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LES ARCHIVES DE IAN BRUCE HUNTLEY Numéro 003 Septembre 2015

La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

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Au sommaire de ce troisième numéro : un dossier sur les archives de Ian Bruce Huntley et, plus généralement, autour du jazz sud-africain, une critique assassine de «Sema the warrior», un peu de pub pour nos collègues de «Jazz Magazine Jazzman» et les habituelles rubriques «A l'ombre du bananier» et «Pour ceux qui ne veulent pas rester chez eux...» En bonus : un fascicule de 24 pages narrant la nouvelle enquête du détective privé Bernardo Otero.

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LES ARCHIVES DE IAN BRUCE HUNTLEY

Numéro 003 Septembre 2015

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«La machine à démonter le temps et l'espace»

fait peau neuve. Sa pagination triple, toujours

sans aucune pub susceptible de vous souiller la

vue, mais avec un fascicule populaire à déta-

cher (?!) en cadeau. Celui-ci narre les nouvelles

aventures du détective privé Bernardo Otero,

déjà protagoniste du «Vol plané de la danseu-

ses étoile», publié l'automne dernier par «Les

éditions de la saucisse et du saucisson» (et tou-

jours disponible à l'achat, si cela vous intéres-

se). Par la suite, les enquêtes de ce privé qui

n'aime ni les flics ni les curés (et encore moins

les riches) s'alterneront avec d'autres histoires,

tous genres confondus, de la poésie et même du

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théâtre pour enfant.

Quant à la fréquence de parution de la publica-

tion, elle va se stabiliser autour des dix numé-

ros par année. Tout ça pour vingt francs seule-

ment (à verser sur le CCP 87-190546-6 au nom

de Stéphane Venanzi). Parce que oui, ami pin-

gre de la gratuité virtuelle, j'ai le regret de vous

l'annoncer, dès le prochain numéro, «La machi-

ne» ne sera plus disponible sans bourse délier

sur ce blog, vous serez obligés de vous abonner

si vous désirez continuer à vous régaler de nos

élucubrations surexcitées (le bureau commercial

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attire mon attention sur le fait qu'il aurait été

assurément plus vendeur d'écrire : «si vous dé-

sirez continuer à vous régaler de nos perti-

nentes analyses», mais je n'ai malheureusement

jamais été très doué comme camelot...).

Enfin, rassurez-vous, l'avertissement en cou-

verture de ce numéro n'est pas apparu parce

qu'un quelconque groupe bien-pensant («Blog-

ger» ?) nous aurait remonté les bretelles au

sujet de la poignée de (délicieuses) nudités ou

de (visqueuses) flaques de sang qui ornent nos

pages mais parce que nous désirions doubler

d'un coup notre nombre de lecteurs. En effet,

n'affirme-t-on pas qu'un homme averti en vaut

deux ?

Sur ce, bonne lecture et rendez-vous le mois

prochain — j'espère !

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On ne peut pas tous être calés en géographie,

c'est un fait. Ainsi, une demi-heure avant le

concert du «Kalakuti Orchestra», dans le cadre

de la trente-troisième fête de l'«AMR» aux

Cropettes, le dimanche vingt-huit juin, j'ai en-

tendu un grand con péremptoire à chapeau

ridicule (c'était la mode, cette année !) affirmer

à son copain (qui lui ressemblait comme un

frère) qu'il n'irait pas écouter ce quintet car il en

avait marre de cette musique sud-africaine (!!).

Que lui répondre (à part d'envisager de se suici-

der pour le bien-être du reste de l'humanité) ?

Déjà, si on peut peut-être effectivement noter

un certain intérêt pour la musique en prove-

nance du pays qui a vu naître Dumile Feni,

dans des formations telles que «Major Taylor»

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ou «Country Cooking, jazz sud-africain &

plus» (cf. articles annexes), ce n'est pas non

plus comme si tous les musiciens de l'«AMR»

ne jouaient que ça. Loin s'en faut.

Ensuite, «Kalakuti Orchestra» est un hommage

à Fela Anikulapo Kuti, inventeur de l'afrobeat

(avec Tony Allen) et rebelle nigérian !

Quant à l'excellent multi-saxophoniste Aina

Rakotobe, comme son nom l'indique claire-

ment, il est d'origine malgache.

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Effectivement, on ne peut pas tous être calés en

géographie. A défaut, on peut toutefois éviter

de dire des conneries en public et tenter d'amé-

liorer la qualité de ses goûts musicaux. Notam-

ment en écoutant les cinquante et quelques

heures de jazz sud-africain disponibles en ligne

à l'adresse suivante : http://electricjive.blogspot.

ch/p/ibh-audio-archive-posts.html.

Les gaillards d'«Electric Jive», l'admirable blog

consacré à toutes les musiques de la pointe de

l'Afrique (ils ont même offert à nos oreilles, qui

n'en demandaient pas tant, un disque de

«boeremusiek» — ce à quoi je répondrai, para-

phrasant Peter Brötzmann : «Fuck the Boere» !)

bref, les gaillards d'«Electric Jive» se sont

impliqués dans un projet colossal. Mettre à la

disposition de tout un chacun, même des

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grands cons péremptoires à chapeau ridicule,

les archives sonores et photographiques de Ian

Bruce Huntley.

