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Causes des maladies Les causes de maladies sont multiples : une possession démoniaque, le karma (résultante des mauvaises actions passées), elles peuvent relever du déséquilibre entre les trois humeurs (bile, phlegme et pneuma) dont l’harmonie dynamique est liée à chaque individu. Ce déséquilibre est une conséquence d’une mauvaise alimentation, d’un mode de vie inadéquat, de la saison, etc. Il peut relever de causes plus lointaines que sont les trois poisons moraux : le désir (avidité), la colère (ou haine), l’obscurité mentale (l’illusion de l’égo), représentés au centre de la « Roue de la Vie », respectivement par : le coq (rouge), le serpent (vert) et le sanglier (noir). Ces trois « vices » se conditionnent mutuellement et sont liés les uns aux autres. Diagnostic et traitement L’amchi considère le mal comme un déséquilibre général du corps. Il tente d’opposer aux humeurs déséquilibrées des forces contraires pour atteindre l’équilibre naturel, physique et psychologique. Après une conversation avec le patient à propos de ses habitudes quotidiennes et alimentaires, il l’examinera (prise de pouls) afin de définir le mal qui l’habite et le traiter par diverses techniques dont une médication basée sur des éléments végétaux, animaux ou minéraux. Les rituels de purification et d’exorcisation peuvent faire partie de l’arsenal thérapeutique. L’amchi prescrit uniquement des remèdes naturels qu’il prépare lui- même en poudres, pilules et sirops, ou encore en baumes, huiles et cendres qui s’appliquent alors en traitements externes. Une des bases de la formation des amchis est de trouver, sécher et purifier herbes et fleurs, mais aussi de les cultiver et de les sauve- garder. Chaque partie de la plante possède sa propre action : les racines pour l’os, la tige pour la peau, les branches pour les canaux d’énergie, la feuille pour les organes internes, la fleur pour aiguiser les sens et le fruit pour influer sur le cœur et les organes internes.Philippe Fargeton La médecine Amchi 3 n°98 - mars/avril/mai 2009 Xxxx La médecine amchi est issue de la médecine tibétaine et semblerait dater du VI ème siècle après J.C. Les deux médecines ont les mêmes caractéristiques. La médecine amchi a reçu des influences tant de la médecine chinoise sur le plan diagnostique et thérapeutique (prise de pouls, moxibustion…), que de la médecine ayurvédique indienne dont elle tire une partie de sa théorie médicale. Moxibustion Les premières références de moxibustion se trouvent dans des textes d’acupuncture datant d’un peu plus de 2500 ans. C’est un traitement thermique appliqué sur des points énergétiques bien déterminés. Il peut consister à brûler des herbes médicinales séchées, essentiellement de l’armoise. Sous l’effet de la chaleur, ces points, et par conséquent tout le système énergétique de l’organisme, sont stimulés positivement. La moxibustion fait partie de l’arsenal thérapeutique de la méde- cine tibétaine. Armoise Noms vernaculaires : Artémise - Absinthe sauvage - Herbe de la Saint-Jean - Couronne de Jean-Baptiste - Herbe de feu … L’armoise est une plante herbacée vivace de 0,50 à 1,50 m de haut. Elle pousse dans les friches, sur les décombres, les talus, les ter- rains caillouteux, au bord des chemins forestiers et des rives de cours d’eau. Plante commune dans toutes les régions tempérées d’Europe, du nord de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique. Peinture sur tissu dont l’amchi se sert pour comprendre le corps humain.

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Page 1: La médecine Amchi - Decouvrir Montfarville

Causes des maladiesLes causes de maladies sont multiples : une possession démoniaque,le karma (résultante des mauvaises actions passées), elles peuventrelever du déséquilibre entre les trois humeurs (bile, phlegme etpneuma) dont l’harmonie dynamique est liée à chaque individu. Cedéséquilibre est une conséquence d’une mauvaise alimentation, d’unmode de vie inadéquat, de la saison, etc. Il peut relever de causes plus lointaines que sont les trois poisonsmoraux : le désir (avidité), la colère (ou haine), l’obscurité mentale(l’illusion de l’égo), représentés au centre de la « Roue de la Vie »,respectivement par : le coq (rouge), le serpent (vert) et le sanglier(noir). Ces trois « vices » se conditionnent mutuellement et sontliés les uns aux autres.

Diagnostic et traitementL’amchi considère le mal comme un déséquilibre général du corps. Iltente d’opposer aux humeurs déséquilibrées des forces contrairespour atteindre l’équilibre naturel, physique et psychologique.Après une conversation avec le patient à propos de ses habitudesquotidiennes et alimentaires, il l’examinera (prise de pouls) afin de définir le mal qui l’habite et le traiter par diverses techniques dont unemédication basée sur des éléments végétaux, animaux ou minéraux.Les rituels de purification et d’exorcisation peuvent faire partie del’arsenal thérapeutique.L’amchi prescrit uniquement des remèdes naturels qu’il prépare lui-même en poudres, pilules et sirops, ou encore en baumes, huiles etcendres qui s’appliquent alors en traitements externes.Une des bases de la formation des amchis est de trouver, sécher etpurifier herbes et fleurs, mais aussi de les cultiver et de les sauve-garder. Chaque partie de la plante possède sa propre action : lesracines pour l’os, la tige pour la peau, les branches pour les canauxd’énergie, la feuille pour les organes internes, la fleur pour aiguiserles sens et le fruit pour influer sur le cœur et les organes internes.�

Philippe Fargeton

La médecine Amchi

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La médecine amchi est issue de la médecine tibétaine et semblerait dater du VIème siècleaprès J.C. Les deux médecines ont les mêmes caractéristiques. La médecine amchi a reçudes influences tant de la médecine chinoise sur le plan diagnostique et thérapeutique (prisede pouls, moxibustion…), que de la médecine ayurvédique indienne dont elle tire une partie de sa théorie médicale.

