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This article was downloaded by: [University of Western Ontario]On: 08 October 2014, At: 06:55Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registeredoffice: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK
International Review of Sociology:Revue Internationale de SociologiePublication details, including instructions for authors andsubscription information:http://www.tandfonline.com/loi/cirs20
La New Day Co-op est-elle (réellement)une coopérative ? Revisiter les théoriessur la coopération à partir d'uneexpérience de penséeDamien Rousselièreab
a Département Economie, Gestion, Société, Agrocampus Ouest,Rennes Cedex, Franceb UMR GRANEM, Agrocampus Ouest - Université d'Angers, Angers,FrancePublished online: 18 Jul 2013.
To cite this article: Damien Rousselière (2013) La New Day Co-op est-elle (réellement) unecoopérative ? Revisiter les théories sur la coopération à partir d'une expérience de pensée,International Review of Sociology: Revue Internationale de Sociologie, 23:2, 461-481, DOI:10.1080/03906701.2013.804291
To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/03906701.2013.804291
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La New Day Co-op est-elle (reellement) une cooperative ? Revisiter lestheories sur la cooperation a partir d’une experience de pensee
Damien Rousselierea,b*
aDepartement Economie, Gestion, Societe, Agrocampus Ouest, Rennes Cedex, France; bUMRGRANEM, Agrocampus Ouest - Universite d’Angers, Angers, France
(Received June 2012; final version received July 2012)
De maniere similaire aux sciences physiques, la methode d’experience de penseepermet d’etudier la validite des theories dans un « contexte limite », ou lechercheur manque de donnees experimentales. The Wire (sur ecoute), seriepoliciere ambitieuse des annees 2000, peut etre vu comme un tel objet d’etudesriche pour les chercheurs en sciences sociales a la fois comme reflet de la realitemais aussi comme objet autonome proposant une certaine interpretation desproblemes economiques et sociaux. En tant qu’experience de pensee de sciencessociales, sa mise en scene provocante de la vie quotidienne d’une cooperative derevente de drogues, la New Day Co-op, interroge les concepts cles des travauxportant sur la cooperation, et notamment l’assimilation habituelle entre justicesociale, transformation sociale et democratie economique. « Materiel empirique »important dans le cadre d’une theorie anti-essentialiste des organisationscooperatives, elle est egalement un appel a la prise en compte d’une demarchereflexive en sciences sociales.
Mots cles: Forme organisationnelle; Cooperative; organisation criminelle; etudede cas; serie televisee; The Wire; experience de pensee; situation contrefactuelle
The fable is an imaginary situation that is somewhere between fantasy and reality. Anyfable can be dismissed as being unrealistic or simplistic, but this is also the fable’sadvantage. Being something between fantasy and reality, a fable is free of extraneousdetails and annoying diversions. In this unencumbered state, we can clearly discern whatcannot always be seen in the real world. On our return to reality, we are in possession ofsome sound advice or a relevant argument that can be used in the real world. We doexactly the same thing in economic theory.
Ariel Rubinstein (2006), ‘Dilemmas of an economic theorist’, Econometrica
You’ll remember what I told you about the co-op meant, we all stand together, doing foreach other when we can? You remember that? Well, the price of four raw is 300 000. Andyour work on them New York Boys already been factored into the price, you see? On theother hand, we got something that you want and it’s coming back to you free of charge[. . .] Co-op mean what it sound like, dawg. You happy to do for me, I’m happy to do foryou.
Prop. Joe & Slim Charles a Marlo Stanfield(‘Not for Attribution’, Saison 5 Episode 3)
*Email: [email protected]
International Review of Sociology*Revue Internationale de Sociologie, 2013
Vol. 23, No. 2, 461�481, http://dx.doi.org/10.1080/03906701.2013.804291
# 2013 University of Rome ‘La Sapienza’
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Introduction
La citation pretee a Proposition Joe and Slim Charles peut-elle mieux resumer que
celle en exergue ce qui constitue l’esprit cooperatif tel qu’ont pu en faire l’emphase
aussi bien Charles Gide, Louis Blanc, Philippe Buchez, ces penseurs fondateurs de
l’idee moderne de cooperative, dans cet echange reciproque de services et cette
attention portee aux besoins de l’autre ? La premiere surprise vient qu’elle provient
d’une serie policiere produite par HBO, consideree par Barack Obama comme sa
serie preferee.1 Ce qui est encore plus surprenant et derangeant est qu’elle decrit le
fonctionnement d’une cooperative particuliere, la New Day Co-op, cooperative de
revente de drogue. Surprenante elle l’est assurement dans sa transposition d’un
modele d’organisation economique en dehors de son cadre habituel d’application.
Derangeante elle l’est encore plus surement car remettant en cause une assimilation
entre cooperative et justice ou transformation sociale dans un objectif de progres
social, souvent abusivement opere par les promoteurs des cooperatives.2
Les recherches en sciences sociales considerant de plus en plus la culture populaire
comme une matiere a penser, les series peuvent etre vues comme mettant en scene des
problemes economiques et sociaux de maniere sociologique. Des revues specialisees se
sont developpees (e.g. Journal of popular culture, Media, Crime and Culture . . .), des
revues generalistes publient regulierement maintenant sur ce type d’objet. Ainsi si
l’analyse des series televisees restait initialement un objet relativement rare d’interet en
France, la publication recente d’articles ou d’ouvrages aussi bien que l’organisation
systematique de rencontres annuelles de chercheurs en etudes litteraires temoignent
d’un interet important depuis quelques annees. Dans ce contexte, au meme titre que
d’autres series produites par HBO comme The Sopranos, la serie The Wire a elle-meme
ete l’objet de reflexions sociologiques (Faure 2009, Atlas and Dreier 2010, Penfold-
Mounce et al. 2011), philosophiques (e.g. Cromier (2008) portant sur le personnage
d’Omar Little), d’etudes culturelles (Sodano 2008), d’etudes de genre (Long 2008) . . .
Une conference organisee par l’Universite du Michigan en 2009 a meme ete consacree
uniquement a cet objet (Quinn 2009). Toutefois aucun travail n’a aborde le point que
nous developpons ici : a savoir la mise en scene d’une forme d’organisation
economique specifique telle qu’une cooperative de revente de drogue. Cette
organisation est un acteur determinant de la serie : si la cooperative se met en place
dans la troisieme saison, elle a ses racines dans la premiere saison qui s’est interessee a
la guerre aux drogues et a l’evolution d’un gang (Barksdale) et dans la deuxieme
portant sur les syndicats de travailleurs americains et sur l’emergence d’une filiere
structuree de la drogue. La troisieme saison qui s’interesse aux reformes municipales
met en evidence les nouveaux enjeux chiffres de canalisation du crime a Baltimore et
consequemment une experience conduisant a tolerer le trafic de drogue en
contrepartie d’une baisse de la criminalite. La quatrieme saison s’interessant aux
problemes de l’education et la cinquieme et derniere saison portant sur la
deterioration du journalisme americain vont decrire le contexte dans lequel va evoluer
la cooperative, avec notamment l’emergence et l’integration progressives d’un
nouveau leader local (Marlo Stanfield). Notre travail developpe plus profondement
la notion d’experience de pensee, enoncee de maniere succincte dans l’article publie
dans Sociology de Penfold-Mounce et al. (2011), pour lesquels The Wire peut etre vu
comme une forme de « science-fiction sociale » ou « sociologie lyrique ».
