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1 LA MOBILITE SOCIALE Plan : Introduction : Les relations entre la mobilité sociale, la stratification sociale et l’égalité des chances. I- Les outils d’analyse de la mobilité sociale A- Les différents types de mobilité B- Les tables de mobilité II- La mobilité sociale aux 19 ème et 20 ème siècles A- La révolution industrielle entraîne une importante mobilité au 19 ème siècle B- L’accroissement de la mobilité sociale au 20 ème siècle III- Fluidité sociale versus héritage social A- Les thèses en présence B- L’évolution de la fluidité sociale IV- Le phénomène de l’inégalité des chances A- L’inertie de l’inégalité des chances dans les sociétés libérales B- Les facteurs généraux de l’inégalité des chances V- Les interprétations de l’inégalité des chances A- Le poids des structures (BOURDIEU) B- Le jeu des acteurs (BOUDON) Chronologie : 1933 : Gratuité de l’enseignement secondaire 1936 : Scolarité obligatoire portée de 13 à 14 ans (Jean ZAY) 1947 : Présentation du plan LANGEVIN-WALLON 1959 : Scolarité obligatoire portée à 16 ans 1961 : Paradoxe d’ANDERSON 1964 : Publication du livre Les héritiers par Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON 1968 : Report de l’enseignement du latin de la 6 ème à la 4 ème , substitution de la notation par lettres aux notes traditionnelles, fin des classements 1970 : Publication du livre La reproduction par BOURDIEU et PASSERON 1971 : Publication du libre L’école capitaliste en France par Christian BAUDELOT et Roger ESTABLET 1973 : Publication du livre L’inégalité des chances de Raymond BOUDON 1975 : Loi sur le collège unique et les classes indifférenciées (René HABY) 1982 : Création des ZEP par ALAIN SAVARY 1982 : Publication du livre Tel père, tel fils ? de Claude THELOT 1985 : le ministre de l’Education nationale affirme la nécessité d’amener « 80¿ d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat » (à vérifier) 1999 : Publication de l’étude de Louis-André VALLET dans la Revue française de Sociologie montrant que l’association statistique entre origine et position sociale a diminué au rythme régulier de 0,5% par an de 1953 à 1993 en France 2001 : Sciences-Po met en place des conventions avec 7 lycées situés en ZEP autorisant l’admission sur dossier et entretien, sans passer le concours d’entrée

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LA MOBILITE SOCIALE Plan : Introduction : Les relations entre la mobilité sociale, la stratification sociale et l’égalité des chances. I- Les outils d’analyse de la mobilité sociale

A- Les différents types de mobilité B- Les tables de mobilité

II- La mobilité sociale aux 19ème et 20ème siècles A- La révolution industrielle entraîne une importante mobilité au 19ème siècle B- L’accroissement de la mobilité sociale au 20ème siècle III- Fluidité sociale versus héritage social

A- Les thèses en présence B- L’évolution de la fluidité sociale

IV- Le phénomène de l’inégalité des chances A- L’inertie de l’inégalité des chances dans les sociétés libérales B- Les facteurs généraux de l’inégalité des chances V- Les interprétations de l’inégalité des chances A- Le poids des structures (BOURDIEU) B- Le jeu des acteurs (BOUDON) Chronologie : 1933 : Gratuité de l’enseignement secondaire 1936 : Scolarité obligatoire portée de 13 à 14 ans (Jean ZAY) 1947 : Présentation du plan LANGEVIN-WALLON 1959 : Scolarité obligatoire portée à 16 ans 1961 : Paradoxe d’ANDERSON 1964 : Publication du livre Les héritiers par Pierre BOURDIEU et Jean-Claude

PASSERON 1968 : Report de l’enseignement du latin de la 6ème à la 4ème, substitution de la notation

par lettres aux notes traditionnelles, fin des classements 1970 : Publication du livre La reproduction par BOURDIEU et PASSERON 1971 : Publication du libre L’école capitaliste en France par Christian BAUDELOT et

Roger ESTABLET 1973 : Publication du livre L’inégalité des chances de Raymond BOUDON 1975 : Loi sur le collège unique et les classes indifférenciées (René HABY) 1982 : Création des ZEP par ALAIN SAVARY 1982 : Publication du livre Tel père, tel fils ? de Claude THELOT 1985 : le ministre de l’Education nationale affirme la nécessité d’amener « 80¿ d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat » (à vérifier) 1999 : Publication de l’étude de Louis-André VALLET dans la Revue française de

Sociologie montrant que l’association statistique entre origine et position sociale a diminué au rythme régulier de 0,5% par an de 1953 à 1993 en France

2001 : Sciences-Po met en place des conventions avec 7 lycées situés en ZEP autorisant l’admission sur dossier et entretien, sans passer le concours d’entrée

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Citations : A chaque instant, le serviteur peut devenir maitre et aspire à le devenir. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835. Les riches sortent chaque jour du sein de la foule et y retournent sans cesse. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835. Plus la classe dominante est capable d’intégrer les hommes éminents des classes dominées, plus durable et dangereuse sera sa domination.

Karl Marx, Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, 1867 Toutes les utopies socialistes sont sacrifiées au roast-beef et aux tartes aux pommes. Werner Sombart, 1906. L’action du milieu familial sur la réussite scolaire est presque exclusivement culturelle.

Pierre Bourdieu, 1964. Le système scolaire n’est pas un facteur de mobilité sociale ; au contraire c’est un des facteurs les plus puissants de conservation sociale car « il fournit l’apparence d’une légitimation aux inégalités sociales et il donne sa sanction à l’héritage culturel, au don social traité comme don naturel.

Pierre Bourdieu, 1970 Dans les quarante dernières années, la société française s’est très visiblement assouplie. Henri Mendras. La Seconde Révolution française, 1988. La France tâtonne avec son école. Elle a cru y démocratiser la réussite quand elle n'en a démocratisé que l'accès. Philippe Meirieu, directeur de l’IUFM de Lyon, Le Point, 27 janvier 2011. En réalité, nous n’avons fait que démocratiser l’accès sans démocratiser la réussite. Nous avons ouvert les portes de l’école sans donner à tous les élèves les moyens de s’y intégrer. Nous avons généralisé des méthodes pensées pour des enfants qui trouvent leur panoplie de bon élève au pied de leur berceau. En expliquant aux autres qu’ils pouvaient réussir, mais sans leur en donner les moyens, nous les avons humilies. Quand on ne pouvait pas accéder aux études, on pouvait toujours dire que la bourgeoisie écartait les enfants du peuple. Maintenant que les enfants du peuple sont a l’intérieur du système, mais en situation d’échec, ils ne peuvent sen prendre qua eux... ou aux enseignants. Philippe Meirieu, Le Monde, 14 mai 2002. La discrimination positive est dangereuse. Elle fragilise l’unité nationale. Elle prend acte des communautarismes au lieu de les transcender. François Fillon, ministre des affaires sociales, 8 décembre 2003. L’égalitarisme de notre système maintient l'inégalité.

Rapport de la Cour des Comptes, 2010. La France est le pays de l'OCDE où le retard scolaire à 15 ans est le plus important (...), un de ceux où les écarts de résultats entre élèves se sont le plus accrus [et] où l'impact de l'origine sociale sur les résultats des élèves est le plus élevé.

Rapport de la Cour des Comptes de 2010.

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Introduction : La mobilité sociale représente « le phénomène du déplacement des individus dans

l’espace social » selon la définition donnée par SOROKIN en 1927. La mobilité sociale suppose une différenciation sociale, sans quoi on ne pourrait dire

que les individus changent de catégorie sociale. Or, dans la plupart des sociétés, il existe en effet une hiérarchie des positions détenues par les individus et les groupes sociaux c’est { dire des inégalités sociales qui définissent l’espace social. Mais la mobilité sociale suppose aussi que ces frontières soient franchissables faute de quoi il ne pourrait y avoir qu’immobilité.

On peut opposer 2 types de structuration de la société : les sociétés de classes ou de strates où le statut est acquis et sujet à variation ; les sociétés de castes où le statut de l’individu est donné { la naissance et invariable (assigné). Les ordres de l’Ancien Régime n’étaient pas des castes car le clergé devait recruter ses membres dans les autres groupes et l’accession { la noblesse était possible même si elle demandait du temps. Les castes indiennes sont des groupes endogames, liés les uns aux autres par de complexes relations d’échange, spécialisés dans des activités propres et hiérarchisés. L’appartenance { une caste est héréditaire : on naît dans sa caste, on s’y marie, on en exerce la profession spécifique. Les castes sont hiérarchisées entre elles : elles sont plus ou moins riches, puissantes et considérées par l’opinion publique.

Les sociétés occidentales sont composées d’individus pouvant être regroupés en groupes sociaux ou classes sociales. Ces catégories sont plus ou moins hiérarchisées quant au revenu, niveau d’instruction, pouvoir, prestige, niveau culturel, mode de vie. Comment les individus sont-ils affectés dans ces groupes sociaux ? Le sont-ils selon des mécanismes rigides qui leur échappent, ou peuvent-ils en changer et ont-ils les moyens d’agir en ce sens ? Comment expliquer le poids de l’héritage social ? La mobilité sociale est-elle en voie d’augmentation au point de permettre d’atteindre l’idéal méritocratique ou bien au contraire l’ascenseur social est-il en panne ?

Nous répondrons à ces questions dans ce chapitre. La mobilité sociale est un des thèmes majeurs de la sociologie contemporaine. Cet intérêt s’explique par la contradiction existant entre l’idéal d’égalité des chances et la réalité marquée par une inégalité des chances devant l’instruction et devant l’emploi, en fonction du milieu social d’origine. Les causes de cette contradiction sont multiples et se situent au niveau de la famille, du système scolaire et des mécanismes sociaux en général.

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I) Les outils d’analyse de la mobilité sociale : A) Les différents types de mobilité :

1°) La mobilité intra générationnelle et la mobilité intergénérationnelle :

La mobilité intra générationnelle ou professionnelle regroupe les changements de statut social au cours d’une vie professionnelle.

La mobilité intergénérationnelle regroupe les changements de statut social entre les générations. Bien souvent la mobilité sociale est ramenée à ce second aspect.

2°) La mobilité verticale et horizontale :

La mobilité verticale désigne le déplacement entre des positions sociales hiérarchisées, impliquant soit une ascension sociale soit une régression sociale. La société est représentée comme une échelle dont les différents barreaux constituent les catégories sociales ; il s’agit alors d’observer les conditions du déplacement des individus sur ces barreaux. La mobilité ascendante représente le passage d’un individu d’un groupe social { un autre jugé supérieur (ouvrier cadre). La mobilité est descendante dans le cas inverse. Parfois il est difficile de préciser si la mobilité est ascendante ou descendante (ouvrier qualifié employé).

La mobilité horizontale désigne le déplacement au sein de l’espace social sans qu’il y ait hiérarchie entre les différentes positions. Exemple : changement de secteur professionnel (boulanger boucher).

Le plus souvent, les sociologues parlent de mobilité sociale pour désigner la mobilité verticale intergénérationnelle.

3°) La mobilité structurelle et la mobilité nette :

L’analyse de la mobilité sociale entre générations et l’étude de son évolution ont longtemps reposé sur la distinction conceptuelle entre mobilité structurelle (ou mobilité forcée) et mobilité nette (ou pure ou de circulation). La 1ère était vue comme résultant de la seule évolution de la structure sociale au cours du temps, la 2nde mesurait le degré de fluidité de la société.

Partons d’un exemple où la société est composée de 2 groupes, les cadres et les ouvriers, avec un déclin numérique du 2nd groupe par rapport au 1er. La réduction du nombre d’ouvriers implique nécessairement qu’une partie des fils d’ouvriers occupe une profession non agricole. Il se peut aussi que des fils de cadres deviennent ouvriers, mais ce n’est pas obligatoire. On peut alors imaginer 2 situations : 1- Il ne se produit que le minimum de changements compatibles avec l’évolution des groupes

sociaux, et alors aucun fils de cadre ne devient ouvrier. La mobilité qui affecte la société, si importante soit elle, est la plus faible possible compte tenu de l’évolution numérique des groupes sociaux. On dira que toute la mobilité observée est une mobilité structurelle. Elle se définit comme la partie de la mobilité sociale qui découle des changements structurels de la population active.

2- Ou bien la mobilité est plus importante. La différence entre la mobilité totale et la mobilité structurelle est appelée mobilité nette. Elle désigne souvent la perméabilité des groupes sociaux, la fluidité des groupes sociaux. Méthode souvent utilisée : on ajuste à la table de mobilité de l’année t0 les distributions professionnelles de l’année t1 et on la compare aux données réellement obtenues en t1.

Mobilité totale – Mobilité structurelle = Mobilité nette

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Encadré 1 : la mobilité structurelle et la mobilité nette a) Mobilité nette absente : Pères 5 5 10 Fils Flux d’immobilité : 15 Flux de mobilité structurelle : 5 b) Mobilité nette présente : Pères 3 2 5 2 8 Fils Flux d’immobilité : 11 Flux de mobilité structurelle : 5 Flux de mobilité nette : 4

La mobilité structurelle est constituée de flux des catégories en régression vers les catégories en expansion, elle est plutôt ascendante. La mobilité nette se compose de flux ascendants et descendants de même ampleur, par définition. C’est un jeu à somme nulle. Elle est maximale quand la CSP du fils est indépendante du père, c’est { dire que les fils se répartissent proportionnellement aux possibilités d’accueil des CSP. La distinction entre mobilité structurelle et nette a été introduite en France par Raymond ARON en 1964.

10 agriculteurs

5 agriculteurs

10 employés

15 employés

10 agriculteurs

5 agriculteurs

10 employés

15 employés

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B) Les tables de mobilité La mesure de la mobilité sociale entre les générations s’effectue { travers les tables de mobilité. Ce sont des tableaux qui permettent de comparer la position sociale d’un individu avec celle de leur père. Les données se présentent sous 2 formes : - en termes de destinée sociale : comment se répartissent les fils d’agriculteurs ? - en termes de recrutement social : quelle est l’origine sociale des agriculteurs ?

Il existe 2 modèles extrêmes :

- celui de mobilité nulle ou de reproduction sociale ; les enfants ont la même position sociale que leur père. « Tel père, tel fils ».