MoxibustionLes premières références de moxibustion se trouvent dans destextes d’acupuncture datant d’un peu plus de 2500 ans. C’est untraitement thermique appliqué sur des points énergétiques biendéterminés. Il peut consister à brûler des herbes médicinalesséchées, essentiellement de l’armoise. Sous l’effet de la chaleur, cespoints, et par conséquent tout le système énergétique del’organisme, sont stimulés positivement.La moxibustion fait partie de l’arsenal thérapeutique de la méde-cine tibétaine.

ArmoiseNoms vernaculaires : Artémise - Absinthe sauvage - Herbe de laSaint-Jean - Couronne de Jean-Baptiste - Herbe de feu …L’armoise est une plante herbacée vivace de 0,50 à 1,50 m de haut.Elle pousse dans les friches, sur les décombres, les talus, les ter-rains caillouteux, au bord des chemins forestiers et des rives decours d’eau. Plante commune dans toutes les régions tempéréesd’Europe, du nord de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique.

Peinture sur tissu dontl’amchi se sert pourcomprendre le corpshumain.

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Roland : Tashi DelekTenzing. Quel est votrerôle en tant qu’amchi ?– Je suis moine, médecin et

enseignant. J’instruis desjeunes hommes et jeunesfilles qui veulent deveniramchi à Lo Manthang.Actuellement notre écoleest petite et nous avonsbeaucoup de mal à fairedes cycles normaux decours, à cause des condi-tions atmosphériques.

Roland : Quel est votre travail, quelles méthodes employez-vous pour diagnostiquer les maladies ?– Pour détecter les maladies il y a l’examen du pouls, à travers

lequel on détermine l’équilibre entre les énergies du corps et lefonctionnement des organes. Pour les bébés et les jeunes enfants,

le diagnostic est déterminé par l’examen de l’oreille externe. Il ya aussi l’examen visuel, celui de la langue et aussi des urines. Etpuis, j’interroge le malade.

Sylvette : Pratiquez-vous une médecine traditionnelle à laFrançaise ?– Notre médecine est basée sur la guérison par les plantes, les

herbes, les écorces, les fruits et des minéraux trouvés dansl’Himalaya.Les pilules contiennent généralement de nombreux ingrédientsdifférents se complétant les uns les autres et qui ont été utilisésdepuis des siècles de telle sorte qu’ils n’ont habituellement pasd’effets secondaires, ce qui n’est pas le cas des médicaments devotre médecine. Notre système médical ne s’oppose pas à la méde-cine occidentale qu’il peut compléter ou suppléer comme c’est lecas aujourd’hui dans notre région reculée loin de la civilisation.

Sylvette : Faites-vous de la prévention ?– Nous faisons le maximum pour éduquer la population à bien se

nourrir. Nous donnons des conseils alimentaires, comment bien

Entretienavec Tensing Bista,amchià Lo ManthangTous nos remerciements à Roland Dozièrequi nous autorise à publier un entretienavec Tensing Bista, amchi à Lo Manthang,réalisé conjointement avec Sylvette(Médecin), Bernadette et Elisabeth.Lo Manthang est la capitale historique duHaut Mustang, région de culture tibétainesituée au nord du Népal.

Amchi Tenzing Bista.

Roland Dozière.

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utiliser l’eau en la faisant bouillir par exemple, des conseils sur lecomportement de tous les jours et l’hygiène.

Elisabeth : Combien reste-t-il d’amchi à Lo Manthang ?– Il y en avait une centaine, maintenant il en reste seulement sept

entre le bas et haut Mustang.

Sylvette : Combien d’années d’études faut-il à un moine pourdevenir amchi ?– Normalement après cinq ans d’années d’études théoriques, il est

nécessaire de faire au minimum deux ans d’études etd’apprentissage aux côtés d’un amchi expérimenté.

Elisabeth : Pourquoi y a-t-il eu une disparition des amchi ?– Les habitants du Mustang, les Loba, désertent cette province

népalaise, où il est difficile de vivre, à cause des conditions natu-relles (altitude) et des hivers très froids, pour se rendre dans lesgrandes villes comme Pokhara ou la capitale Kathmandu. Il y a demoins en moins d’enfants, donc d’écoles et d’amchi.

Roland : La route qui va se construire apportera des médica-ments, qu’en sera-t-il de votre médecine ?– Les villageois seront peut-être contents ! Mais pourront-ils payer

la médecine occidentale ? La tradition peut être disparaîtra maisactuellement c’est la seule médecine sur place qui sauve des vies,elle est naturelle et provient des plantes qui sont souvent la basedes médicaments traditionnels. Nous faisons tout pour la sauve-garder car nous pensons qu’elle sera toujours utile….

Sylvette : Votre médecine a-t-elle un lien avec la religion ?– Elle est très liée au bouddhisme et nous agissons toujours selon

ses principes éthiques. C’est mieux d’être lama ou moine pourêtre amchi, mais ce n’est pas obligatoire : actuellement certains denos étudiants ne sont ni moine, ni lama.

Bernadette : Comment avez-vous appris cette médecine ?– J’ai appris avec mon père qui était un grand amchi, puis je suis allé

me perfectionner au Tibet, au Bhoutan et en Inde. Le système

médical tibétain remonte à plusieurs siècles. Le texte de réfé-rence de la médecine tibétaine : le « Ghyü Shi », qui fut retrans-crit par Yuthok Yonten au XIIème siècle, contient toutes lesconnaissances sur le sujet. Cet ouvrage, aussi appelé les quatretantras (volumes), est toujours utilisé par les étudiants en méde-cine. Toutes les informations relatives aux causes, aux symptômeset aux traitements des maladies sont décrites et abondammentillustrées dans ces volumes.A la différence de la médecine occidentale, le système médicaltibétain se fonde sur les énergies principales qui régulent toutesles fonctions physiques du corps. Chez les personnes saines, cesénergies s’équilibrent entre elles ; en cas de déséquilibre, des pro-blèmes médicaux et des maladies peuvent apparaître.

Roland : Arrivez- vous à préserver les plantes avec les désordresécologiques ?– Nous faisons de notre mieux et nous arrivons à les préserver. Il

existe 600 plantes médicinales. Trois cents sont trouvées auNépal, les autres proviennent du Tibet ou de l’Inde.

