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Norman ROCKWELL, La règle d’or (1961) Ce tableau énonce la « règle d’or », souvent considérée comme commune à de nombreuses religions du monde. La toile représente des hommes, des femmes et des enfants qu’on devine de religions variées. La règle d’or est énoncée ici sous la forme : « Fais aux autres ce que tu aimerais qu’ils te fassent ». Les religions enseigneraient-elles donc toutes la même règle morale ? Avant de l’affirmer, prenons garde à la diversité des formes de “la” règle d’or (formulations positives ou négatives par exemple). Il restera alors à préciser le rôle que les religions jouent à l’égard de la morale en général. Par exemple, comme le demande un sujet du baccalauréat, la morale peut-elle se passer d’un fondement religieux ? (voir sur ce point la partie 3.2.) Le mot « religion » s’emploie de deux manières, non pas opposées mais complémentaires : 1. Une religion est un système : - de croyances portant notamment sur les rapports que les hommes ont avec une ou plusieurs forces surnaturelles (presque toujours, une ou plusieurs divinités), la nature de ces forces, le devenir de l’être humain après sa mort, etc., ce qui constitue un dogme ; - de valeurs définissant le bien et le mal, le juste et l’injuste, et plus globalement les rapports que les hommes doivent avoir entre eux, ce qui constitue une morale ; - de pratiques (notamment rites et cérémonies), ce qui constitue un culte. Ce système de croyances, de valeurs et de pratiques unit une communauté de fidèles (ceux qui partagent la même foi). Les questions posées par la notion de religion dans ce premier sens sont notamment celles de l’adhésion des personnes aux croyances, aux valeurs : les croyances enseignées par telle religion sont-elles vraies ? Les valeurs enseignées par cee religion sont-elles bonnes ? 2. Une religion est une institution organisant un culte. Elle peut prendre des formes diverses (selon son étendue géographique, sa hiérarchie, etc.). Le mot « religion » désigne aussi, plus largement, l’ensemble des personnes qui se revendiquent d’une religion au sens 1 : la religion est alors une « communauté ». Les questions posées par la notion de religion dans ce second sens sont notamment celles de la place de la ou des religions dans la société : quelle importance politique faut-il accorder aux religions ? Voir à ce sujet la partie 3.3. Il faut se méfier de l’affirmation selon laquelle la religion serait un élément présent dans toutes les sociétés humaines : cee affirmation masque la très grande diversité des formes de religion : voir à ce sujet les ressources complémentaires 1 et 5. On emploie parfois le mot « religion » au sens figuré pour désigner une adhésion forte à une valeur : la religion du progrès, la religion de la science, la religion de la raison, etc. 1

la morale peut-elle se passer d’un fondement religieux ? religion générale/Cours... · 2020. 12. 16. · religion naturelle (souvent synonyme de déisme) : celle-ci n’est pas

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Page 1: la morale peut-elle se passer d’un fondement religieux ? religion générale/Cours... · 2020. 12. 16. · religion naturelle (souvent synonyme de déisme) : celle-ci n’est pas

◘ Norman ROCKWELL, La règle d’or (1961)

Ce tableau énonce la « règle d’or », souvent considéréecomme commune à de nombreuses religions du monde. La toilereprésente des hommes, des femmes et des enfants qu’on devinede religions variées. La règle d’or est énoncée ici sous la forme :« Fais aux autres ce que tu aimerais qu’ils te fassent ». Lesreligions enseigneraient-elles donc toutes la même règle morale ?Avant de l’affirmer, prenons garde à la diversité des formes de“la” règle d’or (formulations positives ou négatives par exemple).

Il restera alors à préciser le rôle que les religions jouent àl’égard de la morale en général. Par exemple, comme le demandeun sujet du baccalauréat, la morale peut-elle se passer d’unfondement religieux ? (voir sur ce point la partie 3.2.)

