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La naufragée des Anneaux de Buren Contribution libre et anonyme pour «Ma ville demain» Inventons la métropole nantaise de 2030

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La naufragée des Anneaux de Buren

Contribution libre et anonyme pour «Ma ville demain»

Inventons la métropole nantaise de 2030

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J’aurais aimé avoir un jour quatre murs pour me loger, recevoir des amis, et prendre

soin des fleurs qu’ils m’auraient apportées…

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Ce matin, avant d’aller chercher son pain, Augustine Grodin s’est rendue sur l’esplanade Jean

Bruneau pour dérouiller ses jambes. Elle s’est assise quelques minutes sur le banc où se trouve le

p’tit Jules, et, tout comme la statue du capitaine Némo, elle a regardé vers le large. Ensuite, elle s’est

relevée, doucement, en supportant le poids de ses soixante-quinze ans. Elle a scruté de ses yeux

noirs la Loire et la ville. Ici, c’est son village, son rocher, sa colline ; ici, c’est son quartier, son p’tit

coin de paradis empreint de ses souvenirs. Puis elle est remontée gentiment d’un pas chaloupé

jusqu’à la boulangerie.

Aujourd’hui, comme souvent, la Butte Sainte-Anne est tranquille tel un dimanche. L’église sonne ; il

est neuf heures, la statue de la Bonne Mère bénit et bénira éternellement le fleuve et ses marins.

Augustine pousse la porte et entre dans le magasin. Elle est la seule cliente.

- Bonjour Augustine ! dit Jeanne la boulangère, avec son habituel entrain. Je vous sers comme

d’habitude ?

- Comme d’habitude ! reprend l’habituée avec tout autant de bonne humeur.

Et sur le comptoir, elle dépose deux pièces de monnaie en échange du pain qui crépite et du gâteau

qu’elle dégustera cet après-midi pour son quatre heures.

- Au fait, votre Parisien, monsieur Perrain, il est arrivé ?

- Oui, dit madame Grodin, d’un air pleinement satisfait. Il est arrivé hier soir, à vingt heures. Ah, ce

n’est pas Cary Grant, ni Kevin Costner, ça c’est sûr ! dit-elle en rigolant. Mais il me paraît être un

gentil garçon.

- Il vous a loué le studio du haut ou l’appartement du bas ?

- Pensez-vous ! Il a pris ni l’un, ni l’autre ; il a craqué pour l’atelier de menuiserie de mon défunt mari.

Vous voyez la grande remise qui se trouve dans le fond de la cour, là où l’année dernière vous

entreposiez vos sacs de farine ?

- Ah ben oui, je vois. Mais comment ça, il a craqué ? s’inquiète subitement la boulangère en ouvrant

ses yeux comme deux ronds de flanc. Il ne va tout de même pas y loger ?

- Eh bien si ! Il m’a même dit que cet atelier était magnifique, que dans tout Nantes, il ne pouvait pas

espérer trouver mieux, que pour lui, c’était même l’opportunité de laisser son travail pour enfin

réaliser son rêve, s’installer ici, en tant que plasticien-créateur de marionnettes.

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- Tiens, un créateur de marionnettes dans notre quartier. Pourquoi pas ? Oui, mais j’y pense, cet

atelier est insalubre, Augustine ! Vous ne pouvez pas louer un truc pareil !

- Ben pourquoi pas ? Si je lui laisse le local pour un prix raisonnable… D’accord, ce n’est pas Versailles,

mais ça lui fait tout de même, avec la mezzanine, une surface totale de cinquante mètres carrés.

C’est même lui qui m’a proposé de consolider le toit et de revoir l’installation électrique et sanitaire.

Et en plus, à ses frais ! Entre nous, il n’est pas fier ce monsieur Perrain, il n’a pas besoin de douche, ni

d’eau chaude, et les toilettes dans la cour lui conviennent.

- Ah ben ça alors ! dit la boulangère stupéfaite, ça va nous changer des Parisiens qui viennent

s’installer dans notre quartier. Mais au fait, êtes-vous sûre qu’il soit solvable ?

- Oui, bien sûr ! Enfin tout au moins jusqu’au mois dernier. De toute façon, il m’a payé trois mois de

loyer d’avance et fourni tous les justificatifs demandés pour le contrat de location. Vous savez, ma

chère Jeanne, on apprend beaucoup de choses sur les gens en regardant de près tous ces papiers.

Tenez…

Madame Grodin se rapproche de la boulangère pour lui murmurer à l’oreille :

- Mon locataire a travaillé dix-huit ans comme conseiller en assurances dans un cabinet à Paris, sa

paie n’était pas mauvaise et je sais aussi, mais là je compte sur votre discrétion, qu’il a partagé là bas

son appartement avec une demoiselle Pauline Clergeot. Ça vous dit rien, vous, Pauline Clergeot ?

- N…o…n, je ne vois pas…

- Mais si, ça pourrait être la nièce de l’ancien coiffeur de l’avenue Sainte-Anne. Pauline Clergeot qui

me louait un appartement en dessous de chez moi et qu’est partie vivre à Paris avec le fils Gloubier, il

y a à peu près dix ans…

- Ah oui ! Ca y est, j’y suis ! s’écrie, enjouée, la boulangère. Pauline ! La p’tite rousse qui travaillait

dans une agence de communication et que j’appelais Nénette quand elle était petite. Ahhh ! Ben

quelle coïncidence, ça nous rajeunit pas ! Mais alors Augustine, ça veut dire que durant tout ce

temps, Pauline aurait cassé avec le fils Gloubier et qu’aujourd’hui elle nous reviendrait au bras de ce

monsieur Perrain ?

- Oh là ! Comme vous y allez, Jeanne ! N’oubliez pas que ce monsieur m’a loué l’atelier pour y vivre

seul, même si hier, à Paris, il vivait avec la p’tite Clergeot, enfin je veux dire, la supposée Pauline

Clergeot. Mais là, vous n’êtes pas gentille, Jeanne. Vous me forcez à trahir la confiance de mon

locataire qui m’a révélé quelques petites choses hier.

- C'est-à-dire ?

- Et bien, je sais, pour tout vous dire, qu’il vient de se séparer de sa compagne, ce qui expliquerait

tout de suite la raison pour laquelle Pauline ne m’aurait pas contactée pour la location.

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- Evidemment.

- Mais cependant, j’ai senti lors de notre conversation, que sa rupture sentimentale n’était pas

l’unique raison de ce déménagement. Enfin bref, tous ces dires ne sont que des suppositions. Si ça se

trouve, sa Pauline Clergeot n’a rien à voir avec la nôtre. Et puis on sait c’que c’est, nous, les femmes.

Un homme à quarante ans, c’est capable de tout foutre en l’air, c’est fragile comme du verre.