Mais qui c'est ce mec-là, Ian Bruce Huntley ?

vous demanderez-vous immédiatement, en

espérant recevoir de moi une réponse simpliste

qui vous permette de le ranger dans une case

d'où vous pourrez facilement l'extraire, si

jamais son nom refait surface un jour au cours

d'une réunion mondaine... Eh bien !, disons,

pour simplifier justement, que ça a été un des

nombreux résistants quotidiens à l'apartheid

doublé d'un passionné de jazz (ce qui en fait

deux fois un brave type). Certes, il n'a pas

séjourné en prison (pour autant que je sache) et

il est nettement moins médiatique que les cra-

pules (historiques ou non) de l'«ANC» (voir, au

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sujet de la crapulerie de ces «intouchables», le

documentaire «Behind the rainbow — Le pou-

voir détruit-il le rêve ?» de Jihan El Tahri) mais

il a collaboré de nombreuses manières, pendant

près d'une décennie, à rendre vivant le jazz à

Cape Town. Et, avec son appareil photo Leica

de seconde main et son enregistreur Tandberg

Series 6X, il en a conservé diverses traces.

Preuves magnifiques nous réaffirmant aujour-

d'hui qu'il est toujours possible, contrairement à

ce qu'essaye de nous inculquer la lâcheté et la

résignation néolibérales, qu'il est toujours pos-

sible (en plus d'être éthiquement souhaitable)

de résister à l'horreur, qu'importe le masque

derrière lequel elle cache son hideux visage.

Stéphane Venanzi

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Tous, lorsqu'il s'agira de vous vendre leur

soupe, invoqueront la passion et l'amour qu'ils

ont mis dans la réalisation de leur projet. Tant

pis si après vous vous retrouvez avec un pavé

qui ne reproduit PAS les éditions originales de

San-Antonio (les premiers volumes de la col-

lection paraissant chez «Bouquins», dirigée par

François Rivière) ou avec des films au format

fantaisiste (le surréaliste coffret Allan Dwan de

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«Carlotta»). L'important : c'est la passion et

l'amour (et un peu aussi que vous ayez craché

au bassinet). Le reste, on s'en fout ! C'est du

ronchonnement de «puriste» (comprenez par là,

les récriminations futiles d'un vieux con aigri

jamais satisfait de rien).

A «Electric Jive», les mecs parlent aussi (un

peu) du geste d'amour que constitue la sau-

vegarde et la mise à disposition publique des

archives de Ian Bruce Huntley. Mais eux ne se

contentent pas de parler. Ils agissent !

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Ainsi, le livre (a priori beau — je n'ai pas

encore assez d'abonnés pour pouvoir me per-

mettre de le commander pour vérifier) qu'ils

ont publié, «Keeping Time 1964 — 1974, The

photographs and Cape Town jazz recordings of

Ian Bruce Huntley», le livre, disais-je, outre

d'être proposé en version papier à prix coûtant

(ce qui est déjà sympa) est aussi téléchargeable

gratuitement sur le site : http://electricjive.

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blogspot.ch/p/ibh-audio-archive-posts.html

Imaginez un peu : cent vingt photos restaurées

et annotées, une introduction, une notice bio-

graphique, un essai et, last but not least, un

listing complet répertoriant le contenu des cin-

quante-six heures de musique enregistrées par

Ian Bruce Huntley. N'est-ce pas là une preuve

irréfragable que la vie vaut la peine d'être vé-

cue (au moins pendant cinquante-six heures) ?

Bon, je vous le concède, si vous venez de

lâcher cet article pour vous empresser de

downloader l'objet et qu'une légère déception

vous assaille, la définition de cette version pdf

est regrettablement un peu faible. Mais que

diable ! Ce sont les mecs d'«Electric Jive» qui

vous l'offrent. Vous comprenez ce que ça signi-

fie ? Ce ne sont pas des petits malins qui ont

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illégalement scanné le bouquin pour le mettre

en ligne (et refiler en sous-main, plus ou moins

consciemment, de l'argent à la mafia russe). Ce

sont les mecs qui ont bossé des mois sur ce

projet, sans espérer gagner un centime, juste

pour le plaisir lié à l'appréciation d'un pan

entier d'une sublime musique autrement irrémé-

diablement vouée à l'oubli et l'idée qu'une

société meilleure, sans ségrégation d'aucune

sorte, puisse exister, qui vous en font cadeau.

Alors, essuyez-vous la bouche et dites merci !

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Dumile Feni (qui a signé, au charbon de bois

sur du papier journal, la saisissante fresque de

près de trois mètres carrés «African Guernica»

en référence à Pablo Picasso, pompant assez

ouvertement, trente ans après, un ogre ayant

lui-même déjà tout pompé, trente ans aupa-

ravant, chez les «nègres», comme on les appe-

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lait à l'époque — ça devient compliqué !) a

aussi réalisé plusieurs pochettes de disques.

Notamment celle du «Home is where the music

is» d'Hugh Masekela (l'originale — depuis, elle

a été changée au profit (?!) d'une banale photo

en pied de Masekela rappelant furieusement la

couverture de son très funky «Give it up / District

six» de mille neuf cent huitante et un). Celle du

«Gideon plays» de Gideon Nxumalo (un pia-

niste dont le blog «Electric jive» propose, à

défaut dudit «Gideon plays», les excellents

«Jazz fantasya» et «Early-mart» et auquel Sam

Nhlengethwa a rendu un joli hommage avec

son «Ode to Gideon Nxumalo and Chris

McGregor», peinture / collage visible, en même

temps que près d'une centaine d'autres pièces

du même artiste, ici : www.rosekorberart.com/

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artists/nhlengethwa.htm. A noter que dans cette

sélection on trouve aussi une belle lithographie

intitulée «Tribute to Dumile Feni»...). Et enfin,

celle de l'album éponyme de «Jabula» et celle

du «Wind of change» (featuring Chico Free-

man) de Julian Bahula (voir le site : www.ja-

bulamusic.com)...