Sylvette : Quelles sont les principales pathologies rencontrées ?– Nous en trouvons trois principales :

la première est la gastro-entérite due au problème d’hygiène etde nourriture ; la deuxième : les rhumatismes dus au froid ou àl’humidité dans les maisons ; la troisième est la pneumonie quirelève des mêmes causes que pour les rhumatismes et auxquelless’ajoutent les fumées dans les maisons… Notre médecine estparticulièrement efficace s’agissant des maladies chroniques.

Sylvette : Pratiquez vous des opérations ?– Avant nous pratiquions des opérations mais plus maintenant.

Nous avions les moyens d’instruire pour opérer, mais tout se prati-quait au Tibet. Maintenant la frontière est fermée par les Chinois ;pour les opérations, il faut se rendre à Kathmandu, c’est du res-sort de la médecine moderne… Le taux de mortalité est trèsimportant car peu de gens peuvent être dirigés rapidement dansla capitale ; sans parler du coût.

Sylvette : Si on construisait un hôpital à Lo Manthang, pour-riez-vous pratiquer des opérations ?– Il faudrait d’abord des écoles pour former les amchis pour qu’ils

deviennent chirurgiens et après oui, ils pourraient opérer dans unhôpital.

Sylvette : Qui intervient pour les accouchements ?– Personne, car personne n’est formé pour le faire ; les femmes

accouchent chez elle, à l’aide d’autres femmes mais on peut aussiles aider.

Sylvette : La mortalité infantile est-elle importante ?– Oui, sur 10 accouchements il y a 3 décès mais pas uniquement les

enfants parfois aussi les mères.

Classe d’étudiants Amchis.

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Roland : Les consultations sont-elles gratuites ?– Depuis très longtemps, les villageois donnent ce qu’ils veulent ou

ce qu’ils peuvent mais ce n’est pas une obligation, toutes les per-sonnes que nous voyons sont examinées et soignées. Une consul-tation dure environ une demi-heure. Après la première consulta-tion, il est recommandé à la plupart des patients de revenir deuxà quatre mois plus tard, puis au bout de six mois. Ceci est égale-ment dû à l’effet des saisons sur le corps qui rend parfois néces-saire un ajustement du traitement. Il est déconseillé de prendreles mêmes pilules à base de plantes durant plus de six mois sansavoir à nouveau consulté, à moins que cela n’ait été prescrit parl’amchi.

Sylvette : Disposez-vous de stéthoscopes, d’instruments demesure ?– Nous utilisons les stéthoscopes et thermomètres depuis six ans

environ… Mais normalement, nous n’avons pas besoin de maté-riel médical autre que nos sens et notre connaissance.

Sylvette : Avez-vous besoin d’autres matériels ?– Oui, de scanner par exemple pour diagnostiquer la pneumonie,

mais il nous faudrait aussi l’électricité… Vous voyez ce n’est passimple dans notre contrée. Notre désir est de préserver la méde-cine par les plantes, mais aussi d’instruire les futurs amchis à lamédecine moderne. Encore faut-il avoir les médicaments adé-quats ! Avec les plantes, nous n’avons pas le problèmed’approvisionnement et de coût.

Sylvette : Avez-vous des cas de mal voyance ?– Oui il y en a, et nous avons été formé à ce sujet à l’hôpital de

Pokhara.

Sylvette : Avez-vous à Lo Manthang le matériel pour soigner lesmal voyants ?– Malheureusement, nous n’avons pas le matériel adéquat.

Elisabeth : Allez-vous faire des conférences sur la pratique dela médecine amchi dans d’autres pays ?– Oui, je suis invité parfois pour faire des conférences. Je viens de

rentrer d’Angleterre et je suis allé au Japon, en Allemagne.

Elisabeth : Accepteriez -vous de former des médecins étrangersà votre médecine ?– Ce n’est pas un problème, si ce n’est la langue car nous parlons

tibétain ou népali. Il suffit simplement d’avoir un traducteur.

Bernadette : Est-ce qu’une femme médecin pourrait être formée ?– Il n’y a aucun souci et aucune barrière à ce niveau.

Bernadette : Connaissez-vous le cancer et le sida ?– Nous connaissons ces maladies mais aucun cas de sida n’a été

diagnostiqué.

Roland : Parlez-nous de cette école que vous souhaitezconstruire.– Cette école sera construite dans la ville de Pokhara à l’ouest du

Népal. Les conditions climatiques y sont plus supportables. Lesétudiants feront un minimum de 2 ans d’études et d’apprentissageaux côtés des derniers amchi expérimentés, après leurs 5 ansd’années d’études théoriques. Nous installerons un bâtiment de 2étages, une cour, un potager et un jardin de plantes médicinalessur un terrain d’une surface de 500 m2.

Roland : Pourquoi est-il essentiel de sauvegarder la médecineancestrale des amchi ?Préserver la connaissance millénaire des médecins amchi auMustang est un enjeu capital qui dépasse largement le cadre decette petite région du globe ; c’est en réalité toute l’humanité qu’ilinterpelle, à l’heure où le pouvoir des antibiotiques est remis encause par la résistance accrue de certaines bactéries contre les-quelles nous risquons dans le futur de ne plus pouvoir lutter.Les amchi connaissent et maîtrisent le pouvoir des plantes, lamanière de les cultiver et de les utiliser pour soigner. Ces plantespourraient bien un jour devenir un remède à certains de nos mauxet nous avons l’opportunité d’agir concrètement pour pérenniserun savoir-faire précieux et ancestral qui constitue sans aucun douteun des joyaux de l’humanité. Alors ne le laissons pas disparaître.

Le projet de construction d’une école d’Amchi à Pokharaest porté par l’association humanitaire Ligne Verte Terrede Paix : www.ligneverteterredepaix.org

Le dortoir des étudiants Amchis à Lo Manthang.

L’interview de Tenzing Bista par Roland Dozière (à droite).