- Ah ça oui ! Comme vous avez raison. Mais au fait, Augustine, à quoi je pourrais reconnaître votre

monsieur Perrain ?

- Ahhh… ben… ça ! C’est pas facile c’que vous me demandez là… Comment vous dire… C’est un

homme brun, disons plutôt… grand, maigre, il a le teint blanc comme un cierge de Pâques. Moi, je

dirais qu’il a le physique des gens qui ne ressemblent à personne…

- Ca m’aide pas beaucoup c’que vous me dites là. Non, ça m’aide pas beaucoup.

****************

Trois mois plus tard, le local est entièrement réhabilité, Martin Perrain, a su, sans trop faire de frais,

transformer ce vieil entrepôt en un gentil atelier-habitation. Pour fêter ça, Martin a invité sa

propriétaire à prendre un verre. Il a acheté pour elle un petit vin de dessert et un assortiment de

mignardises.

- Entrez donc, madame Guerlain, dit-il avec un enthousiasme débordant. J’espère que vous ne serez

pas déçue du résultat !

Aussitôt, la propriétaire affiche clairement un air mécontent. Elle franchit le seuil de la porte et fixe

de ses deux gros yeux noirs exorbités, ceux de Martin, qui de ce fait, s’arrondissent eux aussi, mais

d’étonnement. Bien sûr, Martin pense tout de suite à quelque chose qu’il n’aurait pas dû toucher : un

outil, une machine, un objet qui aurait appartenu à son défunt mari. Mais non, ce n’était pas du tout

ça. C’était une fois de plus, un aperçu de ses imprévisibles sautes d’humeur.

- Combien de fois, mon cher monsieur Perrain, va-t-il falloir que je vous répète de ne pas m’appeler

madame Guerlain ! C’est pourtant pas bien compliqué ! Je m’appelle, ma-dame Grooo-din ! dit-elle

en appuyant sur chacune des syllabes. Vous trouvez, vous, que j’ai une tête à m’appeler madame

Guerlain ?

On aurait dit, sur le coup, Bernard Blier au féminin, dans l’une des séquences du film « Les Tontons

flingueurs ». Mais Martin fut vite rassuré car deux minutes après, la logeuse, un peu rustique, ouvrait

son cœur.

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- Ca me fait vraiment plaisir monsieur Perrain que vous ayez redonné une âme à cet atelier. Ca me

rappelle tant de souvenirs, du temps où mon mari était en activité. Vous savez, il en a passé des

heures, ici, à fabriquer ses portes, ses châssis, ses meubles. Vous avez installé votre chambre dans la

mezzanine ?

- Oui, comme vous le voyez.

- C’est bien. Mes enfants y venaient jouer quand ils étaient petits, vous devriez tout de même mettre

un chauffage d’appoint, sinon, vous ne passerez pas l’hiver. Ahhh ! Ca c’est pas bête ! Vous avez

conçu votre cuisine ici, c’est original ! Et puis la fenêtre n’est pas loin, vous pourrez toujours l’ouvrir

pour évacuer les mauvaises odeurs. Alors là, monsieur Perrain, vous ne pouviez pas plus me faire

plaisir. Je vois que vous travaillez sur l’établi de mon mari. Savez-vous que ce vieux morceau de bois

peut témoigner de nos cinquante-cinq ans de vie commune ? Et regardez là, le petit cœur gravé dans

la chair du bois, c’est mon Maurice qui l’a fait ! Il avait vingt-deux ans, son corps n’était pas encore

usé, ses mains n’étaient pas déformées et ses bronches n’avaient pas encore respiré toutes ces

poussières de copeaux de bois. Et là! Vous sentez avec le bout de vos doigts, les rayures et les

profondes entailles ? Allez, touchez la force de ce morceau de chêne, le clou rouillé qui y est enfoncé,

et sentez aussi les épaisseurs de vernis et de colle séchés… Alors, c’est donc ça, vos marionnettes ?

- Oui.

- Ca me rappelle moi, quand j’étais petite, quand Mamema m’emmenait avec mon frère voir le

guignol au cours Saint-Pierre. Vous devriez rencontrer Monique Créteur, c’est une dame charmante

qui pourrait vous aider. Mais suis-je bête ! Vous la connaissez peut-être déjà, puisque vous êtes

originaire de Nantes.

- Vous savez, j’ai quitté Nantes avec mes parents, j’avais six ans. J’ai dû y revenir peut-être deux ou

trois fois, j’ignore tout de cette ville.

- Mais vous n’avez aucun souvenir de votre enfance à Nantes ?

- Si, bien sûr, répond Martin, dont le regard s’illumine. Moi aussi, j’ai eu la chance d’avoir une grand-

mère qui m’emmenait au spectacle de marionnettes.

- Ce devait-être, vu votre âge, un spectacle joué par la Compagnie des Marionnettes de Nantes. Si

c’est le cas, moi j’ai connu le théâtre d’Edgar et Marguerite Créteur, et vous, celui de leur fille

Monique…

Ah ça, c’est drôle monsieur Perrain ! Cette tête que vous avez modelée, elle me fait penser à celle du

charcutier de la rue des Hauts-Pavés. Et celle-là ! Oh bé, elle est triste et boudeuse, c’est tout à fait la

bouille de ma tante Louise… Mais dites-moi, vous allez encore en faire beaucoup ?

- Sûrement, madame, mais en vérité, toutes les figures que vous voyez ne sont pour moi que des

ébauches, et pour tout vous dire, en ce moment, je me décourage de ne pas réussir à créer ma

première marionnette.

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- Ah, mais vous allez monter un spectacle ?

- Non, je ne veux pas devenir marionnettiste, je veux tout simplement créer des personnages qui

seront suspendus à des fils, c’est... comment vous dire… Ces marionnettes ne joueront pas, elles

seront créées dans l’esprit d’une expression plastique, comme des sculptures animées, des œuvres

faites comme… euh… comment dirais-je… en fin de compte, je ne sais pas bien comment vous

expliquer. Bref ! J’aurais tout aussi bien pu m’adonner à la peinture ou à la sculpture. Vous me suivez,

madame Guerlain ? Et tout de suite Martin se reprend : Oh, excusez-moi, je voulais dire, madame

Gronain, eeeh... non, pardon… madame Grodin.

Cette fois-ci, la propriétaire ne semble pas avoir été trop offusquée d’entendre Martin écorcher une

nouvelle fois son nom. Elle s’est légèrement contentée de froncer les sourcils en associant à cela une

drôle de grimace et un petit coup de tête.

- Je ne voudrais pas vous contrarier, mais très honnêtement, non ! Je ne pense pas avoir tout

compris.