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Dans une premiere partie nous nous interrogeons sur la possibilite d’utiliser la
serie televisee comme un « materiel empirique » particulier et plus precisement sur la
possibilite d’y voir une experience de pensee de sciences sociales. Dans une deuxieme
partie, empirico-descriptive, nous presenterons les principaux « faits » relatifs a la
New Day Co-op tels que narres dans la serie.3 Les deux parties suivantes sont
relatives a l’analyse theorique de la cooperative : dans un premier temps sont donc
evoquees les dimensions relatives a l’emergence et dans un second temps sont
evoques les problemes de l’organisation interne. De maniere systematique sont
confrontees les propositions de la litterature theorique sur les organisations
criminelles a la « realite » du fonctionnement de la New Day Co-op. En discussion,
nous mettons en perspective ce questionnement avec une discussion concernant les
dimensions positives et normatives des etudes sur la cooperation. La reflexion sur les
cooperatives fait souvent un amalgame entre democratie economique et justice
sociale. A l’instar d’autres etudes (Levine 1998, Rousseliere 2009), nous remettons en
cause ici cette relation normative, soulignant par contraste l’inexistence d’une essence
de la cooperation.
1. La serie televisee comme experience de pensee de sciences sociales
L’utilisation de la serie televisee peut etre vue comme delicate pour le chercheur en
sciences sociales : s’agit-il d’un reflet strict de la realite ou en est-elle une
interpretation libre ? La question de la realite de ce que depeint The Wire est en
effet largement debattue (e.g. Atlas and Dreier 2008, 2010, Chaddh et al. 2008, Rowe
and Collins 2009). Le createur de la serie, David Simon (Cite par Atlas and Dreier
2010, p. 338), y voit d’ailleurs une œuvre proposant un grossissement de certains
traits de la realite : ‘‘Thematically, [The Wire is] about the very simple idea that, in
this Postmodern world of ours, human beings*all of us*are worth less. We’re worth
less every day, despite the fact that some of us are achieving more and more. It’s the
triumph of capitalism.’’
Bien qu’ayant une perspective differente de celle de Claparede-Albernhe (2003) qui
analyse les « romans du kibboutz » d’Amos Oz d’un point de vue de la nature de la
position de l’intellectuel engage, nous la rejoignons en ce qui concerne le refus de voir
dans ce type de materiel litteraire une description realiste. Ainsi notre reflexion ne porte
donc par nature pas sur la realite du fonctionnement des gangs a Baltimore dans les
annees 2000, qui conduit selon nous a une mauvaise apprehension de The Wire en
termes de serie ultra-realiste,4 mais plutot sur la maniere dont la mise en scene d’une
cooperative associant differents gangs interroge des concepts cles relatifs a la
cooperation. Si elle part d’une experience reelle (une organisation commune de gangs
de Baltimore des annees 1970) (Alvarez 2009, p. 314), la New Day Co-op correspond a
une solution economique pertinente pour des acteurs rationnels au sein d’un marche
concurrentiel en presence d’externalites negatives liees a l’activite. A ce titre
l’application de theories fondees sur le choix rationnel apparaıt pertinente et
comme nous le montrerons rend compte clairement du fonctionnement de la
cooperative decrite par The Wire. On est donc en presence de ce qu’Ariel Rubinstein
(2006) appelle des fables economiques. Si nous faisons la relation avec les travaux
portant sur les cooperatives, notre travail remplit un vide sur la mise en scene des
cooperatives. Nous proposons d’y voir un exemple d’experience de pensee.
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La notion d’experience de pensee en sciences physiques a ete pensee de la maniere
suivante par le physicien Ernst Mach : en raison de la complexite, l’inertie ou la
« resistance » du reel, l’imagination permet de mettre en place mentalement un
dispositif experimental synthetisant les connaissances acquises et de « tester » des
variations ou des combinaisons de differentes propositions (Demoures and Monnet
2005). Cette demarche a fait l’objet d’un intense debat en sciences dures, Kuhn (1964)
s’interrogeant sur l’emergence de nouvelles connaissances ex nihilo ou Popper (1959)
denoncant la tentation « apologetique » de certaines experiences de pensee (voir
Moue et al. 2006 pour une revue). Par analogie, elle s’est developpee en sciences
humaines et sociales, comme le montre l’ouvrage recent de Ruwen Ogien (2011)
portant sur des « exercices de philosophie morale experimentale ». Le but affiche est
alors de tester une theorie (e.g. le consequentialisme) a partir d’une situation
hypothetique (e.g. la possibilite de devier un tramway foncant vers cinq personnes
sur une seule personne) et de voir si le resultat peut etre contraire a nos « intuitions
morales » ou conduit a des incoherences (e.g. entre un principe de maximisation de
l’utilite totale et un principe de traiter de maniere similaire des cas similaires). En
economie, l’experience de pensee a ete vue comme un des elements constitutifs du
courant de l’economie autrichienne (Aligica and Evans 2009). Partie integrante
d’une demarche comparative, elle est un moyen d’aller au-dela de la diversite
contrainte et limitee de la realite pour penser une situation hypothetique
contrefactuelle (la situation qu’on observerait si l’effet qui nous interesse d’etudier
n’avait pas eu lieu).
On peut alors se demander si les œuvres artistiques, en tant qu’elles sont produits
de l’imaginaire, ne pourraient pas etre utilisees dans un cadre d’experience de pensee
(Ichikawa and Jarvis 2009). Ainsi Jacques Bouveresse (2008, p. 113) propose de voir
le romancier comme un experimentateur, qu’il le revendique, comme Emile Zola, ou
non. En effet des personnages inventes se trouvent places dans des situations
hypothetiques qui exigent d’eux des decisions « qui sont la plupart du temps a la fois
difficiles et lourdes de consequences, et a nous demander avec eux : quelle serait la
bonne facon d’agir dans une situation de cette sorte ? ». Bernard Lahire (2007,
p. 175) propose alors d’etudier les œuvres litteraires selon un mode d’examen « des
schemes d’interpretation du social mis en œuvre par les romanciers dans leur ecriture
litteraire ». Lahire cite a ce propos Howard Becker and Henri Peretz (2002, p. 13) qui
voient dans les œuvres litteraires une forme d’experience de pensee (ou experience
mentale):
« En science on parle d’experience mentale sous la forme d’hypothese : comme si lemonde fonctionnait de telle facon. Personne ne pense qu’il en est ainsi. De meme lafiction nous apporte des cas dont il importe peu qu’ils soient vrais ou faux, qu’ils seproduisent ou pas. Cela n’a pas d’importance, ils nous font voir des possibilites. Onenvisage certaines de ces possibilites et on se demande ce qui se passerait si les chosesetaient ainsi ».