- celui de mobilité parfaite : la catégorie sociale du fils est indépendante de celle du père. La probabilité d’accéder { une catégorie sociale est la même quelle que soit le milieu d’origine. Par exemple, si la part des cadres dans la population active est de 10%, cela signifie que 10% des fils de chaque PCS deviennent cadre. Ce que l’on appelle parfois l’égalité des chances.

Entre ces deux extrêmes, on trouve deux situations intermédiaires : - Une faible mobilité caractérise une société rigide où les positions sociales sont fortement

marquées par la naissance et l’héritage social - Une forte mobilité traduit une société ouverte, récompensant les efforts des individus,

selon un modèle que l’on qualifie parfois de « méritocratique » car les positions sociales sont liés aux talents et aux efforts et non à la naissance.

Les limites des tables de mobilité : - Prise en compte seulement des hommes de 40 à 59 ans, soit un quart des actifs. - Prise en compte marginale des femmes jusqu'à une période récente - Plus on multiplie le nombre de catégories, plus on donne l’impression que la société est

mobile En revanche, plus on agrège, moins les passages d’une catégorie { une autre sont nombreux et plus on a l’image d’une société bloquée.

- Un changement de CSP ne signifie pas forcément un changement de conditions de vie : le prestige et les conditions de vie des professions changent au cours du temps. Par exemple, un fils d’instituteur devenant professeur du secondaire ne connait pas nécessairement une ascension sociale.

- La mobilité ascendante ou descendante est difficile à mesurer car la classification en CSP ne donne pas une hiérarchisation sociale stricte. Un fils d’ouvrier devenant employé de base ne connait pas une ascension sociale.

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Les tables de mobilité dans la 2eme partie du 20ème siècle ont montré 3 idées majeures : * l’importance de l’hérédité sociale * l’importance des trajets courts * l’importance des catégories moyennes comme étapes dans les parcours de mobilité 1°) L’importance de l’hérédité sociale :

Elle est révélée par les chiffres élevés de la diagonale principale. En termes de destinées, les PCS où l’héritage social est le plus fort sont les cadres, les ouvriers, les professions intermédiaires et artisans. Il est plus faible chez les employés. En termes de recrutement, les PCS où l’héritage social est le plus fort sont les agriculteurs exploitants, les ouvriers, les artisans et commerçants. Le poids du passé familial remonte au-del{ du père. L’analyse des positions des grands-pères paternels fait apparaître un effet généalogique : les fils de cadres qui deviennent ouvriers avaient souvent un grand-père ouvrier.

2°) Le principe de proximité sociale : Dans la France des années 1960 et 1970, le nombre d’emplois ouvriers est resté

relativement stable, les emplois agricoles ont diminué et les emplois tertiaires ont augmenté. On aurait pu imaginer que les enfants d’agriculteurs travaillent massivement comme enseignants, cadres, ingénieurs. Tel ne fut pas le cas car les enfants de la petite paysannerie ont occupé des postes d’ouvriers et une partie des enfants d’ouvriers ont occupé des postes d’employés. Ainsi, d’après l’enquête de 1993, 35¿ des fils d’agriculteurs deviennent ouvriers et 10% cadres.

Les flux de mobilité tendent à relier principalement des catégories sociales voisines dans la hiérarchie sociale et correspondent donc à des déplacements de faible ampleur. Ce principe implique des mécanismes en chaîne, comme dans un jeu de billard où une boule transmet son mouvement à plusieurs autres successivement.

SOROKIN (1927) avait déj{ noté que la mobilité était d’autant plus fréquente qu’elle était de faible amplitude. Les trajets longs sont exceptionnels et Alain GIRARD notait déjà en 1951 : « On ne rencontre pour ainsi dire pas de manœuvre ni d’ouvriers agricoles parmi les grands-parents des lycéens ou des étudiants. » Illustrations : la mobilité des ouvriers se fait { l’intérieur de la classe ouvrière vers des métiers de

contremaître ou technicien : 48% des contremaîtres ont un père ouvrier. l’installation comme artisan est une forme de mobilité pour les ouvriers les plus qualifiés

nécessitant certaines compétences et valeurs. les employés constituent un sas intermédiaire entre ouvriers et non ouvriers.

En conséquence, le phénomène d’héritage social est plus marqué aux extrémités de l’échelle sociale.

3°) La mobilité sociale est plutôt ascendante : Il est presque possible d’ordonner les CSP dans le sens d’une évolution linéaire.

Agriculteur ouvrier employé profession intermédiaire cadre.

Ce schéma reflète les transitions séculaires de l’économie française et explique aussi l’homogénéité très variable des différentes CSP. Le monde agricole est le point de départ d’une véritable diaspora sociale. Les fils d’ouvriers deviennent pour moitié ouvriers et pour moitié se destinent aux CSP de

services. Ils connaissent une destinée très proche des fils d’agriculteurs qui ne restent pas à la ferme.

Les fils de cadres deviennent cadres à 50%. Les cadres viennent de tous les horizons, les agriculteurs d’un seul.

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II) Le phénomène de mobilité sociale aux 19ème et 20ème siècle et ses interprétations : A) Le 19ème siècle : la Révolution industrielle entraîne une intense mobilité sociale 1°) Les faits :

DUPAQUIER et KESSLER1, ont fait une enquête à partir de 45 000 actes de mariages au 19ème siècle. Ils montrent que la société française du 19ème est beaucoup plus mobile qu’on ne l’imagine généralement. L’impression d’immobilité vient du maintien d’une énorme masse paysanne, dont les structures n’évoluent guère. Le nombre de ruraux est resté assez stable, aux alentours de 24 000 000. Par contre le nombre de citadins est passé de 5 à 17 000 000. Les campagnes surpeuplées ont envoyé massivement des garçons et des filles en ville, entraînant une mobilité sociale accrue. Sur les 17 000 000 de citadins en 1901, les ¾ sont d’origine rurale. Le nombre d’emplois dans le secteur secondaire est passé de 2 600 000 { 6 200 000 ; dans le secteur tertiaire de 1 800 000 à 5 300 000. Dans le même temps, le nombre d’exploitations agricoles ne diminue pas, il avoisine 5 700 000 { la fin du siècle. Le nombre d’exploitants augmente tandis que le nombre de salariés agricole diminue. En termes de recrutement, tous les secteurs d’activité s’alimentent aux mêmes puissante sources : les exploitants agricoles et, dans une moindre mesure, le prolétariat rural et l’artisanat. Ces groupes se « sur-reproduisent » du fait d’une fécondité plus forte et d’une mortalité plus faible qu’en ville. Pour les artisans, le taux d’autorecrutement est situé entre 30 et 50¿, les exploitants

agricoles fournissent le 2nd contingent. Pour les catégories en expansion récente, l’autorecrutement est très faible, par définition :

sur 100 instituteurs, 9% ont un père instituteur, 33% un père agriculteur, 18% un père propriétaire ou profession libérale, 12% un père artisan, 9% un père ouvrier agricole.

Pour la classe ouvrière, le recrutement est hétérogène : dans le textile, seuls 18% ont un père ouvrier, 25¿ agriculteur, 13¿ journalier, 12¿ artisan, 8¿ propriétaire. On n’est guère ouvrier de père en fils, au moins jusqu’en 1880.

En termes de destinée, la transmission du métier est moins forte qu’on ne l’attendait,

sauf chez les paysans, même si on retrouve des fils d’agriculteurs médecin, avocat, pharmacien. Les artisans et les commerçants et les ouvriers agricoles constituent des catégories

passoire, autour desquels s’articulent des flux de mobilité dans tous les sens. Les fils d’ouvriers deviennent en majorité ouvrier (56¿), les autres se retrouvent dans

toutes les professions. Chez les fils d’instituteurs, on ne compte que 16¿ d’instituteurs contre 25¿ d’artisans. Chez les fils d’hommes de loi, seuls 16¿ restent dans le monde juridique et 46% dans le

monde des instruits. On compte 6¿ d’agriculteurs, 6¿ d’artisans, 6¿ de négociants. L’impression qui domine est celle de passage, de transition. Les corporations d’ancien

régime ont été supprimées, d’anciens métiers fermés sont devenus ouverts. Quant { l’homogamie, elle paraît inférieure { l’autorecrutement. Elle est forte chez les

exploitants agricoles (71%) les propriétaires et les rentiers (45%) mais plus limitée chez les ouvriers agricoles (38%), chez les artisans (28%), et encore plus faible chez les petits commerçants. Il y a ici deux coupures : la coupure ville/campagne, la coupure entre les paysans indépendants et le prolétariat rural.

1 Jacques Dupaquier et Denis Kessler, La société française au 19ème siècle : tradition, transition, transformations, Fayard, 1992.

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2°) Les interprétations de la mobilité sociale au 19ème siècle :

a) Pour les économistes libéraux, la mobilité sociale est une des conditions du progrès Benjamin Constant (1767-1830), Jean-Baptiste Say (1767-1832), Fréderic Bastiat

(1801-1850), Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916) y voient une condition du développement économique. La libre concurrence permet aux meilleurs de s’imposer. Les travailleurs doivent être libres de passer des contrats avec les employeurs et aussi de changer d’activité ou de région en fonction des opportunités. La concurrence permet d’attirer les travailleurs les plus compétents, d’éviter de pérenniser des situations de privilèges, d’avantages acquis. Les inégalités sont d’autant plus supportables que les individus peuvent changer de position dans la hiérarchie.

b) Pour Alexis de TOCQUEVILLE (1805-1859), la mobilité sociale est une caractéristique de l’état social démocratique

C’est un ardent défenseur du libéralisme politique. Après un voyage de 10 mois (1831-1832) aux USA pour étudier le système pénitentiaire américain, il publiera en 1935, De la démocratie en Amérique.

Il montre le passage d’un état social aristocratique { un état social démocratique, rendu possible par la progression durable et irrésistible de l’égalité des conditions. Celle-ci, compatible avec l’inégalité des revenus, recouvre 3 dimensions : Il s’agit d’abord d’une égalité politique et juridique : une égalité des droits. Les individus

des temps démocratiques sont des citoyens qui ne peuvent différenciés pas les privilèges, il n’existe plus de caste, la loi est la même pour tous.

Il s’agit ensuite d’une égalité des chances qui autorise la mobilité sociale : « Les riches sortent chaque jour du sein de la foule et y retournent ». cela ne signifie pas que les inégalités économiques n’existent plus, mais la possibilité de mobilité sociale ascendante permet de mieux les accepter. Chacun peut prendre la place de l’autre : « A chaque instant, le serviteur peut devenir maître et aspire à le devenir ». La relation de subordination n’est acceptée qu’en vertu d’un contrat et dans la limite de ce contrat, elle n’est que temporaire.

Il s’agit enfin d’une égalité de respect. Dans l’imaginaire démocratique. L’égalité se propage dans les mœurs, devient une norme, il règne un esprit d’égalité qui peut se définir comme la tendance des individus à se considérer comme égaux indépendamment des inégalités réelles.

TOCQUEVILLE comprend que l’Amérique est le terrain idéal pour observer l’égalité des conditions, car les Américains ont eu la chance d’ « être nés égaux au lieu de le devenir ».

Pour lui, égalité des conditions = démocratie. Celle-ci est un état social qui permet la mobilité sociale et la disparition des classes sociales, et l’uniformisation des modes de vie. La démocratie est dominée pas une vaste classe moyenne où « tous les individus y sont à peu près égaux en lumières et en biens ».

Les sociétés démocratiques ne prédisposent pas aux révolutions. En effet, les citoyens appartenant { cette classe moyenne n’ont pas assez de biens pour susciter l’envie (ils possèdent { peu près tous la même chose) mais en possèdent assez pour désirer l’ordre (ils veulent éviter de perdre leur propriété). La majorité des citoyens ne voit pas clairement ce qu’elle pourrait gagner { une révolution mais sent ce qu’elle pourrait y perdre.

Par contre, les petits conflits se multiplient, chacun devenant un égal mais aussi un rival. L’idéal d’égalité fait que les inégalités restantes sont insupportables et entraînent des conflits sociaux.

Égalité les inégalités restantes sont insupportables conflits sociaux

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c) Pour Karl MARX (1818-1883), la faiblesse de la mobilité sociale dans les sociétés capitalistes renforce la lutte des classes 1- La mobilité sociale est une question qui n’a pas lieu de se poser :

L’œuvre de Marx tend { ignorer ou négliger la question de la mobilité des individus. La question centrale est le conflit entre bourgeoisie et prolétariat, qui est le moteur principal du changement social. Les individus n’interviennent dans l’analyse que dans la mesure où ils occupent telle ou telle place dans le mode de production capitaliste. Les places sont indépendantes de leurs occupants.

Quand bien même elle viendrait { se manifester, elle n’empêcherait pas l’essentiel, { savoir la reproduction des rapports de classe. Ce qui conduit à affirmer que la mobilité peut être totale sans que les rapports de classe en soient affectés. Tant que l’immense majorité de la majorité de la population ne possède pas les moyens de production, la mobilité est un phénomène marginal. La seule mobilité possible est collective : au travers de la lutte des classes et de la révolution, le mouvement ouvrier doit devenir un ascenseur pour classe.

Il s’agit d’une analyse holiste dans laquelle les comportements des individus sont le produit de mécanismes sociaux qui les dépassent.

N. POULANTZAS, Les classes sociales dans le capitalisme d’aujourd’hui, 1974, affirmera même que l’étude de la mobilité relève d’une « problématique bourgeoise » ne faisant que refléter les origines de classe des chercheurs.

2- Sa faiblesse vient confirmer la lutte des classes :

Il est préférable qu’elle soit faible dans une optique révolutionnaire, cela attise la lutte des classes. Les meilleurs éléments des classes dominées sont poussés { l’action collective. Contrairement à TOCQUEVILLE, les conflits sociaux sont le fruit de la hausse des inégalités.

A l’inverse, une forte mobilité sociale est un frein au processus de formation des classes sociales et à la révolution car elle empêche le développement de la conscience de classe : « Plus la classe dominante est capable d’intégrer les hommes éminents des classes dominées, plus durable et dangereuse sera sa domination » écrit MARX dans Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, 1867, p 614.