- Rassurez-vous, madame, je ne comprends pas moi-même tout ce que je vous ai dit. Mais installez-

vous sur cette chaise, je vais vous chercher un p’tit verre de vin cuit et quelques petites choses à

grignoter…

Alors que Martin s’éloigne dans la partie cuisine, la propriétaire saisit d’une main l’une des têtes qui

séchait sur l’établi.

- Ben, dites-donc ! Elles sont lourdes, vos têtes, elles pèsent comme du plomb !

- C’est normal, s’écrie au loin Martin, elles sont faites en terre ! Et je réaliserai aussi les mains et les

membres pareils.

- Ah, de l’argile ! Mais ce n’est pas c’est trop lourd, ni trop fragile pour faire des marionnettes ?

- Ca le serait, bien sûr, si ces modelages n’étaient pas considérés comme modèles de reproduction.

Cependant ils le sont, alors le fait qu’ils soient faits en terre n’a pas d’importance. Mais en fait, ce

travail n’est pas si simple, il y a par la suite toute une technique de moulage et de tirage, chose que je

ne maîtrise pas encore. Enfin, je vous passe les détails, mais rassurez-vous, les marionnettes que je

vais faire, seront faites au final en un matériau plus léger et plus solide que l’argile. Mais je vous en

prie, madame, servez-vous, dit Martin en approchant l’assiette avec les petits gâteaux.

Un silence vient subitement rythmer le temps, les verres de vin se remplissent, les regards se lient,

les miettes des gâteaux pleuvent dans les assiettes et sur les genoux.

- Pourquoi avez-vous quitté Paris, monsieur Perrain ?

Martin ne répond pas immédiatement, il prend son verre posé sur la table et le porte à sa bouche.

Ses gestes sont lents et mesurés, il boit tout en étant concentré sur ce qu’il veut dire.

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- Si j’ai quitté Paris, c’est parce qu’un jour une bousculade impromptue a bouleversé ma vie.

- Comment ça ?

- Je vous raconte l’histoire : un midi où j’entrais précipitamment chez moi, j’ai heurté une personne

qui se tenait immobile devant la porte cochère que je voulais ouvrir. Je me souviens que c’était une

femme qui portait un K-way bleu, et qui regardait avec admiration, quelque chose qui se trouvait

plus haut. Le choc a été brutal, elle a failli tomber. L’anse de son sac s’est emmêlée à mes gestes

désordonnés. J’ai lâché les dossiers que je tenais en main, et sur le pavé mouillé se sont répandus

tous mes contrats d’assurance qui venaient d’être signés. J’étais hors de moi, j’ai beuglé comme un

veau, les passants me regardaient lancer à cette pauvre femme des insanités. Et puis je me suis

calmé, j’ai ramassé tous mes papiers, et quand je me suis relevé avec l’intention de m’excuser,

l’inconnue avait disparu.

- Ah, c’est ballot monsieur Perrain, c’est ballot.

- Oui, comme vous dites, c’est ballot.

- Et ensuite ?

- Ensuite, j’ai levé la tête, pour voir ce que cette femme avait regardé de si extraordinaire. J’ai fouillé

du regard la façade de l’immeuble. J’ai observé la corniche, les ouvertures et les balcons, j’ai regardé

un pigeon posé sur le rebord d’une fenêtre, et soudain, à quelques mètres au dessus de ma tête,

mon regard s’est posé sur un mascaron qui décorait la clé de voûte de la porte cochère. J’ai été

immédiatement saisi par l’expression de ce masque sculpté qui me fixait intensément de ses yeux de

pierre. A cet instant, j’ai ressenti une mystérieuse émotion, quelque chose de nouveau était en train

de naître en moi. Alors, je suis monté dans mon appartement, bouleversé, car je venais de me rendre

compte, que depuis sept ans que j’habitais ici, jamais, je n’avais élevé mon regard au-dessus du trou

de la serrure de la porte cochère.

- Et c’est pour cette raison que vous avez quitté Paris ?

- Disons que c’est à partir de là que j’ai voulu repenser ma vie, car en effet, je découvrais que je ne

savais plus voir ni sentir les choses, de même, j’ignorais tout de moi et des autres.

- Vous avez aussi reconsidéré la femme avec qui vous viviez ?

- Oui, nous nous sommes séparés six mois plus tard. Elle aimait de Paris ses paillettes et ses relations

mondaines, moi désormais, je voulais de Paris sa poésie et son authenticité.

- Et votre métier ?

- Oh, madame, si vous saviez à quel point je me suis perdu en devenant le plus minable courtier en

assurances. J’aurais grand honte à vous décrire ici toutes mes pratiques pour arriver à mes fins.

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- Et Paris, monsieur Perrain, vous l’aimez ?

- Oui, j’aime Paris. Mais c’est surtout mon enfance qui l’a le plus aimé.

- Et qu’est-ce qu’il a vu, l’enfant, de Paris ?

- Des rues peuplées de gens parfois bizarres, des lumières, des quartiers exotiques, des squares

magnifiques. Il a vu des jardins fleuris avec des kiosques et des statues, des moineaux qui

embrassaient sur la bouche des vieux qui leur donnaient du pain. Il a vu aussi des vitrines remplies de

choses époustouflantes et insolites. Il a vu que Paris savait chanter et aussi jouer la comédie.

- Et votre adolescence, monsieur Perrain, qu’est-ce qu’elle a vu de Paris ?

- Ahh, mon adolescence… Comment vous dire…

Et Martin s’immerge dans un songe. Il en ressort progressivement, se ranime, croque un morceau de

gâteau, l’avale, et reprend doucement le fil de son histoire.

- Ce que mon adolescence a vu… Eh bien, elle a vu que Paris était une grande mise en scène, un

théâtre où se produisaient tous les possibles et se heurtaient tous les extrêmes. Mais ce que mon

adolescence a surtout ressenti, c’est l’indécence de l’injustice. Je ne comprenais pas pourquoi des

gens crevaient dans la rue, tandis que chez moi, la richesse et la célébrité abondaient, sans jamais

parler de solidarité humaine…

- Et vos parents ?

- Ah, mes parents ! Un directeur de banque et une mère qui jouait l’artiste ; ils me donnaient de

l’argent et me disaient : << Allez ! Va voir Paris ! Lui saura te consoler. >> Alors, avec mes dix-sept

ans, j’allais voir Paris qui me donnait rendez-vous sur un quai. Je vomissais mon désespoir dans son

bassin, et je regardais des heures durant, la Seine qui me nettoyait. Voilà. Et c’est bien tout ce que

je pourrais dire sur mes parents. Après, Paris vous élève comme il peut. Vous devenez un homme, et

si vous n’y prenez pas garde, vous passez à côté de vous-même. Bien sûr, pour ma part, j’ai assouvi

quelques passions, mais j’ai surtout nourri mes illusions. Vivre trente-cinq ans à Paris me suffit.