◘ Le mot « religion » s’emploie de deux manières, non pas opposées mais complémentaires :

1. Une religion est un système :- de croyances portant notamment sur les rapports que les hommes ont avec une ou plusieursforces surnaturelles (presque toujours, une ou plusieurs divinités), la nature de ces forces, ledevenir de l’être humain après sa mort, etc., ce qui constitue un dogme ;- de valeurs définissant le bien et le mal, le juste et l’injuste, et plus globalement les rapports queles hommes doivent avoir entre eux, ce qui constitue une morale ;- de pratiques (notamment rites et cérémonies), ce qui constitue un culte.

Ce système de croyances, de valeurs et de pratiques unit une communauté de fidèles (ceux quipartagent la même foi).

Les questions posées par la notion de religion dans ce premier sens sont notamment celles del’adhésion des personnes aux croyances, aux valeurs : les croyances enseignées par telle religionsont-elles vraies ? Les valeurs enseignées par cette religion sont-elles bonnes ?

2. Une religion est une institution organisant un culte. Elle peut prendre des formes diverses(selon son étendue géographique, sa hiérarchie, etc.). Le mot « religion » désigne aussi, pluslargement, l’ensemble des personnes qui se revendiquent d’une religion au sens 1 : la religion estalors une « communauté ». Les questions posées par la notion de religion dans ce second senssont notamment celles de la place de la ou des religions dans la société : quelle importancepolitique faut-il accorder aux religions ? Voir à ce sujet la partie 3.3.

Il faut se méfier de l’affirmation selon laquelle la religion serait un élément présent dans toutesles sociétés humaines : cette affirmation masque la très grande diversité des formes de religion :voir à ce sujet les ressources complémentaires 1 et 5.

◘ On emploie parfois le mot « religion » au sens figuré pour désigner une adhésion forte à unevaleur : la religion du progrès, la religion de la science, la religion de la raison, etc.

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◘ Lorsqu’un seul dieu existe selon une religion, elle est un monothéisme : judaïsme,christianisme, islam (voir les fiches sur ces religions), religion sikh, etc. On parle alors de « Dieu »(avec une majuscule) qui est un nom propre. Lorsque plusieurs dieux existent selon une religion,elle est un polythéisme : religion de l’Égypte antique, religion gréco-romaine, religion desVikings, hindouisme, shintoïsme… « dieu », « déesse » sont alors des noms communs.

Le bouddhisme, bien que sans dieu (donc une forme d’athéisme), est considéré comme unereligion au sens où il remplit toutes les “fonctions divines” : justice transcendante (voir le repère« transcendant / immanent »), vie après à la mort, etc. (voir la fiche sur le bouddhisme).

◘ La révélation au sens religieux est l’ensemble des moyens par lesquels, d’après certainesreligions, Dieu ou les dieux se révèlent aux hommes : livres sacrés (Bible, Coran…), prophètes,miracles, etc. Les religions révélées se distinguent de ce qu’on appelle en philosophie lareligion naturelle (souvent synonyme de déisme) : celle-ci n’est pas connue des hommes parune révélation, mais par la seule raison (voir le texte de Rousseau de la partie 4).

◘ L’athéisme consiste à penser qu’il n’y a ni Dieu ni dieux, ni rien qui transcende l’univers.

◘ L’agnosticisme consiste dans l’ignorance assumée au sujet de la question de l’existence ou del’inexistence de Dieu ou des dieux.

◘ Le sacré (par opposition au profane) désigne dans toute religion ce qui a le plus de valeur(lieux, objets, gestes, noms, croyances, etc.) et renvoie souvent au divin, mais n’est pas,contrairement à ce qu’on pense souvent, un concept spécifiquement religieux. Ainsi RogerCaillois (sociologue français du XXe siècle) écrit-il : I « C’est avec raison […] que l’on emploie le mot “sacré”en dehors du domaine proprement religieux pour désigner ce à quoi chacun voue le meilleur de lui-même, ce que chacun tientpour la valeur suprême, ce qu’il vénère, ce à quoi il sacrifierait au besoin sa vie. […] Pour le passionné, c’est la femme qu’ilaime ; pour l’artiste ou le savant, l’œuvre qu’ils poursuivent ; pour l’avare, l’or qu’il amasse ; pour le patriote, le bien del’État, le salut de la nation, la défense du territoire ; pour le révolutionnaire, la révolution. » (L’homme et le sacré).