Le chercheur doit s’efforcer de toujours verifier que le discours tenu sur et a propos
de l’œuvre permet de mieux la comprendre « mais aussi et surtout d’apporter plus
largement, comme tout autre sociologue, une plus-value dans la comprehension et
l’explication du monde social » (Levy and Quemin 2007, p. 233). Suivant cette
optique, l’experience de pensee proposee par The Wire consiste alors a tester la
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robustesse des conceptions economiques de la cooperation dans un « contexte limite »,
ou le chercheur manque par nature de donnees experimentales (Arnal et al. 2009).Jean-Marie Schaeffer (2005) est toutefois critique sur le fait de voir dans la
litterature un analogue a l’experience de pensee de sciences dures puisque l’œuvre
artistique ne demande pas a etre analysee en termes logiques. Les fictions artistiques
se rapprochent en partie des « intrigues de supposition » que Schaeffer reprend a
Francis Affergan dans le sens ou elles contribuent a construire des « mini-univers
imaginaires (. . .) situations virtuelles a explorer » (2005, p. 22). Toutefois tenir
compte des specificites de l’œuvre artistique, qui plus est pour une œuvre
explicitement narrative comme une serie televisee, n’interdit pas d’y voir un certain
rapport au reel. On peut s’appuyer de maniere generale sur Wittgenstein qui voit
dans l’experience de pensee des « considerations grammaticales » (cite in Bouveresse
(2008, p. 116)) : le resultat fictif d’une experience fictive. Ainsi l’experience de pensee
est en realite selon Diamond (2002) la suivante: il ne s’agit pas de predire une action
individuelle ou collective dans certaines conditions hypothetiques difficilement
observables, mais plutot de proceder a une enquete conceptuelle. Ici il ne s’agit
donc pas de savoir comment se comporteraient des organisations criminelles si elles
decidaient de collaborer entre elles, mais plutot de nous interroger sur ce qu’est une
cooperative. Toutefois comme le souligne David Lewis (1978), la fiction ne peut jouer
ce role que si elle renvoie a des mondes de la croyance collective de la communaute
d’origine de la fiction ou elle pourrait etre vraie. De maniere similaire au travail de
Rumpala (2010) sur la mise a l’epreuve de la science politique par la science-fiction,
qui souligne la difficulte de l’analyse du changement social, il s’agit de souligner au
prisme de The Wire que les theories de la cooperation sont pour certaines
implicitement normatives et conduisent a separer les « bonnes » des « mauvaises »
cooperatives.L’utilisation de l’œuvre litteraire comme experience de pensee conduit a confronter
le resultat de deux experiences (une scientifique et une litteraire). On peut a ce titre
reprendre la notation de Laymon (1991) et la developper specifiquement. Ainsi soit f
un ensemble de chercheurs, c un artiste, v un ensemble de propositions {T, O, S, P1,
P2, . . . , Pn, I1, I2, . . . , In, Qa, Qb}. On a alors:
� T est une description idealisee (et donc fausse) d’une experimentation dans le
monde reel.
� Les membres f de la communaute de chercheurs pensent que P1, P2, . . . , Pn
sont des principes ou lois scientifiques.5
� Les membres f de la communaute de chercheurs pensent que �x (Tx) & P1 &
P2 & . . . , Pn[Qa, Qa etant le resultat de l’experience. On a alors une situation
contrefactuelle Q�a en l’absence des causes P1, P2, . . . , Pn.
� Or parallelement un artiste c produit une œuvre O concue selon des principes
« imaginatifs » I1, I2, . . . , In tel que ce qui est observable est Qb (le resultat) et S
une situation initiale (autrement dit {S, Qb} �0). I1, I2, . . . , In ne sont pas
directement observables mais peuvent etre l’objet d’interpretation par leschercheurs g(I1, I2, . . . , In). On suppose alors S & g(I1) & g(I2) & . . . g(In) [Qb.
� Si les principes « imaginatifs » I1, I2, . . . , In sont penses comme la cause de Qb,
ceci conduit donc a devoir imaginer une situation contrefactuelle Q�b.
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L’utilisation de l’experience de pensee est donc pleinement inscrite dans une
approche particuliere dite contrefactuelle. Une des limites de cette derniere est
d’etre necessairement dans une optique d’analyse des « effets de la cause » et non de «
la cause des effets » (Russo et al. 2011). Autrement dit la reconstruction intellectuelle
a laquelle conduit cette approche amene d’abord a concevoir une situation initiale a
partir de laquelle on mesure des effets des causes identifies.6 L’autre difficulte
fondamentale est que la situation contrefactuelle est par definition inobservable et
donc hors de l’evidence empirique. L’application de cette approche a une œuvre
artistique conduit a imaginer une situation totalement etonnante Q�b : en ce qui
nous concerne, a quoi aurait abouti la fiction televisuelle The Wire si au lieu de
proceder a la creation d’une cooperative, les gangs avaient toujours ete en
concurrence ? On peut voir cette demarche nous forcant a penser une situation
contrefactuelle comme un moyen de reintroduire une dimension reflexive a la
recherche menee. En effet, par definition, on ne peut avoir aucune certitude sur le fait
que la situation contrefactuelle imaginee ne reflete pas en realite nos prenotions sur
la question, ce que demontrent tres bien Russo et al. (2011, p. 51).
L’interet d’utiliser l’œuvre O est forte quand il n’y a pas de realite physique (ou
difficilement observable) a �x (Tx). Differents cas de figure existent :
� Qa est connu et Qa�Qb. L’œuvre artistique « soutient » la theorie.
L’experience consiste alors a voir si ce sont bien les P1, P2, . . .Pn qui ont
conduit au resultat ou alors qu’il s’agit d’autres principes I1, I2, . . . , In. Dans ce
dernier cas, on est en presence de sous-determination de la theorie par les faits
(au sens de Quine). Autrement dit on est fonde a se demander si les principesimaginatifs interpretes g(I1, I2, . . . , In) peuvent avoir une validite scientifique.
� Qa est connu et Qa"Qb. L’œuvre artistique « ne soutient pas » la theorie. Sauf
incoherence, les principes scientifiques ne peuvent etre les memes que les
principes imaginatifs. La recherche conceptuelle consiste a se demander si les
principes scientifiques sont vrais ou si les principes imaginatifs interpretes g(I1,
I2, . . . , In) peuvent avoir une validite scientifique.
� Qa est inconnu. La recherche conceptuelle consiste alors, de maniere
independante a l’examen des principes imaginatifs, a se demander si lesprincipes scientifiques P1, P2, . . . Pn permettrait de produire Qb.
Notre proposition est que dans le cas de l’analyse de The Wire, on peut decomposer
chacune des experiences en deux composantes (Qa ¼ Q1a; Q2
a
� �etQb ¼ Q1
b; Q2b
� �) :
� La premiere est relative au probleme de l’emergence Q1a; Q1
b
� �: quelles sont les
raisons economiques et sociales pouvant expliquer la creation d’une coopera-
tive ? Trois raisons peuvent etre principalement relevees : la regulation des
conflits entre les membres (la cooperative comme reseau), l’internalisation des
effets de la concurrence (la cooperative comme internalisation des externalites
negatives), la remise sur le prix de gros (la cooperative comme lutte contre le
pouvoir de marche des producteurs). Il s’agit a ce titre d’une critique radicale
des theories de « l’esprit cooperatif », deja raillees en son temps par Claude
Vienney, et un « soutien empirique » aux theories rationalistes. Dans notre casde figure, on a Q1
a ¼ Q1b. La situation contrefactuelle au plan de l’œuvre
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artistique serait : « qu’est ce qui se serait mis en place au lieu de la cooperative
si celle-ci n’avait pas ete presente ? ».
� La seconde est relative au probleme de l’organisation interne Q2a; Q2
b
� �: quelles
sont les relations strategiques entre les membres de la cooperative et a quelleconfiguration organisationnelle cela conduit-il ? Deux mecanismes principaux
sont soulignes : les dilemmes relatifs au passager clandestin (tentation a
beneficier des effets de la cooperative sans y participer), les limites apportees
aux processus democratique de decision collective (inspires par le Robert’s
Rules of Order) par la propriete asymetrique de ressources specifiques.
L’evolution de la New Day Co-op met d’ailleurs au final en evidence
l’absurdite d’un processus civilisationnel applique aux relations entre les
gangs, autrement dit la difficulte de gerer de maniere rationnelle une activiteillegale. Dans notre cas, on a Q2
a en grande partie inconnu et on observe Q2b qui
conduit a reinterroger la theorie des cooperatives. La situation contrefactuelle
Q2:b au plan de l’œuvre artistique serait : « de quelle(s) nature(s) auraient ete
les liens entre les gangs s’ils n’avaient pas mis en place la cooperative ? ».