Aujourd’hui, je reviens à la source pour découvrir qui je suis, et tenter de me dessiner un autre

avenir. Ma grand-mère maternelle fabriquait des poupées de chiffon. Sur la table de sa cuisine, elle

m’apprenait à dessiner des personnages. Comme c’est étrange, qu’aujourd’hui je choisisse de

m’exprimer à travers la marionnette…

Martin sert un deuxième verre de vin à madame Grodin ; ils finissent le paquet de gâteaux et

discutent encore un petit moment de Paris. Puis, de nouveau, ils se remettent à parler de cet atelier

et aussi du quartier, et de tout ce qui, visiblement, avait changé sur Nantes.

- Et pourquoi n’iriez-vous pas visiter le bout de l’ile, monsieur Perrain ? dit la propriétaire, soucieuse

de voir son locataire un peu trop se fermer sur lui-même. Ca vous changerait les idées ! C’est, paraît-

il, devenu un lieu réputé et très fréquenté de la ville.

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- Ah oui, c’est ce qu’on appelle Le Hangar à Bananes ?

- Oui, c’est à vol d’oiseau, tout près d’ici. C’est ce que vous voyez en face du promontoire de la Butte

Sainte-Anne : la grue Titan grise et les Anneaux de Buren…

****************

Le mois suivant, Martin n’est toujours pas allé se promener dans la cité. Il est resté cloîtré à longueur

de journée dans son atelier, et n’en est sorti que pour se rendre chez l’épicier et le boulanger, et

encore, ce n’était pas souvent. C’est à se demander s’il s’est assez nourri.

Aujourd’hui, Martin est assis sur son tabouret sans ne rien pouvoir faire. Il n’ose même plus

remodeler quoi que ce soit sur ce volume de terre qu’il tient dans sa main et qu’il commence par

rendre par les yeux : la bouche de son personnage tire un trait qui ne lui convient pas, les pommettes

sont trop saillantes et le nez qu’il vient de reprendre est encore beaucoup trop épaté. Depuis quatre

jours, rien ne marche, il ne comprend plus aujourd’hui ce qu’il comprenait hier, ses mains ne

répondent plus à ce qu’il veut exprimer et cela lui tire les larmes des yeux.

Martin, qui allie à la fois l’apprentissage et la création, est en train de connaître sa première colère et

sa première frustration d’autodidacte. Il est incapable de se remotiver et son désir de créer sa

première marionnette se transforme en une totale impuissance. Alors, pour ne pas sombrer

davantage dans le désarroi, il se décide, enfin, à sortir pour se changer les idées.

C’est vrai qu’il n’a pas fallu longtemps pour descendre la rue de l’Hermitage, filer sur le quai Ernest

Renaud, et atteindre le pont. La propriétaire avait raison, il fallait marcher vingt-cinq minutes tout au

plus pour se sentir en ville.

Pour accueillir le nouvel arrivant, il semblerait que Nantes se soit mis en tenue de soirée. Il est

presque vingt heures, nous sommes vendredi, et le temps est assez clément en ce mois de janvier.

Ce soir, aux yeux de Martin, Nantes est un peu Paris. Il confond soudain, le Quai de la Fosse et le Quai

des Tuileries, le pont Anne-de-Bretagne avec le pont Royal. Nantes est aussi beau que Paris, pense-t-

il, et désormais, il se sent un peu chez lui. Le ciel est rouge griffé de bleu et les lumières de la ville se

reflètent dans les eaux calmes de la Loire, qui subitement, devient la Seine. Sur la rive gauche, juste

en face, il voit le musée d’Orsay à la place des anciens Chantiers Dubigeon. Martin, dans sa tête, se

fait sa mise en scène ; il ne manquerait plus que la butte Sainte-Anne devienne la butte Montmartre

et que la Tour Bretagne se change en Tour Eiffel.

Nantes ce soir est un peu Paris, il y a tout pareillement des bruits, des rues qui abondent de gens, et

des files de voitures qui s’entassent et polluent sur les ponts et les avenues. Arrivé sur le quai des

Antilles, Martin s’arrête, les passants le dépassent. Il se dirige vers la rambarde sur laquelle il

s’appuie. Il admire les Anneaux lumineux de Buren qui sont alignés vers l’estuaire, sur une ligne

parfaitement droite. A travers l’un des cercles, il scrute l’horizon qui s’assombrit. Le ciel semble se

fondre dans l’eau, et ses couleurs, si vives tout à l’heure, apparaissent désormais délavées. Soudain,

un cri perçant déchire la nuit. D’un bond, la quiétude brisée, Martin se redresse et voit, comme

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imprimée dans le ciel, une silhouette qui se love à l’intérieur de l’un des anneaux verts de Buren. On

dirait l’ami Pierrot, soudé à la lune, mais en réalité, c’est une pauvre naufragée de la ville, qui brame

son désespoir entre le ciel et l’eau.

Aussitôt, Martin emboîte le pas aux badauds qui se pressent et se massent, pour voir un peu plus loin

sur le quai ce qui se passe. D’autres personnes venant à contre sens viennent grossir la foule qui

déborde sur la terrasse des cafés. Assurément la femme est ivre, mais cependant, elle hurle sa

douleur avec un tel déchirement, qu’elle sidère son public qui reste figé derrière la rambarde et qui

ne se rend pas compte, qu’à tout instant, la pauvre malheureuse peut tomber à l’eau.

L’obscurité opacifie son visage qui est sans teint et sans âge, son accoutrement n’est pas descriptible,

ses pieds sont nus.

A présent, on ne l’entend plus.

La femme quitte sa posture de Pierrot pour se placer au point le plus bas de l’anneau. Elle se tient

debout, bras et jambes écartées pour maintenir son équilibre. Aux yeux de Martin, elle incarne

l’homme de Vitruve. Tout à coup, un homme enjambe le garde-corps pour secourir l’acrobate

désespérée. Il s’arrête net. L’inconnue l’en dissuade par un geste muet, et de pair, son pied droit se

détache de l’anneau, se jette en arrière et tâte le vide. Le protecteur se rétracte, il recule, face à elle,

puis ne bouge plus. Le pied doucement reprend ancrage sur l’anneau.

Tout semble suspendu : le temps, la respiration des gens, la vie, l’acte irréversible. Et puis,

doucement, la femme se remet à parler. Elle dit d’une voix plus tempérée :

- Alors, c’est donc ça qu’il fallait faire pour attirer votre attention ? Vider une bouteille de vodka, me

grimer comme un clown et crier au ciel mon désarroi !