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Autour des auteursAmchi Tenzing Bista est né en 1965 à Lo Manthang, Haut Mustang, Népal. Quinze jours après sanaissance, il formula les vœux monastiques auprès de l’abbé du monastère de Choeling. Dès son jeuneâge, il apprit à lire et écrire sous la direction de son père et de son grand père.Il passa la plus grande partie de sa vie à Lo Manthang au monastère de Choeling étudiant la philoso-phie bouddhiste (sutra et mantra) et apprenant à exécuter les différents rituels bouddhistes. En plusde son éducation monastique, il étudia Sowa Rigpa, « la Science de la Guérison ». Plusieurs maîtres duNépal, de l’Inde et de la Région Autonome du Tibet lui enseignèrent l’astrologie.Pendant des années, au cours desquelles il a été trésorier du Monastère de Choeling, Amchi Tenzin estdevenu un expert de la pratique de Sowa Rigpa au Mustang. Il est actuellement le Principal de Lo-Kunphen Mentsikhsang, une clinique et une école de médecine traditionnelle par les herbes, à Lo Manthang. Il est aussi le Président de l’Association des Amchi pour le district du Mustang.

Amchi Gyatso Bista est né en 1959 à Lo Manthang, Haut Mustang, Népal. Il descend de la mêmelignée patrilinéaire que Tenzin Bista et suivit le même cursus : étude du Sowa Rigpa, de l’astrologie etde la philosophie bouddhiste.Il travailla pendant dix ans dans un hôpital vétérinaire du gouvernement local, au Mustang. Il fut « Research Assistant » pour Himal Asie comme praticien du Sowa Rigpa et voyagea au US, au Japon, enFrance et en Russie.A présent, il est directeur de Lo-Kunphen Mentsikhsang et président de l’Himalayan Amchi Association(HAA), NGO népalaise installée à Kathmandu.

Les auteurs : Amchi Gyatso Bista et Amchi Tenzing Bista.

L’ouvrage qu’ils ont coécrit.

UNE HISTOIRE DE L’INDELes Indiens face à leur passéEric Paul Meyer - Planète Inde - (Albin Michel)

Sommes nous vraiment éloigné denotre sujet : le Népal, en proposant lalecture de cet ouvrage qui paraît sousla plume d’Eric Meyer, professeurd’histoire et vice-président del’INALCO (Ecole des « Langues O ») ?

Pourrions-nous comprendre la cul-ture française sans évoquer l’histoireet la culture latine ?

La compréhension de la culture sioriginale du Népal ne peut se faire qu’en tournant le regardvers ses voisins et particulièrement l’Inde dans laquelle elleplonge ses racines. L’histoire de l’Inde devient une clef incontournable pourconnaître le Népal. Les exemples se multiplient :– Les premières dynasties du royaume himalayen tiraient leur

origine du sous-continent voisin.– La « lingua franca » du Népal : le népali, appelée autrefois

parbati (la langue des montagnes), imposée par les souve-rains de Gorkha qui conquirent la vallée de Kathmandu, estproche de l’hindi, lui même dérivé du sanscrit.

– Les rois Malla de la vallée étaient des admirateurs de ladynastie Moghol qui influencera le costume népalais de laCour et laissera l’empreinte de son influence dans la peinture.

– Evoquons les grandes religions : hindouisme et bouddhismequi marquent la société et la culture népalaise.

– Comment le Népal aurait-il pu se tenir à l’écart del’influence de son grand voisin, alors que sa capitale actuelleétait l’une des grandes plaques tournantes du commercetrans-himalayen dont elle tirait sa richesse ?

Durant la dernière décennie, la recherche scientifique aapporté un éclairage nouveau, aussi Eric Meyer propose-t-il « une » histoire de l’Inde, où s’expriment les différentes inter-prétations qui ont cours à notre époque. L’Inde est ici uneexpression prise au sens large, et reconnue pour désignercette partie du monde qui rassemble plus d’un cinquième del’humanité. Il ne s’agit pas pour l’auteur de proposer une histoire exhaus-tive de l’Inde, bardée d’une avalanche de dates, mais d’en retra-cer les grandes étapes. L’auteur nous convie à une réflexionplus thématique, centrée sur les liens entre économie, poli-tique et religion.Je n’affirmerais pas que ce livre se lit comme un roman, maisabordée sous cet aspect, l’histoire devient vivante, captivanteet enrichissante.(Voir aussi les ouvrages sérieux et collectifs de ClaudeMarkovits (Histoire de l’Inde moderne) et Christophe Jaffrelot(L’Inde contemporaine) chez Fayard).

GARUDA

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L’ exclamation de l’ethnologue Michel Peissel découvrant leMustang peut servir d’introduction à ce dossier :« Je fus émerveillé là comme à Tsarang ou à Lo Manthang parl’harmonie et la beauté des édifices. Je compris à quel point était jus-tifiée la déclaration que l’on m’avait faite affirmant que, dans toutel’Asie, les tibétains sont peut-être ceux qui possèdent l’architecture laplus raffinée et la plus spectaculaire. Tous ces bâtiments étaientd’une taille respectable, d’une symétrie et d’une géométrie gracieuse,les murs légèrement inclinés vers l’intérieur donnant une impressiontout à la fois de force et d’élégance ».

L’architecturedans l’aire deculture tibétainedu Népal(1ère partie) Seconde partie à paraître dans le N° 99.

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Paysage vu de la route de Bhaktapur à Nala.

Le Mustang, petit royaume anciennementindépendant, fait aujourd’hui partie duNépal. D’autres régions de langue et deculture tibétaines se trouvent égalementincluses dans l’Etat népalais depuisl’unification du pays par le roi de GorkhaPrithvi Narayan Shah à la fin du XVIIIème

siècle et l’accord signé en 1961 avec laChine pour fixer la frontière entre lesdeux pays.Ces régions sont situées en zone trans-himalayenne. Toutes communiquent pardes vallées et des cols élevés avec leTibet (les « treize voies de passage », ronkhag bcu_sum) et ont constitué desmaillons actifs dans les échanges com-merciaux entre le Tibet, le Népal etl’Inde. Leurs populations présentent descaractéristiques, des techniques et unmode de vie très proches de ceux desTibétains.

