoes, and I would have wrestledmy muse in that dark, horrifying, lonely cham-ber that is the true residence of most exiled poets.I would have slowly lost the bounce in my walk,and the cockiness of my pronouncements, and Iwould have probably killed myself one fine dayin Sydney, or become a petty crook14.

This passage taken from the memoirsunites two types of material fundamentalfor understanding the manner in whichCodrescu moved into the culture of theUnited States, as immigrant and as exile.After having attained a high level of com-petence in the second language, a compe-tence that permitted him to participate fullyas writer and as cultural commentator in hisnew country, there begins gradually andincreasingly to develop a sense of appre-hension and unease as he becomes morefluent and more at ease with the new lan-guage itself, to the point at which he experi-

ences a loss of the sense of self, a loss of hisidentity as « outsider ». This perceptionbrings to him a sensation of fragmentation.This perception goes along with growingsensation of a loss of hope that surroundshim in the culture, a sensation that followedthe initial euphoria of the liminal state char-acteristic not only of outsider and of poet,but also of his sense of belonging to a revo-lutionary cultural movement that explodedonto the scene in the Sixties and that coin-cided with his arrival in the United States.15.The moment of euphoria that correspondsto his arrival in « America », that utopianand mythic site, will be put into a differentperspective , and not only for Codrescu,during the 1970’s and the beginning of the1980’s when he composes the second mem-oir from which the above passage is drawn.The political reality of the United States dis-places that which had been the center ofgravity of the United States, such that thegeopolitical reality of the State imposesitself ever more forcefully upon the mythicNation into which he had believed insertedimmediately upon arrival.

In Comrade Past and Mister Present, apoetry collection published in 1986, theprose poem « Fourth of July » serves as avehicle for Codrescu to imagine a possibleworld: a Romanian poet in exile in theFederal Republic of Germany is counter-poised to his own ambivalent position inrespect to his experience in the UnitedStates of America:

I know a sad and large man who lives in WestGermany.

That’s how I thought I would start a news-paper article about a man I don’t know, aRomanian poet who sends me his sad self-pub-lished little books every three months or so. Thisman is a doctor, a G.P. probably in a small coal-mining German town. I see the post office wherehe buys his stamps and gets his mail and the lit-tle coffee shop where he has his schwarz Kaffeeand writes his sad poems. His poems aren’t just

14 A. Codrescu, An Involuntary Genius in America’s Shoes, p. 344–5.15 For notions of liminality in its relation to communitas, V. Turner, The Ritual Process. Structure and Anti-

Structure, reprint, 1969, New York: Aldine De Gruyter, 1995, p. 94 ff.

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sad, they are desolate, they are haunted, they arehollow and ground-down, the despair is thickand incontrovertible. There are leaden seas andhopeless rivers in them and burnt trees with dotsof pain on the charred branches. The humans aremissing from his landscapes as resolutely as ifthey’d been rubbed out so long ago nobody evenremembers them. But once in a while a remark-able little human thought will make its appear-ance, astonishing in its petty incomprehension.Things like: “They’ve thought of it, so now Ihave to eat it.” Does he have a wife, children?Probably.

Today is the Fourth of July. The radio playsthe “Ode to Anacreon,” from which F. S. Keytook “The Star-Spangled Banner.” I’m anAmerican, no doubt about it. My heart swellswith pride at this brass riot, I am transported. Ilove Mr. Jefferson. A genius. A revolutionary. Agreat visionary. He would have puked on RonaldReagan. [. . .]16

Whereas a manner for resisting the feel-ing of fragmentation consisted in the posi-tive evaluation of and identification with atradition of avant–garde poetry whose mostprofound and meaningful roots were to befound in Romania, the next move would beto connect oneself to that tradition in one’sown poetic practice.

As Ioana Avadani, the translator ofCodrescu’s novel Messi@h, argued in 2000,17

the poet had lost contact with his mothertongue, such that his Romanian was thenmore or less stuck back in 1965, the year inwhich he had left Romania. When translat-ing Messi@h, Avadni tried to restrict herselfto a lexicon that reflected the state of the

language when Codrescu left the country.After having finished the translation, thetranslator continued to collaborate withCodrescu, translating his weekly radio com-mentaries. She realized that Codrescu wasknown in Romania as a writer, but not as aRomanian writer. She was able, however, toforesee the time when Codrescu would nolonger have need of a translator in order topublish in his mother tongue.18

Codrescu began returning to Romaniaafter the fall of Nicolae Ceauºescu’s govern-ment in 1989, going back as the correspon-dent for National Public Radio.19 This activ-ity is only a very small part of his involve-ment with the cultural life of Romania, evenfrom well before the fall of that government.But it was not until 2007 that he published,together with Ruxandra Cesereanu a vol-ume of poetry written in Romanian,Submarinul iertat20, translated into Englishby Codrescu with the title ForgivenSubmarine in 200921. As Codrescu writes inthe notes to the translation: « WhenRuxandra proposed our collaboration I wasamazed how much poetry in Romanian wasin me, waiting to burst its dungeon »22. Thestructure of imprisonment and the anticipa-tion of a soon to follow liberation seems tobe costitutive of the poetic spirit inCodrescu, a sensation that can be traced tohis life experience as exile, Jew, and poet,but also through his belonging to a commu-nity of Romanian avant–garde writers, asort of transnational community, a virtualterritory of exile within which modernRomanian literature continues to flourish.

16 A. Codrescu, Comrade Past and Mister Present (Minneapolis: Coffee House Press, 1986) p. 10.17 A. Codrescu, Messiah, New York, Simon and Schuster, 1999.18 I. Avadani, « Translating Codrescu Into Romanian », Xavier Review 20, no. 2 (Fall 2000), p. 24–5.19 A. Codrescu, The Hole in the Flag: A Romanian Exile’s Story of Return and Revolution, New York, William

Morrow, 1991.20 Per l’immagine del sottomarino, il delirionismo ed i rapporti con l’avanguardia storica romena,

Ruxandra Cesereanu, « Il delirionismo o un manuale concentrato su come rimanere bloccato nellarealtà », trad. Giovanni Magliocco, in Poetica dell’immaginario, a cura di Gisèle Vanhese, Rende, CentroEditoriale e Librario-Università della Calabria, 2010), p. 33–37.

21 R. Cesereanu and A. Codrescu, Forgiven Submarine, translated from the Romanian by A. Codrescu,introduction by M. Cãrtãrescu, Boston, Black Widow Press, 2009.

22 Cesereanu and Codrescu, Forgiven Submarine, p. 137 [Quando Ruxandra propose la nostra collabo-razione io fu meravigliato quanta poesia romena vi era in me, aspettando di essere liberato dalla suaprigione sotteranea. Trans. R.K.]

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L’œuvre de Benjamin Fondane trace unparcours existentiel et littéraire singulier,elle témoigne d’une errance à la fois géo-graphique et spirituelle, d’un périple con-

tinu et “irrésigné”1 qui traverse les “eauxverdâtres de l’humain”2. Poète, penseur,auteur de nombreux essais, il a vécu sa vieet son activité d’écrivain comme “un voy-age maritime où la navigation périlleusedevient la figure idéale (éprouvée par unelongue tradition poétique) de la conditionmortelle”3. Né à Iaºi en 1898, dans unefamille d’intellectuels juifs, BeniaminWechsler – qui prendra le pseudonyme deBeniamin Fundoianu en Roumanie et deBenjamin Fondane en France – a une doubleidentité littéraire, roumaine et française.Après avoir publié ses premiers écrits à Iaºiet à Bucarest et après avoir donné sa contri-bution au renouvellement du langage poé-tique roumain du XXe siècle, vu son intérêtpour la culture française, en 1923 il décided’émigrer à Paris.

La rencontre avec Chestov, philosopheukrainien de confession juive, marque uneétape fondamentale pour l’évolution de lapensée de Fondane et détermine unultérieur approfondissement: “la liberté neconsiste pas dans la possibilité de choisirentre le bien et le mal […]. Elle consiste dansla force et le pouvoir de ne pas admettre lemal dans le monde”4. L’homme, “le poète-prophète, le philosophe tragique de l’exis-tence en train de vivre sa dernière expéri-ence, celle de la rencontre avec l’absurde etle mal absolu”5, semble pressentir l’épiloguedramatique de son existence et de celled’autres Juifs: en 1944, Fondane sera assass-iné dans le camp d’exterminationd’Auschwitz-Birkenau.

Notre contribution laisse de côté la pro-duction poétique de l’écrivain6, pour se cen-trer sur ses écrits en prose. En particulier,nous allons nous arrêter sur l’analyse desmétaphores présentes à l’intérieur de l’ou-

AnnafrancescaNACCARATO*

BenjaminFondane

et le gouffre de la parole

Our paper is focused on studying themetaphors from the essay "Baudelaire et l’ex-périence du Gouffre" (Seghers Edition 1947)by Benjamin Fondane. We aim to prove thatthe "analogy" (a figure of thinking) con-tributes to a complex and abundant vision,which is an echo from Baudelaire’s idea aboutthe interaction between philosophy, poetry andliterary criticism. Thus, we aim to highlightthe metaphors from a prose text, whereFondane breaks away from the simple andcommon uses of language, trying a new aes-thetic, in his own words "aesthetic of Ulysses,the aesthetic of risk, of imperfection, of theextreme".

Keywords: Benjamin Fondane, "Baudelaireet l’expérience du Gouffre", analogy, commonuses of language, aesthetic of Ulysses.

Abstract

*Università della Calabria1 M. Jutrin, Poésie et philosophie. L’irrésignation de Fondane, «Cahiers Benjamin Fondane», n. 2, 1998, pp. 27-

32.2 B. Fondane, Ulysse, in Le mal des fantômes, Paris, Verdier, 2006, p. 22.3 M. Kober, La vie-fantôme, «Europe», Benjamin Fondane, n. 827, Mars 1998, p. 67.4 L. Chestov, Athènes et Jérusalem, Paris, Flammarion, 1967, pp. 237-238.5 L. Volovici, Métamorphoses de l’identité, «Europe», Benjamin Fondane, op. cit., p. 12.6 À ce propos, voir A. Naccarato, Dalla parola all’immagine. La metafora in “Ulysse” di Benjamin Fondane, in

G. Vanhese (ed.), Multiculturalismo e multilinguismo. Multiculturalisme et multilinguisme, «Quaderni delDipartimento di Linguistica», Arcavacata di Rende, Università della Calabria, (in corso di stampa)

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Benjamin Fondane et le gouffre de la parole

vrage Baudelaire et l’expérience du Gouffre,paru chez Seghers en 1947. Nous nous pro-posons de montrer que le trope analogiquecontribue à l’éclosion d’une pensée com-plexe et touffue, d’une réflexion sur l’auteurdes Fleurs du Mal qui entrecroise la philoso-phie, la poésie et la critique littéraire. Nousallons ainsi souligner l’intrinsèque méta-phoricité d’un texte en prose, où Fondanemanifeste la nécessité d’une écritures’éloignant des “usages simples et com-muns” et visant une esthétique nouvelle,“cette esthétique d’Ulysse, esthétique durisque, de l’inachevé et de l’extrême”7.

1. La métaphore entre substitution et conflit

conceptuel irréversible Nos remarques sur les métaphores

présentes dans le corpus que nous avonschoisi – Baudelaire et l’expérience du Gouffrede Benjamin Fondane – sont axées sur uneidée de figure qui prend ses distances parrapport aux théories développées par la rhé-torique classique et par la néo-rhétorique delangue française et qui prend en considéra-tion en particulier les études de Paul Ricœuret de Michele Prandi. Nous nous proposonsde réaliser ici une analyse du tropeanalogique de nature essentiellement lin-guistique, à partir de l’incohérence qui sem-ble caractériser le contenu complexe desénoncés figurés et qui produit des formesévidentes de recatégorisation sémantique:

Un trope peut être défini, en premièreapproximation, comme la mise en forme linguis-

tique d’un conflit entre concepts ou entresphères conceptuelles. Son instrument canon-ique est l’incohérence dans le contenu complexed’un énoncé, la rupture d’isotopie, la contradic-tion. La construction d’énoncés contradictoires,et donc de tropes, est l’issue d’une valorisationspécifique de l’autonomie réciproque des struc-tures linguistiques et des structures con-ceptuelles, et plus précisément du décalage entrele pouvoir de connexion des formes linguistiqueset les solidarités entre contenus conceptuels8.