◘ Un sacrilège est une action par laquelle une atteinte est portée contre quelque chose desacré : attitude irrespectueuse ou provocante dans un lieu sacré, détérioration ou destruction d’unobjet sacré, etc. Lorsque le sacrilège se fait verbalement, on parle de blasphème.

Principaux REPÈRES en lien avec la religion :1. Croire / savoir 2. Transcendant / immanent

3.1. Les religions et les sciences sont-elles compatibles ?

◘ La première “grande” confrontation entre science et religion a eu lieu au début du XVIIe siècle,lorsque Galilée (astronome et physicien italien) soutient la thèse copernicienne de la doublerotation de la Terre, sur elle-même et autour du Soleil (héliocentrisme), allant à l’encontre de lathèse aristotélicienne de la Terre immobile au centre de l’univers (géocentrisme). Il est contraintd’abjurer. L’Église catholique abandonnera officiellement le géocentrisme vers 1750.

La deuxième “grande” confrontation a lieu au XIXe siècle lorsque Charles Darwin remet encause le créationnisme fixiste, selon lequel toutes les espèces vivantes ont été directement crééespar Dieu sous leur forme définitive. Il défend au contraire la théorie de l’évolution . Aujourd’hui,quasiment toutes les religions, sauf leurs courants fondamentalistes, admettent l’évolution desespèces (avec parfois quelques nuances, ou quelques détournements comme la thèse du « desseinintelligent » qui tente de concilier l’évolution des espèces vivantes avec l’intervention de Dieudans la nature). Par exemple, le pape Jean-Paul II a affirmé que la théorie de l’évolution estI « plus qu’une hypothèse » dans son intervention devant l’Académie pontificale des sciences en 1996.Voir sur ce point la ressource complémentaire 1 du chapitre sur la nature.

◘ Ces deux confrontations, dont la science est deux fois sortie vainqueur, n’ont manifestement

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eu que peu d’impact, voire aucun, sur le nombre de croyants. Pourquoi les progrès des sciencesn’ont-ils pas fait disparaître les religions ? Il semblerait que de nombreux·ses croyant·e·s, peut-être la majorité, accordent peu d’importance aux dogmes précis de leur religion, voire ne lesconnaissent pas. La religion constitue souvent autant, si ce n’est plus, une partie de leur identité,une appartenance collective qu’un dogme auquel ils·elles adhèrent.

3.2. La religion est-elle indispensable à la morale ?

◘ On peut d’abord se poser la question du point de vue théorique : peut-on définir le bien sans seréférer à Dieu ? Dans l’Euthyphron de Platon, Socrate montre que si une bonne action est aiméepar les dieux, c’est parce qu’elle est bonne en elle-même ; ce n’est pas parce qu’ils l’aiment qu’elleest bonne. Il faut donc définir le bien indépendamment des dieux (ou de Dieu). Pour les religionsmonothéistes en revanche, Dieu est la source du bien, ou même est le bien lui-même.

◘ Cependant Kant, bien que croyant, écrit : I « Nous ne tiendrons pas nos actes pour obligatoires parce qu’ilssont des commandements de Dieu, mais nous les considérerons comme des commandements divins parce que nous y sommesintérieurement   obligés. » (Critique de la raison pure). Ici, « obligatoires » signifie « imposés par lamorale ». Selon lui, c’est par la raison et non par la révélation que nous connaissons la morale.

◘ Du point de vue pratique, on peut se demander si la religiosité est nécessaire ou au moins utilepour faire le bien. Locke, dans la Lettre sur la tolérance (1689), écrit que I « ceux qui nient l’existenced’un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont lesprincipaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir sa parole. ». La question est alors d’unepart de savoir si l’on peut être un “athée vertueux” (formule que Kant applique par exemple àSpinoza), d’autre part si l’on peut être croyant sans être vertueux.