Les marxistes mettent l’accent sur l’immobilité et non sur la mobilité car ils pensent que les classes sociales sont étanches.

d) Les sociaux-démocrates vont se démarquer du courant marxiste : BERSTEIN, 1899, conteste la thèse de la paupérisation de la classe ouvrière en

constatant la différenciation croissante de la société capitaliste qui augmente les chances d’ascension sociale. W. SOMBART explique la difficulté de pénétration du socialisme aux EU par les possibilités d’ascension sociale, ceci entraînant un certain conformisme intellectuel. « Toutes les utopies socialistes sont sacrifiées au roast-beef et aux tartes aux pommes » écrit-il en 1906.

La mobilité est inséparable de la montée de la classe moyenne. La classe moyenne n’est pas seulement une 3ème classe ajoutée aux 2 autres, et qui n’en diffère qu’en degrés. Ce qui fait son originalité ce sont les échanges continuels avec les 2 autres classes. Les frontières sont remplacées par des transitions permanentes. Une société où la classe moyenne est prédominante connaît une grande mobilité.

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B) Le 20ème siècle : la mobilité sociale progresse En 1957, Alain Girard notait que « le progrès technique et la division du travail, la croissance des villes et l’industrialisation ont provoqué une intense mobilité dans les sociétés occidentales ».

1°) France 1953-1993 : l’augmentation de la mobilité entre les générations : Étude de Louis-André VALLET (1999) :

En 1953, 50,7% des hommes âgés de 30 à 59 ans étaient classés dans la même CSP que

leur père. Cette immobilité décroît continûment au cours des décennies suivantes : 40% en 1970, 37,6% en 1977, 36,5% en 1985 et à 35,1% en 1993 en 2003.

Si on rapproche la position sociale des femmes à la CSP de leur père, la baisse de l’immobilité est encore plus prononcée : elle est passée de 47.6% en 1953 à 22,9% en 1993. (36.2% en 1970, 30.5% en 1977, 23.9% en 1985). Soit une chute de 25 points contre 15 points pour les hommes.

Ainsi, au milieu du siècle, un actif sur 2 avait quitté son milieu d’origine. Au début des années 1990, c’est le cas de 2 hommes sur 3 et de 3 femmes sur 4. Cela renvoie aux transformations profondes de l’économie : passage d’une société fortement agricole { une société industrielle, puis postindustrielle déclin de la paysannerie et de la petite bourgeoisie indépendante, 2 classes marquées par

un haut degré d’immobilité entre générations La croissance des Trente Glorieuses a créé les conditions d’une mobilité ascendante qui

est, d’ailleurs, devenue un des ressorts de cette croissance. Aspects les plus saillants des transformations : En termes de destinées sociales le maintien dans la catégorie paternelle a baissé pour toutes les CSP sauf pour les cadres

moyens et supérieurs (stabilité) le classement dans la catégorie paternelle a beaucoup baissé chez les agriculteurs, qu’ils

soient exploitants et ouvriers pour les artisans et commerçants, la diminution de l’immobilité s’est interrompue chez les

hommes depuis la fin de la décennie 1970. Le statut se transmet de moins en moins chez les non salariés.

bien que plus faible, la diminution de l’immobilité sociale a été régulière jusqu’au milieu des années 1980 pour les enfants d’ouvriers et contremaîtres ; Les fils et filles d’ouvriers se retrouvent plus souvent qu’en 1953 cadres moyens et supérieurs

la probabilité de devenir cadre supérieur est restée stable pour les fils de cadre supérieur, alors qu’il y a eu hausse pour toutes les autres CSP

En termes de recrutement : l’autorecrutement des agriculteurs et agricultrices exploitantes est très stable et très

important tout au long de la période étudiée l’autorecrutement a baissé chez les artisans et commerçants, les industriels et professions

libérales le recrutement des cadres supérieurs dans la classe ouvrière est devenu plus fréquent, à la

fois chez les hommes et les femmes l’autorecrutement de la classe ouvrière diminue jusqu’{ la décennie 1970 puis augmente

depuis cette date

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2°) L’importance de la mobilité structurelle : GOUX et MAURIN affirment : « Pour une génération donnée, la mobilité est un

phénomène dont l’ampleur s’explique mal par des arguments économiques. En revanche, d’une génération à l’autre, l’intensification des flux de mobilité est avant tout une réponse aux variations du contexte économique. » a) L’évolution de la structure socioprofessionnelle

L’industrialisation et la tertiairisation ont été des facteurs puissants de la mobilité structurelle au XXème siècle. De nombreux fils d’agriculteurs sont devenus employés ou cadres. Les agriculteurs constituaient 44% des hommes actifs en 1901, 26% en 1954 et 7,5% en 1989. b) La fécondité différentielle

Elle désigne les différences de fécondité entre les groupes sociaux. On observe en général une plus forte fécondité dans les classes inférieures.

N.B. : Ces chiffres ont obtenus { partir des résultats issus de l’enquête Etude de l’histoire familiale (EHF)

réalisée en 1999, appelée encore « Enquête Famille ».

Il existe une dysharmonie entre la reproduction biologique et la reproduction sociale : les

CSP en voie de réduction sont celles qui ont la plus forte fécondité. Si en moyenne, un couple d’agriculteurs a 3 enfants, il y aura mobilité structurelle même si la part des agriculteurs dans la population active reste stable.

Selon Daniel Bertaux (1985), la fécondité différentielle rend compte de 25% des flux de mobilité structurelle en France. c) Les migrations

Les travailleurs immigrés se concentrent plutôt, dans les pays développés, dans des catégories spécifiques situés au bas de l’échelle sociale. Se faisant, ils permettent une plus grande mobilité de la main d’œuvre en « libérant » ceux qui autrement auraient occupé ces emplois. Partant du bas de l’échelle sociale, cet effet se répercute sur l’ensemble des catégories. Aussi les pays de forte immigration comme les USA connaissent en général une forte mobilité sociale.

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Etrangers Total actifs occupés Agriculteurs exploitants 0.7 3.6 Artisans, commerçants, chefs d’entreprise 9 7.5 Cadres, professions intellectuelles supérieures 9.3 13 Professions intermédiaires 10.5 21 Employés 24.2 28.4 Ouvriers 46.3 26.4

Source : INSEE, enquête sur l’emploi, 1995. 3°) Les spécificités féminines : Les femmes sont surreprésentées dans la CSP des employées, qui constitue un groupe

charnière pour elles. La mobilité sociale des femmes – par rapport à la position de leur père - est plus forte que celle des hommes car elle est plus structurelle : les femmes occupent des postes d’employés plutôt que d’ouvriers, des postes de salariés plutôt que d’indépendants. Mécaniquement, cette spécificité de l’emploi féminin éloigne les filles de leur père. Pour la même raison, la mobilité sociale des femmes apparaît plus descendante.

Le mariage influence la mobilité sociale des femmes dans la mesure où dans une majorité de couples le mari a une position sociale plus élevée que la femme. GOLDTHORPE (1987) a montré qu’en Grande Bretagne, la mobilité par le mariage des femmes est plus élevée que la mobilité professionnelle des hommes. A ce propos, dans la langue littéraire, un mariage « morganatique » s'applique à tout mariage entre personnes de rang social très différent ; par exemple l'ouvrière qui épouse le fils de son patron pourra faire figure d'épouse « morganatique ». Mme de Maintenon, qui jeune fille était sans le sou, fut l'épouse morganatique de Louis XIV.

Il ne faut pas non plus exagérer l’influence du mariage sur la mobilité sociale en raison de l’endogamie, désignant le fait d’avoir un conjoint appartenant au même groupe social que soi. L’endogamie est plus marquée en haut et en bas de l’échelle sociale ; dans l ‘enquête de l’INED de 1959, les 2/3 des enfants d’agriculteurs et la ½ des enfants d’ouvriers avaient un conjoint de même origine. L’endogamie est plus faible chez les classes moyennes. Pour de SINGLY la baisse de l’endogamie prévue par SHORTER (1977) n’a pas eu lieu. Même l’union libre n’a pas modifié ce principe.

L’influence de la « dot scolaire » : (François DE SINGLY)

Les femmes de milieu modeste se mariant avec un homme possédant un statut social

supérieur le doivent à leur diplôme. Un bon diplôme ouvre le chemin à un bon mariage pour les filles de milieu modeste en leur apportant une « valeur ajoutée ». « L’ascension par le mariage dérive du capital scolaire accumulé par la femme ». Ceci en relation avec le faible rendement du diplôme sur le marché du travail. Cela montre que les agents sur le marché matrimonial, au lieu d’être des pions passifs obéissant à des règles sociales sur lesquelles ils n’ont pas prise, mettent en œuvre une stratégie pour maximiser leur dot scolaire.

Le capital scolaire n’a pas d’effet en soi, il se combine aux autres richesses détenues par les conjoints. D’après des travaux américains, le capital scolaire n’augmente la valeur matrimoniale de la femme que s’il est couplé { une autre richesse, soit un milieu social élevé, soit un capital esthétique. D’après Michel BOZON (1991), les femmes diplômées du supérieur, cadres, ont plus de chances d’épouser un cadre supérieur lorsque leur père est cadre (61¿) que lorsqu’il est profession intermédiaire (37¿) ou membre des classes populaires (20¿).

Un bon diplôme incite les femmes à gérer elles-mêmes leur fortune culturelle par le travail et à ne pas attendre que les revenus et le statut proviennent du mari comme pour les

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femmes au foyer. Depuis 40 ans, le taux d’activité des femmes a sans cesse augmenter et devient proche de celui des hommes.

Il les incite de plus en plus à rester célibataires. Cf. les taux de célibat à 35 ans en 1990 : 17% pour les ouvrières et 31% pour les cadres. La vie familiale peut nuire à la carrière de la femme { cause des tâches domestiques et d’une zone de recherche d’emploi plus restreinte. En moyenne, les femmes célibataires ont, à diplôme égal, une plus grande probabilité de devenir cadres supérieur que les femmes mariées. C’est le contraire pour les hommes.

4°) Le ralentissement économique depuis 1973 a-t-il eu un effet sur la mobilité ? Jacques CHIRAC a popularisé le thème de la panne de l’ascenseur social pendant la

campagne pour l’élection présidentielle de 1995 sous l’expression de « fracture sociale ». Selon Camille Peugny2, la part des trajectoires descendantes est passée de 25% pour

les générations nées entre 1944 et 1948, à 35% pour les générations nées entre 1964 et 1968. Ce déclassement touche surtout les enfants des classes moyennes confrontés à un phénomène de concurrence sociale, et ceux qui ont des parents moins diplômés.

A ce déclassement intergénérationnel s’ajoute un déclassement professionnel, du fait d’un niveau de formation initiale supérieur à celui requis en théorie pour exercer l’emploi occupé. Selon l’INSEE, ce déclassement professionnel concernerait entre 21% et 28% des jeunes ayant terminé leurs études en 1998 et en emploi en 2001.

L’idée de panne de l’ascenseur social vient surtout de la situation des 18-30 ans qui ont été touchés par la montée du chômage de longue durée et la précarité du travail à partir des années 1980. De plus en plus de jeunes alternent chômage, emplois précaires ou stages. Or ces personnes ne sont pas prises en compte dans les tables de la mobilité qui ne répertorient que les individus déjà bien installés dans leur carrière professionnelle (au-delà de 40 ans). En réduisant le nombre de postes proposés, la crise induit une lutte accrue pour les places disponibles. Ces tendances fragilisent les classes moyennes qui incarnaient les chances de mobilité sociale et qui en diffusaient l’idéologie méritocratique. La lutte des classes cède la place à la lutte des places.

5°) L’évolution de la mobilité professionnelle : Entre 1998 et 2003, 20¿ d’un échantillon de 15 millions d’hommes et de femmes d’âge

moyen (30-54 ans) ont changé de groupe professionnel. Vingt ans plus tôt, ce genre de mobilité professionnelle ne touchait que 14¿ des mêmes tranches d’âge. La part des personnes ayant connu une mobilité ascendante a augmenté, elle est passée de 9,7% à 15,1% pour les hommes, et de 6,6% à 10,5% pour les femmes. La mobilité descendante progresse aussi significativement, elle a doublé en 20 ans. De 1998 à 2003, plus de 6,5% des salariés d’âge moyen ont régressé dans l’échelle des groupes, comparés aux 3,2¿ relevés en 1985.

Les entreprises sont de plus en plus flexibles et développent des organisations par projet, ce qui alimente les flux de mobilité. Les salariés sont appelés à connaître plus fréquemment des changements professionnels. Les mobilités sont aussi horizontales et impliquent un élargissement fonctionnel, voire une reconversion dans un autre métier.

Beaucoup de salariés perçoivent la mobilité comme un risque dès lors qu’elle n’est pas liée à une promotion. Le fait que la mobilité puisse être un moyen de maintenir ou accroitre sa valeur marchande n’est pas encore bien intégrée par tous les salariés.

La mobilité professionnelle est plus forte aux USA : la durée moyenne d’occupation d’un emploi y est de 3.4 ans contre 7.3 ans en Europe continentale (10 ans en Allemagne). Pour attirer de nouveaux talents, les entreprises américaines n’hésitent pas { offrir diverses prestations : aide au déménagement, recherche d’un nouveau logement et vente de l’ancien, paiement de la scolarité des enfants, recherche d’emploi pour le conjoint, stock-options. 2 Camille Peugny, Le Déclassement, Grasset, coll. « Mondes vécus », 2009.

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6°) La mobilité aux Etats-Unis : Dans les années 1980 la mobilité sociale fonctionnait. Une étude de département du

Trésor portant sur les années 1979-1988, répartissant la population en 5 catégories de revenus, montrait que 14% des familles qui se trouvaient en 1979 au niveau le plus bas y étaient toujours en 1988. Toutes les autres familles avaient monté dans la hiérarchie des revenus, 14.7¿ d’entre elles ayant même atteint le niveau le plus haut.

Une autre enquête de l’Université du Michigan, portant sur les années 1975-1991, montre que moins de 1% des familles du groupe des revenus les plus faibles en 1975 y étaient restées sur toute la période. III- Fluidité sociale versus héritage social : A) Les thèses en présence :

1°) 1ère thèse : le degré de mobilité sociale n’évolue pas { long terme a) thèse de SOROKIN : « fluctuations sans tendance » de la mobilité absolue (1927)

C’est un ancien ministre du gouvernement Kérenski qui fut professeur { Harvard après la révolution russe d’Octobre. En 1927, il publie son livre « La mobilité sociale » qu’il définit comme « le phénomène du déplacement d’individus dans l’espace social ». Il a pris le contre-pied du marxisme en mettant l’accent sur la mobilité sociale plutôt que sur l’immobilité.