Autant de titres qu'évidemment, si vous êtes un

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amateur de jazz (mais pas que... comme dirait

Frédéric Goaty) éclairé (ou que vous espérez le

devenir un jour...), je ne peux que vous encou-

rager à ajouter à votre collection.

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«Zwelidumile», le documentaire de Suleman

Ramadan sur l'artiste sud-africain Dumile Feni

se rapproche d'avantage, et ce n'est pas le moin-

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dre de ses attraits, du «Dossier secret» d'Orson

Welles que des biographies de stars produites

pour la télévision. Les diverses interventions de

gens l'ayant connu ne se recoupent pas forcé-

ment, de même que les dates ou les lieux évo-

qués, ajoutant encore au mystère de cette

personnalité complexe au destin hélas tragique.

Un destin, comme on peut s'en douter, indubi-

tablement lié à / conditionné par la situation

politique atroce de l'Afrique du Sud au temps

de l'Apartheid (quoique l'on puisse se deman-

der si ladite situation s'est véritablement amé-

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liorée depuis — à part peut-être pour une infi-

me minorité...), qui fait que le film de Suleman

Ramadan n'est pas seulement la mise en lu-

mière de l'oeuvre d'un artiste incroyablement

méconnu et sous-estimé (il a le plus souvent

vécu dans des conditions très précaires, «lo-

geant» notamment pendant près d'une année

dans le métro new-yorkais, en proie aux vexa-

tions des flics, et nombre de ses oeuvres ont

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semble-t-il été perdues ou détruites au fil du

temps, personne ne se souciant de les pré-

server) mais aussi une réflexion poignante sur

l'exil et sur ce que cela signifie concrètement

pour celles et ceux qui y sont vraiment con-

traints.

Le DVD du film est commandable en ligne :

http://www.boutique.laterit.fr/fr/dvd/219-dvd-

zwelidumile-ramadan-suleman.html

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Ci-dessus, une photo de «Major Taylor» saisi

en plein effort (sous la pluie), lors de sa presta-

tion aux Cropettes, en deux mille quatorze.

Ce quartet (composé de Brooks «Coppi» Giger

à la contrebasse, Jean-Jacques «Anquetil» Pe-

dretti au trombone, Nelson «Bartalli» Schaer à

la batterie et Martin «Koblet» Wisard au saxo-

Suite en page 53...

Page 29: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

LES ÉDITIONS DE LA SAUCISSE ET DU SAUCISSON

FFFRRROOOUUUSSSSSSEEE DDDAAANNNSSS

LLLAAA BBBRRROOOUUUSSSSSSEEE

SSStttéééppphhhaaannneee VVVeeennnaaannnzzziii

Page 30: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003
Page 31: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

CHAPITRE UN

Une pluie fine cinglait les façades blafardes des

bâtiments. Sur les trottoirs, les rares passants se

hâtaient de circuler, déjà trempés. Sans ré-

fléchir, ils s'engouffraient dans le premier café

venu ou dévalaient les escaliers de la bouche de

métro toute proche. Partout, l'activité humaine

se raréfiait à vue d'œil jusqu'à sembler vouloir

définitivement disparaître. Bientôt, la rue fût

effectivement complètement déserte, glissant

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doucement dans une torpeur froide et humide.

C'est alors que retentit avec fracas une ef-

frayante alarme, un son d'une stridence à vous

écorcher les tympans. Dans le même temps,

plusieurs rafales de mitraillettes et des cris de

terreur vinrent se mêler au vacarme ambiant,

accentuant encore la confusion. Puis, on vit

trois malfrats grotesquement masqués, chargés

de sacs en tissu emplis de billets, quitter pré-

cipitamment la succursale régionale d'une

grande banque et se diriger en courant vers un

véhicule stationné à quelques mètres de là.

Déjà, d'autres sirènes se rapprochaient en hur-

lant et les lumières des gyrophares trouaient la

grisaille de cette fin d'après-midi pluvieuse.

Vite, les portières claquèrent, le moteur rugit et

la voiture des voleurs s'élança en bondissant,

Page 33: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

presque immédiatement prise en chasse par les

patrouilles de police dépêchées sur les lieux.

Mais le chauffeur, d'un calme inébranlable et

d'une maîtrise exceptionnelle, n'en avait cure. Il

zigzaguait dans la ville comme s'il en con-

naissait chaque dédale, accélérant sans cesse,

changeant à tout moment d'itinéraire. Petit à

petit, les policiers, nettement moins experts,

commencèrent à perdre sensiblement du ter-

rain. Pour ne rien arranger, l'énervement les

gagnait. A chaque tournant, sur l'asphalte

mouillée, les pneus de leurs véhicules coui-

naient comme une demi-douzaine de porcs me-

nés à l'abattoir et ils sentaient que les voleurs

allaient bientôt réussir à quitter la ville et à leur

échapper. En voulant tenter le tout pour le tout,

l'effroyable drame survint. Un passant distrait

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qui désirait traverser précipitamment pour

échapper à la pluie battante fut évité de justesse

par les quatre malfrats mais, alors qu'il in-

vectivait ces infâmes chauffards, percuté de

plein fouet par la voiture de flics qui arrivait

immédiatement à la suite. Le pare-brise vola en

éclat, le conducteur perdit la maîtrise de son

véhicule et alla se fracasser contre un arbre qui

bordait l'avenue perpendiculaire. Incapables de

freiner à temps, deux autres voitures de pa-

trouille vinrent s'encastrer dans le véhicule

accidenté. Cependant, les voleurs n'étaient pas

encore tirés d'affaire. Plusieurs poursuivants

s'entêtaient, convaincus du bien-fondé de leur

action.