◘ Diderot (philosophe et écrivain français du XVIIIe siècle), dans l’Entretien d’un philosophe avecla maréchale de ***, soutient qu’un athée peut être vertueux pour trois raisons : I « on peut être siheureusement né, qu’on trouve un grand plaisir à faire  le bien » ; I « on peut avoir reçu une excellente éducation, quifortifie le penchant naturel à la bienfaisance » ; avec l’expérience, on peut se rendre compte qu’I « il vautmieux, pour son bonheur dans ce monde, être un honnête homme qu’un coquin. ».

3.3. Quel doit être le rôle politique des religions ?

◘ On peut distinguer trois types de sociétés selon la place que la ou les religions y occupent :- Dans une première catégorie de société, une religion sert de légitimation à un pouvoirpolitique qui n’est pas directement exercé par les autorités religieuses. Dans l’Épître aux Romains(13, 1-2), livre du Nouveau Testament, saint Paul écrit : I « Que chacun se soumette aux autorités en charge.Car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui quirésiste à  l’autorité  se rebelle contre  l’ordre établi  par Dieu. ». Cette idée se retrouve dans de nombreusessociétés de toutes les époques et de tous les continents, dans lesquelles le chef prétend tirer salégitimité de Dieu : les califes (littéralement « successeurs » de Mahomet) des pays musulmans,la monarchie de droit divin dont le règne de Louis XIV est l’archétype, ou encore les empereursdu Japon, descendants supposés de la déesse du soleil Amaterasu.- Un deuxième type de société est celui des théocraties, dans lesquelles le pouvoir politique estexercé par les autorités religieuses, comme en Iran ou dans l’État de la cité du Vatican.- Enfin, les sociétés laïques reposent notamment sur la séparation du politique et du religieux.Voir la ressource complémentaire 7.

Dans les deux premiers types de société, se pose le problème de la cohabitation entre d’unepart, les membres de la religion officielle, et d’autre part les membres des autres religions et celleset ceux qui n’ont pas de religions (athées et agnostiques). Cela ne signifie évidemment pas queles sociétés laïques ne connaissent pas de difficultés dans ces mêmes cohabitations. Croyants etincroyants y sont toutefois supposés être à égalité de droits.

◘ Marx dénonce quant à lui le rôle des religions dans le maintien au pouvoir d’une classe

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dominante qui en exploite une autre : I « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un mondesans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de lareligion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusionssur sa situation, c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germela critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. » (Contribution à la critique de la philosophiedu droit de Hegel). On peut remarquer que Marx ne s’en prend pas ici aux croyant·e·s (« lacréature opprimée), mais à l’ordre social injuste qui les pousse vers la religion.

Vous ne voyez dans mon exposé que la religion naturelle : il est bien étrangequ’il en faille une autre. Par où connaîtrai-je cette nécessité ? De quoi puis-je êtrecoupable en servant Dieu selon les lumières qu’il donne à mon esprit et selon lessentiments qu’il inspire à mon cœur ? Quelle pureté de morale, quel dogme utile àl’homme et honorable à son auteur puis-je tirer d’une doctrine positive, que je nepuisse tirer sans elle du bon usage de mes facultés ? Montrez-moi ce qu’on peutajouter, pour la gloire de Dieu, pour le bien de la société, et pour mon propreavantage, aux devoirs de la loi naturelle, et quelle vertu vous ferez naître d’unnouveau culte, qui ne soit pas une conséquence du mien. Les plus grandes idées dela divinité nous viennent par la raison seule. Voyez le spectacle de la nature,écoutez la voix intérieure. Dieu n’a-t-il pas tout dit à nos yeux, à notreconscience, à notre jugement ? Qu’est-ce que les hommes nous diront de plus ?Leurs révélations ne font que dégrader Dieu, en lui donnant les passions humaines.Loin d’éclaircir les notions du grand Être, je vois que les dogmes particuliers lesembrouillent ; que loin de les ennoblir, ils les avilissent ; qu’aux mystèresinconcevables qui l’environnent ils ajoutent des contradictions absurdes ; qu’ilsrendent l’homme orgueilleux, intolérant, cruel ; qu’au lieu d’établir la paix sur laterre, ils y portent le fer et le feu. Je me demande à quoi bon tout cela sanssavoir me répondre. Je n’y vois que les crimes des hommes et les misères du genrehumain.