Dans l’étude des tropes léguée par la tra-dition, l’idée plus complexe de la transac-tion entre sphères conceptuelles est laisséede côté et le trope est analysé comme unesubstitution de dénomination, comme letransfert d’un lexème isolé déterminant unchangement de signification. Dumarsaisaffirme que par les usages tropiques “on faitprendre à un mot une signification qui n’estpas précisément la signification propre dece mot”9. D’après Fontanier, “les tropes sontcertains sens plus ou moins différents dusens primitif, qu’offrent, dans l’expressionde la pensée, les mots appliqués à de nou-velles idées”10 et il définit les figures du dis-cours comme “les traits, les formes ou lestours plus ou moins remarquables et d’uneffet plus ou moins heureux, par lesquels lediscours, dans l’expression des idées, despensées ou des sentiments, s’éloigne plusou moins de ce qui en eût été l’expressionsimple et commune”11. Il s’agit d’expres-sions s’écartant de la norme et du code, sedifférenciant par rapport à une formulationneutre en accord avec les règles normale-ment imposées par la langue et avec les

7 M. Jutrin, Relecture de Baudelaire et l’expérience du gouffre. Vers une lecture de participation, in M. Jutrin et G.Vanhese (ed.), Une poétique du gouffre. Sur Baudelaire et l’expérience du gouffre de Benjamin Fondane, Actes ducolloque de Cosenza, 30 septembre/1-2 octobre 1999, Soveria Mannelli, Rubbettino Editore, 2003, p. 20.

8 M. Prandi, Grammaire philosophique des tropes, Paris, Les Éditions de Minuit, 1992, p. 29. Dans sonouvrage Sémantique du contresens, Prandi écrit: “Ces expressions présentent une propriété commune:leur contenu n’arrive pas, malgré la présence d’une forme syntaxique recevable, à s’harmoniser dansun état de choses cohérent et concevable en termes matériels. Suivant Husserl, nous qualifions de «con-tresens», dans une acception technique et non évaluative du terme, cette famille d’expressions qui, avecune fortune inégale, a toujours habité les marges de la recherche linguistique et philosophique, n’in-téressant d’une manière positive que les études rhétoriques et littéraires” (M. Prandi, Sémantique du con-tresens, Paris, Les Éditions de Minuit, 1987, p. 7).

9 C. Dumarsais, Des tropes ou des différents sens (1730), Paris, F. Douay-Soublin, 1988, p. 69.10 P. Fontanier, Les figures du discours 1821-1827, Paris, Flammarion, 1968, p. 39.11 Op. cit., p. 64.

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usages prédominants. Les tropes sechangent ainsi en un fait de substitution etils acquièrent un caractère décoratif, con-séquence d’une élaboration esthétique sup-plémentaire:

les façons de parler ou de s’exprimer qui con-stituent les figures, ne doivent pas être, pourcelui qui les emploie, d’un usage tellement forcéqu’il n’eût pas pu parler ou s’exprimerautrement; […] les figures, par conséquent […]ne peuvent conserver leur titre de figures, qu’au-tant qu’elles sont d’un usage libre, et qu’elles nesont pas en quelque sorte imposées par lalangue12.

Les définitions que Dumarsais etFontanier donnent de la métaphore synthé-tisent d’une manière emblématique ce genred’approche. D’après le premier, il s’agitd’“une figure par laquelle on transporte,pour ainsi dire, la signification propre d’unmot à une autre signification qui ne lui con-vient qu’en vertu d’une comparaison qui estdans l’esprit”13, alors que selon Fontanierelle consiste dans la “présentation d’uneidée sous le signe d’une autre idée plusfrappante ou plus connue, qui, d’ailleurs, netient à la première par aucun autre lien quecelui d’une certaine conformité ou analo-gie”14. Évidemment, la rhétorique classiquene considère que les tropes “en un seulmot”, c’est-à-dire des formes de “dénomi-nation déviante”, et néglige l’idée de figurecomme énoncé linguistique ayant des pro-priétés spécifiques: “on peut distinguer”,écrit Fontanier, “deux grandes classes deTropes: les Tropes en un seul mot, ou pro-prement dits; et les Tropes en plusieursmots, ou improprement dits”15. L’influencede ces théories sur la néo-rhétorique delangue française est directe; comme le

reconnaît Ricœur, “la rhétorique classiqueest peut-être morte de n’avoir pas résolu laquestion de l’écart mais la néo-rhétoriquen’a pas fini d’y répondre”16.

La conception substitutive sous-tend lesapproches théoriques qui expliquent lestropes comme des écarts par rapport à undegré zéro correspondant à un niveau d’ac-tualisation de la norme linguistique.Genette est peut-être l’auteur qui valorise leplus la prétendue nature substitutive de lafigure; dans son Introduction aux Figures dudiscours, il écrit:

le critère de la figure, c’est la substitutiond’une expression (mot, groupe de mots, phrase,voir groupe de phrases) à une autre, que le rhé-toricien doit pouvoir restituer mentalement pourêtre en droit de parler de figure17.

Le Groupe ì, dans Rhétorique générale,définit le métasémème18 comme “une figurequi remplace un sémème par un autre, c’est-à-dire qui modifie les groupements desèmes du degré zéro”, ce dernier étant “undiscours ramené à ses sèmes essentiels […],à des sèmes que l’on ne pourrait supprimersans retirer du même coup toute significa-tion au discours”19.

Aux poétiques de l’écart s’oppose uneapproche qui discerne dans le domaine fig-uré, et donc dans l’élaboration stylistiquequi en découle, une utilisation complexe etvalorisante de toutes les ressources linguis-tiques. Dans son ouvrage fondamentalGrammaire philosophique des tropes, Prandiobserve:

Le caractère substitutif de la figure […] nousapparaît maintenant sous un jour nouveau: nonpas comme la marque d’un écart par rapport àl’emploi “simple et commun” des ressources lin-

12 Ibidem.13 C. Dumarsais, Traité des tropes, cité par M. Le Guern, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris,

Librairie Larousse, 1973, p. 11.14 P. Fontanier, op. cit., p. 99.15 Op. cit., p. 75.16 P. Ricœur, op. cit., pp. 177-178.17 G. Genette, Introduction, in P. Fontanier, op. cit., p. 11.18 “Le néologisme métasémème […] recouvre en gros ce qu’on appelle traditionnellement les «tropes»”

(Groupe µ, Rhétorique générale, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 91).19 Groupe µ, op. cit., p. 36.

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guistiques, mais comme la conséquence directed’une propriété structurale spécifique des énon-cés figurés: du supplément de mise en forme quiles caractérise. Dissociée d’une définition néga-tive de la figure, et justifiée de l’intérieur du dis-positif linguistique, la notion de substitution estprête à occuper la place qui lui convient dans ladescription structurale des figures, et plus parti-culièrement des tropes-figures20.

La notion de substitution est liée à l’utili-sation figurée d’un nom pour introduiredans le texte un référent in absentia.L’interprétation du désignateur tropiquepasse nécessairement par la constructiond’un paradigme associant au trope un désig-nateur virtuel conceptuellement pertinent:

Ainsi, l’interprétation du désignateur rossig-nol se référant métaphoriquement à une fillepasse, dans notre expérience linguistique com-mune, par la réintégration d’un double virtuel –probablement fille – et donc par la constructiond’un paradigme formé par deux termes qui sontengagés simultanément dans la référence. Le faitde reconnaître au trope référentiel une structureparadigmatique, cependant, n’engage pas àsouscrire aux conclusions d’une métaphorologiesubstitutive. Si un trope référentiel est virtuelle-ment remplaçable, en effet, ce n’est pas en tantque trope, mais en tant que désignateur21.

La disponibilité d’un substitut pour untrope d’invention relève de la classe gram-maticale d’appartenance. Si on considèrecertains transferts complexes axés sur l’em-ploi figuré des verbes, des adjectifs, desadverbes métaphoriques ou des nomstropiques en position prédicative, leparamètre qui en permet une définitionexhaustive ne concerne pas la possibilité derepérer un double virtuel rétablissant lacohérence de la phrase, mais est centré surla présence d’une tension conceptuelle seproduisant entre le foyer tropique et sespartenaires dans l’énoncé:

pour les noms tropiques prédicatifs, intrin-sèquement irremplaçables, la présence d’une

contradiction avec le sujet est une conditionnécessaire et suffisante; quant aux verbes, auxadverbes et aux adjectifs, la disponibilité d’undouble virtuel est indissociable d’une tensionentre le foyer et ses partenaires relationnels22.

Un verbe métaphorique est substitutif sile lexique dispose d’un terme capable d’en-visager une ou plusieurs connexions équiv-alentes non métaphoriques avec les rôlespropositionnels impliqués. Si l’on considèrel’énoncé figuré “la mer mugit”, il est possi-ble d’envisager le verbe métaphorique“mugir” comme s’opposant à un substitutponctuel propre, “bruire”; toutefois, le foyertropique fait en même temps partie de lastructure sémantique d’un énoncé et inter-agit contradictoirement avec son partenairenominal, “la mer”, dans une connexion syn-tagmatique. Si, par contre, l’on considèrel’énoncé “la lune rêve”, l’on remarque que,tout en étant engagé dans une tension con-ceptuelle spécifique avec son sujet, le verbemétaphorique ne dispose pas d’un doublecohérent qui pourrait le substituer. En cecas, la métaphore est irréversible. De plus,la recatégorisation du sujet passe par lamédiation d’un élément absent de l’énoncé:la lune est vue par l’intermédiaire de l’êtrehumain, ce qui comporte également uneinteraction d’ordre paradigmatique. Endéfinitive, la contradiction peut intéresserles membres d’un paradigme in absentia,désignateur tropique et double virtuel sol-idaire. En ce qui concerne les verbes, lesadjectifs, les adverbes métaphoriques et lesnoms tropiques en position prédicative, lacontradiction est un critère indépendant dela substitution, cette dernière pouvant detoute façon contribuer à des recatégorisa-tions inattendues et complexes. Le degré dela tension conceptuelle différencie les tropesd’invention purs des tropes simplementdécoratifs:

les tropes substitutifs tendent à s’approcherdu type idéal d’un trope essentiellement déco-ratif, dépourvu d’une véritable épaisseur con-

20M. Prandi, Grammaire philosophique des tropes, op.cit., p. 118.21 Op. cit., p. 119.22 Op. cit., p. 124.

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ceptuelle, qui déplace l’attention, comme la fig-ure, du contenu articulé à l’artifice de l’articula-tion. Les tropes d’invention purs, non substitu-tifs, par contre, concentrent l’attention sur unétat de choses dont l’inconcevabilité réside nondans l’artifice de la formulation mais dans lasubstance conceptuelle même23.

Notre étude des métaphores présentesdans Baudelaire et l’expérience du Gouffre deBenjamin Fondane, vise ainsi l’analyse desoccurrences qui peuvent être considéréescomme des “tropes d’invention purs”, lesmétaphores “vives”, comme le dit Ricœur,ou “projectives”, selon la terminologie dePrandi. Il ne s’agit pas d’analogies définiesconceptuellement (qui reposent sur un sys-tème de similarités reconnues et partagées)ou structuralement (utilisant les relationsengagées dans l’articulation du lexique),mais de figures qui, en superposant desréalités apparemment incompatibles, pro-posent des formes d’impertinence séman-tique qui concernent l’énoncé entier:

le sens d’un énoncé métaphorique est suscitépar l’échec de l’interprétation littérale de l’énon-cé; pour une interprétation littérale, le sens sedétruit lui-même. Or cette auto-destruction dusens conditionne à son tour l’effondrement de laréférence primaire. […] l’auto-destruction dusens, sous le coup de l’impertinence sémantique,est seulement l’envers d’une innovation de sensau niveau de l’énoncé entier, innovation obtenuepar la “torsion” du sens littéral des mots. C’estcette innovation de sens qui constitue lamétaphore vive24.

Il existe deux grands types de dénota-tions tropiques, les unes qui se développentdans un même ensemble référentiel, lesautres qui produisent des jonctions entredes domaines référentiels hétéroclites. Lestransferts référentiels qui se réalisent à l’in-térieur d’un seul champ dénotatif sont à labase des tropes non analogiques; les jonc-tions entre champs engendrent au contrairela structure analogique de la métaphore:

Avec les transferts référentiels internes à unchamp dénotatif, on entre dans le cadre de lamétonymie. Quant aux jonctions entre champs,elles engendrent la structure de la métaphore25.