2. Naissance et transformation de la New Day Co-op
‘‘Welcome; New Day Co-op; Tomorrow’s success; Stories start today’’(‘‘Straight and True’’, Saison3 Episode5). . .Coop starts up, unity shown . . .Mad Skillz, The Wire Wrap Up (5 seasons in 5 minutes)
La cooperative prend son origine dans la desorganisation et la difficulte de
reapprovisionnement d’un des principaux groupes de Baltimore, le Clan Barksdale.
Suite a l’enfermement d’Avon Barksdale, Stringer Bell (son lieutenant) opere un
rapprochement avec une organisation (Proposition Joe Stewart egalement appele
Prop. Joe), capable de fournir de l’heroıne de haute qualite, en raison d’une
connexion directe avec le fournisseur (« le Grec »). Cette connexion directe peut etre
vue en terme economique comme le principal actif immateriel de la cooperative.
Progressivement l’accord s’ouvre a d’autres membres et la cooperative est fondee lors
de la saison 3. L’episode 5 (« Straight and True ») comporte la premiere reunion
formelle de New Day Co-op. La cooperative qui se cree alors est une cooperative
d’approvisionnement dont les membres sont des dealers. Ces derniers peuvent soit
revendre au consommateur final via leurs propres revendeurs soit revendre en gros a
des independants, les deux reseaux coexistant en fonction des rapports de forces
locaux favorables ou non a chaque revendeur. Comme le souligne Alvarez (2009), le
nom de la cooperative est inspire d’un cas reel, temoignage de la connaissance
approfondie de la realite de Baltimore par David Simon, scenariste et ancien
journaliste du Baltimore Sun : il s’agissait d’un groupe d’organisations de Baltimore
dans les annees 1970 qui avait pour objet la remuneration de tueurs pour proteger les
organisations membres des vols.
L’organisation est dans un premier temps presidee par Stringer Bell. Avec l’entree
en guerre contre Marlo Stanfield, la cooperative prend position pour une fin des
hostilites sous menace de couper l’approvisionnement a l’organisation de Barksdale.
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La mort de Stringer Bell et la dissolution de l’organisation Barksdale suite a des
arrestations massives conduit Proposition Joe a prendre seul la presidence de la
cooperative.
Cette presidence dure pendant l’ensemble de la saison 4 et une partie de la saison 5.
Face a l’arrivee d’un challenger important avec Marlo Stanfield, la cooperative tente
de faire face en lui proposant une adhesion. Cette adhesion se fait progressivement
suite a la prise de conscience par Marlo Stanfield de son statut de cible de la police de
Baltimore. Le conflit mis en place par Proposition Joe entre Omar Little et Marlo
Stanfield est destine a accroıtre l’attractivite de la cooperative pour ce dernier.
L’adhesion de Marlo se traduit notamment par une activite effectuee au service de la
cooperative par ses propres hommes de main avec l’elimination d’un gang de New
York agissant dans Baltimore Est. Cette periode correspond a l’apogee de la
cooperative en termes de membres et de volume d’activite.
Une crise au sein de la cooperative apparaıt avec le vol par Omar d’un
reapprovisionnement complet en heroıne. La responsabilite de Proposition Joe est
mise en avant par les autres membres de la cooperative. Marlo, qui y voit une fenetre
d’opportunite pour ses propres affaires, tente progressivement de negocier directe-
ment avec les fournisseurs. Avec le soutien d’un des principaux lieutenants et le
propre neveu de Proposition Joe (Cheese Wagstaff), Marlo, ayant appris l’origine
de son conflit avec Omar, commandite le meurtre de Proposition Joe et prend le
controle de la cooperative. Une connexion exclusive avec le fournisseur est mise en
place par Marlo, qui decide lors de l’episode 6 de la seance 5 (The Dickensian Aspect)
de ne plus convoquer les reunions formelles de la cooperative, conduisant a sa
dissolution officieuse.
Suite a son arrestation par la Police de Baltimore, Marlo est conduit sur
proposition de la justice a prendre « sa retraite » des affaires de drogues, la nature
meme des preuves illegalement obtenue a son encontre ayant conduit le bureau du
Procureur a proposer ce type d’offre. La connexion avec le fournisseur est alors mise
a prix a une hauteur de 10 millions de dollars par Marlo. Les membres restant de la
cooperative decident de cotiser pour le rachat collectif de cette connexion, tout en
s’assurant de l’elimination physique de l’ancien lieutenant de Proposition Joe et
Marlo (Cheese Wagstaff). Le dernier episode de la serie se termine par la rencontre
entre les nouveaux responsables de la cooperative (Fat Face Rick et Slim Charles) et
l’organisation du Grec, laissant supposer une renaissance sous forme active de la
New Day Co-op.7
3. La naissance d’une cooperative : contingences materielles et esprit cooperatif
We’re going to handle this like businessmen, sell the shit, make the profit and later forthat gangsta bullshit.Stringer Bell(‘‘Time After Time’’, Saison3 Episode1)
Suivant the Wire, la cooperative New Day Co-op se cree pour prendre en charge trois
fonctions economiques et sociales: l’internalisation des externalites negatives, la lutte
contre le pouvoir de marche des producteurs et la regulation des relations entre les
membres. Ces differents aspects peuvent etre apprehendes par les concepts
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developpes en analyse economique des cooperatives ainsi que ceux developpes dans
le cadre de l’analyse des organisations criminelles (e.g. Gottschalk 2008a, 2008b).
3.1. L’internalisation des externalites negatives
La concurrence entre les differents groupes est en effet couteuse pour chacun et ceci a
trois niveaux differents :
� en termes d’impact sur les prix. Les prix fixes ne peuvent pas etre trop
importants pour eviter de voir partir les clients vers un concurrent. A ce titre,
une cooperative peut etre vue comme une forme de cartel permettant aux
membres d’acquerir un certain pouvoir de marche (fixer un prix superieur aucout marginal) (Filson et al. 2001).
� en termes d’effort deployes pour garder le territoire. Venkatesh and Levitt
(2000) montrent en effet que les couts induits par la sauvegarde des territoires
sont importants dans la « fonction de production » du gang.
� en raison des externalites negatives produites.
Ce dernier point renvoie a la theorie des biens clubs developpee a la suite de
Buchanan (1965). Les biens publics peuvent etre definis a partir de deux proprietes :la nonrivalite (la consommation d’un bien par un individu ne diminue pas la quantite
disponible pour les autres et n’empeche pas son usage: il n’y a donc pas d’effets
d’encombrements) et la non-exclusion (il est impossible d’interdire a un individu
l’usage du bien considere, soit pour des raisons techniques, soit parce que la mise en
place de procedures de controle s’avererait trop couteuse). Rares sont les biens qui
satisfont les deux criteres simultanement: ceux qui ne repondent qu’a un seul sont
dits « biens publics mixtes ». Plus specifiquement pour les biens non-rivaux mais
susceptibles d’une exclusion, on peut parler de biens publics reserves de fait a unecommunaute et constituant des « biens clubs » (Ostrom and Ostrom 1977). Selon la
theorie des biens clubs, la forme cooperative peut etre concue comme permettant
de garder les externalites generees par un reseau vu alors comme une structure
collective. La cooperative est alors une forme d’arrangement contractuel hybride
permettant l’internalisation des externalites negatives. Son efficacite reside dans la
mise en place d’un groupe de pairs supervisant et controlant l’activite des membres
(Menard 2004).