On me dit qu’il fallait une révélation pour apprendre aux hommes la manièredont Dieu voulait être servi ; on assigne en preuve la diversité des cultes bizarresqu’ils ont institués, et l’on ne voit pas que cette diversité même vient de lafantaisie des révélations. Dès que les peuples se sont avisés de faire parler Dieu,chacun l’a fait parler à sa mode et lui a fait dire ce qu’il a voulu. Si l’on n’eûtécouté que ce que Dieu dit au cœur de l’homme, il n’y aurait jamais eu qu’unereligion sur la terre.

Rousseau, Émile ou De l’éducation (1762)

◘ À quoi tient la force des religions ?◘ La raison est-elle nécessairement en conflit avec la religion ?◘ La religion peut-elle se définir par sa fonction sociale ?◘ La religion peut-elle n’être qu’une affaire privée ?◘ L’esprit religieux ne se manifeste-t-il que dans les religions ?

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Les quatre fiches sur le judaïsme, le bouddhisme, le christianisme et l’islam doivent êtreconsidérées comme faisant partie de ces ressources complémentaires.

1. Les premières formes de religions et les différentes catégories de religions

◘ Les premières “traces” identifiables d’un comportement religieux sont peut-être les sépulturespréhistoriques. Les plus anciennes actuellement connues datent d’environ 100 000 ans (Hommede Néandertal et Homo sapiens). La position des corps, les objets disposés (coquillages, dentsd’animaux…) sont les signes d’une attention particulière portée aux morts, mais ne nousinforment pas sur les croyances des hommes qui la portaient.

◘ On distingue notamment les catégories de religions suivantes :- Polythéisme (panthéons égyptien, gréco-romain, viking ; hindouisme, etc.) ;- Monothéisme (judaïsme, christianisme, islam, religion sikhe, etc.) ;- Animisme (croyance en la présence dans la nature de forces vitales : dans les animaux, lesarbres, l’eau, le vent, etc., et éventuellement en l’existence de “génies” associés à ces éléments). Levaudou est une religion animiste (voir la ressource complémentaire 5) ;- Fétichisme (culte d’animaux ou d’objets non-vivants qui sont divinisés) ;- Chamanisme (croyance en un monde autre que le monde “réel” : le monde des dieux, desesprits, des morts, etc. et en la possibilité pour les chamanes de communiquer avec ce monde).

2. Un exemple de récit religieux : le sacrifice du fils d’Abraham

◘ Dans la Bible (Genèse, 22, 1-19) et dans le Coran(37, 100-111) est raconté un épisode dans lequelDieu demande à Abraham de lui sacrifier son filsunique (Isaac dans la Bible, Ismaël dans le Coran).Dieu veut ainsi “tester” la foi d’Abraham. Dans lesdeux versions, Abraham est prêt à tuer son filsparce que Dieu le lui a ordonné (directement dansla Bible, dans un rêve dans le Coran). Au derniermoment, Abraham est empêché de commettre lesacrifice (par un ange dans la Bible, par Dieu lui-même dans le Coran).

Dans la Bible comme dans le Coran, Dieu béniraAbraham pour son obéissance. Le Caravage, Le sacrifice d’Isaac (1598)

◘ Ce récit religieux, commun aux trois monothéismes les plus présents en Occident, le judaïsme,le christianisme et l’islam, a de prime abord de quoi surprendre : comment Dieu peut-il exigerd’un homme qu’il tue son fils pour lui ? L’hypothèse selon laquelle Dieu aurait attenduqu’Abraham désobéisse doit être écartée, car Dieu récompense précisément Abraham pour sonobéissance : I « Je jure par moi-même, parole de Yahvé : parce que tu as fait cela, que tu ne m’as pas refusé ton fils,ton unique,   je   te  comblerai  de bénédictions » (Genèse, 22, 16-17). De même, la plus importante fête del’islam, l’Aïd-el-kebir, célèbre cette soumission d’Abraham.

◘ Que faut-il penser de cet épisode ? La religion nous ordonne-t-elle d’obéir aveuglément àDieu ? Devons-nous être prêt·e·s à tuer un ou des innocents si nous pensons que Dieu ledemande ? Si Dieu existe, ne nous a-t-il pas donné une conscience morale afin que nous nous enservions ?