De nouveau, l’homme tente de faire un pas en direction de l’anneau, mais il se retient aussitôt face à

la voix déterminée de l’inconsciente :

- Non, monsieur ! N’approchez pas ! Ne me tendez pas la main ! Ne voyez-vous pas que c’est trop

tard, que c’est trop facile ? Oh que c’est indécent monsieur, que c’est indécent.

Puis la naufragée de nouveau s’est adressée à l’assemblée. Portant sa tête et sa voix plus haut, elle

crie :

- Regardez ! Mais regardez bien mesdames et messieurs, la funeste acrobate accomplir son dernier

numéro ! Admirez ! Admirez la fleur fanée des pavés, la déglinguée, la désaccordée de la vie ! Riez !

Mais riez donc de voir l’épouvantail du centre ville, la femme dégringolade, la femme qui n’a jamais

enfanté. Regardez ! Mais regardez-moi mieux encore ! Voyez : je suis la laideur vagabonde,

l’indigente, l’ombre errante qui arpente les rues de Nantes. Mais ouiii, je suis la quêteuse

emmerdeuse, celle qui hante vos bonnes consciences, je suis le cauchemar de vos enfants. Vos yeux

me fuient, je les connais, vos pas changent de trottoir, je les connais aussi, vos chiens me pissent

dessus, je les maudis ! Applaudissez mesdames et messieurs ! Mais applaudissez ! A-pplau-di-ssez ma

pauvre fin de vie…

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Un gouffre de silence s’ouvre en chacune des consciences. Les gens pétrifiés restent suspendus aux

longs sanglots de l’inconnue. Le temps semble interminable, le fleuve au-dessous s’écoule

indifférent, le ciel n’est plus qu’un désespoir de noir. Puis enfin, la voix s’élève à nouveau au-dessus

de l’anneau, son timbre est mélancolique et flegmatique :

- Pourtant, y a pas si longtemps, j’étais une femme bien, j’appartenais à une famille, j’avais de

l’instruction, un métier et aussi de l’argent, j’étais comme vous, enfin presque. Qui peut prétendre

aujourd’hui que demain, il ne lui arrivera rien ? Qui peut penser que la vie des autres ne sera jamais

la sienne, qui peut croire que son existence est immuable ? On peut très vite basculer dans la

pauvreté, vous savez ! Perdez votre santé, par exemple, et vous verrez ! Si vous n’avez pas d’argent

de côté, si vous perdez votre emploi, si vous n’osez pas demander ou si vous n’avez personne pour

vous aider, vous n’êtes r-i-e-n ! Et n’être rien quand on est encore vivant, c’est terrible ! Vraiment

terrible… L’argent conditionne notre existence. Si vous n’en avez pas, vous êtes condamné à mort.

L’histoire du monde humain nous le prouve tous les jours. Moi qui pensais que la valeur absolue de

toute chose était la vie. Méfiez vous. Demain, vous aussi vous pourriez être à ma place, même si de

vous à moi, il y a un monde. Pourquoi depuis que je suis revenue dans ma ville, n’ai-je pas le droit de

vivre dignement ? Pourquoi ne m’a-t-on jamais véritablement trouvé une place ? Pourquoi ne

partageons-nous pas l’espace et l’abondance ? Pourquoi devrais-je me résigner à cet univers hostile.

Oui, je me sens ignorée de vous et de ma ville, oui ! Et quand on se sent ignoré, on se sent méprisé !

Et d’un coup, tel un train qui s’emballe, la passion de sa fièvre la reprend, la sonorité de sa voix

s’élève de nouveau dans les nues.

Je ne crois plus aux solidarités citoyennes, je ne crois plus aux volontés politiques, je ne crois plus

aux droits de l’Homme, je ne crois plus en r-i-en !

Je me déteste, mesdames et messieurs, je vous déteste aussi ! Je déteste tout autant cette ville qui

grandit et s’embellit sans moi ! Que l’ambition d’une ville peut paraître indécente aux yeux de ceux

qui n’ont plus rien et qui ont perdu tout espoir. Je me fous des ponts neufs qui enjambent la Loire !

Je me fous des Anneaux de Buren ! Je me fous du Carrousel des mondes marins, de l’Eléphant et des

géants qui se baladent dans les rues ! Comprenez que je ne puisse plus supporter de voir ce que je

n’atteindrai plus. Mais ouiii, mesdames et messieurs ! Mais oui, je me fous de savoir comment ma

ville sera demain, comment vos enfants grandiront, dans quel monde vous vieillirez ! Maintenant je

vous en prie, laissez-moi m’endormir, ne plus sentir dans ma gorge les relents des mauvais alcools, je

ne veux plus voir votre bonheur!!! Je ne veux plus manquer, je ne veux plus quêter, je ne veux plus

être une assistée ! Je ne veux plus avoir peur, je ne veux plus être dans la rue ni dans les centres

d’hébergement ! Je ne veux plus mélanger ma misère avec celle des autres ! Je ne veux plus être cet

animal qui se cache et qui dort dans une boîte en carton ! Nonnn !!!!!!

Le cri déchire le ciel comme un orage, il claque à l’oreille du monde comme une paire de claques, il

réveille les consciences qui se perdaient dans les cieux. Mais d’où a-t-elle sorti ce maudit couteau

qu’elle s’est planté dans le cœur ? D’où vient cette lumière qui soudain éclaire son visage inondé de

larmes ? L’homme de tout à l’heure accourt. Elle semble sourire. D’autres arrivent à son secours ; sa

bouche se referme sur le dernier souffle de sa vie ; elle paraît déjà plus heureuse, les mains

secourables se multiplient, mais son corps leur échappe ; il bascule en arrière et chute dans la Loire.

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L’Anneau vert de Buren s’est démuni d’une vie.

L’espérance n’est plus.

Martin a quitté les lieux après l’intervention des services de secours. Il est arrivé chez lui, brisé,

anéanti d’avoir assisté à ce drame. Jamais l’injustice sociale ne lui était apparue avec autant de

vérité, autant de cruauté. La colère lui sortait par les yeux, il se sentait lâche, coupable, méprisable et

impuissant. Il a fermé la porte derrière lui et s’est effondré sur l’établi. Après, il s’est mis à écrire sur

une feuille de papier, deux citations qui lui revenaient en mémoire :

« L’oubli est le vrai linceul des morts. » George Sand.

« Il n’y a pas de suicide, il n’y a que des meurtres. » Elsa Triolet.

Puis Martin a arraché le plastique qui enveloppait le pain d’argile qui se trouvait à ses côtés. Il a pétri,

tordu et torturé la terre, il l’a frappée, il l’a déchirée, ses mains étaient teintées de rouge et crispées

d’indignation. Et pour mettre fin à sa colère, il a crié en lui :

- Mais bon Dieu de merrrde ! Qu’attendons-nous pour refuser la misère qui se trouve à nos portes ?

