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La place de Magendie dans la physiologie expérimentale du système nerveux * par Madame LEGÈE Georgette** Agrégée de l'Université En 1821, Magendie fut élu membre de l'Académie des sciences dans la section de médecine et chirurgie. Il venait de publier, le 1 er juillet, son célèbre formulaire pour l'emploi et la préparation de plusieurs médicaments nouveaux. L'année précédente, en 1820, il avait fondé son Journal de physiologie expérimentale et de pathologie dont le premier numéro parut en 1821. C'est essentiellement à partir de cette date que Magendie commença ses recher- ches sur le système nerveux dont les résultats furnt publiés dans son journal puis dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. Ses premières grandes découvertes furent celles des fonctions des racines rachidiennes (1822) puis celle de la sensibilité récurrente de la racine anté- rieure (1823), dont il ne trouva l'explication qu'en 1839. Mais d'autres décou- vertes importantes sont dues à Magendie et leur étude nous permettra d'envisager sa place dans l'évolution de la physiologie expérimentale du système nerveux. Ses leçons sur la physiologie expérimentale et la patho- logie du système nerveux, professées au Collège de France de 1837 à 1839, mettent clairement en évidence la rigueur de ses raisonnements et son habi- leté expérimentale. C'est là que Claude Bernard, préparateur de Magendie, puisa les principes de sa médecine expérimentale. Il suffit pour s'en rendre * Communication présentée à la séance du 19 novembre 1983 de la société française d'histoire de la médecine. ** 24 bis, rue Tournefort, 75005 Paris. 357

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La place de Magendie

dans la physiologie expérimentale

du système nerveux *

par Madame LEGÈE Georgette**

Agrégée de l'Université

En 1821, Magendie fut élu m e m b r e de l 'Académie des sciences dans la section de médecine et chirurgie . Il venait de publier , le 1 e r juillet, son célèbre formula i re pour l 'emploi et la p répara t ion de p lus ieurs méd icamen t s nouveaux.

L'année précédente , en 1820, il avait fondé son Journal de physiologie expérimentale et de pathologie dont le p remier n u m é r o p a r u t en 1821. C'est essentiel lement à pa r t i r de cette da te que Magendie commença ses recher­ches sur le système nerveux dont les résul ta ts furnt publiés dans son journa l puis dans les Comptes rendus de l 'Académie des sciences.

Ses p remières grandes découvertes furent celles des fonctions des racines rachidiennes (1822) puis celle de la sensibilité r écu r ren te de la racine anté­r ieure (1823), dont il ne t rouva l 'explication qu 'en 1839. Mais d 'aut res décou­vertes impor tan tes sont dues à Magendie et leur é tude nous p e r m e t t r a d'envisager sa place dans l 'évolution de la physiologie expér imenta le du système nerveux. Ses leçons sur la physiologie expér imenta le et la pa tho­logie du système nerveux, professées au Collège de France de 1837 à 1839, me t t en t c la i rement en évidence la r igueur de ses ra i sonnements et son habi­leté expér imentale . C'est là que Claude Bernard , p r épa ra t eu r de Magendie, puisa les pr incipes de sa médecine expér imentale . Il suffit p o u r s'en r e n d r e

* Communication présentée à la séance du 19 novembre 1983 de la société française d'histoire de la médecine.

** 24 bis, rue Tournefort, 75005 Paris.

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compte de compare r ces leçons à celles que Claude Berna rd fit, sur le m ê m e sujet, vingt ans après son maî t re . Il faut d'ailleurs reconnaî t re que, p lus ieurs fois, Claude Berna rd met en relief les découvertes et la mé thode expérimen­tale de Magendie, tout c o m m e ce dern ie r signale l 'habileté de son prépara­teur . Méthode commune , sujet c o m m u n ; mais év idemment Claude Berna rd cont inuant les recherches de Magendie ira plus loin dans ses résul ta ts , sur p lus ieurs poin ts .

Magendie commence pa r re je ter toutes les spéculat ions auxquelles le système nerveux se prê ta i t facilement. L'expérience sera son guide essentiel et les résul ta ts obtenus s t imuleront sa réflexion et feront na î t re la nécessi té de nouvelles expériences. La p remière expérience ne sera d'ail leurs pas fortui te , mais déjà basée su r des observat ions . Nous en donnerons des exemples précis .