En différenciant les tropes analogiquesdes tropes non analogiques, Prandi parlerespectivement de procédures de déforma-tion de l’extérieur et de procédures dedéformation de l’intérieur:

Un objet peut être sollicité par une pressionexercée de l’extérieur ou par une manipulationagissant de l’intérieur. La pression exercée del’extérieur se reconnaît au fait qu’elle assimilel’objet thématisé – le sujet de discours primaire– à un sujet de discours subsidiaire rigoureuse-ment étranger à la structure de l’objet et à sasphère relationnelle reconnue. […] Les procé-dures de déformation de l’intérieur, par contre,confient le rôle de sujet subsidiaire non pas à unobjet étranger, mais à un objet appartenant à lasphère du sujet de discours primaire: le sujetsubsidiaire est constitutif de la structure com-plexe du sujet primaire, ou entretient avec luiune relation évidente, positivement activée lorsdu transfert, à l’intérieur de schémas d’états dechoses canoniques26.

Si la métaphore se fonde sur une relationentre des pôles homogènes mais qui appar-tiennent à des domaines conceptuelshétérogènes, la métonymie et la synecdoqueconcernent des éléments hétérogènes maisqui partagent des configurations con-ceptuelles homogènes. À la différence desrelations mises en cause par la métaphore,qui se change en un instrument de créationconceptuelle, les relations sur lesquellesreposent les tropes non analogiques ne fontque valoriser des états de choses qui peu-vent être observés dans l’expérience quoti-dienne et proposent des “énigmes à clé”27,résolubles en identifiant le genre de connex-ion qui unit le sujet de discours primaire etle sujet de discours subsidiaire. Ces présup-posés expliquent l’emploi essentiellement

23 Op. cit., p. 122.24 P. Ricœur, op.cit., p. 289.25 M. Bonhomme, Linguistique de la métonymie, Berne, Peter Lang, 1987, p. 39.26 M. Prandi, Grammaire philosophique des tropes, op. cit., p. 232.27 Op. cit., p. 18.

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nominal de la métonymie et de la synec-doque qui, en ne s’éloignant pas de lasphère conceptuelle du sujet de discoursprimaire au point de le qualifier ultérieure-ment, ne peuvent intéresser, à la différencede la métaphore, la variété des élémentsconstitutifs de la phrase (verbe, adjectif,adverbe, etc.):

La métaphore ne diffère pas de la métonymieen ce que l’association se fait ici par ressem-blance au lieu de se faire par contiguïté. Elle endiffère par le fait qu’elle joue sur deux registres,celui de la prédication et celui de la dénomina-tion. […] la métaphore a un rôle dans le discoursque la métonymie n’égale jamais […]. Ce n’estpas parce que la contiguïté est une relation pluspauvre que la ressemblance, ou encore parce queles rapports métonymiques sont externes, don-nés dans la réalité, et les équivalencesmétaphoriques créées par l’imagination, que lamétaphore l’emporte sur la métonymie, maisparce que la production d’une équivalencemétaphorique met en jeu des opérations prédica-tives que la métonymie ignore28.

Nous laissons de côté les approchesthéoriques qui considèrent la figure commeune forme de dénomination déviante, apte àrenommer et à reformuler, pour envisager letrope analogique comme une prédicationimpertinente, qui actualise, à l’intérieur del’énoncé, un conflit conceptuel actif: “lamétaphore est replacée dans le cadre de laphrase et traitée comme un cas non plus dedénomination déviante, mais de prédicationimpertinente”29. Nous allons ainsi définir lamétaphore comme un trope à fondementanalogique qui concerne des élémentsappartenant à des domaines sémantico-référentiels différents. De plus, cette figurese caractérise par une richesse fonctionnellequi s’oppose à l’emploi exclusivement nom-inal de la métonymie et de la synecdoque.

En juxtaposant des réalités souvent incom-patibles, elle aboutit à brouiller les caté-gories sémantiques normalement reconnueset réalise de véritables formes de recatégori-sation conceptuelle: “ainsi la ressemblancedoit être elle-même comprise comme unetension entre l’identité et la différence dansl’opération prédicative mise en mouvementpar l’innovation sémantique”30.

2. “Dire” l’expérience du gouffre à travers

le processus métaphoriqueFondane commence à écrire son Baude-

laire en 1941, mais il ne cesse de le remanieret certaines des pages destinées à cetouvrage sont contenues dans un carnet detravail qui date de 1943. “Livre-testa-ment”31, ce dernier annonce le destin trag-ique de l’écrivain: il sera déporté et assass-iné avant de le terminer. Dans l’introduc-tion, dont le titre – Au lieu de préface – est ré-vélateur, Fondane emploie des mots chargésd’un évident sens d’impuissance et de fin:

Mais cette fois-ci, la chose ne sera pas possi-ble. Le temps presse. Un bateau m’attendquelque part. (Pourquoi un bateau? Ce seraittrop long à dire). Et un pays d’où je ne pourraiguère corriger les épreuves, écrire des préfaces,ni voir le bouquin paru32.

À partir de l’analyse de la vie et de l’œu-vre de Baudelaire, il rédige ainsi une“somme esthétique et philosophique”33 quise change en une sorte “d’autoportrait spir-ituel”34 contribuant à la compréhension del’écrivain et de l’homme. En effet, ce texten’appartient pas au genre de la critique lit-téraire tel qu’on le conçoit d’habitude;comme le remarque Monique Jutrin dansson essai Relecture de “Baudelaire et l’expéri-ence du gouffre”. Vers une lecture de participa-

28 P. Ricœur, op.cit., p. 170.29 Op.cit., p. 8.30 Op.cit., p. 10.31 G. Vanhese, Présentation, in M. Jutrin et G. Vanhese (ed.), op. cit., p. 5.32 B. Fondane, Baudelaire et l’expérience du gouffre, Bruxelles, Éditions Complexe, 1994, p. XII.33 M. Jutrin, Relecture de Baudelaire et l’expérience du gouffre. Vers une lecture de participation, op.cit., p. 13.34 Ibidem.

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tion, “l’auteur récuse la notion même de cri-tique littéraire. Il ne cesse de le répéter: l’artn’est pas réflexion mais participation”35.

D’après Fondane, la poésie naît au bordd’un abîme, au bord d’un gouffre. Cedernier constitue une notion complexe, quiest associée à la perception d’“une tensionentre deux mondes: un monde tissé par desconcepts et orienté par des valeurs idéal-istes par l’abnégation du moi, et un mondede forces obscures et nues qui tendent àaffirmer sans limites les puissances du moi” 36. À travers l’image du gouffre, quiévoque un sens de perte, de mystère et deténèbres37, Fondane rejette toute idée depoésie fondée sur des valeurs préconsti-tuées, pour montrer que la véritable inspira-tion provient du moi le plus profond, unmoi sauvage, qui transmute la créationartistique en “un dépotoir mystérieux oùviennent aboutir, sans nous en demander lapermission, des forces obscures, des souil-lures internes, des eaux d’égout”38. Ces“forces obscures” demandent à celui qui enest l’instrument de descendre dans le “sous-sol humain” et de trouver les mots les plusappropriés pour décrire les fleurs qui ypoussent.

La prose fondanienne se sert ainsi d’unevaste gamme de métaphores – du substan-tif, du verbe, de l’adjectif – qui aident audéveloppement de concepts suivant unelogique évidemment complexe. Elle choisitun langage autre, en réalisant cette “fusionentre le sens et les sens”39 dont nous parleRicœur.

2.1 Métaphore et substantifÀ côté de métaphores qui se caractérisent

par la présence simultanée dans l’énoncédes deux pôles du transfert tropique, lecomparant et le comparé – métaphores in

praesentia – il existe des cas où l’analogies’établit par rapport à une relation in absen-tia: le transfert, entièrement sous-jacent, estrepérable par quelques indices, le sujet dediscours primaire (le référent visé ou com-paré) n’étant pas explicité. Le Groupe µ,dans Rhétorique générale, place les méta-phores in praesentia parmi les comparaisonsmétaphoriques et ne considère comme devéritables métaphores que le occurrences inabsentia:

une différence importante se fait jour entre lamétaphore complète et la comparaisonmétaphorique au point de vue de ce que nousappelons la marque. Les métaphores in praesen-tia se ramènent à des syntagmes où deuxsémèmes sont assimilés indûment, alors que lamétaphore proprement dite ne manifeste pasl’assimilation40.

Nous ne sommes pas d’accord avec lesconclusions des rhétoriciens de Liège. Lesformes in praesentia, les prédicationsmétaphoriques, développent entièrement etsous nos yeux la recatégorisation con-ceptuelle visée par le trope et exaltent lacréativité du langage, c’est-à-dire le pouvoirde donner une signification à des combi-naisons syntagmatiques bien construitesmais rapprochant des termes qui n’ont rienà voir les uns avec les autres:

À une distribution intégralement in absentia“des deux moitiés” du trope – du véhicule et dela teneur, du sujet subsidiaire et du sujet pri-maire – s’oppose leur spécification simultanéedans la chaîne syntagmatique: une expressionnominale tropique en position prédicative définitexplicitement un sujet de discours primaireirréversiblement enraciné dans la prédication,identifié et qualifié indépendamment du foyertropique. Le trope in praesentia est absolumenttransparent, soustrait à ce risque d’échec qui

35 Op. cit., p. 16.36 O. Salazar-Ferrer, L’ambivalence du gouffre, in M. Jutrin et G. Vanhese (ed.), op. cit., p. 54.37 M. T. Zanola, La langue de Fondane: le dandy au bord du gouffre, in M. Jutrin et G. Vanhese (ed.), op. cit., p.

160.38 B. Fondane, op. cit., pp. 43-44. Dorénavant, toutes les citations extraites de ce texte seront suivies

directement de l’indication de la page.39 P. Ricœur, op. cit., p. 265.40 Groupe ì, op. cit., p. 114.

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menace le trope in absentia dans le cas où le sujetde discours primaire ne serait pas identifié. […]À l’interaction entièrement syntagmatique, inpraesentia, privée de tout paradigme, est inac-cessible cette sortie de secours qu’est l’interpré-tation purement substitutive. Si le trope deforme paradigmatique propose un développe-ment facultatif du conflit conceptuel, le trope inpraesentia impose un développement obligatoire,qui acquiert sa forme la plus mûre en présence dela métaphore41.

a) Métaphores in praesentiaLes exemples qui suivent se caractérisent

par la présence, dans l’énoncé, des deuxpôles engagés dans le transfert métapho-rique; le sujet subsidiaire est mis en apposi-tion ou il est en position prédicative.Comme le dit Prandi, “la structure in prae-sentia […] exalte le régime conceptuel de lamétaphore – la projection de concepts surconcepts –”42 et aboutit à des réalisationsinattendues et complexes.

1. Aucun d’eux, n’a envisagé que la Museaux paroles dorées (reflet clair et sensible del’idée) pût se transformer en Pythie, puisque lesgémissements n’ont aucun accès au concept.[…] car quel rapport, quel commun peut-onconcevoir entre la Muse et la Pythie, entre laréalité et le néant? […] la philosophie est inca-pable d’admettre l’existence du Gouffre, de laPythie (p. 35).

2. Oui, les ténèbres sont elles-mêmes destoiles où quelqu’un a brossé le monde, d’oùquelqu’un a tiré le monde […] la maladie, leremords, la haine, la colère, l’insomnie, l’irré-parable, la mort? Comment échapper à cetteimmense armée de spectres qu’il portait en lui,malgré lui? (p. 93).

3. le néant est un dieu qui ne veut pas d’athée(p. 265).

4. le vers de Mallarmé, quoique admirable,n’ouvre sur rien, est une fausse fenêtre (p. 400).

Dans l’exemple n. 1, le Gouffre est assim-ilé à la Pythie, comme le montre la structureappositive (l’existence du Gouffre, de laPythie)43. La Pythie était la prêtresse de l’or-acle de Delphes; assise au-dessus du gouffred’où s’échappaient les prétendues exha-laisons prophétiques, elle rendait ses oraclesen proférant des cris, des hurlements. Enopposant la Pythie à la Muse aux parolesdorées, Fondane renforce ultérieurement lecontraste entre la tendance à envisager laproduction artistique par rapport à uneapproche idéaliste centrée sur des valeursd’ordre et d’équilibre et une idée de poésiequi devient cri dévoilant inexorablement lesterreurs du gouffre.