Faut-il attendre une guerre, une catastrophe naturelle, une épidémie, pour apprendre à devenir

solidaires ? Faut-il absolument avoir connu la souffrance pour être capable de se soucier des autres ?

Mais que j’ai honte ! Mon Dieu que j’ai honte ! Honte de faire partie d’une société qui ne veut rien

voir et rien entendre, pire, on finit par banaliser l’horreur. Ca devrait nous être insupportable, on est

quand même au troisième millénaire, la solidarité devrait nous apparaître comme une obligation

commune. Trop de citoyens restent muets dans leur révolte, tant d’autres s’en foutent. Que font les

autorités locales et nationales pour en finir avec la pauvreté ? J’ai honte ! Honte !...

En tout cas, merci à tous ceux qui se battent pour aider tous ces gens qui ne comptent pas, bravo

pour toutes les actions menées contre les discriminations et l’indifférence qui provoque la misère.

Moi, le gosse de riches, qui n’ai jamais manqué de rien, moi le salaud qui vendais des assurances à de

pauvres vieux qui perdaient la tête, aujourd’hui je me repentis, je me promets de faire une petite

chose pour ne plus faire partie de ceux qui tuent l’humanité…

A présent, Martin se concentre sur le volume de glaise qu’il tient dans la paume de sa main. Il vient

de calmer sa fièvre et d’adoucir son amertume. Ses mains modèlent l’argile, elles forment des formes

informes. L’ébauche est lente à venir, l’apprentissage est dur, les doigts se perdent, l’esprit

s’embrouille. Martin persévère, il recommence et recommence encore. Deux heures plus tard, enfin,

il voit une figure humaine transparaître de la masse de terre qu’il travaille avec ses doigts et ses

outils. Aussitôt, il s’emploie à creuser ici, ajoute de la matière là. Il lisse, il façonne à nouveau,

redessine l’axe central, vérifie la symétrie. Plus haut, il arrondit le front, il brise une ligne, il abaisse

légèrement le volume des joues pour donner un peu plus de hauteur au nez. Maintenant il revient

sur le coin interne des yeux, il définit la houppe du menton et fend la bouche en deux. Et puis il

revient sur la forme générale ; il modèle deux oreilles et poursuit l’interminable voyage jusqu’à ce

qu’un regard apparaît et qu’une bouche entrouverte se met à lui parler. Enfin, ça y est ! Une

cohérence proportionnelle et esthétique semble cette fois-ci satisfaire l’œil de l’apprenti créateur.

Ainsi Martin s’endort, terrassé de fatigue, sur la table de travail.

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****************

Vers neuf heures trente du matin, il est réveillé en sursaut par le bruit fracassant d’une main

énergique frappant aux carreaux de l’atelier. Encore abasourdi, Martin se ressaisit. Courbaturé, il se

redresse de son tabouret, et va ouvrir la porte, les yeux embrumés de sommeil. Face à lui, sa

propriétaire lui présente un journal qu’il ne voit pas bien. Elle lui parle, mais Martin dans son état

n’entend pas et ne comprend strictement rien, il entrevoit seulement ses lèvres bouger et ses deux

gros yeux noirs s’agiter. Alors, il finit par lui dire d’entrer, en baragouinant deux ou trois mots, puis sa

logeuse a patienté, le temps qu’il se rafraîchisse un peu.

Martin revient quelques minutes plus tard et voit tout de suite que madame Grodin a l’air

tourmentée. Il l’installe confortablement dans le fauteuil, et lui, tout en restant debout, est

désormais disposé à l’écouter :

- Oh ! Excusez-moi encore monsieur Perrain, je suis vraiment désolée de vous avoir réveillé !

- Mais non, rétorque aussitôt Martin, en essayant d’esquisser un sourire. Ne vous excusez pas, c’est

plutôt moi qui devrais me reprocher de vous imposer une tête pareille, j’espère au moins que je ne

vous ai pas fait peur !

- !!!

- Mais dites-moi, madame Guerlain, que vous arrive t-il, vous me semblez troublée ?

- Eh bien... C’est à propos de ce que je viens de lire dans le journal, d’un accident qui s’est produit

cette nuit sur le quai des Antilles.

- Oui, je vous écoute.

- Eh bien… Je voulais vous demander, comme je sais qu’hier vous étiez vers vingt-deux heures à vous

promener sur le bout de l’ile, si vous aviez assisté au suicide d’une jeune femme SDF ?

Martin ne cache pas sa surprise et rétorque aussitôt :

- Mais comment savez-vous qu’hier, et de plus à cette heure précise, que je me trouvais

effectivement là bas ?

- Comment je le sais ? reprend madame Grodin légèrement froissée, en montant le ton. Et bien,

c’est très simple monsieur Perrain : il suffit que je me souvienne qu’hier soir, je vous ai croisé dans la

cour, et que vous m’avez dit que vous alliez de ce pas faire un tour du côté du Hangar à Bananes. Il

était à peu près vingt et une heures quinze, et comme le drame s’est passé aux alentours de vingt-

deux heures, j’en ai donc déduit qu’il y avait de grandes chances que vous soyez sur les lieux, au

moment où cette pauvre femme s’est donné la mort en public.

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Martin réfléchit un instant en adoptant une mine dubitative, puis d’un coup, son visage s’éclaire, il

reprend :

- Mais oui, bien sûr ! Ca y est, je me rappelle. Oh, excusez-moi, je ne me souvenais plus vous avoir

vue. Oui, j’y étais. Et comme vous le voyez, j’en suis encore tout retourné. Je suis désolé madame

Guerlain, mais si vous attendez de moi que je vous raconte ce que j’ai vu, cela m’a tellement choqué

que je préfère me taire.

- Mais non, monsieur Perrain, je ne vous demanderai pas ça. Je voulais simplement savoir si vous

connaissiez cette personne ?

Martin demeure encore plus surpris.

- Si je connaissais cette personne ? Je ne comprends pas…

- C’est peut-être une coïncidence, mais la victime, qui s’appelle Pauline Clergeot, porte le même nom

et le même prénom que la femme qui vivait avec vous à Paris. Et comme elle avait à peu près votre

âge et qu’auparavant elle avait vécu à paris, je me suis dit que…

- Mais comment savez-vous le nom de mon ex-compagne, il ne me semble pas vous l’avoir dit ?

- Je l’ai vu en lisant une facture que vous m’avez fournie pour le contrat de location. Vous n’allez tout

de même pas croire que j’aurais été capable de fouiller dans votre vie !