La mobilité est le résultat complexe du filtrage des individus par une suite d’instances d’orientation comme la famille, l’école, l’Eglise, l’armée, le parti, le syndicat. En effet, pour SOROKIN les structures d’une société manifestant toujours une certaine continuité dans le temps, la société doit comporter des mécanismes ayant pour fonction de maintenir ces structures par-delà les changements incessants des individus sur lesquels elles reposent.

Dans les sociétés traditionnelles, la famille joue un rôle prédominant dans la mobilité ; ainsi dans de nombreuses sociétés agraires, la terre revient { l’aîné. Dans les sociétés industrielles, la famille garde un rôle dans la mesure où elle contribue à déterminer le niveau scolaire et les attentes sociales de l’enfant. La famille a tendance { freiner la mobilité car une mobilité excessive tend à affaiblir la continuité familiale. Elle tend { imposer { l’enfant un niveau scolaire déterminé par son propre statut. Mais l’évolution technique et économique affaiblit son rôle au profit de l’école en augmentant la demande en personnel qualifié ; l’école sélectionne les individus et les oriente.

Pour Sorokin, la mobilité sociale résulte du jeu complémentaire des instances d’orientation et des structures sociales.

Il n’y a pas de tendance de long terme { la hausse ou { la baisse dans le domaine de la mobilité verticale. Il reconnaît que de nombreuses tendances aient pu exister au cours de l’histoire, par exemple l’hérédité des professions a décru au 19ème siècle. Mais sur très longue période, SOROKIN voit des vagues de plus forte mobilité remplacées par les vagues de plus grande immobilité.

b) thèse de fluidité sociale constante popularisée par GOLDTHORPE (1980)

Formulée en 1975 par HAUSER, KOFFEL, TRAVIS et DICKINSON sous le terme d’invariance temporelle du régime de mobilité : C’est une thèse dans la continuité de la précédente mais plus subtile. Selon cette thèse, l’existence de variations dans les taux de mobilité observés ne serait due qu’{ des transformations structurelles comme l’évolution de la distribution des emplois. Il s’agit ici d’invariance de la mobilité relative et non de la mobilité absolue comme chez SOROKIN. Le titre de l’ouvrage de GOLDTHORPE et ERIKSON (1992) s’appelle : « Le flux constant ». Elle conduit { supposer qu’un niveau fixe d’inégalité des chances sociales est inscrit au cœur de la structure des sociétés modernes.

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2°) 2ème thèse : le degré de mobilité sociale augmente à long terme La thèse de l’universalisme de BLAU et DUNCAN (1967)

Cette thèse opère un lien entre la mobilité sociale et le niveau de développement économique, appelée l’universalisme. En raison des changements technologiques ayant lieu dans les sociétés industrielles, les conditions de recrutement dans les professions sont redéfinies. Des critères objectifs d’évaluation s’imposent universellement. En effet, si la société est plus rationnelle, les processus d’affectation des individus aux emplois dépendront de moins en moins de l’hérédité et de plus en plus des compétences et des mérites des individus. Les sociétés modernes se caractérisent par moins de poids accordé { l’héritage familial et plus d’importance accordée au statut acquis, par le biais de l’éducation en 1er lieu.

TREIMAN (1970) a énoncé la thèse (très proche) de l’industrialisme selon laquelle le niveau de transfert direct de statut des parents aux enfants irait en diminuant avec le processus d’industrialisation. Celui-ci transformant le marché du travail, la famille et l’école. 3°) Les résultats des études ne départagent pas nettement ces 2 thèses :

Les premières enquêtes de mobilité sociale furent d’abord entreprises dans les pays d’ « Etat-providence » (RU, EU, Europe du Nord) pour voir les effets de la politique sociale sur la mobilité. Contrairement aux attentes, pas de lien incontestable. Les données empiriques ont souvent confirmé la thèse de la fluidité constante, cf. GOLDTHORPE et PAYNE (1986).

GANZEBOOM, LUIJKX et TREIMAN (1989), à partir de 149 tables de mobilité provenant de 35 pays, avaient cru pouvoir affirmer qu’il existe « une tendance séculaire mondiale à l’augmentation de la fluidité sociale. La décroissance du paramètre général d’association est d’environ 1¿ par an ».

Cependant, WONG (1994) s’est livré { une analyse secondaire des mêmes données et a montré que l’évolution temporelle de la fluidité est souvent insignifiante et difficile à mettre en évidence. Parmi 18 pays étudiés, la conclusion irréfutable d’une ouverture progressive du régime de mobilité entre générations ne peut être établie que pour 2 pays : Hongrie et Suède. Elle est moins assurée pour l’Angleterre, les USA, la France et les Pays-Bas. Dans les autres pays, très grande stabilité de la mobilité. Pour WONG, pas de tendance universelle à l’ouverture des sociétés ; l’explication des changements temporels de fluidité sociale renvoie aux contextes historiques nationaux.

ERIKSON et GOLDTHORPE (1992) arrivent { la conclusion qu’il existe « un degré considérable de stabilité des taux relatifs (…) de mobilité des hommes de générations successives au sein de 9 nations européennes ». Ils montrent aussi que la variation des régimes de mobilité au fil des cohortes a été bien inférieure aux différences de fluidité sociale qui existent entre les sociétés considérées.

Dans le cadre d’études nationales, une tendance { l’égalisation des chances a été relevée dans 3 pays : la Suède, les Pays-Bas et la Hongrie. Pour les USA, les résultats sont incertains.

Pour la France, les études de GOLLAC et LAULHE (1987) comparant les tables de 1977 et 1985, FORSE (1997) comparant les tables de 1982 et 1994, MERLLIE et PREVOT (1997) comparant les tables de 1977 et 1993, GOUX et MAURIN (1997) comparant les tables de 1977 et 1993 concluent toutes à la quasi constance de la fluidité sociale. B) L’évolution de la fluidité sociale : 1°) La hausse de la mobilité nette sur la période 1953-1977 :

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L’étude de Claude THELOT, Tel père, tel fils ?, 1982, a montré que dans les années 1960 la mobilité totale avait été très forte et la mobilité nette s’était accrue. La France a vécu une période d’intense mobilité due à sa modernisation socio-économique, mais aussi en raison d’un assouplissement des structures sociales. Si la société française est devenue plus mobile, les trajets sociaux des individus restent relativement courts : les fils ne s’éloignent pas beaucoup des positions de leurs pères.

Il a comparé les enquêtes de mobilité de 1953 et de 1977 et a constaté une forte croissance de la mobilité observée. Dans une nomenclature distinguant 8 positions sociales, 50,5% des hommes étaient classés dans la même CSP que leur père en 1953 ; ils n’étaient plus que 37,8% en 1977. La part des mobiles est donc passée de 49,5% à 62,2%

La majeure partie de cette évolution tient de la mobilité structurelle. Pendant cette période, le nombre d’agriculteurs a baissé au profit des ouvriers et des cols blancs. Mais un quart de la hausse de la mobilité est due provient d’un affaiblissement de la tendance pure { l’hérédité sociale. THELOT concluait : « Dans le cadre de cette analyse, on peut dire que la société française s’est légèrement assouplie : d’une génération à la suivante, toutes choses égales par ailleurs, la tendance à la reproduction s’est atténuée dans la plupart des groupes sociaux. »

Sa méthode : il compare le ¿ d’immobilité réelle en 1977 au ¿ d’immobilité théorique, calculé { partir d’un tableau fictif. Il représente le ¿ d’immobiles qu’on aurait eu si on avait le même degré de mobilité qu’en 1953 avec les marges de 1977.

2°) Les problèmes posés par la distinction conceptuelle entre mobilité structurelle et mobilité nette : - Elle définit comme un résidu ce qui intéresse au premier chef le sociologue : la mobilité

nette. - L’évaluation de la mobilité structurelle est affectée de biais démographiques : la nuptialité

et la fécondité différentielles dans la génération des pères, la mortalité différentielle dans celle des fils, les migrations.

Depuis la fin des années 1970, on l’a remplacé par la distinction entre mobilité

observée et fluidité sociale. Abandonnant l’idée qu’il existerait 2 types de mobilité pouvant s’agréger, la nouvelle distinction consiste { reconnaître que les phénomènes de mobilité sociale peuvent et doivent être étudiés selon 2 points de vue différents et complémentaires. Le point de vue de la mobilité observée – ou des taux absolus de mobilité – consiste à analyser la mobilité telle qu’elle est affectée par l’état de la distribution professionnelle des pères et des fils. Le point de vue de la fluidité sociale – ou des taux relatifs de mobilité – consiste en l’étude du lien entre origine et position sociales, lorsque cette association statistique est envisagée indépendamment de l’état de la distribution professionnelle des pères et des fils.

Encadre : mobilité nette versus fluidité sociale

Soit une société fictive ou n’existent que 2 positions sociales et ou la mobilité entre générations a été observée a 2 dates entre lesquelles un processus de tertiairisation est intervenu. La part des cadres est passée de 25% à 35%. Date t1

Statut du père

Statut du fils Cadre Ouvrier Total

Cadre 125 75 200 Ouvrier 125 675 800

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Total 250 750 1 000 Date t2

Statut du père

Statut du fils Cadre Ouvrier Total

Cadre 150 50 200 Ouvrier 200 600 800

Total 350 650 1 000 Voici l’évolution des trois mobilités au cours du temps :

Mobilité totale Mobilité structurelle

Mobilité nette

t1 200 50 (250 – 200) 150 t2 250 150 (350 – 200) 100

Pour autant, l’inégalité relative entre fils de cadres et fils d’ouvriers dans l’accès a la

position de cadre plutôt qu’{ la position d’ouvrier a-t-elle varié au cours du temps ? La technique des odds ratios annule les effets des modifications de la taille des

différentes catégories sociales. On calcule le rapport des chances de deux catégories pour accéder { une catégorie plutôt qu’{ une autre. Les odds ratios ou rapport des chances relatives, disposent de cette propriété d’indépendance { l’égard des distributions marginales. Ce ratio vaut 1 en situation d’indépendance statistique (absence de lien entre origine et position sociale).

Le ratio des chances relatives s’écrit :

𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑠 𝑑𝑒 𝑐𝑎𝑑𝑟𝑒𝑠 𝑐𝑎𝑑𝑟𝑒𝑠𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑠 𝑑𝑒 𝑐𝑎𝑑𝑟𝑒𝑠 𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠

𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑠 𝑑′𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑐𝑎𝑑𝑟𝑒𝑠𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑠 𝑑′𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠

=

12575

125675

= 9 𝑒𝑛 𝑡1

𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑠 𝑑𝑒 𝑐𝑎𝑑𝑟𝑒𝑠 𝑐𝑎𝑑𝑟𝑒𝑠𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑠 𝑑𝑒 𝑐𝑎𝑑𝑟𝑒𝑠 𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠

𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑠 𝑑′𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑐𝑎𝑑𝑟𝑒𝑠𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑠 𝑑′𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑒𝑟𝑠

=

15050

200600

= 9 𝑒𝑛 𝑡2

La distance qui sépare les deux milieux d’origine dans l’acquisition de l’une plutôt que l’autre des deux positions sociales demeure inchangée. Autrement dit, l’intensité du lien « pur » entre origine et position sociale n’a pas faibli. La fluidité est restée constante.

3°) France 1953-1993 : l’augmentation légère mais continue de la fluidité sociale

Louis André VALLET3 utilise l’instrument des odds ratios ou rapport des chances relatives. L’intérêt de ce type d’indicateur : les résultats du calcul sont indépendants des proportions des différentes catégories dans la population d’ensemble.

Un enfant de cadre né entre 1920 et 1925 avait 53,5% de chances de devenir cadre et 6,6% de chances de devenir ouvrier. Son petit camarade fils d’ouvrier avait 5,6¿ de chances de devenir cadre et 53,0% de devenir ouvrier. Le odds ratio vaut (53,5/6,6)/ (5,6/53,0) = 76,5 et cela signifie que les enfants de cadres ont 76 fois plus de chances que ceux d’ouvrier 3 « Quarante années de mobilité sociale en France », Revue française de sociologie, XL-1, 1999, 5-64.

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d’accéder au statut de cadre plutôt que d’ouvrier. Il faudrait un rapport égal à 1 pour être dans une société sans viscosité entre classes.

Pour la génération née entre 1950 et 1951, un enfant de cadre avait 51,3% de chances d’être cadre et 7,1¿ d’être ouvrier. Son camarade fils d’ouvrier avait 7,3¿ de chances d’être cadre et 51,9 d’être ouvrier. Le odds ratio vaut 51.

A 30 ans de distance, le odds ratio a diminué d’un tiers.

VALLET montre une diminution régulière de la force du lien entre origine et position sociale, à un rythme régulier de 0,5% par an durant quarante ans. L’augmentation de la fluidité sociale serait de l’ordre de 20¿ en 40 ans. Les mêmes conclusions sont valables pour les femmes.

On constate donc une lente érosion de l’inégalité des chances sociales. Des individus occupent aujourd’hui des positions sociales qui n’auraient pas été les leurs dans le cas où le régime de mobilité sociale serait resté celui de la France du milieu du siècle. On estime que 3,7¿ de l’effectif total des hommes et des femmes (460 000 personnes) occupent des positions qui n’auraient pas été les leurs en l’absence d’une hausse de la fluidité sociale. Du fait de la fluidité accrue, 91 000 enfants d’ouvriers ont quitté la classe ouvrière (56 000 sont devenus cadre supérieur), 42 000 enfants d’artisans et commerçants ont quitté cette CSP (21 000 sont devenus ouvriers), 55 000 enfants d’agriculteurs ont quitté l’agriculture (50 000 sont devenus cadre moyen ou supérieur). Les % sont à peu près identiques pour les hommes (3,8%) et pour les femmes (3,6%).

VALLET en conclut que le niveau d’inégalité des chances d’une société n’est pas fixe, il ne se reproduit pas inexorablement d’une génération { la suivante. Les sociétés et leurs membres disposent d’une latitude d’action pour infléchir le cours de destins sociaux.