Si Magendie fait avec force l 'apologie de l 'expérience : « Faites des expé­riences au lieu d ' impr imer des rêveries » (t. I, p . 105), ses expériences décou­lent logiquement de sa réflexion, elles ne sont pas des « expériences p o u r voir », comme on a p u le dire .

Dans u n p remie r temps , les recherches de Magendie (comme celles de Flourens) se s i tuent dans le sillage de celles de Haller. Il s'agit de découvrir quelles sont les par t ies sensibles du système nerveux, quelles par t ies é tan t excitées donnent naissance à une réact ion douloureuse . Il s'agit de déceler une propr ié té , comme le dit Flourens , qui fait ne t t emen t la dis t inct ion en t re p ropr ié té et fonction. Pour Magendie, cet te p ropr ié té est impor t an t e au point de vue expér imenta l . A plusieurs repr ises , il insiste sur l ' insensibilité du cerveau qu'il p o u r r a dé t ru i re sans faire souffrir l 'animal. Il ne mér i te pas les invectives des quaker s anglais ! Au cours de ses leçons, il m o n t r e d'ail­leurs l 'utilité de l 'expér imentat ion sur l 'animal. Le bu t de ses expériences c'est la clinique. Il répète que la pathologie est ia physiologie de l 'homme malade et que la physiologie expér imenta le éclairera la pathologie. Magendie fut toute sa vie u n r emarquab le médecin d 'hôpital . C'était une vocation profonde. Son désir de soulager la souffrance l'a guidé d u r a n t tou te sa vie, comme l 'a t teste son dévouement dans les hospices de vieillards (en par­t iculier à la Salpêtr ière) , puis à l'Hôtel-Dieu, ainsi qu 'au m o m e n t des épi­démies .

Aussi, chacune de ses leçons au Collège de France comporte-t-elle deux par t ies : l 'une de physiologie expérimentale , l 'autre d 'observat ions patholo­giques, confirmant les résul ta ts des expériences qui viennent eux-mêmes éclairer la pathologie p a r la compréhens ion des symptômes observés. La spontanéi té de ses expressions, le ton familier de ses leçons reflètent u n a m o u r de son enseignement et de sa profession de médecin, qu 'on ne re t rouve pas dans la p résen ta t ion plus intellectuelle, plus académique de Claude Ber­na rd . Magendie est vér i tablement le médecin physiologiste p a r vocation.

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Nous envisagerons successivement l 'apport de Magendie dans la connais­sance des fonctions du système nerveux cent ra l et de celles du système nerveux pér iphér ique (fonctions des nerfs) . Dans les deux cas Magendie me t en évidence les r appor t s plus ou moins impor tan t s , à son époque, en t re l 'anatomie et la physiologie du système nerveux. Pour le sys tème nerveux central , il déclare ne t t ement que l 'anatomie n'a pas d 'uti l i té pour la physio­logie, car il re je t te les idées de Gall sur les r appo r t s en t re subs tance b lanche et subs tance grise. Gall, pense-t-il, ne donne pas de preuves tangibles de son affirmation que la subs tance grise est la mat r ice de la subs tance blanche. Quant aux fibres nerveuses et à leurs t ra je ts , il se m o n t r e souvent sept ique : « C'est p lu tô t dans les dessins que dans la na tu r e qu 'on rencon t re de sem­blables disposit ions. » (t. I, p . 130-131). Mais, cependant , il fait des prévi sions su r le rôle que p o u r r a jouer en physiologie la connaissance de l'ana­tomie fine de l 'élément nerveux, et de sa chimie (t. I, p . 156). C'est, en effet, ce que p rouvera la naissance et le développement de l 'histologie de la cellule et de la fibre nerveuse, ainsi que l 'étude physico-chimique de l'influx nerveux.

Pour l 'anatomie macroscopique , Magendie cite Willis, Varole, Vieussens, Gall, Vicq d'Azir et su r tou t Fr iedr ich Arnold (1808-1890), professeur à Hei-delberg, dont il util ise les planches ana tomiques . E n ana tomie microscopique, il dénonce l ' incert i tude des résul ta ts et les discussions qui en découlent (par exemple, Eh renbe rg cr i t iqué p a r Tréviranus , Burdah , Valentin) . Et, cepen­dant , malgré ses cr i t iques, il se réfère encore aux théories régnantes sur les globules et m ê m e sur les fibres.