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3. Exemples d’arguments pour et contre l’existence de Dieu

Thèmes Arguments pour l’existence de Dieu Arguments contre l’existence de Dieu

L’ordre dela nature

L’ordre de la nature ne peut pas être lerésultat du hasard. Cet ordre supposeun créateur intelligent : I « L’universm’embarrasse,  et  je ne puis songer / Que cettehorloge   existe,   et   n’ait   point   d’horloger »(Voltaire, Les cabales).

- Si Dieu existait, il n’y aurait pas de“désordre” dans la nature (tsunami,ouragans, etc.).- L’ordre peut s’expliquer par des loisnaturelles (comme la sélection naturelledans la théorie de l’évolution).

L’existence dumonde

Tout ce qui existe a une cause. Pouréviter la régression à l’infini, il faut unecause première : c’est Dieu, qui est lui-même « cause de soi »

I « La  causa   sui  constitue   la   plus   éclatantecontradiction   interne   que   l’on   ait   jamais   forgéejusqu’à   ce   jour. » (Nietzsche, Par-delà lebien et le mal).

La finalité dans la nature Voir le chapitre sur la nature, partie 3.3.

L’idéal de justice

- Si Dieu n’existe pas, la morale et lajustice n’ont aucun fondement, car lamorale et la justice humaines sont tropfragiles, trop changeantes.- Si Dieu n’existe pas, l’existencehumaine est désespérante, car il n’y anul espoir d’une justice qui viendraitinfailliblement punir le vice etrécompenser la vertu.

I « Il   est   indubitable  […]  que   le   supplice  desenfants a été, et devait ne pas être, et que Dieupouvait faire qu’il ne soit pas. Comme Dieu ne s’estpas   manifesté   dans   des   circonstances   où,moralement,   il   l’aurait   dû,   s’il   existait,   il   seraitcoupable. La notion d’un Dieu coupable et méchantapparaissant   contradictoire,   il   faut   conclure   queDieu   n’est   pas. » (Conche, Orientationphilosophique)

L’universalité de la croyancereligieuse

Dans toutes les civilisations humainesque nous connaissons, on trouve desformes de religion. Cette universalitéest le signe de la vérité des religions.Car au-delà de leurs différencesnotables, elles présentent des élémentsinvariants, comme la croyance en unejustice transcendante ou la survie del’âme après la mort.

L’universalité des religions peut être lesigne d’une illusion universelle : I « ilserait   en   effet   fort   beau   qu’il   y   eût   un   Dieu,Créateur   du   monde   et   Providence   bienveillante,qu’il   y  eût  un ordre moral  du monde et une viedans l’au-delà, mais il est néanmoins très frappantque   tout   cela   soit   exactement   ce  que  nous   nepouvons  manquer   de   nous   souhaiter. » (Freud,L’avenir d’une illusion).

4. Religions et superstition

◘ La superstition est la croyance en un lien de causalité entre certains objets, événements,paroles ou comportements d’une part, et un ou des événements futurs, espérés ou redoutésd’autre part, sans que ce lien ne soit compréhensible rationnellement. En voici quelquesexemples :

Types de “causes” Causes supposées Conséquences supposées

Objets Trèfle à quatre feuilles, fer à cheval Attire la chance

ÉvénementsPassage d’un chat noir Provoque un événement négatif

Envol d’une coccinelle Provoque un événement positif

Paroles Prononcer le mot « lapin » sur un bateau Risque de provoquer un naufrage

Comportements Toucher du bois en faisant un souhait Fait que le souhait se réalise

Passer sous une échelle, être 13 à table Provoque un événement négatif

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Bien qu’aucun des rapports de causalité relevant de lasuperstition ne puisse évidemment être établi rationnellement,et bien que l’expérience montre aux êtres humains que lescroyances superstitieuses sont fausses et les pratiquessuperstitieuses inefficaces, il est frappant de constater que cescroyances et ces pratiques perdurent. Spinoza, dans la préfacedu Traité théologico-politique, l’explique par la force de l’espoiret de la crainte chez l’être humain et la faiblesse de sa raison.