Il ne donne pas d’explication mais on peut avancer quelques hypothèses. La salarisation et la tertiairisation croissante ont eu pour effet de valoriser le diplôme pour accéder à certaines professions. Le système éducatif est alors devenu une instance privilégiée d’insertion et d’ascension sociale, même si les chances de réussite scolaires sont inégales. Eléments relativisant cette idée de fluidité accrue : La logique de la comparaison des tableaux de mobilité conduit à tenir comme stables les

rapports entre CSP. Or la hiérarchie des PCS peur évoluer : déclin relatif des instituteurs par rapport aux cadres moyens ; déclin relatif des employés par rapport aux ouvriers ; l’accroissement des flux entre ouvriers et cadres peut aussi s’interpréter comme un résultat de la réduction de la distance sociale entre ces 2 groupes. Ce n’est pas tant la mobilité sociale qui a augmenté que les distances sociales entre groupes qui se sont réduites : moyennisation, rapprochement entre ouvriers et employés, banalisation du travail d’encadrement, moindre prestige pour certaines professions (instituteurs).

Situation de l’élite qui a tendance { se reproduire La mobilité a des effets sur les groupes sociaux eux-mêmes qui deviennent moins

homogènes. Hausse des inégalités au sein des PCS (agriculteurs par exemple)

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IV) Le phénomène de l’inégalité des chances : A) L’inertie de l’inégalité des chances dans les sociétés libérales :

1°) La convergence spatiale de l’inégalité des chances : LIPSET (1956) a comparé le taux de mobilité de différents pays en utilisant une

méthode sans doute très fruste. Il divise la population en 2 catégories : les manuels et les non manuels. Les résultats montrent que : - les processus de mobilité semblent être du même ordre de grandeur dans les divers pays. Ainsi, le ¿ d’individus ayant franchi la frontière manuel / non manuel est de 30¿ aux EU, 31¿ en Allemagne, 29¿ en Suède, 27¿ au Japon et en France, 23¿ en Suisse. D’où son hypothèse : la mobilité sociale dans les sociétés industrielles semble être à peu près égale. - la proportion des individus qui restent dans la même catégorie d’une génération { l’autre est plus grande que la proportion des individus qui changent de catégorie. Pour 100 personnes, 70 environ restent dans leur catégorie. L’inégalité des chances sociales est, avec l’inégalité économique, celle qui apparaît comme la plus réfractaire au changement et la plus insensible au développement économique. 2°) La stabilité temporelle de l’inégalité des chances :

GOUX et MAURIN de 19974 montrent le poids de l’hérédité sociale. Ils montrent que, en 1993, 35% des hommes âgés de 40 à 59 ans appartiennent à la

même PCS que leur père, avec un classement en 6 PCS. Si la position des fils était indépendante de leur origine sociale (hasard), on aurait un nombre inférieur à 20%. Toujours en 1993, 28% des femmes âgées de 40 à 59 ans appartiennent à la même PCS que leur père. Si la position des filles était indépendante de celle du père, on aurait 16%.

La société évolue vers plus de mobilité, mais pas vers plus d’égalité dans les chances d’ascension sociale. Ainsi, en 1977, si on compare un fils de cadre et un fils d’ouvrier, le premier a 7 chances sur 10 d’occuper une position sociale de niveau supérieur à celle du second. En 1993, l’avantage du premier est toujours aussi fréquent.

La famille n’est pas simplement une institution qui se borne { protéger ceux de ses descendants qui échouent { l’école. Le milieu social marque également de son empreinte ceux qui réussissent à obtenir un diplôme. Ainsi, quel que soit le niveau de diplôme, la probabilité que le fils d’ouvrier devienne ouvrier et l’enfant de patron/artisan devienne patron/artisan est pratiquement toujours 4 fois plus important que la probabilité concurrente d’échange des positions sociales d’origine. Entre l’enfant de cadre et celui d’employé/professions intermédiaires, on trouve une probabilité 2 { 3 fois plus élevée. Entre le fils d’ouvrier et celui d’employé/professions intermédiaires, une probabilité au moins 2 fois plus élevée. Les chiffres peuvent varier suivant la génération et le moment de la carrière. Plus le chiffre est proche de 1, plus la frontière entre les 2 univers est perméable.

La persistance des inégalités (face { l’école) au cours du temps serait la résultante d’un léger renforcement des inégalités d’origine culturelle et d’un petit recul des inégalités d’origine socio-économique. Les auteurs évoquent la multiplication des filières, l’importance croissante d’une bonne maitrise des processus d’orientation, une meilleure utilisation de l’école ou de la mobilisation du capital social par les classes aisées.

Si on compare le lien origine diplôme et le lien origine destinée sociale, on va faire apparaître dans le 1er cas le poids de l’inégalité des chances devant l’enseignement et dans le 2nd cas le poids de l’hérédité sociale.

Le lien entre l’origine sociale et la destinée sociale est plus important que celui entre l’origine sociale et le diplôme, selon l’étude de l’INSEE de 1997.

Le lien entre origine sociale et destinée sociale est assez stable au fil du temps.

4 Economie et statistique, revue mensuelle de l’INSEE, n°306, 1997-6.

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Au fur et { mesure que l’on avance dans la carrière, l’influence du diplôme diminue au profit de l’origine sociale. L’association entre l’origine et le statut est près de 2 fois plus forte en fin de carrière qu’en début de carrière. Par contre, l’association entre diplôme et statut est 1.5 fois plus forte en début de carrière qu’en fin de carrière.

Le phénomène d’héritage social ressort : la situation d’un individu est largement prédéterminée par sa position sociale d’origine. Pourquoi en est-il ainsi ? B) Les facteurs généraux de l’inégalité des chances :

1°) Le rôle de la famille : L’environnement intellectuel imposé { l’enfant :

Les enfants manifestent dès les premières années des performances très différentes selon le niveau social de la famille. BERSTEIN (Langage et classes sociales, 1975) fait l’hypothèse d’un « héritage culturel » différent : les enfants des milieux défavorisés font l’apprentissage d’un langage plus fruste, moins riche du point de vue du vocabulaire aussi bien que de la syntaxe. Les milieux populaires utilisent un code linguistique restreint (phrases courtes, grammaticalement simples, usage important de l’implicite…) qui se transforme en handicap a l’école car l’institution scolaire utilise un code élaboré en usage dans les classes moyennes et supérieures.

Les relations familiales sont aussi plus rigides dans les milieux populaires, l’ordre et le commandement tenant une plus grande place que l’incitation et la réflexion. L’enfant de milieu modeste est moins apte, non seulement { s’insérer dans le système de relations impersonnelles qui caractérise le milieu scolaire, mais aussi à manier les instruments intellectuels utilisés { l’école (langue, calcul). L’importance variable attachée au succès scolaire :

Dans les familles aisées, la réussite est perçue comme un impératif. Même lorsque cette réussite est médiocre, les parents auront tendance { maintenir l’enfant le plus longtemps { l’école. Dans les milieux modestes, le maintien { l’école est perçu comme une décision subordonnée { la réussite. Une enquête menée sur l’académie de Dijon démontre que les familles ouvrières pratiquent l’auto sélection : près de la moitié des enfants d’ouvriers quittent le collège à la fin de la classe de 5ème contre moins de 10% des enfants de cadres. Or le niveau insuffisant n’explique qu’un quart de cette différence, le manque d’ambition scolaire des familles d’ouvriers joue aussi. Un système de valeurs différentes suivant les classes sociales :

Herbert HYMAN (1953) a montré qu’{ mesure qu’on descend dans l’échelle sociale, l’instruction est perçue { un moindre degré comme un moyen efficace d’ascension. La réussite dans les milieux populaires est plus perçue comme l’effet de facteurs externes : chance, destin, relations, et non comme le produit d’un plan d’action maîtrisé par le sujet. D’où une ambition différentielle des parents. L’idée même de mobilité sociale, lié { la compétition et { l’individualisme, est plutôt une composante de la culture des classes moyennes et supérieures. La socialisation des membres des classes populaires est davantage fondée sur la solidarité et la vie de groupe. L’aide directe de la famille :

Les inégalités économiques et les inégalités culturelles contribuent aussi à cette inégalité des chances. D’une part, la capacité des familles { assurer le confort matériel de leurs enfants en cours d’études est très inégale ; d’autre part, les milieux sociaux se distinguent par une connaissance inégale du système scolaire et une capacité inégale à aider leurs enfants à réussir leurs études et à choisir leur orientation. Pour choisir les bons établissements, les filières et les options porteuses, il est avantageux d’avoir { ses côtés des parents ayant eux-mêmes fait une expérience réussie du système.

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2°) Le rôle de l’école : Tout système scolaire est un système de sélection des élites et il existe des voies royales et des voies moins nobles. Les études montrent que les enfants des classes défavorisées tendent, toutes choses égales par ailleurs, à se porter plus que proportionnellement vers les secondes. Même à réussite scolaire égale, les enfants de catégories populaires empruntent moins les voies nobles que les autres. De nombreuses études l’ont montré, et ceci { tous les niveaux du système scolaire. Par exemple, les grandes écoles scientifiques ou littéraires ont un recrutement social plus élevé que les facultés correspondantes. Ainsi, le système scolaire ne corrige pas les inégalités dues { l’héritage familial. Le développement de la scolarisation a-t-il diminué l’inégalité des chances scolaires ? a) l’avènement de la scolarisation de masse :

La croissance séculaire du niveau d’éducation : en 1840, 50% des Français accédaient à la lecture, 70% en 1860, 90% en 1890. La 2ème moitié du 19ème siècle est celle de la généralisation de la lecture, le 1ère moitié du 20ème est celle de l’accès au certificat d’études primaire, la 2ème moitié celle de l’accès au baccalauréat.

Avant la guerre, le lycée est réservé { une élite. L’école de l’entre-deux-guerres et de l’immédiat après-guerre se divise en 2 filières presque étanches. L’une est réservée aux agriculteurs, ouvriers et employés et s’achève au certificat d’études primaires, { 13 ans. Les meilleurs d’entre eux peuvent poursuivre leur scolarité dans les écoles primaires supérieures, pour obtenir au bout de 3 ans un brevet supérieur qui ouvre notamment la voie au métier d’instituteur. L’autre, organisé dans les lycées et collèges, s’adresse essentiellement aux enfants des cadres et chefs d’entreprise, recrute sur examen, mène au baccalauréat et est symbolisé par l’enseignement du latin. L’enseignement secondaire est payant jusqu’en 1933 alors que les écoles primaires et primaires supérieures sont gratuites. L’école évolue au rythme des améliorations des conditions de vie et le nombre des bacheliers augmente lentement. Jean ZAY en 1936 pousse jusqu’{ 14 ans l’âge de l’obligation scolaire.

Le rapport LANGEVIN-WALLON remis en 1947 imagine une école unique sur le plan des structures et innovante sur le plan de la pédagogie. Il est issu do projet formulé en 1931 par la Fédération Générale de l’Education de la CGT. Selon ses auteurs, l’enseignement « doit offrir à tous d’égales possibilités de développement et ouvrir à tous l’accès à la culture » ; « se démocratiser, non par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués, mais par une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la nation ». Pourtant la formation d’une élite et l’amélioration du niveau général ne sont pas inconciliables. Il ne fut pas appliqué en raison de la situation politique mais certaines orientations deviendront la référence obligée de la plupart des réformateurs.

La démocratisation du secondaire fait de gros progrès dans les années 1950 : sur fond de compétition entre les cours complémentaires (primaire supérieur) et le lycée.

L’expansion scolaire d’après-guerre est due à la démographie et à la nécessité de former une main d’œuvre qualifiée. Mais il faut y voir aussi un effet de la demande des familles. La projection sur les enfants d’un espoir d’ascension sociale devient une des normes de l’éducation familiale, particulièrement parmi les classes moyennes, alors qu’avant 1945 l’école était perçue comme réservée { une élite.

En 1959, Jean BERTHOIN pousse { 16 ans l’âge de la scolarité obligatoire. Il remplace les cours complémentaires par les collèges d’enseignement général et les centres d’apprentissage par les collèges d’enseignement technique.

Entre 1966 et 1975 près de 2 400 collèges seront construits, c’est { dire en moyenne un par jour ouvrable. Le corps professoral rajeunit et se féminise.

Le nombre d’élèves du second degré est passé de 1 100 000 en 1950 { 2 600 000 en 1960, 4 600 000 en 1970, 5 500 000 en 1980 et 6 000 000 en 2000. De la même manière, le nombre d’étudiants explose : 30 000 en 1900, 300 000 en 1960, 2 000 000 en 2002.

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En 1985, le gouvernement affiche la volonté d’amener 80¿ d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, objectif confirmé par la loi d’orientation de juillet 1989. Le bac est le diplôme pivot { partir duquel se définissent et s’apprécient toutes les valeurs scolaires. Edmond GOBLOT (1925) avait montré que le bac est à la fois une barrière sociale et un niveau intellectuel de référence. La proportion de jeunes se présentant au bac passe de 39% en 1986 à 70% en 1994. La proportion de bacheliers (parmi la génération) passe de 3% à la fin des années 1930, à 25% en 1964 et à 63% en 1995. En 1998, 43% des personnes âgées de 30 ans ont un diplôme égal ou supérieur au bac, ce qui n’était le cas, 30 ans avant, que de moins de 10¿ d’une classe d’âge.

Depuis les années 1950, dominent 2 idées : 1- la scolarisation de masse diminue l’inégalité des chances { l’école 2- la diminution de l’inégalité des chances { l’école augmente la mobilité sociale

Or l’inégalité des chances scolaires demeure car l’élévation générale du niveau d’éducation a profité à toutes les CSP et l’action de l’école sur la mobilité sociale, sans être inexistante, reste très modérée.

b) Le maintien des inégalités dans le système scolaire :

Le niveau général monte, mais les classements scolaires selon l’origine sociale restent stables avec le temps. En comparant les niveaux de réussite absolus au baccalauréat, on constate une augmentation des taux de réussite mais un maintien des inégalités. Il y a donc translation des inégalités vers le haut. En comparant les niveaux de réussite relatifs, on remarque aussi un maintien des inégalités. A partir de l’enquête FQP de 1970, et en comparant les niveaux scolaires de 2 jeunes de 25 { 34 ans ayant fréquenté l’école entre 1945 et 1960, on obtient les résultats suivants : l’enfant de cadre ou chef d’entreprise de plus de 10 salariés est plus diplômé que l’enfant d’ouvrier, d’agriculteur ou d’employé dans 66¿ des cas, les 2 enfants ont le même niveau dans 25¿ des cas, l’enfant d’origine modeste est plus diplômé dans 9¿ des cas. A partir de l’enquête de 1993, on étudie des personnes ayant fréquenté l’école dans les années 1970. Les % respectifs sont 62%, 29% et 9%.