Les régions qui ont fait l’objet d’étudesdu point de vue de l’habitat et del’architecture sont :le Dolpo, le Mustang (haute vallée de laKali Gandaki), le Nyi-Shang (région deManang, dans la vallée de la Marsyandi), lavallée de la Nar Phu (affluent de laMarsyandi), le Gyasumdo, Nub-ri et Tsum(région du Manaslu), enfin aux alentoursde l’Everest, le Solu-Khumbu, le pays desSherpa.

C’est à partir des descriptions fourniespar ces études que nous nous propo-sons, dans un premier temps, en nouscentrant sur l’habitation, de dégager lesgrands traits de l’architecture tradition-nelle tibétaine au Népal. Dans une deuxième partie (prochainnuméro de Garuda) nous verrons com-ment le contexte dans lequel s’inscrit lamaison : type d’habitat, relief ou autreenvironnement, peut être source devariantes architecturales.

Il subsiste encore aujourd’hui des villagesqui constituent des ensembles complets- maisons, bâtiments religieux, construc-tions défensives - à la fois impression-nants en terme d’esthétique oud’envergure et suffisamment rares pourqu’ils méritent toute notre attention aumême titre que l’art des artisans néwarde la vallée de Katmandou, auquel onassocie plus souvent le Népal.

La maison typeStructure générale

La maison type des populations tibé-taines vivant au Népal, telle qu’elle estdécrite en particulier par G.Toffin, sesitue en zone aride

Elle est construite sur un plan rectangu-laire, proche du carré, et comporte engénéral trois niveaux : rez-de-chaussée,étage, toit-terrasse.Les murs extérieurs sont épais, 45 cm,inclinés de 5 degrés vers l’intérieur, faitsde pierres liées au mortier prises sur lesaffleurements rocheux, moraines etberges des cours d’eau. En effet, lescroyances religieuses, qui président àtous les aspects de la vie, interdisent decreuser le sol : on ne doit pas dérangerles lu, esprits souterrains qui y demeu-rent.

Les niveaux supérieurs sont en briquesde terre, façonnées dans des moules enbois et séchées au soleil.Le toit-terrasse, recouvert de bran-chages et de couches de terre battue afin

Carte des populations de langue et de culture tibétaines dans le Nord du Népal

Tabza (3920 m) dans la vallée de la Tarap.

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d’en assurer l’étanchéité, est légèrementincliné pour évacuer l’eau de pluie ou defonte de neige vers des planches faisantoffice de gargouilles. Il est bordé par unpetit parapet de pierre où s’entassentdes branchages qui ont pour doublefonction de le protéger de l’humidité etde faire écran au vent.On passe d’un niveau à l’autre au moyend’une poutre, ou tronc d’arbre, entailléede profondes encoches. Les ouverturessont petites et peu nombreuses.L’allure générale extérieure est massiveet peut même, en certains lieux, commedans la vallée de Tarap au Dolpo, ressem-bler à une véritable forteresse.L’épaisseur des murs, la limitation desouvertures et la silhouette compacte del’ensemble sont autant de moyens quipermettent aux habitants de se prémunircontre les rigueurs climatiques locales,froid extrême, amples écarts de tempé-rature et vents violents.Au Solu-Khumbu, où la pluviosité estplus forte, la maison sherpa s’écarte dece modèle type pour s’adapter auxconditions locales.

Agencement intérieur et mode de vie.Les habitants de langue et culture tibé-taine du Népal occupent des régionsdont l’altitude se situe en moyenne entre3500 et 4200 m. Ils assuraient autrefoisune part importante des échanges com-merciaux entre le Tibet et l’Inde,échanges aujourd’hui presque totale-ment disparus.Ils vivent de l’élevage (chevaux, yaks oudzo, ovins et caprins), de la vente d’unpetit artisanat (tissage), de la culture del’orge et de quelques légumineuses. Lapériode de végétation est courte et laculture nécessite une irrigation.

La maison, avec son mode d’occupationintérieure, est le reflet de ce système deproduction et de cet environnementgéographique et climatique.

Elle comprend au niveau du sol :• Une cour (sauf en pays sherpa où il

n’en est pas fait état), entourée d’unmur de pierres sèches d’environ 1 mètre de haut qui sert d’enclos pourles animaux.

• Un rez-de-chaussée au solen terre battue, d’une hau-teur sous plafond réduite,divisé en deux à quatre piècesséparées par des murs porteurs qui font office debergerie, étable, écurie,réserve à sel, denrées alimen-taires locales (pommes deterres), fourrage, bois(lorsqu’il en existe dans larégion), instruments agricoleset harnachements de chevauxou de yaks.

• Le premier étage comporte deux àquatre pièces desservies l’une parl’autre ou par un petit palier :- une pièce d’habitation commune à

toute la famille où l’on prépare etprend les repas, où l’on dort et oùl’on se tient l’hiver.Le foyer qui s’y trouve, et dont lafumée est plus ou moins bien évacuéepar un trou percé dans le plafond,délimite deux espaces : à droite lapartie honorifique réservée auxhommes et aux visiteurs de marque, àgauche celle attribuée aux femmes,leurs ustensiles de cuisine à portée demain. Le sol est en terre battue, par-fois en planches de bois.

- une pièce, à laquelle on n’accèdegénéralement que par la piècecommune, car on y entreposeles biens les plus précieux de lafamille : coffres à grains, réci-pients à bière, vêtementsd’hiver et de fête, etc.- une pièce « chapelle », plus

ou moins richement ornéeselon le statut du proprié-taire, abritant un autel enbois peint surmontéd’étagères où sont disposéslivres sacrés et statuettes.

• Le toit-terrasse, décoré de cornes demoutons ou de yaks (de cornes decerfs du Sikkim au palais de LoManthang) et égayé de mâts et dra-peaux à prières, est un lieu de vie etd’activité important lorsque le temps lepermet : partiellement couvert d’unauvent, on y fait sécher les grains oul’herbe, on y file la laine, on y dortmême parfois.

Les habitants de ces régions rudes adap-tent au mieux leur mode de vie auxconditions climatiques. Ils privilégient,selon la saison, soit le premier étage soitle toit terrasse pour travailler, manger,dormir et se réunir. Il leur est agréablede travailler sur le toit-terrasse durantles chaudes journées d’été ; en revanchel’hiver ils profitent de la chaleur du foyeret de celle dégagée par les animaux en setenant au premier qui, en toutes saisons,bénéficie de l’inertie des murs épais.