Dans les exemples n. 2, 3, 4 la métaphorea la forme d’une prédication impertinente.L’assimilation entre les pôles engagés dansle transfert tropique est totale: elle se réalisepar l’emploi du verbe “être”. Les ténèbressont des toiles où quelqu’un a brossé le monde;la maladie, le remords, la haine, la colère, l’in-somnie, l’irréparable, la mort constituent uneimmense armée de spectres; le néant est un dieuet le vers de Mallarmé est une fausse fenêtre.Évidemment le poète associe des élémentsqui appartiennent à des domaines con-ceptuels et référentiels différents et il le faiten déployant entièrement sous les yeux dulecteur la recatégorisation sémantique viséepar la métaphore.

b) Métaphores in absentiaComme nous l’avons montré, il existe

des cas où le sujet de discours primaire (leréférent visé ou comparé) est un élémentabsent de l’énoncé. Avec ce type demétaphores, “l’interprète voit s’ouvrir unéventail de choix?44: effectivement, leprocessus de recatégorisation sémantique

41 M. Prandi, Grammaire philosophique des tropes, op. cit., p. 245.42 Op. cit., p. 246.43 Dans l’occurrence n. 1, la métaphore affecte des pôles – le Gouffre et la Pythie – déjà liés par une rela-

tion de contiguïté (la Pythie rendait ses oracles assise au-dessus d’un gouffre). Il s’agit évidemmentd’une métaphore à fondement métonymique. À ce propos, voir: A. Naccarato, Poétique de la métonymie.Les traductions italiennes de “La Curée” d’Émile Zola au XIXe siècle, Roma, Aracne Editrice, 2008, p. 103.

44 M. Prandi, Grammaire philosophique des tropes, op. cit., p. 245.

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Annafrancesca Naccarato

déclenché par la figure active un transfertqui, tout en étant repérable par quelquesindices, “propose un développement facul-tatif du conflit conceptuel?45.

5. Mais cette fois-ci, la chose ne sera pas pos-sible. Le temps presse. Un bateau m’attendquelque part. (Pourquoi un bateau? Ce seraittrop long à dire). Et un pays d’où je ne pourraiguère corriger les épreuves, écrire des préfaces,ni voir le bouquin paru, ni entendre les cris d’ef-froi qu’on aura poussés devant le cataclysme quej’aurai déchaîné, soit par mes idées, soit encorepar les fautes d’orthographe, les incorrectionsgrammaticales, les amphibologies, soit encorepar le fait d’être né, que sais-je? (p. XII).

6. Bien entendu, cette aide ne sera pasmarchandée; à peine l’a-t-on nommée que laphilosophie est déjà là, prodiguant conseils etconsolations qu’elle a déjà servis à d’autres nav-igateurs en détresse (p. 31).

7. Ceux qui n’ont connu que des mers calmeset bordées et à qui les mâts ont été fidèles, n’ad-mettront jamais qu’il puisse exister quelquechose comme le mystère et l’absurdité (p. 347).

8. Chasser l’inspiration, c’était dans l’espritde Baudelaire, chasser Dieu et la vie, ce Dieu quine peut s’exprimer à travers le poète qu’avec lesparoles délirantes et l’écume baveuse de la vie (p.47).

9. Jusqu’à la fin il questionnera – en “pen-sant” ou non, peu importe! – au sujet de sesHamlet, de ses Macbeth, de ses Lear et s’écrieraen les voyant égorgés par l’implacable couteaude l’Histoire (p. 356).

Les exemples n. 5, 6 et 7 suggèrent lethème du voyage par mer. Comme le ditRiffaterre dans son ouvrage La production dutexte, ils présentent “une série de méta-phores reliées les unes aux autres par la syn-taxe – elles font partie de la même structurenarrative ou descriptive – et par le sens:chacune exprime un aspect particulier d’untout, chose ou concept, que représente la

première métaphore de la série”46. Cesoccurrences proposent des métaphores inabsentia: les énoncés contiennent les foyerstropiques, mais les sujets de discours pri-maires ne sont pas mentionnés. En 5, lebateau et le pays annoncent un périple trag-ique, un voyage vers la mort, vers le néant,comme le suggère L’eau et les rêves deBachelard. Le syntagme navigateurs endétresse (exemple n. 6) évoque une idéed’eau triste, stymphalisée, qui transmute ledestin du poète en une traversée ardue etsans fin. L’expérience du gouffre ne con-cerne pas ceux qui n’ont connu que des merscalmes et bordées et à qui les mâts ont été fidèles(exemple n. 7), mais elle appartient à desindividus qui se mesurent avec le mystère etl’absurde et qui s’engagent en une descenteincertaine vers l’inconnu.

Les exemples n. 8 et n. 9 présentent desgénitifs métaphoriques47 où le “de” associedeux syntagmes nominaux conflictuelsdans leurs rapports réciproques: les parolesdélirantes et l’écume baveuse de la vie; l’im-placable couteau de l’Histoire. La vie et l’histoiresont évidemment l’objet d’une véritabletransmutation qui leur confère des traitshumains (paroles délirantes; implacablecouteau). Si le conflit sémantique se dérouleau niveau syntagmatique, la recatégorisa-tion des éléments qui participent au trans-fert (la vie et l’histoire) passe par la médiationd’un double virtuel in absentia, l’êtrehumain. De plus, la vie est associée à un élé-ment aquatique (l’écume baveuse).

2.2 Métaphores verbales et adjectivales

Les verbes métaphoriques activent destransferts complexes et montrent que lesstructures linguistiques permettent la con-nexion de constituants (sujets et verbes) quivéhiculent des contenus conceptuels con-flictuels. Dans les passages qui suivent, lavaleur sémantique du verbe aboutit à mod-

45 Ibidem.46 M. Riffaterre, La production du texte, Paris, Éditions du Seuil, p. 218.47 P. Paissa, Substantivation abstraite: quelques effets de sens dans la prose romanesque de la deuxième moitié du

XIXème siècle (Goncourt et Zola, 1864-1874), in E. Galazzi e G. Bernardelli (ed.), Lingua, cultura e testo.Miscellanea di studi francesi in onore di Sergio Cigada, Milano, Vita e pensiero, 2003, p. 554.

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Benjamin Fondane et le gouffre de la parole

ifier la charge notionnelle du sujet: “le priv-ilège d’exprimer le rôle principal du proces-sus est conféré au sujet sur la base de sespropriétés formelles exclusivement. Lanature sémantique du verbe, pour sa part,en fixant les rôles qu’il contrôle et leurhiérarchie interne, intervient pour donnerun contenu notionnel à cette prééminencerigoureusement formelle”48.

10. la révolution romantique avait sinondécapité les mots, les règles, du moins portéatteinte à la foi en leurs droits divins (p. 26).

11. Et nous ne trouvons dans le monde deMallarmé que l’ennui, un ennui morne, usé, demanoir pas même hanté, sans fantôme, sansminuit, où le vide soupire après une brise, un feude bûches, un mouvement de draperies (p. 91).

12. la vie court après lui, s’assied avec luisous la lampe, elle arrache la plume de ses doigtset le jette dans une rêverie et une paresse où unmoins habile que lui reconnaîtrait le “néant”qu’est son moi haïssable (p. 93).

13. l’absurde se met à chanter, des fleurspoussent sur l’arbre du mal, tout un monde sortà la surface (p. 208).

14. Et la Pitié erre, désarmée, bâtarde, inutile,consciente de son impuissance logique, ne pré-tendant même pas au titre de “pensée” (p. 258).

Dans les exemples n. 10, 11, 12, 13, 14 lesverbes (avait décapité; soupire, court, s’assied,arrache, jette; se met à chanter; erre) détermi-nent des formes d’impertinence sémantiquequi se déroulent au niveau syntagmatiqueet qui feraient penser par conséquent à unestructure in praesentia. Toutefois, la recaté-gorisation des sujets (la révolution roman-tique; le vide; la vie; l’absurde; la Pitié) se faitpar la médiation d’un désignateur virtuelpertinent, l’être humain, qui n’est pas men-tionné, ce qui comporte également uneinteraction d’ordre paradigmatique, inabsentia.

Dans le corpus, nous avons retrouvéaussi des cas où le conflit sémantique

provoqué par la métaphore concerne la rela-tion entre le nom et le modificateur (par-ticipe à valeur adjectivale ou adjectif).

15. Rien ne ressemble moins à l’inspirationque cette lutte aride, dans le vide, sur un papierrécalcitrant, avec le sentiment qu’on n’a rien àdire, que la source est tarie (si elle a jamaisexisté) et que toute la force poétique s’est épuiséedans cette étrange rêverie (p. 146).

16. Ici on se trouve devant une immense etsordide matière, lamentable, geignante, tour-mentée et déchirée, sans volonté, sans yeux, avecdes éclats de ténèbres et de colère (p. 25).

17. Et la Pitié erre, désarmée, bâtarde (p.258).

En 15, 16 et 17 l’attribution est de naturemétaphorique, vu qu’il n’existe pas departenaire solidaire de l’adjectif (récalcitrant;lamentable, geignante, tourmentée, déchirée;désarmée, bâtarde) repérable dans l’entourageconceptuel du terme modifié (papier;matière; Pitié) qui puisse rétablir lacohérence de l’énoncé. Les adjectifs projet-tent entièrement leur contenu sur les sub-stantifs qu’ils modifient. Comme l’écritPrandi, “lors de l’emploi métaphorique del’adjectif, le nom modifié, tout en n’étantpas solidaire, sature la valence de l’adjectif:dans l’expression un après-midi chenu, chenus’applique effectivement, quoique méta-phoriquement, au nom après-midi”49. Lesdeux derniers exemples, en particulier,montrent d’une façon emblématique le pou-voir que la métaphore a de créer des imagesavec une forte valeur visuelle, en réalisant“la liaison entre un moment logique et unmoment sensible ou, si l’on préfère, unmoment verbal et un moment non verbal”50.De plus, en 16, la recatégorisation du sujetde discours subsidiaire – une immense et sor-dide matière – est liée aussi aux complé-ments: sans volonté, sans yeux, avec des éclatsde ténèbres et de colère. Ces derniers con-tribuent à renforcer la fonction iconique dela métaphore.

48 M. Prandi, Sémantique du contresens, op. cit., pp. 98-101.49 M. Prandi, Grammaire philosophique des tropes, op. cit., p. 98.50 P. Ricœur, op. cit., p. 264.

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Annafrancesca Naccarato

Les exemples qu’on vient d’analysermontrent clairement que le sens de l’énoncémétaphorique “est suscité par l’échec del’interprétation littérale”51, par une “auto-destruction du sens”52 qui “est seulementl’envers d’une innovation de sens au niveaude l’énoncé entier, innovation obtenue parla «torsion» du sens littéral des mots”53. Letrope analogique est donc l’instrument leplus approprié pour articuler une penséeunique, de nature philosophique, mais qui acomme point de départ des réflexions con-cernant un poète, Baudelaire, et son œuvre,Les Fleurs du Mal. Il concède une forme lin-guistique aux images les plus complexes et

résout les obstacles du concept, en permet-tant de pallier et de racheter l’impuissancede l’expression directe54. Par ses choixd’écriture, qui semblent demander au lan-gage de dépasser ses propres limites et defaire éclater les rapports unissant le signifi-ant et le signifié, Fondane aboutit ainsi àtraduire une expérience presque indicible.En définitive, les métaphores aident la prosefondanienne à se plonger elle aussi dans unabîme mystérieux et inconnu et à participerà cette “noire chevauchée à travers l’hu-main”55 entreprise par l’homme et par lepoète.

51 Op.cit., p. 289.52 Ibidem.53 Ibidem.54 L. Blaga, Genèse de la métaphore, in Trilogie de la culture, traduit par Y. Cauchois et al., Paris, Librairie du

Savoir Fronde, 1995, p. 291.55 B. Fondane, Baudelaire et l’expérience du gouffre, op. cit., p. 376.

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Je me propose d’analyser le procédé rhé-torique de la comparaison, dans le romanDina1 de l’écrivaine québécoise d’origineroumaine2 Felicia Mihali3. Je vais étudier,d’abord, les aspects formels et thématiquesdes énoncés comparatifs pour en dégager,

ensuite, la fonction dans le texte mihalien.Tout d’abord, on dira que le mot de “com-paraison” désigne: 1) une opération de pen-sée et une forme linguistique qui est propreà exprimer le concept de comparatif desupériorité, d’infériorité et d’égalité; 2) unefigure de style par rapprochement. Pouréviter toute ambiguité terminologique, lesgrammairiens anciens utilisaient deux motslatins: la comparatio pour exprimer, par lanotion de degré (=/+/-), un élément d’ap-préciation quantitative, et similitudo pourformuler un jugement qualitatif4. Sans entr-er dans le vif du débat terminologique, jevais utiliser le mot de comparaison pour lesénoncés qui, sous la forme d’un paral-lélisme, sont supposés véhiculer un sensfiguré5. On parlera alors de “comparaisonrhétorique” (ou “métaphorique”6) qui - con-trairement a la “comparaison grammati-cale” - est une “image”7, a savoir “l’expres-sion linguistique d’une analogie”8. Figurede pensée9, la comparaison serait fondée surun même rapport logique d’analogie que lamétaphore, dont elle se distinguerait toutd’abord par la diversité formelle. En effet, siAristote fait de la métaphore le genre dontla comparaison serait l’espèce, Quintilienrenverse ce rapport et définit la métaphorecomme “une similitude brève”10. La rhé-torique moderne considère la métaphorecomme “une comparaison implicite, qui faitl’économie de tout indice de comparaison

Roberta DE FELICI*

La comparaisonrhétorique dans Dina

de Felicia Mihali

The authoress proposes to analyse the rhetoricprocedure of the comparison in FeliciaMihali’s novel "Dina". The Canadian writerwith Romanian origins employs this stylisticfigure in various ways. First of all, we extendour research on the formal and thematicaspects of the problem. Next we shall reveal thecomparison’s functions in the text.