Tous à présent roulaient sur la large avenue et

tous accélérèrent davantage. A l'horizon, les

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malfrats virent enfin se profiler leur destina-

tion : le petit aérodrome local. Dans un

hurlement de pneus surchauffés, leur voiture fit

une embardée et se rangea sur le bas côté, le

long du grillage qui entourait le terrain. A

nouveau, les portières claquèrent et les quatre

hommes, chargés des sacs de billets volés,

sautèrent la clôture et s'élancèrent sur l'aire de

trafic. En quelques foulées, ils la traversèrent

et grimpèrent dans un vieux piper PA-34 Se-

neca qui les attendait, prêt à décoller. A partir

de là, tout alla très vite. Les hélices se mirent à

tourner, l'appareil prit position sur la piste

mouillée et commença à rouler, de plus en plus

rapidement, jusqu'à s'élever dans les airs. Les

policiers, arrivés sur les lieux, ne purent stricte-

ment rien faire pour empêcher le fulgurant dé-

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collage. En désespoir de cause, ils réquisition-

nèrent l'hélicoptère d'un particulier et reprirent

leur chasse.

Dans l'avion, qui bifurquait en direction de la

jungle avoisinante, les malfrats, convaincus

d'avoir semé leurs poursuivants, jubilaient, se

jetaient des paquets de billets au visage en

exultant. Quelle ne fut leur stupéfaction en

entendant les premières rafales de mitraillette

venir se loger dans la carlingue de l'appareil...

Les flics, qui les avaient rejoints, canardaient

sec, désireux d'en finir. Furieux, les voleurs

ripostèrent sur le même ton. Brefs mais fré-

quents échanges de coups de feu. Le crépi-

tement des armes automatiques, incessant,

devenait obsédant. Soudain, l'hélice gauche du

bimoteur ralentit et stoppa, bientôt imitée par sa

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collègue de droite. Le réservoir, crevé par une

rafale, s'était complètement vidé. L'avion

commença à piquer du nez. De plus en plus

vite. Tous les efforts du pilote pour le redresser

d'abord puis pour tenter un atterrissage de for-

tune dans la luxuriante végétation environnante

furent vains. Le piper, avec fracas, entra en

contact avec la frondaison des arbres, sembla

glisser quelques instants sur cette immense

étendue d'un vert opalescent avant de s'y en-

gloutir entièrement et de disparaître à la vue

des policiers qui, non équipés en conséquence

pour partir à sa recherche, rebroussèrent

chemin jusqu'à l'aérodrome, déçus de n'avoir

pu récupérer l'argent mais néanmoins satisfaits

du devoir accompli.

Quelques heures plus tard, deux formes in-

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distinctes et chancelantes s'extrayaient des

restes de la carlingue. C'étaient les seuls sur-

vivants de l'accident. Le pilote avait péri,

transpercé par une branche d'arbre, épinglé sur

son siège comme un papillon dans sa vitrine et

son co-équipier, ejecté au moment de l'impact,

pendait un peu plus loin, tête en bas, bras

ballants, les pieds emberlificotés dans quelque

liane, tel un pantin désarticulé. Sans s'attarder

sur ce spectacle peu ragoûtant, le duo encore

vivant rassembla l'argent et se mit en chemin.

Mais leur marche se révéla bien vite nettement

plus difficile qu'ils ne se l'était imaginée. La

végétation, extrêmement touffue dans cette

partie de la jungle, entravait continuellement

leur progression, leur griffant le visage, s'accro-

chant à leurs habits qu'elle déchirait. Et, malgré

Page 39: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

la pénombre qui régnait alentour, le soleil étant

caché par l'inquiétante densité du feuillage au-

dessus de leur tête, ils étaient accablés par la

chaleur oppressante, suffocante de l'endroit. De

la sueur ruisselait tout le long de leurs corps

meurtris. Leurs vêtements leur poissaient à la

peau. A bout de force, ils décidèrent de s'arrêter

quelques instants. Alors qu'ils reprenaient leur

souffle tant bien que mal, l'un d'eux s'adossa à

un arbre et se laissa glisser, épuisé. Mais à

peine avait-il touché le sol qu'il poussa un

horrible cri. Un serpent, dérangé dans son

sommeil, venait de le mordre. Avec une rapi-

dité phénoménale, l'autre malfrat dégaina son

pistolet et tira, faisant éclater la tête du reptile.

Malheureusement, il était déjà trop tard. Son

collègue, livide, suait à grosses gouttes et le

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fixait avec un regard halluciné, implorant son

aide. Tout ce qu'il reçut fut une balle entre les

deux yeux. Au moins n'avait-il pas souffert les

affres d'une trop longue agonie...

Son arme rangée, le tueur se pencha pour

ramasser les sacs éparpillés autour du cadavre

et se remit en route, s'enfonçant toujours

davantage dans la jungle. Il marcha ainsi

pendant plusieurs heures, abruti par la chaleur.