Et d’un geste un peu nerveux, madame Grodin lui tend le journal qui titre en première page : « La

naufragée des Anneaux de Buren ». Martin s’assied tout en saisissant le quotidien. Il le déploie, puis,

avec la plus grande attention, lit l’article. Pendant ce temps, la propriétaire promène son regard tout

autour de la pièce. Elle regarde, ici et là, pour se donner une contenance, sans manquer furtivement

de jeter un coup d’œil en direction du lecteur. Martin est concentré, les traits de son visage son

crispés, il caresse lentement de sa main sa barbe naissante. Lorsqu’il relève la tête, il voit sa

propriétaire assise en face de lui qui essuie discrètement quelques larmes. Le temps qu’elle

s’empresse de dissimuler son mouchoir dans sa manche, Martin lui dit :

- Non, madame, rassurez-vous, Ce n’est pas la femme que j’ai connue, bien sûr que non, dit t-il d’une

voix néanmoins affligée. Mais cependant, je reste très touché d’apprendre qu’il lui restait de la

famille sur Nantes, et que celle-ci la croyait à Paris. Son histoire est encore plus insupportable que je

le pensais.

- Oui, comme vous dites, son histoire est insupportable, reprend madame Grodin en sanglotant cette

fois-ci ouvertement. Pourtant, quand Pauline a quitté Nantes, on était loin de penser que six ans

plus tard elle serait revenue dans sa ville, incognito, et qu’à la porte de chez nous, elle aurait vécu

cette vie misérable…

Une fois de plus, Martin est surpris par les propos que tient sa propriétaire. Il affiche une nouvelle

fois une tête étonnée et sans hésiter, l’interpelle pour lui demander :

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- Mais alors, si je comprends bien, vous connaissez la victime ?

- Oui, monsieur Perrain, je connais Pauline Clergeot depuis qu’elle est enfant, c’était la nièce de

l’ancien coiffeur de l’avenue Sainte-Anne. La petite avait trois ans quand ses parents sont morts dans

un accident de voiture. Elle était fille unique et c’est son oncle et sa tante qui l’ont recueillie. Et je

peux vous garantir qu’ils s’en sont occupés, comme si c’était leur propre fille. Oh que oui ! je m’en

souviens de la petite. Même que la boulangère la surnommait « Nénette » quand elle venait

chercher le pain. Elle était toujours à courir dans la rue avec les autres gamins du quartier. Et

combien de fois elle est venue ici même, dans cet atelier, jouer le week-end avec mes enfants.

Tenez ! Je la revois encore, assise à cette table, à fabriquer avec trois morceaux de bois et un bout de

chiffon, une maison pour sa poupée. C’était une petite fille rousse adorable, avec une bouille à

croquer, toujours coiffée de deux couettes. Et puis bien sûr, Pauline a grandi, elle est devenue une

jeune femme très bien. C’était une fille intelligente, travailleuse, gaie et affectueuse. Elle a fait, je

crois, une école de commerce et après, elle a travaillé à Saint-Herblain, dans une agence de

communication. Apparemment, ça marchait bien. Elle gagnait sa vie et vivait avec un garçon très

gentil, d’ailleurs. Comment s’appelait t-il déjà ?... Ah oui ! Ca y est, ça me revient ! Il s’appelait

Antoine. Antoine Gloubier. Je sais tout ça monsieur Perrain, parce qu’à cette période, qui remonte

tout de même à dix ans, elle vivait avec son petit copain dans un appartement que je lui louais. Vous

voyez le logement de monsieur et madame Poulard ?

La logeuse n’attend pas que Martin se questionne plus longtemps, elle enchaîne immédiatement :

- Eh bien, c’est là qu’ils étaient !

- Mais pourquoi sont-ils partis vivre à Paris ?

- Ca, je ne peux rien vous affirmer, mais je crois me rappeler que Pauline avait été mutée suite à la

délocalisation de l’entreprise où elle travaillait. Ou à moins que je confonde, et que plutôt ce soit lui.

C’est fort possible aussi que ce soit les deux, car ils travaillaient dans la même agence. Enfin bref, ils

sont partis.

- En dix ans, vous ne l’avez jamais revue ?

- Si, il y a cinq ans, à peu près, à l’enterrement de sa tante. On avait échangé quelques mots sur le

parvis de l’église. Apparemment tout se passait bien dans sa vie, elle était toujours à Paris. En

revanche, je l’ai senti embarrassée quand je lui ai demandé des nouvelles d’Antoine. Alors bien sûr,

je n’ai pas insisté, elle était assez accablée par le décès de sa tante que, visiblement, elle aimait

comme une mère… Ensuite, vous savez ce que c’est, le temps passe, on perd les gens de vue,

d’autant plus que son oncle, devenu veuf, a quitté le quartier dès qu’il a fermé son salon de coiffure

pour partir en retraite. En fin de compte, il était le seul lien entre la petite et moi … Ah, c’est terrible

monsieur Perrain, c’est terrible ! Si ça se trouve, son oncle n’a jamais rien su de tout ce qui a bien pu

lui arriver. Elle s’est peut-être cachée pour ne pas l’inquiéter… Enfin, c’est comme ça ! En tout cas, si

je l’avais reconnue à mendier dans la rue ou si, au mieux, elle était venue frapper à ma porte, il est

sûr que j’aurais tout fait pour la sortir de là…

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Madame Grodin se met à trembler de tout son corps, et son cœur fond en larmes comme un nuage

gorgé de pluie qui éclate. Son regard se noie dans le vide, elle n’entend plus les bruits familiers qui

lui viennent de la rue, et tout son être est encore une fois capturé par les souvenirs qui émanent des

murs de cet atelier.

Martin s’est levé pour la laisser se recueillir, il s’est rendu dans la cuisine pour préparer du café. Un

peu plus tard, il revient. Sa locataire s’est calmée, mais elle garde une figure affligée et une posture

avachie dans le fauteuil. Martin dépose sur la table basse un plateau contenant de quoi se

réconforter. La bonne odeur du café parfume l’atmosphère et ranime les visages contractés.

- Au fait, madame Guerlain, j’ai quelque chose à vous montrer.

- Ah oui, et quoi donc ?

- Vous allez voir.

Il prend sur l’étagère son modelage qu’il a fini cette nuit-là. Alors qu’il retire le sac de plastique qui le

recouvre, sa propriétaire lui dit :

- Mais vous êtes incorrigible, monsieur Perrain ! Vous venez encore de m’appeler madame Guerlain !

C’est lassant à la fin ! C’est si difficile pour vous de m’appeler par mon nom ? dit-elle en retrouvant

un peu de sa nature.

- Ah bon ! Vous êtes sûre que je vous ai appelée madame Guerlain ?

- Ah ben ça oui ! Même qu’il y a pas cinq minutes, vous me l’avez dit encore.