Objets et signes superstitieux positifs(trèfle à quatre feuilles, fer à cheval)et négatifs (vendredi 13, chat noir)

◘ Les rapports entre les religions et la superstition sont complexes : d’une part, les religionscondamnent généralement la superstition comme étant contraires à la véritable religiosité ;d’autre part, elles encouragent parfois (ou du moins ne découragent pas) certains comportementssuperstitieux : avoir une médaille religieuse “porte-bonheur”, allumer un cierge pour favoriser laguérison d’une maladie ou la réussite à un examen, croire au « mauvais œil » et aux moyens des’en protéger, faire un pèlerinage au terme duquel on espère un miracle (comme à Lourdes), etc.

De même, la prière religieuse a souvent un double sens : d’une part, la communion spirituelleavec Dieu, d’autre part une demande adressée à Dieu (sens qu’on retrouve dans le sens nonreligieux du verbe « prier »). D’ailleurs, plusieurs textes religieux suggèrent que si on “demande”quelque chose à Dieu, il le donne, par exemple : I « Et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai,afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai.  » (Évangile selonJean, 14, 13-14). I « Que si Mes adorateurs t’interrogent sur Moi, Je suis tout proche à exaucer l’invocation de quiM’invoque,   quand   on   M’invoque. » (Coran, 2, 186). La demande semble être dans ces passages lacondition nécessaire et suffisante pour que Dieu exauce les demandes des hommes, ce qui peutêtre rapproché des croyances et des pratiques superstitieuses, selon lesquelles en ayant uncomportement précis, on obtient ce qu’on espère.

5. Un exemple de religion animiste : le vaudou

Sculptures vaudoues Nagoet Fon du Bénin

Cérémonie vaudoue (Haïti)

Le vaudou est une religion animiste née en l’Afrique de l’Ouest, auXVIIe siècle. Peu après, lorsque les Noirs originaires de cette région,réduits par les Européens en esclavage, sont déportés dans les Antilles etdans ce qui deviendra les États-Unis, ils y amènent cette religion.

Le vaudou professe l’existence d’une divinité suprême, Mawu, qui acréé les autres vaudous, les “esprits” qui peuvent s’incarner dans desobjets naturels inanimés (arbres ou pierres).

Les pratiques vaudoues ne sont pas aussi sanglantes que denombreux romans et films hollywoodiens les présentent (sacrificesd’animaux, voire meurtres rituels, etc.). De même, les « poupéesvaudoues » n’existent pas dans le vaudou, même si on y trouve desobjets équivalents destinés à jeter un sort à une personne. Il est possibleque les esclaves pratiquant le vaudou en Amérique aient donné à leurreligion certains éléments visant à effrayer les Blancs, en réaction à lacruauté qu’ils ont eux-mêmes subie de leur part.

6. Les religions et les femmes

◘ La plupart des religions reconnaissent aux femmes, à des degrés divers, des droits (voire descapacités) inférieurs à ceux des hommes. En cela, elles ne sont que le reflet des sociétés dont ellessont issues, rarement ou jamais égalitaires sur ce plan.

◘ Les passages des textes fondateurs des trois monothéismes présents en Occident (judaïsme :Bible hébraïque ; christianisme : Nouveau Testament  ; islam : Coran) portant sur les femmes leursont globalement défavorables. En voici quelques exemples :- Dans la Bible hébraïque (correspondant à peu près à l’Ancien Testament chrétien), dans le

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chapitre 22 du Deutéronome, la virginité est exigée de la future épouse, faute de quoi elle seralapidée à mort (versets 20-21). L’exigence ne vaut pas pour les hommes. Si une vierge fiancée à unhomme se fait violer dans une ville, elle sera lapidée à mort comme son violeur, lui du fait du viol,elle pour n’avoir pas appelé au secours (versets 23-24). Si une vierge non fiancée se fait violer, levioleur donnera 50 pièces d’argent à son père, et elle sera sa femme (versets 28-29).- Dans le Nouveau Testament, il est écrit : I « Le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme,c’est l’homme ; et le chef du Christ, c’est Dieu. » (Première épître aux Corinthiens, 11, 3).- Le Coran contient le passage suivant : I « Celles de qui vous craignez l’insoumission, faites-leur la morale,désertez leur couche, corrigez-les. Mais une fois ramenées à l’obéissance, ne leur cherchez pas prétexte. » (sourate 4,verset 34). Les femmes doivent donc, là aussi, obéir à leurs maris.