Tout-à-coup, une légère brise se leva, cares-

sante. Il ferma les yeux pour mieux la savourer

et sentit le sol se dérober sous ses pieds. Il

venait de commettre l'irréparable. En quelques

secondes, les sables mouvants dans lesquels il

s'était stupidement enfoncé l'avaient déjà happé

jusqu'aux genoux. Inquiet, il regarda autour de

lui. Rien. Absolument rien à quoi se raccrocher.

Page 41: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

Pas de liane pendant à sa portée, pas de branche

d'arbre, même à moitié pourrie, qu'il aurait pu

essayer de saisir pour se hisser hors de ce piège

à rats.

Un long frisson le glaça. Il se sentit incom-

mensurablement las... Terminée, la vie facile

que lui promettait le magot dérobé. Dans peu

de temps, il allait crever, seul comme un chien,

perdu au milieu de cette foutue jungle.

Le front emperlé de sueur, il se força à se

calmer et à réfléchir. Il devait bien exister un

moyen de s'en sortir. Après tout ce qu'il avait

enduré, ça ne pouvait pas s'achever d'une

manière aussi lamentable. C'était vraiment trop

bête...

«Bon, surtout, ne pas s'agiter», pensa-t-il.

«Limiter mes mouvements au maximum afin

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de ne pas accélérer mon engloutissement. Et

d'abord, me débarasser de tout poids inutile.»

Pour ce faire, il chercha à jeter chaque sac

empli de billets un peu plus loin, sur la terre

ferme. Mais dans sa précipitation, il ajusta mal

son tir et le premier s'écrasa mollement à quel-

ques mètres de lui seulement, disparaîssant

dans un écoeurant bruit de succion. Quant au

second, il éclata en touchant le sol et son

contenu se répandit au vent. Certes, il eut plus

de chance avec les suivants mais toutes ces

gesticulations l'avaient placé dans une situation

critique. A présent, il était prisonnier de l'in-

fâme boue argileuse jusqu'au plexus solaire...

Non loin de là, un indien qui venait d'inter-

rompre sa chasse pour assouvir un besoin aussi

pressant que naturel cherchait vainement quel-

Page 43: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

ques feuilles à la fois moelleuses et absorbantes

pour s'essuyer le derrière lorsqu'il reçut, ame-

nées par la brise, diverses coupures de cent

dollars en pleine figure. Ne connaissant évi-

demment ni la valeur ni le mode d'utilisation

communément admis de ces étranges morceaux

de papier, il jugea judicieux de s'en servir pour

se torcher et, pleinement satisfait, repartit le

coeur léger.

Au même moment, dans un cri étranglé, le

dernier malfrat disparut complètement, happé

par les sables mouvants et Otero se réveilla de

sa sieste, maugréant. Il avait très faim et c'est

sans attendre qu'il quitta son appartement pour

aller manger quelque chose en ville, laissant

derrière lui, bien en vue sur son bureau, un

quotidien dont la une annonçait sensation-

Page 44: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

nellement : «Banque dévalisée : les voleurs

s'enfuient en avion !».

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CHAPITRE DEUX

Assis seul à une petite table, un peu à l'écart,

Otero sirotait son habituel jus d'orange en

attendant qu'on lui serve le plat de saucisses

qu'il avait commandé. D'humeur morose, il se

sentait tourmenté par d'insolubles question-

nements existenciels. Du genre de : pourquoi

l'argent se dépense-t-il toujours plus rapide-

ment qu'il ne se gagne ? Comment vais-je pou-

voir payer mon prochain mois de loyer ? La

Page 46: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

jolie serveuse qui vient de tacher mon habit en

me balançant négligemment mon assiette sous

le nez accepterait-elle un rendez-vous après son

service ?

La seule réponse qu'il ait pu obtenir étant un

«non» aussi définitif que sarcastique à sa

troisième interrogation, il préféra tout oublier

l'espace d'un instant et s'abîmer dans la

mastication. Activité qui, comme vous le savez

et en atteste à coup sur l'air béat perpétuel-

lement affiché par les bovidés de toutes les

contrées, ne manqua pas de le soulager mo-

mentanément de ses peines... Mais évidemment

cela ne dura qu'un temps. Alors, son repas

terminé, n'ayant plus rien à faire en ces lieux

qui lui devenaient hostiles, le détective régla

l'addition, s'abstint de laisser un pourboire, et

Page 47: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

sortit.

D'un pas d'abord pressé, il se mit en chemin,

baissant la tête pour ne pas devoir subir la

vision désagréable de tous ces couples au

bonheur aussi mensonger qu'arrogant que leur

soirée avait faussement égaillés, bifurqua

presque immédiatement à sa gauche, pour

s'éloigner le plus vite possible du centre,

beaucoup trop animé à son goût et se dirigea

vers la vieille ville. Là, dans la pénombre

crépusculaire et le calme retrouvé, il adopta une

démarche plus indolente. Flânant même avec

ravissement devant les vitrines faiblement

éclairées des bouquinistes et des librairies

spécialisées. L'atmosphère ouatée du quartier

aidant, il se sentait déjà mieux, ne doutait plus

qu'une nouvelle affaire allait bientôt lui être

Page 48: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

confiée, le tirant encore une fois d'embarras,

lorsqu'une silhouette tout de noir drapée le

heurta violemment.