La démocratisation scolaire ne garantit pas l’égalisation des chances. Pierre Merle5 l’a montré en comparant les cohortes sorties du système scolaire en 1988-1989 et celles sorties

5 La démocratisation de l’enseignement, La découverte, 2002

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en 1998-1999. Tout le monde gagne mais les plus instruits gagnent plus. Entre les deux époques, la scolarisation des 10% les moins scolarisés augmente de 1,2 année, celle des plus scolarisés de 2,2 ans.

En détaillant la catégorie populaire, on fait apparaître que seuls les enfants d’agriculteurs ont amélioré leur position relative alors que les enfants d’employés et d’ouvriers ont vu leur position reculer légèrement. Contrairement aux enfants d’autres milieux modestes, ils ont pu bénéficier du développement d’un enseignement spécialisé et éviter les sorties sans diplôme du système scolaire, sans souffrir des difficultés de la scolarisation de masse dans les zones urbaines (effet de contexte).

SHAVIT et BLOSSFELD ont montré en 1993 dans « Persistent Inequality » que dans de nombreux pays le système éducatif a été développé mais les classements { l’issue des cursus reflètent aussi étroitement la hiérarchie des ressources économiques et culturelles des familles. Ceci est valable pour les EU, le RU, le Japon, la Scandinavie, l’Italie et l’Allemagne.

L’inégalité des chances { l’école aurait même tendance { augmenter entre la génération née autour des années 1950 et celle née vers 1965. Au sein de la génération née vers 1965, un enfant de cadre a eu 21¿ d’accéder { une grande école contre moins de 1,1¿ pour l’enfant d’ouvrier. Le premier a 23,3¿ de chances de finir sans le bac et le second 82,7¿. Le odds ratio vaut 103,3 à la fin des années 1990 contre 69 au début des années 1980.

De plus, un premier cycle universitaire obtenu par un enfant de cadre donne moitié plus de chances de devenir cadre { son tour que le même titre détenu par un enfant d’ouvrier.

Dans l’enquête PISA6 de 2009, les injustices sont plus fortes en France qu’ailleurs : les différences de milieu familial y expliquent 28% des disparités de performances entre élèves, contre 22¿ en moyenne au sein de l’OCDE. c) Les inégalités culturelles voient-elles leur influence augmenter ? Antoine PROST (1986) défend cette idée. L’allongement des études a multiplié les moments où se décident les orientations et a multiplié les filières ce qui accroît l’importance d’une bonne connaissance du système scolaire. L’inégalité des chances reflète de plus en plus la meilleure compréhension et les meilleurs usages que savent faire les milieux sociaux les plus cultivés de la complexité du système scolaire.

PROST déclarait en 1999 : « C’est en effet un paradoxe terrible pour les réformateurs dont j’ai fait partie. La progression des enfants d’ouvriers dans le second cycle de l’enseignement secondaire est très sensible jusqu’au milieu des années soixante. Elle culmine en 1967-1968, puis décline régulièrement. Même si la proportion des ouvriers a diminué dans la population active, cela ne suffit pas à rendre compte de cette baisse. D’où je déduis en effet qu’il y a eu démocratisation avant les réformes qui ont eu pour objectif de la réaliser et que celles-ci l’ont au contraire freinée ». La publication à partir des années 1980 du hit-parade des lycées, des classes préparatoires, des universités, des IUT… constitue un indicateur de la volonté des familles de contrôler la scolarité de leurs enfants. Le souhait d’un changement de collège augmente avec la position sociale de la famille, son niveau culturel et aussi l’appréciation scolaire que les parents portent sur l’enfant. Chez les cadres supérieurs, la mère est souvent un parent d’élève professionnel. Elle s’astreint { un véritable travail qui l’amène { repérer exactement le milieu scolaire de l’enfant ce qui lui permet de détecter d’éventuelles défaillances et d’encourager les efforts de l’enfant.

d) Le recrutement social des élites :

EURIAT et THELOT (1995), dans leur étude sur le recrutement de l’élite scolaire depuis 40 ans, montrent que si l’accès { l’université s’est plutôt démocratisé, celui aux grandes écoles reste très sélectif et se caractérise par une baisse sensible des chances offertes aux enfants des couches populaires. Ainsi, en 1950, 29% des élèves de l’ENA, Polytechnique, Normale Sup. et 6 Programme international pour le suivi des acquis des élèves.

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Centrale venaient de milieux populaires ; ils ne sont plus que 9¿ aujourd’hui. A l’ENA, 80¿ des élèves sont enfants de cadres supérieurs, professions libérales ou intellectuelles – un % stable depuis le début des années 1990.

Les grandes écoles sont soumise à la loi de Pareto : 80% de leurs élèves sont issus d’une fraction relativement privilégiée de la population (cadres, chefs d’entreprises, professeurs agrégés ou du supérieur, etc.) qui ne représente que 20% des parents.

Le rapport ATTALI (1998) intitulé « Pour un modèle européen d’enseignement supérieur » dénonçait, en parlant des grandes écoles, « une machine de reproduction des élites » : 7¿ seulement des enfants d’ouvriers intègrent une grande école alors qu’ils représentent 37¿ de leur classe d’âge. Il préconisait de revoir et de diversifier leur recrutement.

Le recrutement des « élites » politiques, intellectuelles, administratives, économiques dans le vivier des grandes écoles (ENA ou Polytechnique) est une spécificité française. Les jeunes sélectionnés par ces écoles sont propulsés à des postes de direction immédiatement, sans faire leurs preuves dans une expérience de terrain. Le diplôme initial compte plus qu’{ l’étranger, et le mérite professionnel moins. Dans l’Annuaire des états-majors des grandes entreprises 2003, on peut constater que plus d’un tiers des PDG français actuels ont été formés dans 3 écoles (X, ENA, HEC) dont seule la dernière est vraiment destinée à cela.

3°) Les facteurs post scolaires : L’ambition différentielle

Les espérances professionnelles des étudiants ayant un même niveau d’instruction varient largement en fonction des origines sociales : l’étudiant issu d’un milieu favorisé s’attend { occuper des emplois plus prestigieux et à disposer de revenus plus importants. Une origine sociale élevée induit un niveau d’aspiration plus élevé, une aptitude { développer des plans d’ascension sociale cohérents, une moins grande sensibilité aux verdicts de la réalité. Les enfants de milieu aisé cherchent { rejoindre leur milieu social d’origine. Par contre, un fils d’ouvrier devenu ingénieur aura tendance { s’y tenir plutôt que le considérer comme une étape menant vers la direction générale.

Sur le plan professionnel également se prolonge un mécanisme abondamment observé au niveau scolaire : alors que les enfants de milieu modeste modèlent leurs aspirations en fonction de la réussite scolaire, ceux des milieux élevés fixent une fois pour toutes leurs ambitions à un niveau élevé et ne les révisent qu’en cas d’impossibilité. La résistance à la chute sociale se manifeste chez les fils de cadres qui ont appris un métier manuel ont suivi des formations de CAP de cuisinier, horticulteur, décorateur, horloger, mécanicien auto, et non tourneur fraiseur par exemple. Ces CAP débouchent sur des métiers où on peut se mettre à son compte, notamment avec une aide financière de la famille.

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V) Les interprétations de l’inégalité des chances :

Dans les années 1960 une controverse sur la nature de ces inégalités. Selon BOURDIEU, l’inégalité des chances scolaires serait la cause principale de la reproduction des classes sociales, tandis que selon BOUDON l’inégalité des chances est plus { rechercher au niveau de la famille que de l’école et se trouve être la résultante d’une multitude de choix individuels. A) L’interprétation de Pierre BOURDIEU : le poids des structures

Bourdieu met en avant le poids des héritages socioculturels et les inégalités à l’intérieur même des cursus scolaires. L’Ecole aurait un effet de légitimation des différences et contribuerait { la reproduction d’une structure sociale inégalitaire. 1°) La transmission de l’héritage culturel : BOURDIEU et PASSERON, Les héritiers, les étudiants et la culture, 1964 :

Selon leur étude basée sur les étudiants en lettres, « l’action du milieu familial sur la réussite scolaire est presque exclusivement culturelle ». La part du capital culturel qui est la plus directement rentable dans la vie scolaire : aisance verbale, culture libre acquise dans les expériences extra scolaires, information sur le monde universitaire. L’action du privilège culturel opère de 2 manières. Une manière apparente à travers les recommandations, les relations, l’aide dans le travail scolaire, les cours particuliers, l’information sur l’enseignement et les débouchés. Une manière plus cachée via la transmission par la famille d’un certain capital culturel et d’un système de valeurs intériorisées qui contribue { définir les attitudes envers l’école. « L’essentiel de l’héritage culturel se transmet de façon plus discrète et plus indirecte et même en l’absence de tout effort méthodique et de toute action manifeste ».

C’est dans les milieux les plus cultivés qu’il est le moins nécessaire de prêcher l’intérêt de la culture, elle est acquise sans intention ni effort, « comme par osmose » grâce à l’environnement familial : bibliothèques, fréquentation des musées, théâtres, concerts, spectacles, voyages culturels, conversations… « Pour les individus originaires des couches les plus défavorisées, l’Ecole reste la seule et unique voie d’accès à la culture, et cela à tous les niveaux de l’enseignement ; partant, elle serait la voie royale de la démocratisation de la culture si elle ne consacrait, en les ignorant, les inégalités initiales devant la culture et si elle n’allait souvent – en reprochant par exemple à un travail scolaire d’être trop « scolaire » - jusqu’à dévaloriser la culture qu’elle transmet au profit de la culture héritée qui ne porte pas la marque roturière de l’effort et a, de ce fait, toutes les apparences de la facilité et de la grâce ». Tout enseignement, et notamment celui de la culture, présuppose un corps de savoirs, de savoir-faire (style, goût, esprit) et surtout de savoir-dire qui constitue le patrimoine des classes cultivées. Les enfants de ces classes en « héritent » et peuvent les réinvestir dans leurs activités scolaires. Les deux sociologues dénoncent la pratique du cours magistral où le registre de langue, les références culturelles et les digressions ne sont vraiment compréhensibles que par les élèves qui ont bénéficié d’une familiarisation antérieure.

La culture « légitime » validée par le système scolaire est donc celle des classes privilégiées. L’échec scolaire est imputé – surtout dans les classes populaires – au défaut de dons ; or ce que l’on qualifie de don n’est souvent que le produit d’une éducation. Dès lors, le dévoilement du privilège culturel anéantit l’idéologie du don.

L ‘école impose et légitime l’arbitraire dominant : les auteurs affirment que « le système scolaire trouve son accomplissement dans le concours qui assure l’égalité formelle des candidats mais qui exclut par l’anonymat la prise en considération des inégalités réelles devant la culture.

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L’égalité formelle qu’assure le concours ne fait que transformer le privilège en mérite puisqu’il permet à l’action de l’origine sociale de continuer à s’exercer, mais par des voies plus sécrètes. » « Pour les fils de paysans, d’ouvriers, d’employés ou de petits commerçants, l’acquisition de la culture scolaire est acculturation » c’est { dire un processus par lequel un groupe adopte une culture en abandonnant la sienne. Les apprentissages sont difficiles à assimiler car éloignés de toute réalité concrète.

« Les ouvriers peuvent tout ignorer de la statistique qui établit qu’un fils d’ouvrier a 2 chances sur 100 d’accéder à l’enseignement supérieur, leur comportement semble se régler objectivement sur une estimation de ces espérances objectives, communes à tous les individus de leur catégorie ». « Le pressentiment obscur de leur destin social ne fait que renforcer les chances de l’échec, selon la logique de la prophétie qui contribue à son propre accomplissement ». Le poids de l’hérédité culturelle est très fort. Si fort que ceux qui sont exclus semblent s’exclure eux-mêmes. « Le système d’éducation peut servir les privilèges sans que les privilégiés aient à se servir de lui ». Les inégalités économiques, en revanche, ont un rôle mineur. Donc selon Bourdieu, augmenter les bourses n’est pas la solution. En effet, une telle politique rendrait formellement égaux devant l’Ecole les sujets de toutes les classes sociales et on pourrait alors imputer à l’inégalité des dons les différences de réussite scolaire.

La conclusion du livre soulignait la possibilité de remédier aux inégalités par un enseignement démocratique, c’est { dire celui qui donne au plus grand nombre possible d’individus les moyens de s’emparer le mieux possible des aptitudes qui font la culture scolaire à un moment donné. Il faut selon les auteurs pratiquer une pédagogie plus adaptée aux enfants des classes défavorisées ; les professeurs doivent expliciter leurs exigences et les recettes de la réussite. L’Ecole doit fournir des avantages compensatoires. 2°) Le phénomène de reproduction : BOURDIEU et PASSERON publient en 1970, La reproduction. Ils y décrivent le mécanisme de la sélection sociale par l’école.

Aujourd’hui ce n’est plus le capital économique (transmission directe des droits de propriété) mais le capital scolaire qui est dominant dans la reproduction sociale. L’école joue le rôle qui revenait avant aux stratégies matrimoniales. Le titre scolaire est un véritable droit d’entrée. Même si le rôle de la famille a changé, si son action est indirecte, elle agit grâce à l’élaboration de « stratégies de reproduction », c’est { dire de pratiques visant à permettre une ascension ou une stabilité sociale, qui s’organisent objectivement sans avoir été explicitement conçues et posées par référence. Au centre, se situent les stratégies éducatives, qu’elles soient conscientes ou inconscientes.