Suivant cette proposition, l’origine de la cooperative apparaıt relativementsimple. Croyant que la police ferait moins attention au trafic de drogue si la violence
etait reduite au minimum, Proposition Joe et Stringer Bell mettent au point un
regroupement des principaux revendeurs de drogues de Baltimore. Joe fournirait les
membres de la cooperative avec une heroıne de meilleure qualite, provenant
directement de l’organisation du Grec. En retour les membres s’accordent pour
regler leurs problemes au sein de la cooperative de maniere pacifique.
La cooperative va permettre alors d’internaliser les externalites generees, qui sont
constituees par les morts et les violences lies au trafic. Cette dimension est favoriseepar l’inscription dans un contexte institutionnel ou les objectifs de la police sont
centres sur une reduction du nombre de morts.8 Ainsi le test « Hamsterdam »
(experience de pensee a part entiere selon Penfold-Mounce et al. (2011)) propose par
le Major Collin consiste a tolerer un trafic de drogue dans une zone desertee de la
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ville. Comme le remarque Johnson-Lewis (2009, p. 4) Stringer Bell, le cofondateur de
la cooperative, ‘‘wants to stop the violence, not for altruistic or humanitarian reasons
but for economic reasons. His ultimate aim is to go legit, but his desire to do so is
continually thwarted’’. Cette creation s’inscrit dans une reflexion generale sur lanature economique particuliere du commerce de drogue. Un certain nombre de
references economiques sont ainsi diffuses. Stringer Bell est en effet un etudiant en
economie au Baltimore City Community College et possede dans sa bibliotheque
notamment un ouvrage d’Adam Smith.9
Ainsi dans un episode (Saison 1 Episode 8 : « Lessons »), Stringer Bell suit un
cours d’economie portant sur la notion d’elasticite.10 Cette notion est ensuite
expliquee aux membres du gang. Le probleme selon Stringer Bell est que le produit
vendu par le gang, la drogue, est un produit elastique au prix. L’objectif va etre de lerendre inelastique en jouant sur les besoins du consommateur ou ses desirs
(notamment en creant de maniere factice des nouvelles « marques »). En effet en
presence d’un produit elastique, une entreprise va etre sensible a des strategies
predatrices de ses concurrents. En jouant sur la differenciation, elle peut reconquerir
une forme de monopole local et redevenir faiseuse de prix.11 Il est interessant de
noter que si cette proposition d’elasticite appliquee a la drogue apparaıt largement
contre-intuitive (puisqu’il s’agit d’un produit d’addiction) cette proposition theori-
que a ete fortement corroboree par l’ensemble de la litterature economique en lamatiere (e.g. Becker and Murphy 1988, Saffer and Chaloupka 1999, Poret 2005).
3.2. La lutte contre le pouvoir de marche des producteurs
Un autre argument, plutot utilise pour attirer de nouveaux membres est celui de
beneficier d’une remise plus importante. Deux elements expliquent le prix eleve
pouvant etre pratique.
� Le premier element est le pouvoir de marche : les fournisseurs, en petit
nombre, beneficient en effet d’un pouvoir de marche vis-a-vis des revendeurs
desorganises. Un regroupement des revendeurs en une seule organisation
permet d’empecher les fournisseurs de les jouer les uns contre les autres
(Mikami 2003).
� Le second element est lie a la prime de risque : les risques d’etre pris lies au
trafic de drogue sont une fonction du nombre de transactions (Poret 2006).
Une baisse du nombre de transactions avec une commande groupee permet debeneficier d’un prix unitaire plus faible.
La cooperative est donc une reponse pertinente a ces deux elements. Lors de l’accord
entre revendeurs conduisant a la creation de la cooperative, Stringer Bell peut ainsi
dire de maniere solennelle : « we gonna have the best discount on New York package »
(Saison 3, Episode 5). La theorie des jeux s’est interessee d’une part a la maniere dont
peut emerger une cooperative comme reponse a la structure de marche des
fournisseurs (Staatz 1983, Sexton 1986, Zusman and Rausser 1994, McCain 2008).Ainsi selon Roger McCain (2008, p. 2166): ‘‘a cooperative (in the sense of the
cooperative movement) organization may be required in order to fully realize a
cooperative (in the sense of game theory) solution to the interactive decision problem
all group enterprises create’’. Le modele propose par Zusman and Rausser (1994)
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permet une illustration interessante de cette creation dans un cas ou il existe une
asymetrie importante entre les porteurs de projet (ici Stringer Bell et Proposition Joe)
et les autres, qui se greffent sur un projet deja la. D’autre part la theorie economique a
developpe differents modeles (Poret 2005, 2006) proposant une analyse de la structuredes organisations de revente de drogue. Ces dernieres peuvent etre vues comme des
entreprises maximisant leur profit en integrant un cout supplementaire lie a la
repression. Elles font face a des externalites negatives et des couts importants. Le
developpement de l’activite de chaque membre se fait a priori en opposition aux
autres.
La creation de la cooperative peut etre vue comme une forme d’hybridation entre
ces deux types de modeles : elle permet d’obtenir de la drogue de bonne qualite et
d’acheter en gros. Cela baisse les couts et rend inelastique le produit. Dans un telcontexte, l’economie industrielle met en evidence qu’une strategie de baisse des couts
alliee a une cartellisation est celle qui permet une maximisation du profit pour
l’entreprise.
3.3. Les dimensions sociales de la regulation des relations entre les membres : unprocessus civilisationnel ?
Une autre fonction assuree par la cooperative est la pacification des relations entreles differentes organisations criminelles de revente de drogue. Dans la litterature sur
le sujet, differentes raisons sont invoquees pour la violence liee au trafic de drogues
(e.g. Hamid 1990, Goldstein et al. 1992, Burrus 1999).
� un effet de signal (pour faire respecter le paiement des dettes ou les normes de
comportement). Les difficultes liees au paiement des dettes ne peuvent
contrairement a des activites legales etre reglees comme un contentieux
juridique. La sanction est necessairement physique. Elle doit en outre etrespectaculaire pour regler des problemes de contagion. Ce meme effet de signal
concerne egalement la question du respect des normes de comportement. La
serie debute veritablement avec le meurtre d’un habitant d’un quartier investi
par les trafiquants ayant accepte de temoigner contre un membre d’un gang.
Dans la saison 4 on voit la succession de meurtres de personnes simplement
soupconnees de collaboration avec les autorites policieres.
� un effet de reputation. En relation avec le precedent effet, les actes violents
doivent faire l’objet d’une publicite par rapport aux autres gangs. Les auteursdes actes violents agissent a ce titre dans le cadre d’un dilemme : rendre public
pour affirmer sa place par rapport aux autres mais pas trop pour eviter
l’intervention des forces de l’ordre qui nuit a l’activite de tous. C’est le conseil
donne par Prop Joe et Slim Charles a Marlo Stanfield dans son mode de
reglement de l’intrusion de New Yorkais a Baltimore. La disparition des corps
empeche d’envoyer un signal clair (« in full effect ») aux gangs de New York
car il y a un doute sur ce que deviennent les individus. Slim Charles peut ainsi
dire « when bodies disappear, it defeats its own purpose ».� un effet de protection (par rapport aux voleurs d’argents lies a la drogue). Le
commerce illegal de la drogue se double en effet d’une autre activite illegale
correspondant aux vols des trafiquants de drogues par des outsiders. Ce point
est d’ailleurs bien resume lors de l’experience Hamsterdam tolerant le trafic de
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drogue sous la supervision distanciee de la possible. Se pose alors la question
de son intervention quand les revendeurs se font derober leurs recettes du jour
(« vous n’etes jamais la quand on a besoin de vous »). La violence permet de
securiser les trafics et de dissuader des voleurs, tel Omar Little.� un effet de gain de part de marche. Les meurtres sont essentiellement lies a des
gains de territoire (acquerir de nouveaux « corners », ou coins de rue, dans les
saisons 3 et 4 de The Wire). Ainsi pour Hamid (1990), la confrontation entre
des gangs est liee a une volonte d’acquerir un pouvoir de monopole face a la
clientele.