Keywords: Felicia Mihali, "Dina", compari-son, rhetoric strategies, semantic figures.

Abstract

*Università della Calabria1 F. Mihali, Dina, Montréal, XYZ Éditeur, 2008.2 Selon l’écrivaine, cette définition est assez correcte: “J’utilise l’adverbe assez, car une telle situation n’est

jamais vraie à cent pour cent. Lorsqu’il s’agit d’une nouvelle identité, il y a toujours quelque chose d’in-classable et d’innommable”, (F. Mihali, Des identités en crise, «Terra nova Magazine», août 2006).

3 F. Mihali naît en Roumanie en 1967. Chez l’éditeur XYZ, elle a publié: Le pays du fromage (2002), Luc, leChinois et moi (2004), La reine et le soldat (2005), Sweet, Sweet China (2007), Dina (2008), Confession pour unordinateur (2009).

4 Cf. M. Le Guern, Métaphore et comparaison, in M. Le Guern, «Sémantique de la métaphore et de lamétonymie», Paris, Larousse, 1973, pp. 52-53.

5 Voir I. Tamba-Mecz, Le sens figuré, Paris, P.U.F., 1981; P. Lerat, Théorie générale des figures de sens, «Cahiersde lexicologie», 2005, n. 87, pp. 45-59.

6 Cf. Groupe m, Rhétorique générale, Paris, Le Seuil, 1982, p. 114. 7 S. Ullmann, L’image littéraire. Quelques questions de méthode, in «Langue et Littérature», Paris, Les “Belles

Lettres”, 1961, pp. 41-60. Dans le même volume, P. Guiraud, Pour une sémiologie de l’expression stylistique,op. cit., pp. 119-134.

8 S. Ullmann, op. cit., p. 43. 9 D. Bouverot, Comparaison et métaphore, «Le français moderne», 1969, n. 2, p. 133. 10 Cf. I. Tamba-Mecz et P. Veyne, Metaphora et comparaison selon Aristote, «Revue des Études Grecques»,

1979, n. 436-437, pp. 77-98.

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Roberta de Felici

dans sa formulation”11. On pourra égale-ment affirmer que la comparaison est unemétaphore “allongée” ou “explicite”12. Dansles années 1970, on a tenté de démontrerque la comparaison et la métaphore “dif-fèrent dans leur essence même”13, c’est-à-dire non seulement au niveau de l’expres-sion, qui peut être plus ou moins “conden-sée”14, mais surtout au niveau de la “densitésémantique”15. Force est de constater qu’il

ne suffit pas d’effacer16 un mot (comme)pour transformer tout énoncé comparatif enune métaphore. Bien que ces deux figuresrhétoriques présentent des traits communsqui reposent sur un rapport de ressem-blance, il n’en reste pas moins que leur dif-férence dépend plutôt des degrés d’identifi-cation17 des deux éléments (le métaphoriséet le métaphorisant) qui les constituent. Enoutre, la comparaison ne fait pas partie destropes, figures “par lesquelles on fait pren-dre à un mot une des significations dif-férentes de leur signification propre”18. À ladifférence de la métaphore, la comparaisonn’impliquerait aucune modification séman-tique des mots qu’elle emploie19. En bref,chacune des deux figures a ses propresmoyens d’expression et de signification:elles sont donc différentes par leur nature etpar leur fonctionnement. Cela n’empêchequ’elles puissent s’entrelacer dans un textepour donner plus de force ou plus de clartéà l’image qu’elles véhiculent.

1. Analyse formelle des comparaisons

Pierre Fontanier range la comparaisonparmi les “figures de style par rapproche-ment”20 et, de toute évidence, il entend cettefigure comme une opération intellectuellefondée sur l’analogie. Procédé d’expressionconsistant “en deux termes réunis par unmot signalant leur ressemblance”21, elle estdonc engendrée par l’assortiment de deuxsyntagmes comparés qu’on appellera

11 I. Tamba-Mecz, Le sens figuré, op. cit., p. 44.12 Cf. G. Genette, La Rhétorique restreinte, in G. Genette, «Figure III», Paris, Seuil, 1972, p. 28.13 A. Henry, Métonymie et métaphore, Paris, Klincksieck, 1971, p. 59. 14 Cf. A. Henry, op. cit., p. 59.15 Ibidem. 16 F. Soublin, Sur une règle rhétorique d’effacement, «Langue Française», sept. 1971, n. 11, pp. 102-109.17 D. Bouverot, op. cit., pp. 228-229. L’analogie connaît au moins quatre niveaux d’identification qui vont

de “l’identification complète” au “rapprochement partiel” passant par des formes intermédiaires tellesque l’“identification atténuée” et l’“identification par apposition”.

18 Ch. Du Marsais, Des tropes [1797], Stuttgart-Bad Cannstatt, Verlag, 1971, p. 26.19 Ibidem. 20 P. Fontanier, Les Figures du discours [1821], Paris, Flammarion, 1977, p. 377: “La comparaison consiste à

rapprocher un objet d’un objet étranger, ou de lui-même, pour en éclaircir, en renforcer, ou en releverl’idée par les rapports de convenance ou de disconvenance: ou si l’on veut, de ressemblance ou de dis-semblance”.

21 D. Bouverot, op. cit., p. 134.

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La comparaison rhétorique dans Dina

respectivement le “comparé” (le terme quel’on compare) et le “comparant” (le termeauquel le premier est comparé)22. À ceux-ci,il faut ajouter un troisième élément: l’outil -ou modalisateur - de comparaison. De fait,le trait spécifique de l’énoncé comparatif -par rapport à celui métaphorique - est lelien grammatical (le comme ou ses équiva-lents) entre les deux signifiants. Un autreaspect distinctif de la comparaison rhé-torique est la présence ou l’absence du ter-tium comparationis, voire le “motif”23, surlequel s’appuie l’analogie. Selon si le motifest présent ou absent dans l’énoncé, on diraque la comparaison est “motivée” ou “nonmotivée”24. La structure comparative la plusfréquente est celle dite “comparaisoncanonique” qui est introduite par “comme”et pourvue du motif, dont on propose leschéma suivant: Cé + motif + comme + Ca.Exception faite pour quelques rares cas decomparaison implicite25, la plupart desénoncés comparatifs sont fournis à la fois del’outil et du motif. De fait, dans Dina, l’au-teure recourt à la comparaison en commequi prend tantôt des formes simples, tantôtdes formes plus complexes et originales.

L’analogie peut compter sur un largeéventail de moyens lexicaux et syntaxiquesfonctionnant, dans le texte, comme de véri-tables signaux de comparaison. En général,

le mot “comme” établit une similitude soitentre deux grandeurs différentes soit entredeux propriétés ou deux faits distincts26.Dans le premier cas, comme a la fonctiond’un “relateur comparatif d’égalité”27 équiv-alent de tours tels que: ”aussi”, “autant…que”. Par conséquent, la phrase “Ma chairétait dure comme un caillou”28 équivaut à:“Ma chair était aussi dure qu’un caillou” oubien “Ma chair était dure à la manière d’uncaillou”. Dans le second cas, “comme” joueplutôt le rôle d’un “relateur d’identité”29

synonyme des locutions “à la manière de”,“de la même façon”. Cette fonction de“comme” vaut pour une similitude prédica-tive: “Sa longue queue flottait dans l’aircomme celle d’un cheval”30. Si l’on remplace“comme” par “à la manière de”, la signifi-cation de l’énoncé ne se modifie pas essen-tiellement, alors qu’elle serait infléchie sil’on employait “autant que” à la place de“comme”. Il en résulte qu’il y a deux typestrès généraux de comparaison figurée: celleoù “comme” indique une “équation quanti-tative” et celle où “comme” indique une“identification qualitative”31. Naturel-lement, Dina présente des comparaisonsmétaphoriques en comme indiquant tantôtune équation quantitative32 tantôt une iden-tification qualitative33. Pour établir un rap-port quantitatif d’égalité, Mihali se sert de la

22 Cf. F. Rullier-Theuret, L’emploi des mots “comparé” et “comparant” dans la description de la comparaison etde la métaphore, «Faits de Langues», 1995, n. 5, pp. 209-210.

23 G. Genette, op. cit., p. 29. 24 Ibidem. 25 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 30: “Sa chair veloutée et à son haleine de cerise”; p. 39: “Lui une mouche flottant

sur les vagues de la mer dans une coquille ambulante […]”; p. 155: “Je dois ruminer cette autre nouvellequi, encore une fois, enveloppe la pauvre Dina dans un linceul de silence, d’inconnu et d’incompréhen-sion”; p. 169: “Fouiller dans ces poubelles identitaires”.

26 Cf. I. Tamba-Mecz, À propos de la signification des figures de comparaison, «L’Information grammaticale»,1979, p. 17.

27 Ibidem. 28 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 29.29 I. Tamba-Mecz, À propos de la signification des figures de comparaison, op. cit., p. 17. 30 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 81. 31 I. Tamba-Mecz, À propos de la signification des figures de comparaison, op. cit., p. 17. 32 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 31: “Le pied gros comme une bûche”; p. 100: “Les raisins […] gros comme des

prunes”; p. 146: “Sa vieille mère courbée comme une manche de canne”; Ibidem: “Paul appartenait à un paysoù la dextérité des uns à s’enrichir n’énervait pas les autres mais les amusait, comme l’espièglerie d’unenfant prodige”.

33 Op. cit., p. 80: “Ainsi parée comme un épouvantail”; p. 98: “Cette fille qui traversait le pont comme uncourant d’air”; p. 101: “Une machine […] qui crache des flots d’eau comme une baleine”.

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Roberta de Felici

comparaison introduite par “aussi…que”34

ou, plus rarement, par “du même degré…que”35.

Aussi faudra-t-il considérer les simili-tudes basées sur un rapport de supériorité.Dans ce cas, l’outil de comparaison est“plus…que”: il marque la ressemblance desdeux objets comparés ayant une qualitécommune et, à la fois, leur dissemblance parl’intensité de cette qualité36. En réalité, l’au-teure n’a pas eu recours à ce type d’outilcomparatif, mais plutôt à une comparaisonsous forme négative37:

Elle […] avait décidé, à la fin de sa vie, queses plats ne nourrissaient plus son corps pasplus que ce village n’alimentait son âme38.

Ici, elle exprime une abstraction, plusprécisément, un état d’âme, par une imageconcrète (les plats nourrissant son corps).Cela est possible grâce à l’utilisation - entant que motif de la comparaison - d’un syn-onyme du verbe-noyau “nourrir”, voire“alimenter” pris au sens figuré.

Pour marquer la comparaison, elle s’estaussi servi des formes verbales dont la sig-nification s’apparente aux locutions “êtreapparemment/avoir l’air”39. Également, ondirait qu’elle privilégie une forme alterna-tive40 à la comparaison traditionnelle encomme, lorsqu’elle utilise la locution “avoirl’allure” (et ses variantes: “acquérir/donnerl’allure”) suivie soit de la préposition “de”

plus un nom41 soit d’un adjectif42. Un dis-cours à part mérite l’énoncé comparatif con-struit sur la préposition “avec”:

Nos rêves de changer la vie de nos parents sesont éparpillés avec le corps de Ghéorghi qui avolé en éclats, aspergeant de sang, de boyaux etde morceaux d’os les poteaux, l’herbe, les gensfigés sur place43.

Cet extrait se prête à deux interprétationsdifférentes: 1) “avec” aurait une valeur tem-porelle puisqu’il marquerait la simultanéitédes deux actions, celle du corps qui a voléen éclats et celle des rêves qui se sontéparpillés; 2) “avec” fonctionnerait commeune comparaison qualitative (à la manièrede) qu’on pourrait paraphraser ainsi:“comme le corps de… ainsi nos rêves …”.