Le système scolaire n’est pas un facteur de mobilité sociale ; au contraire c’est un des facteurs les plus puissants de conservation sociale car « il fournit l’apparence d’une légitimation aux inégalités sociales et il donne sa sanction à l’héritage culturel, au don social traité comme don naturel ». L’école renforce et légitime les différences de classe en les convertissant en résultats d’une concurrence équitable. L’école exerce une violence symbolique. Pour les 2 auteurs, « Toute action pédagogique est objectivement une violence symbolique en tant qu’imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel ». C’est une violence qui n’est pas destinée { marquer le corps mais les esprits ; elle s’exerce avec la complicité de celui sur qui elle s’exerce. Un des effets de l’école est qu’elle parvient { obtenir des classes dominées une reconnaissance du savoir et du savoir-faire légitimes.

A résultats scolaires égaux, les familles populaires acceptent beaucoup plus facilement que les familles aisées une orientation vers les filières techniques ou professionnelles. BOURDIEU interprète cet écart en termes de rapport de domination : l’habitus des familles

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modestes ne leur donne pas les outils linguistiques et culturels pour contester efficacement les propositions d’orientation du conseil de classe, tandis que ces mêmes propositions sont influencées par les préjugés sociaux inconscients des enseignants. L’habitus est l’ensemble des gestes, des pensées, des manières d’être que l’on a acquis et incorporés au point d’en oublier l’existence, qui sont devenues inconscientes. L’habitus est marqué fortement par l’origine sociale. Les conflits de classe jouent un rôle déterminant, mais ces conflits se jouent autant dans l’ordre du symbolique que de l’économique. Ce qui confère { l’école sa spécificité et son autonomie. A cet égard, l’analyse de BOURDIEU est un peu plus subtile que celle développée par BAUDELOT et ESTABLET dans L’école capitaliste en France, paru en 1971, où ils tentent de montrer que l’école est un instrument de domination directe aux mains de la bourgeoisie. L’inégal rendement des diplômes :

Le même diplôme a une valeur différente selon le capital économique, social et culturel de son détenteur. La réussite professionnelle des anciens de l’école HEC varie plus en fonction de la position sociale des parents qu’en fonction de leur rang au concours de sortie de l’école.

Explications : - Le rendement du capital scolaire est fonction du capital économique et social qui peut être consacré à sa mise en valeur. Le capital social représente les ressources qui peuvent être mobilisées à travers le réseau de relations familiales. - L’habitus inculqué engendre des pratiques qui sont rentables quand le recrutement s’opère sur des critères diffus : « bonne présentation » ou « culture générale » Nul n’a dans sa tête une table de mobilité sociale { partir de laquelle il pourrait, { partir de la position de ses parents, évaluer ses propres probabilités d’accès { différentes positions. Mais chacun peut constater les trajectoires sociales des membres de sa famille, de ses aînés, de ses proches, de ses voisins, et en tirer une représentation de ce qui « se fait » ou peut se faire et des limites de ce qui l’attend. Ainsi les effets des probabilités objectives tendent { façonner les probabilités subjectives, qui viennent à leur tour façonner ou limiter la variabilité des comportements par lesquels les agents construisent leur propre position sociale. BOURDIEU – 1971 : « Le diplôme est d’autant plus indispensable qu’on est issu d’une famille plus dépourvue de capital économique ». Le phénomène de reproduction chez BOURDIEU Origine sociale Réussite scolaire position sociale du fils (fille) Critiques de Bourdieu :

L’analogie entre héritage économique et culturel est trompeuse car la réussite scolaire, par exemple dans les classes préparatoires, suppose un fort investissement en travail. Si les livres de la bibliothèque ne sont pas lus, ils perdent leur efficacité.

Les auteurs se sont vus reprochés un fatalisme sociologique (certains enfants seraient voués { l’échec du fait de leur appartenance sociale) et une explication déterministe qui nie la liberté des individus.

Capital

culturel

Capital

social

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Influence de Bourdieu : Les idées de BOURDIEU ont eu du succès au cours des années 1970 : elle était à la fois

provocatrice (l’école commençait { se démocratiser) et dans l’air du temps (les slogans du mouvement étudiant de mai 1968 rejetaient l’ordre pédagogique ancien et le conformisme social de la culture académique).

Sa théorie a eu une influence considérable sur l’opinion, le corps enseignant et les pouvoirs publics. En voici quelques exemples : - Juillet 1968 : mesures pour apaiser les adversaires de « l’école bourgeoise » et de « la

pédagogie autoritaire » : fin des classements, report de la 6ème à la 4ème du latin – présenté comme un instrument de sélection sociale.

- 1975 : collège unique de René HABY. L’entrée en 6ème est automatique. Les filières doivent disparaître et les élèves se trouvent en classes indifférenciées, ce qui satisfait les défenseurs de l’égalitarisme… Mais des classes trop hétérogènes entraînent un nivellement par le bas.

- Création des Zones d’éducation prioritaires en 1981 par Alain SAVARY. Les ZEP sont des zones dans lesquelles, pour faire face à des difficultés d'ordre scolaire et social, des moyens supplémentaires sont accordes pour diminuer le nombre d’élèves par classe, verser des indemnités aux personnels et mettre en place des dispositifs d’accompagnement. Il s’agit de « donner plus à ceux qui en ont le plus besoin ». La carte de l’éducation prioritaire n’a cessé de s’étendre, au point de concerner aujourd’hui 18¿ des écoliers et 20% des collégiens en 2012. Qu’a apporté ce dispositif aux élèves ? « Les mesures mises en œuvre, insuffisamment pilotées et soutenues dans la durée, n’ont pas permis d’obtenir les résultats attendus. La France est aujourd’hui classée 27ème sur les 34 pays de l’OCDE pour ce qui est de l’équité de son système éducatif. Globalement les résultats des élèves de l’éducation prioritaire sont stables dans le premier degré et décevants dans le second degré7 » peut-on lire dans le rapport du Secrétariat General pour la modernisation de l’action publique.

Plus globalement, il y a eu la volonté de transformer l’Ecole en « lieu de vie », en « foyer

d’expérimentation sociale ». Les savoirs sont soupçonnés du péché « d’encyclopédisme ». Les notions d’autorité, d’effort, de discipline, de sélection, de travail sont écartées. Le rôle du professeur ne doit pas se limiter a transmettre des connaissances ; la priorité étant d’apprendre { apprendre. Pour certains, la finalité de l’école est la réduction des inégalités sociales et non la transmission des savoirs. Guerre { l’élitisme déclarée et… en partie gagnée, pour le plus grand bonheur de certains lycées prestigieux et des écoles privées. Selon le philosophe Jean-Louis HAROUEL, les tenants de l’utopie pédagogique ont « sacrifié la qualité de l’enseignement et les résultats scolaires de tous les enfants sur l’autel de l’égalité ». 7 http://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/institutionnel/exe-resume-epp-300913.pdf.

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B) L’interprétation de Raymond BOUDON (1973) : le jeu des acteurs BOUDON va remettre en cause 2 idées reçues : 1- l’héritage culturel explique l’inégalité des chances { l’école 2- le développement de la scolarisation accroît la mobilité sociale 1°) L’explication de l’inégalité des chances { l’école : le modèle de l’homo-calculator Pour BOUDON, l’explication en termes de sous-cultures de classes (HYMAN 1953) est insuffisante. Des études montrent qu’en classe de 3ème, les effets de l’héritage culturel sur la réussite scolaire sont largement dissipés. Ce n’est pas l’héritage culturel qui explique l’inégalité des chances mais la stratification sociale.

BOUDON construit un schéma théorique du processus de décision scolaire en fonction de la position sociale. Il applique au champ de l’éducation un modèle issu de l’analyse économique. Il met l’accent sur l’individu, son action, ses choix. Régulièrement, l’école impose des choix : passer dans la classe supérieure, redoubler, quitter l’établissement ou changer d’orientation. Les individus vont choisir la combinaison « coût – bénéfice – risque » la plus utile.

3 éléments affectent les motivations scolaires selon Boudon : 1. les coûts : coût des études, coût d’opportunité, coût psychologique de la mobilité

sociale 2. les bénéfices attendus : espérance d’une ascension sociale, rentabilisation de l’effort

financier 3. les risques encourus : risque d’échec scolaire

Les individus décident rationnellement { l’aide de paramètres qui sont fonction de la

position sociale. 1- Le coût anticipé est d’autant plus élevé que l’individu a une position sociale inferieure.

Plus le niveau culturel entre parent et enfants diffère, plus le système de valeurs est menacé.

2- Le bénéfice anticipé est d’autant plus fort dans les classes sociales élevées 3- Le risque est lié { l’âge (avance/retard) et { la réussite scolaire laquelle est fonction de la

position sociale. La décision en faveur de la poursuite des études est d’autant plus probable que son

utilité est grande, c’est { dire que le bénéfice augmente, le coût et le risque diminuent. A réussite scolaire donnée, la décision de continuer sera d’autant plus probable que le milieu social sera plus élevé.

On sait qu’{ résultats scolaires égaux, les familles populaires acceptent plus facilement une orientation vers des enseignements techniques et professionnels. BOUDON propose de l’analyser en termes de décision rationnelle. Pour une famille modeste, une telle orientation est moins risquée car les études techniques assurent à court terme une insertion professionnelle sans interdire de continuer si les résultats sont bons, alors que les filières générales ne sont rentables qu’{ long terme. En outre, les filières techniques conduisent { un statut social qui a toutes les chances d’être supérieur { celui des parents.

Pour une famille aisée, les gains attendus de la poursuite des études sont forts tandis que les coûts sont faibles. Ces paramètres étant inversés pour les familles populaires, il est rationnel pour ces familles de privilégier les études courtes.

Comme régulièrement l’Ecole impose des choix d’orientation, de poursuite ou d’arrêt des études, l’influence de l’origine sociale sur la réussite scolaire s’explique comme le résultat d’une succession de choix par des acteurs rationnels.

La théorie de BOUDON permet de comprendre un phénomène inexpliqué par la théorie de la reproduction : une proportion significative d’individus échappe au déterminisme social.

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Les configurations familiales, scolaires, individuelles ou de sociabilité peuvent être plus ou moins favorables à la réussite scolaire.

Pour résumer le modèle de BOUDON, dans une 1ère phase, l’héritage culturel entraîne au jeune âge une réussite scolaire plus faible pour les élèves à statut social plus bas. Dans une 2ème phase, le statut social affecte les paramètres de décisions et contribue à accentuer les inégalités. Comme la 2ème phase est répétitive contrairement à la 1ère, l’héritage culturel joue un rôle mineur dans l’explication de l’inégalité des chances, particulièrement au niveau de l’enseignement supérieur. En revanche, la position sociale joue un rôle majeur. « L’inégalité des chances scolaires, c'est-à-dire la relation entre origines sociales et niveaux scolaires est le produit complexe :

1) des différences dans les ressources culturelles transmises à l’enfant par la famille ; 2) des différences dans les motivations ; 3) du caractère répétitif des orientations scolaires au long du cursus.8 »

Cela signifie que même si les inégalités culturelles pouvaient être supprimées, cela ne pourrait qu’atténuer modestement l’inégalité des chances scolaires.

Ce modèle explique { la fois l’inégalité des chances devant l’enseignement (surtout supérieur) et sa baisse (en valeur relative mais pas absolue) due { l’atténuation des inégalités économiques, { l’augmentation de la demande d’éducation. Pour BOUDON, le seul facteur capable de réduire cette inégalité est la baisse des inégalités économiques et non pas des réformes scolaires du type « tronc commun » car il y a toujours des différenciations dans l’environnement scolaire et car la pression accrue des familles sur l’école renforce cette différenciation. 2°) Le développement de la scolarisation n’accroît pas mécaniquement la mobilité sociale : Le paradoxe d’ANDERSON Le niveau d’instruction monte quant on s’élève dans la hiérarchie des CSP. Mais pour autant, le niveau d’instruction a-t-il une influence sur la mobilité ?

C’est plutôt le « non » qui convient. Ce phénomène a été mis en évidence par ANDERSON (1961). Cet auteur a utilisé une enquête d’origine américaine de CENTERS (1949) portant sur un échantillon de 416 individus, en prenant en compte 2 variables : le niveau d’instruction relatif du fils par rapport au père et le statut relatif du fils par rapport au père. Niveau d’instruction du fils par rapport au père

Statut socioprofessionnel du fils par rapport au père Supérieur Egal Inferieur Total

Supérieur 134 96 61 291 Egal 23 33 24 80 Inferieur 7 16 22 45 Total 164 145 107 416

Entre les 2 générations, la structure éducationnelle s’est déplacée plus fortement que la structure sociale : 291/416=70¿ ont un niveau d’instruction supérieur alors que 164/416=39% ont un statut social supérieur. Cette discordance implique que tous les fils ayant un niveau d’instruction supérieur { celui de leur père ne peuvent avoir un statut supérieur. Comme 107 répondants ont un statut social inférieur à celui de leur père et 45 répondants seulement ont un niveau d’instruction inférieur { celui de leur père, il faut nécessairement que 107-45=62 personnes aient un statut social inférieur bien qu’ayant un niveau d’instruction au moins égal { celui de leur père.

8 R. Boudon et F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, 1986.

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La discordance entre l’évolution des structures scolaires et sociales entraîne l’impossibilité d’une adéquation parfaite entre niveau d’instruction relatif et statut social relatif. Des fils plus diplômés que leurs pères connaissent une mobilité descendante. Il n’y a aucune raison de s’attendre { une adéquation parfaite car la distribution des niveaux scolaires résulte de l’agrégation de parcours individuels et la distribution des statuts résulte de l’économie. Certes la prévision de la distribution future des statuts peut servir de choix pour les études, mais même dans ce cas, pourquoi un individu en particulier devrait-il renoncer à tel type d’étude plutôt que son voisin ? Même si on élimine ce facteur, il existe d’autres sources d’inadéquation dont le résultat est qu’au total le statut social relatif du fils apparaît comme presque indépendant de son niveau d’instruction relatif. Pour cela, Anderson a eu l’idée ingénieuse de construire un tableau théorique correspondant { l’hypothèse H1 d’une adéquation aussi grande que possible entre statut éducationnel relatif et statut social relatif. Voyons maintenant les différences qu’on obtiendrait en appliquant l’hypothèse inverse H2 dans laquelle les personnes ont un statut social relatif par tirage au sort, sans que le niveau d’instruction relatif intervienne. En comparant avec le tableau initial, on constate que les différences sont dans 8 cas sur 9 beaucoup plus faibles dans le second cas. D’où : l’hypothèse H2 paraît beaucoup plus plausible que H1. On se rapproche bien davantage de la réalité observée en supposant les statuts sociaux relatifs distribués au hasard, qu’en les supposant reliés aux niveaux d’instruction relatifs. Bilan : la discordance dans l’évolution des structures scolaires et sociales est une 1ère source d’inadéquation entre statut social relatif et niveau d’instruction relatif. Mais même si on élimine ce facteur, il s’ajoute d’autres facteurs dont le résultat est qu’au total le statut social relatif du fils apparaît comme pratiquement indépendant de son niveau d’instruction relatif. Cela est corroboré par une étude suédoise de BOALT (1953) montrant qu’un niveau scolaire élevé s’accompagne d’une mobilité ascendante dans 36% des cas et un niveau scolaire bas s’accompagne d’une mobilité ascendante dans 32¿ des cas.