La cooperative permet de limiter le recours a la violence sur ces quatre points. De
maniere plus generale, elle s’inscrit dans une tentative de civiliser les relations entreles membres tout simplement en formalisant le fait que la revente de drogue est un
moyen au service d’autre chose : la reconnaissance sociale, l’aisance economique . . .Proposition Joe va ainsi au cours de la saison 5 essayer de transformer Marlon
Stanfield en « business man », comme en temoigne la rencontre avec le cabinet
d’avocat via son entremise. De maniere generale, la creation de la cooperative
s’inscrit dans une volonte de passer d’une economie de la violence a une « economie
de la deliberation » (Gallais 2005). Il s’agit plus generalement de contribuer a
l’evolution « du jeu » qui voit le remplacement des « gangsters a l’ancienne par leshommes d’affaires » (Venkatesh 1997, Venkatesh and Levitt 2000). Ainsi Venkatesh
and Levitt (2000, p. 455) ont mis en evidence dans le cas de Chicago la montee d’une
dimension entrepreneuriale forte dans l’organisation des activites des gangs : « a
corporatist ethics among several large Chicago street gang families, one in which the
orientation of the gang toward commercial activity is defined by proto-business
principles. They included a vertical-hierarchical administration, the infusion of
rational management procedures (although not to the exclusion of charismatic
authority), and rules tied to office as opposed to person ».Comme le remarquent les memes auteurs, la nature illegale des activites realisees
par ces membres conduit les leaders a devoir rendre acceptable et legitime une
activite qui ne l’est pas. Cela conduit par exemple a consacrer des sommes
importantes a l’indemnisation des morts « dans l’exercice de leurs fonctions »
(Levitt and Venkatesh 2000). Ceci peut etre illustre dans The Wire, ou la famille de
Wee Bey est indemnisee regulierement par le clan Barksdale.
4. L’evolution de la cooperative : Le probleme de la democratie
All main motions which are moved during the course of a meeting (excepting only thosewhich are withdrawn by the maker) should be recorded in the minutes.Robert Rules of Order- Motherfucker, what is that?
- [Robert Rules] Book say we gotta have minutes for a meeting, right? These the minutes.
- Nigger, is you taking notes on a criminal fucking conspiracy?
(‘‘Straight and True’’, Saison3 Episode5)
Relativement a l’evolution de l’organisation interne de la cooperative, deux elements
peuvent etre abordes. Le premier concerne la contribution des membres a l’activite de
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la cooperative. Le second concerne la procedure de decision collective et la
repartition des actifs strategiques au sein de la cooperative.
4.1. Limites a l’action individuelle et theorie du passager clandestin
La tentation est celle de profiter des avantages de la cooperative sans y contribuer.
Cette tentation renvoie au theme du passager clandestin (ou free riding) developpe par
Mancur Olson (1965) dans le cadre de l’action collective. Le bien collectif « image de
marque du reseau » (fondee sur le traitement de maniere pacifique des problemes) est
un bien immateriel qui profite a tout le reseau d’ou le risque de passager clandestin
(chacun pouvant avoir interet a tricher dans sa contribution effective) (Tirole 1996).
En consequence, le role de police de l’organisation envers ses membres(autrement dit de monitoring en theorie economique) doit aussi etre reaffirme. Ainsi
dans l’episode Slapstick (Saison 3 Episode 9), Fat-Face Rick, Proposition Joe,
Kintell Williamson et Philboy rappellent a Stringer Bell que l’un des objectifs de la
Coop est de reduire la violence car elle attire l’attention de la police. Cela est
poursuivi dans une reunion de la cooperative dans l’episode Reformation (Saison 3
Episode 10) : decision est prise de demander a stopper la guerre entre Barksdale et
Stanfield, avec menace de couper l’approvisionnement.
Ce role de monitoring consiste de maniere generale a veiller a la maniere dont lesmembres s’acquittent de leur participation au financement du bien public que
constitue la production de la cooperative. Ce financement peut etre de nature non
monetaire. L’utilisation des hommes de main de Marlo Stanfield est un exemple de la
maniere dont les cooperateurs doivent apporter leurs competences a la cooperative.
En contrepartie, la cooperative doit assurer notamment une responsabilite collective
des pertes. Cette dimension est habituellement inscrite au cœur des conceptions
economiques de la cooperation, comme lorsque les cooperatives agricoles devel-
oppent des caisses de perequation prelevant un pourcentage sur les ventes lors d’uneperiode de prix hauts et le redistribuant en cas de baisse des prix. « Co-op is share the
good, share the bad » dit Prop. Joe.12 Aussi lorsque Omar prend sa revanche sur Prop
Joe et Marlo Stanfield par le vol d’un arrivage entiere d’heroıne, la perte est
supportee collectivement par les membres de la cooperative, suite a un rapport de
force favorable a Proposition Joe (la connexion avec l’equipe du Grec) (‘‘Final
Grades’’, Saison 4, Episode 13).
Une decision importante est celle d’inclure un nouveau membre, qui agit ici en
tant que concurrent de la cooperative. Cela est discute dans l’episode Home Rooms(Saison 4 Episode 3) : faut-il inclure Marlo Stanfield parmi les membres de la
cooperative ? D’un cote l’inclusion de Marlo comme membre de la cooperative
permet de diminuer les risques lies a laisser un dealer puissant a l’exterieur de la
cooperative, qui peut conduire ses strategies d’expansion contre des membres de
la cooperative, qui forcerait cette derniere a agir et ainsi entraıner le retour de la
violence. De l’autre son entree conduit a rendre plus facilement detectable
l’organisation criminelle que constitue la New Day Co-op. Ce dilemme est bien
etudie par Baccara and Bar-Isaac (2008) qui proposent un modele de theorie des jeuxpour etudier la structure optimale d’une organisation criminelle. Le dilemme qui est
alors mis en evidence concerne la relation entre la necessaire diffusion de
l’information au sein de l’organisation pour creer la confiance entre les membres
necessaire a la poursuite de l’activite illegale (notamment en raison des consequences
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de cette activite pour chacun des membres) et la vulnerabilite qu’entraıne cette
diffusion de l’information. Easton and Karaivanov (2009) proposent de leur cote un
modele theorique sur la taille optimale du reseau criminel dans le cadre d’un autre
dilemme : plus un criminel est connecte avec des partenaires actifs plus sa strategie demaximisation du profit est optimale, mais plus sa chance d’etre repere l’est. Les
auteurs mettent en evidence la capacite du reseau a s’adapter a l’evolution de son
environnement.
4.2. Procedure de decision collective et processus civilisationnel
Un moment charniere pour comprendre le fonctionnement de la cooperative est la
mise en scene dans l’episode 5 de la saison 3 (« Straight and True ») de la reunion deconstitution dans un hotel (Executive Inn) specialise dans les reunions d’affaires.