Occupons-nous maintenant de la naturecatégorielle et sémantique de ses com-posantes (comparé, comparant et motif)pour déceler leurs modalités de combinai-son. Du point de vue linguistique, la com-paraison est “l’énonciation d’un sème com-mun à deux lexèmes différents”44. Repre-nons, donc, le schéma de la comparaisoncanonique: “A est B comme C”, où B est le“sème commun” - ou le “prédicat”45 -autrement dit le motif. S’il est explicité, cedernier fonctionnerait comme l’indice del’attribut duquel dépend la relation d’analo-gie. Dans l’énoncé “Ma chair était durecomme un caillou”46, le tertium comparationis

34 Op. cit., p. 168: “Chaque bout de papier […], il les prenait et les dépliait aussi méticuleusement qu’unvieux papyrus en train de se déchirer”.

35 Op. cit., p. 16: Les enfants […] bénéficiaient du même degré d’estime que les orties […]”. 36 Cf. D. Bouverot, op. cit., p. 139. 37 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 27: “Les paysans ne valaient pas plus qu’une bête aux yeux des secrétaires”;

p. 151: Elle ne pouvait pas encore se détacher de lui, pas plus qu’un petit pays conquis ne peut vivre delui-même, se libérer du conquérant qui le nourrit aux prix d’humiliations”.

38 Op. cit., p. 44. 39 Op. cit., p. 96: “Leur tête ressemblait à un chou ébouriffé”; p. 160: “Son squelette […] me semblait un amas

d’os frêles”; p. 164: “Elle me semblait comme un ballon qui perd de l’air”; p. 154: “Leur maison, à l’im-age de leur couple, a l’air morne”. Ici, “à l’image de” remplace “comme”.

40 Signalons cet opérateur d’identité: “Le réchauffement des mets équivaut pour moi à la sorcellerie quiessaie de donner vie à un corps autrefois vivant”. (Op. cit., p. 82)

41 Op. cit., p. 16: “Notre querelle acquérait toujours l’allure d’une bataille mortelle”.42 Op. cit., p. 82: “Sa haute taille et sa marche pressée lui donnaient une allure athlétique”. 43 Op. cit., p. 31; p. 80: “Tout lui passait avec la vitesse de la foudre” et sa variante, p. 164: “Son corps brûlait

les calories à la vitesse d’un réacteur nucléaire”. 44 J. Cohen, La comparaison poétique, «Langages», déc. 1968, n. 12, p. 44.45 Ibidem.46 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 29.

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La comparaison rhétorique dans Dina

est explicite. En effet, il est mentionné que lelien analogique entre le comparé (la chair)et le comparant (le caillou) se fait par letruchement de la /dureté/, impliquée dansle métaphorisant “caillou”. On pourra par-ler, alors, de comparaison “motivée”47. SelonGérard Genette, cette caractéristique fait dece type de figure “la plus limitée dans saportée analogique”48 puisque, parmi lestraits distinctifs du mot caillou (/dureté/,/solidité/, /lourdeur/, /rondeur/, etc.), unseul sème commun (/dureté/) est retenucomme motif. Il est clair que l’explicitationdu motif facilite, d’une part, la compréhen-sion de l’énoncé, d’autre part, elle oriente lelecteur dans l’explication de la figure en luisuggérant une interprétation au détrimentd’une autre. En général, la comparaison seconstruit autour d’un prédicat sous la formesoit d’un adjectif49 pour exprimer la qualité,soit d’un verbe pour exprimer l’action50.

Pour classifier le comparé et le compara-nt, je vais tenir compte de leurs traitssémiques dominants et distinguer entre ter-mes abstraits et termes concrets: c’est deleur combinaison, en effet, que l’image peutse produire. Il existe quatre combinaisonspossibles: “concret+abstrait”51, “abstrait+concret”52, “abstrait+abstrait”53. Dans Dina,la combinaison “concret+concret” est deloin la plus répandue:

Sa peau, qui habillait son corps arrondicomme un uniforme trop étroit, s’était noir-cie et épaissie54.

Des gouttes de sueur perlaient au boutdes poils dressés comme la carcasse d’un héris-son55.

Toujours du binôme comparé/compara-nt, je vais considérer d’autres sèmes qui lecaractérise: humain/animal56, humain/végé-tal57, humain/inanimé58, inanimé/animé59,inanimé/inanimé60. De ces combinaisons, ilest assez facile de retracer le pôle d’intérêtde l’auteure: l’humanité qu’elle observedans sa totalité, corporelle et spirituelle.Même si elle est évoquée dans tous sesaspects, la nature joue, dans ce roman, unrôle secondaire.

2. Analyse thématiqueAu point de vue diégétique, Dina se com-

pose d’une manière intéressante. À chaquejour de la semaine correspond un chapitrequi s’ouvre presque toujours sur la mêmescène d’une communication téléphoniqueentre la narratrice et sa mère reliant deuxextrémités du monde: le Canada et laRoumanie. Sans trop s’attarder à décrire sa“petite vie canadienne”61, la narratricerécupère à la fois un passé psychologique(sentiments, impressions, états d’âmes) etune réalité socioculturelle (la Roumanieancestrale et contemporaine). Et cela à causede l’annonce bouleversante de la mortd’une amie d’enfance: “– Dina est morte.[…] – Mais comment?”62.

47 G. Genette, op. cit., p. 164.48 Ibidem.49 Op. cit., p. 47: “Son visage rond comme la pleine lune”; p. 100: “Les raisins […] sont gros comme des

prunes”.50 Op. cit., p. 24: “L’esprit humain […] mourrait, se fanerait comme l’herbe dans le désert”; p. 25: “Une toile

protectrice qui attrapait les intrus comme les mouches”; p. 131: “Son corps la couvrait comme presqueune douillette”.

51 Op. cit., p. 154: “Je suis curieuse de voir ce foyer si silencieux et qui finit comme un enterrement”. 52 Op. cit., p. 24: “L’esprit humain assoiffé d’information […] comme l’herbe dans le désert”. 53 Op. cit., p. 167: “Paul appartenait à un pays où la dextérité des uns à s’enrichir n’énervait pas les autres

mais les amusait, comme l’espièglerie d’un enfant prodige”. 54 Op. cit., p. 28. 55 Op. cit., p. 29.56 Op. cit., p. 72: “[…] elle rampait comme un serpent sur le sol […]”. 57 Op. cit., p. 75: “Dina […] on aurait risqué de l’ouvrir comme une pastèque”. 58 Op. cit., p. 98: “Cette fille qui traversait le pont comme un courant d’air”. 59 Op. cit., p.101: “Une machine […] qui crache des flots d’eau comme une baleine”. 60 Op. cit., p. 100: “Les raisins […] sont gros comme des prunes”. 61 Op. cit., p. 12. 62 Ibidem.

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Roberta de Felici

Qui a tué Dina? C’est la question qui tra-verse ce roman rétrospectif sous forme dethriller. En attendant que sa mère lui donneune réponse certaine, elle se souvient de savie passée, depuis son enfance jusqu’à l’âgeadulte. Le référent massif au pays d’origineconstitue la matière première du récit qui seconstruit sur un ensemble d’oppositions: lagrande ville américaine et le villageroumain, les vielles générations et les nou-velles générations, le communisme et lecapitalisme, la tradition et la révolte.

Le village est dépeint comme un mondeà part, sorte d’enclave défendant ses habi-tudes de vie et ses valeurs opposées à cellesde la ville63. Si elle fait allusion aux condi-tions difficiles de la vie des paysans sous lerégime communiste64, l’auteure s’attardedavantage à mettre en évidence le caractèreet la mentalité des villageois, en particulier,leur goût pour la “médisance collective”65.Personne des paysans ne se soustrait à “cetravail de renseignement et d’exagéra-tion”66, puisque, pour eux, “garder une nou-velle pour soi, c’était un crime”67. Parailleurs, la romancière souligne, non sansironie, l’importance incontournable, pres-que vitale des cancans pour les paysans:

Les ragots devaient circuler le plus rapide-ment possible car, autrement, l’esprit humainassoiffé d’information mourait, se fanerait

comme l’herbe dans le désert68.

Contrairement à la narratrice ainsi qu’àses parents qui n’appartiennent pas à cemilieu de colportage, Dina et sa famille“avaient les mêmes habitudes et compre-naient bien ce qui ne sortait pas en pleinjour”69. Alors que l’auteure était tout letemps “exposée et menacée”70, Dina était“dans son cocon, à l’abri des médisances”71.Et cela pour le fait qu’:

Il y avait des liens spécialement tissés entreelle et son entourage, une toile protectrice quiattrapait les intrus comme les mouches72.

À noter l’emploie de la comparaison filéeconstruite sur l’image - implicite - de la toiled’araignée pour suggérer les démarches quefont les parents de Dina pour blinder leurfille contre les racontars des voisins.Cependant, le texte offre aussi des représen-tations plus respectueuses du style de vierurale lorsqu’on y rencontre un personnagesingulier, Ghéorghi, pour qui le village necesse d’apparaître comme une contrée para-disiaque, un lieu d’innocence et de bon-heur73. Ce jeune homme aura assez d’influ-ence sur ses amies, puisque, par ses dis-cours74, il sera à même de les arracher, toutau moins pour une brève période, à leur“misérable destin”75 et de leur faire envis-ager la possibilité de bâtir une société

63 Op. cit., p. 27: “Nos parents ne savaient presque rien de ce qui se tramait au-delà de la voie ferrée quiles séparait de l’autre monde […]. Ils voulaient nous préserver de la culture dominante et aliénante dela ville, là où les paysans ne valaient pas plus qu’une bête […]. Ils voulaient préserver notre dignité degens libres, faibles d’esprit mais honnêtes, sincères, ouverts”.

64 Op. cit., p. 17: “La quantité de travail de nos parents, des paysans surchargés de fardeaux, dans lechamp et à la maison”.

65 Op. cit., pp. 24-25: “Dans ce village, on grandissait dans de faux mythes, de fausses peurs et exaltations.On admirait les vauriens et les menteurs […]. On craignait celui qui se taisait, le solitaire, celui qui nerejoignait pas la médisance collective”.

66 Op. cit., p. 25. 67 Ibidem. 68 Op. cit., p. 24.69 Op. cit., p. 25. 70 Ibidem. 71 Ibidem. 72 Ibidem.73 Ibidem: “Pour lui, le village restait un espace de pureté, un lieu de paix et de verdure comme le Paradis

promis dans les Évangiles, un Éden peuplé de bonnes vieilles gens”. 74 Op. cit., p. 26: “Comme il était agréable d’écouter Ghéorghi nous peindre les couleurs de l’avenir de

nos parents!”. 75 Ibidem.

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meilleure76. Unique personnage positif duroman, Ghéorghi incarne l’espoir et le désirde renouvellement, de croissance et de pro-grès d’un pays prostré et désemparé. Riend’étonnant alors qu’il soit présenté commeun être à part, tout d’abord, pour sonphysique aux dimensions gigantesques77,ensuite, pour son beau caractère78. Tout celasuffit à le rendre, aux yeux de ses amies, unepersonne très spéciale, une sorte de nou-veau “prophète”79, dont l’aspect et le tem-pérament rappellent ceux d’une divinité80.Un destin cruel enlèvera à jamais ce grandrêveur de ses projets révolutionnaires. Undimanche après-midi, Ghéorghi se rend à lagare pour rentrer à la ville et décide de tra-verser les voies ferrées pour rejoindre sontrain. Simultanément, l’aiguilleur change“les aiguilles des voies pour laisser entrerdans le dépôt un train de marchandises”81;soudainement, les traverses serrent la jambedu garçon qui est prise au piège82. Il com-prend que la locomotive ne s’arrêtera pas, ilcommence, alors, à crier aux gens quiaccourent de couper son pied, mais person-ne n’a “à sa portée une hache pour section-ner d’un coup les gros os de sa jambe”83. Lascène qui suit est déchirante:

Ghéorghi a assisté les yeux grands ouvertsaux derniers moments de sa vie. Criant et pleu-rant, il a fixé la locomotive qui s’approchait. Nosrêves de changer la vie de nos parents se sontéparpillés avec le corps de Ghéorghi qui a volé enéclats, aspergeant de sang, de boyaux et de

morceaux d’os les poteaux, l’herbe, les gens figéssur place84.