Confirmation du paradoxe d’Anderson pour 1993.

Niveau d’étude et statut social des pères et des fils

Niveau d’études du fils

par rapport au père

Groupe socioprofessionnel du fils1 par rapport au père (en %)

Supérieur Egal Inférieur Ensemble

Supérieur 53 40 7 49

Egal 23 69 8 43

Inférieur 16 56 28 8

Total 37 54 9 100 1 Les fils sont les enquêtés salariés âgés de 40 à 59 ans.

Source : INSEE, enquête Formation Qualification Emploi, 1993.

Une inadéquation, même limitée, entre structure sociale et structure éducationnelle conduit, même quand le statut social dépend fortement du niveau d’instruction, { une faible liaison entre le statut social relatif et le niveau d’instruction relatif.

Définition du paradoxe d’Anderson : Il y a une faible relation, voire absence de relation, entre le niveau d’instruction du fils

par rapport au père et la mobilité du fils. Par conséquent, Il peut y avoir mobilité descendante pour des fils plus diplômés que leur père.

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Quel est l’effet d’une hausse du niveau scolaire sur la mobilité sociale ? Le niveau croissant d’éducation dans les sociétés industrielles ne favorise pas les

chances de mobilité en raison de la discordance entre l’évolution des structures scolaires et sociales. « Tout se passe comme si l’inégalité des chances scolaires, loin d’être dépourvue d’effets, avait la conséquence d’engendrer une égalité des chances de mobilité descendante, de stabilité ou d’ascension attachées aux différents niveaux scolaires » selon BOUDON.

La mobilité sociale est stable dans le temps. D’une période { l’autre, la demande d’éducation croît. Quand un individu supplémentaire apparaît { un niveau scolaire donné, cela entraîne une diminution des opportunités des moins diplômés. Chacun a intérêt à avoir un diplôme élevé mais la hausse de la demande globale d’éducation réduit, par un mécanisme de réaction en chaîne, les espérances attachées aux niveaux scolaires inférieurs. C’est un effet pervers ou effet de composition. Ce qui renforce l’allongement des études bien que personne ne soit assuré d’en recueillir le bénéfice en termes de mobilité. La reproduction des structures de la mobilité est un effet non voulu de l’agrégation de microdécisions rationnelles.

Cette fuite en avant vers le diplôme engendre de nouvelles formes d’inégalités : - les sans-diplômes apparaissent comme des parias - les diplômés deviennent des surdiplômés et sont obligés d’accepter des emplois inférieurs

{ leur niveau d’étude, le rendement du diplôme devient incertain - la dévalorisation des diplômes engendre l’apparition de nouveaux critères de sélection

des candidats : présentation physique, relations sociales, proximité culturelle… ce qui peut renforcer les inégalités liées à la naissance.

3°) L’explication du degré d’inégalité des chances sociales :

Pour BOUDON, « Le niveau d’héritage social qu’on observe dans une société est une

conséquence complexe d’un ensemble de variables qui se composent en un système ». Il propose un modèle où l’origine sociale a une influence sur le niveau scolaire atteint ;

une fois ce niveau donné, elle n’a pratiquement plus d’influence sur la position sociale qui est exclusivement déterminée par le niveau scolaire, la structure sociale et la distribution des niveaux scolaires. Dans ce modèle, l’inégalité des chances et le phénomène d’héritage social sont compatibles avec une mobilité importante. Le développement de la scolarisation n’accroît pas la mobilité sociale, il a surtout pour effet de déplacer les niveaux scolaires correspondant aux différents niveaux de la hiérarchie sociale. Il peut aussi avoir pour effet d’augmenter les inégalités économiques car le niveau d’instruction est corrélé avec le revenu et la hausse du niveau d’instruction est plus forte en haut de la hiérarchie sociale. Cela remet en cause l’idée – souvent avancée et ayant servi de fondement aux politiques éducatives des 50 dernières années – que l’école peut réduire les inégalités. Idée remise en cause aussi par JENCKS. La relation entre inégalités scolaires et inégalités sociales n’est pas une liaison simple et mécanique car c’est le résultat d’une multitude de choix microscopiques. S’il était possible d’établir une égalité complète des chances devant l’enseignement, on n’aurait éliminé qu’une partie des facteurs qui expliquent l’immobilité sociale. L’inégalité des chances ne pourrait être éliminée que dans une société « ayant réussi à supprimer le phénomène de la stratification sociale » selon BOUDON.

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Marie Duru-Bellat : Comment expliquer l’inégalité des chances a l’école ? La reforme Haby (1975) avait supprimé les filières en instituant le « collège unique ».

Pourtant, de nouvelles formes de différenciations sociales sont apparues par le biais de certains choix ; par exemple celui de la première langue en 6ème n’est pas sans lien avec le milieu social. Les enfants de cadres et d’enseignants se retrouvent en plus grand nombre dans les classes dites bilingues ou plus classiquement les classes de germanistes. En 4ème, ils sont plus nombreux a apprendre une langue ancienne. Dans les classes où ils se trouvent regroupés, qui sont en fait des classes de bon niveau, les élèves de milieu favorisé connaissent des progressions plus fortes, alors qu’{ l’inverse les progressions seront plus faibles dans les classes de niveau faibles qui accueillent plus souvent des enfants de milieu populaire.

Les enfants de milieux défavorises abordent les paliers d’orientation en moyenne plus âgés et avec de moins bons résultats scolaires. Mais les inégalités de passage sont aussi dues aux différences dans les demandes formulées par les jeunes et les familles. A résultats équivalents, les demandes des jeunes de milieu défavorisé restent beaucoup plus prudentes (BEP plutôt que seconde). A l’inverse, les enfants de cadres demandent plus souvent et plus fermement la série S. Vu que les directives récentes encouragent { tenir compte du vœu des familles, ces inégalités de demande de familles sont le plus souvent entérinées par les conseils de classe. Plus on avance dans le cursus scolaire, plus ces différenciations dans les choix deviennent décisives, les inégalités de réussite voyant leur poids s’estomper.

En fait, il semble que le déroulement de la scolarité soit plus sensible au niveau d’instruction des parents (et notamment de la mère) qu’a leur profession. De plus, { niveau égal, les projets d’orientation sont plus ambitieux dans les collèges chics que dans les collèges populaires.

La démocratisation du baccalauréat est allée de pair avec une hiérarchisation croissante des différentes sections. En outre, les enfants de cadres réussissent mieux au bac, obtiennent des mentions plus élevées et ont le plus profité du développement des classes préparatoires. Ce qui est relié aux filières suivies dans l’enseignement supérieur : on retrouve plus souvent les enfants de milieux modestes en IUT, et les enfants de cadres en médecine et en classes préparatoires,

Source : Sciences humaines, no72, mai 1997.

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Conclusion : Bilan :

Les processus de mobilité sociale obéissent à des lois statistiques analogues à celles qui régissent la mobilité géographique ou matrimoniale. Si l’on établit la fréquence des mariages en fonction de la distance sociale des conjoints, on obtient une courbe brutalement décroissante. Il en va de même pour la mobilité sociale : les fils d’agriculteurs sont plus nombreux parmi les instituteurs que parmi les professeurs du secondaire ; les fils d’instituteurs sont plus nombreux parmi les professeurs du secondaire que parmi les professeurs de faculté.

On peut rechercher à atténuer ces différences. Mais, l’élimination complète des inégalités sociales devant l’enseignement, l’emploi et le statut est une utopie. « Une organisation méritocratique de la société supposerait en particulier une élimination complète de la fonction de la socialisation que la famille exerce à l’égard de l’enfant » selon BOUDON9. La discrimination positive : un moyen d’augmenter la mobilité ?

Elle existe en Inde depuis l’indépendance, en 1947, dans le système éducatif ainsi que dans la haute fonction publique et au sein des assemblées parlementaires. Près du quart des places, postes et sièges sont ainsi réservés aux « intouchables » et aux populations tribales.

En revanche, en 1997 les électeurs de Californie décidaient par référendum de mettre fin aux programmes de discrimination positive conçus et mis en œuvre pour le secteur public et les Universités d’Etat de Californie. Buts : - Politique de rattrapage entre groupes inégaux, pour permettre de la mobilité sociale. Ce

sont des politiques élitistes : elles ne cherchent pas à lutter contre la pauvreté, mais à réduire l’écart entre groupes. Elles consistent { faire surgir, au sein de ceux qu’on cherche à intégrer, des élites économiques, politiques, dont on parie qu’elles joueront ensuite un rôle moteur dans le progrès général du groupe. « Il est en outre avéré que la réduction des inégalités entre groupes s’est accompagnée, dans tous les pays concernés, d’un accroissement des inégalités internes aux groupes bénéficiaires » affirme Gwenaële Calves10.

- Politique antidiscriminatoire : rompre le cercle vicieux né du statu quo et de mécanismes d’exclusion perçus comme naturels, dissoudre les stéréotypes des uns et le sentiment d’illégitimité des autres.

- Politique de diversité : représentation équitable des différents groupes qui composent la population du pays. Impératif de reconnaissance des identités et de l’égale dignité des minoritaires. (ex : parité hommes femmes aux élections ; Charte de la diversité signée par 35 grands groupes en 2004). Diversité = facilitation de la relation-client, meilleure synergie dans le travail en équipe selon certains. Pourtant, J. Leonard et D. Levine ont montré que la diversité n’entrainait pas une productivité accrue sauf dans le cas ou la diversité recouvre une différence des compétences linguistiques.

Inconvénients : - Rupture de l’égalité devant les concours - Embauche d’individus qui ne sont pas les plus qualifiés - Perte d’estime de soi - Stigmatisation (ZEP) - Frein possible à la mobilité : les individus assistés perdent la logique de la méritocratie

Exemple de Sciences-Po. Pour favoriser une plus grande mixité sociale, Sciences-Po. a autorisé à partir de 2001

l’admission sur dossier et après un entretien de lycéens venant d’établissements situés en ZEP

9 Encyclopedia Universalis, article « Mobilité sociale », p. 398.

10 « Qu’est-ce que la discrimination positive ? », Alternatives économiques, n°232, janvier 2005.

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ou en zone sensible. Or Sciences-Po était considéré jusqu’{ lors comme le temple de l’élitisme républicain et n’admettait que sur concours.

Si tout le monde est d’accord sur le diagnostic, l’initiative ne fait pas l’unanimité. Pour la directrice de l’ENA, « Le projet de [Sciences-Po] est un alibi et cache la politique de

drainage des meilleurs élèves qu’elle mène dans les IEP de province ». Pour d’autres, il serait préférable de motiver ces élèves plutôt que de leur permettre

d’intégrer une grande école sans concours. Mais il existe des obstacles psychologiques très forts { lever, trop d’élèves pensent que les grandes écoles ne sont pas faites pour eux.

D’autres expériences ont été engagées dans les grandes écoles : l’admission sur titre, les concours réservés aux étudiants de l’Université, l’ouverture aux candidats étrangers.

Selon un document interne11 de Sciences Po. reproduit ci-dessous, le profil des étudiants reçus par la procédure CEP (Conventions Education Prioritaire) est nettement plus représentatif de la population française que ceux ayant réussi l’examen d’entrée.

Comparaison des origines sociales entre les admis par l’examen d’entrée et la procédure CEP

Origine socioprofessionnelle Admis (examen d’entrée) Admis (procédure CEP) Artisans, commerçants, chefs d’entreprise

12% 11%

Professeurs, cadres et professions intellectuelles supérieures

71.5% 5.5%

Employés 2.5% 34% Ouvriers 0.5% 16.5% Professions intermédiaires 7.5% 16.5% Autres : agriculteurs, retraités, sans emploi

5.5% 16.5%

Total 100% 100% Effets de la mobilité :

L’augmentation des échanges entre groupes sociaux a des effets sur le vécu des personnes. L’expérience de la mobilité peut s’associer { des problèmes d’adaptation. Elle peut se vivre comme une forme d’abandon du milieu familial, alors même qu’elle est l’aboutissement des espoirs de réussite sociale des parents.

R. Hoggart, La culture du pauvre, Ed. de Minuit, 1970, a montré les problèmes d’ajustement social auxquels étaient confrontés les boursiers d’origine populaire dont la réussite scolaire a été juste suffisante pour les couper de leur milieu d’origine, sans leur ouvrir l’entrée dans une autre catégorie sociale. « De toutes manières, le boursier se dirige vers le monde des « autres » et vers une profession bourgeoise. Pour « arriver », il lui faudra être de plus en plus seul. Il lui faudra, bon gré mal gré, rompre avec les valeurs communautaires des classes populaires, avec la chaude ambiance de la parentèle. ». « Le boursier appartient en effet à deux mondes qui n’ont presque rien en commun, celui de l’école et celui du foyer. Une fois au lycée, il apprend vite à utiliser deux accents, peut-être même à se composer deux personnages et à obéir alternativement à deux codes culturels. »

La mobilité a aussi des effets sur les comportements électoraux, les pratiques de fécondité, les systèmes de valeurs. DURKHEIM a souligné les risques d’anomie résultant d’un affaiblissement des normes et des valeurs collectives, dus à une forte mobilité sociale.

FIN- décembre 2013. © Joël HERMET

11

Conventions Education Prioritaire, Résultats de la procédure d’admission, IEP Paris, septembre 2001, p. 8.