- Ah, eh bien… Je suis désolé…

- Enfin ! Vous dites toujours que vous êtes désolé, mais vous ne faites jamais d’effort ! C’est agaçant

à la fin. Bon, puisque je vois que vous n’y arriverez jamais, je vous propose, à partir de maintenant,

de m’appeler par mon prénom, à condition, bien sûr, que moi j’en fasse de même et que l’on se

vouvoie toujours. Ca vous convient, monsieur Perrain ?

- Eeeh… oui, c’est une bonne idée, répond maladroitement Martin.

- Bon, eh bien c’est d’accord. Je vous appellerai Martin et vous m’appelez Ogeschtin.

- Vous avez dit comment ? s’inquiète subitement Martin en faisant une drôle de tête.

- Ogeschtin ! reprend madame Grodin en écarquillant les yeux, comme à son habitude. Mais appelez-

moi Augustine si vous préférez, Ogeschtin est mon prénom d’origine, je suis Alsacienne de par mon

père.

- Ahhh, manifeste Martin, soulagé.

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A présent, le regard de madame Grodin se fixe sur la tête fraîchement modelée que tient

délicatement Martin dans l’une de ses mains. En même temps et d’un geste mesuré, elle porte à ses

lèvres la tasse de café, boit une petite gorgée et dit chaleureusement :

- Mais dites-moi, c’est super ce que vous avez fait !

- Vous trouvez ?

- Ah oui ! Je trouve nettement que vous avez progressé. C’est même impressionnant, on dirait que

cette tête en argile est vivante…

- Merci Augustine, ça me touche beaucoup ce que vous me dites là.

- Alors vous allez enfin réaliser votre première marionnette ?

- Oui. Je me donne encore quinze jours pour la finir et vous pourrez la voir accrochée à ses fils… ou

peut-être pas.

- Pourquoi dites-vous « peut-être pas ? »

- Parce que tout à l’heure, il m’est venu une idée en faisant le café…

Et Martin explique à sa propriétaire ce qu’il avait en tête :

- Voyez-vous, je voudrais dédier ma première création à tous les naufragés de la métropole nantaise,

et aussi, je souhaiterais sensibiliser les habitants à participer à une action de solidarité citoyenne.

- C'est-à-dire ?

- Eh bien, je demande à 590 000 citoyens de s’unir pour secourir une seule personne qui se trouve à

la rue.

- Oh là là ! Je ne veux pas vous décourager, Martin, mais demander aux gens d’être solidaires

aujourd’hui, c’est pas gagné.

- Ne soyez pas pessimiste, il faut avoir confiance. Nous sommes tout de même en France, et puis ce

n’est en réalité qu’une goutte de fraternité dans un océan de détresse humaine universelle. Tenez,

patientez un instant, je vais essayer de vous décrire mon idée autrement.

Et pendant que la logeuse finit de boire son café, Martin se rend à l’établi. Il bricole en dix minutes

une ébauche faite de bric et de broc et revient.

- Maintenant regardez bien, Augustine. Ici, imaginez à travers cette forme simpliste, que la

marionnette soit entièrement finie et qu’elle soit exposée, à peu près dans cette posture, dans un

lieu public où tous les citoyens de la métropole nantaise pourraient la voir. Comme vous le voyez,

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elle est représentée assise, la tête baissée, et le maintien de son corps évoque un état général

d’effondrement. Vous me suivez ?

- Oui, mais n’allez pas trop vite, s’il vous plait.

- D’accord. Par ailleurs, il ne faut pas voir cette marionnette comme un objet mobile d’interprétation

dramatique, il faut la considérer simplement comme une expression plastique, comme une

sculpture, si vous préférez. Son unique intérêt est en fait de communiquer des informations sur

l’évolution d’une action sociale qui a pour but d’offrir un meilleur avenir à une personne en détresse.

De plus, cette œuvre se substituerait à un individu, afin de préserver son anonymat.

- Mais pourquoi cette marionnette est-elle tenue que par un seul fil ?

- Parce que sa vie ne tient qu’à un fil, tout comme celle de l’individu désespéré, si vous voyez ce que

je veux dire.

- Ah oui, très bien. Et c’est justement parce que sa vie ne tient qu’à un fil, que vous ne reliez pas la

marionnette aux autres fils qui pendouillent au-dessus de sa tête ?

- En fait, dans mon esprit, chaque fil représente un besoin fondamental pour l’humain. Et c’est là

qu’intervient la solidarité citoyenne : chaque fois qu’une action bienfaitrice se fera envers la

personne, chaque fois la marionnette sera reliée à un de ces fils pour se redresser. Ainsi, tout le

monde pourra constater la volonté de chacun, à vouloir venir en aide à autrui.

- Mais c’est quoi, pour vous, les besoins fondamentaux pour l’humain ?

- Eh bien, les besoins peuvent être déterminés selon la pyramide de Maslow par exemple : besoin de

maintien de vie, besoin de protection et de sécurité, besoin d’amour, d’appartenance, d’estime de

soi etc. Enfin bref, cela reste à déterminer avec les personnes de bonne volonté...

- C’est une belle idée, Martin. J’espère que vous la porterez le plus haut possible, et ça pourrait être

en plus pour vous, une bonne occasion de vous faire connaitre.

- Allons, Augustine, ne dites pas de gros mots. La solidarité doit rester un état d’esprit, un acte

désintéressé, un geste gratuit, ça doit rester l’une des valeurs fondamentales de notre société.

- C’est vrai, vous avez raison. Mais au fait, qui pourrait vous suivre dans cette action ?

- Et bien, je dirais tout citoyen responsable et capable d’apporter un acte bienveillant et gratuit à

une personne en difficulté : particuliers, associations, professionnels de la santé, entrepreneurs,

travailleurs sociaux, élus…

Augustine a repris un second café et Martin l’a raccompagnée à la porte de l’atelier. Deux heures

entières s’étaient écoulées, il était presque midi. Sur le seuil de l’entrée, Martin lui a serré la main et

juste avant qu’ils ne se séparent, il lui a demandé :

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- Avez-vous loué votre meublé qui, à mon arrivée, m’était destiné?

- Non pas encore. Mais pourquoi me demandez-vous ça ?

- Eh bien, je pensais que si vous n’avez rien pu faire pour aider Pauline Clergeot, peut-être avez-vous

aujourd’hui la possibilité de venir en aide à une autre personne.

- Mais enfin, parlez plus clairement, Martin, je ne comprends pas.

- Ce que je veux vous dire, c’est que… enfin, bien sûr, si votre situation financière vous le permet,

vous pourriez peut-être prêter, durant un temps, votre studio à quelqu’un qui serait dans le besoin.

Vous seriez en quelque sorte, la première, dans cette action, à montrer que la solidarité n’est pas

qu’un mot, qu’elle est avant tout un acte de fraternité…