Courroucé, le détective voulut cracher une

grossièreté à l'encontre du sinistre individu qui

venait ainsi de le bousculer, pour bien lui faire

comprendre ce qu'il pensait de sa façon de se

conduire, mais ne put finalement émettre le

moindre son, si ce n'est un ridicule gargouillis

qui mourut presque aussitôt au fond de sa

gorge devenue subitement sèche, tant il se

sentit comme foudroyé par le regard incan-

descent que l'inconnu, qui venait de se retour-

ner, darda sur lui, le fixant avec une insistance

malsaine, telle une bête fauve prête à bondir sur

sa proie pour la lacérer de ses griffes, la

déchiqueter de ses crocs...

Page 49: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

Otero n'avait jamais vu regard pareillement

halluciné. Seul un fou furieux pouvait exhiber

un tel masque, aux traits si grossièrement dé-

formés par la haine et les tourments intérieurs !

L'espace d'un instant, le détective craignit

même pour sa vie mais l'autre, étreignant un

peu plus fort le paquet qu'il tenait contre lui et

que les plis de sa cape noire dissimulaient en

partie aux regards, tourna sur ses talons et se

précipita vers le fond d'une ruelle adjacente, en

direction d'une porte étroite qu'on devinait, plus

qu'on ne la voyait vraiment, derrière un empile-

ment de caisses éventrées et de sacs poubelles.

Il tambourina à plusieurs reprises, fébrile,

contre le panneau de bois et quelqu'un, une

frêle silhouette indistincte, lui ouvrit. D'un

bond, il se faufila à l'intérieur et le battant

Page 50: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

claqua dans la nuit.

Otero, encore sous le choc, mit quelques

secondes à se ressaisir puis fila à toute vitesse

en direction de chez lui, bien décidé à se glisser

au lit et à n'en plus bouger jusqu'au lendemain.

(à suivre...)

Page 51: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003
Page 52: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

STÉPHANE VENANZI

FROUSSE DANS LA BROUSSE UNE ROCAMBOLESQUE RÊVERIE DE BERNARDO OTERO

Une pluie fine cinglait les façades blafardes

des bâtiments. Sur les trottoirs, les rares

passants se hâtaient de circuler, déjà

trempés. Sans réfléchir, ils s'engouffraient

dans le premier café venu ou dévalaient les

escaliers de la bouche de métro toute

proche. Partout, l'activité humaine se raré-

fiait à vue d'œil jusqu'à sembler vouloir

définitivement disparaître. Bientôt, la rue

fût effectivement complètement déserte,

glissant doucement dans une torpeur froide

et humide. C'est alors que retentit avec

fracas une effrayante alarme, un son d'une

stridence à vous écorcher les tympans...

LES ÉDITIONS DE LA SAUCISSE ET DU SAUCISSON

Page 53: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

phone alto), nommé en hommage à Marshall

Walter Taylor, cycliste afro-américain de re-

nommée internationale, reviendra, après sa per-

formance de l'année dernière, pour quatre

nouveaux tours de piste, mais à la Cave de

l'«AMR» (donc à l'abri du crachin) cette fois.

Plus précisément, du trente novembre au trois

Suite de la page 28...

Page 54: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

décembre. Notez-le déjà dans votre agenda.

Vous ne risquez pas d'être déçus !

Quant à «Country Cooking, jazz sud-africain &

plus», formation relativement récente (son pre-

mier concert s'est tenu le samedi vingt-quatre

mai deux mille quatorze lors des «Jours de

fêtes aux Grottes»), elle est composée de Ian

Gordon-Lennox au tuba et aux arrangements,

Béatrice Graf à la batterie et aux compositions,

Page 55: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

Ludovic Lagana à la trompette, Yves Massy au

trombone et aux compositions et enfin Aina

Rakotobe au saxophone alto et aux arrange-

ments (quant à l'intrus sur la photo, c'est, si je ne

m'abuse, le tromboniste Christophe Legrand).

Quoi qu'il en soit, et comme vous pouvez le

constater par vous-même, pour peu que vous

traîniez un peu au Sud des Alpes : que du beau

monde ! Ce qui est déjà plutôt réjouissant. Et

l'autre bonne nouvelle, c'est que vous n'aurez

pas à attendre jusqu'à la fin de l'année pour les

écouter, eux. «Country Cooking» se produira le

dix-huit septembre déjà à l'«AMR».

Page 56: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

Qu'y a-t-il de plus con qu'un mauvais film

hollywoodien ? Deux mauvais films holly-

woodiens, me répondrez-vous peut-être, non

sans malice... Pourtant, il existe encore bien

Page 57: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

pire que ça ! Pire même que la sale manie

typiquement US des sequels, des prequels et

des trilogies. Vous ne devinez toujours pas ?

Eh bien ! je vais vous le dire : un mauvais film

hollywoodien tourné par des thaïlandais !!

Parce que ça existe ? me demanderez-vous

assurément, pour le moins incrédules. Hélas !

Et afin de vous en convaincre, il vous suffira de

jeter un oeil à «Sema the warrior», de Tanit

Jitenkul — ah non ! je l'ai mal orthographié,

Page 58: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

excusez-moi : Tanit Jitnukul.