Aux marches de la zone de culture tibé-taine, en région takhali et du Pancgaon,l’espace intérieur de la maison est hiérar-chisé : il est marqué par des seuils suc-cessifs qui en limitent progressivementl’accessibilité en fonction du degréd’intimité des personnes qui y pénètrent.

Artisanat dans la cour d’une maison – Syabru, Langtang.

Les toits terrasses du Village de Samar (3660).

Intérieur d’une maison Sherpa à Gangyul –Helambu (Yolmo).

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Les deux premiers seuils (porche etporte d’entrée) sont une simple marquede propriété, franchissable par les étran-gers à la famille ; le troisième seuil, entrel’entrée et la pièce de séjour, ne peut pasêtre franchi par les castes indo-népa-laises ; le dernier seuil, qui mène à lachambre des ancêtres, ne peut être fran-chi que par les membres du clan du maî-tre de maison.

Une originalité en Asie : les toilettes(gsan-spyod)On signale parfois l’existence de toilettesau Dolpo, et d’après M. Peissel elles sont : « de règle au Mustang ». Il décritces lieux comme étant une petite piècecarrée située au-dessus d’un conduitprofond et étroit ménagé dans le murextérieur. Le conduit s’ouvre au niveaudu sol par une petite porte par laquelleon jette chaque jour des feuilles ou dufoin afin d’empêcher les mauvaisesodeurs. Cet usage, associé à l’altitude,fait que « …aucune des villes ou des vil-lages du Mustang n’exhale d’odeursrepoussantes comme dans le reste del’Asie ». L’engrais ainsi formé est récu-péré et épandu dans les champs. Les auteurs qui ont étudié les autresrégions de culture tibétaine du Népal nefont pas mention de toilettes. Il n’estdonc pas possible de dire s’il s’agit d’uneconstante.

La dimension religieuse de la mai-son et les croyancesDans le monde tibétain, toute la vie estempreinte de religiosité (bonpo oubouddhiste) et de croyances aux esprits.Parmi les auteurs consultés et ayantconsacré une étude à la maison tibétaineau Népal, seul C. Jest (Dolpo) décrit lesusages religieux attachés à la maison.

Dans cet univers emboîté, tout est encorrespondance. Le sol est le domainede divers esprits dont les lu, responsablesde la fertilité. Le niveau intermédiaire dumonde est celui des hommes, mi, et desdivinités tsan, il correspond au premierétage de l’habitation où se trouve lefoyer familial et sa divinité. Le niveausupérieur du cosmos est le domaine desdivinités lha ; c’est sur le toit terrassequ’est édifié l’autel domestique.

Une fois consacrée la maison devient larésidence de divinités qui la protègent,en particulier celle du foyer qu’il faut veil-ler à ne pas irriter. Mais la maison peutêtre la proie de toutes sortes de démonsqui cherchent à en prendre possession ;c’est pourquoi on ne doit pas siffler lanuit car c’est ainsi qu’on les fait venir.

Il faut aussi écarter les démons censéshanter tous les coins : à cet effet onconstruit de petits chorten dans lesangles du toit terrasse de même que l’onconstruit de grands chorten aux quatrecoins des villes.�

Martine Duplat

Etudes sur lesquelles s’est appuyé cemémoire :- Blamont Denis et Toffin Gérard (études réunies

par), Architecture, milieu et société enHimalaya, Paris, éditions du CNRS, 1987.

- Gerner Manfred, Architectures de l’Himalaya,Lausanne, éditions André Delcourt, 1988.

- Jest Corneille, Une vallée dans l’Himalaya, Paris,Le Seuil, 1974.

- Jest Corneille, Dolpo : communautés de languetibétaine du Népal, Paris, éditions du CNRS, 1975.

- Peissel Michel, Mustang, royaume tibétain interdit,Genève, éditions Olizane, 1988.

- Toffin Gérard, sous la direction de, L’homme et lamaison en Himalaya, Paris, éditions du CNRS, 1981.

Exemple de maison au Dolpo, plan et coupe.

Kagbeni (2820 m), piège à démons.

Cet article : « Architecture dans l’airede culture tibétaine au Népal » est unrésumé d’un mémoire écrit parMartine Duplat, auteur d’un précédentarticle sur les « Fenêtres sculptées dela vallée de Kathmandu », apprécié parde nombreux lecteurs.Il est publié en deux parties dans « Garuda » :- « La Maison Type », présentée dans ce

numéro,- « La maison tibétaine : variante dans

son environnement » qui fera l’objetdu numéro 99.

Nous nous sommes efforcés dans cescondensés de respecter l’écrit et lapensée de l’auteur.

Philippe Fargeton

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Toni Hagen1950, un géologue au « Pays interdit »

Au retour de mon premier voyage au Népal, destiné àassouvir une envie de randonnée dans des montagnesmythiques, la rencontre vécue avec une culture capti-

vante et une population chaleureuse transformait mes objectifsfuturs et m’invitait à une découverte du pays plus attentive quecelle procurée par un court trek dans la montagne népalaise. Lemode de vie du pays, son histoire, sa culture et ses diversitésethniques, linguistiques, religieuses m’avaient laissé stupéfait, ungouffre d’ignorance s’ouvrait sous mes pieds. Ma connaissancedu Népal, faussée par le prisme de mes conceptions occiden-tales, offrait bien des lacunes. Elles m’incitèrent à m’engager dansune découverte plus approfondie qui se poursuit à ce jour. Dans un premier temps trois ouvrages devinrent mes livres dechevet : deux guides de voyage sur le Népal, rédigés par René deMilleville (voir Garuda N°82 et 84) et Robert Rieffel ainsi qu’unouvrage conséquent de Toni Hagen.

Ces auteurs sérieux avaient quelques points communs : grâce àleur profession ils vivaient véritablement sur le terrain et parta-geaient tous les trois un amour de la montagne, une approchehumaine du pays et un désir de faire partager leurs connais-sances exceptionnelles.