En chimie, il reproche à Berzélius de n 'avoir pas fait p rogresser l 'analyse de la subs tance nerveuse et de r a p p o r t e r seulement des analyses an tér ieures . 11 apprécie , au contra i re , Couerbe qui, en 1834, a p résen té la composi t ion chimique de la subs tance nerveuse donnée p a r Fourcroy, Vauquelin, John Gmelin, Kunh, et fait lui-même des analyses sur les subs tances grasses de la mat iè re nerveuse, et m ê m e m o n t r é que la p ropor t ion de phosphore d iminue chez les aliénés. Mais toutes ces recherches ne sont pas suffisantes p o u r expliquer la physiologie et Magendie déclare : « Presque tout est à t rouver quan t à la physiologie du système nerveux. » Une mul t i t ude de préjugés , de croyances hypothét iques régnent dans ce domaine qui s'y p rê t e facilement. « Sous le nom de phisolophie naturel le , tout est pe rmis . » Mais aussi : « P ré tendre expliquer les actes de l ' intelligence p a r des pr incipes de phys ique ou de chimie... ce serai t sor t i r sans aucun profit p o u r la science du cercle des observat ions physiologiques, et t omber dans l 'absurde. » (t. I, p . 30). Magendie dist ingue, en effet, dans l 'organisme, des phénomènes physiques (explicables p a r la physique, la chimie, la mécanique) et des phénomènes vitaux, mais auxquels la mé thode expér imentale peu t s 'appl iquer tou t aussi bien. L 'étude du système nerveux faite par Magendie est, dit-il, une é tude de phénomènes vitaux.

Les expériences originales de Magendie qui ont appor t é des résu l ta t s nouveaux concernent les corps str iés, les lobes opt iques ( tubercules quadri-jumeaux antér ieurs ) et les pédoncules cérébelleux, ainsi que la p ro tubé rance . Ayant extrai t les deux corps str iés d 'un lapin, l 'animal p a r t en avant d 'un

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mouvement irrésist ible (t. I, p . 248) ; dans une au t r e expérience, il saute m ê m e à la figure d 'un des aides, ce qui fait la joie de l 'audi toire (p . 280). Or, d 'après la physiologie de Kayser, j u squ ' à ces dernières années la physiologie des corps str iés est res tée obscure : « Leur par t ic ipat ion au contrôle de la pos tu re et du mouvement était a t tes tée par la r ichesse de la symptomato-iogie des t roubles mo teu r s résul tant , chez l 'homme, de lésions localisées à ces s t ruc tures . » Les expériences de Magendie prouvaient déjà ce rôle.

La section du pédoncule cérébelleux droi t fait t ou rne r le lapin latérale­men t de gauche à droi te . Ce mouvement est accompagné de s t rab isme. Si le pédoncule gauche est coupé, la ro ta t ion se fait vers la gauche. Magendie pense que l 'équilibre serait ré tabl i en coupant successivement le pédoncule droi t et le pédoncule gauche. L'expérience est faite et réussi t par fa i tement . Ainsi, les sections isolées ont fait na î t re chez Magendie l'idée d 'une nouvelle expérience m o n t r a n t l 'équilibre « des forces » droi te et gauche. La démarche de Magendie est donc bien méthod ique (t. I, p . 257-269). « Vous allez voir, dit-il, que la lésion du pédoncule sain ré tabl i t l 'équilibre, pourvu qu'elle soit faiie à la m ê m e hau teu r et à la m ê m e profondeur que celle du pédoncule pr imi t ivement a t te int . » (t. I, p . 267). Il é tabl i t aussi le r a p p o r t en t re les pédoncules cérébelleux et la p ro tubérance , et r e m a r q u e la cor respondance en t re la direction « des fibres » et celle des mouvement s observés.

Vers la m ê m e époque, Flourens découvrai t le rôle des canaux semi-circulaires de l'oreille in terne , et dans son r appo r t G. Cuvier lui conseillait de faire le r app rochemen t avec les résul ta ts ob tenus p a r Magendie, lors de la section des pédoncules cérébelleux. Quant aux tubercules quadr i jumeaux an té r ieurs , Magendie m o n t r e que leur ablat ion ent ra îne la pe r te de la vue. Il aborde peu les fonctions des hémisphères cérébraux, mais étudie, le pre­mier , le l iquide céphalo-rachidien et l'influence de sa pression sur le cerveau. Il établi t la s t ruc tu re véri table de l 'arachnoïde.