Donc, Smegma (ce n'est pas une coquille cette

fois, mais une blague foireuse !) est forgeron

malgré lui, pour aider son pauvre papa malade

à rembourser ses dettes, alors qu'il rêve au fond

de son coeur fougueux comme une mer

déchaînée un jour de tsunami de devenir soldat

(quand je pense qu'en Suisse, il y a près de

trente ans, on avait déposé une initiative pour

supprimer l'armée, le monde est quand même

mal fait, vous ne trouvez pas ?). D'ailleurs,

Joseph Staline en personne (cameo financé par

le «CPT») veut le recruter mais le sens du

devoir (sans Michelle Yeoh) est le plus fort et

Smegma (oui, ça m'amuse follement, que

voulez-vous ? Je ne suis qu'un pauvre critique

frustré qui rêve de devenir metteur en scène

Page 59: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003
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afin de pouvoir se taper plein d'aspirantes

actrices au quotient intellectuel avoisinant le

zéro absolu et peut-être même, un jour, bar-

boter dans une flaque de ciment pour atteindre

à l'immoralité... pardon, l'immortalité !) bref,

Smegma décline l'offre. Surgit alors un crétin

armé d'un marteau en balsa et un ancien cama-

rade à la coiffure improbable de footballeur

professionnel qui s'allient à notre zéro pour

Page 61: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

reformer les trois Stooges, l'humour et le talent

en moins.

Bon, j'abrège un peu parce qu'on s'emmerde !

Un jour, au marché, Smegma fait la connais-

sance de la princesse Reraï (dont le blaze, pro-

noncé à la nippone, devient Lélaï — mais que

fait Luke Skywalker ?! N'importe quoi, ndlr).

Donc, les deux se croisent et, comme l'histoire

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est puissamment originale, le petit forgeron mal-

gré lui tombe éperdument amoureux de la noble

mais pas snob pour un baht damoiselle (et évi-

demment, le coup de foudre est réciproque,

sinon le film s'arrêterait là ou faudrait inventer

quelque chose d'intelligent pour continuer !).

Comme c'est tellement beau qu'on en pleurerait

presque !

Malheureusement pour les deux tournedos (tour-

tereaux, ndlr), «ce mariage ne doit point se

faire, ni demain ni jamais», comme dirait un

personnage alessandro-manzonien que j'ai bien

connu autrefois, car ils ne sont pas du même

monde, faudrait voir à ne point l'oublier, et

voilà que s'interpose tout aussitôt (pour nous le

rappeler justement !) le perfide Moon Khan,

prétendant officiel de la nénette.

Page 64: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

Horreur et consternation ! J'en suis complète-

ment boulversifié tant c'est terrorifiant !

Heureusement pour les deux fricandeaux (idem

que ci-dessus, ndlr) et soupir de soulagement

devant les télévisions, plutôt que de se lancer

sur un terrain glissant qui pourrait même nous

amener (le cas échéant) à remettre en question

Page 65: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

les castes ou les privilèges des puissants, voilà

que la fée Hollywood (qui ne vaut pas la fée

Dulogis et encore moins la fée Lation !) s'em-

presse de passer par là répandre sa poudre aux

yeux. Ainsi Smegma, devenu entretemps guer-

rier rebelle (?), grâce à sa bravoure au combat,

est prestement anobli pour affronter le chef des

armées ennemies et, l'ayant vaincu après avoir

passé une raclée au fourbe Moon Khan, devient

une légende nationale. Il peut donc enfin espé-

rer tremper son biscuit là où il l'entend sans

Page 66: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

qu'on vienne lui marcher sur les pieds ou lui

briser autre chose. Eh oui !, tout ça pour ça. On

est peu de chose quand même !

Quant au reste de l'histoire, étant à l'avenant, je

vous en fais grâce. Pas besoin de me remercier,

ça commençait aussi à me fatiguer, ces con-

neries. Pour conclure en vitesse, c'est tellement

pourri ce machin qu'on ne peut même plus

parler de cinéma à propos de pareille mélasse.

Entre les erreurs de continuité et les béances

scénaristiques, on croirait regarder la compila-

Page 67: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

tion pour «grand écran» d'une télénovelas lo-

cale. Un remontage hâtif, en un peu moins de

cent vingt minutes, des initiales dix heures

d'épisodes. Et pourtant, malgré le rendu propre-

ment hideux (ça semble tourné au camesco-

pe — et sans trépied, qui plus est !), les acteurs

lamentables et les effets spéciaux conçus avec

un Amiga 500 (le serpent dans la jungle !!), il

s'agit bien d'un long métrage. Pour dire à quel

point le septième art, à l'instar du monde glo-

balisé, est foutrement malade.

Page 68: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

A l'heure de la non-communication instantanée

(où vos interlocuteurs se sentent sociétalement

tellement obligés de vous répondre dans les

plus brefs délais que, s'ils sont pris par autre

chose, ils y renoncent purement et simplement,

vous laissant seul comme un crétin face à votre

requête), l'ironie de vous parler d'un numéro de

«Jazz Magazine Jazzman» que j'ai reçu ce

matin même par courrier mais qui ne sera déjà

plus en kiosque lorsque vous téléchargerez

cette troisième «Machine à démonter le temps

et l'espace» n'est pas pour me déplaire.