« Népal » par Toni HagenToni Hagen s’est rendu pour la première fois au Népal en 1950alors que le Népal était pratiquement fermé aux étrangers, il ypassa douze années de sa vie. Il peut être considéré comme lepremier « trekker » au Népal car, à partir de 1952, ses activitésde géologue pour le gouvernement népalais le conduisirent àexplorer le pays pendant 7 ans couvrant pratiquement tout leNépal à pied pour en établir un relevé géologique (voir carte). Ilfut ainsi le premier étranger à se déplacer librement et à pou-voir pénétrer dans des vallées qui n’ont été accessibles que trèsrécemment au tourisme (Mustang ouvert en 1992).

Tony Hagen montrant une amonite.

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L’édition en ma possession (« Népal » par Toni Hagen aux édi-tions Kummerly + Frey) était celle de 1980 . Si mes souvenirsson exacts il y eut plusieurs éditions précédentes : 1961, 1970,1975, etc. Aujourd’hui épuisé, le livre est cependant encore dis-ponible dans des librairies spécialisées (Fenêtre sur l’Asie) et surinternet. Certes quelques chapitres ont perdu de leur actualité,mais un précieux livre de « mémoire » demeure, témoignage del’évolution époustouflante du Népal au cours de ces dernièresdécennies.

Un Helvète au NépalToni Haguen est né à Lucerne en 1917. Une conférence surl’Himalaya, entendue dans sa jeunesse, le sensibilisa à cetterégion du monde. Alpiniste et skieur chevronné, sa passion descimes le poussa à entamer des études de géologie. Il entrepritdonc des études d’ingénieur géologue et obtint son doctoratavec un travail sur les Alpes valaisannes.

Il fut choisi par la Suisse en 1950 (il avait 33 ans) avec troisautres camarades pour se rendre au Népal dans le cadre del’Assistance Officielle au Développement et fut l’hôte de celuiqu’il appelle le maharajah, vraisemblablement Mohan ShumsherRana, premier ministre Rana qui gouvernait le Népal sous cetitre, laissant dans l’ombre le véritable souverain Shah : TribhuvanBir Bikram Shah.

Son premier voyage pour rejoindre la capitale du Royaume duNépal fut déjà une véritable expédition dont nous n’avons plusidée 58 ans plus tard.

En noir tous les itinéraires parcourus par Toni Hagen.

Transport d’une automobile dans les collines.

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Parti de Calcutta, il lui fallut 3 jours pour rallier Kathmandu. Toutd’abord il rejoignit Raxaul en train, à la frontière népalaise où unsoldat Gurkha s’opposa à son entrée sur le territoire népalais.Heureusement pour lui le téléphone fonctionnait entre la fron-tière et Kathmandu. La réponse donnée au fonctionnaire amé-liora la qualité de l’accueil qui se fit plus chaleureux.

Rejoint par ses trois camarades, une automobile les conduisit àBhimphédi. La route prenait fin 30 kilomètres plus loin. Levoyage se poursuivit à dos de poneys jusqu’à la forteresse deChisapani Garhi. Le lendemain, ils franchirent les cols deChisapani (2200 m) et de Chandragiri (2500m) en direction de Thangkot (village qui borde actuellement la routeKathmandu–Pokhara), porte d’entrée de la vallée de Kathmanduoù les attendait une limousine Packard noire à rideaux rougesqui les véhicula sur quelques kilomètres jusqu’au palais du maha-radjah.Il suivit sans doute le même itinéraire que celui emprunté en1908 par Isabelle Massieu. Toutefois la voyageuse connut desmoyens de transport plus audacieux : de Raxaul elle fut portée,de nuit, en palanquin jusqu’à Bimphédi par une équipe de seize àvingt porteurs qui se relayaient. Elle effectuera la deuxième par-tie du voyage en dandi (litière) gravissant la passe de Chandragiripour arriver à Thangkot. Au village, point de véhicule automobilemais un grand landau tiré par deux chevaux, envoyé par le maha-rajah Chandra Shamsher premier ministre de l’époque, qui luiaccordera une audience. (Népal et pays himalayens - Une voya-geuse française dans l’Himalaya en 1908 - Isabelle Massieu(Editions la lanterne magique).

Première mission (1952) et expéditions lointaines (1954-1959)En 1952, Toni Hagen fut sollicité par le gouvernement népalais entant que géologue. Son premier voyage entre Kathmandu etPokhara dura 6 jours ! (Aujourd’hui 6 heures de bus ou 45 mnd’avion suffisent). Il fut le premier occidental à entrer à Pokhara.

A cette époque son épouse souffrant d’une affection rénale,contrainte de se faire hospitaliser, due se déplacer jusqu’à Patnaen Inde, à 300 km de Kathmandu. Hagen rapporte qu’en 1950 leNépal ne comptait que 50 médecins contre 313 en 1973, etl’espérance de vie était de 26 ans, contre 44 ans en 1977. Elleétait d’environ 58 ans dans les années 2000.

Roland Barraux, dans « Histoire du Népal », avance le chiffre de 35 ans comme étant l’espérance de vie en 1950, alors que seulement 2 % de la population savait lire et écrire !

La première mission de Toni hagen qui devait durer 6 moisconsistait à dresser une coupe transversale géologique del’Himalaya, du nord au sud. Il arrivait dans un Népal en pleinchambardement politique (voir encadré).*

En 1953 il fut engagé par l’Assistance technique des NationsUnies pour effectuer le premier relevé géologique de reconnais-sance du Népal tout entier !

Sa femme et ses trois enfants (5, 4, et 2 ans) vinrent s’installer auNépal et lors de brèves expéditions autour de Kathmandu etPokhara sa famille l’accompagnait et s’adonnait aux joies du camping.

Par contre il pouvait être absent durant 6 mois lorsqu’il effec-tuait de lointaines expéditions (de 1954 à 1959).

Pour la première d’entre elles, Toni Hagen était accompagné de200 porteurs. Mise sur pied par le maharajah, il fallut transpor-ter de lourdes tentes, « une précieuse vaisselle de porcelaine »,une chaise percée, etc, héritage du mode de vie colonial britan-nique. L’expédition parcourut ainsi 30 km en 3 semaines ; le tra-vail n’avançait pas !