***

L'apport le plus impor t an t de Magendie concerne le système nerveux pér iphér ique de la face, et p lus spécialement la découverte des fonctions de la c inquième pai re de nerfs crâniens ou nerfs t r i jumeaux, et de ses anasto­moses avec les au t res pa i res .

A propos du t r i jumeau, Claude Berna rd affirme que : « La physiologie de ce nerf n'est bien connue que depuis les t ravaux de Magendie. » E t il a joute : « Les expériences de Magendie appr i ren t que non seulement le t r i jumeau est un nerf sensitif, mais qu'il a encore une influence t rès r emarquab le sur la nu t r i t ion de la face et, pa r suite, sur les manifes ta t ions sensorielles. » (Cl. B., t. I I , p . 49-50). Nous envisagerons successivement les résul ta ts sui­vants ob tenus p a r Magendie :

1. le t r i jumeau donne la sensibilité à tou te la face ;

2. son influence sur les organes des sens se manifeste de trois façons : sur leur sensibili té générale, c'est-à-dire tactile, sur leur sensibili té spéciale, sur leur nut r i t ion .

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L' impor tance de la technique de Magendie est reconnue p a r Claude Ber­na rd qui défend la pr ior i té de son maî t re à p ropos des expériences de 1824. Il rappelle les expériences an tér ieures d 'Herber t Mayo (1796-1852), à Londres et de Michel Fodera, en I tal ie. E n 1823, Herbe r t Mayo avait coupé le triju­m e a u dans le c râne à des pigeons, sans avoir enlevé le cerveau ; Fodera, en 1823, coupa aussi le t r i jumeau dans le c râne en péné t r an t pa r le par ié ta l et en enlevant une pet i te por t ion du rocher ; il fit deux expériences à résul ta ts confus et incomplets , ca r les an imaux moura ien t . Claude Be rna rd déclare :

« Tout le mér i t e consiste dans l ' invention d 'un procédé qui p e r m e t t e de l 'exécuter et de conserver les an imaux vivants ; tout le mér i te de cette expé­r ience et des découvertes auxquelles elle a condui t revient à Magendie. » (p. 86).

Claude Bernard adop te ra la technique de Magendie (ne modifiant que légèrement le pet i t stylet coupant ) . La p répara t ion de l 'animal d 'expérience est ainsi décr i te pa r Magendie opéran t devant ses élèves :

« Voici un lapin auquel j ' enlève devant vous la voûte du crâne et les lobes cérébraux, opéra t ion que vous savez ê t re par fa i tement innocente pa r r a p p o r t aux mouvement s et à la sensibilité de l 'animal. Nous p o u r ro n s ma in tenan t sans difficulté nous adresser aux nerfs isolés avant leur sort ie du crâne pa r leurs canaux osseux respectifs . »

Les leçons de Magendie ne sont pas i l lustrées, mais les figures publiées vingt ans plus t a rd dans celles de Claude Bernard i l lustrent fidèlement les descript ion du ma î t r e .

La p répara t ion é tant faite sur un animal j eune (plus rés is tant ) doit ê t re suivie d 'un m o m e n t de repos , afin que les résul ta ts de l 'expérience ne soient pas pe r tu rbés p a r le choc opéra to i re . Les condit ions expér imentales sont donc déjà bien mises en évidence p a r Magendie.

Un au t re procédé uti l isé pa r Magendie et repr is également pa r Claude Bernard consiste à ne pas ouvrir le crâne, mais à in t rodui re le stylet coupant dans la fosse tempora le puis , en le faisant glisser le long de la face in terne du rocher , a t te indre le t ronc du t r i jumeau, technique exigeant une parfa i te connaissance de l 'anatomie et une g rande habi leté expér imentale . Enfin, dans un t rois ième procédé, Magendie remplace le stylet coupant pa r la morph ine .

Ayant p répa ré l 'animal (crâne et lobes cérébraux enlevés), le t r i jumeau est coupé dans le crâne, à gauche p a r exemple, la sensibilité tactile de la moit ié gauche de la face est abolie ainsi que celle des sens.