Stringer Bell y transpose le mode de fonctionnement qu’il avait impose prealable-
ment au sein de l’organisation de Barksdale (Saison 3 Episode 1). Ainsi la reunion est
organisee selon le reglement Robert’s rules of order. Redige en 1876 par Henry
Martyn Robert, cet ouvrage decrit les procedures necessaires pour le deroulement
d’une assemblee deliberante ou d’une reunion. Beaucoup d’organisations se referent
a ce texte si leurs reglements ne prevoient pas de ligne de conduite a propos d’un
sujet. Robert’s Rules of Order demande que les arguments pour et contre soientevoques de maniere equitable et que le debat ne puisse etre clos qu’avec une majorite
extraordinaire (des deux tiers). Un des principaux points abordes par ce livre est que
la majorite donne a la minorite une entiere et libre capacite a presenter sa vision.13
Stringer Bell ne remplit que partiellement ses obligations dans l’episode 1 de la saison
3 en reprenant violemment Pooh qui avait lors de sa prise de parole remis en cause la
strategie de l’organisation car cette derniere privilegierait la poursuite de ses activites
economiques aux valeurs traditionnelles de la rue (« la defense de l’honneur »). Une
remarque sur son intervention intempestive et non reglementaire est d’ailleursformulee par Shamrock a Stringer Bell dans ce sens.14 Stringer Bell justifie alors son
intervention en denoncant le « manque de culture » de Pooh (« too ignorant »). Ce
point permet de souligner un certain impense de la mise en place de ce type
d’organisation : soit l’accord a minima sur certaines valeurs communes, soit la non
remise en cause de la hierarchie deja presente. Il souligne egalement la difficulte
d’implantation de ces elements dans le contexte d’une economie illegale. Shamrock,
bon eleve du Robert Rules of Order, note ainsi de maniere consciencieuse les decisions
prises lors des reunions de la cooperative, ce qui revient en realite a prendre des notessur une conspiration criminelle, comme lui rappelle Stringer Bell.
Ce processus civilisationnel presente de maniere aussi absurde ne protege pas des
relations violentes entre les membres. Proposition Joe, le fondateur de la cooperative,
est ainsi assassine dans l’episode 5 de la Saison 5. Marlo en prend le controle via la
connexion avec les fournisseurs et annonce que toutes les futures reunions de la coop
sont annulees et que le prix d’achat en gros de la drogue est augmente (Saison 5,
episode 6: ‘‘The Dickensian Aspect’’). On assiste toutefois a une regeneration de la
cooperative controlee a la fin par Fat Face Rick et Slim Charles: il s’agit d’un rachatcollectif, qui s’apparente tres clairement a un rachat de l’entreprise par ses anciens
membres, du principal actif de la cooperative: la connexion avec le Grec. (Saison 5
Episode 10 -30-). Cet actif devient alors une propriete collective, ce qui n’etait pas le
cas auparavant.
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Il y a une difference importante entre le processus de decision collective et la
propriete des actifs strategiques qui sont en realite un actif intangible. Ainsi ces
derniers sont essentiellement la « connexion » avec l’organisation du Grec, autrement
dit la possibilite de se fournir en drogue de bonne qualite a bon marche. Dans lecadre d’une economie illegale, une « connexion » est un actif strategique important.
Cet actif n’est pas porte au capital de la cooperative lors de sa creation par
Proposition Joe mais garde pour lui. Il est alors l’objet de convoitises de la part des
membres successifs de la cooperative et notamment de Marlo Stanfield. Proposition
Joe utilise a son avantage cet actif (par exemple lorsqu’il menace les autres membres
de la cooperative de couper l’approvisionnement s’il n’y a pas de solidarite dans le
partage des couts induits par le vol par Omar Little d’une cargaison).15
5. Les effets conceptuels de la transposition de la cooperation dans un contexte
d’economie illegale
Prolongement d’une experience reelle des annees 1970, cette etude de cas montre la
possibilite d’une emergence d’une cooperative dans le cadre d’une economie illegale.
Elle met en evidence l’absurdite d’un processus civilisationnel applique aux relations
entre les gangs, autrement dit la difficulte de gerer de maniere rationnelle une activite
illegale. Cette derniere est l’objet des passions et relations conflictuelles des differentsgangs ou des effets de reputation ou de logique d’honneur viennent interferer avec
des decisions economiques rationnelles (ce que resume tres bien la notion «
d’intellectuel tragique » utilisee par Gibson (2011) pour decrire Stringer Bell).
La New Day Co-op peut etre une vue comme une experience de pensee :
l’application d’un raisonnement d’optimisation rationnelle dans le contexte de
l’economie de la drogue donnant lieu a l’emergence d’une forme d’organisation
efficace. La New Day Co-op remplit une partie du vide empirique que relevait
Gottschalk (2008b) dans son analyse des similarites (pour les theories economiqueset de management) dans l’analyse comparative des organisations criminelles et non
criminelles. Cette experience « des limites » du statut cooperatif souligne la capacite
(ou l’incapacite) de cette forme juridique a fonctionner dans d’autres contextes. Sur
de nombreux aspects, la New Day Co-op est une cooperative comme les autres
(participation monetaire et non monetaire des membres, services rendus aux
membres, structure de decision collective, etc.). Une cooperative a part entiere
mais egalement entierement a part ou les problemes entre les membres se reglent par
la violence et les meurtres.Elle peut ainsi etre vue comme une critique radicale de deux types d’approches des
cooperatives. La premiere est celle de l’amalgame entre democratie economique et
justice sociale. Cette cooperative fonctionne parfaitement au plan economique, elle ne
pacifie pas les relations sociales. Elle est clairement « embeddeness », autrement dit
encastree dans les relations sociales de son milieu (Levi 2006) et n’implique pas
transformation sociale ou progres social. Notre societe serait-elle meilleure si meme
les criminels decidaient d’introduire de la democratie et de la participation dans leur
activite ? Implicitement cela serait le resultat auquel on a aboutit quand on applique «naıvement » les theories cooperatives. Dans notre exemple, tout « se passe comme si »
on etait autorise a penser l’inverse c’est-a-dire que Q2b ¼ Q2
:b avec dans le meme temps
Q1b 6¼ Q1
:b. A l’instar d’autres etudes (Levine 1998, Rousseliere 2009), nous remettons
en cause ici cette relation normative, soulignant par contraste l’inexistence d’une
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essence de la cooperation orientee vers le progres social. Elle interroge de maniere plus
generale les « frontieres » de l’economie sociale. A ce titre l’etude du mouvement
Leclerc est eclairant (Carluer-Lossouarn 2008). Habituellement non assimile a
l’economie sociale, il possede pourtant de nombreuses caracteristiques que l’on
retrouve dans les definitions habituelles du champ : participation benevole et
democratie des membres, participation des salaries. Le seul probleme est qu’il s’agit
alors d’une « democratie de petits patrons » dont certains sont multimillionnaires. Au-
dela de ce cas, se pose toujours au cours du temps la question d’inclure ou non dans
l’economie sociale d’une part la tradition « liberale » de la cooperation (qui via
Raffeisen a inspire les cooperatives bancaires) et d’autre part la cooperation
d’entreprises (cooperatives d’artisans, d’agriculteurs, d’entrepreneurs individuels, de
transports . . .).Autrement dit une definition de l’economie sociale est necessairement normative
ce qui n’en invalide toutefois pas une demarche empirique. Ainsi le travail mene par
la Chaire de recherche du Canada en economie sociale (Bouchard et al. 2011) met en
evidence l’existence « d’exceptions » : organisations ne satisfaisant pas les criteres
d’appartenance admis a propos de l’economie sociale et appartenant pourtant
suivant « l’opinion commune » a l’economie sociale. Ces exceptions posent d’autant
plus un grand defi a l’analyse de l’economie sociale qu’il n’est pas raisonnable de
remettre en cause l’appartenance a l’economie sociale des organisations concernees
(comme par exemple au Quebec les fonds d’investisseurs crees par les syndicats
(comme Fondaction)). De plus des zones d’incertitudes existent composees
d’organisations qui suivant les interlocuteurs, ou ce que l’ecologie des organisations
appelle « l’audience » (Hannan et al. 2007), sont vus ou non comme appartenant a
l’economie sociale. Si la New Day Co-op avait ete rencontree sur Montreal,
« l’audience » des chercheurs ou des personnes appartenant aux mouvements de
l’economie sociale aurait ete vraisemblablement critique sur son eventuelle inclusion
dans un portrait statistique de l’economie sociale.16
De maniere generale, on peut voir l’objet « economie sociale » comme flou et
incertain. En theorie logique (Liu 2010), on fait en effet une distinction claire entre
ces deux aspects, que ne differencie pas totalement Henri Desroche (1983). Le flou
constitue une propriete specifique a ce qui est observe (et qui par essence ne peut etre
reduit) : ainsi les organisations d’economie sociale partagent certains elements avec
des organisations qui leur sont proches et inversement. Il y a donc toujours un
caractere arbitraire a separer en deux classes distinctes (« economie sociale » et « non
economie sociale ») ce qui releve en realite d’un continuum. L’incertain constitue une
propriete specifique a l’observation (et qui a la limite peut etre reduit a un minimum).