Mais ceci mis à part, pourquoi parler justement

de ce numéro six cent septante-cinq, d'août

deux mille quinze ? Parce que, outre les habi-

Page 69: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

tuelles rubriques et interviews, toujours aussi

intéressantes, on y trouve un dossier intitulé

«Jazz, soul & cinéma» dont les deux princi-

pales qualités sont (non pas l'iconographie cha-

toyante, il y manque une photo de Pam Greer

topless pour ça — tiens, du coup, ça me donne

envie de vous l'offrir... Non, ne me remerciez

pas, ça me fait plaisir aussi !) dont les deux

principales qualités sont, disais-je, la concision

et l'approche «technique» des interventions. On

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peut ainsi lire, entre diverses choses passion-

nantes, un papier sur la conception et la com-

mercialisation de la BO du «Sweet sweetback's

baadasssss song» de Melvin van Peebles et un

autre, sur l'astucieuse utilisation (à mettre sem-

ble-t-il au crédit du réalisateur Larry Cohen) de

la musique composée par James Brown (et

Fred Wesley) pour (pas vraiment, en fait)

illustrer le génialissime «Black Caesar».

A noter, que cet usage «diégétique» (c'est le

nom savant !) de la musique était déjà de mise,

quatre ans plus tôt, dans le «More» de Barbet

Schroeder mais s'avérait franchement plus

frustrant, tant les compositions de «Pink

Floyd» constituent le seul attrait de cette fable

qui se veut morale. Là, en revanche, on ne s'en-

nuie pas une minute durant l'ascension âpre et

Page 72: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

violente de ce «Parrain de Harlem» (le titre

français) et encore moins lors de sa fin minable

dans un terrain vague. Une séquence d'une

ampleur opératique, un temps scandaleusement

écourtée par le distributeur (ou le producteur ?)

pour permettre, vu le succès fulgurant du titre,

la réalisation instantanée d'une suite, le complè-

tement raté «Hell up in Harlem».

Pour en revenir au dossier, et malgré tout le

Page 73: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

bien que j'en pense, je trouve cependant regret-

table l'absence (quoique paradoxalement, il soit

peut-être le musicien le plus cité) d'un article

sur Curtis Mayfield, de même que les trop

nombreux renvois (burp !) à Quentin Tarantino,

poseur agaçant dont la notoriété semble être da-

vantage due au bla-bla pseudo-polémique qu'il

suscite, qu'à la qualité (toute relative) de son

cinéma.

Page 74: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

UNE AVENTURE DE SKIPPY : LA MALÉDICTION

DE LA POUPÉE, par François Dimberton

Cet album, actuellement indisponible (et de

toute façon très cher, comme toutes les publi-

cations de cet éditeur), a toutefois le mérite de

réparer (en partie du moins) l'une des grandes

injustices de l'histoire de la BD franco-belge :

le non-succès (et par conséquent, la non-reprise

en album) des mirifiques histoires créées durant

les années huitante par François Dimberton.

Page 75: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

Ainsi, il propose (outre deux brefs essais de six

et huit pages) l'époustouflante aventure du so

british Skippy et de son majordome, le facé-

tieux babouin Master Jeeves (accompagnés de

Sally Pudding, la reine des collectionneuses),

Page 76: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

qui donne son titre au recueil (et qui avait été

initialement publiée dans les numéros neuf cent

septante-six à neuf cent septante-huit de «Pif

Gadget»). Une enquête pleine de rebondisse-

ments, feuilletonesque en diable, qui n'est pas

sans rappeler celles menées par Harry Dickson

sous la plume échevelée de Jean Ray, tant par

les ambiances savamment fantastiques qui y sont

distillées, que par son goût pour les décors inso-

lites ou son intrigue exquisément tarabiscotée.

Page 77: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

LA MÉCANIQUE DES LETTRES, par Un homme

de lettres anonyme

Quelque part entre «Le postier» de Bukowski

et «Jour de fête» de Tati, un témoignage (dou-

blé d'une réflexion) intéressant sur le métier de

facteur, son rôle social mais aussi l'automati-

sation des tâches, la dévalorisation des compé-

tences humaines, etc.

De quoi se poser quelques questions perti-

nentes à l'ombre du bananier, tout en sirotant

une bonne tasse de thé...

Brochure (à l'instar de beaucoup d'autres) télé-

chargeable gratuitement sur le site www.info-

kiosk.net (pour faciliter votre recherche, elle est

répertoriée sous la rubrique «Critiques du tra-

vail»).

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A partir du deux septembre (et jusqu'au dix-

huit octobre), la «Fondation Baur», musée des

arts d'Extrême-Orient, propose de découvrir

une série de pièces créées par Jean Girel, sous

l'intitulé : «Retour aux sources, la céramique

Song».

Parallèlement, et pour la quatorzième fois de-

Page 79: La Machine A Démonter Le Temps Et L'Espace 003

puis sa création en mille neuf cent huitante-

neuf, Carouge organise, du dix-neuf au vingt-

sept septembre, son «Parcours céramique».

Vaste panorama de la production contemporai-

ne (vingt-cinq lieux d’exposition, quarante-cinq

artistes provenant de douze pays différents),

que complètent démonstrations, conférences et

même projections de courts métrages.

Pour le programme détaillé :

www.parcoursceramiquecarougeois.ch

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La machine à démonter le temps et l'espace est éditée par «Les éditions de la saucisse et du saucisson» et paraît dix fois par année. Numéro 3, septembre 2015 Tous les textes sont de Stéphane Venanzi. Quant aux photos, qui demeurent la propriété exclusive de leurs ayant-droits, elles sont reproduites ici uni-quement à titre d'exemple. Abonnement pour 1 année (10 numéros) : 20 francs suisses à verser sur le CCP 87-190546-6 au nom de Stéphane Venanzi.