Puis Magendie, dans d 'autres expériences, va couper séparément chacune des trois b ranches du t r i jumeau. Ici la connaissance de l 'anatomie est indis­pensable . Avant d 'opérer une section, Magendie insiste sur l 'accord en t re la physiologie et l 'anatomie du nerf.

« Vous concevez, Messieurs, dit-il, quel in térê t est désormais a t taché à l 'anatomie fine du moindre filament nerveux. » Et il décri t avant de couper : « Je vois ma in tenan t assez d is t inc tement la pa t t e d'oie formée pa r les divi­sions de la c inquième paire . »

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Fig. 1. — Section de la 5e paire dans le crâne chez le lapin. Le crâne est ouvert et le cerveau enlevé afin de montrer les origines

des nerfs. G G' : tronc du nerf de la 5 e paire.

Du côté droit, l'instrument coupant a été représenté lorsque l'incision se fait par le côté latéral du crâne (second procédé de Magendie).

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Les b ranches ophta lmique , maxil laire supér ieure et maxil laire inférieure sont succivement coupées et la sensibili té est éprouvée dans les différentes régions de la face. Magendie fait a lors cet te r e m a r q u e impor t an t e qui m o n t r e que la physiologie peu t r endre des services à l 'anatomie :

« Nous savons donc p a r nos expériences, aussi bien que l 'anatomiste p a r son scalpel, quel est le rayon où se r épanden t les divisions de chaque nerf. Mais, de plus , nous apprécions les p ropr ié tés de ces nerfs... connaissance qui n ' appar t ien t qu 'à la physiologie expér imentale . » (t. I I , p . 136).

Si p a r section de la 5 e pa i re la sensibilité de la face est abolie, la motr i ­cité l 'est aussi et Magendie s'en é tonne car, à ce t te époque, la no t ion de réflexe est encore mal établie dans ses modal i tés .

E tud ian t la sensibilité spéciale des organes des sens, il m o n t r e que la section du t r i jumeau, comme celle du nerf opt ique , suppr ime la vision (avec des var iat ions consécutives au m o d e d 'en t recro isement des fibres des nerfs opt iques) , mais conserve par t ie l lement la sensibili té à la lumière (t. I I , p . 251-254).

Il expér imente le goût avec une décoction de coloquinte ex t rêmement amère . La sensibili té gustat ive est dé t ru i te à droi te p a r section de la c inquième pai re à droi te (t. I I , p . 256-257). L 'étude de l 'olfaction est part iculiè-

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Fig. 2. — Altération de l'œil après section de la 5e paire.

En haut : œil normal du côté non opéré.

En bas : œil malade du côté opéré : conjonctive injectée ; cornée terne et

convexité exagérée.

Nota ; Les figures sont extraites des leçons de Claude BERNARD.

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r emen t in téressante . La suppress ion de la sensibili té olfactive (étudiée avec éther , a m m o n i a q u e et subs tances odorantes ) ne prouve pas , dit Magendie, que le siège de l 'odorat soit dans les b ranches de la c inquième paire , mais au moins elle p rouve que ces b ranches concourent à cet te fonction (t. I I , p . 259-260).

Claude Be rna rd cr i t ique les expériences de Magendie faites avec l 'ammo­niaque, mais il a joute : « Les expériences de Magendie semblera ient donc m o n t r e r que si le nerf olfactif prés ide à la sensibili té olfactive, ce n 'es t pas d 'une façon exclusive. » Or, c'est exactement ce que Magendie a conclu. Dans la Physiologie de Charles Kayser, nous lisons :

« Les te rminaisons venant de la b ranche ophta lmique et de la b ranche maxil laire supér ieure sont présentes au sein de la muqueuse olfactive. Res­ponsables des sensat ions douloureuses , elles répondent aux molécules odo­ran tes . E tendan t les résul ta ts d'Allen (1937) sur le chien, Tucker (1963) a pu m o n t r e r que tous les corps odoran ts sont actifs sur ces fibres trigémi-nales avec des seuils comparab les ou inférieurs à ceux qu 'on observe pour les m ê m e s corps sur les fibres olfactives. » Ces résul ta ts sont ceux de Magendie avec la not ion de seuil (not ion moderne ) en plus . Ils r éponden t aussi au désir de Claude Berna rd de refaire les expériences faites p a r Magendie avec des substances odoran tes .