◘ Les rabbins dans le judaïsme, les prêtres dans le christianisme et les imams dans l’islam nepeuvent être que des hommes. Il y a cependant des exceptions dans le christianisme : l’Égliseréformée (protestantisme) et l’Église anglicane, présentes dans les pays anglo-saxons.

◘ Le bouddhisme, qui jouit d’une image plus tolérante, n’est en réalité pas plus favorable que lesreligions évoquées ci-dessus aux femmes, globalement considérées comme des êtres impurs.

7. Qu’est-ce que la laïcité ?

◘ Dans le numéro 158 des Cahiers de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (juin 2011), JeanBaubérot, professeur d’histoire et de sociologie de la laïcité, définit ainsi la laïcité :

« En nous appuyant sur les pères fondateurs, nous avons défini, avec Micheline Milot, la laïcité par deux finalités et deuxmoyens. La première finalité est la liberté de conscience, le droit de croire ou de ne pas croire en son for intérieur, maisaussi d’exprimer sa croyance ou son refus du religieux. La seconde est l’égalité des droits, quelle que soit l’appartenance oula non-appartenance religieuse, autrement dit, en termes modernes, la non-discrimination. Les moyens sont la séparation dupolitique et du religieux, et la neutralité de l’État à l’égard des diverses croyances. Il s’agit d’une neutralité “arbitrale” del’État, qui n’ignore pas l’existence des religions, qui établit des règles démocratiques et veille à leur respect. L’État se doitd’intervenir   quand   les   finalités  de   la   laïcité   sont  menacées :   la   liberté   de  conscience   ou   l’égalité  des   droits.  Avec   laséparation de l’Église et de l’État, la religion n’est plus un pouvoir, mais entre dans l’ordre de l’autorité, autorité que vousacceptez seulement si elle vous paraît légitime. Le terme de laïcité (ou de  Secular State  en anglo-américain) permet decoordonner ces quatre principes qui ne sont jamais appliqués intégralement, pas plus en France qu’ailleurs, mais qui sont uneréférence plus ou moins forte dans les États démocratiques, même dans des pays comme la Norvège où existe une religiond’État. La laïcité est donc “une politique de pacification par le droit” et représente en permanence un enjeu social. »

◘ Jean Baubérot dit que I « ces quatre principes […] ne sont jamais appliqués intégralement, pas plus en Francequ’ailleurs ». En France par exemple, on peut signaler des atteintes aux quatre principes :- La liberté de manifester sa croyance ou son incroyance ne peut pas être totale : lorsque lepouvoir politique le juge nécessaire, cette liberté peut être limitée voire supprimée par la loi. Laloi de 2004 sur les signes religieux à l’école en constitue un exemple.- L’histoire d’un pays porte souvent atteinte à l’égalité des droits : les nombreux jours fériéschrétiens en France et, plus encore, le Concordat en Alsace et en Moselle, constituent desinégalités entre les croyant·e·s. Les adeptes de l’islam, deuxième religion de France (après lecatholicisme), bénéficient souvent de moins de liberté de culte que ceux de religions moinsreprésentées mais présentes depuis plus longtemps, comme le judaïsme et le protestantisme.- La séparation du politique et du religieux comporte desexceptions : la loi de 1905 prévoit par exemple la mise en placed’aumôneries en partie financées par l’État dans lesinstitutions publiques fermées (hôpitaux, prisons, etc.).- La neutralité de l’État et des collectivités territorialescomporte de fait de nombreuses exceptions. Certaines fêtesreligieuses bénéficient de subventions publiques au motif deleur importance culturelle, comme la procession de la Sanch àPerpignan (voir photo ci-contre). Procession de la Sanch à Perpignan (2017)

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