En 1952 il abandonna tout fatras superflu. Un équipement helvé-tique approprié, une équipe de 10 porteurs (presque toujoursles mêmes) bien disciplinée, un horaire respecté, une organisa-tion stricte prenant en compte un rythme d’alimentation basésur celui des porteurs, lui permirent d’être au maximum dispo-nible pour ses travaux sur le terrain.

Les anecdotes fourmillent– Partant pour une durée de 6 mois, il lui fallait prévoir suffisam-

ment d’argent pour payer porteurs et nourriture. Au bas motquelques 6000 roupies en petite monnaie qui constituait lacharge d’un porteur (l’équivalent de 150 salaires mensuels

Concessionnaire Ford à Lazimpat vers 1930.

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d’instituteur ; une époque où existaient encore les païsa,inconnues de nos jours) ! Le dit porteur conscient de sa hautefonction déposait son fardeau dans les villages en le faisant tin-ter le plus possible. Aucun voleur ne s’est jamais manifesté !

– Pour le courrier, deux Sherpa assuraient les communicationsentre le camp en montagne et le monde extérieur. Parfoistrois semaines de marche pour un trajet. Comme le campchangeait d’emplacement au gré des recherches, Hagen don-nait des rendez vous à ses vaguemestres 6 semaines à l’avancedans un pays que ni lui ni les porteurs connaissaient aveccomme seul repère une carte au 1 : 250 000ème de la Surveyof India !! Ils ont toujours réussi à se rencontrer.

– Premier blanc à entrer au Mustang, Hagen dut à la Rani d’êtrereçu par le roi. Les lettres d’introduction du gouvernementnépalais s’étaient avérées sans effet. Mais la Rani souhaitait seprocurer une crème cosmétique pour le visage ! Elle le fitsavoir à Hagen. Il chercha dans ses deux caisses de médica-ments et lui fit porter un produit qui pouvait convenir. Dès lelendemain, il fut reçu par le Maharajah qui se détendit à vued’œil quand il comprit que le géologue n’avait rien à voir avecle gouvernement et qu’il s’intéressait seulement aux roches.

Un géologue polyvalentLes récits, cocasses ou surprenants de nos jours, richesd’enseignements, se poursuivent mais ne constituent qu’uneinfime partie de ce livre de 264 pages. Toni Hagen aborde ungrand nombre de sujets : aperçus géographiques ; l’Himalaya, bar-rière climatique ; la formation de l’Himalaya ; la diversité eth-nique ; la culture népalaise ; l’agriculture ; la houille blanche auNépal…

Un chapitre est consacré à l’intégration des réfugiés tibétains quiaffluèrent au Népal à la suite de l’entrée au Tibet des troupescommunistes chinoises et de l’exil du Dalaï Lama en mars 1959.D’après Toni Hagen ce sont près de 100 000 Tibétains qui fran-chirent les frontières du Népal durant la période 1959, 1960,1961 ; lourde charge pour un pays pauvre. Compte tenu des inci-dences politiques, le gouvernement népalais s’adressa à uneorganisation suisse neutre et en décembre 1959 Hagen proposaun programme d’intégration des réfugiés auquel le roi Mahendraréagit favorablement malgré la pression chinoise : transport denourriture par avion pilatus et création d’altiport, éloignementdes réfugiés des zones frontalières, création de centres de pro-duction artisanale (menuiserie, tapis, vêtements…). Toni Hagenfut chef de la délégation du CICR pour le secours aux réfugiéstibétains entre 1961 et1962.

A partir de 1963, expert de l’ONU, conseiller du Programmedes Nations Unis pour le développement, ses pas le portèrentvers d’autres horizons : Bolivie, Ethiopie, Yémen, Bangladesh… Toni Hagen est décédé en avril 2003.�

Philippe Fargeton

Tribhuvan Bir Bikram ShahTribhuvan Bir Bikram Shah était le descendant de PrithiviNarayan Shah, souverain du royaume Khas de Gorkha, quientreprit l’unification du Népal après la conquête de la valléede Kathmandu achevée en 1769.Le dernier souverain de la dynastie, le roi Gyanendra fut des-titué en mai 2008 laissant place à la République démocratiqueet fédérale du Népal.

La première route qui, depuis Birganj, reliait l’Inde àKathmandu, nommée Tribhuvan Raj Path (en l’honneur dusouverain régnant à cette période) fut construite entre 1953et 1956. Les automobiles qui roulaient sur les quelquesroutes de la vallée de Kathmandu avaient été transportéespar des équipes de 64 porteurs sur des plateformes en bam-bou, à travers les collines. Des photographies de 1930 témoi-gnent de la présence d’un parc automobile non négligeable etmême de la présence d’un "concessionnaire" Ford !

La fin de l’ère RanaDepuis Jang Bahadur Rana (1846) qui usurpa le pouvoir à ladynastie historique des Shah, les souverains ne sont plus quedes fantoches entre les mains de leur premier ministre héré-ditaire Rana.De peur de voir des idées rebelles se propager et ébranlerleur pouvoir, les Rana maintiennent le royaume dans le plusgrand isolement et rares sont les occidentaux qui peuvent ypénétrer.Le 6 novembre 1950, le roi Tribhuvan sort en secret du palaispour demander asile à l’ambassade de l’Inde à Kathmandu. Ilpart secrètement à New Delhi, accueilli par Nehru.Le premier ministre Mohan Shumsher Rana le destitua auprofit d’un petit fils du monarque âgé de trois ans : le princeGyanendra. (Celui qui deviendra roi après l’assassinat de sonfrère Birendra en 2001).Des troubles agitèrent le pays et le roi Tribhuvan revint àKathmandu le 15 février 1951 avec des représentants duNepali Congress.En novembre 1951 il prit le pouvoir effectif, subtilisé pendantprès de 100 ans par les Rana. Tribhuvan nomma un nouveaugouvernement et plaça à sa direction M.P. Koirala. En août1952, à la surprise générale, le souverain Tribhuvan prit lui-même la tête du gouvernement. Avec la chute du régime des Rana, une nouvelle période his-torique s’ouvrait au Népal.