A Magendie revient aussi le mér i t e d'avoir découvert l 'action de la cin­quième pai re su r la nu t r i t ion des organes des sens. Sur le chien co mme sur le lapin, après section des b ranches oph ta lmique et maxil laire supér ieure , il observe des ophta lmies (conjonctive injectée, boursoufflée, cornée blan­chât re) , une tuméfact ion de la m e m b r a n e pi tui ta i re , des a l té ra t ions de la langue dont cer ta ines , remarque-t-il , sont dues à l 'action des dents , la langue devenant insensible après ces sections.

Il répond à l 'objection de Gerdy à p ropos des ophta lmies que ce dernier a t t r ibue à l 'absence de sécrétion lacrymale due à la section. Magendie fait l 'ablation des glandes lacrymales chez un animal et l 'ophtalmie n 'appara î t pas .

L 'étude physiologique du nerf facial (sept ième paire) a pe rmis à Magendie de démon t r e r les r appo r t s physiologiques en t re le facial et le t r i jumeau, et d 'é tabl ir le rôle impor t an t des anas tomoses en t re nerfs crâniens .

« Le facial, dit-il, est le nerf de l 'expression, de la physionomie, comme l'a dit avec raison M. Ch. Bell. » Ce nerf se divise en trois b ranches .

Dans se& expériences, Magendie est guidé pa r l 'anatomie et l 'anatomie comparée . Avec A. Desmoulins, il a publié un ouvrage d 'anatomie comparée appl iquée à la physiologie, chez les Ver tébrés .

Pour perfect ionner l 'anatomie, il fait souvent appel à l 'habileté de Claude Bernard , son p r épa ra t eu r (p. 183 et 223). Les connexions du facial et du t r i jumeau lui pe rme t t en t de démont re r expér imenta lement que le facial t ient

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sa sensibilité de p lus ieurs r ameaux du t r i jumeau (expériences t. I I , p . 164-165). Il m o n t r e que chez le chien les trois b ranches du facial sont sensibles, a lors que chez le lapin la b ranche inférieure ne l'est pas (p . 196-197) et qu 'en général le t ronc du facial est insensible (p. 203). Il peu t m ê m e exister des var ia t ions individuelles (p . 216-218). L 'anatomie comparée lui pe rme t d'ex­pl iquer ces différences, pa r l 'existence ou non de certaines anas tomoses , et de choisir l 'animal d 'expérience.

Sur le lapin, la section de l ' anas tomose du facial avec le r ameau aur icula i re du t r i jumeau fait pe rd re la sensibili té de la b ranche moyenne du facial (p. 205-206). Claude Berna rd répète la m ê m e expérience et obt ient le m ê m e résul ta t sur un peti t chien (Cl. B., t. I I , p . 25-26), et il m o n t r e que cet te sensibili té est r écur ren te , comme Magendie l 'avait si b ien expli­qué (p. 199-200). L 'étude expér imenta le des anas tomoses enseigne à Magendie « qu 'un nerf peut devenir sensible après sa jonct ion p a r anas tomose avec un au t re nerf, mais ê t re insensible avant cet te jonct ion » (p . 285). Cette conclusion, dont il souligne l ' importance, résul te des observat ions recueil­lies au cours de nombreuses expériences dont cer ta ines s 'avéraient négatives.

Magendie é tudie encore expér imenta lement les anas tomoses en t re plu­sieurs au t re s nerfs crâniens V, VII, IX, X (encore hui t ième pa i re p o u r Magendie), XI , XI I . Il expér imente su r les nerfs de la langue et leurs anasto­moses . Il mon t r e , pa r exemple, l'influence de la b r anche maxil laire inférieure du t r i jumeau sur le goût en é tudiant l ' anastomose en t re le glossopharyn-gien (IX) et le lingual, r a m e a u de cet te b ranche . Il cite le r a m e a u de Jacobson issu du glosso pharyngien et qui commun ique avec le t r i jumeau pa r la voie de la b ranche aur iculo- temporale (p . 287). Ses t ravaux por t en t encore sur les r appor t s en t re le pneumogas t r ique (X) et le spinal ou accessoire de Willis (XI) et il r end compte des opinions de Bischoff (p . 287). Il s ' intéresse à la corde du tympan issue du facial. Toutes ces expériences seront cont inuées et de nouveaux résul ta ts seront ob tenus p a r Claude Bernard , en par t icul ier su r le pa rasympa th ique .