Cette citation focalise et véhicule unensemble de motifs (la douleur, le corps, lerêve, l’espoir) qui vont confluer dans l’unedes thématiques capitales de Dina: la mort.Ce topos, qui traverse tout le texte, se dépliesur les deux plans et matériel et spirituel, ils’agit de la mort du corps et, surtout, de lamort de l’âme ou plutôt dans l’âme. Lareprésentation de la mort matérielle con-cerne Ghéorghi, mais aussi Dina et grand-mère Stana. Au trépas de celle-ci, Mihaliconsacre de belles pages dont la valeur estsurtout ethnographique puisqu’elle yraconte le long rituel de la veillée funèbre etl’enterrement selon les us et coutumes deson peuple. Du reste, le corps humain joueun rôle important dans l’écriture de Mihalicomme l’attestent les comparaisons con-struites sur des parties anatomiques. On adéjà noté que les descriptions les plus gra-cieuses et rayonnantes concernent le jeuneami du sujet narrant qui en révèle certainsdétails tels que la douceur glabre de sapeau85 et la fraicheur fruitée de sa bouche86.La suavité des images du corps de Ghéorghicontraste avec l’affreuse description de sonaccident: le corps, “volé en éclats”, a été“ramassé morceau par morceau” par les vil-lageois qui “l’ont déposé dans un sac etl’ont porté à la maison”87.

À quelques nuances près, le motif du“corps profané” concerne aussi d’autres

76 Op. cit., p. 28: “Notre ami mariait agriculture et politique, passé et futur, ville et village, dans unesociété à venir qui effacerait les frontières […]”.

77 Op. cit., p. 26: “Ghéorghi avait une stature impressionnante, il était le plus corpulent garçon du vil-lage”; p. 29: “J’étais si bien contre sa poitrine charnue de géant”.

78 Op. cit., p. 26: “Ghéorghi était le garçon le plus gentil, le plus calme et le plus souriant de notre coin”. 79 Op. cit., p. 28: “Ghéorghi prophétisait l’apocalypse de ses habitats oubliés de tous, de Dieu, de la civil-

isation, de Ceauºescu”. 80 Ibidem: “Il avait l’allure d’un dieu hindou […]”. 81 Op. cit., p. 31. 82 Ibidem: “Les traverses brusquement rapprochées ont agrippé le pied de Ghéorghi comme l’aurait fait

un étau”. 83 Ibidem. 84 Ibidem. 85 Op. cit., p. 29: “Ghéorghi manquait de poils partout, et sa chair avait une douceur de cerise”; p. 30: “

Sa chair veloutée”. 86 Ibidem: “Je pense qu’il se goinfrait tellement de ces fruits que son haleine en dégageait l’odeur”; p. 30.

“Son haleine de cerise”. 87 Op. cit., p. 31.

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personnages du livre. Dans le cas de TanteNicoulina, il vaudra mieux parler de “corpsdéformé”: “ses pieds gonflés comme deuxbûches”88 lui empêchant de marcher, elle“rampait comme un serpent sur le sol en seservant uniquement de ses mains”89.Parfois, pour l’aider, “quelques hommes[…] la chargeaient dans la charrette commeun sac de farine”90. À plus d’un égard, celuide Dina est aussi un corps “outragé”91. Aumoment des préparatifs de l’enterrement,elle “n’a pas pu être lavée à cause desgrandes entailles dans son ventre”; effec-tivement, “on aurait risqué de l’ouvrircomme une pastèque”92. Avant que Dina nemeure, la narratrice la rencontre à Bucarestoù elle est rentrée du Canada pour donnerune conférence. La maigreur extrême93 deson amie lui donne le pressentiment de lamort qui la guette94. Tout simplement, soncorps montre les signes des souffrancesqu’elle endure depuis longtemps95.

Autant que le corps, l’âme demande àêtre sans cesse nourrie comme le remarquel’auteure par cette comparaison alimentairequ’elle formule pour son arrière-grand-mère, mais qui répond bien à sa situationainsi qu’à celle de l’héroïne du roman: “Elle[…] avait décidé, à la fin de sa vie, que sesplats ne nourrissaient plus son corps pasplus que ce village n’alimentait son âme”96.Dans Dina, le thème de la mort spirituelleacquiert une importance majeure que cellematérielle puisqu’il implique un ensemble

de motifs tels que la solitude, le désespoir, ledépart, l’exil, l’identité. Le village devient lesymbole de tous les maux qui assaillentDina et son amie d’enfance, lesquelles,nonobstant leur tempérament très différent,ont en commun “l’odeur rance du passé”97;tout spécialement, elles sont:

Le produit de ce village à la dérive, nourri deson isolement, de son inculture, de sa brutalité,de son esprit profondément laïque, superstitieux[…]98.

[…], tout comme pour moi, le village avaitaltéré une partie de ses sens. La vie à la cam-pagne nous avait mutilée; nos avions développédes capacités surhumaines d’un côté et nousavions été châtrées de l’autre99.

Dans la tentative de “forger son bon-heur”100, Dina décide de gagner sa vieailleurs, loin de son village. À l’époque de laguerre des Balkans, elle s’installe dans uneville proche de la Serbie. Chaque jour, elletraverse la frontière pour aller travailler, au-delà du Danube, dans le salon de coiffure deRadka. C’est durant ses déplacements,qu’elle connaît le douanier serbe Dragan.Cette rencontre sera néfaste101 pour Dina,comme le souligne le texte par cette com-paraison: “La présence de Dragan, dans savie, a été aussi tragique que le surgissementdu train des marchandises dans celle deGhéorghi”102.

D’après Mihali, Dina raconte l’histoired’une de ses amies d’enfance “tombée dans

88 Op. cit., p. 72. 89 Ibidem. 90 Ibidem. 91 Op. cit., p. 103: “Ma mère m’a dit que Dina était restée belle et que son visage ne trahissait pas du tout

le massacre perpétré par le coroner sur son corps.”92 Op. cit., p. 75. 93 Op. cit., p. 160: “Son squelette […] me semblait un amas d’os frêles”. 94 Op. cit., p. 164: “Elle me semblait comme un ballon qui perd de l’air”. 95 Op. cit., p. 152: “Cela se voit toujours, sur le visage d’une femme, la défaite, les plaies non cicatrisées,

les yeux rouges”. 96 Op. cit., p. 44. 97 Op. cit., p. 137. 98 Op. cit., p. 48. 99 Op. cit., p. 118. 100 Op. cit., p. 152. 101 Op. cit., p. 148: “Ils n’avaient qu’à vivre […] sous les auspices de leur rencontre, causée par la guerre,

par la chute du communisme, par cinquante années d’erreurs, de disette et d’humiliations”. 102 Op. cit., p. 52.

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La comparaison rhétorique dans Dina

le piège d’un homme qui allait décider de ladurée de la relation ainsi que de sa fin”103.C’est, donc, “une histoire d’amour, mais dehaine aussi, de domination d’un côté et desoumission de l’autre. D’une part, c’[est] lepouvoir de l’homme, de l’autre la subordi-nation de la femme”104. Il est clair qu’entreDina et Dragan il n’y aura aucune possibil-ité de communication, tout d’abord parcequ’ils ne partagent pas la même langue,mais surtout à cause de leurs origines, deleur culture et de leur nationalité dif-férentes. Encore qu’elle soit “porteuse detous les défauts de son peuple inculte,voleur et menteur”105, Dragan désire Dina.Pour toute réponse aux assauts de plus enplus pressants du Serbe, Dina déploie “unebonne dose de nationalisme, car [elle] s’i-dentifiait dorénavant à son peuple souf-frant, aux gens humiliés par les douaniersserbes”106. Son refus est alors dicté par “sasympathie pour son peuple”, par “ cetamour oublié, hivernant dans son ADN,logé dans ses gènes nationaux”107. En bref,“l’apparition de Dragan [avait] attisé”l’orgueil pour sa race: “En se défendant elle-même contre le mépris et les gifles dudouanier serbe, elle défendait sa nation”108.La “brave fille”109 “poursuivie par ledouanier fou”110 devient alors une héroïne,le symbole d’un “petit pays” capable debraver un “grand pays” représenté par ce“guerrier habile”111 qui est Dragan. Si cellede Dina et Dragan est “une relation antago-niste, une relation entre un grand pouvoir et

une petite colonie, entre un vainqueur et unvaincu”112, pour garder sa dignité et sonidentité, il ne reste à Dina que la collisionsans trêve. Pourtant, au fil des années, il estde plus en plus difficile, pour elle, de résis-ter à la brutalité verbale et corporelle de sonbourreau; profondément fatiguée etdégoûtée, “Dina alors fait ce que les petitesnations font devant la pression des plusgrandes: elle a cédé”113. Quand sa con-nivence avec le “Borgne” se fait trop insup-portable ou dangereuse, Dina “pliebagage”114 et s’en va au village, chez ses par-ents ou bien à Bucarest, chez son amie d’en-fance. Même si elle est persuadée que sonabandon sera définitif, chaque fois, elle finitpar rentrer à côté de Dragan. Des fils ténussemblent la retenir près de lui:

Elle ne pouvait pas encore se détacher de lui,pas plus qu’un petit pays conquis ne peut vivrede lui-même, se libérer du conquérant qui lenourrit aux prix d’humiliations115.

L’analogie qui fait de Dina le symboled’un “petit pays” ou d’un “petit peuple”sous-tend tout le texte. Les comparaisonsconstruites sur ces images permettent aulecteur de saisir, d’un côté, le changementintérieur de Dina, ses états d’âme et, del’autre, de constater l’évolution de son his-toire avec Dragan. Si, au début, elle réussit àtenir tête à l’homme qu’elle déteste116, au furet mesure que le temps passe, elle se résignedavantage à son malheur: “Dina était dev-enue un petit pays qui préférait vivre aux

103 F. Mihali, Dina - la genèse d’un roman, «Terra nova Magazine», oct. 2008.104 Ibidem.105 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 148. 106 Ibidem. 107 Op. cit., pp. 115-116. 108 Ibidem. À observer que toute une terminologie militaire (conquête, combat, assaut, résistance, trêve,

etc.) l’emporte dans les pages consacrées à l’histoire de Dina et Dragan.109 Ibidem. 110 Op. cit., p. 123. 111 Op. cit., p. 119. 112 Op. cit., p. 148. 113 Op. cit., p. 125: “Dans son âme logeaient depuis longtemps l’humiliation, la rage de ne pas pouvoir se

défendre, de dépendre toujours de la bonne volonté et des intérêts des autres. Dragan allait lui-mêmedécider de son sort. Pourquoi s’y opposer?”.

114 Op. cit., p. 149. 115 Op. cit., p. 151. 116 Op. cit., p. 138: “Devant la menace de son anéantissement total, elle reprenait force et courage”.

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dépens de son envahisseur, au gré de seshumeurs”117. En réalité, c’est lorsqu’elle nevit plus avec Dragan que son drameéclate118. Comme son amie exilée au Canada,Dina n’a pas la “sagesse de laisser les hor-reurs se consumer d’elles-mêmes”119, parconséquent, elle ne fait que “s’interrog[er]sur sa place physique dans cette nouvellevie”120. Dina “ne comprenait plus la naturede ses passions” de même qu’elle “ne savaitplus déterminer le but de sa vie”121. Face àtout ce désordre122, rient d’étonnant alorsqu’elle se soit effondrée: “Comme tout petitpeuple qui a vécu longtemps sous la domi-nation d’un grand pouvoir, Dina s’estécroulée après avoir gagné sa libérationtotale123. Roman autobiographique124 Dinaest aussi le récit de la mémoire déchirée, dela quête de l’identité. Si, pour Dina, au boutde ce voyage initiatique125, il n’y a que legouffre, pour le je narrant, en revanche, il ya l’espoir d’une re-naissance126.

3. Fonctions de la comparaison

Pour dégager, dans Dina, la fonction desimages construites par des procédés com-paratifs, il faudra commencer par considér-er la position du “comme” dans l’énoncé.On a vu que, dans la comparaison canon-ique progressive127, il est situé entre le com-paré et le comparant. Il peut arriver, néan-moins, qu’il se trouve en tête de la phrase

comparative:

Comme tout petit peuple qui a véculongtemps sous la domination d’un grandpouvoir, Dina s’est écroulée après avoirgagné sa libération totale128.

Dite homérique129, cette comparaison asouvent une fonction descriptive130. Dansl’exemple cité, en réalité, elle a une valeurplutôt explicative: sans l’image de ce “toutpetit peuple” vécu “sous la dominationd’un grand pouvoir”, la signification de laproposition principale ne serait pas tout àfait claire. Aussi la comparaison peut-elleassumer une fonction strictement explica-tive. Dans le cas suivant, le comparant seplace juste après le comparé et une partiedu motif (picoraient l’oseille) en garantis-sant ainsi des avantages rythmiques:

Au printemps, afin de retrouver unesanté minée par le scorbut, ils picoraientcomme les oies l’oseille poussant le long deshaies131.