L’observation de la democratie est en effet quelque chose d’incertain : la lecture des
statuts, le nombre de personnes aux assemblees generales . . . sont des indices mais on
ne peut en deduire que les decisions sont reellement prises de maniere democratique,
ce que dit tres bien Claude Vienney (1966).17 A la limite seule une observation
ethnologique a l’echelle 1 : 1 du social permettrait de resoudre cela. Les outils
apportes par Hannan et al. (2007) avec la notion de forme organisationnelle floue et
son appui sur la theorie des ensembles flous permettent de traiter de maniere
rigoureuse du premier probleme. L’arbitrage entre cout et gain de connaissance
apporte par une approche plus approfondie est une maniere habituelle de traiter le
second aspect par les agences publiques de statistiques.
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La seconde critique est que la New Day Co-op s’inscrit en faux contre l’idee que
Claude Vienney trouvait deja absurde : penser expliquer la creation de cooperative
par la presence d’un esprit cooperatif deja la, a l’etat latent, ne demandant plus qu’a
s’incarner et qui conduit donc a analyser l’evolution des cooperatives uniquement
« dans des problematiques de « l’echec » ou de la « trahison » » (Vienney 1980, p. 24).
Dans notre cas de figure, l’experience de pensee (les individus peuvent creer des
cooperatives pour des simples raisons instrumentalistes) fonctionne parfaitement. Si
on prend en compte la remarque de Gotelli (2008) (« The models often tell us more
about nature when their predictions do not match our field observations »), on est
conduit a se demander: pourquoi dans la vraie vie, il n’existe pas de cooperative de ce
type ? Pourquoi cette forme de cooperative rentre elle autant en dissonance avec ce
qu’on attend habituellement d’une cooperative ? Pourquoi interroge-t-elle autant nos
« intuitions morales » (Ogien 2011). Implicitement ne pense-t-on pas qu’en fait les
createurs de cooperatives rechercheraient « autre chose » qu’une simple reponse de
nature plus economiquement efficace a leurs besoins individuels ? N’est-ce pas en
realite ce que chacun d’entre nous espere ?
Si The Wire est au meme titre que le petit livre de Rene Passet (1995) decrivant les
aventures de « Maxime » au pays d’Ecomonopolie, une remise en cause d’une
explication unique des activites humaines par le principe d’une raison instrumenta-
liste qui reconcilierait interet individuel et interet collectif, cette serie nous conduit
donc a nous poser la question methodologique prealable a toute etude empirique :
que faisons-nous reellement quand nous pretendons differencier de maniere
empirique les bonnes (non instrumentalisees non banalisees et orientees vers la
transformation sociale) des mauvaises cooperatives (depolitisees, marchandes et
orientees vers l’interet de leurs membres) ? Sommes-nous toujours dans une
demarche scientifique ? N’impliquant pas necessairement l’invalidation a priori de
ce type d’approche, l’experience de pensee nous pousse a prendre au serieux la
proposition de Bourdieu (1997) de l’introduction d’une perspective reflexive a toute
analyse en sciences sociales.
Notes
1. Obama etant fascine par le personnage d’Omar Little (Las Vegas Sun, 14 janvier 2008).2. Ce qui les conduit d’ailleurs souvent a passer sous silence des formes de cooperatives aussi
importantes que celles d’entrepreneurs individuels ou d’entreprises (de transporteurs, deprofessions liberales ou de commercants).
3. A l’instar du philosophe Jean-Baptiste Botul invente par Frederic Pages, la cooperative ad’ailleurs acquis une vie autonome comme le montre sa page wikipedia ou son article dansl’Urban Dictionnary. www.urbandictionary.com/
4. Certains elements scenaristiques (correspondant a des ressorts dramatiques necessairescomme celui connectant la saison 1 a la saison 2), la mise en scene spectaculaire et codeede certaines scenes (comme celle du duel entre Omar Little et Brother Mozone digne deSergio Leone revisitant Kurosowa revisitant John Ford) aussi bien que la nature decertains personnages en particulier. Sur ce dernier point, Cromier (2008) a bien mis enevidence dans son analyse du personnage d’Omar son caractere de heros de comics. Sachute du sixieme etage d’un immeuble et sa disparition rapide sont absurdes selon unpoint de vue realiste mais dignes de Spiderman (comme le releve d’ailleurs dans la serie lepersonnage de Marlo Stanfield).
5. L’extension a une situation realiste de confrontations entre differentes ecoles de pensee nepose pas de probleme.
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6. Comme le souligne bien Heckman (2008) (partisan d’une approche structuraliste), ellen’est pas ce qu’elle prend etre, c’est-a-dire une approche a-theorique et sans a priori.
7. Comme le laisse entendre la page wikipedia !8. Les objectifs de la guerre a la drogue avaient ete « de tuer deux oiseaux avec une seule
pierre » (Burrus 1999), un recentrage sur un seul « oiseau » (la reduction de la violence)conduit a negliger l’autre oiseau (le trafic de drogue).
9. Un ouvrage de John Stuart Mill, penseur liberal de la cooperation, aurait assurementmieux ete a sa place ici.
10. Alors qu’il est fait reference a un cours de macroeconomie !11. On retrouve d’ailleurs explicitement cette recherche de ‘‘marque’’ dans la saison 2 de la
serie Weeds (mettant en scene une veuve cherchant a diversifier ses revenus par laproduction et la vente de marijuana) : la bonne drogue etant celle qui reussit a obtenir unnom meme s’il n’y a que de legeres differences avec d’autres.
12. Ce qui se comprend en relation avec une autre de ses phrases favorites: ‘‘Co-op is ‘‘if youhave a problem, I have a problem’’.
13. « majority must give the minority a full, free opportunity to present their side of the case »(Robert 1990).
14. « Yo String, Pooh did have the flow ».15. Sur cette affaire, Prop Joe joue un double jeu puisqu’il accepte le rachat de la drogue volee
par Omar Little aupres de ce dernier en proposant un prix plus eleve aux autres membresde la cooperative (30 cents pour un dollar) que ce qu’il est en realite (20 cents pour undollar).
16. La dimension normative revient des lors qu’il n’y a pas de consensus sur la nature de cesexceptions. Des procedures pouvant etre non neutres doivent alors etre mises en place(majorite, choix de l’opinion d’un acteur « dominant ». . .).
17. « Il ne suffit pas en effet que la propriete soit collective, et la « gestion democratique »inscrite dans les statuts, pour que tous les membres exercent effectivement le pouvoir, oumeme participent a son expression » (Vienney 1966, p. 353).
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