La relat ion ent re physiologie et pathologie est ex t rêmement impor t an te pour Magendie, nous l 'avons signalé lorsque nous avons par lé du plan de chaque leçon « Vous avez à chaque instant , dit-il, la preuve que la pa tho logie n'est au t r e chose que la physiologie de l 'homme malade ; p a r consé­quent , nos t r a i t ements doivent reposer en t iè rement sur la connaissance des faits pathologiques . C'est ce qui vous démon t re l 'utilité des expériences ; c'est aussi ce qui m'engage à persévérer dans le m ê m e mode d 'é tude et d 'enseignement . » (p. 251).

Magendie étudie les névralgies et les paralysies faciales.

L'observation des symptômes permet , grâce à l 'expérience, d'en déduire le nerf malade . A l'Hôtel-Dieu, il excelle dans la reconnaissance des maladies de la 5° pai re . Son é tude physiologique des anas tomoses en t re nerfs crâniens lui pe rme t de comprendre les symptômes des névralgies tournan tes (p. 234)

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et lui r e commande la p rudence en thérapeut ique . Il déconseille les sections de nerfs et util ise le galvanisme avec lequel il opère des guér isons. Son cours abonde en observat ions pathologiques qui viennent à l 'appui de ses résul ta ts expér imentaux. Les expériences faisant r éc ip roquement c o m p r e n d r e les symptômes des maladies .

Ainsi Magendie fut bien le modèle du médecin physiologiste pa r vocation.

Il fut un p ionnier en physiologie du système nerveux pér iphér ique de la facër II a t racé la voie à Claude Bernard , pa r sa technique expérimentale , p a r les sujets abordés , et p a r ses véri tables pr incipes de médecine expéri­menta le .

« Vous me verrez à l 'œuvre, dit-il à ses élèves. Vous saurez p a r quelle filiation d'idées et de c i rconstances on arr ive à de nouveaux faits, et commen t un résu l ta t tout à fait accidentel peu t m e t t r e sur la voie de décou­vertes qui aura ient échappé à toutes les prévisions théor iques . »

B I B L I O G R A P H I E

ARNOLD Friedrich (Friderici Arnoldi). — « Icônes Nervorum capitis », Heidelbergae, sumtibus J.C.B. Morhii, 1860 ( l r e éd., 1835).

BERNARD Claude. — « Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux », t. II, Paris, Baillière, 1858.

DESMOULINS Antoine. — « Anatomie des systèmes nerveux des animaux à vertèbres appliquée à la physiologie et à la zoologie », ouvrage dont la partie physiologique est faite conjointement avec F. Magendie, Paris, Maquignon-Marvis, 1825.

KAYSER Charles. — « Phvsiologie, t. I, système nerveux, muscle », Paris, Flammarion, 1976 ( l r e éd., 1963).

LEGÉE Georgette. — « François Magendie et la découverte de la sensibilité récurrente (1822-1839) », in Histoire et Nature, n° 11, 1977. « Evolution de l'histologie du système nerveux au XIX e siècle ; l'impulsion donnée par Camillo Golgi (1844-1926)», CU Medica, Amsterdam, vol. 17, n° 1, mai 1982.

LELIÈVRE Gilles. — « L'électrogustométrie, méthodes, résultats et intérêt clinique dans les paralysies faciales ». Thèse, Paris, 1976, n" 269. [La méthode est basée sur les relations existant entre les nerfs du goût et les autres nerfs de la face, relation signalée déjà par Magendie.]

MAGENDIE François. — « Leçons sur les fonctions et les maladies du système ner­veux », Paris, Ebrard, t. I et II, 1839. « Notes sur les fonctions des corps striés et. des tubercules quadri jumeaux », in Journal de physiologie expérimentale et pathologique, t. III, 1823, p. 376-381.

ROUVIÈRE Henri. — « Anatomie humaine descriptive, topographique et fonctionnelle », 11° éd. révisée et augmentée par A. Delmas, t. I et III, 1974.

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