Généralement, l’auteure ne s’attarde pasà retracer un paysage dans les détails. Sonécriture est essentielle et dépouillée, celan’empêche en tout cas que l’on puisse ren-contrer quelques passages textuels plusdescriptifs que d’habitude132. Naturellement,le procédé comparatif peut servir à ce but:“Aujourd’hui, il fait plus froid que d’habi-tude, même si le soleil brille comme uneampoule de mille watts reflétée par la surface

117 Op. cit., p. 151. 118 Op. cit., p. 174: “Après la disparition de l’oppresseur, sa vie était devenue trop incongrue”. 119 Op. cit., p. 175. 120 Ibidem. 121 Ibidem.122 Op. cit., p. 174: “Il lui était impossible de retrouver ses repères”. 123 Op. cit., p. 173. 124 F. Mihali, Dina – la genèse d’un roman, op. cit.125 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 156. 126 Op. cit., pp. 178: “Je suis bâtie pour résister au désespoir et pour m’émouvoir devant la possibilité du

bonheur à venir. Je ne cesserai jamais d’espérer, d’imaginer, de désirer”. 127 Cf. E. Bulai, Comparaison et métaphore dans le poème français en prose, Onesti, Fundatia Nationala G.

Calinescu, Editura Aristarc, 1999, 20 et sqq. 128 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 173. 129 Cf. H. Suhamy, Les figures de style, Paris, P.U.F., (“Que sais-je?”), 1981, p. 32.130 Cf. H. Morier, Dictionnaire de Poétique et de Rhétorique, Paris, P.U.F., 1975, pp. 648-649.131 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 38. 132 Op. cit., p. 29: “Le ciel délavé […]”.

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de l’eau”133. On remarquera facilement que,dans Dina, la fonction purement descriptiveest le plus souvent véhiculée par la com-paraison canonique progressive. Celle-cipeut également aider à préciser le physiqueou le moral d’un personnage: “Elle avait unvisage lisse comme celui d’un bébé”; “Ellen’avait rien d’autre à leur opposer que sonsourire, son visage rond comme la pleine luneet son silence”134. Dans le dernier exemple, lecomparant (la pleine lune) renforce la qual-ité déjà soulignée par l’épithète “rond” etdonne ainsi à la comparaison une fonction àla fois descriptive et redondante. La citation“Il avait l’allure d’un dieu hindou, rond,brun, les yeux amincis dans un sourireplacide”135 présente une comparaisonmétaphorique “réciproque”136: elle décrit, eneffet, l’aspect physique et le tempérament deGheorghi et, en même temps, ceux d’unedivinité orientale. Dans Dina, le comparé etle comparant sont, pour la plupart, en posi-tion de clausule: “Oui, elle avait quelquechose […], mais fondre pour elle comme unebougie”; “Son corps la couvrait commepresque une douillette”137. Il peut aussi arriverque l’énoncé comparatif soit inséré dans uncadre métaphorique:

Les ragots devaient circuler le plus rapi-dement possible car, autrement, l’esprithumain assoiffé d’information mourrait, sefanerait comme l’herbe dans le désert138.

C’est le sens figuratif du mot “assoiffé”qui rend plus efficace la comparaison entrel’évocation d’un état psychique (l’esprit) etla référence à un objet banal (l’herbe):

“assoiffé” renvoie à la sensation correspon-dant à un besoin de l’organisme en eau. Ledésert étant le lieu, par excellence, où l’eaun’abonde pas, l’herbe y survit très difficile-ment. Le motif est exprimé par deux élé-ments (mourrait, se fanerait) portant sur lemême sème (/mortalité/): la répétition dudeuxième permet d’enrichir la substancesémantique du premier en la précisant. D’ici,la création d’un effet de redondance. À côtédes fonctions explicative, descriptive et derenforcement de la comparaison métapho-rique, on peut signaler aussi la “fonctionhumoristique” ou “comique”139 de ce procé-dé. À ce propos, force est de constater que lacomparaison hyperbolique peut aussi rem-plir une fonction humoristique. Dans l’énon-cé “Ainsi parée comme un épouvantail”140, lemot “épouvantail” signifie, au sens figuré,“une personne laide à faire peur” ou bienune “personne habillée ridiculement”. Ici,c’est le deuxième sens qu’il faudra retenir.D’ailleurs, le co-texte de la comparaisonpeut le confirmer141. Dans la citation: “Le soir[…], elle sortait emmitouflée comme unemomie142, le terme “momie” désigne, au sensfiguré, une personne a) maigre; b) immobile,figée. Dans notre cas, c’est le sème /immo-bilité/ qu’il faudra considérer. Par con-séquent, l’énoncé comparatif souligneraitque “Dina est tellement couverte qu’elle nepeut plus bouger”. Il pourrait égalementindiquer la volonté de la jeune fille de secacher, de ne pas montrer son corps, commele co-texte semblerait le suggérer lorsqu’ilsouligne la découverte tardive, de la part desgarçons du village, de la beauté de Dina143. À

133 Op. cit., p. 76. 134 Op. cit., p. 22; p. 47. 135 Op. cit., p. 28. 136 Cf. B. Migliorini, La metafora reciproca, in B. Migliorini, «Saggi Linguistici», Firenze, Le Monnier, 1957,

pp. 162-165.137 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 124, p. 131. 138 Op. cit., p. 24. 139 H. Suhamy, op. cit., p. 32.140 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 80.141 Op. cit., p. 80: “Il y avait […] une Dina paysanne qui n’accordait aucune importance aux habits et qui

enfilait sans gène les anciens chandails de sa mère, les bottes de son père, un foulard défraichi ou uneveste trouée aux poches gonflées de mouchoirs […]”.

142 Op. cit., p. 82. 143 Ibidem: “Dina manquait de coquetterie et elle ne faisait aucun effort pour plaire aux garçons ou attir-

er leur attention. […] C’est plus tard que certains garçons de notre coin […] se sont rendu compte de labeauté qu’elle cachait […]”.

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Roberta de Felici

remarquer que le thème du corps “caché” et“rendu invisible” revient sans cesse dans leroman. En effet, pour éviter d’attirer l’atten-tion des hommes et, en particulier, du serbeDragan qui veut la séduire, Dina met enplace une série de tactiques concernant samanière de s’habiller144. Pour revenir à monanalyse, on peut considérer les deux com-paraisons vestimentaires comme hyper-boliques parce qu’elles appuient sur le car-actère excessif de la manière de s’habiller deDina, exagération déterminée et par sonindifférence à l’égard de l’élégance et par lafragilité de sa santé. Même si elles peuventinduire le lecteur à sourire, ces compara-isons hyperboliques ont une fonctiondescriptive plutôt que humoristique. Bienque, de temps à autre, Felicia Mihali fassepreuve d’(auto)-ironie, il me semble pouvoiraffirmer que l’intention humoristique n’af-fecte pas entièrement son roman Dina.

Encore un exemple de comparaison fig-urée intensive: “Les enfants avec qui jejouais bénéficiaient du même degré d’estimeque les orties à travers lesquelles je lesrejoignais”145. Cet énoncé présente une com-paraison d’égalité marquée par l’outil “dumême degré que” (dont l’équivalent serait“d’autant de”). En réalité, “l’équations’établit d’un positif à son négatif absolu”146,plus précisément, le positif du motif(“estime/estimable”) commun au comparé(enfants) et au comparant (orties) est égalé àson degré minimal, sa propre négation.D’après I. Tamba-Mecz, la formulethéorique serait la suivante: Cé (x) = Ca (–x), où /Cé/ et /Ca/ symbolisent les nomscomparé et comparant, /x/ une propriété et/– x/ la négation de celle-ci. Autrement dit,la propriété (l’estime) attribuée au comparé(les enfants) est niée par le sens intrinsèque

du comparant (les orties). En effet,puisqu’elle pique, cette plante est indésir-able; dans le texte, elle évoque un conceptnégatif et opposé (la mésestime) à celui quesuggère le motif. Tout en parlant d’estime,l’auteure entend exprimer l’exact contraire,à savoir sa déconsidération pour ses com-pagnons. Ainsi construite, la comparaisond’égalité va donner lieu à une hyperboleantiphrastique.

Aussi existe-t-il deux types d’imagessous forme de comparaison qu’on appelle“hypothétiques” et “impressives”147: les pre-mières sont introduites par l’outil “comme”ou “comme si” (“Ces gants chirurgicauxprévus pour la fouille de mon sac comme s’ilétait une prostate infectée”148); les secondes(introduites, on l’a vu, par les “dérivés”149:paraître, sembler) jouent un rôle singulierdans le roman, puisqu’elles mettent l’accentsur la valeur subjective de l’image qui naîtde l’impression de la narratrice. Si l’onregarde bien, les comparaisons impressivesne font que focaliser l’attention du lecteursur l’état intérieur du sujet narrant.

ConclusionÉcrivaine à la double identité linguis-

tique150, Felicia Mihali débute, en 1999, parun roman (Tara Brânzei) écrit en langueroumaine, mais c’est seulement plus tardqu’elle décide d’utiliser le français commelangue d’écriture. Ce choix lui procure descritiques aussi malveillantes sur son stylequi la détermine à se justifier en soulignantles traits essentiels concernant son écritureaussi bien en roumain qu’en français:

De plus, dans mon roman original, la languen’était pas plus soignée: mon style est d’une

144 Op. cit., pp. 111-112: “Comme stratégie, elle a recouru à son ancienne tactique: se faire laide. […] Dinaa enfilé un pantalon noir et un t-shirt usé […]. Elle n’était plus qu’une androgyne. […] Dina ne voulaitque passer inaperçue, se faire oublier”.

145 Op. cit., p. 16. 146 I. Tamba-Mecz, Le sens figuré, op. cit., p. 158.147 Op. cit., p. 34.148 F. Mihali, Dina, op. cit., p. 168. On qualifiera d’hypothétique la comparaison suivante: “Je me sentais

réduite à l’état de petite fille, malgré mes vingt ans”. (Op. cit., p. 29) 149 Cf. Groupe m, op. cit., p. 114. 150 M. Piva, Romania – Québec: andata e ritorno? Il tragitto di Felicia Mihali, in M. Boschiero et al. (eds),

«Scrivere tra due culture», Perugia, Morlacchi, 2008, p. 147.

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La comparaison rhétorique dans Dina

simplicité maximale, et les métaphores ou lestournures savantes sont aussi rares que la pluieau milieu du désert151.

D’une manière subtile - comme à vouloircligner de l’œil à son lecteur -, elle a recours,ici, à une comparaison pour indiquer que lasimplicité et, surtout, la rareté de figuresrhétoriques caractérisent son style. De cetteétude, au contraire, il ressort que la com-paraison métaphorique est loin d’être, chezMihali, un procédé exceptionnel et tout sim-plement d’embellissement. Dans Dina(roman d’un réalisme prégnant aux teintesfortement tragiques et, à la fois, profondé-ment émouvantes), l’auteure s’en sert pourexprimer sa vision du monde: ses préoccu-pations (l’exil, l’identité, la différence dessexes, la liberté, etc.) et son espoir de bâtir

une existence et, donc, une sociétémeilleures fondées sur les valeurs absoluesde la justice et de la diversité. Comme lesmétaphores, les comparaisons “rendenttoutes choses sensibles”152, elles traduisenten images concrètes l’univers intérieur del’auteur, à savoir ses émotions, qu’il veutpartager avec son lecteur. La comparaisonse charge, alors, d’une fonction cognitivemais aussi d’une “valeur affective”153.Fortement oralisé, le style de Felicia Mihaliapparaît simple et, parfois, peu soigné.Pourtant, la fréquence de la comparaisonmétaphorique montrerait tout le contraire.La spontanéité de sa prose serait alors lerésultat non seulement d’un talent naturelmais surtout d’une intentionnalité ample-ment réfléchie154.

151 F. Mihali, Aimez vos critiques comme vous vous aimez vous-mêmes!, «Terra nova Magazine», janv. 2005. Ils’agit du roman Le Pays du fromage.

152 L’expression est à P. Lamy, cf. G. Genette, op. cit., p. 25. 153 P. Guiraud, op. cit., p. 126.154 F. Mihali, Confession pour un ordinateur, Montréal, XYZ Éditeur, 2009, p. 136: “Pour moi, la littérature

était une chose extrêmement grave qui ne tenait ni aux loisirs ni à l’inspiration, une activité réfléchiequi fermentait longuement dans le silence”.

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